Dimanche 6 juin 2021.

Après avoir passé une nuit à recevoir les appels au centre d'appels d'urgence, j'avais à peine eu le temps de dormir quelques heures avant de recevoir un coup de fil de ma sœur. C'était le mois de la pride à Brisbane et Nicole me proposait de l'accompagner pour y faire un tour. Cette folle dingue m'avait même dit que ma présence était plutôt recommandée parce qu'elle allait se marier. C'est après quelques minutes à m'entendre tousser d'étonnement qu'elle avait pu m'expliquer le pourquoi du comment : une espèce de tombola était organisée, sauf qu'au lieu de gagner des lots, on gagnait une personne à épouser sur place. L'idée me paraissait à la fois saugrenue et complètement barjo, mais ça ressemblait bien à Nini. De mon côté, vu comme j'avais du mal à rester en couple plus de quelques semaines, un mariage était impensable, même pour rire. Mais il était évidemment hors de question de louper celui de ma sœur adorée, j'avais donc accepté de la rejoindre chez elle un peu plus tard.

C'est ainsi que je m'étais retrouvé à errer dans les rues de Brisbane, accroché au bras de Nini pour ne pas la perdre parmi la foule. Il y avait beaucoup de monde ici, beaucoup d'alcool aussi. Les gens semblaient être baignés dans une sorte d'euphorie qui donnait une saveur douce à cet événement. J'avais d'ailleurs passé l'après-midi avec un sourire béat collé au visage jusqu'à ce que Nicole ne m'entraîne vers la chapelle éphémère qui avait été montée spécialement pour la pride. Les noms n'allaient pas tarder à être tirés au sort et il aurait été dommage qu'elle loupe son propre mariage. C'est en sirotant un cocktail aux couleurs de l'arc-en-ciel que j'attendais de voir qui serait mon beau-frère momentané. Seulement, lorsque le nom "O'Connor" fut sélectionné, il ne fut pas suivi du nom de Nicole, mais du mien.

"Quoi !?" Criais-je de surprise en m'étranglant à moitié avec la gorgée que j'étais en train d'avaler.

Avais-je bien entendu ? Dans le brouhaha ambiant, il était possible que ce ne soit pas le cas. Peut-être quelqu'un dans la foule, quelqu'un d'aussi fou que Nini, avait un nom qui ressemblait au mien. Tout le monde semblait chercher qui allait s'approcher de la chapelle et je me retournais vers ma sœur pour lui faire part de la ressemblance du nom de cette personne avec le mien. Et c'est en voyant son expression amusée que je compris qu'il s'agissait bien de moi. Alors que la panique s'emparait de moi et que sentais mon coeur s'emballer, je lui lançais un regard interrogateur, incapable de prononcer le moindre mot.

"Je m'ennuyais, toi aussi alors je me suis dit tiens et si on se mariait avec les premiers inconnus volontaires." Annonça-t-elle, sans aucune pression, comme pour répondre à mon "pourquoi ?" silencieux.

"Mais t'es malade, c'est un mariage, pas un apéro !" Finis-je par réussir à articuler, au bord du malaise.

Si les défis en tous genres ne m'avaient jamais effrayés, preuve en était ma partie de "cap ou pas cap" interminable avec Ally, un mariage ce n'était pas vraiment la même chose. J'avais déjà tellement de mal à avoir une relation sérieuse, alors un mariage avec une inconnue ? Sérieusement? "have fun bro !" Annonça Nini, comme pour m'encourager à y aller. Je roulais des yeux en soupirant et reportais mon attention sur la chapelle. La personne qui m'avait appelée semblait toujours attendre et les gens autour de nous avaient l'air de s'être rendu compte qu'il s'agissait de moi. Je n'avais plus vraiment le choix. Et puis, Nicole l'avait dit "have fun", j'aurais le temps demain de regretter, autant en rire aujourd'hui.

"Je t'aime, mais t'es une dingo, babe." Je finissais mon verre d'une traite et avançais vers la chapelle. Cependant, avant d'être trop loin, je me retournais une dernière fois vers Nini en criant : "Compte sur moi pour me plaindre de toi auprès de Dédé !" Je lui envoyais un baiser avec la main en riant et me dépêchais d'aller vers la chapelle, puisque je venais d'être appelé une seconde fois.

En arrivant, je saluais la personne qui tirait les noms au sort rapidement puis je me tournais vers la foule, les mains dans le dos. J'étais un peu gêné de me retrouver tout seul devant autant de monde, si bien que je lançais des sourires embarrassés à la foule en attendant de découvrir qui allait devenir ma moitié.

Debout devant tout le monde, le cœur battant si fort que je l'entendais jusque dans mes tempes, j'angoissais. Si j'avais fait mine d'être cool auprès de Nini, à présent que j'étais seul devant tout le monde, j'avais bien plus de mal à me dire que tout allait bien se passer. J'espérais déjà avoir la chance de tomber sur une demoiselle, car si je n'étais absolument pas homophobe, n'étant pas non plus homosexuel, l'idée de me retrouver marié avec un homme me stressait encore davantage. Mes yeux se posèrent un instant sur ma sœur qui avait l'air de bien se marrer dans son coin. Je fronçais les sourcils, il faudrait vraiment que je pense à me venger de cette histoire. Les secondes semblèrent s'allonger à l'infini jusqu'à ce que le maître de cérémonie pioche enfin le nom de la personne à qui je devais m'unir. Et plus le temps passait, plus mon stress augmentait, plus le regard de la foule semblait écrasant. Lorsque enfin il prononça le nom, j'avais tant envie de partir en courant que je n'entendis même pas s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme.

Mais, même sans avoir entendu, mes yeux cherchèrent immédiatement de qui il pouvait s'agir parmi tous ces inconnus. Mais tout le monde semblait chercher et personne ne se leva. Finalement, soulagé de cette issue, je m'apprêtais déjà à tourner les talons lorsque...« Stacey Gallagher ? Elle n'est pas là ? ». Gallagher ? Pourquoi ce nom me disait-il quelque chose ? Où l'avais-je déjà entendu ? « Si elle est là ! » annonça alors une voix. "Eh merde" Fis-je en parcourant la foule du regard une nouvelle fois, pour savoir d'où venait la voix. Je vis alors une blonde se lever en souriant. J'avais déjà vu la jeune femme auparavant, ça devait être de là que je connaissais son nom : il me semblait qu'elle habitait mon quartier depuis peu.

Ma future femme semblait être au moins aussi ravie d'être là que moi. Peut-être était-elle encore plus mal à l'aise, vu l'expression indéfinissable qu'elle affichait, malgré son sourire de façade. Pourtant, arrivée à ma hauteur, elle me salua en tendant sa main vers moi. De mon côté je changeais mon expression mi-blasée, mi-angoissée pour lui lancer un sourire qui se voulait rassurant. Pourtant, à l'intérieur, j'avais l'impression d'être en train de mourir de honte. J'avais déjà été dans des situations délicates, mais je m'étais rarement senti si peu à ma place. « Stacey. Maxwell c'est ça ? » Je réprimais une grimace en entendant mon nom complet et lui serrais la main. Mes mains étaient moites à cause du stress. Ça ne doit pas être très agréable, pensais-je, désolé. "Max, c'est ça." Corrigeais-je. "Et donc, tu n'étais pas là pour te marier, toi non plus, hein ?" J'essayais de plaisanter, mais je n'avais aucune envie de rire. Encore un peu et j'aurais même plutôt eu envie de pleurer.

"Alors, vous êtes prêts ?" Demanda notre bourreau du jour.

Une idée me vint alors. Presque convaincu d'avoir trouvé une excuse assez correcte pour être utilisée, je me lançais. "Pas vraiment... On n'a même pas d'alliance, c'est nul un mariage sans alliance ! On va devoir annuler hein Stac..." Mais ma phrase s'interrompit lorsque le maître de cérémonie désigna un pot, un peu plus loin, plein de bagues. Ce n'était probablement pas de vraies alliances au prix exorbitant, mais elles étaient suffisantes pour faire tomber mon excuse à l'eau. Lançant un regard désolé à Stacey, je soupirais. Je n'avais pas d'autre idée et la foule derrière nous semblait attendre avec impatience la suite. Alors, pour toute réponse, j'haussais les épaules, dans l'espoir que mon peu d'enthousiasme fasse renoncer notre marieur. Mais les éléments semblaient s'enchaîner de manière à ce que le moment fatidique arrive, ainsi, l'homme commença sa tirade.

“Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue dans notre chapelle éphémère. Aujourd’hui, nous sommes tous rassemblés, pour marier les participants du tirage au sort chacun leur tour. Stacey et Maxwell sont donc les premiers à s’engager.”

Je jetais un regard plein d’excuses à Stacey avant de passer une main tremblante dans mes cheveux. C’était vraiment génial, non seulement j’étais condamné à me marier, puisque ça semblait parti. En plus la mariée n’était pas là de son plein gré non plus. Le maître de cérémonie employait des mots comme “s’engager” qui me donnaient envie de fuir à un million de kilomètres. Il y avait une foule immense pour nous regarder faire tout cela, histoire que la pression soit maximale. J’allais me marier sans la présence de mon frère aîné. Et la cerise sur le gâteau : cela faisait déjà quatre fois qu’on utilisait mon nom complet en dix minutes de temps. Non, vraiment, il n’y avait pas à dire, j’avais bien fait de me lever ce matin-là.

Lorsque je lui posais la question, Stacey me confirma qu'elle ne s'était pas inscrite de son plein gré, elle non plus. C'était à la fois rassurant de se sentir dans le même bâteau et à la fois encore pire : si la personne en face s'était inscrite elle-même, j'aurais au moins eu quelqu'un à qui me raccrocher. Là, j'avais l'impression que nous étions non seulement tous les deux en panique, mais qu'en plus, aucun de nous deux ne savait réellement à quoi s'attendre avec ce mariage. Est-ce que nous nous engagions pour de vrai ? Si je disais "oui", est-ce que j'allais être obligé de divorcer par la suite ? Ou bien était-ce réellement une simple mise en scène ? De mon côté, c'était probablement ça le plus inquiétant. S'il s'agissait simplement d'un faux mariage, ce n'était pas si grave. Mais, toute la mise en scène me faisait douter et ma peur de l'engagement me hurlait de prendre mes jambes à mon cou.

Et vraiment, l'homme qui animait cette cérémonie et qui semblait être pressé de nous unir n'arrangeait pas du tout mon stress. Lorsque je trouvais la parade des alliances, je vis Stacey hocher vivement la tête pour me soutenir. Prouvant, si cela était toujours nécessaire, qu'elle n'avait aucune envie de se marier avec moi. Le pot d'alliance vint briser nos espoirs et l'animateur commença son speech. Mon regard se perdit sur Stacey alors que celle-ci semblait sur le point d'avoir une attaque. Comment le maître de cérémonie faisait-il pour ne pas le remarquer ? Sa tête en disait long sur ce qu'elle ressentait et j'avais l'impression qu'elle allait prendre une couleur improbable -genre devenir verte- d'un moment à l'autre. Cela dit, mon expression ne devait pas être des plus plaisantes non plus. Depuis qu'il avait prononcé le mot "engagement", j'avais tout bonnement l'impression d'être mort à l'intérieur. Seule une carapace vide restait là pour maintenir les apparences. Mon cerveau avait pris sa valise pour trouver un endroit où l'angoisse était moins intense.

" Nous allons donc commencer dès à présent, la cérémon... Oui ? ". J'étais si désemparé qu'il me fallut plusieurs secondes pour réagir au fait que la mariée avait levé la main. " Excusez-moi mais... est-ce que vous nous autorisez deux petites minutes ? ". Je soupirais de soulagement, appréciant cette pause inattendue dans cette mascarade. L'homme accepta la demande de Stacey qui le remercia et alla se placer sur le côté. Mais l'homme qui animait la cérémonie fut obligé de me faire un geste accompagné d'un regard appuyé pour que je comprenne que je faisais partie du "nous" et qu'elle m'attendait. Je la rejoignais donc, toujours à moitié ailleurs.

" Je n'ai rien contre toi, Maxwe..." Mon regard tomba sur elle, mon prénom avait toujours le don de me ramener à la réalité. J'allais la reprendre, mais elle se corrigea toute seule. "Max. Mais, je ne tiens vraiment pas à me marier aujourd'hui... Et je pense qu'il en est de même pour toi, je me trompe ?" Je secouais la tête de droite à gauche, incapable de prononcer un mot face à la foule qui nous scrutait et que j'observais à nouveau. Je croisais le regard confiant de Nicole qui me rassurait un peu, c'était elle qui m'avait inscrit et de toute sa vie, elle n'avait jamais rien fait contre moi, alors pourquoi l'aurait-elle fait aujourd'hui ? " Tu vois le microbe là-bas ? " Je balayais l'endroit d'où était venue Stacey du regard, à la recherche du microbe en question, mais trop de monde, je ne le trouvais pas. " C'est elle qui m'a inscrite, ma soeur Mila ". Je désignais alors Nicole également, un peu moins discrètement néanmoins. "Tu vois la coréenne là-bas, c'est ma sœur. Et c'est aussi elle qui m'a inscrit !" Annonçais-je, avant d'essayer bêtement de détendre un peu l'atmosphère. "Tellement de coïncidences, tout de même, et si on se mariait ?" Cette blague ne me fit même pas rire moi- même. Pire, elle me donna l'impression d'être le plus grand des connards. "Pardon, je suis trop con, c'est pas drôle du tout."

Surtout qu'en réalité, dans ma tête, c'était l'anarchie. Partir en courant. Partir en courant. Partir en courant. Cette phrase tournait en boucle dans mon esprit depuis que Stacey m'avait confié ne pas vouloir se marier. Et après tout. Qui nous obligeait à faire quoi que ce soit dont nous n'avions pas envie ? Nous ne nous étions pas inscrit nous-même, alors nous n'avions pas réellement à en subir les conséquences, pas vrai ? Je plantais mon regard dans celui de la mariée et ce que j'y voyais termina de me convaincre. Le maître de cérémonie se racla la gorge, signe qu'il s'impatientait. Si nous voulions agir, il fallait agir vite.

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WIN : "Donne-moi la main." Articulais-je doucement, pour qu'il n'y ait que la jolie blonde qui m'entende. Je tendais la main vers elle, en scrutant l'endroit. La chapelle éphémère avait été faite de sorte à être un peu à l'écart du reste, mais en parcourant quelques mètres, nous nous retrouverions dans la parade et serions difficiles à retrouver. De toute façon, une fois dans la parade, tout le monde arrêterait probablement de nous chercher pour passer aux suivants. Stacey sembla hésiter un instant, le temps pressait et je refusais de la lui prendre de force. "Donne-moi la main, ou épouse-moi, il n'y a que deux choix ici." Si j'avais pensé qu'un jour je prononcerais cette phrase... Dès que je sentis le contact de la peau de Stacey dans ma main, j'arrêtais de réfléchir. "Allez, viens." Déclarais-je, comme pour la prévenir que nous allions partir. Il était temps d'agir. Je descendais rapidement les marches de la scène, attendais que Stacey fasse de même. Dès qu'elle eut les pieds au sol, je détalais à toutes jambes vers la parade, tenant toujours fermement la main de ma promise dans la mienne. Je ne m'arrêtais que beaucoup plus loin, lorsque je sentis que Stacey ralentissait, sûrement à bout de souffle, tout comme je l'étais.

SO CLOSE : Il fallait agir vite, mais je n'avais pas d'idée. Je cherchais donc celle qui avait toujours été un repaire pour moi dans la foule. Nicole. Elle semblait se demander ce qu'il se passait, sans pour autant avoir l'air stressé le moins du monde. Elle s'était pourtant inscrite, elle aussi. Et soudain, la réalité me frappa. Si je faisais en sorte de louper mon mariage... J'allais forcément louper celui de Nini aussi. Et ça, c'était hors de question. Alors, je me retournais vers Stacey, plus du tout enclin à quitter la chapelle. "Dans un sens, ça me fait flipper cette histoire, j'avoue que j'ai envie de partir en courant depuis qu'on m'a appelé." C'était la vérité, je ne pensais qu'à ça, jusqu'à en oublier Nini pendant un moment. "Mais d'un autre côté, nos sœurs nous ont inscrits pour rire et la mienne passe après, j'ai pas envie de l'abandonner." Je haussais les épaules. "C'est pas un vrai mariage, est-ce que ça vaut la peine de les décevoir et de se ridiculiser devant tous ces gens pour une blague qui va prendre dix minutes ?" Je fixais la foule, tout le monde commençait à chuchoter, se demandant ce que nous faisions. Mes yeux se déplacèrent jusqu'au maître de cérémonie qui tapait du pied d'un air un peu contrarié. Quelle que soit la décision, il fallait vraiment la prendre rapidement. "Ecoute Stacey, ce m..." Bordel, je n'arrivais même pas à dire le mot, est-ce que j'essayais de la convaincre elle, ou moi-même ? "Ce truc-là, c'est pas une bonne surprise, loin de là même, on est d'accord. Alors, si tu ne veux pas le faire, d'accord. Mais moi, je dois rester là."

FAIIL : A peine avais-je commencé à chercher une solution que je percevais du mouvement sur ma gauche. Le maître de cérémonie était en train de nous rejoindre, probablement un peu mal à l'aise de se retrouver sans rien avoir à dire devant tout le monde. Je passais une main dans mes cheveux, conscient que le temps nous manquait et lançais un regard autour de Stacey sans voir ce qui pourrait nous faire gagner du temps. "Que se passe-t-il, les enfants ?" Demanda-t-il alors, d'une voix qui semblait vouloir être rassurante. "Vous savez, l'inscription est totalement libre, mais elle vous engage à participer. Tout le monde est là pour s'amuser, ce serait tout de même dommage que les participants ne jouent pas le jeu, non ?" Il nous regarda tour à tour avant de continuer. "Et puis, on ne vous demande pas de rester mariés, c'est juste pour s'amuser et pour soutenir la cause. C'est tout de même un beau geste en ne faisant pas grand-chose, vous ne croyez pas ?" Ah, la bonne vieille culpabilisation, celle-là même qui avait toujours si bien fonctionné sur moi. Désolé Stacey, je n'avais jamais été doué pour résister à ça. Je soupirais, peut-être que nous réagissons de façon un peu démesurée à cette histoire. Après tout, c'était comme jouer un rôle, non ? "Vous avez sûrement raison." Je me tournais vers Stacey, l'idée du mariage ne me plaisait toujours pas des masses, la fuite étant davantage dans mes gènes que l'engagement, mais soit, si ce n'était qu'un jeu... "Si c'est pour la bonne cause, c'est ok pour moi, qu'est-ce que tu en dis, toi ?"

Notre fuite effrénée se termina lorsque je sentis Stacey ralentir. Nous aurions probablement pu nous arrêter bien avant, mais pris dans la panique et l'adrénaline, j'avais continué de courir jusque là. Alors que la blonde tentait de reprendre son souffle les mains sur les genoux, je posais une main sur ma tête, me rendant compte que j'y entends drôlement fort les battements de mon cœur. Si mon frère n'avait pas été un lâcheur de soldat, il se serait sûrement moqué de ma forme physique et aurait dans le même temps empêché Nini de se marier au premier inconnu qui passe. Il avait toujours su tempérer Nicole et me rassurer. Lui, il avait toujours les mots justes pour nous maintenir hors de l'eau, il était notre guide et notre modèle. Mais il n'était plus là, alors nous faisions avec les moyens du bord. Des moyens bancaux qui nous amenaient souvent à notre perte.  « Je crois que je n'ai plus couru aussi vite depuis des lustres ». Mes yeux se posèrent à nouveau sur la blonde qui venait de me sortir de mes pensées. Effectivement, elle semblait avoir un peu de mal à reprendre son souffle, elle aussi. "est-ce qu'il est vraiment nécessaire que je te dise que moi non plus ?" Répondis-je, un sourire aux lèvres : mon teint rougeâtre et ma respiration haletante parlaient pour moi, il n'y avait aucun doute.

Elle ajouta que cela en valait la peine, j'acquiesçais en hochant la tête. En réalité, je n'étais pas certain que tout cela était nécessaire, il ne s'agissait probablement que d'une espèce de jeu de rôle, mais mieux valait prévenir que guérir. "Ouais, ou alors on est deux poules mouillées qui n'ont pas d'humour, on ne saura jamais." Bon, ce n'était pas tout à fait vrai, de mon côté, Nicole s'était inscrite également, j'aurais le fin mot de cette histoire un jour où l'autre. Mais je me voyais assez mal venir frapper à sa porte pour lui annoncer, soit que nous avions bien fait de fuir, soit que nous étions réellement idiot d'avoir pris peur pour rien.

« Je pense que nos sœurs, en revanche, vont nous en vouloir ». ajouta-t-elle en grimaçant, comme si elle regrettait un peu de m'avoir suivi. Cette réflexion me fit prendre conscience que par ma fuite, je venais d'abandonner lâchement Nini. Elle allait devoir se marier avec un inconnu, seule, sans que je ne sois présent pour elle. Je grimaçais à mon tour en pensant à ce que ma sœur ressentirait en vivant ça. Il était clair qu'elle allait être fâchée, qui ne l'aurait pas été dans la même situation, après tout. Cependant, elle était un peu fautive aussi, elle savait très bien que j'avais du mal avec l'engagement, pourquoi avait-elle été me faire cette blague nulle ? "La tienne, je ne sais pas, la mienne s'était inscrite aussi pour se marier... Elle va donc se marier sans moi, effectivement, je vais en entendre parler un moment." J'essayais d'avoir l'air indifférent, mais en réalité, la culpabilité venait de pointer le bout de son nez. Je n'avais plus qu'une envie : retourner à la chapelle pour soutenir ma frangine. Sauf que c'était à présent impossible, parce que tout le monde connaissait ma tête et qu'un mariage ne me disait toujours rien. J'aurais sûrement mieux fait de seulement dire non, je serais passé pour un rabat-joie, mais au moins, je n'aurais pas laissé tomber mon aînée.

La foule continuait de faire la fête autour de nous et peu à peu, les gens commencèrent à passer entre nous et nous bousculer. Stacey prit alors ma main pour m'inviter à me mettre sur le côté, ce que je fis évidemment sans résister. « Tu crois que c'était du sérieux cette histoire de mariage ? ». Je soupirais, j'en étais à un point où je regrettais presque de ne pas m'être marié avec elle, juste pour rester là-bas. Mais après tout, Stacey n'y était pour rien, elle. Je lui répondis donc en tentant d'oublier mon auto-flagellation mentale, j'aurais bien assez de temps pour ressasser quand je me retrouverai seul. "J'en sais rien, avec ma sœur, on peut s'attendre à tout." Et c'était bien vrai, si j'étais quelqu'un d'imprévisible, Nicole l'était bien plus encore. Je haussais alors les épaules en souriant, histoire de la rassurer. "Mais je préfère raconter comment je me suis ridiculisé à fuir un mariage, plutôt que de raconter comment j'ai divorcé de ma voisine... Pas toi ?" Et elle avait intérêt à répondre qu'elle aussi, sinon je risquais de la traîner dans l'autre sens pour l'épouser pour de vrai, juste histoire de redevenir un frère convenable.

Je regardais autour de moi, au milieu des centaines de personnes en train de rire, de s'amuser et de boire, nous faisions un peu tâche. Aussi, je me mettais à recherche d'un stand, j'en repérais un sur le trottoir d'en face. "Allez viens, t'as refusé de m'épouser, laisse-moi au moins t'offrir une boisson pour qu'on se remette de nos émotions." D'un geste du bras, je lui montrais le stand. Cela dit, cette invitation n'était pas si désintéressée qu'elle le paraissait : tant que je l'avais sous la main, j'aurais aimé aborder le sujet du voisinage. Mais comment dit-on à une inconnue que son parent de plus de cinquante ans risque de draguer les hommes de son foyer et de faire du tapage sans aucune retenue ?

Si Stacey vit mes regrets quant au mariage de Nicole que j'allais rater, elle ne fit aucune remarque. Ce qui me permit de continuer la conversation sur un ton plus léger, essayant de laisser ma sœur de côté, pour le moment. Je me concentrais donc sur notre sujet principal : le fameux mariage. Celle qui aurait dû être ma femme m'indiqua que tout le monde attendait de nous que nous ouvrions le bal des mariages. Et en fin de compte, c'était probablement ça qui avait été le pire, si nous avions vu plusieurs personnes faire de faux mariages en riant avant de passer, nous aurions probablement pris cela bien moins au sérieux. Mais là, sans aucune certitude, passer devant autant de monde sans rien pouvoir demander, ça avait tout simplement été trop. "Eh bien, cette tâche reviendra aux prochains, j'espère pour l'événement qu'ils seront plus courageux que nous." Ou plus fous. Dans tous les cas, j'étais personnellement rassuré de ne pas avoir passé le pas, j'en informais donc ma promise glissant au passage que j'étais son voisin. Elle se tourna vers moi et sembla m'observer, apparemment intriguée. Je passais pourtant rarement inaperçu, entre ma mère, ma maladresse et les défis idiots que je relevais régulièrement.

Au bout de quelques secondes, elle écarquilla les yeux, ce qui me fit sourire. « Tu habites Toowong toi aussi ? Je savais que ta tête me disait quelque chose. Mais oui, je préfère être traité de lâche plutôt qu'avoir à divorcer de quelqu'un avec qui je ne voulais pas me marier au départ ». Mon regard qui avait dévié sur la foule se posa de nouveau sur elle, alors qu'elle ajoutait la suite précipitamment. « Enfin, tu me comprends, je ne dis pas que tu n'es pas quelqu'un de bien... ». Je n'avais absolument pas mal pris sa phrase, c'était même tout le contraire : je comprenais totalement son point de vue, puisque je n'avais eu aucune envie de me marier, moi non plus. Cependant, je voyais qu'elle avait l'air mal à l'aise avec ce qu'elle venait de dire. Aussi, je haussais les épaules. "Non mais t'inquiète, mes trois ex-femme seraient sûrement d'accord avec toi !" Annonçais-je, d'un ton sérieux, alors que je n'avais, bien évidemment, jamais été marié. J'essayais de garder mon sérieux, mais lorsque mes yeux croisèrent les siens, je n'arrivais pas à me retenir de rire plus longtemps. "Sans blague, qui aurait envie de se retrouver marié avec un inconnu ?" Vous connaissez la réponse ? Moi oui : Nicole. .

La tension étant retombée, je repérais un stand de boisson et invitais Stacey à boire un verre. « Hey, ne t'avise pas à mettre la faute que sur moi. TU as refusé aussi de m'épouser ». Répondit-elle alors en pouffant de rire. Un sourire aux lèvres, j'arquais un sourcil. "Ah oui ? Je ne m'en souviens pas." Je haussai de nouveau les épaules en prenant un air innocent alors qu'elle me faisait un clin d'œil. « Je suppose qu'un peu d'alcool ne sera pas de trop ». J'hochais la tête convaincu et me dirigeais vers le comptoir, Stacey à ma suite. Nos bières commandées, je me tournais à nouveau vers elle. "Et donc, tu te fais souvent martyriser par ta petite sœur ou bien c'est juste qu'elle te trouve si âgée qu'elle pense devoir te trouver un mari avant qu'il ne soit trop tard ?" Trop tard pour quoi ? Je n'en savais rien moi-même, puisque je plaisantais, n'ayant jamais compris cette histoire de prétendue date de péremption après laquelle il devenait soit-disant difficile de se marier, d'avoir des enfants, ect... Après tout, tout le monde n'avait pas forcément envie de ça.

Les bières furent servies rapidement et je levais la mienne pour porter un toast. "A notre mariage déjoué qui t'aura au moins permis de découvrir que j'existe." J'insistais un peu sur ma pseudo déception alors qu'en réalité, je me moquais bien qu'elle ne m'ait pas reconnu. C'était même plutôt le contraire : si elle ne savait pas qui j'étais, c'est qu'elle n'avait pas encore entendu parler de ma mère, ce qui tenait presque du miracle. Mais au moins, elle aurait appris à me connaître un peu avant de me détester. "Et d'ailleurs, en parlant de ça. J'habite au 269... À quelques maisons de la tienne. Mais si je suis si peu visible, je prendrais un panneau lumineux, la prochaine fois que je sortirai." annonçais-je finalement. Et comme l'ambiance était plutôt cordiale, je décidais de ne pas parler d'Helen maintenant, elle découvrirait les problèmes de voisinage bien assez tôt, pas besoin de m'ajouter des problèmes avant l'heure.

« Ma sœur est un petit phénomène à elle toute seule. Et je suis persuadée qu'en effet, elle estime qu'il est temps que je me trouve quelqu'un. Et je suspecte même mon grand frère, Lawrence, d'être de mèche » Lâcha-t-elle avec un sourire. Elle avait donc un frère et une sœur, comme moi, décidément, trop de points communs. Étrangement, je trouvais ça mignon la façon dont elle en parlait. Un frère protecteur et une soeur pour la charrier, ça aurait pu être ma famille, du moins, avant que Gideon ne nous abandonne pour l'armée. « D'ailleurs, je t'ai épargné un quart d'heure désagréable avec mon frère en refusant de t'épouser » Je l'observais un instant, presque inquiet. Comment ça "désagréable" ? Si j'avais dit oui pour un faux mariage, est-ce que je me serais retrouvé avec un vrai beau-frère sur le dos ? Est-ce que j'avais vraiment envie de le savoir ? Non. De toutes façons je ne risquais plus rien, pas vrai ? Je haussais donc les épaules en prenant un air détaché. "Trop aimable ! Mais, je suis certain qu'il m'aurait A-DO-RÉ !" Annonçais-je, un peu trop sûr de moi. Dans la réalité, je ne restais jamais assez longtemps avec une fille pour qu'elle me présente sa famille. Moi et mes problèmes avec l'engagement, tout ça tout ça.

Mes blagues la faisaient rire, le courant passait bien, j'avais l'impression que si on s'était rencontré autrement, nous aurions pu sympathiser sans trop de problèmes. C'est même naturellement que je lui donnais mon adresse, puisque nous étions voisins. Je ne faisais pourtant jamais cette grossière erreur, c'était même l'une de mes règles d'or de ne jamais dire où j'habitais. « Tu sembles vraiment contrarié par le fait que je ne t'ai pas encore repéré. Mais peut-être que tu me pardonneras en apprenant, mais je me doute que tu le sais déjà, que je n'ai emménagé à Toowong que récemment. Ce qui explique pourquoi je n'ai pas encore eu le plaisir de faire connaissance avec mes voisins ». Une semaine ? Il fallait vraiment que j'arrête de faire ma commère en espionnant tous mes voisins dans ce cas, parce que je l'avais déjà vue plusieurs fois dans la rue, signe que j'observais un peu trop celle-ci. "Mouais, ça va, je te pardonne alors." Fis-je en lui rendant son sourire. Sourire qui disparut aussitôt lorsqu'elle prononça sa phrase suivante. « La prochaine fois que je passe devant ta maison, je m'arrêterai promis. Pour me faire pardonner ». Et voilà exactement pourquoi il était si crucial de ne jamais, ô grand JAMAIS, donner mon adresse. J'allais lui dire de ne surtout pas faire ça, mais la sonnerie de son téléphone m'en empêcha. Elle le sortit de sa poche et examina le message qu'elle venait de recevoir. « Tiens, le petit diable en personne » fit-elle.

"Ok, j'imagine qu'elle te cherche ?" Demandais-je alors, en regardant autour de nous. "Bon, dans ce cas, je vais continuer sur ma lancée et fuir très loin, j'ai la chance de ne pas m'être engagé auprès de toi, je vais lâchement te laisser subir les conséquences !" Ce n'était pas très courageux de ma part, mais j'avais presque peur que sa sœur parvienne à la convaincre d'y retourner si j'étais toujours dans les parages. Et savoir avec certitude qu'aucun d'entre nous n'en avait réellement envie ne me donnait pas du tout envie de retenter l'expérience. "Par contre, ne viens surtout pas chez moi ! Je vis avec le monstre du loch ness de la rue, je t'assure que tu n'as pas envie de voir ça." En balayant le stand des yeux, j'y trouvais un crayon que j'attrapais pour écrire un message sur la serviette en papier que l'on m'avait donné avec ma bière. "Tiens, je te laisse quand même mon numéro, on sait jamais, si un jour t'as besoin d'un voisin... Ou bien d'une demande en mariage, je suis là... Mais surtout, appelle-moi, ne passe pas chez moi ! " Je me levais, prêt à partir et comme je ne savais pas trop comment lui dire au revoir, je lui tendais la main pour qu'elle la serre. "A bientôt, Stacey !"