octobre 2010. Voilà quelques jours qu'Hunter avait enterré son père au cimetière de Brisbane - il l'avait perdu la veille de ses seize ans. Coup dur pour l'adolescent qui avait déjà vécu une année merdique dû à la maladie de son père qui avait changé toute sa vie, tous ses rêves et envie de réussir. Hunter s'était éteint petit à petit jusqu'au moment où le destin avait décidé d'abattre le dernier souffle sur cette faible flamme en emportant son père au paradis. Le brun n'était plus aussi lumineux et ambitieux qu'auparavant, le décès de son père marquait un tournant dans sa vie et il le sentait au plus profond de ses entrailles. Rien que de voir l'état de sa mère, Hunter se disait qu'il ne pouvait pas l'abandonner, qu'il ne pouvait pas réaliser ses rêves de voyage et la laisser derrière lui. Quelques jours s'étaient écoulés depuis cet enterrement auquel même sa petite amie n'avait pas fait acte de présence. Depuis le mois d'août, il fricotait avec cette jeune fille pleine d'ambitions, qui lui rappelait ses propres rêves et qui lui avait pendant quelques semaines offert des moments d'échappatoire à son quotidien difficile. La rouquine n'avait pourtant pas daigné venir à cet enterrement, ni à la veillée mortuaire organisée par les Stringer. Hunter était partagé entre le soulagement de ne pas être obligé de parler et la déception de voir que même elle n'était pas là pour lui... Pourtant, il était parfaitement conscient qu'il n'était pas le petit ami rêvé, surtout depuis que l'état de son père s'était dégradé pour finalement les quitter.

Ce jour-là, alors qu'Halloween approché, Hunter avait finalement décidé de se rendre au skatepark qu'il avait l'habitude d'aller avec Oliver son meilleur ami, notamment quand rien n'allait. Il pouvait faire du skate, ou même s'asseoir dans un coin, écouter de la musique ou dessiner pour faire passer le temps. Cette fois-là, il n'avait pas pris son skate, il voulait juste voir du monde s'amuser, faire des figures et s'évader le temps de quelques chansons. Assis sur le dossier du banc, les pieds posés sur l'assise, il était plongé dans son vieux lecteur mp3, à la recherche d'une musique qui pourrait bien l'achever. Il leva la tête pour regarder les jeunes, certains qu'il connaissait même, s'amuser et rire aux éclats. Il se demandait si un jour il serait capable de rire à nouveau... Ce qu'il regardait devenait flou, perdu complètement dans ses pensées, qu'il ne la vit pas arriver. Ce fut une fois devant lui qu'il se redressa pour reconnaître Charlie. « Wow. Une revenante. » lâcha-t-il sans pouvoir se retenir. Depuis quelques semaines déjà le couple se déchirait et n'arrivait plus à se comprendre. Un coup ils s'aimaient, un coup ils se détestaient, c'était à en perdre la tête. Quelle serait son excuse pour ne pas être venue le voir plus tôt ? Hunter ne savait pas encore s'il devait lui en vouloir ou la remercier. Tout ceci était contradictoire, mais au fond de lui,  il avait ressenti un pincement au cœur de la voir - pourquoi ? Heureux de la retrouver quand même ? Blessé de son silence ? L'avenir le dirait.  

Elle ne va pas aux enterrements. C’est la règle. Ne pas se rendre dans ces endroits où tout le monde sait pertinemment qu’il sera triste, qu’il pleurera même sans doute. Ce n’est pas ce qu’elle souhaite vivre, pas à son âge en tout cas. Charlie est trop jeune pour utiliser son temps de la sorte et elle juge qu’il y a de bien trop belles choses à voir en ce monde pour perdre son temps dans des funérarium ou n’importe quel autre bâtiment sans vie - ah, ah - dans le genre. Les morts sont ce qu’ils sont, les pleurer et les veiller ne servirait à rien. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne leur porte aucune reconnaissance, bien au contraire : elle le fait simplement à sa façon, en silence, et sans aucun regard curieux posé sur son visage pour savoir si oui ou non elle versera une larme. L’adolescente a été sincèrement attristée par l’annonce de la perte du père d’Hunter et si elle a essayé de le consoler du mieux qu’elle l’a pu, ce n’est pas pour autant qu’elle a réussi le moindre exploit. N’ayant pas encore l’habitude de rien, ses mots étaient maladroits et ses gestes bien plus encore. Elle aurait simplement voulu le laisser lire dans ses pensées pour qu’il comprenne ce qu’elle pense et ressent, sans barrière ni filtre. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé, bien sûr, alors à défaut de savoir communiquer, elle a trouvé plus simple de couper le contact. Paradoxale, Charlie, comme toujours.

Ils ne partagent pas la vie de l’un l’autre depuis assez longtemps pour se connaître par coeur, mais peu sont ceux qui ont su rester auprès de Charlie plus de quelques semaines et trois mois apparaissent donc comme un exploit pour Hunter. Ils sont suffisants pour qu’elle connaisse un minimum ses habitudes et sache donc à quel point le skatepark compte à ses yeux. Là bas, au moins, il peut se défouler et laisser les heures défiler insouciamment. En plus, elle a toujours aimé l’observer faire des figures avec sa planche et s’il fallait parfois nettoyer les quelques blessures et autres égratignures, elle répondait toujours présente. Aujourd’hui encore, elle l’observe pendant quelques minutes, un sourire au coin des lèvres pour une scène digne d’un film à l’eau de rose de seconde zone. Ce n’est pas de sa faute, après tout, si elle est amoureuse et qu’elle se décide enfin à le rejoindre lorsqu’il se pose sur le banc et se plonge dans son MP3. « Wow. Une revenante. » Blah, blah. Elle préfère ne pas s’attarder sur ses paroles, éternellement occupée à ne voir que le bon côté de chaque chose : elle est là, maintenant. Elle est là pour lui et, qui plus est, elle préfère l’embrasser tendrement pour lui souhaiter une bonne journée plutôt que d’utiliser des mots inutiles. Ce n’est pas parce que leur relation connaît des hauts et des bas qu’elle l’aime moins ; ils reproduisent incessamment le même pattern. Jusque là, il avait au moins gardé son père à ses côtés et Charlie sait que c’est une chose à laquelle elle ne pourrait remédier. “Pour tes beaux yeux.” C’est pour lui qu’elle vient, c’est ce qu’elle souhaite lui dire. Pour s’assurer qu’il se porte bien, pour lui remonter le moral, pour occuper ses journées pour qu’il ne les passe pas à penser à un mort qui ne reviendra jamais. “Tu m’as manqué. C’est ça que tu veux entendre ?” Les paroles pourraient être tranchantes mais elles ne peuvent pas l’être. Pas avec la voix qu’a Charlie, douce et attentionnée, sincère et émue. Elle croit sincèrement pouvoir se rattraper en affichant patte blanche et ce peu importe ses erreurs et leur gravité.

octobre 2010. Hunter était jeune encore. La mort de son père, après une année compliquée avec la maladie, avait clairement éteint tout brin d’insouciance dans sa nature d’esprit. Stringer était devenu un garçon plutôt mystérieux et peu loquace. Il n’était pas du genre à partager ses sentiments, ou ce qu’il pouvait penser. Mais cette fois-ci, l’absence de sa petite-amie lors de l’enterrement de son père l’avait énormément vexé en réalité. Charlie était dans sa vie depuis quelques semaines maintenant, depuis le mois d’août en réalité. Il s’était attaché à la jeune fille, de sa peau nacrée à sa chevelure de feu, elle avait réussi à lui permettre d’avoir quelques parenthèses de normalité dans sa vie d’adolescent. Pourtant, Charlie n’était pas venue. Autant sa mère que son meilleur ami lui avait demandé pourquoi elle était absente, et Hunter n’avait même pas pu la défendre. Elle n’était juste pas venue. Plus de contact, plus signe de vie alors que Hunter était doucement en train de s’enfoncer dans les abysses de la solitude.

Stringer ne pensait pas la revoir durant cet après-midi. L’adolescent s’était réfugié à ce skatepark où il aimait oublier le temps. Il ne regardait plus l’heure, et cette fois-ci, il ne jouerait pas les acteurs principaux des figures. Il préférait regarder tout ça de loin, de la vieille musique dans les oreilles. Il ne l’avait même pas vue débarquer, pourtant on la remarquait très facilement Charlie. Grande, élancée, d’un roux éclatant, la jeune fille faisait tourner des têtes. Et on pouvait bien de se demander comment un raté comme Hunter pouvait être avec une nana pareille. Elle était donc arrivée à ses côtés, comme si de rien était. Il était décontenancé par son comportement qu’il n’arrivait jamais totalement à cerner en réalité. « Pour tes beaux yeux. » avait-elle lancé d’un air innocent. Le jeune garçon ne savait pas y faire généralement, et pourtant il aimait passer du temps avec la rouquine. Il n’avait pas envie de lui en vouloir, mais plus le temps passait, moins ils arrivaient à se comprendre. Peut-être aussi parce que Hunter se renfermait aussi de plus en plus sur lui-même, et n’arrivait plus à s’ouvrir aux autres. « Tu m’as manqué. C’est ça que tu veux entendre ? » Il tournait la tête pour l’observer, plissant les yeux pour tenter de discerner l’expression de son visage. « Si c’était sincère, ça serait encore mieux. » rétorqua-t-il d’un air presque de défi. Elle allait devoir se rattraper. « J’savais même pas où t’étais, ce que tu faisais… ou même pourquoi t’étais pas là. » finit-il par dire en la regardant dans les yeux, tentant d’anticiper les excuses bidons qu’elle allait pouvoir lui sortir.
 

Après l’avoir embrassé avec douceur, c’est tout aussi délicatement qu’elle prend le temps de retirer les écouteurs des oreilles d’Hunter. Les mots dénotent avec les gestes attendris et amoureux de la plus jeune, au point où un œil extérieur pourrait croire que les deux adolescents mènent une parfaite idylle. La vérité est toute autre, au point où même Charlie l’éternelle utopiste ne peut le nier - à défaut, elle tente donc de réparer les choses en contre-coup, trop tard pour que cela ait le moindre impact sur leur relation. Le brun lui adresse un regard après quelques secondes et si ses yeux semblent se plisser pour mieux la juger, elle tente plutôt de se convaincre que ce n’est que le soleil qui l’aveugle et que ce n’est pas parce que ses iris sont noires comme la nuit qu’il n’est pas impacté par les rayonnements. L’analyse est longue, complexe, inutile, mais elle la préférera toujours à la conclusion venant lui faire dire qu’elle est coupable de l’avoir abandonné durant une des pires périodes de son existence, si ce n’est même la pire. « Si c’était sincère, ça serait encore mieux. » Dans sa voix à lui, il n’y a aucune douceur. Ce n’est pas grave, il lui en faudrait plus pour faire trembler ses fondations. “Ça l’est.” Elle a bien des défauts et fait bien des erreurs, mais elle n’est pas en train de lui mentir. Il lui a sincèrement manqué. Ses doigts courent contre ses joues alors que ses billes bleues tentent de lui faire comprendre qu’elle lui statue la pleine et entière vérité.

Lorsqu’il reprend et ajoute quelques mots, pourtant, elle clôt ses paupières et souffle doucement, reposant ses bras le long de son corps dans le même élan. « J’savais même pas où t’étais, ce que tu faisais… ou même pourquoi t’étais pas là. » Nous y voilà. Si elle savait qu’il allait aborder le sujet, ce n’est pas pour autant qu’elle a su préparer le moindre discours, la moindre explication digne de sens. Charlie vient se placer à ses côtés sur le banc, un étage dessous, son coude posé contre le dossier de bois. Ses jambes se replient sous elle, son menton se relève pour garder un contact visuel avec son petit-ami. “J’aurais pas été à ma place, là-bas.” Au milieu de sa famille, en pleine cérémonie d’enterrement. Les deux combinés ne font pas bon ménage, c’est certain, et elle ne comprend pas pourquoi il n’arrive pas à le comprendre à son tour alors que tout semble clair comme de l’eau de roche. “Je suis désolée pour ton père, tu le sais, mais je pense pas qu’il en ait quoi que ce soit à faire des cérémonies, là où il est.” Il est mort et rien ne pourrait changer cela, pas même toute la peine accumulée des humains. Elle n’a pas le droit de s’immiscer au milieu de sa famille dans un moment si intime et douloureux de leur existence et prétendre à son tour être aussi attristée qu’eux. Elle l’est, oui, mais à son niveau. “Et être au milieu d’autant de personnes qui pleurent et tout ça, … Je préfère être là pour toi, maintenant.” Son explication est coupée en plein milieu, elle ne trouve pas les mots. Tant pis, tant qu’il comprend qu’à ses yeux il est le seul qui importe.

octobre 2010. Hunter était très maladroit. La seule fois où il avait réussi à être mielleux et amoureux à cœur déployé, c’était avec Inaya. Mais c’était encore à l’époque où tout allait bien dans sa vie, quand son père était vivant et en bonne santé, quand tout portait à croire que Hunter allait réussir dans la vie. Aujourd’hui, il n’était plus que l’ombre de lui-même, et il n’arrivait même plus à faire semblant. Alors quand il vit Charlie se présenter à lui comme si de rien était, le jeune garçon avait dû mal à passer outre l’absence et le silence radio qu’elle lui avait imposé durant le pire moment de sa vie. La jeune fille restait impassible, droite dans ses baskets, elle lui retira ses écouteurs, et il ne pouvait s’empêcher de la fixer. Son visage angelin lui donnait envie de tout lui pardonner, mais Hunter n’était plus capable de tant de sagesse. « Ça l’est. »  avait-elle rétorqué à sa remarque, passant sa main sur sa joue. Il était presque réticent à un quelconque contact physique avec la demoiselle. Il restait de marbre, plongeant ses billes noires dans ses iris bleues. Elle n’était nullement décontenancée par la distance qu’il tentait de mettre entre eux. Charlie avait de l’aplomb, elle assumait tout ce qu’elle faisait, même les erreurs qu’elle pouvait commettre. C’était sûrement ce qui la rendait irrésistible – cette manière de tout dédramatiser en un seul regard, en un mot prononcé avec une profonde sincérité, et même une certaine tendresse. Hunter avait penché la tête, légèrement en la regardant soupirer, les yeux baissés.

L’adolescent n’arrivait pas à se contenir, à garder ses remarques pour lui. Il l’avait lourd sur le cœur – l’absence de Charlie. Il ne perdit pas une seconde pour la confronter, et le brun était bien conscient que cela jetterait un froid entre eux mais il devait crever l’abcès. La jeune fille se laissa tomber sur le banc, son coude se posant sur le dossier alors qu’il restait, quant à lui, perché sur ce dernier. Il avait abaissé ses yeux sur elle, et elle réussit à relever le regard pour lui répondre : « J’aurais pas été à ma place, là-bas. » Il se pinça les lèvres, acquiesçant avec amertume. « Je suis désolée pour ton père, tu le sais, mais je pense pas qu’il en ait quoi que ce soit à faire des cérémonies, là où il est. » Quelle subtilité ! Ses yeux s’écarquillèrent à cause du manque de tact de la belle, cela ne lui ressemblait pas. « Et être au milieu d’autant de personnes qui pleurent et tout ça, … Je préfère être là pour toi, maintenant » Un soupir s’échappa de ses lippes alors qu’il détourna un instant le regard, les yeux vinrent se poser face à lui, sur les quelques jeunes garçons qui s’amusaient au loin sur leur skate. « Un message, un appel, ça t’aurait tué… à toi ? » finit-il par dire, comprenant qu’elle puisse se sentir mal à l’aise face à l’idée de se retrouver avec tous ses proches dans un tel moment. Ce n’était pas la meilleure manière de présenter sa famille, sans aucun doute, il pouvait le comprendre. Ce qu’il avait dû mal à saisir était les raisons pour lesquelles Charlie avait décidé de passer sous silence. « J’veux bien croire que c’est délicat. Mais toi … tu peux comprendre que j’avais besoin de ma petite amie aussi ? » demanda-t-il finalement en reposant ses yeux sur elle, plongeant ses noisettes dans ses yeux bleus, il voulait lui faire comprendre qu’aussi dur cela aurait pu être pour elle de faire un geste vers lui, il aurait aimé au moins avoir de ses nouvelles. Il avait posé ses coudes sur ses cuisses, liés ses mains entre elle, et la regardait avec un certain air de chiot attristé.

 

Le simple fait qu’il détourne ses yeux d’elle suffit à blesser la jeune femme qui ne pensait sincèrement pas à mal, et elle pensait encore moins lui faire du mal, justement. Elle a l’impression d’être trahie, prenant sans aucune honte le rôle de martyr à la place du jeune homme qui vient pourtant de subir la perte d’un être cher en la personne de son propre père. Charlie est là, pourtant, et elle ne comprend pas pourquoi cela ne lui suffit pas pour être heureux. Il est dans la logique des choses que les parents partent avant leur progéniture, peu importe à quel point cela peut être douloureux. « Un message, un appel, ça t’aurait tué… à toi ? » Elle hausse les épaules, enfant boudeuse qui n’a rien à rétorquer face à son argument. Bien sûr qu’elle aurait pu avoir un geste aussi simple ; elle n’y a simplement pas pensé. Maintenant, elle s’en veut, se rendant bien compte qu’elle aurait pu lui être une présence bénéfique dans une épreuve difficile. “Je sais pas ce que c’est que de pleurer un parent.” Les siens, elle n’en est pas proche. Ils pourraient mourir qu’elle ne serait pas même la première informée : Solveig le saurait avant elle pour leur père. Pour sa mère, bien que seule enfant, elle sait qu’elle n’est pas le contact d’urgence ni rien dans le genre. Elle l’apprendrait par une tante éloignée, une cousine oubliée, un ami de la famille. Quelque chose dans le genre, elle n’en sait rien, n’y a jamais pensé, ne le veut pas non plus. La blonde n’est pas proche de ses géniteurs mais ne leur souhaite pas de mourir pour autant, malgré les confessions faites d’un ton désolé à Hunter, ses yeux baissés, posés sur le banc écaillé.

« J’veux bien croire que c’est délicat. Mais toi … tu peux comprendre que j’avais besoin de ma petite amie aussi ? » - “Je sais. Je suis désolée.” Lutter ne servirait à rien ; elle n’en a de toute façon pas la force. Face au regard qu’il lui tend, elle perd toute force, toute envie de se battre aussi. Ce n’est pas qu’elle baisse les bras, loin de là, elle se rend simplement à l’évidence qu’elle doit aller en son sens plutôt que de tenter de faire valoir sa parole qui ne vaut rien. Elle a tort, et à défaut d’être capable de l’avouer oralement, elle peut au moins tenter de réparer ce qui peut encore l’être, tenant sincèrement à Hunter quand bien même ses sentiments pour lui ne pourront jamais être qualifiés d’amoureux. La mâchoire serrée, Charlie déglutit silencieusement, se replaçant à la même hauteur que l’adolescent par la même occasion. Assise à ses côtés sur le dossier du banc, elle laisse finalement sa tête retomber contre son épaule sans un mot supplémentaire. “T’as besoin de quoi, alors ?” Puisqu’elle n’a aucune idée de comment s’y prendre proprement, elle préfère demander, aviser, anticiper. Son ton est bas, elle n’aime pas l’idée de dépendre de qui que ce soit mais doit pourtant s’y résoudre en cet instant, pour le bien du brun. “Tu peux venir chez moi si tu veux. Pour pas être seul.” Pour ne pas qu’elle soit seule non plus, la solitude atteignant ses limites après quelques secondes à peine chez la jeune femme.

octobre 2010. Le monde de Hunter venait de s’écrouler autour de lui. Cette dernière année écoulée avait été un enfer. La maladie de son père avait débarqué de nulle part et en seulement quelques mois, avait tout dévasté sur son passage. Lorsqu’il posa les yeux sur Charlie, il se disait qu’il ne méritait même pas l’attention de sa propre petite amie lors d’un moment aussi difficile. Elle ne semblait pas comprendre à quel point son absence l’avait touché, peut-être aussi parce que le jeune garçon ne s’était pas montré très démonstratif envers elle… Toutefois, il décida de parler, de lui dire ce qu’il avait sur le cœur, et même son silence radio avait eu raison de lui. N’aurait-elle pas pu l’appeler ou au moins lui envoyer un message ? Il comprit à son regard boudeur qu’elle ne savait pas quoi répondre à ces reproches. En faisait-il trop ? Hunter était perdu. « Je sais pas ce que c’est que de pleurer un parent. » Hunter leva les yeux au ciel, un haussement d’épaules trahissant son désarroi après une telle réponse. « Qui peut le savoir avoir de l’avoir vécu ? » finit-il par dire en regardant face à lui. « Je ne te demandais pas de savoir quoi dire, ou quoi faire… Je te demandais juste d’être là. » reprit-il alors en tournant la tête pour lui adresser un petit regard innocent, alors qu’il sentait sa gorge se serrer. Lui le premier n’aurait jamais su comment agir si elle avait été à sa place.

Hunter n’avait pas la force d’en vouloir à Charlie, il en voulait déjà à la terre entière – alors, pourquoi elle ? Pourquoi elle ne lui facilitait pas la tâche ? « Je sais. Je suis désolée. » Il se pinça les lèvres, tentant de faire taire sa fierté pour lui pardonner aussitôt, ce n’était pas si facile mais il n’avait pas la force de la combattre bien plus… Le silence se faisait entendre et Charlie se hissa à la même hauteur que lui sur le banc. Les deux jeunes gens semblaient embêter de se retrouver dans cette situation. « T’as besoin de quoi, alors ? » dit-elle pour rompre le silence, la tête posée sur son épaule, Hunter jouait avec ses doigts. « Tu peux venir chez moi si tu veux. Pour pas être seul. » Il eut un mince sourire sur le visage, remarquant qu’elle essayait de se racheter, de faire des efforts pour se montrer présente après ces quelques jours d’absence. « Pourquoi pas. » murmura-t-il entre ses dents. « Je ne veux pas m’imposer. » continua-t-il, sentant un vide au fond de son estomac. Il ne savait pas comment il allait faire maintenant, comment allait-il pouvoir apprendre à vivre sans son père ? Tout paraissait nul, et sans aucun intérêt. « Mais pas longtemps. Je peux pas laisser ma mère. » expliqua-t-il finalement, car maintenant sa mère était sa seule priorité – il apprendrait avec le temps que sa mère deviendrait la seule chose pour laquelle il aurait envie de se battre, les personnes de son entourage partant les uns après les autres.



 

« Qui peut le savoir avant de l’avoir vécu ? » Personne, c’est certain mais cela ne l’aide pas non plus : sans savoir ce qu’il pouvait vivre, elle a été incapable d’agir comme elle l’aurait dû. Charlie se mord l’intérieur de la joue, incapable de trouver de quoi lui répondre et à ça de souhaiter avoir connu la mort d’un être proche. « Je ne te demandais pas de savoir quoi dire, ou quoi faire… Je te demandais juste d’être là. » Ce qui est compréhensible, même pour un être aussi borné que la blonde. Ce qu’elle n’arrive pas à comprendre, cependant, c’est qu’il ne lui en parle que maintenant et lui reproche donc un passé qu’elle n’a pas la pouvoir de modifier. Maintenant elle en rêve, pourtant, parce qu’elle sait qu’Hunter ne méritait pas de souffrir doublement dans cette épreuve.

Ainsi, ravalant sa fierté, elle sait que le mieux qu’elle peut faire en cet instant reste encore de s’excuser. Ce sont des mots qu’elle partage sincèrement avec lui, ne cherchant pas simplement à faire taire une possible dispute entre eux. En signe de sa bonne foi, l’adolescente vient même se poser à ses côtés sur le banc, déjà prête à prendre sa main dans la sienne et à oublier tous les maux du monde. Ils sont trop jeunes pour être aussi tristes. La tête posée contre son épaule, Charlie lui propose finalement de venir passer quelques jours chez elle pour pallier à la solitude. Elle déteste être seule, alors peut-être qu’il en est de même pour lui, surtout en cette période de deuil. Sans toujours savoir quoi lui dire, c’est au moins une chose qu’elle peut faire, n’en ayant rien à faire de l’avis de sa mère (et logeuse) à l’idée d’héberger un garçon chez elles. « Pourquoi pas. » Elle sourit déjà contre son épaule, heureuse et soulagée qu’il ne rejette pas l’idée. Il semble manquer de conviction et elle se contente de penser qu’il est sur la retenue, ce qu’elle ne peut lui reprocher après les mots difficiles qu’ils se sont échangés. « Je ne veux pas m’imposer. » - “Si c’est moi qui propose, tu ne t’imposes pas.” Charlie reprend doucement ses propres mots sans laisser le silence s’installer, soucieuse que cette idée ne prenne pas plus d’ampleur en lui. Il ne s’impose pas, loin de là. Elle aussi, elle a besoin de quelqu’un à ses côtés, sans même vivre un deuil. Il est sa personne. « Mais pas longtemps. Je peux pas laisser ma mère. » Sa réaction est bien normale et Charlie ne peut qu’être de son avis. Sa tête se relève brièvement, le temps pour elle de déposer un simple baiser, rassuré, contre sa joue. “Tu repars quand tu veux.” Mais elle, elle ne le chassera jamais, c’est déjà une certitude. Il sera chez lui dans la demeure de Villanelle. “Elle le vit comment ? Tu crois que je pourrais lui envoyer des fleurs ?” Les adultes envoient des fleurs quand les choses ne vont pas bien, alors la jeune femme ne fait que suivre l’exemple de ses aînés, ayant quelque peu hésité avec l’option des chocolats. Hunter saura bien mieux qu’elle ce dont sa mère a besoin et à défaut d’avoir pu être là pour lui, elle essaye de l’être pour celle qui a mis au monde ce garçon qu’elle aime tant.

octobre 2010. Hunter était désarçonné, il n’avait plus la force de se battre contre quiconque. Il avait baissé les armes, et il s’était senti partir en même temps que son père. Il n’avait plus cette lumière qui l’habitait, et étrangement il savait déjà que sa vie allait drastiquement changer. Il avait envie d’en vouloir à Charlie pour ne pas avoir été là, pour s’être portée absente alors qu’il avait eu besoin de sa présence. Mais c’était impossible, il n’avait pas la force de se battre plus longtemps, il tentait seulement de lui faire comprendre qu’elle aurait dû faire autrement… Il aurait juste voulu qu’elle soit là, qu’elle fasse partie des épaules sur lesquelles il aurait pu se reposer. Il voyait dans ses yeux qu’elle s’en voulait de ne pas avoir su quoi faire, il voyait donc qu’elle était sincère dans ce qu’elle pouvait dire et Hunter n’avait pas envie de tergiverser plus longtemps sur ce sujet. Il baissait les armes.

Assis inconfortablement sur le dossier de ce banc, il soupirait – ne sachant plus trop quoi faire non plus à vrai dire. C’était un sentiment d’apaisement qui vint l’envahir quand la rouquine vint enfin poser sa tête contre lui, il se sentait au moins soutenu, juste un peu moins seul… et ce n’était pas un sentiment négligeable quand on vivait un deuil. Hunter se posait déjà mille et une questions sur la suite, notamment au sujet de sa mère. Il était trop jeune pour devoir se comporter comme un homme, mais apparemment la vie avait décidé de le propulser sur le devant de la scène, il allait devoir se retrousser les manches, quitte à oublier qui il était vraiment… Charlie brisa ce silence pour lui proposer de venir chez elle, il avait haussé les épaules ne sachant réellement si c’était une bonne idée ou non. « Si c’est moi qui propose, tu ne t’imposes pas. » Il sourit alors qu’elle ne pouvait pas le voir. Alors, il finit par accepter et lui dire qu’il ne resterait pas longtemps, surtout par rapport à sa mère, il n’avait pas envie de la laisser seule. Même s’il savait qu’elle ne l’était jamais réellement, entre la famille, les voisins et les amis, tout le monde s’inquiétait pour elle. « Tu repars quand tu veux. » répondit-il d’un ton doux, Charlie était la douceur incarnée, elle prenait toujours le soin d’apaiser les tensions et avait le don inné de calmer tout ce qui l’entourait – évitant soigneusement le conflit. « Elle le vit comment ? Tu crois que je pourrais lui envoyer des fleurs ? » Hunter tourna la tête pour plonger ses yeux dans les siens, presque reconnaissant qu’elle puisse faire un tel geste. « Ca lui ferait plaisir, j’en suis sûr. » répondit-il simplement, au moins Charlie n’imposait pas sa présence à sa mère car cette dernière adorait être une hôte d’exception et elle aurait tout fait pour se comporter toujours comme telle, prenant soin de cacher sa peine. « Elle s’évertue à faire semblant devant les gens qu’elle ne connaît pas très bien. » expliqua-t-il finalement, pour lui confirmer que c’était une bonne idée de se montrer présente moralement, mais pas forcément physiquement. « Tu veux qu’on bouge ? » finit-il par dire pour enchaîner, et couper court à cette conversation.

 

L’impuissance est aux yeux de Charlie le pire sentiment qu’il soit et le fait de ne pas arriver à le combattre rend les choses d’autant plus difficiles encore. Elle agit donc comme elle le peut, avec les quelques armes à sa disposition, usant de toute la délicatesse possible pour rassurer Hunter. Elle l’aime et elle ne comprend pas comment cela ne peut pas suffire, comment ce sentiment qu’elle éprouve à son égard n’arrive pas à soigner tous ses maux. A quoi bon aimer une personne si cela signifie la regarder souffrir impuissamment ?

A défaut d’être capable de trouver une solution pour Hunter, elle essaye de le faire pour sa mère, espérant ainsi pouvoir lui enlever un poids sur les épaules. La jeune femme répond à son regard sans mal, sans peur non plus. « Ça lui ferait plaisir, j’en suis sûr. » Alors c’est ce qu’elle fera, choisissant à ses yeux les plus belles fleurs qui soient, mélangeant entre elles les couleurs. Elle n’y connaît rien en la matière mais elle veut sincèrement bien faire, alors elle ne doute pas y arriver. Après tout, ce sont des fleurs ; impossible de faire un faux-pas avec des fleurs. Lui faire envoyer des fleurs lui permet aussi de ne pas avoir à la regarder en face et à lire toute la tristesse dans ses yeux. Lâchement, elle trouve que ce scénario est le meilleur qu’elle puisse trouver. « Elle s’évertue à faire semblant devant les gens qu’elle ne connaît pas très bien. » Et lui en fait de même, sans sûrement s’en rendre compte. Charlie hoche à nouveau la tête pour lui confirmer avoir entendu ses explications et les avoir comprises. Sa mère n’est pas sa priorité, c’est un fait, mais s’il est rassuré au sujet de son sort alors elle se sent un peu mieux. La blonde passe une main amoureuse et émue dans ses cheveux, rassurée qu’ils soient de nouveau capable de dialoguer. Ses doigts glissent jusqu’à sa joue qu’elle caresse doucement, pensant ainsi pouvoir le rassurer quelque peu. Chaque chose en son temps et un jour, il ira réellement mieux. « Tu veux qu’on bouge ? » Plus que tout au monde, elle ne rêve finalement que de ça. S’en aller d’ici, oublier tout ce qu’ils ont pu se dire, passer à autre chose et tenter de soigner ses plaies et maux invisibles.

Charlie se lève la première, sa main prisonnière de la sienne pour être certaine qu’il ne traîne pas de trop et la suive effectivement. Pour être rassurée par sa présence, aussi, comme elle le sera lors de ces quelques jours qu’il s’apprête à passer chez elle. “J’ai une maison à te faire visiter.” Il pourra emménager dans quelques jours s’il le souhaite, mais pour la blonde il est important de lui prouver qu’elle a pensé et pesé le moindre de ses mots : il est le bienvenue dans son petit cocon, il le sera pour autant de temps qu’il le désire.