| the wars to come | macroco #3 |
| | (#)Jeu 17 Juin 2021 - 20:04 | |
| La redescente est violente mais heureusement, les bureaux sont presque vides. La soirée est épuisante et brûlante, en plus de ça. La lumière est difficile à supporter, pour les yeux bleus de l'italien. Penché sur son bureau, il tente de faire taire l'acouphène qui ruine sa perception du monde, déjà brouillée par autre chose. Un peu de poudre blanche est restée au bord de son nez, vestige d'une euphorie trop vite passée. La journée a été terriblement éprouvante. Devant ses yeux, les coordonnées de Megan Monroe, la gamine que Damon épousera bientôt. Elle a gardé quelques copies et quelques photos volées d'elle et de son amant. Saül est rodé aux menaces et au chantage, mais ce cas-ci a été particulièrement difficile. Elle ne s'est pas laissée faire, la gamine. Elle ment presque aussi bien que lui. Et maintenant, il faut l'annoncer à Damon.
La respiration un peu calmée, Saül avale quelques cachets pour le cœur. Les palpitations arrêtées, il empile les papiers destinés à présenter Megan à Damon. Quelques photos éparses et une poignée de documents officiels obtenus après des coups de téléphone passés aux bonnes personnes. Du coin de l'œil, Saül lorgne le canapé. Il y passera probablement la nuit. Ses sens sont trop émoussés pour qu'il ne se risque à rentrer auprès d'Ariane. Abel ne mérite pas de voir son père dans cet état. C'est un sacrifice, oui. C'est ce dont se persuade l'homme d'affaires. Le mariage de son fils aussi est un sacrifice. S'il se le répète assez, peut-être finira-t-il par y croire ?
Et puis, il y a Angus. Son dossier est caché dans le bureau de Saül, qui refuse d'imaginer ce qu'il réserve à ce garçon. Il ne sait rien de la sentence infligée à Damon, pas plus qu'il ne sait ce qui l'attend à son retour au bureau. L'index de l'italien bat la mesure sur la surface qui se trouve sous ses mains. Dans cette situation, il aurait bien besoin de quelqu'un pour le conseiller. Pour le raisonner. Il n'écoutera personne, bien sûr. La machine est trop bien lancée.
Soudain, le cri sourd dans son oreille se tait pour laisser place à autre chose. Un craquement léger. Saül relève les yeux. « J'ai pas besoin de tes commentaires. » Des phrases plus courtes, chuchotées, pour ne pas faire revenir à la charge l'horrible sensation qui prédominait dans ses oreilles il y a encore quelques instants. Marcus quitte le bureau, ou peut-être vient-il d'arriver. Nuit ou matin ? Saül ne sait plus les discerner, en cet instant. « C'était une excellente journée. » Comment pourrait-il tout expliquer à Marcus sans perdre cet ami qui, malgré les mots de Saül, est toujours le premier à venir constater l'état dans lequel se met son patron ? Malgré ses traits tirés, c'est un sourire qui flotte maintenant sur le visage de l'homme d'affaires. Il a déjà gagné les guerres à venir. Tout est en ordre et tout le restera, au moins jusqu'à la prochaine catastrophe. |
| | | | (#)Ven 16 Juil 2021 - 6:04 | |
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Il était encore dix-sept heures à Perth, se disait souvent Marcus lorsque ses journées prenaient fin à cette heure-là -si elles prenaient réellement fin lorsqu’il passait les portes du bâtiment. Il y avait toujours quelque chose à faire, un problème à régler, une décision à prendre, des données à prendre connaissance ; feedbacks d’anciennes campagnes, déroulement de celles en cours, planification des prochaines, anticipation des attentes, des souhaits, des tendances, innovation dans les leviers utilisés, nouveaux champs lexicaux, segmentation, ciblage, résultats surtout. Et s’il était toujours dix-sept heures quelque part alors il restait un mail à envoyer, d’autres à recevoir, et autant d’excuses pour repousser le moment où il quitterait le confort de sa chaise de bureau. Pourtant l’australien aimait son chez lui, son confort, son calme ; ces moments où il s’installait dans ce fauteuil face à la baie vitrée en ne faisant rien d’autre que regarder la nuit. Seulement, il était devenu plus compliqué d’être seul à seul avec ses pensées lorsque celles-ci tournaient exclusivement autour des révélations de son frère. Il était hanté, Mac, plus qu’il ne voulait l’admettre, par la vision imaginaire du cadavre que Caelan avait abandonné sur la route ce jour-là, même s’il n’avait jamais été présent au moment des faits, même s’il n’en avait eu connaissance que quelques semaines plus tôt. Il était tiraillé, l’aîné des Leckie, entre la conviction de faire ce qui était juste en reniant son frère jusqu’à ce que celui-ci fasse quelque chose pour équilibrer la balance après les fautes qu’il avait commises, et la culpabilité de mettre la famille entière à l’épreuve, de les tirailler, par sa volonté de le responsabiliser. Le travail, au moins, demeurait un domaine dans lequel il excellait toujours.
Alors que ses yeux quittèrent la luminosité éclatante de l’écran de son ordinateur l’espace de quelques secondes, Marcus remarqua que le service s’était vidé et que son bureau était le dernier espace éclairé. Il ôta ses lunettes, se frotta les yeux et rabattit ses cheveux en arrière. Time to go. S’il payait une visite à Saül, probablement encore présent lui aussi, il volerait encore une heure ou deux à sa future solitude. C’était un plan. Ainsi il se rendit à l’étage et trouva le Williams sans surprise. Il avait toujours les traits tirés, la ride du lion de plus en plus creusée, le regard bien trop sérieux, l’air sévère et désabusé. Il ne s’était toujours pas mis à la crème hydratante non plus. Son remède contre l’âge était tout autre, à en juger par l’ombre blanche sous sa narine. “T’as un truc, là.” indiqua Mac en pointant son propre nez. « J'ai pas besoin de tes commentaires. » Oh well. “Moi qui allait complimenter ta cravate.” Ou simplement lui répéter une énième fois la blague de la couverture qui tombe du lit (et qui dit “oh sheet”). Il était un enfant des années 80, prémices de l’épidémie de la dépendance, et il avait rejoint la grande ville pour l’université ; le Leckie avait vu la poudre envahir les rues et le campus depuis qu’il était jeune. Probablement la moitié de son service dissimulait une paille dans la poche intérieure de sa veste. Il n’était ni étonné, ni contrarié, ni déçu. Cependant, il doutait que le mix poudre, alcool et médication pour le cœur fassent particulièrement bon ménage.
« C'était une excellente journée. » commenta finalement Saül. Marcus, lui, pénétra dans le bureau, ferma la porte derrière lui et s’installa dans le canapé qui servait de lit de fortune à son ami bien trop souvent à son goût. Une fois assis, jambes croisées dévoilant l’une de ses paires de mocassins préférées d'un jaune moutarde fringuant, mains jointes sur ses genoux, il scruta une nouvelle fois l’italien. Le sourire n’était pas là trente secondes plus tôt. “J’en doute pas, qu’est-ce qu’on fête ?” Ils avaient l’embarras du choix : l’avancée de sa seconde crise cardiaque, son premier dollar ne servant pas à éponger une dette ou le simple fait que son nom soit toujours sur la porte.
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| | | | (#)Jeu 29 Juil 2021 - 19:15 | |
| Dans les bureaux, le silence est d'or et la tranquillité œcuménique. Plus une feuille ne tremble, les pas des employés ont cessé de battre la mesure. Les chuchotements, les ragots, le chuintement de l'ascenseur... Tout est arrêté pour de bon, jusqu'au matin suivant. Saül a passé une journée éreintante mais tout à fait productive. Entre les mains de la gamine, les papiers qui assurent à Damon une tranquillité d'esprit toute relative; à moins que la tranquillité soit pour Saül, instigateur de la catastrophe que sera sûrement ce mariage ? « T’as un truc, là. » D'une réplique mauvaise, l'italien écarte le commentaire de son ami. Pour autant, c'est d'un geste d'habitué qu'il ôte la poudre qui se trouve encore sur son nez. Au bord de son bureau, la neige blanchit encore le bois. D'un geste désinvolte, Saül efface les traces de sa dernière crise de la quarantaine. Méfait accompli. « Moi qui allait complimenter ta cravate. » Le regard de l'homme d'affaires se porte sur la cravate sobre qu'il porte, une cravate que Ariane doit haïr. Le sourire de Saül est bien la seule chose qu'il a à offrir à un Marcus bien décidé à se moquer de son patron. L'australien ne sait pas encore de quels mots il devra s'armer face à la nouvelle que Saül s'apprête à lui annoncer.
Marcus fait comme chez lui et il est bien le seul à en avoir le droit, Saül se carre dans le fond de son siège. « J’en doute pas, qu’est-ce qu’on fête ? » Le regard de l'italien se pose sur les chaussures de son ami. « Tes chaussures sont affreuses. » Dit avec un sourire pareil, la critique pourrait presque apparaître comme un compliment. C'est en prenant tout son temps que Saül extirpe du dessous de son bureau une jolie bouteille de rhum qu'il réservait pour les soirs les plus rudes. Elle aura finalement une fin plus glorieuse. C'est sans lésiner que Saül sert deux verres, dont un qu'il apporte à son ami. « Ton filleul est indiscipliné. » Damon est toujours le filleul, le fils ou le neveu de quelqu'un d'autre, quand il s'agit de faire des critiques à son sujet. « Mais il a au moins une qualité: il sait être raisonnable. » Les verres tintent alors que Saül rejoint son bureau. Son sourire n'est plus aussi éclatant, mais il est bien présent. « Il va se marier à une jolie petite blonde. » L'air de rien, Saül insiste sur le genre de la gamine.
Après une gorgée de rhum, Saül vient attraper la photo de Megan Monroe, qu'il présente à Marcus comme on présenterait un trophée. « Voilà ce qu'on fête. » Il dévoile qu'il est à l'origine de tout, l'imbécile, trop préoccupé par sa victoire plutôt que par le bonheur de son fils. Ce dernier n'est d'ailleurs pas encore au courant qu'il rencontrera bientôt sa promise. Peut-être que Damon s'attend encore à échapper à son funeste destin. « Elle est photographe. » Un rire s'échappe de la gorge de l'homme d'affaire. « Bon, Cosimo n'est pas encore au courant. C'est le hic. » Un haussement d'épaules plus tard, Saül range la photo volée de la gamine dans la pochette dédiée. Celle qu'il a montrée vient s'ajouter à la pile des photos prises en compagnie de son amant. Encore un élément à écarter - mais Saül n'est plus à ça près. |
| | | | (#)Lun 9 Aoû 2021 - 1:32 | |
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« Tes chaussures sont affreuses. - Tes cernes sont affreuses. » Mais ce n’était pas ce soir-là non plus que Saül allait enfin prendre en compte les conseils de Marcus en terme de self-care, ni que celui-ci accorderait le moindre crédit aux critiques vestimentaires du seul italien au monde dont la garde robe était d’un ennui mortel ; en somme, à la fin de cette petite joute, ils n’avaient rien fait d’autre qu’échanger des banalités bien à eux. Et dans la continuité des habitudes des deux hommes d'affaires, l’apparition d’une bouteille d’alcool et de deux verres. Ils fêtaient donc bel et bien quelque chose. « Ton filleul est indiscipliné. » Venant de Saül cela sonnait comme un compliment, songeait Mac en saisissant le rhum qui lui était offert. “Pour n’en faire qu’à sa tête il a appris des meilleurs.” C’était de la génétique, d‘après lui, un trait commun à tous les Williams et la raison principale de toutes leurs discordes. Chacun faisait ce qui lui plaisait tout en exigeant des autres qu’ils se plient à eux. Mac n’était pas en reste dans la catégorie des têtes de mule, mais il faisait preuve de subtilité en comparaison avec les italiens. « Mais il a au moins une qualité: il sait être raisonnable. » Et cela, en revanche, ne présageait rien de bon. Être raisonnable, lorsque l’on avait fait Massimo en seconde langue, signifiait qu’il était simplement parvenu à plier quelqu’un à sa volonté ; ce quelqu’un étant Damon, suite aux crises qu’ils venaient d’essuyer, l’australien se permit une moue dubitative. Ce garçon n’avait-il pas assez subi en un an ? « Il va se marier à une jolie petite blonde. » La gorgée de rhum manqua d’emprunter la mauvaise direction, la brûlure s’en ressentit jusqu’aux sinus, la gorge enflammée força une quinte de toux. Marcus n’était que questions et stupéfaction. En reprenant son souffle, il jetait un coup d’oeil vers le portait de la femme trophée en devenir. Conjurant le mal par le mal, ce fut une nouvelle gorgée d’alcool qui remit le brun d’aplomb. « Elle est photographe. - Et dans les standards Williams c’est une bonne situation, ça, photographe ? » Pas “fille de”, pas dans l’immobilier, la banque, le cinéma ; Damon aurait pu se trouver une photographe sans que cela ne le surprenne, mais Saül ne l’aurait pas pris avec un tel sourire si cela ne pouvait pas lui être profitable d’une quelconque manière à terme. « Bon, Cosimo n'est pas encore au courant. C'est le hic. » Cette fois, la paume entière de Marcus vint s’écraser sur son propre visage dans un soupir de profond dépit. Il se frotta les yeux sans avoir la naïveté de croire que cela lui permettrait de s’arracher à un mauvais rêve. Et il pensait que plus rien ne pouvait l’étonner de la part de Saül Williams. “T’appelles ça un hic ?” Voilà la seule chose qui parvint à verbaliser sur le moment -ce qui ne traduisait pas un ersatz de sa pensée. Marcus quitta le confort du canapé afin d’effectuer quelques pas dans le bureau. Il voyait la légèreté avec laquelle son ami décidait de sceller le destin de son fils de la pire des manières et ne pouvait s’empêcher de se demander quel fusible avait lâché pour que l’italien perde la lumière à tous les étages. Le pire étant qu’il était impossible de remettre en question sa lucidité ; c’était lui, il était capable de ce genre de choses. Mac aurait simplement espéré qu’il saurait tempérer ses élans conservationnistes. Il finit par se figer dans la pièce, pinçant l’arrête de son nez comme si la migraine le menaçait d’avance. “Saül, le treizième siècle a appelé et veut que tu lui laisses ses mariages arrangés.” Non, la Renaissance n’avait pas que du bon. “Qu’est-ce qu’il te prend ? il reprit en s’avançant vers le bureau. Il est jeune, il a tout le temps du monde pour se trouver quelqu’un comme il faut et te donner une demi-douzaine de petits-enfants pour assurer la lignée, ou que sais-je. T’as pas besoin d’en arriver là.” A moins qu’il en ait besoin. Le regard de Marcus se posa sur la pochette dans laquelle le visage de la jolie petite blonde venait de disparaître. “Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?” il demanda, non sans appréhension. Il fallait parfois savoir poser les questions dont on ne voulait pas les réponses.
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| | | | (#)Sam 11 Sep 2021 - 4:29 | |
| tw. homophobie. Ce qu'on fête, alors ? L'entrée en scène d'un personnage tout à fait inattendu mais qui aura le mérite de remettre Damon dans le droit chemin. « Et dans les standards Williams c’est une bonne situation, ça, photographe ? » Il l'a bien vu, Saül, le regard de son meilleur ami. Il l'ignorera quelques temps encore, le temps de célébrer sa victoire sur l'indécence de l'aîné de ses fils. Lorsque Damon se range, quand il est obéissant, il est son fils, bien sûr. Un garçon dont il peut être fier et qui marche tout droit dans les pas de son père. Un chemin fait boulet chaîné au pied. Un chemin misérable, mais un chemin qui vaut mieux que le reste. « C'est une... situation. » Une situation meilleure que celle dont a été témoin Saül. Une situation qui sauvera Damon du destin que Saül lui a imaginé, plein de honte. Bien sûr, il est plus honorable de vivre un mariage malheureux et d'avoir des à-côtés divulgués que d'emprunter l'autre voie.
La moue dépitée de Marcus arrache à Saül un regard interloqué. Bien sûr qu'il devait réagir comme cela, l'homme aux chaussures affriolantes. « T’appelles ça un hic ? » Agitant les mains, Saül tente d'écarter le petit "hic" qui se dresse encore entre la signature du mariage et son fils. « C'est une formalité. Appelle ça comme tu veux. » Le geste désinvolte de Saül pourrait presque laisser penser qu'il n'est qu'en train de chasser un vulgaire insecte de sa vue. Les enjeux sont pourtant bien réels. Mais quand Damon sera confronté à son père, il n'aura pas le choix. Les deux hommes ont déjà discuté de ce que Damon ne devait pas faire, il ne reste plus qu'à lui expliquer ce qu'il fera ensuite, maintenant que tout est rentré dans l'ordre. Le plus gros du travail est déjà fait et après tout, c'est Saül qui s'occupe de tout. Ah, ce qu'il devrait s'estimer chanceux, Damon, d'avoir un père qui veille aussi bien sur lui. « Saül, le treizième siècle a appelé et veut que tu lui laisses ses mariages arrangés. » Un grand soupir s'échappe de la bouche de l'italien qui se laisse tomber dans son siège. « Marcus, par pitié... » L'homme d'affaires secoue la tête alors que ses supplications ne font pas du tout taire son homologue. « Qu’est-ce qu’il te prend ? Il est jeune, il a tout le temps du monde pour se trouver quelqu’un comme il faut et te donner une demi-douzaine de petits-enfants pour assurer la lignée, ou que sais-je. T’as pas besoin d’en arriver là. » « Non il n'a pas le temps, Marcus. » Saül se redresse dans sa chaise, plante ses yeux dans ceux de son ami. « Je l'ai laissé trop loin de moi et trop longtemps. Il a pris de mauvaises habitudes. Tu sais qui il fréquente ? » Le nom de Angus s'échappe presque d'entre ses lèvres, mais Saül a trop honte de son fils pour en informer le parrain de ce dernier. Ses yeux restent pourtant vissés à ceux de Marcus. « Je n'ai pas besoin de t'expliquer que c'est un mauvais choix. Tu as très bien compris pourquoi. Ou alors tu n'as pas passé assez de temps avec lui pour comprendre ? » Comprendre qu'il est comme toi, qu'il voudrait ajouter, de la plus insultante des façons. Rien n'arrache plus la langue de Saül que de constater avec amertume qu'il ne peut pas, même pas toutes ses années, se confronter aux préférences de son meilleur ami en matière de compagnie.
La mâchoire serrée, Saül sent qu'il est déjà allé trop loin. Le ton n'est plus à la célébration. Le ton est amer et le regard de Saül suit la tendance. Les yeux de Marcus, eux, trouvent le chemin de la pochette où a disparu le minois de Megan Monroe. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? » « Un CV informel. » qu'il lâche, la voix corrosive. « Je n'avais pas le choix, Marcus, d'accord ? Damon non plus. J'arrange tout le monde. Et la gamine... Tout ça lui convient. » Pas vraiment, mais elle saura faire avec. « Et que ça te convienne ou pas, c'est exactement pareil. Tu n'as pas ta voix au chapitre. » Personne ne l'a jamais eue, sinon le quarantenaire aux yeux brillants, qui se retrouvera seul plus vite qu'il ne le pense alors. |
| | | | (#)Lun 18 Oct 2021 - 19:53 | |
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Pieds joints, Marcus avait atterri dans une autre dimension. Du moins aurait-il préféré que cela soit le cas. Marvel venait d’introduire le multivers après tout, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir une brèche de leur côté aussi. La question serait alors comment retourner dans la réalité alternative où Saül ne lui annonçait pas avoir arrangé le mariage de son propre fils à son insu, où son meilleur ami n’était pas en parfaite roue libre, où tout ceci n’était qu’un mauvais rêve ou une blague de mauvais goût que l’italien lui révélerait dans une poignée de secondes, si fier de s’être payé sa tête. Mais les soirées devant Disney + avec les enfants de Norah lui faisaient seulement espérer l’improbable, quand la réalité était bien là. Pour le Williams, le consentement de son fils devrait être une priorité et non une formalité, néanmoins le disjoncteur moral de l’italien avait sauté et le voilà sans rien pour freiner ses élans démagos. Marcus, lui, était aussi atterré qu’on puisse l’être. Au fond, bien qu’il espérait pouvoir encore retourner la situation, raisonner son ami, il le voyait dans son regard : c’était fait, et rien ni personne n’était en mesure de le faire revenir sur sa décision. Les paroles du brun étaient vaines, un gâchis de souffle et de salive, cependant comment pouvait-il se résigner à être le témoin de pareille folie sans rien dire ? Il ne cessait de se répéter que Damon n’avait que vingt ans. Où étaient-ils, eux, à vingt ans ? Dans quelle soirée étudiante, dans quel amphithéâtre, où l’idée même de se marier n’était qu’un vague concept lointain pour lequel ils avaient la vie devant eux ? « Non il n'a pas le temps, Marcus. Je l'ai laissé trop loin de moi et trop longtemps. Il a pris de mauvaises habitudes. Tu sais qui il fréquente ? - Il se cherche. » La réponse est sèche, ferme, comme on rendrait une claque tout juste réceptionnée. Non, il ne sait pas qui, mais ses récentes conversations avec Damon avaient introduit des questionnements dont il ne pouvait pas faire part à son père.
Le Leckie posa son verre et appuya ses deux mains sur le bureau. Penché vers Saül, il lui adressait un regard défiant. Il avait banni la honte depuis bien assez longtemps pour regarder son ami dans les yeux lorsque celui-ci s’élançait sur cette pente glissante. « Je n'ai pas besoin de t'expliquer que c'est un mauvais choix. Tu as très bien compris pourquoi. Ou alors tu n'as pas passé assez de temps avec lui pour comprendre ? » Il pouvait prendre sur lui, Mac, il pouvait encaisser. Il sentait le coup droit dans son ventre et serrait les dents mais il en avait vu d’autres, entendues d’autres, même de la part de Saül. La déception n’était pas moins grande et l’odeur acide de la nausée que cela lui suscitait titillait ses narines. Au moins ils étaient deux à se filer la gerbe. “Je croyais que tu avais passé assez de temps avec moi pour comprendre qu’il n’était pas question d’un choix ni d’une mauvaise habitude.” C’était naïf de penser que le Williams le voyait comme une personne entière, un individu tel que lui, et non comme il ne savait quel genre d’handicapé, de sous-humain affublé d’une tare. Une tare dont il détournait le regard avec un haut le cœur. Quelque chose qu’il tolérait plus qu’il ne l’acceptait. Il était son meilleur ami, après tout, non ? Ils étaient supposés avoir dépassé ça. “Mais on en est toujours là.” L'affection sous conditions, Mac avait composé avec. Ils étaient amis tant qu’il n’était pas trop gay pour lui. Etant donné l’environnement duquel venait l’Italien, il avait compris, il avait été le plus ouvert d’esprit des deux. La balance s’équilibrerait avec le temps, Saül finirait par changer de regard. Cela avait probablement été prétentieux de sa part, de croire qu’il pouvait le guérir de son lavage de cerveau, l’arracher à l’influence de la doctrine familiale, l’aider à faire machine arrière. Vingt ans plus tard, le brun réalisait qu’il n’était arrivé à rien. Sa tête dodelinait avec déception. Est-ce que son meilleur ami avait honte de lui ? Sans doute. Étaient-ils amis juste parce que Marcus était le seul capable de le supporter aussi longtemps ? Probablement. Oui, la paternité de Damon n’était finalement pas le seul mensonge vieux de vingt ans.
Damon. Il n’était pas question de la fierté heurtée de Marcus ou de la cruauté de Saül à son égard. C’était à propos de lui. Avec raison, l’australien se pencha sur le cas de cette fameuse pochette qu’il soupçonnait de contenir toutes les explications de la manœuvre du Williams. Celui-ci, plus braqué qu’il n’avait le droit de l’être de l’avis de Mac, gardait jalousement le contenu pour lui seul. « Je n'avais pas le choix, Marcus, d'accord ? Damon non plus. J'arrange tout le monde. Et la gamine... Tout ça lui convient. Et que ça te convienne ou pas, c'est exactement pareil. Tu n'as pas ta voix au chapitre. » No kidding. “Bien.” Il se redressa, termina son verre. Il ne leur ferait pas plus perdre leur temps à tous les deux. Il ne lui laisserait pas plus d’occasion de se montrer insultant ou de prouver que leur prétendue fraternité n’était qu’une vaste supercherie. Encore une fois, il serait le moins obtus du duo. Peut-être parce que faire autrement l’obligerait à renoncer à plus de vingt ans d’amitié. “C’est ta honte que tu lui fais payer, Saül. Ta honte à toi seul. Tu lui fous ce poids sur les épaules et c’est injuste.” Sur le canapé, Marcus récupéra sa veste et sa serviette. Il pourrait au moins lui dire d’aller se faire foutre, mais quel bien cela ferait à qui que ce soit ? “Si t’avais bien une chance de faire les choses bien vis-à-vis de ce garçon, c’était là.” Mais même son fils n’était pas épargné par l’affection sous conditions de Saül. Personne ne l’était.
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| | | | (#)Lun 15 Nov 2021 - 2:23 | |
| C'est une drôle de chose que d'organiser le mariage de son fils - sous la contrainte - en 2021. C'est une drôle de chose que d'essayer d'en expliquer les raisons à son meilleur ami et que celui-ci n'approuve pas du tout. Nonobstant, c'est à cela que servent les amis : à dire quand les autres font de la merde. Et la merde, Saül y est plongé jusqu'au cou. S'il ne met pas un terme à ce déferlement de crises plus pénibles les unes que les autres, bientôt tout ce qu'a bâti l'italien finira par se casser la figure. Et cela ne peut arriver, cela ne se peut pas alors que les choses rentrent enfin dans l'ordre et que partout - et surtout à la maison - tout va bien. Abel va bien. Ariane va bien. Les comptes vont bien et tout remonte lentement dans le vert. Tout aurait pu continuer de le faire sans incidences si cette petite conne de Megan n'avait touché à aucun des engrenages bien huilés du monstre d'acier Williams. Mais c'est ce que font les enfants : ils mettent les mains partout et surtout là où c'est dangereux pour leur survie. Au lieu de lui précipiter les doigts dans la prise électrique, Saül accorde un peu de répit à Megan. Marier l'aîné de ses garçons, c'est l'idée du siècle. C'est la grande résolution, la réponse au grand problème de la vie de Saül. Marcus, bien sûr, ne voit pas les choses de cet œil là. « Je croyais que tu avais passé assez de temps avec moi pour comprendre qu’il n’était pas question d’un choix ni d’une mauvaise habitude. » C'est toujours un choix, dans l'esprit de l'italien. Choisir d'en parler au monde. Choisir de vivre dans le mépris le plus général. Choisir de vivre caché. L'autre option, celle qui respire la vie, n'en est pas une. C'est une illusion que Saül a un jour pensé pouvoir embrasser du plus profond de son être. Et tant va la cruche à l'eau...
« Mais on en est toujours là. » Et ils y seront toujours, dans cette drôle de dimension alternative qui permet à Saül de dire des choses abjectes. Pourquoi Marcus est-il encore là ? A-t-il trop de pitié pour dénoncer son patron qui, aujourd'hui, tomberait aux mains du tribunal populaire sans autre forme de procès ? On ne lapide plus les gens qu'à coups d'opinions, en Australie. Mais Saül n'en finit pas de se croire la cible de fantômes du passé qui, aujourd'hui, ont un pied bien dans la tombe. Sa mère, pour commencer. Cette mégère que les frères et les sœurs Williams appellent affectueusement plusieurs fois par an pour prendre de ses nouvelles. Son père en second héros de l'histoire, le tyran qui a fort heureusement passé l'arme à gauche avant de faire plus de mal à l'aîné de ses enfants. Il doit y avoir d'autres protagonistes, d'autres qui ont aujourd'hui façonné le regard du quarantenaire qui, plus que d'en être aujourd'hui le responsable, devrait avoir trouvé assez d'armes pour en changer. Il y a eu Marcus. Il y a eu Damon. Et puis, surtout, il y a eu Federico et ses promesses. Federico et ses idées. Federico et sa disparition qui laisse en miettes. Les adultes ont décidément une drôle de manière de soigner leurs traumas; sans jamais vraiment en revenir, en semant des morceaux d'eux-mêmes jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien qu'une grande plaie qui, en saignant, impacte les autres. « Tu sais bien que ça n'est pas pareil. » Ça. Ils n'en parleront pas.
Et puis, soudain, la discussion est close. « Bien. » Après le tumulte, un peu de calme. Sont-ils dans l'œil de la tempête ? Saül plante ses yeux dans ceux de son ami qui a décidé de couper court au bras de fer. Parfois, il vaut mieux être heureux que d'avoir raison. Et surtout, il vaut mieux s'en aller sans se blesser soi-même - une leçon que Saül a n'a comprise qu'à l'envers et à reculons. « C’est ta honte que tu lui fais payer, Saül. Ta honte à toi seul. Tu lui fous ce poids sur les épaules et c’est injuste. » La colère bout dans les veines de l'italien, qui pose ses yeux sur le presse-papier doré trônant sur son bureau. Oh, qu'il serait satisfaisant de seulement le- « Si t’avais bien une chance de faire les choses bien vis-à-vis de ce garçon, c’était là. » Et lorsque Marcus a récupéré ses affaires, le presse-papier vole sur la porte qu'il s'apprêtait sans doute à franchir. Le regard rageur de l'homme d'affaires se pose sur son ami, qu'il pointe d'un index plein de hargne. « Ne t'avise pas de me dire ce que je dois faire de bien pour mon fils. Tu m'as entendu, Marcus ? » Oui, Marcus a décidément toujours été le plus raisonnable des deux. Le plus à l'écoute aussi, sûrement. « Si je te surprends en train d'en discuter avec lui je viendrai te faire ravaler tes mots. » A coups de poings - mais est-il utile de le préciser ? La discussion est close. Et Saül ne rentrera pas à la maison - ni ne reviendra à la raison, cela va de soi. |
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