Y’a des soirées comme celle-ci où j’aurais dû resté dans mon lit. J’sais pas pourquoi je me suis pas fier à mon instinct, j’aurais dû décliner l’invitation et pourtant je me retrouve ici, les chaussures recouvertes de sables à regarder d’anciennes connaissances se mettre la mine. Du coup je suis forcé de faire pareil, juste assez pour pouvoir apprécier la soirée. Parfois j’me dis que je suis maso, que je m’inflige des choses pour parfaire une réputation à laquelle personne ne fait attention, personne sauf moi. Et je finis par me retrouver à descendre un pack de bières, le cul assis sur une plage, entouré de personnes que je ne reconnais plus. D’anciens joueurs de hockey pour la plupart, des fils à papa, des mecs bourrés de testostérones qui gaspillent une grande partie de leur fric dans des cachetons qui n’auront pour but que de rendre leur vie un peu plus exaltante. « Mec, tu devrais vraiment tester. »   Je bois une gorgée de ma boisson tout en refusant l’invitation. Marcus est out, heureusement qu’il a quitté l’équipe parce qu’il aurait probablement été viré. C’est que le coach aime nous faire pisser dans des petits pots, le genre d’interrogation surprise pour les sportifs. Et si Marcus n’en a plus rien à foutre des patins, c’est loin d’être mon cas. J’ai besoin de ce sport, parce que c’est la seule chose qui m’permet de me vider la tête et le seul truc pour lequel je suis plutôt doué. « C’est de la merde ton truc. » Il lève les yeux au ciel, je l’observe s’en aller en direction d'une nouvelle proie, celle qu’il arrivera à faire flancher avec ses conneries. J’parle, mais j’suis loin d’être clean, je suis même pas mal amoché. Ça fait un moment qu’on est ici, un bon moment que je tente de noyer mon ennui dans les différentes boissons alcoolisées. À quel moment ça a changé ? À quel moment avons-nous pris des chemins différents ? Est-ce que c’est ça devenir adulte ? Ne plus reconnaitre les personnes qui ont partagé notre enfance, parce que si c’est le cas, ça craint. C’est presque plus merdique encore que les pilules de Marcus, parfois j’aimerais juste revenir en arrière. « Depuis quand t’es devenu aussi sérieux Oxton ? » Cette fois-ci c’est son frère qui revient à la charge, dans la famille Millers, j’voudrais le beauf de service. « J’sais pas, peut-être depuis que vous avez besoin de vous droguer pour pouvoir vous amuser ? » Je finis ma boisson d’un trait et lance la bouteille vide à côté de toutes celles qui y sont déjà passées. Les mecs viennent se joindre à nous, tandis que j’attrape le verre de martini que me tend un pote. « Avant t’étais l’un des premiers à faire des conneries, maintenant c’est à peine si t'es capable de prendre un bain de minuit. » Marcus le retour, il parle et tout le monde semble acquiescer. À croire qu’on vient de me convier à mon propre procès, c’est eux qui déconnent et c’est moi le problème. Y’a quand même de quoi rêver, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Le truc c’est que j’ai beau avoir changé, je reste encore très faible face aux défis. Parce que j’ai une fierté et que j’ai toujours le besoin de prouver aux gens qu’ils se trompent surtout lorsque ça concerne quelque chose à mon sujet. Je vide le verre et me lève pour me déshabiller. « Fallait l’dire plus tôt si vous vouliez voir mon cul. »  Ils se mettent à gueuler pour m’encourager alors que j’enlève la dernière pièce de tissu qui me sépare d’une totale nudité. L’eau a intérêt d’être bonne, manquerait plus que je me chope une pneumonie pour leurs beaux yeux. Ni une, ni deux, je fonce vers l’océan et plonge dedans s’en prendre la peine de trop y réfléchir. C’est qu’elle est loin d’être mauvaise, je leur montre mon majeur et m’éloigne du bord pour nager un peu plus longtemps. Lorsque je relève la tête, ils ne sont plus là, il me faut un moment pour comprendre que mon cerveau ne me joue pas des tours. Juste le temps de revenir vers le bord de la plage pour n’y voir qu’un tas de bouteille vide et un truc au motif léopard. Les connards, ils se sont barrés avec mes fringues, la totalité de ma tenue. « Sérieux les mecs c’est pas drôle putain. Vous avez quel âge ?! » Je me redresse, laissant l’eau couvrir la chute de mes reins. « C’est bon, on s’est bien marré, vous pouvez revenir. » que je gueule un peu plus fort.
 

Ils se sont taillés, ils se sont barrés et ont emporté avec eux la totalité de mes affaires. J’ai plus rien si ce n’est mon corps dénudé, ces cons n’ont même pas pensé à me laisser ne serait-ce que mon portable où les clés de ma caisse. Je me retrouve comme un con, debout dans une partie de l’océan. Et là, alors que je sens un truc me chatouiller le pied, je commence à paniquer. Je panique parce que j’suis pas sûr d’être vraiment seul, en surface peut-être mais pas sous l’eau. Mes jambes et mes bijoux de ma famille se retrouvent à la merci d’une infinité de petits poissons, grands poissons si j’ai pas de chance. Je repense à cet article que j’ai lu, celui qui faisait référence à cet homme qui avait frappé un requin à coup de poings pour sauver la vie de sa femme alors qu’elle était en train de se faire attaquer. Femme qui était en train de surfer à Port Macquarie, ici-même en Australie. Il ne m’en faut pas plus pour commencer à me faire des films, il fait nuit et j’ai aucun contrôle sur ce qui peut bien se passer en dessous de moi. Je commence à avoir du mal à respirer, j’imagine déjà un putain de requin blanc venir me mordre la jambe ou pire encore.  « Je sais pas qui tu cherches mais y’a plus personne là. » C’est qu’il est plein de bon sens ce garçon, je lève mes yeux vers lui alors qu’il s’arrête sur la plage, les mains prisent pas des cartons de pizzas et un pack de bières. « Hey t’es dans Oxtrom nan ? » Qu’il me demande en se rapprochant du bord, pas assez pour pouvoir me sauver d’une attaque de requin, mais suffisamment pour que je puisse voir son visage se dessiner dans l’obscurité. Sa tête me dit vaguement quelque chose, je pense pas l’avoir déjà croisé un jour mais c’est comme si je l’avais déjà vu quelque part. J’inspire profondément et tente de faire un pas avant de m’arrêter pour être sûr de ne pas avoir réveillé un poisson prêt à me dévorer. « Ouais, attends mais c’est pas toi qui a bossé avec ma frangine ? »  Si c’est lui, je reconnais ses tatouages, ceux que j’avais relevé lorsque Jess m’avait montré une photo du mec avec qui elle avait pris plaisir à collaborer. Je saurais plus mettre de prénom sur ce visage et je suis pas certain d’être heureux de tomber sur lui. Primo, parce qu’il connait ma sœur et que je risque d’entendre parler de cette histoire pendant des années s’il se met à tout lui raconter. Secondo, parce que je viens de perdre toute crédibilité et que c’est pas forcément comme ça que j’aurais aimé le rencontrer.

« Je vais aller poser ça et je vais bien trouver une serviette ou quoi pour toi. » J’ai pas besoin de plus pour calculer le temps qu’il pourrait mettre à revenir et la vitesse d’un requin blanc. C’est mort, je reste pas tout seul ici, pas maintenant que j’ai trouvé la seule personne qui pourrait me sortir de cette situation. Il semble comprendre ma détresse puisqu’il me fait signe de le suivre, ce que je fais jusqu’à ce qu’il s’arrête net. « C’est à toi ? » Mon visage se décompose lorsqu’il me montre ce qui a tout l’air d’être un string aux motifs léopard. Ça l’amuse, il en rit même alors que j’ai juste envie de plonger tête la première dans l’eau et me laisser couler. « Est-ce que j’ai une gueule à porter un string léopard ? » Je me mords l’intérieur de la joue, non pas que j’ai un truc contre les gens qui en portent qu’importe leur sexe, mais c’est pas mon délire. J’ai du mal à comprendre comment on peut rester toute une journée avec un truc qui te triture la raie du cul. J’ai déjà du mal avec les tongs, alors je peux pas imaginer ce que ça doit être avec un string. « Mais je te l’offre avec plaisir, si c’est ton dada. »  Je souris et hausse un sourcil, bien trop impatient d’entendre ce qu’il pense de ce genre de sous-vêtement. « Vraiment des putes tes potes. » J’acquiesce de la tête, une belle brochette de putes, ouais. Ça fait un moment que c’est plus des potes, qu’ils ont rétrogradé jusqu'à ne devenir que d’anciennes connaissances. « J’compte bien leur faire payer. » que je lui dis alors que je me remets à marcher dans l’eau. Je commence à me les cailler et j’ai juste envie d’en finir avec ce bain de minuit. « Elle est encore loin la serviette ? »  que je lui demande tel un môme de six ans qui serait bien trop pressé d’arriver enfin à destination. Mes yeux s’attardent sur les boites de pizzas et je m’arrête. « Attends, t’es pas en train d’me tendre un piège pour pouvoir te foutre de ma gueule avec ta bande de potes ? »  Non parce que maintenant je me méfie, à tous les coups je tombe nez à nez avec ma sœur et quelques-uns de ses collègues.

 

« C’est bien moi ! » J’aurais préféré qu’il nie, parce que sa réponse ne fait qu’accroître l’embarras dans lequel je me trouve depuis que mes potes m’ont lâchement laissé, cul nu, sur la plage. Il sourit, Jordan. J’en aurais fait de même si les rôles étaient inversés, ouais, je me serais probablement rincé l’œil pendant un moment avant de lui venir en aide. Je me demande si les tatouages recouvrent la totalité de son corps où s’ils ne parsèment que la partie de ses bras dénudés. J’aurais bien aimé en avoir plus que ce que je ne possède déjà, c’est pas les points à relier sur mon dos, ni même le tatouage que j’ai fait avec Ana qui vont couvrir les parties de mon corps que j’aimerais bien pouvoir cacher. Heureusement que l’eau est là pour tout camoufler, même si je commence sérieusement à me les geler. Est-ce que ça peut rendre stérile de rester trop longtemps, les couilles dans de l’eau glacée ? Non parce que je suis pratiquement certain que y’a tout de congelé à l’intérieur, je suis même presque sûr que je serais capable de tirer des stalagmites si je me mettais à venir. « Je te connais pas assez pour répondre à cette question. » Il ne me connait pas tout court et y’a une partie de moi qui pense que c’est bien mieux comme ça. Parce que ça rend les choses un peu plus faciles, que le malaise se fait moindre et qu’on aura plus jamais à se recroiser après ça sauf s’il décide d’en parler à ma sœur et que celle-ci l’invite à une de nos soirées. « Je l’aurai pris si je savais où il a trainé. » Je ris, c’est qu’il a du cran le garçon. Je m’attendais pas à ce genre de réponse, mais je la préfère dix fois plus à celle que j’avais en tête. Ça sort de l’ordinaire, il a l’air d’avoir de l’humour et j’aime ça. Je note cette information dans un coin de ma tête, qui-sait, je pourrai toujours la ressortir si un jour Jess ne sait pas quoi lui offrir. « Un côté sauvage, c’est noté. » que je lui lance, sans vraiment me rendre compte de ce que je viens de balancer. Je le suis, nageant dans l’eau tandis qu’il est assez chanceux pour déambuler sur la plage. Mes yeux se reportent sur les boites de pizza et je sais pas si c’est le bain de minuit mais ça me donne faim. « Nan juste là. » qu’il me répond lorsque je lui demande si la serviette est encore loin. Le blond me fait signe du menton alors que mes yeux gris quittent son visage pour se poser sur l’endroit qu’il semble m’indiquer. Il fait sombre, mais pas assez pour que je ne puisse pas voir les dix personnes qui forment un cercle sur le sable. « Je comprends ton doute. Je serai toi je me suivrai pas. » Je me mords la lèvre pour ne pas rire une nouvelle fois parce qu’il a le don de me surprendre avec ses réponses. Je m’arrête un instant et scanne le groupe du regard. « C’est dingue comme tu peux te montrer rassurant. J’espère que tu sors pas la même phrase pour ramener des filles chez toi. » Je souris mais décide de continuer à avancer, parce qu’un con aurait probablement tenté de me prouver par a+b ses bonnes intentions pour me faire tomber dans le piège alors que lui m’a l’air plutôt sincère. Et au pire des cas, il se tapera une barre et je pourrais rentrer chez moi. « Relax. Tu peux rester là si tu veux je t’apporte la serviette. Dois même y avoir un hoodie qui traine si tu veux. T’as pas l’air gêné de montré cette moitié là de ton corps mais je propose. » Relax qu’il me dit, plus facile à dire qu’à faire dans ma situation. C’est pas lui qui est à poil dans l’océan, à deux doigts de se faire mordre le bout de la queue par un requin blanc. J’aimerais bien l’y voir tiens, je suis pas sûr qu’il ferait le malin. Je souris lorsqu’il fait référence à mon torse dénudé, non c’est clair que j’ai pas de soucis avec cette partie-là mais je peux pas en dire autant du reste. « Ouais, je vais rester là si ça te dérange pas. Je crois que tes potes n’ont pas besoin de voir une deuxième lune. » Je lève les yeux vers la pleine lune, sans parler de ce qui m’a tout l’air de s’être transformer en concombre des mers. C’est assez humiliant devant une personne alors si je peux éviter de me montrer devant un cercle composé d’inconnus, je dis pas non.  « Je serai plus flippé qu’un requin me bouffe le cul que d’un groupe d’inconnu qui attendent ces pizza. » Je lève les yeux au ciel avant de jeter un coup d’œil en arrière. C’est qu’il risque de me porter la poisse avec ses paroles. Y’a une légende qui dit qu’à chaque fois qu’on prononce le mot pizza, y’a deux requins blancs qui s’apprêtent à débarquer. « C’est bien ce que je dis, loin d’être rassurant. » Je me pince les lèvres pour calmer les claquements de ma mâchoire. Je vais vraiment finir en hypothermie si ça continue. Il ne semble pas être pressé de me filer les habits ce qui me fait grogner, je cache mon service trois pièces de mes deux mains et sors de l’eau d’un pas décidé. « Si t’en parles à ma sœur je… » Ma phrase est coupée par des sifflements, ses potes se sont retournés pour profiter du spectacle que je leur offre gratuitement. J’en entends un gueuler que la plage de nudistes se trouve de l’autre côté alors que j’enlève une main pour lui montrer mon majeur. « C’est qu’ils sont sacrément drôles tes potes à toi. » que je lui dis alors que j’attrape une serviette que j’accroche autour de ma taille avant d’enfiler le hoodie. J’ai l’air d’un plouc qui sort tout droit de la piscine municipale mais c’est déjà mieux que d’être tout nu devant lui.

 « Je ramène pas de filles chez moi. » Est-ce que ça veut dire qu’il ramène personne chez lui ou qu’il ne ramène que des mecs à la maison ? Pas que ça me dérange, ni même que ça change la donne. J’hausse les épaules alors que je me calque à sa cadence. C’est pas comme si je ramenais des tas de filles dans mon appartement, fut un temps c’était le cas du moins juste pour la soirée. Pas moyen qu’on passe la nuit ensemble sauf si c’était chez elles, dans ce cas-là seulement y’avait une chance pour que je me réveille à côté de quelqu’un d’autre. Et encore, j’ai toujours eu beaucoup de mal à partager mon lit, ça m’a toujours angoissé. J’ai jamais su pourquoi, mais je pense que ça doit être en rapport avec la peur d’être de trop. De prendre trop de place, trop de couette, d’en dire trop. Je stress à l’idée de parler dans mon sommeil, de trop en dévoiler ou même de ronfler. Bien plus qu’à celle de me faire bouffer par un requin par exemple. On arrive devant son groupe d’amis et je sors de l’eau, les mains pour unique sous-vêtement. Je grimace lorsque mes pieds mouillés touchent le sable, je déteste cette sensation, celle des grains collés à mon épiderme. « C’est leur serviette et leur hoodie, attention à ce que tu dis. » Qu’il me répond lorsque je critique l’humour de ses potes. Rien à branler que ce soit leurs affaires, ça leur donne pas le droit de me siffler ni même de se foutre de ma gueule. Il sourit et j’ai envie de lui faire bouffer le string léopard, celui que je mets par-dessous la serviette pour éviter d’avoir la queue recouverte de sable. Il me faut un moment pour m’habituer à la ficelle qui vient me chatouiller la raie des fesses, j’essaye de pas en faire une fixette mais j’ai dû mal à penser à autre chose qu’au morceau de fil qui sépare mes fesses. « Ou non. Continue. Je veux bien une deuxième lune pour la fin de la soirée. » Je grogne, faisant nouant la serviette comme je le peux. Hors de question de remontrer mon cul, surtout pas après avoir enfilé ce foutu string, ledit string que j’essaye discrètement de remettre en place. « J’aimerais bien la voir ta lune à toi ! » Ouais, vas-y montre pour voir juste histoire que je puisse me rincer l’œil, moi aussi. Est-ce qu’elle est tatouée sa lune ?

Il ouvre le pack qu’il tient entre ses mains avant de me tendre une des canettes. « Bière ? » Il peut se mettre le doigt dans l’œil s’il compte m’acheter avec une simple boisson alcoolisée. J’attrape tout de même la canette, parce que ce bain de minuit m’a donné soif en plus de m’avoir donné faim. Je passe une main dans mes cheveux mouillés pour les remettre en arrière et ouvre la canette que je lève en direction de ses potes qui semblent n’avoir rien de mieux à faire que de nous regarder. « Merci. » Je souris pas à ses potes, mais à lui parce que même s’il a l’air d’avoir bien aimé me voir galérer, il a tout de même décidé de m’aider. « Est-ce que Jordan vient de pécher un gars dans l’océan ? » Je me retourne pour regarder le mec qui vient de prononcer la phrase. Il me sourit, c’est qu’il se trouve drôle en plus et j’aurais sûrement salué sa répartie si c’était pas moi le dindon de la farce dans l’histoire. Et c’est qu’il rigole Jordan, je lui donne un coup d’épaule avant de m’avancer vers son groupe d’amis. Pas besoin de faire les présentations, ils en ont vu plus en une soirée que la plupart des personnes que je côtoie. « J’ai eu une bonne prise. » Je cache mon sourire derrière ma canette, gêné autant que ce que je peux être flatté par ce qu’il vient de dire. Je n’ai pas le temps d’ajouter quelque chose que son pote ouvre sa bouche pour sortir ce qui m’a tout l’air d’être une autre connerie. « Tu vas le manger ? » Je manque de m’étouffer avec ma gorgée, note à moi-même ne plus boire lorsque ce mec est sur le point de parler. « Faites comme si j’étais pas là, y’a aucun soucis » que je murmure, les lèvres toujours posées contre ma canette. J’ai bien envie d’entendre la réponse de Jordan. Je me retourne vers lui et arque un sourcil. « Alors ? T’es du genre à manger de ce poisson là ? » Je montre mon corps de ma main de libre, même si ma question veut dire bien plus que ça. Est-ce qu’il est attiré par la gente masculine ? J'arrive pas à savoir si son pote Andy est du genre à sortir des phrases malaisante juste pour le plaisir ou s’il dit ça parce qu’il sait que Jordan aime se taper des mecs.  « Quant à la bonne prise, c’est parce que le pêcheur est doué. Toi par contre, t’aurais sans doute péché un thon à tout casser. » Que je dis en pointant son pote du doigt, je ne peux m’empêcher de sourire avant de prendre place dans le cercle, me poussant pour faire une place à Jordan. «Vous faites souvent des réunions sur la plage ? » que je dis plus pour les autres que pour son pote, je lève la tête vers Jordan dans l'espoir qu'il finisse par poser ses fesses à mes côtés. C'est pas que j'ai l'impression d'être de  trop, mais un peu quand même.
 

« Je suis pas pêcheur moi. »  C’est pas vrai que je pense en faisant mine d’être surpris par la révélation qu’il vient de faire, révélation qui est à des années lumières d’être le potin du siècle. Heureusement pour lui qu’il n’est pas pêcheur, Andy. Parce qu’il aurait beau avoir la meilleure canne à pêche qui existe sur cette terre, le dernier cri, une canne de compète qu’il n’y aurait toujours personne pour mordre à l’hameçon. Du moins pas en étant aussi direct, pas en sortant des phrases d’une beaufitude à toute épreuve, mais néanmoins il arrive à me décrocher quelques rires et y’a une infime partie de lui qui m’a l’air d’être attachante. « Fisher, pas Fisherman. » Je souris, c’est vrai qu’il est né pour ça, Jordan. J’crois même que j’avais sorti la même blague à ma sœur quand elle m’avait parlé de lui. C’est fou de se dire que notre première rencontre se prête presque parfaitement au nom qu’il a dû prendre à la naissance. Un peu moins fou de se dire que le poisson dans l’histoire, c’est moi. « Pareil. » J’ai l’impression d’assister à un match de ping pong, les répliques fusent et c’est à celui qui aura le dernier mot. 1 pour Andy, 0 pour Jordan qui semble s’arrêter ici plutôt que de faire perdurer le débat autour de son nom de famille. Je propose une mi-temps, un temps mort en demandant s’ils sont du genre à faire beaucoup de réunions sur la plage. « Pas souvent non. » Faut croire que c’est mon jour de chance plus que de malchance. Je sais pas où je serais si Jordan n’était pas passé par là. Je serais probablement encore dans l’eau à l’heure qu’il est, on aurait retrouvé mon corps enfoui dans l’immensité de l’océan des mois plus tard. Et là, je me demande combien de temps mes proches auraient mis à se rendre compte de ma disparition ? Un an minimum pour mon père si ce n’est plus, faut vraiment pas compter sur lui dans ce genre de situation. Quant à ma mère, je pencherais pour une moyenne de six mois. C’est triste, mais ça n’en reste pas moins vrai. Heureusement qu’il y a Jessy qui aurait mis probablement quatre jours à lancer l’alerte, la vérité c’est que je crois que les plus rapides à s'en apercevoir auraient été Bernie et Diego plus que les membres de ma propre famille. Pour la simple et bonne raison qu’ils ont l’habitude de me voir tous les jours alors que pour les autres ce n’est pas le cas et que je suis vraiment mauvais pour donner souvent de mes nouvelles. Je suis sûr d’une chose par contre, c’est que ma frangine  se serait battue pour choisir la photo qui aurait figuré sur les avis de recherche et elle aurait certainement pris la plus moche, juste histoire de m’afficher bien comme il faut. « Tu vas manger ton poisson Jordan? » Je roule des yeux posant ma canette dans le sable alors que je lève une nouvelle fois la tête pour regarder le tatoué. Un tatoué qui fait bien d’être habillé, parce que de là où je me trouve,  j’aurais eu accès à son service trois pièces si ça n’avait pas été le cas. « J’ai pas spécialement faim mais par gourmandise ça pourrait. » Ses yeux rencontrent les miens et je peine à tenir le regard. Je me penche pour attraper le carton de pizza que je pose sur les jambes d’Andy. « J’sais pas si tu cherches à bouffer par procuration mais voilà pour toi. » Je ne dis rien pendant un instant avant d’ajouter. « Pour rappel, c’est mal poli de parler la bouche pleine. » J’attrape ma bière d’une main avant de lui faire un clin d’œil. J’espère qu’il a compris le message, même si mon petit doigt me dit que la pizza ne l’empêchera pas d’ouvrir sa gueule une nouvelle fois.  J’essaye d’analyser la phrase  de Jordan et j’en déduis qu’il est rassasié, ce qui me laisse à penser qu’il doit avoir quelqu’un dans sa vie mais qu’il ne dirait pas non à un petit bonus.  « On m’a toujours dit que la gourmandise était un vilain défaut. » C’est d’ailleurs l’un des sept péchés capitaux sans parler du péché mortel que je représente et qu’il doit aussi représenter aux yeux de l’église. C’est la première fois que je me retrouve dans cette situation, celle où ça m’a l’air tellement facile de pouvoir parler de ça sans avoir peur d’être jugé. J’y suis pas habitué, le truc c’est que j’ai seulement connu Seth. J’ai jamais flirté avec un mec depuis sa disparition, c’est même souvent l’inverse qui s’est produit. Mes mains viennent jouer avec le sable tandis que je peux toujours sentir le poids de son regard sur mes épaules dénudées. C’est le pote de ma sœur et même si elle doit être au courant, on en a jamais vraiment discuté parce qu’on a jamais ressenti le besoin de le faire. Je l’aime comme elle est et j’pense que c’est pareil de son côté sauf que c’est son ami et que j’suis pas sûr d’être prêt puis y’a qu’à le regarder pour comprendre qu’il doit être hyper expérimenté. Il a l’air tellement à l’aise avec son orientation sexuelle contrairement à moi qui n’arrive même pas à mettre un mot sur ce que je peux ressentir. « J’suis pas certain que ce soit toujours le cas après quelques parts de pizza. »  Je lève mes yeux vers ce garçon qui ne semble pas décidé à venir s’assoir à côté de moi. J’essuie mes mains sur la serviette et me penche pour attraper le carton de pizza dans lequel je prends une part avant de tendre le reste à Jordan. En réalité c’est un cadeau que je lui fais, parce qu’en plus d’être un poisson, je serais probablement le pire coup qu’il ait eu dans sa vie. C’est même certain sauf si je suis né avec des super pouvoirs dont je ne connais pas encore l’existence. Dans un autre monde j’aurais certainement sauté sur l’occasion, si j’étais moins coincé sur le sujet, moins angoissé à l’idée de tout foutre en l’air et surtout si j’avais moins peur de ce que les autres pouvaient penser.   « Vous êtes venus en voiture ? » Faut absolument que j’aille retrouver ces connards pour récupérer mon portable et mes clés de voiture sauf que j’ai pas le moindre centime sur moi.  Je suis déjà gêné à l’idée de devoir leur demander un dernier service. Est-ce que c’est un moyen de prendre la fuite ? Oui. Est-ce que je suis doué pour ça ? Bien plus que ce que je peux l’être au lit avec un mec ça c’est sûr.

 

« J’ai une grande liste de défaut. » J’espère que le nombre de ses défauts est un chiffre pair.  Mes doigts viennent triturer les grains de sable tandis que je le regarde, la cannette sur le bout des lèvres. « Comme quoi ? » J’ai l’impression de tout faire à l’envers avec lui comme si on était en train de rembobiner une vielle cassette VHS. On nage à contre-courant, il m’a vu nu avant même de connaitre mon prénom. Il est sur le point d’exposer ses défauts alors que je ne connais rien de ses qualités même si j’me doute que la liste doit être encore plus longue que celle qu'il vient de mentionner. C’est déstabilisant, j’ai pas l’habitude de ces échanges à contre-sens. Il vient s’assoir à côté de moi, enfin. Par réflexe je me décale un peu plus comme pour respecter une distance convenable, celle qui semblait lui plaire assez pour rester debout.  Je réajuste ma serviette, levant légèrement le cul pour la remettre sous mes fesses. Je comprends à présent l’expression qui dit "être tendu comme un string", j’ai l’impression que la ficelle est sur le point de craquer, qu’elle est face à un choix capital : me brûler le sillon inter fessier ou céder sous la pression et déclarer forfait. Pas besoin de dire que je suis team sillon et que je suis pas loin d’enlever le string pour me retrouver cul nu sous la serviette quitte à me faire chatouiller les couilles par des petits crabes. Malgré tout, je ne laisse rien paraitre, un sourire toujours au bout des lèvres. Mon attention se reporte sur mes clés de voiture et mon portable qui sont tous deux portés disparus, téléphone qui contient une grande partie de ma vie et dont le mot de passe n’est autre que ma date de naissance. Pas malin, je sais mais j’ai rien trouvé de mieux pour remédier à ma mémoire de poisson rouge.

Je leur demande alors s’ils sont en voiture, pas besoin de leur faire un dessin pour qu’ils en comprennent le sous-entendu. « Ouais. »  Je tourne la visage vers Jordan, espérant qu’il me propose de me raccompagner. « J’espère que t’es pas pressé. » Si, un peu mais je dis rien parce que c’est déjà bien sympa d’accepter de me prendre côté passager alors je fais non d’un signe de tête. « Moi je te ramène quand tu veux. » Je ne peux pas m’empêcher de lâcher un petit rire cherchant des yeux la part de pizza qu’il avait dans les mains y’a de ça quelques secondes tout au plus. « J’suis pas si pressé que ça. » que je lui réponds le sourire en coin. C’est limite si je préfère par prendre le bus en serviette que monter dans sa caisse. « On dirait que t’as un chevalier servant à ta disposition. » C’est qu’il essaye de me pousser dans les bras de son pote où je rêve ? Je tape un croc dans ma part de pizza, montrant la bouche pleine de mon index comme pour faire comprendre à Andy que moi j’parle pas lorsque j'ai un truc dans la bouche. Il me faut un moment pour tout avaler, je m'essuie la bouche d'un revers de la main avant d'ajouter.  « Le heaume a été créé pour lui non ? » Ils l’ont vu et se sont dit que ça allait pas être possible, qu’il fallait à tout prix cacher ce visage derrière un casque de cavalerie. Je lâche un rire que je viens étouffer derrière une une gorgée de ma bière. En réalité j’en pense pas un mot, je le trouve même plutôt cool, Andy. « Promis je suis pas un prédateur sexuel. » Sa façon de jurer me fait sourire et je me demande combien de fois il a dû promettre ce genre de chose pour se donner se racheter un semblant de crédibilité. « Tu fais bien de le préciser. » J’acquiesce comme pour apporter plus de poids à la phrase de Jordan. « Même si c’est exactement ce que dirait un prédateur sexuel. » Ce qui est vrai, mais c’est aussi ce que dit Andy qui est loin d’en être un. « J’crois que je vais passer mon tour pour cette fois. » Je me tourne vers Fisher qui sourit toujours autant. « J’peux emprunter ton téléphone deux secondes ? » Y’a moyen que j’arrive à les avoir en faisant sonner mon portable, c’est une bande de bouffons mais pas jusqu’au point de ne pas me rendre mes affaires, enfin c’est ce que j’espère. « Ou celui de mon chevalier servant. » Je regarde Andy, si Jordan refuse peut-être que ce ne sera pas le cas de son pote.  
 

« Oh donc maintenant je sers à quelque chose. » Je regarde Andy, qui jusqu’ici avait fini par se consoler avec la pizza. C’est qu’il ne rate pas une miette de la conversation à défaut de se mettre des bouts de sa part un peu partout. « Tu risques d’attraper des MST rien qu’en touchant son téléphone. » Je ris alors qu’il sort son téléphone de la poche de son hoodie pour me le tendre. Andy nous regarde, enfin c’est plutôt Fisher qu’il observe et d’une façon qu’eux seuls semblent comprendre. Jordan passe sa tête par-dessus mon épaule, ce que j'aurais sûrement fait si c'était mon portable qui se trouvait entre ses mains. Nos bras se touchent, mais je ne bronche pas, mes yeux viennent chercher les siens un court instant avant de se reporter sur l’écran du téléphone. Je me demande s'il est conscient de la proximité qui s'est installée où s'il a bien trop peur que je fouille dans son portable pour s'en apercevoir. Je compose mon numéro et met le haut-parleur. Il sonne, une fois, deux fois, trois fois avant que la voix de mon pote ne résonne, ce qui me fait grimacer parce que j'aurais préféré qu'il se mette à parler au bout de la quatrième sonnerie. « C’est à cette heure-ci que tu t’inquiètes pour tes affaires Oxton ? » Quel connard, je me mords l’intérieur de la joue et rapproche le téléphone de mes lèvres. « Vous êtes vraiment des enfoirés, Il fait 10 degrés bande de cons ! » Ma main de libre joue avec le sable tandis que j’augmente le volume pour pouvoir l’entendre plus convenablement. « Roh c’est bon, fais pas ta dramaqueen. » Dramaquoi ? J’aimerais bien le voir avec les couilles complètement givrées. La vengeance est un plat qui se mange froid et je compte bien lui faire bouffer avec pour supplément de la glace pilée.  « On réglera ça sur la glace, en attendant t’as intérêt de passer par chez moi avant la fin de la soirée pour rendre la totalité de mes affaires à mon coloc. » Je sais même pas si Diego sera réveillé, mais je m’en moque. Parce que si je me suis montré sympa jusqu’à présent, je risque de moins l’être si je ne retrouve pas mes clés et mon portable une fois rentré. « Tout sauf mon froc que tu peux garder, ça remplacera le string léopard que t’as laissé trainer sur la plage. » String devenu usagé et dont la ficelle commence sérieusement à me brûler l’inter fessier.  Je raccroche, ouvrant l’onglet des messages pour lui envoyer mon adresse dans le cas où il lui viendrait l’idée de me sortir la carte de l’amnésie comme excuse bidon pour expliquer le fait qu’il n’ait pas pu se rendre à mon domicile. Je bois une gorgée de ma bière et dépose le portable sur la cuisse de Fisher. « Thanks» que je murmure simplement, mettant la capuche de mon hoodie pour cacher une partie de mon visage. « Si t’as un compte Uber on peut te connecter avec et tu peux filer quand tu veux. » Est-ce que c’est sa façon à lui de me pousser vers la sortie ? Je me sens de trop d’un coup, c’est vrai qu’ils n’ont rien demandé et que j’ai pris mes aises sans même m’en rendre compte. Peut-être qu’il s’est montré sympa pour rendre service à ma sœur, qu’il a cru qu'il était bon de faire dans le social avec son frangin. « Je sais pas quand ils vont se décider à bouger on est parti pour rester encore plusieurs heures je pense. » Ouais, c’est clairement la phrase que je sortirai au lourdingue de service pour le démotiver à rester. « Non t’inquiètes j’vais me démerder. » Cette fois-ci c’est moi qui met une distance de sécurité, je me lève, la main bien accrochée au nœud de la serviette. « J'demanderai à ma sœur de te rendre le hoodie et la serviette lorsque je la verrai. » Je me penche pour attraper ma canette vide, pas question qu’elle termine dans le ventre d’une baleine.   « J’rigolais, t’as pas besoin de cacher ta gueule de con derrière un casque. » que je dis à Andy, parce que je le connais pas et que peut-être qu’il a toujours été complexé par une partie de son visage. Y’a des phrases, des mots qui peuvent laisser des traces. Et j’veux pas laisser un souvenir de cette façon-là.  « Merci de m’avoir évité une mort par hypothermie .»  Cette fois-ci c’est au tatoué que je m’adresse plus qu’à son pote. Et c’est drôle parce qu’il m’aurait connu quelques années auparavant, je l’aurais certainement détesté pour ça. Le truc c’est que je me serais sans doute laissé couler. Je me retourne et commence à faire le chemin inverse de celui qui m’a mené jusqu’ici. Plusieurs possibilités s’offrent à moi, mais c’est la dernière option que je choisi, celle qui quelques minutes plus tard me pousse à faire mon entrée dans le Death Before Decaf à la recherche de quelqu’un qui aura la gentillesse de me raccompagner jusqu’à chez moi.