Les pots de départ à la retraite étaient toujours une bonne occasion de se réunir au commissariat. Si Eliot n'avait aucune idée de qui était ce Jensen dont l'équipe fêtait la carrière aujourd'hui - sans doute un bureaucrate de plus - il n'avait pas attendu longtemps avant d'accepter de venir partager un dernier verre avec ce brave homme. Disons que le verre semblait plus intéressant que le reste, mais il s'avère que la moitié des personnes présentes ici pensaient la même chose sans le dire à voix haute, alors tout irait bien. Voilà une dizaine de jours qu'Eliot était de retour à Brisbane et profiter de cette occasion pour prendre un bain de foule serait certainement bénéfique pour lui. Sa parenthèse à Mackay avait prit fin d'une manière inattendue lorsque l'enquête qu'il menait avait été donnée à un autre inspecteur, aussi, son retour anticipé à Birsbane lui avait laissé un goût amer. Pas du genre à rester inactif, il avait préféré se lancer à corps perdu dans le travail dès son retour ainsi que dans sa vie sociale qu'il essayait de rendre intéressante. Et s'il s'attendait à rencontrer bon nombre de ses collègues de la criminelle ici, d'autres services étaient bien représentés aussi. Il s'en rendait compte alors que ses yeux balayaient la foule pour analyser les visages connus ou inconnus, s'amusant à repérer ceux qui étaient là, comme lui, pour profiter du buffet plus que pour autre chose. Sans doute aurait-il dû faire plus attention à ce qu'il se passait juste devant son nez qu'à l'autre bout de la salle, puisqu'il trébuchait soudain sur le pied de quelqu'un. Il eu pour seul réflexe non pas de sauver sa bière mais de tourner la main pour qu'elle se déverse sur la table plutôt que sur l'autre personne - qu'il identifia en relevant les yeux, à sa plus grande surprise, comme son ex-fiancée. Salut. Son air nonchalant était presque trop bien joué, sans doute était-il aidé des bières qu'il avait déjà bu depuis son arrivée. Une aubaine pour Eliot qui, certain de devoir recroiser Sawyer un jour, ne s'attendait pas à devoir l'affronter si vite après son retour en ville - et pas dans un tel contexte non plus. T'as eu de la chance, ç'aurait pu être ton pantalon au lieu de la nappe en papier. Il n'avait pas trouvé mieux malgré la centaine de fois où cette scène avait été tournée dans son esprit. Dans le meilleur des mondes, Eliot aurait prit Sawyer dans ses bras pour effacer cette dernière année de leurs vies. Dans le pire des cas c'est elle qui, à leurs retrouvailles, aurait été tellement en colère contre lui qu'elle lui aurait vidé son verre sur la tête - ou jeté un objet dur et tranchant vers lui, au choix. Ces hypothèses là n'avaient plus lieu d'être tant ils étaient ahuris l'un face à l'autre, incapables de savoir quelle était la réaction la plus juste à avoir et ceux, même si Eliot essayait aussi bien qu'il le pouvait de rester tout à fait neutre. L'avantage principal de cette rencontre fortuite c'est que ni lui ni elle n'avaient eu le temps de la préparer pour reprocher mille choses à l'autre. Ou plutôt, que Sawyer n'avait eu le temps de préparer sa liste de reproches pour lui, étant donné qu'il n'y en avait que peu à faire dans le sens inverse. Le second avantage était que leur rencontre avait lieu en public et dans un lieu rempli de leurs collègues policiers qui se seraient efforcés de leur sauter dessus au moindre signe d'animosité - quoi que certains auraient sans doute sortis un billet pour parier sur celui qui finirait par terre le premier. Finalement, Eliot vint à penser qu'il n'aurait pu y avoir un meilleur moment que celui ci pour leurs retrouvailles. Il s'armait de serviettes pour venir essuyer sa bêtise mais se retrouvait bloqué par la brune. Attention, ton jean ne sera pas épargné longtemps si tu ne me laisses pas éponger.

Salut. Elle lui avait répondu et il était déjà ravi de l'entendre. Sa voix était celle qu'elle avait lorsqu'elle était fatiguée ou après quelques bières, et vu ce qu'elle avait à la main, il ne fallut pas longtemps à Eliot pour déduire que la seconde hypothèse était véridique. Il aurait pu sourire de la situation si il n'était pas si inquiet des réactions que Sawyer pourrait avoir envers lui, aussi, il faisait tout son possible pour paraître le plus nonchalant possible. L'objectif était clairement de détendre l'atmosphère et pas de se disputer, encore. Oh excuse-moi, je devrais peut-être te remercier du coup ? Elle était amer, elle était froide, elle lui en voulait toujours et le brun ne pouvait que comprendre : lui aussi s'en voulait encore. Longtemps il avait nourri une rancœur envers son ex fiancée, la laissant responsable de leurs échecs dans son esprit alors qu'il était le seul coupable en réalité. Il avait mis du temps à le comprendre - trop de temps. Inutile d'envenimer la situation en lui répondant quoi que ce soit, il préférait changer de sujet et venir éponger sa bêtise avant qu'il ne soit trop tard et que la bière commence à couler par terre - ou sur elle. Faut le dire si tu tiens absolument à ce que mon jean y passe. Dans d'autres circonstances et à une autre époque, il se serait permis une remarque graveleuse : il avait perdu ce droit il y a trop longtemps déjà. Eliot devait déjà se satisfaire d'entrevoir un sourire au coin de ses lèvres l'espace d'une seconde, d'entendre une once d'humour dans le ton de sa voix. Mais non, regarde, il est sauvé. Qu'il lançait, l'air un peu trop fier de lui d'avoir épongé la table. Peut-être qu'elle le détestait toujours, mais peut-être qu'elle était juste un peu contente de le revoir aussi, et cette pensée lui faisait un bien fou. Il attrapait sans réfléchir la bière qu'elle lui tendait. Eliot essayait de cacher son stress de lui faire face et sa joie de la voir prendre les devants derrière un sourire un peu trop poli, un de ceux qu'il réservait normalement à ses simples collègues de travail - mas il n'avait pas, en même temps, d'expression préconçue pour des retrouvailles surprises avec une ex fiancée. Qu’est-ce que tu fais par ici ? Il n'était pas venu pour la voir spécifiquement elle, il n'était pas venu pour réellement fêter un départ à la retraite. Il était venu parce qu'il était rentré à Brisbane et qu'il avait besoin de se reconnecter à la réalité de sa vie ici. Eliot était là parce qu'il avait besoin de l'être, parce qu'être au poste c'était être chez lui malgré les interdictions auxquelles il devait faire face depuis quelques temps. Non, l'inspecteur Chapman n'avait plus rien de glorieux dans sa carrière pour l'heure, lui qui devait attendre que sa hiérarchie lui redonne le feu vert pour travailler comme il le faisait avant. Une simple erreur de jugement et il avait été renvoyé de Mackay à chez lui, désigné comme inutile pour le dossier pour lequel on l'avait envoyé là bas, "trop impliqué émotionnellement". C'était dur à encaisser. C'était un peu plus facile ici, entouré de ses pairs et de la vigueur des forces de police du Queensland. Ç'aurait pu être plus facile encore avec Sawyer à ses côtés. Je suis rentré. Ça fait quelques jours déjà. Il omettait bien trop de détails pour qu'elle ne puisse avoir une vision d'ensemble de toute sa situation : elle avait l'information essentielle. Il était de retour, et pour de bon. J'aurais peut-être dû te prévenir qu'on risquait à nouveau de se croiser, mais j'ai pas su comment le faire. Et il ne faisait sans doute pas preuve de plus de tact ici, face à elle. Alors te voilà prévenue, maintenant. Quel homme attentionné, Eliot. Mais lui non plus, même s'il savait que c'était une possibilité, il n'était pas si prêt que ça à tomber nez à nez avec Sawyer. Ils auraient pu se retourner l'un l'autre pour faire comme s'ils ne s'étaient pas vus, d'ailleurs, mais l'un comme l'autre ne franchissaient pas le pas de tourner les talons. Alors il se lançait. Comment tu vas, depuis tout ce temps ? On ne pouvait pas dire qu'il paraissait sûr de lui, si tant est que la dernière femme à qui il avait posé la question avait fini en larmes deux secondes après. Mais il s'intéressait à Sawyer, et si elle avait tous les droits de l'envoyer balader, il espérait qu'elle accepte de lui parler.

Eliot était aussi ravi que perturbé d'avoir Sawyer en face de lui. Le pantalon sauvé n'était bien évidemment qu'un prétexte pour avoir la chance de rire avec elle quelques instants, ce qui était un programme sympathique si tant est qu'elle n'avait visiblement pas le projet de le blesser physiquement en guise de vengeance - pour l'instant. Au contraire, à sa grande surprise, elle rentrait dans son jeu à pieds joints, ce qui rappelait à Eliot à quel point il avait tout gâché avec elle, à quel point elle lui manquait. Avait-elle cette sensation, elle aussi ? S'imaginait-elle à quoi leurs vies auraient ressemblées si les nouvelles du médecin avaient été toutes autres ? L'inspecteur, lui, ne pensait qu'à ça dans ses songes. Eliot Albert Chapman : flic le jour, sauveur de pantalon la nuit… La production se décharge de toute responsabilité et met en garde les téléspectateurs sur le fait qu’il est aussi, en de rares occasions, le seul et unique responsable de la menace qui pèse initialement sur votre pantalon. Superman n’a qu’à bien se tenir. Il pouffait clairement de rire à sa remarque, ravi de voir que Sawyer n'avait rien perdu de son sens de l'humour. Je suis sûr que ça à de l'avenir à Hollywood. Qu'il s'amusait à surenchérir. L'idée était bien évidemment très mauvaise en réalité, mais s'imaginer en collants de super héro paraissait une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie. A son plus grand regret, leurs éclats de rires s'effaçaient déjà pour laisser peser une ambiance un peu plus dure entre eux. Eliot était rentré, elle en avait la preuve sous les yeux, il fallait maintenant qu'ils arrivent à déterminer ce que ça impliquait pour chacun d'entre eux. T’es conscient que cette phrase sonne davantage comme une menace que comme un quelconque geste un tant soit peu attentionné ? Il prit un air surpris : là n'était pas l'objectif. Il ignorait, en réalité, quel était le but de tout ça. Ce qu'il savait, en revanche, c'est qu'il allait devoir croiser son ex-presque-femme plus régulièrement, qu'il avait beaucoup réfléchi à ce qui avait échoué entre eux et que, concrètement, il s'accusait de leur rupture. Il fallait qu'il se fasse pardonner, mais comment où pourquoi étaient des questions restées jusqu'alors sans réponse. Je suppose que ça dépend de la façon dont tu la prends... Le voyait-elle comme une menace ? Il espérait sincèrement que non. Et donc maintenant que je suis prévenue, est-ce que je suis censée raser les murs pour éviter de te croiser au détour d’un couloir ? Eliot haussa les épaules, n'ayant pas de réponse à cette question. Il n'en avait aucune, en fait, persuadé que de toute manière il n'y avait aucune règle pour gérer une situation comme la leur. C'est à toi de voir, je crois. Si tu veux que ça se passe comme ça, je suis prêt à raser les murs jusqu'à la fin de ma carrière. Sinon, je ne suis pas contre le fait te dire bonjour de temps en temps. Il se fierait à elle sans broncher - il essaierait. Devoir passer son temps à voir Sawyer sans pouvoir l'approcher ou lui parler serait un supplice inimaginable, mais il ne pouvait pas lui forcer la main. Soucieux de savoir comment elle allait, il posait la question. Mariée, 2 chiens, 3 enfants. Tout va bien. En une fraction de seconde Eliot eu un mouvement de recul. Il se rendait compte, heureusement, qu'elle n'avait fait là qu'une blague de mauvais goût mais entendre ce genre de choses de sa bouche était presque douloureux. Je vais bien…j’imagine ? Eliot haussa un sourcil, l'air interrogateur. C'était une affirmation ou une question, là ? Elle semblait peu sûre d'elle en ayant dit ces mots. Et même si leur rupture n'était déjà plus considérée comme si récente que ça, il se sentait coupable de la savoir ainsi. Tu as l'air en forme. Sérieusement ? C'était en sortant des banalités affligeantes qu'il comptait réussir à se faire pardonner ? A croire que oui, puisque c'est cette phrase bateau qu'il venait de prononcer. Eliot était maladroit, Sawyer lui faisait perdre ses moyens. Et sinon, moi je, hm.. comment va Snowball ? Demander des nouvelles du chien ne paraissait pas plus crédible, mais au point où il en était, Eliot se raccrochait aux branches pour faire durer leur conversation.

Sawyer et Eliot plaisantaient et c'était aussi inespéré qu'inattendu. Ça n'aura duré que l'espace de quelques secondes avant qu'une remarque déplacée fut lancée dans la conversation, mais Eliot retiendrait cet instant là longtemps dans son esprit, comme l'espoir d'un aube nouveau pour eux. Il en demandait sans doute trop, mais osait y rêver malgré tout. Oui, ça a à peu près autant d’avenir que notre mariage j’imagine. Sawyer avait un don pour faire les pires plaisanteries dans les pires contextes possibles. Si avant ça avait toujours eu don de faire rire Eliot, il fallait bien admettre qu'aujourd'hui son rire était plus jaune qu'autre chose. Il comprenait bien que la nervosité faisait dire à son ex-fiancée des âneries, il s'empêchait lui même d'en sortir dix à la seconde, mais pour la bonne raison qu'il n'avait tout bonnement pas le droit à l'échec. Il devait déjà s'estimer chanceux qu'elle veuille bien lui adresser la parole après la façon dont il s'était comporté avec elle. Et bien qu'il ne soit pas au stade des excuses, éviter de rajouter des mauvais points à leur relation était la meilleure chose à faire. Heu…excuse-moi. C’était pas…Oublie. Je crois que je ferais mieux d’arrêter l’alcool pour aujourd’hui. De son côté Eliot était content que de l'alcool coule dans ses veines : ça lui laissait un peu plus de chances qu'elle accepte de lui parler. T'en fais pas, c'est rien. Rien par rapport aux mots qu'il lui avait adressé à leur rupture, par rapport à ses réactions et à la manière dont ils s'étaient quittés - même si ça n'enlevait rien au désarroi qu'il avait ressenti lorsqu'elle avait prononcé le mot "mariage". Disons que je suis partante pour que tu me dises bonjour de temps en temps alors. Mais de préférence en rasant les murs juste avant. Sans raison particulière. Simplement parce que je pense que cette scène pourra être très drôle à observer. Il la reconnaissait bien là et Eliot avait presque envie de jouer le jeu au point de réellement raser les murs lorsqu'il la croiserait. Il savait qu'elle rirait de la situation et de lui, au passage, mais mieux valait ça que de la faire pleurer encore, non ? Avec ça, il aurait peut-être une chance de lui reparler une autre fois ou même plusieurs. Ils échangeait quelques banalités, posant cette fameuse question de comment ils allaient l'un l'autre. Jamais cette question n'aura jeté un si grand froid entre deux personnes. Définitivement une question. A laquelle il aurait aimé pouvoir répondre. Et il le fit, en lui disant d'une manière très banale et ridicule qu'elle semblait aller bien. C'était le cas, physiquement du moins. Mais au vu de sa réponse, son mental ne semblait pas au beau fixe - ce qui n'était pas étonnant. Merci, toi aussi. Ça va, ils avaient aussi des équipes de baseball à Mackay ? Eliot sourit en entendant la question. J'ai mis ça un peu de côté depuis mon départ, je dois bien avouer. Il n'avait pas eu le temps de s'y mettre, avec toutes ces heures passées à se morfondre dans un bar et à faire un peu plus de mauvais choix. Je me suis contenté de regarder les Brisbane Bandits se faire ridiculiser depuis le début de la saison. Qu'il s'amusait à commenter. Sixièmes au classement, c'était assez mauvais pour être noté. Elle aurait sans doute quelque chose à y redire, mais tant mieux, leurs débats sur le baseball avaient toujours été d'intenses moments d'échanges. Parlant d'échanger, Eliot demandait des nouvelles du chien qu'il avait offert à Sawyer. Il va bien. Il est toujours aussi vif et impatient. Mais je pense que tu lui manques. Il hocha la tête, se doutait bien que son départ avait changé le quotidien de Sawyer et du chien d'une manière radicale. Il s'en voulait pour ça, ne s'en était pas rendu compte tout de suite. Il me manque aussi. Et elle encore plus, mais elle n'était certainement pas prête de l'entendre. J'ai déjà pensé à passer, le prendre une heure ou deux.. mais j'ai jamais osé. J'ai supposé que tu n'avais aucune envie de me voir. Et plus qu'une supposition, il était certain de ses propos. Qu'elle n'avait aucune envie de le voir, qu'elle aurait même préféré ne pas tomber sur lui aujourd'hui.

Parler avec Sawyer avait paru être pendant longtemps une épreuve insurmontable pour Eliot. Il avait trop peur de se tromper dans ses mots, sachant pertinemment qu'il les choisissait bien trop souvent mal. Il se félicitait d'avoir réussi à converser avec elle jusqu'ici d'une aisance dont il était très fier, peu habitué à ce genre de banalités. Mais parler à Sawyer de baseball ravivait une flamme en lui qu'il n'aurait trop su décrire. Le simple fait qu'elle ait pensé à lui poser la question d'elle même venait de faire briller ses yeux, d'illuminer son visage en une fraction de seconde. Quelle trahison ! Son geste théâtral eu le don d'amuser Eliot qui ne cachait pas son sourire. Il se contentait de lui répondre d'une moue tout à fait désolée qu'il avait malgré tout suivi les exploits - ou échecs - des Brisbane Bandits. Oui…on peut pas dire qu’ils aient fait des prouesses. Et tu… Eliot sentait que peu importe la question qui suivait, sa réponse serait positive. …serais disponible pour qu’on aille voir un match un de ces jours ? Sa première envie fut de crier un énorme "oui je le veux" mais cette réaction aurait clairement été disproportionnée et peu adaptée à la situation. La seconde fut une irrépressible envie de regarder rapidement sur son smartphone quelle était la prochaine date du match le plus proche : qu'importe l'équipe, qu'importe le stade et la distance à faire pour y aller, qu'importe tout tant qu'il pouvait passer du temps avec elle. Il fallait attraper la balle au bon, ne pas rater cette opportunité avant qu'elle ne change d'avis. Il réprima cette pulsion non sans difficulté, sa main s'étant déjà dirigée vers sa poche pour en sortir son téléphone. Puis, il se mit simplement à hocher la tête, un sourire calé sur ses lèvres. Avec plaisir. Dis moi quand et je me libèrerais. A croire qu'après tout Eliot était capable de tirer des leçons de ses erreurs et d'adapter ses comportements impulsifs en réactions tout à fait appropriées. Sans doute était-ce en réalité le stress de l'avoir elle juste en face de lui, mais nul ne saurait le dire. Il était temps pour lui d'avouer que ce genre de retrouvailles il en avait rêvé mais qu'il craignait que ce ne soit pas le cas pour elle. Je vais pas te mentir, sans un ou deux verres d’alcool au préalable, il y a fort à parier que je t’aurais refermé la porte au nez. Elle ne faisait donc que confirmer ses appréhensions. Je comprend. Il baissait les yeux, honteux. Jamais il n'aurait dû mettre toute la faute de leurs échecs sur les seules épaules de Sawyer. Jamais il n'aurait dû lui parler comme il l'avait fait durant des mois. Il n'avait fait qu'accumuler des erreurs sur la fin de leur relation et bien que plusieurs années de bonheur les avaient précédées, c'est sur des points bien négatifs que les deux s'étaient quittés. Tout aurait pu se passer différemment, il en était désormais convaincu. Difficile pourtant d'admettre qu'il était l'unique fautif de leur rupture au beau milieu de ce commissariat de police, au beau milieu de ces collègues et alors même qu'il n'avait pas eu une minute pour se préparer à cette rencontre. Ce n'était ni le lieu ni le moment de parler de sujets si sérieux, de balancer des excuses qui auraient été à peine entendues. Il devrait faire les choses bien, plus tard. J'ai aucune idée de qui est ce Jensen qui part à la retraite, mais je suppose que je lui en dois une du coup. Vive les rassemblements et surtout vive la bière et puis l'alcool en général. En fait, l'inspecteur avait envie de fêter tout élément qui lui avait permis de croiser Sawyer dans de bonnes conditions aujourd'hui. Mais si tu veux passer le prendre de temps en temps, t’es le bienvenu. Ça sonnait étrange, ça sonnait faux, c'était particulier comme sensation qu'on ait besoin de lui dire qu'il était le bienvenue dans la maison dans laquelle il avait vécu pendant plusieurs années et pourtant, pour une fois, il avait la sensation de réparer quelque chose en lui plutôt que de s'abimer comme il le faisait d'habitude. C'est bon à savoir, je viendrais. Il espérait qu'elle ne prenait pas cette phrase pour une menace vu son ton soudain un peu trop sérieux, alors il s'empressait d'alléger l'atmosphère à nouveau. Par contre je peux pas te promettre de réussir à arriver jusqu'à la maison en longeant les murs, j'espère que tu m'en voudras pas trop. Rien qu'à s'imaginer la scène, il mourait d'envie ne serait-ce que de tenter l'expérience. Question technique, mais tu as bloqué mon numéro de partout ou j'ai une chance de te joindre si je t'appelle ? Je voudrais pas arriver à l'improviste. Il devrait s'assurer dans tous les cas qu'elle était dans de bonnes dispositions avant de lui rendre visite.

Avoir un tel passé en commun et devoir se la jouer comme deux connaissances lointaines était compliqué à gérer pour Eliot. Il était difficile pour lui de savoir sur quel pied danser avec Sawyer. Maintenant qu'il était certain qu'elle ne comptait pas lui faire physiquement du mal - pour aujourd'hui, en tout cas - il réussissait à se libérer un peu et son corps était moins crispé au fur et à mesure que les secondes, les minutes avançaient. Il n'était pour autant pas tout à fait à l'aise, rien que parce qu'il était conscient que cette tension entre eux relevait simplement du fait qu'il avait été lâche envers elle alors qu'ils auraient tous les deux eu besoin de se soutenir l'un l'autre. Il avait faillit à sa tâche, s'en trouvait idiot à présent qu'il lui faisait face. Pour autant, il avait l'impression de bien se débrouiller et de ne pas avoir encore dit d'absurdité qui la ferait sortir de ses gongs. Au contraire, la brune lui semblait même d'être d'une humeur plutôt joyeuse. Et s'il devait remercier ce pot de départ et les quelques bières qu'elle avait dû boire pour ça, il se félicitait aussi d'avoir su se montrer aussi charmant malgré sa nervosité à peine dissimulée. Je t’enverrai un message pour caler ça. Super. Le fait qu'elle prenne ce rôle signifiait qu'elle aurait le temps de choisir d'être prête à le revoir: il se montrerait patient, s'en faisait la promesse silencieuse à cet instant précis. Rebondir sur le ton de l'humour était la meilleure stratégie à adopter maintenant qu'il était certain d'avoir une chance de la revoir un autre jour, dans un autre contexte. Savoir que ce serait au détour d'un match de baseball l'enchantait plus que de raison, mais il se retenait de lui montrer un peu trop de hâte. Il n'était pas du genre à en montrer trop, de toute façon. Moi qui pensais être la seule à m’incruster à ce genre d’événements pour l’alcool et le buffet. Je suis même pas sûre d’avoir déjà croisé ce Jensen. Et en cela ils ne valaient pas mieux l'un que l'autre, ce qui faisait sourire Eliot. Il était persuadé que s'ils étaient toujours ensemble, ils auraient agi de la même manière en s'incrustant à ce pot de départ d'un inconnu au bataillon : la seule différence aurait été qu'il aurait pu rentrer chez eux, avec elle, après la réception. En même temps ça doit lui faire plaisir de voir autant de monde se déplacer pour lui. Même si la moitié d'entre eux n'était là que pour les petits fours, l'ambiance aurait été bien différente sans tout ce monde réuni. En tout cas, pour Eliot, ce pot était du pain béni : en plus de la promesse d'une sortie baseball, il venait d'avoir l'accord de passer revoir leur chien dans les prochains temps. Evite, j’ai toujours soupçonné les voisins d’en face de nous détester secrètement alors ça aiderait pas vraiment à entretenir de bonnes relations avec le voisinage à mon avis… Voir Eliot se faufiler contre les murs de la maison ne les aiderait sans doute pas à avoir une bonne image de Sawyer, c'était certain. Tant que t'as pas un homme différent qui fait ça tous les soirs, ça devrait aller. Son ironie était mal placée et il se raclait la gorge en s'en rendant compte? Il s'empressait alors de lui demander si au moins elle avait gardé son numéro pour passer vite à autre chose : il aurait été dommage que ses plans tombent à l'eau. Heu Eliot, c’est-à-dire que… Il fronçait les sourcils, prêt à tout entendre. Non, j’ai toujours ton numéro. Tu peux m’appeler. Son visage s'illuminait machinalement. C'est une bonne nouvelle. Tout n'était peut-être pas perdu, alors. Par contre je te préviens, je suis pas sûre d’accorder la permission de minuit à Snowball. Il prit un air faussement choqué. Quelle tyran tu fais là, le pauvre, à son âge, il ne devrait plus avoir de couvre feu ! Il terminait sa bouteille de bière après une ou deux gorgées et vint la poser sur la table qui se trouvait juste à côté. Ça me fait plaisir de t'avoir croisé ici. Ici ou ailleurs, d'ailleurs, peu lui importait au final. La croiser dans n'importe quel lieu de la ville lui aurait fait tout autant plaisir, surtout si elle se montrait aussi ouverte à la discussion.