| Coffee break [James + Raphael] |
| | (#)Jeu 17 Juin 2021 - 4:52 | |
| C’est le premier jour de tournage. Raphael a les mains moites et la gorge serrée. Sa chorégraphie a été validée par le directeur des spots publicitaires qui feraient le tour des réseaux sociaux dans quelques mois. Il a obtenu de bons mots, des compliments aussi, et il a rougi derrière son ordinateur en lisant tous ces mots qu’il n’était pas habitué de voir. Le rendez-vous avait été fixé pour le lundi matin et il devrait se présenter dans le building de Weatherton à huit heures du matin – il se doute que des cernes creusent ses paupières quand il enfourche son vélo en direction de cet établissement au centre-ville mais les maquilleurs ou les maquilleuses comprendront, pas vrai ? C’est tôt, huit heures… Enfin, pour un adolescent dans un corps d’adulte comme lui.
Il est rassuré de constater que la route est plutôt plate. Il n’a pas besoin de forcer pour pédaler alors son front ne se couvre pas de sueur. Il s’est vêtu de sa chemise la plus simple (il avait compris le message que lui avait envoyé James lors de son audition) et d’un short en jean propre, lisse, parfaitement repassé. De toute façon, il savait bien que ces habits ne lui serviraient à rien aujourd’hui. Il était déjà excité à l’idée d’enfiler les créations du styliste qu’il admire énormément. Il a passé toute la nuit à rêver à toutes ces coutures qui épouseraient parfaitement ses membres élancés. On lui avait dit qu’une couturière s’était chargée de préparer l’une des créations pour accueillir parfaitement sa silhouette à lui – on l’avait mesuré par avance, quelques semaines plus tôt. Il s’était senti comme une célébrité et tout le monde pouvait apercevoir les étoiles dans ses yeux. Pendant un moment, il avait arrêté de trop penser. Il avait oublié le fardeau qui pèse lourdement sur ses épaules.
Raphael arrive sur les lieux quinze minutes en avance. Il doit attendre à l’entrée de l’étage du studio pour qu’on vienne lui ouvrir. Dans l’ascenseur, quelques secondes plus tôt, il avait frôlé du doigt le bouton poussoir qui le mènerait à l’atelier mais il avait vite retrouvé ses esprits. Il n’avait pas été invité là-haut, seulement au studio. Peut-être qu’un jour il sera accueilli là où la magie se crée. « Tu es ponctuel. » C’est la responsable du projet, celle qui a longuement dévisagé Raphael durant son audition, qui lui adresse la parole. Vivement, le jeune homme se retourne pour faire face à la femme beaucoup plus petite que lui. Pourtant, malgré cette tête qu’il a de plus, il est terriblement intimidé. « Ça fait partie de mes quelques qualités. » Il répond timidement, se poussant sur le côté pour la laisser déverrouiller la porte avec sa clef. Elle esquisse un sourire chaleureux et l’invite à entrer. Le reste du monde ne tarde pas à arriver et, très rapidement, les cœurs se mettent au travail. Une première création, aux allures solennelles et sombres, l’attend dans une cabine. Le garçon la voit du coin des yeux mais il comprend qu’il ne peut pas s’en vêtir tout de suite : il doit avant tout s’approprier la scène où caméras sur pieds et projecteurs sont installés et chauffent l’air. Seulement autour de onze heures, quand les préparatifs sont derrière eux, on l’invite à s’asseoir dans un confortable siège posé devant un large miroir. Pour la première fois, une jeune femme se met à lui tapoter les joues avec un pinceau. Il entend son cœur battre la chamade dans sa poitrine. Quand il rouvre les paupières trente minutes plus tard, il constate ses cheveux parfaitement coiffés et sa peau complètement unie. Il n’arrive plus à distinguer ses cernes, couverts de fond de teint épais. Pourtant, le travail est complètement naturel. Du coin de l’œil, poussé par la curiosité, il observe la palette de fars à paupières qui n’a pas été touchée. Il se mord la lèvre inférieure. « Il est midi ! » S’exclame la demoiselle en rangeant son matériel. « C’est la pause. Je t’interdis de bousiller ce maquillage, il est parfait. » Elle est fière, ça se voit dans sa posture droite et son sourire relevé. Le jeune homme lui fait la promesse et la remercie avant de bondir en dehors du siège. Son estomac crie famine parce qu’il n’avait pas eu le temps de prendre un petit déjeuner. Il se dirige naturellement vers là où tous les autres disparaissent. Il découvre une grande pièce couverte de tables, joliment décorée. C’est dans une machine distributrice qu’il trouve un sandwich qui devient rapidement sien. Quand il part à la recherche d’un endroit où s’installer, il se revoit soudainement vingt ans plus tôt, dans la cafétéria au milieu d’enfants qui détournent les yeux quand il croise leur regard. Il ne connait personne, pas vraiment. Il cherche sans grande conviction la maquilleuse avec laquelle il avait échangé quelques mots durant toute la matinée mais elle ne pointe pas le bout de son nez.
C’est à ce moment qu’il voit le dos d’un homme qu’il pourrait reconnaître dans le noir. Ses boucles sont parfaites, même à l’arrière de son crâne : il se demande comment il arrive à se coiffer comme ça tous les jours. Nerveusement, il fait quelques pas en direction de James qui boit un café seul à sa table. Le téléphone en main, il est probablement occupé à feuilleter ses mails, ou à faire des trucs importants, puisqu’il est un homme important. « Eum… Monsieur Weatherton ? » Raphael demande en entrant dans son champ de vision, le sandwich emballé en main. Le styliste relève la tête et une boule d’angoisse explose dans le ventre du danseur. Il hésite un moment, les lèvres entrouvertes, avant de relancer : « Je voulais vous remercier encore une fois pour… de… pour m’avoir fait confiance même si je ne répondais pas à tous les…critères… » Mal à l’aise à rester debout ainsi, il demande : « Je peux m’asseoir ? » Il désigne la chaise qui fait face à James à la table. Seulement quand il obtient son approbation, il pose ses fesses dessus. Pendant un moment, il s’attèle à déballer son repas en fixant excessivement ce dernier. Quand il relève enfin le nez, il ose continuer : « Je ne m’attendais pas à vous trouver ici. Je pensais que vous aviez… un palais, peut-être, au dernier étage. » Il rit d’un rire gêné, mal à l’aise. « Un palais et un chef cuisinier personnel, peut-être. » Il mord une première fois dans son sandwich en faisant attention à ce que la garniture ne touche pas l’extérieur de ses lèvres. Il a conscient que son petit numéro peut paraître ridicule alors il s’explique tout de suite : « Jenna, la maquilleuse, m’a dit qu’elle me tuerait si je faisais la moindre marque dans le fond de teint en mangeant. » Comme s’il remarquait seulement maintenant le visage impeccable de James, complètement lisse et uni comme le sien, il se met à l’observer un peu plus. Cependant, réalisant que son comportement est intrusif, il se racle la gorge et détourne son attention en faisant mine d’avoir vu une mouche passer.
|
| | | | (#)Lun 26 Juil 2021 - 20:40 | |
| S'il était bien incapable de se rappeler la dernière fois qu'il avait pu s'offrir le luxe d'éterniser sa pause déjeuner, c'est simplement parce que James avait l'habitude d'être pressé par le temps. Toujours entre deux prototypes, noyé par les deadlines et harcelé par une centaine d'interlocuteurs à longueur de journées, il pouvait déjà s'estimer heureux s'il lui restait suffisamment de temps pour s'asseoir dans un coin de la cafétéria avec une salade et une eau pétillante. C'était le seul moment de la journée durant lequel il s'autorisait à souffler, le seul aussi où son téléphone demeurait sagement rangé dans son sac sans qu'il ne daigne même y jeter un œil. Même les plus gros bourreaux de travail avaient besoin d'un moment rien qu'à eux, pour se couper de toute la pression emmagasinée pendant la matinée et recharger les batteries avant le rush de l'après-midi. Et c'était d'autant plus vrai lorsqu'on connaissait le caractère soupe au lait de James, et sa tendance à passer ses nerfs sur le premier livreur venu dès que quelque chose n'allait pas comme il voulait. Au fil des années, chacun avait compris qu'il était dans l'intérêt de tous que le créateur puisse passer une demi-heure au calme, sans personne pour agiter des croquis sous son nez ou lui demander de choisir entre deux nuances de couleurs. Peut être était-ce la seule condition à laquelle il n'avait encore étripé personne, malgré les journées harassantes qui rythmaient ses semaines. Bien loin de se plaindre de cette effervescence qui donnait un sens à sa vie, le créateur minutait chacune de ses journées de façon à ne jamais passer une seconde de trop à touiller son gobelet de café ou à guetter les allées et venues d'Archie d'un bout à l'autre du couloir. Non pas que qui que ce soit ignore pourtant que son niveau de concentration baissait bien plus souvent qu'il ne le voudrait à ces occasions. Il n'y avait encore que James pour se convaincre du contraire.
Seul, le styliste ne le resta cette fois pas bien longtemps. Son tête à tête avec son déjeuner prit fin lorsque la silhouette de Raphael apparut juste devant ses yeux, forçant le blond à relever la tête pour dévisager, non sans une certaine surprise, les traits de leur nouvelle recrue. « Raphael. Je vois que vous prenez vos marques parmi nous. » Il n'était pas sans savoir que c'était son premier jour de tournage, après tout c'est lui qui l'avait engagé pour tourner cette publicité à destination des réseaux sociaux. Un projet dans lequel James croyait beaucoup et pour lequel il s'était investi durant de longs mois pour faire germer un concept qui aurait toutes les chances de capter l'intérêt du public. Raphael faisait maintenant lui aussi partie de ce concept, et ce qu'il avait vu de lui l'autre jour laissait pour l'instant penser au styliste que son choix était judicieux. « Ne me remerciez pas trop vite. Il y aura des journées si épuisantes que vous me maudirez sûrement de vous avoir choisi. » Mais s'il y a bien une chose qui ne s’acquérait pas aisément, c'était sa confiance. James ne la donnait jamais à la légère, c'était aussi vrai dans son travail que dans sa vie personnelle, et son instinct lui dictait qu'il aurait eu tort de se passer du talent incontestable du danseur. Quelque chose l'avait interpellé, marqué dans la façon dont il s'était produit devant eux. James avait été impressionné et c'était suffisamment rare pour être noté. « Allez-y. J'ai l'habitude de déjeuner seul mais je peux faire une exception pour votre premier jour. » Il désigna la chaise face à lui, que jamais personne n'occupait habituellement parce qu'ils ne savaient tous que trop bien qu'il n'aimait pas être dérangé. Ce n'était pas encore le cas de Raphael, et parce qu'il ne serait productif pour personne de l'envoyer paître dès son premier jour le créateur était prêt à faire un effort. Finalement, la remarque du danseur parvint à étirer la commissure de ses lèvres. Sa naïveté en était presque touchante et James était forcé d'admettre qu'il n'avait pas l'habitude de profiter de ce genre d'énergie sur son lieu de travail. « J'admets que l'idée ne m'aurait pas déplu, mais j'aime déjeuner léger, et sur le pouce. J'ai beaucoup de travail et pas toujours le temps de réserver dans un restaurant, bien que j'apprécie de tromper la routine de temps en temps. » Il restait ici la plupart du temps, ça lui évitait des allers retours et lui permettrait de se remettre au travail si tôt sa dernière bouchée avalée. Portant sa fourchette à ses lèvres, il observa Raphael une seconde puis livra le fond de sa pensée. « Je suppose que je dois comprendre que vous me percevez comme quelqu'un de snob. » Il déclara, imperturbable, sans même qu'un haussement de sourcil ne trahisse la moindre émotion. « Le coté patron, j'imagine. » Il suffisait de se rappeler la manière dont il lui était apparu pendant son audition pour supposer que Raphael devait avoir gardé de lui une image assez mystique, celle d'un homme qui soignait ses entrées et ne laissait personne avoir le dernier mot à sa place. Et plus que de lui ressembler, ça lui correspondait en tout point. « Jenna dramatise. Vous pouvez manger normalement, ils ont l'habitude d'effectuer des retouches. » Il ajouta après plusieurs secondes, ses yeux s'attardant un instant sur le teint unifié du danseur. « Un jour, une de mes mannequins s'est faite briser le cœur à la pause déjeuner. Tout son mascara avait coulé sur ses joues, je vous laisse imaginer, elle ressemblait à un panda. Les équipes ont eu à peine vingt minutes pour rattraper le désastre » Parce que ça fait partie des aléas de ce milieu et qu'en aucun cas le travail n'attendait. Une fille était malade ? On la bourrait de médicaments jusqu'à ce qu'elle soit en état de poser. Un photographe arrivait en retard ? On lui trouvait un remplacement dans la seconde. C'est ainsi que tout fonctionnait, ainsi que les délais étaient respectés. « Ça vous va bien. » Il fit finalement remarquer, sans que sa remarque n'ait rien d'une flatterie. « Le fond de teint vous donne un air encore plus juvénile. Ce sera parfait pour le rendu que l'on veut. » Mais il n'en était pas surpris un instant, ses consignes aux maquilleuses étaient claires et l'idée était de jouer sur ce visage qui semblait presque faire transition entre l'âge adolescent et l'âge adulte. « J'en conclus que c'est la première fois qu'on vous maquille. Vous ne devez pas avoir de sœur, j'ai raison ? » Simple déduction, ce n'était pas comme s'il pouvait affirmer que les sœurs aimaient tartiner leurs frères de maquillage, après tout il n'en avait jamais eu qu'une vision un peu idéalisée.
|
| | | | (#)Mar 10 Aoû 2021 - 2:27 | |
| De retour dans un milieu scolaire, plus précisément dans la cafétéria de son école, là où tous les groupes étaient déjà bien formés et soudés. Impossible de se joindre à l’un d’eux. Raphael voit la salle de repos exactement de la même façon. Il est le petit nouveau ici et il doute qu’il ferait tache dans le décor s’il tentait de se joindre à une table déjà occupée. Il faut alors se demander ce qu’il s’est passé dans sa tête lorsqu’il a rejoint celle de James, qui était lui aussi seul étrangement. « Raphael. Je vois que vous prenez vos marques parmi nous. » C’est une façon de le dire, oui. Il ne se sent pas encore tout à fait à sa place, lui qui est plutôt de nature introvertie, mais il n’a pas encore fait de crise de panique. Son estomac gronde d’appétit, ce qui est aussi un point positif. « Je fais de mon mieux. » Il joue avec son sandwich emballé sans s’en rendre compte. Il pétri le pain moelleux et les empreintes de ses doigts restent visibles quelques seconde avant que la mie ne reprenne sa forme d’origine. « Ne me remerciez pas trop vite. Il y aura des journées si épuisantes que vous me maudirez sûrement de vous avoir choisi. » Ses joues rosissent en dessous de son maquillage et il glousse timidement. Il hausse les épaules. « J’ai travaillé avec des enfants de cinq ans. Ce n’était pas le métier le plus reposant. » Il admet en tentant d’accrocher ses yeux à ceux de James, bien que la tâche soit difficile. L’homme est intimidant et, même s’il sait qu’ils n’ont qu’une année de différence, il a l’impression de faire face à une personne beaucoup plus expérimentée que lui. Il a beau chercher, il ne trouve aucun défaut dans son faciès, et l’absence d’imperfection lui donne l’impression de discuter avec une sorte d’ange qui serait tombé sur terre après avoir perdu ses ailes. Dès le moment où le garçon l’invite à se joindre à lui, il s’installe en se raclant la gorge. Il tente de ne pas faire grincer sa chaise lorsqu’il s’assoit dessus. Le rembourrage est moelleux et confortable. Il pourrait y faire une sieste de quelques heures, histoires de remédier à son problème de cernes noires.
C’est étrange de partager la table du patron. Il avait d’ailleurs été étonné de le voir ici, s’étant imaginé qu’il possédait un chef personnel là-haut dans sa tour. « J'admets que l'idée ne m'aurait pas déplu, mais j'aime déjeuner léger, et sur le pouce. J'ai beaucoup de travail et pas toujours le temps de réserver dans un restaurant, bien que j'apprécie de tromper la routine de temps en temps. » Il s’exprime trop bien. Encore une fois, Raphael se sent minuscule devant lui. Il n’arrive lui-même pas à enchaîner plus de trois mots sans glisser une virgule inutile entre eux. Les trois points de suspensions s’entendent même dans sa voix lorsqu’il se perd au milieu d’un dialogue. Croquant dans son sandwich, il s’imagine tous les restaurants auxquels il a accès. Il le voit déguster les homards les plus frais et demander quels sont les vins les plus vieux sur la carte. Derrière ses paupières se projette l’image de ce restaurant dans le nord de l’Australie, celui qui a accueilli Raphael et Kieran et qui a volé le reste de ses économies. Inutile de penser à ce moment plus longtemps parce que la suite de cette soirée-là est encore bloquée dans sa gorge. « Je suppose que je dois comprendre que vous me percevez comme quelqu'un de snob. » Raphael repose ses yeux écarquillés sur James. Il s’empresse de secouer la tête de droite à gauche et ne prend pas le temps de bien réfléchir sa répartie. Elle sort en un gros morceau un peu trop honnête qui lui hérisse les poils. « Non, pas snob ! Riche. Enfin, plutôt, bien nanti. » Il déglutit difficilement et baisse les yeux pour fixer la table, terriblement mal à l’aise d’avoir osé emprunter ces termes. Parler de salaire n’est certainement pas la chose à faire. « Enfin, je veux dire… Si vous pouvez souvent vous rendre dans les restaurants, vous… Avec probablement, le luxe de… d’être confortable. Et de vous permettre d’avoir un, chef… personnel. » Nouvelle bouchée de sandwich qui remplit sa bouche en entier. Il mastique lentement mais sa salive est devenue pâteuse et la tâche s’avère plus compliquée que prévu. Pendant un instant, il oublie de prendre soin des cinquante couches de maquillage sur son visage mais James le rassure. « Jenna dramatise. Vous pouvez manger normalement, ils ont l'habitude d'effectuer des retouches. » Il acquiesce de façon lunatique, ses pensées s’étant bien trop perdues dans sa propre maladresse. Il accueille l’histoire de la mannequin au cœur brisé avec un rictus amusé. « Heureusement, ça ne risque pas de m’arriver. » Parce que personne ne pourrait lui briser le cœur. Il n’est pas en couple. Il est libre comme l’air (ce qu’il croit). « Mais, je pense qu’il vaut mieux pour, moi, de faire attention, la première journée. Je ne veux pas me faire une… ennemie ! » Il explique d’une voix entraînée, bien que sévèrement fausse. Il essaye beaucoup trop de faire bonne impression et ça se sent à des kilomètres à la ronde. « Ça vous va bien. » Il hausse un sourcil en interrogeant James du regard. Seulement après, il comprend qu’il parle du maquillage qui lui voile le visage. Il sourit timidement et passe sa main dans ses cheveux collants de gel. Il arrive à regarder les yeux de James deux secondes, le temps de le remercier. Pour la troisième fois, il remarque la ligne de couleur au-dessus de sa paupière. Il ne dit rien, terrorisé à l’idée de renvoyer le compliment bien qu’il pense réellement que le maquillage de James est impeccable, parfait, tout comme ses traits d’ange. « J'en conclus que c'est la première fois qu'on vous maquille. Vous ne devez pas avoir de sœur, j'ai raison ? » Surpris, il soulève les sourcils. « Non, en effet. Ni aucune mère, d’ailleurs. Je n’ai grandi avec, aucune influence féminine. » Il secoue la tête de droite à gauche et se permet d’une voix fluette d’utiliser la même stratégie que lui : « Alors vous avez une sœur, vous ? Si je suis votre logique. » Puisqu’il est maquillé alors qu’il n’a même pas besoin de se préparer pour un tournage.
|
| | | | (#)Jeu 30 Sep 2021 - 3:35 | |
| A le voir si près de raser les murs chaque fois qu'il entrait dans une pièce, on pourrait croire que Raphaël avait poussé les portes de Weatherton par hasard et sans avoir aucune idée d'où il avait mis les pieds. Et c'est précisément ce coté lunaire qui avait tapé dans l’œil de James pendant son audition, lorsque le danseur semblait être le dernier au courant du talent pourtant inouï qu'il possédait. James n'en avait connu que peu dans son cas, la plupart de ceux à qui il donnait sa chance pour poser ou collaborer avec lui étant généralement conscients de leurs capacités et prêts à tout pour se faire rapidement une place. Qu'il n'en aille sûrement pas de même pour Raphaël n'était pas un problème, le créateur savait en le choisissant qu'il serait probablement de ceux qui auraient besoin de davantage de temps pour quitter leur chrysalide et déployer leurs ailes, et il était même curieux d'assister en personne à cette transformation. « Des enfants ? Tout compte fait, travailler ici vous paraîtra sûrement reposant. » Et James ne prit pas la peine de retenir la légère grimace qui déforma le coin de ses lèvres. Il n'avait tout simplement pas l'habitude de composer avec les enfants et avait en définitive plus d'expérience avec les chats qu'avec eux. Déjà doté d'une adresse toute relative pour ce qui était de gérer les émotions des adultes qui l'entouraient, James ne pourrait sûrement que faire pire encore face à un enfant qui n'avait pas atteint sa maturité émotionnelle. Dieu sait pourtant qu'il était suffisamment vieux jeu pour avoir déjà imaginé mettre un fils ou une fille au monde pour prendre la relève de Weatherton lorsque lui serait devenu trop vieux pour arpenter son atelier. Seulement, chaque fois James se trouvait frappé par le même constat : son père et son grand-père étaient tous deux pourvus d'un instinct paternel très développé mais dont il doutait d'avoir été doté de la même façon. « Nous nous entourons parfois d'enfants pour les besoins de certains shootings, et ce ne sont pas vraiment nos modèles les plus dociles. » Certains étaient peut être sages comme des images, mais d'autres chahutaient, poussaient des cris et se laissaient bien moins facilement approcher que leurs homologues adultes. Aussi loin qu'il s'en souvienne, lui n'avait jamais donné autant de fil à retordre à son père, ayant pourtant toujours été doté d'un tempérament affirmé. Bien loin d'avoir jamais été le genre à se rebeller ou à remettre en question l'autorité de l'unique figure parentale qu'il ait réellement le souvenir d'avoir connu, James avait filé droit durant toute sa vie sans jamais dévier de sa route ni même dépasser des lignes des dessins qu'il coloriait étant enfant. Et s'il ne voyait aucun inconvénient à partager sa table avec leur nouvelle recrue, il n'en allait pas de même avec la langue de bois. Raphaël était certainement bien intentionné, probablement terrifié à l'idée de s'attirer ses foudres, mais il apprendrait que James se moquait bien de ne pas faire l'unanimité. « Laissez tomber, j'ai toujours apprécié la franchise. Alors vous ne me vexeriez pas même si vous pensiez que je suis un snob qui jette des billets de cinquante dollars par la vitre de sa berline. » Il en fallait bien plus pour le vexer et bien qu'il soit très loin de mener un train de vie aussi outrageux, James admettait sans rougir qu'il gagnait bien sa vie et n'avait pas à penser à l'argent. Il exécrerait paradoxalement tomber dans le cliché du snob qui privatisait un restaurant pour lui seul, mais uniquement parce que ça le rendrait prévisible. « C'est ma manière de vous dire que vous n'avez pas à prendre des gants avec moi. » Il ajouta dans ce qui ressemblait à une confidence, simplement pour que Raphaël ne s'imagine pas devoir le caresser dans le sens du poil du soir au matin. Loin de là, James plaçait la franchise avant toute autre qualité et ne supporterait pas qu'on se retienne de lui dire les choses simplement parce qu'il était en position de faire renvoyer quiconque travaillait ici. C'était le cas, mais pas une raison pour lui dire uniquement ce qu'il voulait entendre. « Célibataire endurci ? » James releva un regard intrigué vers Raphaël lorsque ce dernier laissa entendre qu'il y avait peu de risques qu'ils rencontrent avec lui le problème qu'ils avaient connu avec leur modèle. Si personne n'était susceptible de lui briser le cœur, peut être préférait-il la solitude à toute forme de relation amoureuse, ce que le créateur n'aurait aucun mal à comprendre. Entre le deuil de son ancien compagnon et sa fascinante capacité à nourrir des sentiments amoureux pour l'homme qu'il devrait détester par dessus tout, l'amour semblait prendre plaisir à se jouer de lui. « Si Jenna vous fait peur, il vaut mieux que vous ne sachiez pas ce que Douglas vous fera si vous arrivez en retard un jour de shooting. » C'est cette fois un sourire un peu plus amusé que le créateur adressa à leur nouvelle recrue, laquelle comprendrait bien assez vite que James avait juste un humour bien à lui – quand bien même il valait mieux pour Raphaël ne pas trop tester la patience de leurs collaborateurs, juste au cas où.
Et si débattre de maquillage n'était pas la conversation qu'il s'imaginait partager avec le danseur pour son premier jour, l'intérêt du jeune homme piqua celui du créateur en retour. Peut être tout ça était-il au fond pour James un moyen d'en apprendre davantage sur celui à qui il avait donné sa chance, et qui par certains aspects lui ressemblait peut être davantage qu'il ne l'avait sans doute suspecté au premier abord. « Votre père vous a élevé seul ? » La question franchit naturellement la barrière de ses lèvres. James éprouvait subitement une curiosité d'autant plus grande pour le jeune homme face à lui, ayant toujours nourri la certitude que l'environnement dans lequel un individu était élevé déterminait celui qu'il devenait en grandissant. Cerner les personnes qui travaillaient avec lui était primordial pour celui qui devait pouvoir se fier à quiconque franchissait ces portes. En l'occurrence, peut être découvrirait-il que Raphaël et lui avaient deux parcours familiaux relativement semblables. « Non, je n'ai moi même eu qu'assez peu d'influences féminines durant les premières années de ma vie. Mais aujourd'hui toutes les personnes qui me connaissent le mieux sont des femmes, à une ou deux exceptions près. » A l'exception de son père, bien sûr, mais aussi d'Archie qui demeurait même après toutes ces années l'une des constantes de sa vie. James avait toujours noué peu d'amitiés avec la gente masculine et il y a des années qu'il leur barrait aussi la route qui menait jusqu'à son cœur. Archie, à nouveau, demeurait l'exception à cette deuxième règle sans même qu'ils ne sachent quels mots poser sur leur relation. « J'ai toujours imaginé ce que ça devait être d'avoir une sœur. Idyllique certains jours, cauchemardesque le reste du temps je suppose. » Il avait eu assez de sa cousine pour s'en faire une première idée, quand bien même le James d'il y a quelques années avait longtemps regretté de n'avoir eu ni frère ni sœur avec qui partager son enfance. Aujourd'hui il songeait simplement que cette solitude avait forgé son caractère. « Il y a longtemps que je me maquille seul. Quand on a mon emploi du temps, on n'a pas le temps de passer entre les mains d'une maquilleuse tous les matins. » L'avantage étant qu'il pouvait sortir faire ses courses et donner l'impression qu'il avait réellement aussi bonne mine que ça. Plus que de la coquetterie, c'était surtout une soif de contrôle poussée à outrance. « Combien d'heures vous avez dormi cette nuit ? » Il l'interrogea, incitant Raphaël à se montrer aussi transparent qu'ils l'étaient l'un et l'autre depuis le début de cet échange. « Le stress est le pire ennemi du sommeil réparateur, heureusement grâce au talent de Jenna personne ne se doutera que vous avez passé des heures à vous tourner dans votre lit. » Ils savaient tous les deux que l'imminence de son premier jour l'avait sûrement tenu éveillé. « Ils sont tous passés par là, surtout ne vous fiez pas à leur assurance. » Il glissa cette fois sur le ton de la confidence, désignant d'un signe discret de la tête les quelques personnes allant et venant dans la cafétéria. Des employés qui avaient eu à faire leurs preuves et qui eux aussi avaient été impressionnées par tout ça. Ce monde se voulait sélectif et on vous faisait comprendre dès votre arrivée que vous aviez tout intérêt à être digne de la chance qui vous était donnée d'en faire partie.
|
| | | | (#)Mar 12 Oct 2021 - 22:14 | |
| Même si Raphael s’était senti complètement épuisé lorsqu’il rentrait chez lui le soir après avoir coordonné une quinzaine d’enfants hyperactifs, il avait appris à apprécier la compagnie des âmes qui ne connaissent pas encore la réalité. Les enfants ont toujours été enjoués et passionnés par que leur professeur leur montrait et il n’avait jamais trouvé meilleur public. Dans le vrai monde, les gens se fichent du talent des autres ; seuls les gamins sont toujours émerveillés, comme s’ils n’avaient jamais rien vu d’aussi impressionnant avant. Les adultes ont tout vu et préfèrent plonger leur nez dans la technologie pour oublier le monde qui les entoure. Il y a une raison pour laquelle Raphael se trimbale avec un téléphone daté et une radio entre les mains : il aime garder la tête haute et observer le monde qui l’entoure. Il veut découvrir de nouveaux talents, de nouvelles personnes, même s’il craint toujours de se montrer tel qu’il est. « Nous nous entourons parfois d'enfants pour les besoins de certains shootings, et ce ne sont pas vraiment nos modèles les plus dociles. » Le danseur rit doucement en cachant sa bouche derrière son sandwich. Ses yeux passent de la table à ceux de James de façon répétitive. Il hoche les épaules : « Ils ont besoin d’être diverti. Leur cerveau ne dort jamais. J’imagine que le contexte professionnel ne les maintient pas assez actif. Vous devriez penser à investir dans une salle de jeu si jamais vous voulez faire d’autres shooting avec des enfants. » Il suffirait de les enfermer dans cette salle lorsqu’il n’y a plus d’action. « Enfin… C’est un conseil comme un autre. Ne prenez rien de ce que je dis à la lettre je… ne suis qu’un danseur. » Mais il a travaillé avec des enfants et il sait les gérer mieux que les adultes. Ça lui manque terriblement de répéter dix fois à Alice de nouer les lacets, d’intimer le silence à Llewyn qui ne cessait de placoter avec ses voisins, d’aider ceux qui sont tombés sur les genoux à se relever. Ils finissaient toujours par sourire à la fin du cours, après avoir dépensé leur trop plein d’énergie.
« Laissez tomber, j'ai toujours apprécié la franchise. Alors vous ne me vexeriez pas même si vous pensiez que je suis un snob qui jette des billets de cinquante dollars par la vitre de sa berline. » Machinalement, le garçon secoue la tête de droite à gauche. Ce n’est pas ce qu’il pense. Enfin… il croit ? Il faut dire que les préjugés sont fortement ancrés dans sa tête. Il a toujours vécu humblement, attendant sa paye à la fin de la semaine avant de passer à l’épicerie pour remplir son garde-manger des plats déjà préparés les moins chers. Il n’a jamais manqué de rien durant son enfance mais il a tout de même appris à économiser judicieusement. Il ne saurait probablement pas quoi faire avec une fortune digne de celle de Weatherton. Enfin, si, peut-être : il remplirait l’appartement de centaines de paires de chaussures hors de prix. Il en porterait une différente à chaque jour de l’année. Oh, et il payerait tous les voyages du monde à Kieran. « C'est ma manière de vous dire que vous n'avez pas à prendre des gants avec moi. » Ils ne sont pas amis alors le conseil passe au-dessus de sa tête. Jamais il ne lui manquerait de respect. Il préfère ne pas répondre pour ne pas l’offenser ou quoi que ce soit : il croque dans son sandwich en hochant de la tête.
« Célibataire endurci ? » Raphael n’a jamais été en couple et il ne pense pas que la chance lui sourira bientôt. Il ne risque pas de s’absenter du travail pour des raisons du cœur, c’est le peu de mérite qu’il se donne. « Non, célibataire malchanceux. » Il précise en sentant ses pommettes se teindre de rouge. Il ne pensait pas aborder ce sujet avec son patron aussi tôt. Mais, puisqu’il lui a posé la question, il peut bien la lui renvoyer. Il a eu le feu vert. « Et vous ? » Il l’avait espionné sur les réseaux sociaux et n’avait jamais vu personne à ses côtés. Il ne postait pas beaucoup de stories non plus. Rien au sujet de sa vie personnelle. Il avait vu son chat, une fois. Une boule de poil noire qui disparaissait dans l’ombre. « J’ai vu que vous aviez un chat, mais aucune compagnie… humaine. » Ce à quoi il ajoute de façon précipitée : « Vous n’êtes pas o-obligé de répondre. » Il comprendrait que la tête d’une marque aussi grande préfère séparer la vie personnelle et professionnelle. Après tout, il sait à quel point les choses peuvent imploser sur les réseaux sociaux. La moindre erreur est fatale. Il en a lui-même payé le prix.
« Si Jenna vous fait peur, il vaut mieux que vous ne sachiez pas ce que Douglas vous fera si vous arrivez en retard un jour de shooting. » Il avale de travers sa bouchée de pain sec mais comprend rapidement au regard amusé de James qu’il ne s’agit que d’une boutade pour le titiller un peu. Il ricane nerveusement et, au même moment, un mouvement au fond de la salle à manger attire son attention. Il fronce les sourcils en reconnaissant des traits qu’il n’avait pas vus depuis le lycée. Archie n’avait pas changé. Seulement sa barbe s’était fournie, et ses habits avaient pris en valeur. Au moment où ce dernier se met à chercher quelque chose du regard dans le coin de tables, il rabaisse la tête. « Je pense que j’ai trouvé pire que Douglas. » Il ne le connaissait pas, ce Douglas, mais il avait été témoin du règne de terreur qu’Archie avait instauré à l’école. Jamais il ne lui avait parlé car il avait compris qu’il valait mieux pour lui de l’ignorer et de ne jamais le croiser dans les corridors. Voyant les yeux interrogateurs de James, Raphael désigne l’homme d’affaire d’un signe de la tête : « Lui, là-bas. Il doit bosser à un autre étage et s’être perdu. Je l’imagine très mal travailler pour une compagnie de vêtements. Je suis allé à la même école que lui. » Il hausse mollement les épaules, déjà près à changer de sujet parce qu’au fond, il se fiche complètement de le revoir ici. Ce dernier ne pourrait probablement pas le reconnaître puisque leurs regards ne se sont jamais croisés quand ils étaient adolescents.
« Votre père vous a élevé seul ? » La déduction était naturelle. La famille de Raphael était plutôt atypique, il ne pourrait pas prétendre le contraire. Heureusement, les valeurs changeaient depuis quelques années. Il n’avait pas reçu que des bons commentaires lorsqu’il admettait avoir deux pères dans la cours de récréation. Les enfants n’avaient pas l’esprit bien ouvert à cette époque. « Non, il m’a élevé avec son copain. J’ai deux pères. Aucun des deux n’est particulièrement efféminé… Je ne sais pas du tout d’où me vient cet amour pour les jolies choses. » Il savait qu’il ne représentait pas la masculinité même si ce mot n’est, après tout, qu’un terme qui a été inventé pour les hommes toxiques. Le genre d’homme que James n’était pas lui non plus, et ça leur faisait un point en commun. « Non, je n'ai moi même eu qu'assez peu d'influences féminines durant les premières années de ma vie. Mais aujourd'hui toutes les personnes qui me connaissent le mieux sont des femmes, à une ou deux exceptions près. » Il suffisait de jeter un seul coup d’œil autour de la table pour constater que les femmes représentaient un plus grand pourcentage dans l’entreprise. C’était à la fois rassurant et intimidant pour un Raphael qui avait toujours observé secrètement les filles sans arriver à faire la distinction entre l’admiration et l’amour. Un gloussement s’échappe de la bouche du jeune homme quand il se met lui aussi à imaginer ce qu’une sœur aurait apporté à sa vie. « Un frère ou une sœur, peu importe. J’aurais aimé avoir un peu de compagnie quand j’étais jeune garçon. » Les liens du sang l’auraient réconforté. « Il y a longtemps que je me maquille seul. Quand on a mon emploi du temps, on n'a pas le temps de passer entre les mains d'une maquilleuse tous les matins. » Il ne sent pas le sourire qui allonge ses lèvres à cet instant. Il observe les traits maquillés de James de façon lunatique et finit par secouer la tête pour sortir de ses rêveries. « Quand avez-vous commencé ? » Il se fiche de cette réponse, à vrai dire. Il aimerait lui demander comment il a fait pour ne pas craindre l’opinion des autres et les jugements. Raphael n’a pas été épargné des commentaires déplacés lorsqu’il parlait de sa passion pour la danse, ou lorsqu’il ne faisait que se trimbaler avec ses chaussures de ballerine quand il avait huit ans. Il a perçu les regards les plus effrayants du monde et il est devenu minuscule.
« Deux heures, je crois… » Raphael répondait en plissant des yeux lorsque James s’informait sur la qualité du sommeil qu’il avait eue. Un sourire reconnaissant soulevait finalement la commissure de ses lèvres quand l’autre tentait de le rassurer. Il allait ouvrir la bouche pour le remercier mais il se fait nettement couper par Archie qui pose ses deux mains sur la table, entre James et Raphael, pour souffler d’un ton arrogant : « J’ai des cernes, moi ? » Il observait les deux garçons un après l’autre, et le danseur notait une pointe de malice dans ses yeux quand il contemplait James de haut. « Je n’ai dormi qu’une heure. Mais ce n’était pas une compétition, n’est-ce pas ? » Nope. Raphael est trop tétanisé pour répondre.
|
| | | | (#)Jeu 28 Oct 2021 - 21:18 | |
| « Ils ont besoin d’être diverti. Leur cerveau ne dort jamais. J’imagine que le contexte professionnel ne les maintient pas assez actif. Vous devriez penser à investir dans une salle de jeu si jamais vous voulez faire d’autres shooting avec des enfants. Enfin… C’est un conseil comme un autre. Ne prenez rien de ce que je dis à la lettre je… ne suis qu’un danseur. » James arqua un sourcil songeur. Non, vraiment, le moins il collaborait avec un troupeau d'enfants et le mieux il se portait. On le jugeait déjà suffisamment caractériel et impatient en temps normal, après tout. « Un danseur qui maîtrise visiblement le sujet. Pour un peu, je penserais presque que vous avez des enfants vous-même. » Il n'en savait rien, après tout, de si ce genre d'informations se savaient communément. Lui n'avait jamais eu un feeling particulièrement développé avec les êtres humains de moins d'1m50 et encore, il ne comprenait déjà pas toujours tout de leurs homologues plus âgés. « C'est pas une question piège, mais je dois vous prévenir que j'ai eu mon compte de collaborateurs qui s'absentent sans arrêt parce que leurs rejetons sont malades. » A son humble avis, il était difficile de travailler sérieusement dans ces conditions, qui plus est dans un milieu où prendre du retard sur une commande n'était en aucun cas envisageable. Il n'empêchait personne d'avoir des enfants, simplement il en allait du bon sens de chacun de s'organiser pour les faire garder lorsqu'ils avaient de la fièvre. Ce n'était tout de même pas à Weatherton d'en pâtir, surtout quand son directeur artistique avait fait le choix de ne pas avoir d'enfants lui-même – non pas que l'occasion se soit un jour présentée, mais l'idée était là.
Si James tenait tant à ce que Raphael n'ait pas peur de lui dire les choses avec franchise, c'est parce qu'il aurait l'impression de ne pouvoir vraiment compter sur personne si tous ses collaborateurs étaient trop occupés à le brosser dans le sens du poil. Pas sûr qu'il s'attendait pour autant à ce que la conversation touche à des sujets plus personnels. « Non, célibataire malchanceux. » « Pas par choix, donc. » Il se contenta de relever en observant Raphael, dont les joues se coloraient tellement qu'il n'allait pas tarder à ressembler à une écrevisse. Le sujet semblait sensible, et James n'avait pas la prétention de savoir pourquoi ni même tellement l'envie de creuser plus loin la question. La vie privée de ses recrues ne l'intéressait que peu tant qu'elle n'avait pas d'incidence directe sur leur travail. « Et vous ? J’ai vu que vous aviez un chat, mais aucune compagnie… humaine. » La question le surprit cette fois davantage, James n'imaginant pas qu'ils auraient atteint un niveau de confiance suffisant pour qu'un sujet qu'il n'évoquait d'ordinaire avec personne soit ainsi mis sur la table. Raphael avait peut être bien une certaine audace, finalement, et c'était plutôt une bonne chose. « Vous n’êtes pas o-obligé de répondre. » Il pensa lui donner raison l'espace d'une seconde, et clore un chapitre qui n'aurait jamais du être ouvert. Mais James ne tenait pas à lui laisser penser qu'il pouvait y avoir la moindre raison à ce mystère : ce n'était pas comme s'il n'avait pas touché du doigt la vérité. Laisser supposer le contraire serait le meilleur moyen de voir naître des rumeurs sans fondement. « Je mène une vie solitaire, c'est vrai. Mon travail me comble suffisamment pour que je n'ai pas besoin de remplir ma vie autrement. » C'était la version simplifiée et la seule à laquelle Raphael aurait droit. Si James désirait se confier sur l'existence d'un certain actionnaire ou sur les sentiments qu'il pensait nourrir à son égard, il est certain qu'il ne porterait pas son choix sur le danseur. Il avait beau être d'un abord sympathique, la familiarité de ce déjeuner était exceptionnelle. « On est parfois mieux seuls, vous ne pensez pas ? » Libre à lui de répondre ou de laisser sa question en suspend, son propre avis était de toute façon forgé depuis des années. S'il avait été heureux en couple, s'il avait réellement fait des projets avec celui qui partageait sa vie à l'époque, tout avait changé. James n'avait pas seulement découvert qu'on tombait parfois amoureux pour se heurter à un mur de mépris et d'indifférence, mais aussi parfois pour se voir arracher une partie de soi.
« Je pense que j’ai trouvé pire que Douglas. » Subitement intrigué, James releva son regard vers Raphael avant que celui-ci ne suive son doigt lorsqu'il le pointa en direction d'une silhouette... familière. Qu'il semble désigner Archie était plutôt inattendu, tout simplement parce qu'il n'imaginait pas que Raphael et l'actionnaire puissent seulement se connaître. « Lui, là-bas. Il doit bosser à un autre étage et s’être perdu. Je l’imagine très mal travailler pour une compagnie de vêtements. Je suis allé à la même école que lui. » Cette fois, il eut sûrement un peu plus de mal à dissimuler sa surprise. Si Raphael avait fréquenté la même école d'Archie, il y avait une certaine probabilité pour qu'il y ait également croisé James. Il n'avait certes emménagé en Australie qu'à ses dix ans mais avait ensuite suivi l'ensemble de sa scolarité à Brisbane. La question resta toutefois contenue entre ses lèvres closes : ça n'avait aucune importance, parce que ça n'était pas une époque dans laquelle il tenait à se replonger. « Vous le connaissez ? Ça alors. » James prit sur lui pour paraître tout juste étonné, n'ayant pas la moindre envie que Raphael puisse suspecter qu'il connaissait lui-même Archie beaucoup mieux que leurs postes respectifs à Weatherton le laisseraient penser. S'il avait balayé la question de sa vie sentimentale quelques instants plus tôt, ça n'était pas pour se trahir maintenant. « Il est actionnaire ici à Weatherton, ça fait quelques mois qu'il travaille avec nous. Il ne gère pas ce qui a trait à l'artistique alors vous ne le croiserez sans doute qu'à de rares occasions. » Quelque chose dans le regard de Raphael lui laissait penser qu'Archie avait pu ne pas lui laisser un souvenir impérissable, et il ne prétendrait pas en être tellement étonné. Il savait comment était Archie sur les bancs de l'école et ne serait pas surpris d'apprendre qu'il n'était pas le seul à avoir fait les frais de ses fréquentes intimidations. Au fond Raphael et lui avaient sans doute plus en commun qu'il ne le pensait au départ, mais ça n'avait pas un constat qu'il prendrait le risque de partager.
Il était plus approprié de laisser le danseur se confier sur ce qu'il jugeait approprié de partager avec son supérieur, sachant déjà que James ne reconduirait pas ce petit jeu de questions et de réponses, professionnalisme oblige. « Non, il m’a élevé avec son copain. J’ai deux pères. Aucun des deux n’est particulièrement efféminé… Je ne sais pas du tout d’où me vient cet amour pour les jolies choses. » Le regard de James se teinta d'une lueur différente, plus intéressée peut être. Il avait posé la question avec l'idée d'en apprendre plus au sujet de Raphael mais son parcours de vie s'avérait plus inspirant qu'il ne l'aurait cru. Deux pères, voilà une réalité qui aurait laissé rêveur le James d'il y a quelques années, lorsque la seule idée d'assumer son attirance pour les hommes lui valait encore d'essuyer insultes et bousculades. Aujourd'hui il était certes plus désabusé mais cet aveu sensibilisa une partie de lui qu'il ne laissait pas souvent s'exprimer. « Vous avez sans doute hérité beaucoup d'autres choses d'eux. » Et ça n'était pas une discussion qu'il se voyait éterniser dans ces circonstances, moins encore alors qu'il n'était pas question d'offrir son amitié à Raphael mais simplement de se faire une idée plus précise de son parcours. James ne nouait que peu d'amitiés dans le cadre de son travail et les rares personnes à le connaître au-delà de ces murs l'avaient déjà vu suffisamment vulnérable pour qu'il ne tienne pas à rallonger cette liste. « Un frère ou une sœur, peu importe. J’aurais aimé avoir un peu de compagnie quand j’étais jeune garçon. » Des paroles dans lesquelles il n'eut aucun mal à se retrouver, quand bien même il avait fini par accepter l'idée qu'il demeurerait fils unique – et il en avait certainement tiré autant d'avantages que d'inconvénients. Aurait-il été aussi proche de son père s'il avait du partager son affection avec quelqu'un d'autre ? « Quand avez-vous commencé ? » La question le surprit légèrement, mais James répondit sans détour. « Je n'en sais rien, tôt sans doute. Je n'ai pas pour habitude de regarder en arrière. » Mais il comprenait qu'ici la source du problème était ailleurs et que Raphael la projetait peut être simplement sur sa personne. James s'arma donc d'une bienveillante inattendue au moment de souffler. « Vous n'avez pas besoin d'être dans ma position pour décider de porter ou d'arborer ce qui vous plaît. La confiance en soi et l'influence sont deux choses très différentes. » Qu'il ait une position enviable dans un milieu intransigeant ne changeait rien au fait qu'il avait du comme tout le monde se faire accepter à un moment ou à un autre, ses choix et l'authenticité qu'il avait tâché de garder au fil du temps lui ayant comme tout un chacun déjà été reprochés. Raphael n'imaginerait sûrement pas en le voyant que James avait pu être moqué et culpabilisé pendant des années de cultiver une originalité qui à l'époque en effrayait plus d'un. C'est aussi là qu'il puisait sa force de caractère et le plus satisfaisant était de pouvoir se regarder dans un miroir en se disant qu'il n'avait jamais trahi celui qu'il était, même pour se rendre les choses plus faciles.
« Deux heures, je crois… » Ainsi donc James était dans le vrai, leur nouvelle recrue avait passé le plus clair de sa nuit à appréhender son premier jour à Weatherton et en toute honnêteté, c'est l'inverse qui l'aurait davantage surpris. Il commençait un peu à cerner sa personnalité et si une chose ne lui avait pas échappé au sujet de Raphael, c'était sans nul doute son anxiété. Avant même qu'il ne s'apprête à répondre, pourtant, c'est la silhouette d'Archie qui s'approcha de leur table et ses deux mains que l'actionnaire posa à plat devant eux. Très subtil. « J’ai des cernes, moi ? » James releva son regard vers lui, un sourcil arqué. S'il espérait secrètement le voir approcher lorsqu'il avait noté sa présence quelques instants plus tôt, il pensait qu'Archie attendrait la fin de son échange avec Raphael. L'avait-il fait en espérant marquer son territoire ? Considérait-il seulement qu'il s'agissait de son territoire ? « J'imagine que c'est par hasard si tu as entendu notre conversation. » Et donc par hasard qu'il était aussi bien renseigné. « Je n’ai dormi qu’une heure. Mais ce n’était pas une compétition, n’est-ce pas ? » Tout était une compétition avec Archie, mais Raphael n'avait pas mérité de se retrouver au milieu d'un de leurs petits affrontements quotidiens, quand bien même ils amusaient toujours autant le créateur. « En effet. Je briefais juste Raphael pour son premier jour, il sera le modèle de notre prochaine campagne sur les réseaux sociaux. » Et s'il se garda de préciser qu'il l'avait choisi personnellement, c'est un détail dont James saurait faire usage au besoin, le moment venu. « Il danse, et il est très doué. » Et il se retrouva à insister plus que de raison sur la fin de sa phrase, un sourire au coin des lèvres. Uniquement pour souligner le talent de leur nouvelle recrue, évidemment.« Tu te joins à nous ou tu as trop de travail ? »
|
| | | | (#)Mer 10 Nov 2021 - 22:08 | |
| « Un danseur qui maîtrise visiblement le sujet. Pour un peu, je penserais presque que vous avez des enfants vous-même. » L’idée l’amuse un peu. Il ne s’est jamais cru assez mature pour devenir un père. Il pensait qu’il se sentirait enfin débarrassé de son adolescence mais ce dernier semble le suivre de peine et de misère, comme s’il s’était attaché à Raphael. Mais, au fond, le garçon aimerait bien goûter à la vie d’adulte avant que les premières rides ne se tracent en-dessous de ses yeux et au coin de ses lèvres. Il attend encore le matin où il se réveillera en se sentant complètement différent. Pour le moment, cette métamorphose tarde un peu. Il commence à croire qu’elle ne viendra jamais. Passer de la phase adolescence directement à celle de l’âge d’or, ce serait déboussolant. À moins qu’il ait encore l’impression d’avoir un cœur jeune même à quatre-vingt ans. « Ce serait improbable. » Il répond en riant craintivement. « C'est pas une question piège, mais je dois vous prévenir que j'ai eu mon compte de collaborateurs qui s'absentent sans arrêt parce que leurs rejetons sont malades. » Il hoche vivement de la tête comme s’il se joignait à son avis sans réfléchir davantage à la question. « Aucun rejeton malade ne m'attend à la maison. » Il met l’emphase sur la négation, trouvant cette discussion particulièrement étrange. C’était la première fois qu’on l’interrogeait au sujet d’une progéniture, comme s’il avait le profil pour être père. Une idée plutôt farfelue. Évidemment, parce que Raphael a compris que James n’y connaissait pas grand-chose en enfants, il ne l’interroge pas en retour car il connait déjà la réponse. Il saurait que les gosses ont besoin d’être constamment divertis s’il en avait un à la maison.
Il craint de dire la mauvaise chose, sans arrêt, comme si son supérieur pouvait décider de le renvoyer chez lui alors que le contrat a bel et bien été signé. De toute façon, Raphael n’a pas grand-chose à cacher : il est célibataire, sans enfants, il passe la majorité de son temps à s’ennuyer à l’appartement alors il n’a que son temps et son talent à offrir à l’entreprise. « Pas par choix, donc. » Il ne peut s’empêcher de chercher les questions pièges dans leur discussion parce qu’il est terriblement intimidé. Pour ne pas aborder davantage le sujet qui le hante tous les jours, il se contente de secouer la tête de droite à gauche en baissant les yeux vers son sandwich qu’il mord à pleines dents. Et dire qu’il avait presque réussi à ne pas penser à Kieran dans la dernière heure. « Je mène une vie solitaire, c'est vrai. Mon travail me comble suffisamment pour que je n'ai pas besoin de remplir ma vie autrement. » Il est donc le cliché du génie créateur qui n’a pas de temps à consacrer aux relations humaines. Étrangement, Raphael a l’impression qu’il aurait pu le deviner. C’est dans sa façon de s’habiller, de se tenir, et de parler. Il ressemble au personnage sévère et surdoué qui est d’abord présenté comme un allié dans un film, mais qui se révèle le méchant de l’histoire à la toute fin. Bientôt, il lui avouera peut-être tout son plan en le menaçant avec un couteau sans jamais le poignarder. « On est parfois mieux seuls, vous ne pensez pas ? » Il acquiesce immédiatement, bien qu’il ne pense pas de la même façon que lui. « Oui, effectivement. » Au contraire, il se sentait terriblement seul avant d’emménager avec un colocataire. Bien qu’il soit une personne introvertie, il a besoin d’un peu de compagnie pour ne pas perdre la notion du temps et pour se rappeler de manger trois fois par jour.
Un étrange nouvel antagoniste apparait dans la salle à manger et Raphael ne peut pas cacher sa surprise en reconnaissant son visage. Il s’agissait d’Archie Kan… Ket… Kw… Archie quelque chose, la brute qui avait fait de l’école son château et des élèves ses sujets. Il est surpris de le voir ici parce que jamais il n’avait montré un intérêt pour les arts, encore moins pour la mode. « Vous le connaissez ? Ça alors. » James est visiblement surpris de l’entendre mais il ne tire aucune conclusion. Il pensait seulement que le commentaire qu’il avait passé à voix haute coulerait au fond de la mer et ne serait pas abordé davantage. Pourtant, il se trompe, parce qu’Archie ne s’est pas perdu. « Il est actionnaire ici à Weatherton, ça fait quelques mois qu'il travaille avec nous. Il ne gère pas ce qui a trait à l'artistique alors vous ne le croiserez sans doute qu'à de rares occasions. » C’est plutôt logique, oui. Raphael hoche de la tête en préférant baisser les yeux pour éviter que l’actionnaire ne remarque qu’il est épié par deux personnes. Il est toutefois rassuré d’apprendre qu’ils ne travailleront jamais ensemble.
Parler de ses deux pères avait toujours attisé la curiosité des autres. Ce n’est pas une information qu’il révèle facilement parce qu’il ne veut pas être connu comme le garçon qui n’a pas de mère alors que, vingt années plutôt, le sujet des parents du même genre alimentait beaucoup de débats. Le mariage homosexuel était encore interdit quatre années auparavant. Si Raphael aimait beaucoup les deux hommes qui l’avaient élevé, il craignait parfois d’entendre de mauvais commentaires à leur encontre. James ne le menaçait pas à ce niveau-là parce qu’il n’était pas comme ces hommes virils à la masculinité fragile. Beaucoup plus de garçons portent du maquillage aujourd’hui, mais il n’en voit pas à tous les coins de rue. « Je n'en sais rien, tôt sans doute. Je n'ai pas pour habitude de regarder en arrière. » Un sourire doux étire les lèvres du jeune homme. Il n’a pas commencé récemment. Il n’a pas eu peur des moqueries, alors. « Je vous envie. » Il répond simplement, les lèvres pincées. Il n’avait jamais rencontré une personne avec autant d’assurance avant son audition, et pour cela il lui vouait beaucoup de respect. « Vous n'avez pas besoin d'être dans ma position pour décider de porter ou d'arborer ce qui vous plaît. La confiance en soi et l'influence sont deux choses très différentes. » Il aurait aimé être assez confiant pour s’attacher à son regard mais il baisse à nouveau la tête, les joues roses. Visiblement, il ne possède ni la confiance, ni l’influence. « Je crois que j’aurais aimé entendre ça quand j’étais encore un gamin. Je me sentirais peut-être plus légitime aujourd’hui. » Et, plus important, il ne chercherait pas son véritable reflet dans le miroir. Il a la personnalité d’une écrevisse, il le sait bien, et c’est pour cette raison qu’il n’arrive pas à se faire de vrais amis.
La pause diner aurait pu se terminer ici mais un troisième adversaire entre en jeu. Devant n’importe quel inconnu, Raphael aurait fait un peu plus d’efforts pour user de ses infimes capacités sociales mais Archie lui cloue immédiatement le bec. Heureusement, James semble avoir apprivoisé la bête depuis un moment déjà. Il lui parle comme s’il le connaissait bien, comme s’ils étaient amis, même, et ça a le don de rendre le danseur complètement mal à l’aise, surtout lorsque le styliste le désigne et complimente ses talents. Il se pince les lèvres en un sourire forcé, incapable de soutenir le regard d’Archie qui le regarde de haut en bas avec les yeux d’une hyène qui attend que sa proie soit épuisée pour lui sauter au cou. Il esquisse même un sourire accompagné d’un rire qui ressemble davantage à une moquerie. « Je pensais que tu cherchais à engager un mannequin pour cette campagne. » Étrange comme ces mots ressemblent à une insulte camouflée. « Tu te joins à nous ou tu as trop de travail ? » Archie fait claquer ses mains ensemble comme le ferait tout homme qui cherche à avoir l’attention. « Je vais devoir refuser ton offre. Je ne pense pas que vos sujets de discussion pourraient m’intéresser. Après tout, je ne suis pas un artiste. » Il tapote à nouveau la table, jette un regard amusé à Raphael qui déglutit et tourne des talons après avoir analysé une seconde de trop son visage, comme s’il avait l’impression de l’avoir déjà vu quelque part. Le bouclé attend que l’actionnaire soit assez loin pour murmurer : « Ça a le mérite d’être clair. » Il s’efforce de sourire un peu, et, rapidement, il avale sa dernière part de sandwich. « Je vais y retourner avant que Jenna ne me cherche. Je ne voudrais pas lui avoir menti en prétendant être ponctuel. » Il se lève de table, replace soigneusement sa chemise et adresse un dernier sourire à son patron. « Merci de m’avoir tenu compagnie. Il n’y a rien de pire que de manger seul la première journée. » Et, lui, ce n’était pas que la première journée qu’il avalait son dîner sans compagnie. Il venait de mettre la barre très haute en mangeant avec un homme aussi respectable que James Weatherton.
|
| | | | | | | | Coffee break [James + Raphael] |
|
| |