@EVELYN PEARSON & FINNLEY COVERDALE (2003) ⊹⊹⊹ see i spent my teens enraged, spiraling in silence and i armed myself with a grin, 'cause I was always the fuckin' joker, Buried in their humor.

(FLASHBACK). Comment elles peuvent aimer ça ? C’est la question que Finnley ne cesse de se poser, prostré dans un coin de cette énorme salle – qui doit en réalité être un hall s’il en croit les escaliers au milieu de la pièce qui mènent à l’étage, ainsi que l’énorme porte coulissante derrière ceux-ci pour accéder à la suite des festivités. Son regard ne quitte pas les silhouettes devenues étrangères de sa sœur et de sa mère, à quelques mètres de lui, qui se gardent bien d’en faire de même et de lui adresser un signe d’attention de temps à autre pour l’aider à se sentir moins perdu au milieu d’une foule où chaque visage est plus inconnu que celui croisé précédemment. Bryn n’a pas arrêté de lui répéter qu’il avait bien de la chance d’accompagner Danielle et Cora à cette soirée et qu’elle, elle aurait trop voulu être là. Mais Bryn a huit ans et ne réfléchit pas comme une adulte – ce que Finnley peut se permettre, malgré ses seize ans, parce que l’adulte supposément responsable de lui, qu’il fusille désormais du regard, a démissionné de ce rôle pour s’engager doublement aux côtés de Cora, le laissant seul maître aux commandes. Lui, c’est certain, il n’a aucune envie d’être là. Ou plutôt, il n’a plus aucune envie d’être là, car s’il a accepté, ce n’était pas totalement par dépit. Non, il y voyait le maigre espoir de passer du temps avec sa mère et sa sœur, même si le contexte ne se prête pas à de grandes discussions familiales, c’est toujours plus que le temps qu’il a pu passer avec elles au cours des derniers mois (des dernières années ?). Et bien qu’il en veuille autant à l’une qu’à l’autre de l’avoir forcé à quitter Canberra, Mona et la vie qu’il se voyait construire là-bas, que sa rancœur ne cesse de s’accentuer au fil du temps qui caractérise son incapacité à s’adapter à cette nouvelle vie et à des nouvelles responsabilités forcées par sa mère, Finn voulait tenter de faire un pas en direction des deux femmes, bien qu’elles n’en fassent pas de leur côté. Ou peu, car il se doute que l’invitation provient bien plus de sa sœur que de sa mère, la première tentant toujours de maintenir un contact avec lui bien qu’il le refuse la plupart du temps, la seconde ayant cessé de fournir de tels efforts depuis longtemps. Il aurait dû s’abstenir lui-aussi, puisqu’il s’est, une fois encore, montré trop naïf en accordant du crédit à leurs paroles. Finalement, il n’a été question que de faire une photo de famille ensemble à leur arrivée, de souligner à quelques journalistes que non, tout va bien entre Cora et son frère, pour qu’il soit relégué au rang de simple décor et qu’elles s’adonnent à ce qu’elles savent faire de mieux : l’oublier. Il a été naïf, parce qu’il pensait vraiment que cette fois-ci serait différente. Que le fait de l’avoir fait déménager était à voir comme un nouveau départ, un vrai cette fois-ci, dans lequel il serait lui-aussi inclus, ainsi que Bryn. À voir la manière dont jamais le regard de sa mère ni celui de sa sœur ne s’arrêtent sur lui même quand il les fixe volontairement au loin ne fait que confirmer que cela n’arrivera jamais.  

Personne ne lui parle et il ne parle à personne, toujours effacé dans un coin de l’immense salle. Il ne sait plus vraiment où donner de la tête, Finnley et tout autour de lui ne fait qu’accentuer sa rancœur à l’égard des deux femmes l’ayant invité ce soir, plus pour le coup de communication que par réelle envie de l’avoir à leurs côtés. C’est un défilé de regards hautains et d’étalage de richesse à sa barbe (qu’il n’a pas encore, l’adolescent) qui ne font que renforcer son impression de ne pas être à sa place. Cette même impression qui accentue le fait qu’il n’évolue plus dans le même monde que la moitié de sa famille et qu’il ne pourra jamais y prétendre. Il est volontairement tenu à l’écart et ce ne serait pas un problème si cela semblait justifié, mais ce soir, plus que jamais, il réalise que ça ne l’est pas. C’est une simple volonté égoïste qui dicte les actions de sa mère et de sa sœur : elles veulent de ce monde, mais puisqu’il n’y a pas de place pour tout le monde, il n’y a pas d’hésitation quant au fait de le sacrifier avec Bryn sur l’autel qui mène à la gloire. Celle-là que Cora acquiert peu à peu, l’éloignant toujours plus de lui et creusant un fossé entre les jumeaux alors que ce statut implique pourtant de ne jamais vivre loin l’un de l’autre. Les invités, bien qu’ils ne le connaissent pas, ne trouvent pas plus grâce à ses yeux alors qu’il vomit sur leur opulence et que son dégoût est tel qu’il songe de plus en plus à quitter les lieux. Le souci, c’est qu’il n’est pas familier avec tout ça, Finnley et que dès qu’il s’éloigne, il se trompe de porte et est très vite invité à faire demi-tour par ce qu’il croit être la sécurité. Il n’a pas été impoli, pourtant, il est juste ignorant et il attire malgré lui l’attention d’un type qui semble le reconnaître et qui y voit l’occasion de dénicher les derniers potins sur la petite fiancée de l’Australie. « Vous êtes Finnley Coverdale ? » Il a déjà la réponse et Finn n’est pas suffisamment naïf pour ne pas comprendre que le fait d’être coincé par ce journaliste ne va certainement pas lui réussir. Il reste silencieux et tenter de poursuivre son chemin, alors que l’autre insiste et se mette en travers celui-ci. « Attendez, on peut discuter quelques minutes ? » L’air bienveillant du type ne fonctionne pas, d’autant plus en prenant en compte qu’il ne s’agit pas de sa première rencontrée intéressée et qu’il arrive à les reconnaître, avec l’expérience (malheureusement). « J’ai pas le temps. » Il sourit timidement alors qu’il essaie de poursuivre son chemin, mais que l’adulte insiste toujours pour le coincer. Le regard qu’il lui lance lui fait bien comprendre qu’il n’est d’aucune crédibilité, lui qui n’a eu qu’un verre de soda pour seule compagnie durant la totalité de la soirée. « Et contre un peu d’argent, vous avez le temps ? » Il fronce les sourcils, surpris et sceptique ; est-ce qu’il vient de parler d’argent ou a-t-il mal entendu ? « Je... je comprends pas. » Il admet, mal à l’aise, la peur de prononcer le moindre mot qui pourrait dorénavant être repris contre lui – c’est au moins un sujet sur lequel sa mère s’est assurée de le briefer, à défaut d’avoir le temps de l’éduquer. Le type insiste, un air victorieux sur le visage alors qu’il enchaîne les arguments : les mauvaises relations connues entre le frère et la sœur, la possibilité de ternir la réputation de Cora pour se venger, pour arranger d’autres jeunes filles qui n’arrivent pas à percer, trop cachées derrière l’ombre de la rouquine, une belle somme d’argent pour dire quelques mots légèrement (bien sûr) orientés, un anonymat garanti quoi qu’il advienne et, surtout, une incapacité à se sortir de cette situation à laquelle il n’adhère pas malgré l’insistance du type qui lui semble de moins en moins être un journaliste. À chaque fois qu’il essaie de s’échapper, la silhouette face à lui se déplace pour lui bloquer le passage et à chaque fois qu’il tente de ne pas entendre ses arguments, il en sort de nouveaux, presque séduisants. Le regard de Finn regarde par-dessus l’épaule du type bien plus âgé et plus grand que lui, à la recherche d’une échappatoire – il ne sait pas gérer de telles situations et, à vrai dire, il est surtout sous le choc qu’elles puissent être réelles et non pas de simples clichés d’un univers, c’est désormais certain, qu’il exècre. Derrière l’homme qui se fait toujours plus insistant, ses prunelles bleues finissent par se perdre dans d’autres plus foncées d’une jeune fille de son âge qui lui est tout autant inconnue que tous les autres visages rencontrés depuis son arrivée entre ces murs, mais qui à cet instant, il essaie de rendre familier pour le sortir de cette impasse.

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C’était à chaque fois la même chose, un rituel qu’elle s’efforçait de suivre sans en avoir envie toutefois. Les flashs des appareils photos finiraient par l’aveugler, le son qui s’en échappait résonnerait à ses oreilles comme une alarme stridente, désagréable — s’en suivrait une angoisse qu’elle se sommerait d’étouffer sous une apparence soignée et un mimétisme emprunté à ceux qui l’avaient éduquée tandis qu’elle slalomerait entre les silhouettes guindées, oppressée par son désir mal dissimulé de s’enfuir pour respirer autre chose que l’opulence du milieu duquel elle venait. Evelyn pouvait déjà sentir les crampes s’étirer aux coins de ses lèvres et les larmes border ses grands yeux marrons. Un lourd soupir, les mains cramponnées au bord du lavabo en marbre de sa propre salle de bain, et on frappa soudain à la porte. Un sursaut la saisit, tendant un peu plus chacun des muscles de son corps affaissé depuis quelques longues minutes déjà. La voix de Rubén s’échappa de derrière le battant épais, aussi doucereuse que l’était son accent latino. C’était l’heure, Celie avait déjà mis les voiles, et ses soeurs l’attendaient dans la voiture. Elle ne savait même pas pour quelle occasion ce gala avait été organisé, elle avait cessé de s’en soucier depuis bien longtemps, des grandes cérémonies auxquelles participaient les Pearson. Elle savait juste qu’elle devrait faire comme elle l’avait fait à de maintes reprises au cours de sa vie : prendre sur elle le temps de quelques heures, repoussant aussi loin que possible ses élans contestataires pour se fondre dans la masse informe de la haute-société australienne.
Sa réputation était déjà bien établie à cette époque précise, et ses pseudos-frasques faisaient les gorges chaudes de ceux qui affirmaient sans rougir que, de toutes les pouliches Pearson, elle était celle qui n’irait pas bien loin. Personne ne serait surpris de ne pas la voir participer à cette soirée — au lieu de quoi, on lui prêterait d’autres occupations comme de battre le pavé avec ce petit-ami plus âgé qu’on lui connaissait, ou d’autres engagements plus scandaleux puisqu’on racontait qu’elle ne savait faire que ça. Seulement, il pesait sur sa conscience les clauses d’un chantage que sa propre mère avait mis en place pour la faire obéir au moins une fois dans sa vie. Evie partirait bientôt pour l’Angleterre, mais c’était sous conditions. La menace de voir tous ses rêves s’évaporer à cause de son refus de se plier aux habitudes de sa famille était trop palpable ces derniers temps, aussi elle n’avait qu’un effort supplémentaire à fournir pour enfin être débarrassée de cette vie mondaine qu’on lui imposait. Dans quelques mois, elle serait loin d’ici — terminée l’école privée catholique, terminée l’attention scrutatrice d’inconnus et les attentes accablantes d’un clan trop exigeant… alors tirée à quatre épingles, Evelyn leva la tête pour affronter son reflet dans le miroir. Son teint était beaucoup trop pâle, la faute à un maquillage mal exécuté par la main fébrile de la gamine de 18 ans qu’elle était, et chez qui les choix étaient aussi douteux que la teinte trop foncée de son rouge à lèvres ; le noir mat de sa robe à bretelles spaghetti durcissait les traits juvéniles, qui reflétaient un certain vécu cependant, d’un visage déjà fermé par l’asservissement. Elle cligna des yeux plusieurs fois d’affilée, faisant le point sur ce qui l’attendait, et consentit enfin à s’agiter pour enfiler une vieille veste en jean oversize, celle qui appartenait à son père, au-dessus de sa robe de soirée avant d’ouvrir la porte pour faire face à Rubén. Les yeux sombres du jeune homme s’arrêtèrent immédiatement sur le badge pro-avortement qu’elle portait au revers de sa veste. Sa tête opina de droite à gauche avec un sourire goguenard, qu’avant qu’il ne se détourne d’elle, elle traduisit par l’éternelle accroche qui accompagnait chacun de ses faits et gestes  : tu ne peux vraiment pas t’en empêcher, Frankie.
Et c’est ce qu’Ester lui souffla quand elle grimpa dans la voiture. Elle l’ignora pour mieux s’enfermer dans un silence de mise tout au long du trajet. Ça faisait bien longtemps qu’elles ne s’entendaient plus, et qu’Evie préférait s’en tenir à un mutisme confortable pour ne pas avoir à traiter avec les invectives insultantes de son aînée. Heureusement, Enola prenait suffisamment de place pour combler le malaise, et sa voix emplit l’habitacle qui semblait se rétrécir sur Evie à chaque angle de rue que la voiture dépassait. Et cette impression de voir le monde sous une perspective menaçante, elle la ressentit tout au long de la soirée. L’échappée belle était de mise, songea-t-elle après s’être attardée devant le buffet qu’elle goûta à s’en écoeurer, et qu’elle laissa derrière elle après avoir sentit l’attention générale s’ériger face à elle lorsque sa mère tint à la présenter à elle ne savait quel mécène au regard trop insistant pour qu’il ne cache pas d’autres intentions. Elle récupéra sa veste en jean avec, entre les lèvres, la dernière bouchée d’un petit four végétarien qu’elle avala sans le mâcher, et se faufila par le grand escalier pour aller souffler quelques instants à l’extérieur de cette bulle irrespirable où un riche en cachait un autre. Ses cheveux bouclés tressautèrent sous son pas énergique, et restèrent coincés dans le col de sa veste quand elle dévala les marches avec l’intention ferme de mettre le plus de distance entre elle et les autres, quand à peine avait-elle sauté la dernière marche, que ses yeux rencontrèrent ceux d’un jeune homme qu’elle ne connaissait pas. La lueur qu’elle décela dans ses iris lui était drôlement familière cependant.

Sur le moment, elle ne sut pas si elle s’était arrêtée parce que lui et l’homme qui s’adressait à lui étaient sur son chemin, ou si ce qu’elle lisait dans son regard était justement trop familier pour qu’elle ne s’en veuille pas, un peu plus tard, de ne pas être intervenue. Dans tous les cas, elle n’attendit pas d’avoir les tenants et les aboutissants du dialogue qui se jouait entre eux, et elle se glissa entre eux pour plonger son regard dans ceux de l’homme plus vieux qu’elle avait déjà rencontré à de multiples reprises, et qu’elle apostropha avec un sourire  aussi faux que le rembourrage de son propre décolleté "Bobbyyyy, comme on se retrouve." Calme, elle croisa les bras sur sa poitrine, plissant les yeux en prenant soin d’investir tout l’espace histoire qu’il soit forcé de faire plusieurs pas en arrière. Et c’est ce qu’il fit en lâchant un gros soupir. Son haleine chargé d’alcool lui piqua les yeux, pas assez pour qu’elle batte en retraite néanmoins "Je tenais à te remercier de la manchette à laquelle j’ai eu droit à propos de mon échec à mes examens de fin d'études. Je vois qu’on a toujours pas appris à vérifier ses sources, ça va te porter préjudice à un moment donné." Son ton paternaliste était maîtrisé, aussi serein qu’elle avait appris à le rester à force de bonne volonté, et le froncement de sourcils qu’elle lui attribua en conséquence était presque comique quand elle ajouta sur l’air de ne pas y toucher "Au lieu de t’inquiéter pour mon avenir, tu devrais plutôt t’inquiéter du tien. Avec des méthodes comme les tiennes, tu vas finir avec un procès aux fesses." Dans un monde parfait, Celie ce serait évertuée à punir tous ceux qui colportaient des rumeurs sur sa fille… mais elle avait cessé de croire au monde parfait depuis bien des années, Evie. La menace avait beau être caduque sur le fond ; sur la forme, elle fit son effet et Bobby jeta un oeil empreint de déception au jeune homme devant lequel Evelyn s’évertuait à rester flanquée. Même quand il tourna les talons, et que du bout des doigts, elle lui fit un petit signe en claironnant, pas peu fière "La bonne soirée !" Elle attendit qu’il disparaisse pour de bon pour se tourner vers le jeune homme derrière elle et lui murmurer tout doucement "Tu l’as échappé belle. Ne me remercie pas." Et elle était sincère. Il n’avait pas besoin de se perdre en courbettes reconnaissantes, et sur  ces mots, et après un sourire tout en fossettes, elle n’attendit même pas qu’il ouvre la bouche ; elle le contourna pour reprendre son chemin vers la sortie.

Pendant longtemps, Finnley a voulu croire que ce monde n’était pas aussi mauvais qu’on pouvait le dépeindre. Que ce système ne broyait pas nécessairement tous ceux y entrant et qu’avec le bon entourage, les bonnes valeurs, il était possible de s’en sortir sans y laisser des plumes. Que la célébrité des uns ne faisait pas nécessairement le malheur des autres et qu’être privé de sa famille n’était qu’un petit prix à payer en vue de tous les bénéfices qui pourraient lui aussi le toucher et, surtout, Bryn. Il a accepté depuis longtemps la perspective de n’être qu’un figurant dans sa propre famille et l’une des raisons les plus acceptables à la prise de ce rôle est la perspective de faire de Bryn un élément fort des Coverdale : celle qui va réussir là où les autres n’ont pas réussi. Oh, bien sûr, Cora a réussi, mais au prix d’un équilibre précaire et toute la rancœur envers sa sœur ne peut effacer la pression qu’il perçoit sur ses épaules. Danielle bénéficie de ce succès elle-aussi, au détriment d’un amour maternel qui, finalement, n’a jamais vraiment existé – alors est-ce qu’on peut réellement dire qu’elle a été changée par le soudain succès de sa fille ? Finn a accepté la possibilité de ne plus les voir régulièrement si cela peut lui permettre d’avoir les moyens d’élever Bryn loin d’elles. Mais la carrière de Cora décolle et il doit se résoudre à voir les choses telles qu’elles sont : Bryn et lui ne s’en sortent pas mieux que lorsque sa mère et sa sœur courraient les castings. À mesure que la soirée se poursuit, il comprend ainsi qu’il n’obtiendra aucun bénéfice. Ce soir est différent des autres parce qu’il prend conscience qu’il n’est pas seulement un dommage collatéral, mais aussi un pion lorsque sa propre génitrice a décidé de se souvenir de son existence. Bien sûr, ce journaliste a bien compris que les relations de la parfaite (en apparences) famille Coverdale sont fragiles et que contrairement à ce que sa mère a voulu, sa seule présence ici ne suffit pas à effacer le nuage noir qui plane au-dessus de la réputation de Cora. Elle est encore fragile, bien que les médias et le public se l’arrachent. Elle peut basculer à tout moment à cause d’une frasque de son frère ou d’un mot de trop de la part de ce dernier ; le voir en public permet déjà de faire diversion quant à la réalité des liens entre les jumeaux. Cora n’a pas hérité de son surnom de petite fiancée de l’Australie pour rien ; c’est parce qu’elle est parfaite sur tous les points qu’on se l’arrache et Dieu sait qu’un scandale familial ferait du mal à sa carrière pas encore à son apogée. Finn ne pensait pas que ce serait la leçon du soir et, pourtant, elle s’impose à lui de la pire des façons, alors qu’il est, comme trop souvent, réduit au rôle de figurant qui doit (préférablement) se taire. Ce journaliste insiste, pourtant et par stupidité ou ignorance, sa loyauté continue d’aller à sa famille alors qu’il pourrait achever de briser celle-ci en quelques confessions. Mais, bien que conscient d’une situation trop lourde pour ses épaules, il continue à rêver et à espérer, Finnley, que demain serait différent et que, peut-être, il finira par trouver sa place entre les rêves de gloire de l’une et l’avidité financière de l’autre.

C’est pourtant lui qui pourrait prétendre à se remplir les poches et ce serait mentir que d’affirmer que, même une microseconde, l’idée ne lui a pas parlé. Bien sûr qu’elle lui a parlé, principalement parce que son emménagement à Brisbane ne se déroule pas comme il le présumait et que poursuivre ses études tout en travaillant pour assurer les besoins de Bryn ne sont pas deux options qui peuvent coexister. Il prend conscience qu’un choix va bientôt s’imposer à lui et, à vrai dire, il n’a pas besoin de réfléchir pour savoir vers lequel ira sa préférence (bien qu’il s’agisse plutôt d’une obligation que d’un choix). Il sait qu’il devrait être moins soucieux de sa famille et ça implique de cesser de protéger deux femmes qui ne le méritent pas. Et pourtant, il s’évertue à le faire bien qu’il ne possède pas les codes pour réellement savoir comment s’y prendre. Il est timide, Finn et il tend à rester silencieux quand il ne sait pas quoi dire. Il est vite impressionnable, aussi, de haut de ses seize ans et de ses insécurités qu’un aveugle pourrait percevoir. Il n’est pas difficile de prendre l’avantage sous la forme d'une silhouette qui lui barre le passage ou d’un simple regard ; ce qui implique de demander de l’aide du sien. Il n’identifie pas cette fille, pas tout de suite du moins, et il ne sait pas plus pour quelle raison elle lui apparaît comme la sauveuse idéale. Elle n’a rien demandé et certainement pas à se retrouver dans un duel inégal entre un muet et un égo surdimensionné, mais elle est désormais impliquée, qu’elle le veuille ou non (à défaut d’avoir demandé la permission, il s’assurera de s’excuser comme il se doit). "Bobbyyyy, comme on se retrouve." Le requin a donc un nom et Finnley reste muet, observant les gestes de la jeune femme autant que mémorisant son ton. Il a misé sur la bonne personne pour le sortir de là, il en est convaincu avant même qu’elle ne se lance dans une démonstration. Ce n’est certes pas bien difficile d’être plus à l’aise que lui dans ce milieu d’hypocrisie et de prétention, mais l’aisance dont elle fait preuve indique que c’est loin d’être sa première fois. "Je tenais à te remercier de la manchette à laquelle j’ai eu droit à propos de mon échec à mes examens de fin d'études. Je vois qu’on a toujours pas appris à vérifier ses sources, ça va te porter préjudice à un moment donné." Ses propos finissent par confirmer son impression, tandis que son regard quitte celui du journaliste pour se concentrer sur la jeune femme, essayant de l’identifier. Cette fois-ci, c’est lui qui n’a pas vraiment le choix de reconnaître qu’elle fait partie de ce milieu-là et le soulagement mélangé d’admiration qu’il a pu ressentir se transforme en doute et sentiment amer. Elle est des leurs. "Au lieu de t’inquiéter pour mon avenir, tu devrais plutôt t’inquiéter du tien. Avec des méthodes comme les tiennes, tu vas finir avec un procès aux fesses." Un instant, il a envie de s’immiscer pour questionner lesdites méthodes avant de réaliser qu’il ne veut pas atténuer l’avantage de la jeune femme, devenu le sien par la force des choses. Bien prostré derrière la jeune femme, le rouquin ne masque pas son soupir de soulagement lorsque le journaliste finit par les quitter, non sans laisser échapper un rire suite au "La bonne soirée !" provocateur de la brune qui achève la confrontation de belle manière. "Tu l’as échappé belle. Ne me remercie pas." Qu’elle finit par lui dire en lui adressant un regard avant de poursuivre son chemin devant l’air surpris d’un Finnley toujours muet. « Attends ! » Pourtant peu enclin à agir dans la précipitation et à exiger quelque chose des autres, il se le permet sans pour autant savoir ce qu’il veut exactement lui dire. Elle est des leurs et pourtant elle vient de se ranger de son côté, de quoi vite balayer cette première impression basée sur aucun argument concret outre que ses propres réserves. « Merci..., elle a dit de ne pas le dire, quand même. » Il rajoute comme une tentative de s’excuser d’aller à l’encontre de sa demande. « Je sais pas y faire avec eux. » Il souligne, toujours dans la volonté de se justifier. « Je sais pas vraiment y faire avec ce monde. » Il rectifie avec un rire nerveux, avant de réaliser qu’il ne monopolise pas seulement la parole, mais aussi son temps probablement précieux (elle est des leurs, après tout). « Désolé, c’est juste que t’es la première à m’adresser la parole ce soir. Enfin, je pense pas que Bobby comptait. » Puisqu’il était intéressé, contrairement à elle – ou du moins, il ne voit pas l’intérêt qu’elle pourrait tirer de ce sauvetage. « Alors, j’espère que tu me pardonneras de te remercier quand même, ... » Sa phrase reste en suspens comme une invitation à décliner son identité, comme le signe qu’il décide d’agir égoïstement et de ne pas vraiment la laisser partir. Et ce n’est pas juste parce qu’il peut ouvrir la bouche pour la première fois depuis des heures, mais aussi motivé par toute la curiosité qu’il essaie de contenir et toutes les interrogations dont il voudrait l’assaillir pour comprendre et, peut-être, imiter son aisance dans l’exercice.

@Evelyn Pearson

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Evie n’était pas naïve, mais elle était rêveuse. Elle était jeune aussi, et en dépit des épreuves et de ses tentatives de se démarquer de ses soeurs, elle était bien consciente de n’être rien de moins qu’une adolescente — avec ses combats et ses névroses qu’elle ne saurait pas apaiser, même plus de quinze ans après. Alors des rêves de sauvetage comme celui qu’elle venait d’initier, elle en avait secrètement alimenté quelques-uns et souvent, ce n’était pas elle qui s’élançait à corps perdu pour tendre la main à quelqu’un qui en avait besoin, mais bel et bien le contraire. Elle avait espéré longtemps, qu’une bonne âme vienne l’extirper du monde dans lequel elle évoluait, elle qui n’aspirait à rien d’autre qu’à s’émanciper, mais elle devait admettre qu’elle s’était longtemps fourvoyée sur l’intérêt réel qu’on lui portait au point qu’il lui paraissait de plus en plus évident qu’elle était la plus à même de se sauver. Elle le ferait, son départ pour Londres serait l’opportunité rêvée pour comprendre qu’elle n’a besoin de personne pour se dessiner une existence à la hauteur de ses ambitions. Ces dernières changeraient, et elle aussi, d’une certaine façon.
Elle avait des amis, elle avait un petit-ami, et pendant quelques temps seulement, elle était tombée dans le cliché de l’amoureuse transie qui voit en son cher et tendre le sauveur de sa destinée. Mais Owen n’avait rien d’un chevalier blanc, et sa propre capacité à s’amender de l’affection des autres la rendait clairvoyante sur l’avenir de leur relation. Encore une fois, elle serait bientôt partie, et il n’était pas prévu qu’il vienne avec elle. Elle ne le regrettait pas, elle en garderait un souvenir qu’elle chérirait longtemps après ça. Mais pour l’heure, pas peu fière d’avoir tenu le rôle de la rédemptrice, à défaut d’être la source des élans bienfaiteurs d’un inconnu, elle se détourna de la scène dans laquelle elle était vaillamment apparue. Elle s’en serait voulue, d’être passée outre la détresse de ce jeune homme qu’elle laissa derrière elle avec le charisme d’une partisane, déjà prête à fouler le hall d’un pas aussi déterminé que son envie de faire entendre à Bobby qu’il n’avait aucun droit de harceler ceux qu’il voyait sans doute comme son gagne-pain. Les journalistes, c’étaient les pires, et toute sa vie elle garderait une rancune tenace à leur encontre, persuadée qu’il y avait d’autres manières d’exercer cette noble discipline qu’en détruisant la vie de ceux qui n’avaient rien demandé.
Poursuivant son chemin sans s’inquiéter que celui à qui elle avait sauvé la mise ne la suive, elle jeta un bref regard par-dessus son épaule pourtant ; et elle le vit opérer un semblant de mouvement. Soudain, sa voix grave résonna dans le hall comme une alarme qui la fit se stopper dans un crissement de semelle quand elle se retourna, toupillant sur elle-même. Elle n’avait pas agi dans l’espoir de s’attirer la sympathie ou de recevoir des éloges, et d’ailleurs ça la gêna un peu d’en recevoir — elle tira sur les pans de la veste en jean de son père, se donnant des allures nonchalantes qui tranchaient avec la sueur froide qui suinta le long de sa colonne vertébrale. C’était entre elle et sa conscience, et parce que justement, elle avait nourri des rêves puériles dans lesquels elle tenait le rôle de la demoiselle en détresse, elle n’était pas sans savoir combien il était difficile d’être mis au pied du mur par quelqu’un qui se comportait comme un vautour. Elle ignorait pourquoi Bobby s’était intéressé à ce jeune homme, elle n’ignorait pas en revanche que ça ne changerait pas sa vie de le savoir. Tous ici jouissaient d’une certaine notoriété, aussi les débats pour savoir qui remporterait la médaille de celle ayant le plus d’impact, ce n’était pas pour elle. En d’autres termes, elle avait fait ce qu’il y avait à faire, point final.

Même à cette distance, elle voyait le malaise sur le visage du jeune homme, et elle comprit qu’elle devrait faire preuve de courtoisie pour ne pas creuser l’indécision qui s’échappait de sa gorge. Elle n’était pas plus hardie à vrai dire, mais elle savait y faire pour masquer ses propres émois, et tandis que ses mains quittèrent les bords de la veste qu’elle portait pour balayer une mèche de cheveux de son visage, elle lui dit avec un aplomb bienveillant "Tu aurais sans doute fait la même chose pour moi. C’est à charge de revanche." Et elle haussa les épaules en faisant la moue, s’attardant de loin sur l’allure qu’il avait et sur l’impression qui la saisit que, d’eux deux, il était probablement le moins coutumier de tout ce cirque dans lequel il avait mis les pieds. Elle ne savait pas pourquoi elle en était persuadée, peut-être parce qu’elle avait baigné dedans dès son plus jeune âge et que malgré ce qu’elle était essayait de démanteler en se comportant comme quelqu’un qui n’était pas de ce monde-là, elle avait des automatismes de petite-fille riche qui lui permettait de se rendre compte quand un novice remportait le ticket d’or. Elle plissa un oeil et pencha la tête sur le côté "J’aimerais pouvoir t’assurer qu’on fini par s’y habituer. Malheureusement, c’est de pire en pire avec les années." lui répondit-elle avec franchise avant de sourire douloureusement à ce qu’il ajouta à propos du fait qu’elle était la première à lui adresser la parole ce soir "Ils aiment se donner des allures de gens bien élevés. Je suis vraiment désolée." Je suis désolée. Pourquoi se sentait-elle obligée de s’excuser ? Elle ne s’attarda pas sur sa propre interrogation, remuant de quelques pas pour se diriger à nouveau vers le jeune homme à qui elle sourit pour de bon cette fois quand il laissa échapper sa dernière phrase — lui laissant silencieusement comprendre qu'il était tout pardonné "C’est quoi ton nom ?" lui demanda-t-elle avant de lui tendre la main droite, l’autre se glissant dans la poche de sa veste "Evie." lui dit-elle sans attendre en lui serrant la main, se donnant l’impression de jouer à la grande personne quand elle reprit en inclinant de nouveau la tête sur le côté "Tu partais avant que Bobby ne vienne se mettre sur ton chemin ?" Du pouce, elle montra timidement le hall qui s’étendait par-delà son épaule "Moi aussi. J’avais envie de marcher un peu, alors si ça te dit… ce sera toujours mieux que de te faire assaillir de questions auxquelles t’as pas vraiment envie de répondre." lui proposa-t-elle sans pousser les choses plus loin parce qu’ils ne se connaissaient pas, et qu’elle n’était pas de ceux qui insistaient lourdement.

Il n’aurait pas dû se fier à ce journaliste, même si sa confiance s’est résumée à lui répondre au lieu de simplement l’ignorer ; et dans un sens, il ne devrait pas plus se fier à cette fille qu’il ne connaît pas, finalement. Il ignore tout d’elle, il ignore si elle était ici en tant qu’invitée ou accompagnatrice et même si elle n’est pas de mèche avec le dénommé Bobby. Pourtant peu enclin à se méfier, à cet instant divers scénarios se succèdent dans l’esprit d’un Finnley dont la naïveté est souvent utilisée à son détriment. Combien de fois sa mère a-t-elle dû le reprendre suite à un mot ou une phrase anodine à ses yeux et qui pourtant, pourrait être interprétée de diverses manières ? Il sait qu’il ne comprend rien à ce monde où il faut réfléchir à chaque mot qui s’échappe d’entre ses lèvres et se méfier des visages bienveillants (surtout d’eux), mais une part de lui a envie de croire que cette fille est une alliée. Une croyance basée sur aucun autre argument que le simple fait qu’en vue de leurs âges similaires, elle n’a probablement rien à voir avec tout le gratin qui se congratule dans la pièce principale. Et pourtant, elle a aussi le même âge que Cora, qui fait partie de ce même gratin. Combien de fois des personnes intéressées par sa sœur ont prétendu s’intéresser à lui pour approcher la célébrité de la famille ? Elle pourrait ne pas faire exception à la règle, ayant saisi cette occasion pour se faire bien voir et s’assurer d’être présentée à Cora. Oui, il y a toutes ces choses auxquelles il devrait penser, auxquelles il pense pendant une seconde, avant de se rétracter et de se trouver stupide, faisant disparaître toute once de méfiance ou de soupçons. Ce n’est pas dans sa nature et, à ses yeux d’adolescent encore trop idéaliste, ça ne l’est pas plus dans la nature des autres, même s’il devrait cesser de se baser sur ses propres valeurs plus que sur ses expériences passées. Mais s’il en croit celle qu’il vient de vivre, alors cette fille est digne de sa confiance, peu importe si elle est accordée trop vite.

Et c’est de disparaître qu’elle semble, elle, vouloir faire au plus vite, alors que Finn la retient pour lui partager une gratitude dont elle ne veut pourtant pas – un autre signe qu’il peut lui faire confiance, n’importe qui aurait profité d’un élan de boost pour son égo acquis avec autant de facilité. Mais outre sa gratitude, c’est aussi un élan égoïste qui vise à la retenir, dû au fait qu’il n’a échangé avec personne au cours de la soirée et que, même si c’est le temps d’un soir, cette solitude n’est finalement que la continuité de celle qu’il ressent au quotidien. Alors si un instant, le temps qu’elle voudra bien lui accorder, il a l’impression de ne plus être invisible aux yeux des autres ou pas uniquement perçu comme « le frère de ». Peut-être que le fait d’être la victime d’un journaliste trop insistant n’est pas l’image qu’il aurait préféré renvoyer, mais le fait est qu’il s’agit au moins de lui et pas de ce qu’on s’efforce d’attendre de lui. "Tu aurais sans doute fait la même chose pour moi. C’est à charge de revanche." Il esquisse un rire gêné, s’interrogeant quant à savoir s’il doit se montrer honnête ou non face à cette hypothèse. Mais honnête, Finn l’est et c’est ce qui le différencie de ce monde, un point sur lequel il aime insister. « À vrai dire, je ne pense pas que j’aurais eu le courage. Mais je t’aurais accompagné par la pensée, évidemment. » Il ajoute, un peu nerveux, la crainte qu’elle détourne les pieds en comprenant qu’il n’aurait pas fait de même, bien qu’elle puisse compter sur sa loyauté pour qu’il lui rende effectivement la pareille si l’occasion se présente. Il n’est pas de ceux qui élèvent la voix pour se faire entendre, encore moins face à quelqu’un d’aussi impressionnant qu’un Bobby, mais il aurait sûrement à cœur de lui changer les idées après une telle rencontre ou, au moins, de rester avec elle. "J’aimerais pouvoir t’assurer qu’on fini par s’y habituer. Malheureusement, c’est de pire en pire avec les années." Son sourire disparaît alors qu’il pince les lèvres et se recroqueville légèrement sur lui-même. C’est bon à savoir. Brutal, mais bon à savoir. « Il me reste plus qu’à espérer que ma sœur retombe dans l’anonymat. » Qu’on l’oublie elle, qu’on l’oublie lui, qu’on oublie leur famille. Mais c’est un plan que leur mère n’a probablement aucune envie de voir se réaliser et qu’elle ne se séparera pas de sa poule aux œufs d’or tant qu’elle ne l’aura pas épuisée. "Ils aiment se donner des allures de gens bien élevés. Je suis vraiment désolée." Secouant la tête, il affiche un sourire sincère. « C’est pas ta faute. » Et c’est vrai, ça ne l’est pas. Elle, au moins, a le mérite de réellement l’être au milieu d’une foule d’hypocrites. "C’est quoi ton nom ?" Se saisissant de sa main avec un sourire sincère, allégé par le fait d’avoir le droit à une vraie interaction – la première depuis des lustres, et il ne compte pas sa petite sœur – il est ravi d’avoir l’opportunité de mettre un prénom sur ce visage. "Evie." « Finnley. » Il rétorque en lui rendant sa liberté. "Tu partais avant que Bobby ne vienne se mettre sur ton chemin ?" Hochant timidement la tête, il n’avoue pas qu’il partait sans réellement savoir où. Sa situation serait encore plus pathétique qu’elle ne l’est déjà. "Moi aussi. J’avais envie de marcher un peu, alors si ça te dit… ce sera toujours mieux que de te faire assaillir de questions auxquelles t’as pas vraiment envie de répondre." Et c’est toujours plus allégé que Finnley accepte la proposition, ravi d’avoir une excuse pour quitter ces lieux, incapable de désobéir à sa mère malgré son âge et sa rancune. « C’est d’accord, mais j’ai besoin que tu sois ma guide, je me suis perdu à peu près quatre fois depuis que je suis arrivé ici. » Il rit timidement, avant de calquer ses pas sur les siens. Il est entré ici parce qu’il était accompagné, mais il était bien incapable d’en trouver la sortie il y a encore quelques minutes, tout comme il était incapable de trouver un endroit suffisamment reculé pour espérer ne pas être dérangé. « Et puisque tu es plus familière que moi avec tout ça, j’attends aussi tes conseils pour trouver la planque parfaite. » Il ajoute, un peu plus à l’aise et bavard, comme s’il n’avait attendu que ça depuis le début de la soirée, l’opportunité d’aligner quelques mots qui ne soient pas des banalités – désolé pour elle.

@Evelyn Pearson

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Un léger rire s’échappa des lèvres colorées d’Evie. Il était honnête, pas du genre à se faire mousser pour se faire bien voir aux yeux de la fille Pearson. Elle avait rarement droit à ça, puisque généralement, on l’approchait en toute connaissance de cause, et alors elle avait droit à la parade des coqs des alentours, ou même des poules d’ailleurs, qui jugeaient bon chercher à l’impressionner en déroulant le savoir qu’ils avaient à propos de ce que sa famille représentait, de ce qu’elle représentait. Entendre la vérité de la bouche de quelqu’un, c’était assez rare dans le monde privilégié d’Evelyn, aussi la manière dont il lui répondit eut l’effet d’une bouffée d’air qui raffermit le sourire qu’elle lui accorda sans aucune hésitation, quand dans un chuchotis presque complice, elle lui dit en retour "C’est bon à savoir." You do you dirent ses yeux tandis qu’elle ne le jugeait pas de choisir la sécurité en restant à sa place. Peut-être que ça leur faisait déjà un point commun, car si elle se laissait aller à des rêves de sauvetage dont elle était la protagoniste, elle ne faisait pas moins partie de ceux qui préféraient s’occuper de leurs affaires plutôt que de celles des autres. Elle se sous-estimait, elle n’était pas si imbue de sa personne pour prétendre passer à côté d’un accident et ne pas apporter son aide, mais s’il y avait quelque chose à savoir sur Evie, c’était que se trouver des qualités ne faisait pas partie de ses attributions. Une mauvaise manie qu’elle aurait dû explorer avec un professionnel sans aucun doute, mais elle préférait couver ses névroses plutôt que de les disséquer pour les soigner. Qu’est-ce que ça disait d’elle, elle s’en fichait, elle savait que ces mêmes névroses l’aideraient à voir au-delà de ce qu’on lui servait sur un plateau d’argent qu’elle finirait par repousser pour de bon.

Elle haussa les sourcils, curieuse "Ta sœur ? Qui est-ce ?" lui demanda-t-elle du tac-au-tac quand il la mentionna, finissant pourtant par lui laisser le choix de développer sa réponse ou non en lui tendant la main pour se présenter comme une grande. C’était drôle, ce choix de présentation en particulier. Ils étaient jeunes, ils n’avaient pas besoin d’être aussi cérémonieux, et pourtant c’était le premier geste qui s’était imposé à elle. Un mimétisme dont elle se serait bien passé, qui en disait long sur la manière dont elle avait été élevée au final, et qui la plaçait dans la case des jeunes femmes trop bien élevées pour correspondre à l’image qu’elle essayait de se donner depuis quelques temps déjà. Une rebelle de pacotille, une parodie de militante qui se baladait avec des badges et des pins au revers de la veste en jean de son défunt père ; un personnage de bandes-dessinées, celle qu’elle aimait esquisser dans le coin de ses cahiers durant les heures de cours qu’elle suivait à l’école catholique, là où elle aimait semer la zizanie pour faire entendre au monde entier qu’elle valait mieux que ça, qu’elle ne croyait plus en grand-chose si ce n’était en elle-même. Elle avait des automatismes, qu’elle regrettait souvent après coup, c’était comme ça. Sa main frôlant celle de Finnley, elle la serra doucement dans la sienne, et répéta "Finnley. Enchantée." Qui pouvait se targuer d’être aussi polie à son âge ? Elle secoua la tête, récupérant sa main pour la fourrer dans la poche de sa veste. Elle haussa les épaules en amorçant un demi-tour sur elle-même pour guider le jeune homme, et par la même occasion, sortir du faste détestable de l’endroit dans lequel ils se trouvaient.
"C’est la première fois que tu viens ici, si je comprends bien ?" Pas un reproche, une constatation qu’elle amena doucement, la tête tournée vers lui pendant qu’elle marchait à un rythme soutenu à ses côtés. Un nouveau rire lui échappa, ses yeux papillonnant pour faire le point sur la porte majestueuse du hall qu’ils rejoignirent tous les deux "Tu ne risques pas grand-chose en te perdant, si ce n’est tomber sur la collection de magazines louches du propriétaire. J’ai juré de ne jamais plus en parler, ne me force pas à te raconter." jura-t-elle, une main sur le coeur, surjouant la promesse en se rappelant cette soirée où elle avait joué les fouineuses dans les coins reculés de l’hôtel privé pour éponger la détresse qu’elle ressentait à l’idée d’être coincée dans une soirée ennuyeuse à mourir. Elle fronça le nez, passant cette fois sa main dans ses cheveux quand, une fois sur les marches du perron grandiose, elle sentit la tiédeur de la nuit peser savoureusement sur les carrés de peau qui étaient exposés à l’air libre. Elle ne frissonna pas, mais elle serra ses poings à l’intérieur de ses poches, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes, et formant des croissants de lune qui la ramenèrent dans le moment présent.
Finnley était bavard, mais elle ne désapprouvait pas. En fait, elle prolongeait le dialogue avec aisance, un peu comme s’ils se connaissaient depuis plus longtemps que quelques minutes, mettant en exergue l’espoir qu’elle avait toujours nourri de tomber sur quelqu’un de son âge, à une soirée pareille — ce n’était pas souvent le cas, et quand ça l’était, elle était souvent déçue de s’apercevoir que ses comparses se complaisaient pas mal dans la vie qu’ils menaient. Pas elle, pas Finnley… c’était assez pour nouer quelque chose, quand bien même elle était gauche dans cet exercice, il y semblait plus à son aise, lui "D’après ma très grande expérience en la matière, le balcon est la meilleure planque. Mais j’y suis passée tout à l’heure, et je suis tombée sur un tableau qui me vaudra quelques heures supplémentaires de thérapie. Là encore, j’ai promis de garder ma langue." Ou pas. Elle grossissait le trait sur ce coup-là, elle avait tout simplement préféré partir, elle ne tirerait rien de cette soirée, avait-elle pensé en sentant la détresse s’infiltrer dans son sang à la seconde où elle avait posé les pieds dans le hall. Elle commença à dévaler les marches, et une fois en bas, elle se tourna entièrement vers Finnley pour le questionner à nouveau "Tu es là à cause de ta sœur, c’est ça ? Quel genre d’ultimatum tu as reçu pour accepter de vivre cette torture ?"

Maintenant qu’il a compris que cette fille n’est en rien une menace (ou peut-être qu’il continue à faire confiance beaucoup trop facilement), Finnley s’ose à se détendre légèrement, autant qu’il s’accroche peut-être un peu trop à elle, au risque de paraître collant. Il n’y a rien à y voir d’autre que la perspective de pouvoir enfin séparer ses lèvres après un début de soirée passé dans la solitude la plus complète où la seule personne qui lui a adressé un regard attendait quelque chose en retour. Car il faut dire ce qu’il est : Finnley est terriblement seul et rares sont les occasions pour lui de se socialiser. Il n’aurait pas pensé qu’il s’y essayerait dans un tel endroit où il tend à ne pas se sentir à sa place, mais il ne pensait pas non plus rencontrer quelqu’un à l’aura aussi rassurante. Il est peut-être biaisé par sa propre envie d’enfin participer, à sa façon, à cette soirée, mais ça ne change rien au fait que cette fille l’a littéralement sauvé et qu’il se permet de souligner avec légèreté que la réciprocité n’aurait pas été véridique. "C’est bon à savoir." La timidité mêlée à l’agacement qu’il ressent depuis le début de la soirée est désormais remplacé par un sourire sincère alors qu’il pince légèrement les lèvres, l’air d’accepter son sort à ses yeux et la lâcheté qu’elle peut désormais lui associer avec l’accord du principal concerné. Il a l’habitude d’être associé à divers défauts, Finn, mais celui-ci, dans ce contexte, ne se présente pas comme un problème et c’est agréablement reposant.

Quant au fait d’être confronté au succès, même en tant que dommage collatéral, il semblerait que l’habitude ne joue pas en sa faveur. C’est désagréable, d’ailleurs, que ça le touche autant, puisque sa mère lui fait bien assez souvent comprendre que la star de la famille, ce n’est pas lui (même s’il aurait pu le devenir, s’il avait été suffisamment charismatique du haut de ses six ans, du temps où il était lui-aussi emmené à tous les castings dans l’espoir de faire vivre à sa mère ses rêves de gloire avortés). Il ne devrait ainsi pas se sentir particulièrement concerné par toute cette situation, ne pas s’offusquer de ce rôle qui est le sien en supposant que, justement, ça pourrait être pire. Mais Finn vit dans l’ombre de sa sœur et les conséquences sont suffisamment nombreuses pour qu’il s’autorise à être touché. Rares sont ses camarades de classe qui s’intéressent à lui par pure sincérité et non pas dans l’espoir d’approcher son actrice de sœur, on ne parle pas des professionnels comme ce type quelques minutes plus tôt qui ne voient en lui qu’une source d’informations facilement manipulable. Et il passe sous silence ses propres difficultés à se construire en étant sans-cesse comparé à une célébrité, en étant considéré comme celui de l’ombre, celui qui n’est d’aucun intérêt et qui n’attire les autres qu’à cause de sa jumelle. Alors Finnley passe son temps à douter de tout et surtout de lui-même. "Ta sœur ? Qui est-ce ?" D’ordinaire, il n’aurait pas répondu cette question ou aurait profité de la révélation pour mettre un terme à la discussion. Pourtant, aujourd’hui, il se veut étonnement serein. « Cora Coverdale. C’est une actrice que le cinéma s’arrache. » Un rire vient ponctuer ce nom à la vue de la main tendue par la jeune femme qui contraste avec leurs âges, mais qui se veut de rigueur à en croire l’endroit où ils se trouvent. La saisissant pour finaliser la rencontre, il y a un étrange sentiment de légèreté à présenter sa sœur, ce soir, à cette Evelyn. Parce que c’est lui qui présente sa sœur, parce que ce n’est pas d’autres qui mentionnent qu’elle est justement sa sœur. C’est lui qui a le pouvoir d’en dire plus sur elle, peu importe si Evelyn la connaît (c’est probablement le cas), le fait est qu’à cet instant, c’est bien sa jumelle qui est associée à lui et non l’inverse ; et bon sang que ce sentiment aussi nouveau soit-il, est plaisant. "Finnley. Enchantée." Il l’est encore plus quand c’est lui qu’elle est enchantée de rencontrer et non le lien de parenté qu’il représente, la dernière marche avant une rencontre avec la gloire. Elle ne s’en rend sûrement pas compte, Evelyn et sûrement qu’elle ne fait même pas exprès, mais en quelques échanges, elle vient déjà d’aider Finn comme peu l’ont fait et comme peu ont réussi, surtout. « De même. » Il ajoute quand leurs mains reprennent leur liberté. C’est cérémonial, mais ça n’en demeure pas moins sincère

"C’est la première fois que tu viens ici, si je comprends bien ?" « Je plaide coupable. » De toute façon, s’il avait pris les devants, elle aurait vite compris qu’il n’a jamais mis les pieds ici, incapable de trouver la sortie. « Et sûrement la dernière. » Il ajoute, ses yeux qui papillonnent autour de lui, peu habitué à cet étalage de richesse et encore bien peu à l’aise au milieu de ce décor. Le seul hall d’entrée fait deux fois la taille de l’appartement qu’il partage avec sa petite sœur. "Tu ne risques pas grand-chose en te perdant, si ce n’est tomber sur la collection de magazines louches du propriétaire. J’ai juré de ne jamais plus en parler, ne me force pas à te raconter." Ça alors. Les riches sont-ils comme le commun des mortels, finalement ? « Je m’en voudrais d’être responsable de tes cauchemars. » En la forçant à se remémorer ce qui semble un moment difficile. Il ne lui fera pas cet affront, même si la curiosité est un vilain défaut et qu’il se demande quel est exactement le contenu des magazines en question. Le sourire amusé qui vient s’afficher sur ses lèvres face à son évident don pour la surenchère ne fait que confirmer l’aisance dont il fait désormais preuve en compagnie de la jeune femme, qu’il suit sans se poser de questions à travers ce labyrinthe. C’est vers le balcon qu’il serait préférable de se diriger, d’ailleurs, s’il en croit les bons conseils qu’elle accepte de partager. "D’après ma très grande expérience en la matière, le balcon est la meilleure planque. Mais j’y suis passée tout à l’heure, et je suis tombée sur un tableau qui me vaudra quelques heures supplémentaires de thérapie. Là encore, j’ai promis de garder ma langue." À ces propos, il ne peut s’empêcher d’observer un peu autour de lui à la recherche d’une quelconque particularité qui pourrait lui valoir à lui aussi quelques heures de thérapie, curieux d’avoir une idée plus précise de ce qui pourrait rejoindre les magazines et ce tableau au panthéon des cauchemars. « Je retire ce que j’ai dit. J’ai besoin de revenir ici pour voir le tableau en question. » Puisqu’elle a promis de garder sa langue (on ne peut vraiment compter sur personne), il n’aura d’autres choix que de mener l’expédition seul maintenant qu’elle a piqué sa curiosité. "Tu es là à cause de ta sœur, c’est ça ? Quel genre d’ultimatum tu as reçu pour accepter de vivre cette torture ?" Il n’est pas mécontent d’observer les dernières marches qu’il descend afin de ne pas lui laisser l’honneur de percevoir la déception dans son regard, qu’il essaie tant bien que mal de dissimuler à l’aide d’un faux sourire. La vérité, c’est que l’ultimatum n‘existe pas, qu’il ne s’agit que d’un garçon, qui  du haut de ses seize ans, reste un gamin,  bien naïf en croyant que sa famille pourra un jour se réunir. « Il y a pas vraiment d’ultimatum. » Il avoue, un peu hésitant à l’idée de raconter sa vie et de lui donner envie de fuir, mais poursuivant toutefois : « j’y voyais l’occasion de passer du temps en famille, ma mère, qui est l'agent de ma sœur, y a vu l’occasion de faire taire certaines rumeurs. » Mais eh, les histoires de famille, c’est toujours compliqué. Il ne lui apprend sûrement rien, pas plus qu’il a envie de lui faire perdre son temps. Il a conscience que ce n’est pas exactement le meilleur endroit pour un bon moment en famille, mais on ne peut pas dire que les occasions s’y prêtent, alors il se contente de ce qu’il a. « Est-ce que je suis censé te connaître ? » Qu’il finit par demander, un peu abrupt, ne voulant pas la mettre mal à l’aise, mais néanmoins curieux de savoir de quel côté elle se situe. De celui des accompagnateurs, comme lui, ou des célébrés, comme Cora. Pas que ça changera quelque chose. Ou du moins, il s’en persuade.  

@Evelyn Pearson  

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Cora Coverdale. Le nom venait d’être lâché, et il inspira à Evie rien de plus qu’un simple acquiescement, coins de la bouche affaissés et haussements d’épaules en prime. Elle fourra ses mains dans les poches de sa veste en jean, se calant sur le pas du jeune homme qui était à ses côtés, et pendant un court instant, elle perdit de vue leur tentative de s’échapper pour se concentrer sur ses propres pensées, ses pieds marquant d’eux-mêmes le chemin a fouler avec décontraction. Elle avait cessé de juger les autres sur leur filiation, ça aurait été compliqué de le faire étant donné son propre bagage en la matière. Il y avait une obsession autour du besoin qu’avaient les autres de se faire une idée de quelqu’un en apprenant de quelle famille il venait, et autant ça paraissait logique dans une certaine mesure, jouissant d’un aspect pratique qui arrangeait bien les paresseux, autant pour Evelyn c’était une erreur de débutant qu’elle ne préférait pas commettre. D’accord, l’éducation qu’on recevait bâtissait les fondations de la personne qu’on devenait, que cette éducation soit douce ou dure d’ailleurs, mais il y avait certaines personnes qui parvenaient à pousser loin de leurs racines pour devenir quelqu’un d’autre, à l’opposé de ce qu’on attendait d’eux. C’était ce qu’elle, elle aspirait à faire très prochainement, et elle avait hâte de s’en donner les moyens. Elle ne voulait pas qu’on l’associe sans cesse à cet arbre généalogique duquel elle venait, et parce qu’elle avait ce genre d’ambition, elle gardait à l’esprit de ne pas traiter ses nouvelles rencontres comme une seule pièce d’un tout.
Finnley devait être plus que ça, la question ne se posait même pas. Il avait beau être le frère d’une actrice célèbre, est-ce que c’était assez pour se faire une idée de la personne qu’il était réellement ? Elle pouvait se perdre en supposition évidemment, faire éclore son arrogance en émettant des théories bancales sur son besoin de quitter cette réception pour se dire qu’elle était diablement maline, et qu’elle n’avait pas besoin de le questionner davantage pour en savoir plus. Mais ça aurait été lui faire insulte que de croire qu’il était si facile à lire — il était sympathique en tout cas, sa répartie lui plaisait autant que la manière qu’il avait de s’adresser à elle comme s’il la connaissait. Sûrement que d’autres auraient trouvé qu’effectivement, il était aussi opalescent que la couleur de ses yeux, et qu’ils savaient qui il était sans même avoir besoin de lui parler. Mais pour Evie, il s’agissait davantage de le séparer de cette fâcheuse caractéristique que de fonder ses conclusions dessus. Pour l’heure, à ses yeux, il n’était rien d’autre que quelqu’un qui, tout comme elle, n’avait pas trouvé sa place au milieu des hôtes d’un monde trop grand pour eux. Ça en disait davantage sur sa nature profonde, et c’était plus important que le nom de famille qu’il portait

Elle ne tenait pas à lui poser des questions sur le comment il vivait la notoriété de sa sœur, elle avait déjà une idée précise de l’effet que ça devait avoir sur la vie qu’il menait. D’autres prétendraient que c’était ce qui le rendait intéressant finalement, d’être associé au talent d’une étoile. De l’avis d’Evelyn, c’était subjectif de se baser sur cette simple information pour faire le tour de l’histoire d’un individu, et elle se promit de ne plus parler de sa sœur avant qu’il ne le fasse lui-même.
Et il le fit, mentionnant également sa mère. Un haussement de sourcils lui échappa. Un peu inadéquat, il était aussi spontané que ce qu’elle lui répondit, la tête tournée dans sa direction et les yeux scannant brièvement les traits qu’il lui renvoyait sous l’éclairage tape-à-l’œil que leur offrait l’allée qu’ils descendaient en rythme "Les histoires de famille, c’est compliqué, hm ?" Elle aurait très bien pu lui lancer quelque chose du genre montre-moi la tienne, je te montrerai la mienne, mais elle était assez délicate pour déceler que, comme pour elle, il s’agissait d’un sujet on ne peut plus délicat. Dans quelle mesure, elle ne tenait pas vraiment à le savoir finalement, elle en avait assez à faire avec la sienne, de famille. Mais dans le fond, elle fût touchée de se dire qu’il s’était enthousiasmé pour quelque chose qui lui avait explosé au visage, et qui n’avait même pas rejoint ses attentes. Elle le trouva touchant, encore plus quand il lui demanda s’il était censé la connaître.
Elle laissa un rire lui échapper, et le visage qu’elle avait tourné dans sa direction, elle le détourna pour consulter un instant le ciel d’encre qui les surplombait. Son père était là, quelque part, c’était ce qu’on lui avait appris à croire dès lors qu’il était parti, et ça l’arrangeait parfois de se dire qu’il veillait sur elle de là-haut. Il ne pouvait en être autrement, les Dieux n’étaient-ils pas supposés vivre en amont du commun des mortels ? Elle chassa cette pensée bouleversante de son esprit, puis elle se mordit la lèvre en baissant le menton pour froncer les nez, et enfin lui répondre "Pas vraiment. Tu connais peut-être mon père… difficile à dire, tu as l’air aussi jeune que moi." Elle n’avait jamais été bonne pour cet exercice en particulier, peut-être parce que d’ordinaire, on s’exemptait de la politesse de lui demander qui elle était. Les gens savaient, ils s’en repaissaient avec l’avidité des gourmands, songeant à tout ce que son nom représentait, et à la lueur d’orgueil dont ils profiteraient s’ils entraient dans son cercle — dans celui de sa mère, plutôt. C’était rafraîchissant pour elle aussi, d’être questionnée à ce sujet, encore qu’elle se sentit un peu mal à l’aise à l’idée de rentrer dans le détail, et que la bouche entrouverte, elle ne sut pas comment exposer les choses sans tomber forcément dans le pathos. Alors, un petit moment, elle resta là, à faire jouer le bout de sa langue dans l’interstice qu’elle avait laissée entrebâillé, jusqu’à ce qu’elle réussisse enfin à trouver la bon bout à tirer pour se lancer "Il joue au rugby." Il jouait, aurait-elle dû dire, mais elle ne se corrigea pas sur cette phrase-ci, et enchaîna — altérant sa grammaire pour la suite, une ébauche discrète de la tragédie qu’elle avait vécu "Il était bon." Un euphémisme. Et pourtant, elle n’était pas particulièrement intéressée par la discipline, sans doute manquait-elle d’objectivité de fait "Il est devenu sacrément reconnu, je crois qu’on parlait déjà de lui comme une légende à l’époque." Elle opina, plus pour se donner une contenance qu’autre chose quand elle dû lui dire que "Mais il est mort. Inutile d’être désolé, ça fait des années. Depuis, ma mère fait fructifier son héritage en utilisant son nom comme moyen de faire de la prévention et de la recherche médicale." C’était une façon plutôt sarcastique d’exposer les faits sans vraiment entrer dans les détails. Pourtant, c’était la stricte vérité, et quand bien même ça la blessait profondément, un rire fila d’entre ses lèvres serrées quand elle ajouta en lui donnant un léger coup de poing dans l’épaule — un coup très délicat "On est tous les deux la pomme tombée trop loin de l’arbre." C’était triste, ça eut pour effet de la faire rire davantage néanmoins.

Par la faute d’un certain instinct de survie, Finn avait pris pour habitude de ne pas dévoiler l’identité de sa sœur, sauf en cas de force majeure. Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas le cas lorsqu’il la révèle à Evie, sans la pointe de ressentiment qui accompagne d’ordinaire le prénom de sa sœur. C’est suffisamment rare pour être souligné, qu’il se sente autant en confiance pour baisser sa garde avec une telle rapidité. Souvent, il sait qu’aussitôt l’identité de sa sœur connue, la dynamique change ; et l’intérêt qu’on pouvait lui porter devient un intérêt à l’égard de sa sœur, concrétisant toujours plus ce sentiment de vivre dans l’ombre de sa jumelle, de n’être qu’un « frère de » qui n’a pas le droit d’écrire sa propre histoire. Il y en avait eu un grand nombre, de gens qui sympathisaient avec lui seulement par espoir d’être amené à rencontrer la célébrité de la famille, ce qui l’avait obligé à user de stratégie pour ne jamais être associé à ce nom qu’il doit pourtant assumer tous les jours. C’est au lycée que l’épreuve avait été la plus difficile, quand tout autour de lui le ramenait à Cora, qui était l’idole de ses camarades et c’était peut-être le seul avantage à avoir mis un terme à ses études avant même qu’elles ne soient terminées. Le monde du travail, dans lequel il a été projeté contre sa volonté, lui permettait de mieux cacher son lien de parenté, en se contentant d’un prénom ; rares sont ceux qui s’intéressaient au reste de son identité, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Mais il continue néanmoins d’occulter sa filiation par nécessité de survivre et d’exister par lui-même ; ce qui rend la confession bien moins anodine que ce qu’elle semble. Pour être ici, de toute évidence, cette fille baigne dans cet univers qui lui est encore inconnu et peut-être qu’elle aurait pu faire le lien d’elle-même avec cette tignasse rousse comme indice. Ou peut-être qu’il a tellement été le dommage collatéral du succès de sa sœur qu’il en vient à oublier qu’elle peut néanmoins rester une inconnue aux yeux d’une partie de la population, mais l’âge d’Evie lui indique qu’elle est, à l’inverse, le public cible de Cora. Peut-être est-ce par simple politesse qu’elle ne relève pas, ou peut-être qu’il devrait simplement cesser de prêter des intentions à tout le monde par simple habitude et considérer que, parfois, les gens autour de lui peuvent être sincères.

Et de la même manière que l’évocation de sa sœur par d’autres a tendance a aussitôt le braquer, la question d’Evie ne fut pas mal interprétée ou perçue comme une manière détournée d’en arriver à ce qui l’intéresse vraiment. Et c’est lui qui l’intéresse, il en a l’impression et celle-ci n’est pas désagréable. Il n’a pas la prétention de croire qu’Evie boirait ses paroles, oh ça non, mais qu’elle pose des questions dans le but d’obtenir des réponses et non pas seulement par simple politesse. Ce qui le pousse à s’ouvrir un peu plus sur des détails qu’il n’aborde que très difficilement en temps normal et l’état des relations familiales en fait partie. L’expression sur le visage de la jeune fille ne l’offusque pas, au contraire, c’est même un sourire qui s’affiche sur son visage, accentué par sa (très juste) réflexion : "Les histoires de famille, c’est compliqué, hm ?" Acquiesçant, il ne peut que lui confirmer en ajoutant : « J’ai l’impression que tu sais de quoi tu parles. » Sa voix est néanmoins peu assurée afin ne pas lui donner l’impression d’exiger des confessions qu’elle n’a aucune obligation à lui fournir, souhaitant simplement souligner qu’ils ont l’air d’être dans le même bateau. Finn ne va pas plus loin malgré certains questionnements, conscient que ce n’est pas son rôle et qu’il serait dommage que la seule conversation enrichissante de la soirée se termine de manière abrupte.

En ce sens, ce n’est peut-être pas très judicieux de sa part de la questionner sur son identité alors qu’elle s’est contentée d’un simple prénom quelques minutes plus tôt. Peut-être qu’au fond, elle-aussi désire conserver un certain anonymat et que le voilà qui met à mal celui-ci. Il a l’impression d’être le seul inconnu convié à cette soirée, même si ce n’est pas le cas et qu’ainsi, il est voué à connaître tout le monde autour de lui. Et si la conversation lui donne l’impression qu’elle appartient aux invisibles comme lui, son assurance la fait glisser dans l’autre extrême. Peut-être qu’au final, la question vise surtout à satisfaire sa curiosité personnelle. Finn n’est pas vexé par son rire, au contraire, il est le plus sincère qu’il a entendu de la soirée, ce qui n’est pas difficile tant l’hypocrisie règne à l’intérieur des murs qu’ils ont quitté. "Pas vraiment. Tu connais peut-être mon père… difficile à dire, tu as l’air aussi jeune que moi." Il a suivi son regard quelques secondes plus tôt, s’interroge quant à son hésitation et découvre maintenant son silence, tant d’éléments qui sont des indices de la manière dont il a probablement mis les pieds dans le plat, sans réellement le vouloir. Sa question se voulait innocente mais, désormais, il s’en veut de l’avoir posée et aimerait beaucoup revenir en arrière pour effacer cette maladresse de sa part. Il aurait eu de multiples occasions de s’excuser durant ce silence, mais il ne le fait pas, pas parce qu’il ne le souhaite pas, mais parce qu’il ne voudrait pas accentuer la légère gêne qu’il ressent entre eux. "Il joue au rugby." Oh, il ne le connait pas, c’est certain et ce n’est pas une question d’âge, mais d’intérêt. "Il était bon." L’usage du passé associé aux éléments précédents lui font comprendre l’ampleur de sa maladresse et il se pince les lèvres. Cette fois-ci, s’il ne s’excuse pas, c’est pour ne pas lui donner l’impression de la prendre en pitié. "Il est devenu sacrément reconnu, je crois qu’on parlait déjà de lui comme une légende à l’époque." Et si même avec un prénom Finn n’aurait aucune idée de l’identité de son père, le sien, par contre, aurait probablement été en mesure de la deviner et de s’en réjouir, en grand fan de sport qu’il était. "Mais il est mort. Inutile d’être désolé, ça fait des années. Depuis, ma mère fait fructifier son héritage en utilisant son nom comme moyen de faire de la prévention et de la recherche médicale." Il y aurait quelque chose de touchant dans cette démarche, si les mots choisis par Evie ne laissaient pas présager qu’elle ne voit pas les choses comme lui les voit à première vue. « J’ignore qui est ton père, oui, mais je suis certain que mon père devait être un grand fan. L’amour du sport a sauté une génération. » Il souligne avec un doux rictus, obéissant quant au fait de ne pas être désolé tout en lui offrant l’information qu’il ne l’est pas sous prétexte de sa demande, mais parce qu’il connait cette position indésirable où les autres veulent bien faire et finissent par glisser vers la pitié. Les histoires de famille, c’est compliqué, oui, et finalement, les leurs sont peut-être plus proches qu’ils ne l’auraient pensé. "On est tous les deux la pomme tombée trop loin de l’arbre." Son rire se mêle au sien, bien que le constat ne prête pourtant pas à l’hilarité. « Ça fait de moi quelqu’un d’horrible si je te dis que ça me rassure un peu, comme constat ? » Pas qu’il se réjouisse de son malheur, non, comme il s’empresse de le préciser : « C’est juste que... c’est la conversation la plus normale que j’ai pu avoir de toute la soirée. Si ce n’est pas de la semaine. » Bien sûr, les échanges sont moins tendus avec sa petite sœur, mais elle est plus jeune que lui, il passe son temps à trouver l’équilibre entre son rôle de frère et celui de père de substitution, alors il en oublie de fréquenter des gens de son âge. « Et ça fait du bien. » Merci, en d’autres termes.

@Evelyn Pearson  

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{seventeen going under}
crédits gif & code fiche/ (andyoursisorange & malibu) ✰ w/ @Finnley Coverdale

S’il en allait de son propre constat, à savoir qu’effectivement, les histoires de famille, c’est compliqué, Evelyn ne prit pas la peine de confirmer qu’elle en était aussi consciente que lui parce qu’elle était constamment prise entre deux feux; entre son envie de rendre fière quelqu’un qui ne l’aura pas vu grandir — ou du moins, si on considérait la foi dans laquelle elle avait été élevée, et qu’elle continuait de pratiquer par obligation, prétendrait-elle, ne serait pas tout à fait à ses côtés pour la voir grandir — et celle de contredire à peu près toutes les intentions de celle qui au contraire la suivait depuis le jour un. C’était compliqué à expliquer, ce qu’elle ressentait vraiment pour sa mère. Leur manière de fonctionner l’était tout autant, et puisque ça lui paraissait justement trop difficile à verbaliser, elle se garda de faire davantage de confidence au jeune homme à ce sujet-là. Il était pourtant évident qu’ils partageaient le même point de vue sur tout ça, et même si c’était un peu impudique de vouloir se lancer sur un tel terrain, elle se demanda au fond ce qu’il pouvait véritablement ressentir face à la notoriété de sa sœur; il paraissait si discret qu’en définitive, elle n’avait pas de mal à l’imaginer être l’ombre de cette étoile qu’il avait pour sœur. En fait, elle était plus que capable de se le représenter, elle vivait plus ou moins la même chose, à la différence que Kai n’était plus là, et que c’était traiter avec des facettes différentes du souvenir qu’il avait laissé à chaque personne qui l’avait adulé, à chaque personne qui l’avait côtoyé, à sa famille, à son épouse et surtout à ses filles. Elle et soeurs, elles ne parlaient pas tellement de leur père toutes ensembles; elles ne partageaient pas leurs souvenirs autour d’un chocolat chaud, les soirs d’hiver, quand la nostalgie guette au point de sentir quelque chose en soi se décomposer pour rejoindre celui qu’on a perdu. Sans doute parce que c’était encore trop douloureux, et qu’avec la volonté de leur mère de porter Kai en véritable héros, il y avait tant de choses qui paraissaient fausses. Pourtant Evie savait, pour se battre régulièrement avec l’idée qu’il n’était pas uniquement une légende dans le sens le plus tape-à-l’œil du terme, qu’il était bel et bien un homme capant ferme sur ses idées et qu’il aurait détesté la croisade menée par sa femme. C’était ça qui la forçait aussi à se montrer moins impliquée dans tout ce qui tournait autour de La Fondation, comme si chargée d’une grande mission, elle se devait de rétablir certaines vérités qui faisaient mal à entendre: elle savait au plus profond de ses os qu’il aurait haït être porté comme contre-exemple d’une cause comme celle-ci et que sa mort, s’il avait été capable de s’en rendre compte quand elle l’avait frappée sans prévenir, elle le rendrait fier et digne de l’éthique de sportif qu’il avait suivi toute sa vie; qu’importe les dangers, qu’importe la finalité, il aurait préféré mourir que devenir le porte-drapeau d’une vaste campagne de prévention qui l’aurait rendu plus vulnérable encore, lui qui s’était efforcé toute sa vie de paraître dur comme la pierre. La fierté, ça rendait un peu stupide parfois, et sans même avoir besoin de se battre pour ça, il avait obtenu ce dont il aurait été capable pour prouver sa combativité et sa fidélité à ses valeurs les plus marquées.

"Kai Pearson." précisa-t-elle quand Finn releva qu’elle ne donnait pas son nom, et elle sentit sa gorge se serrer presque immédiatement. C’était difficile parfois de dire son prénom, et pourtant dans le futur, elle s’efforcerait à le mentionner uniquement de cette façon parce que ça lui permettait de prendre un peu de distance avec ce que ça faisait à son cœur de prononcer les mots mon père ou papa "Si c’est inscrit dans les gènes, je devrais me poser des questions. Je déteste ça, moi aussi." Le sport. Et elle avait ses raisons, trop consciente des risques que ça faisait encourir parfois; c’était pour cette raison que, même si elle côtoyait des sportifs, et qu’elle en avait même un pour petit-ami — un rugbyman qui plus est, quelle ironie —, elle s’évertuait à rester à l’écart en lui rappelant ce qu’il risquait de gagner si ça devenait trop intense. Une bonne thérapie mettrait en exergue cette fâcheuse tendance qu’elle avait de s’amouracher de ceux qui partageaient certaines caractéristiques avec son paternel, mais même à plus de trente ans, elle s’obstinerait à ne pas vouloir consulter. Tant pis, tant mieux.
Elle rit de nouveau, et en même temps que Finn cette fois-ci "Peut-être. Mais on sera deux à être horribles dans ce cas, et on m’a toujours dit que c’était toujours plus réconfortant d’être plusieurs." Elle enfonça un peu plus ses mains dans les poches de sa veste avant d’en retirer une pour jeter un coup d’œil au cadran de sa montre. Elle s’arrêta en bon chemin cependant, interpellée par ce que le jeune homme ajouta et qui lui fit marquer une pause le temps d’échanger un regard avec lui. Evie eut un moment d’absence, et puis elle fronça le haut de son nez pour mieux fermer brièvement les yeux l’instant d’après, et lui dire en s’arrêtant sur le chemin qu’ils foulaient tous les deux "Quelqu’un doit passer me prendre." commença-t-elle, et un pouce à l’ongle peint en noir, un peu rogné sur les bords, montrant une direction au hasard, elle sentit que ça lui faisait quelque chose de l’entendre dire ce genre de choses — il devait être seul, ce garçon, terriblement seul "Si ça te dit, tu pourrais venir faire un tour avec nous ? On a prévu d’aller manger quelque chose dans le centre, ce sera toujours plus consistant que les hors-d’œuvres qu’on sert là-bas." Son pouce changea de trajectoire pour désigner le là-bas duquel elle parlait. Après un court instant, elle baissa la main, et haussant les épaules, elle ajouta avec presque de la timidité "Ne te sens pas obligé d’accepter, c’est juste si tu as envie de continuer à discuter." Elle opina du chef, pinçant brièvement les lèvres pour s’efforcer à ne pas en dire plus, comme pour se convaincre que c’était une mauvaise idée d’admettre qu’à elle aussi, ça lui faisait du bien de discuter avec quelqu’un qui ne savait pas qui elle était et qui ne la traitait pas comme la victime d’une espèce de fait divers.

Il en aurait, des choses à en dire, sur les histoires de famille dites « compliquées ». Tous les efforts du monde ne parviendraient pas à l’aider à résumer sa situation familiale en quelques mots ; bien que ce terme s’applique parfaitement à ce qu’il traverse avec sa mère et sa sœur. Et si sa pudeur l’empêche de s’étendre sur le sujet – autant parce qu’il n’en a pas envie que parce qu’il suppose que ça n’intéresse pas Evie, il partage néanmoins cette impression qui relève plus du ressentiment avec la jeune fille. Il module sa voix, ne veut pas paraître indiscret autant que d’avoir l’air d’exiger des mots qu’elle n’a aucune raison de lui fournir. Il ne sait pas vraiment ce qu’il fait, en réalité, Finn, quand il se sent obligé d’apporter cette précision. Peut-être parce que dans le fond, même s’ils demeurent tous les deux discrets et silencieux sur cette dite famille compliquée, il perçoit un certain point commun qu’aucun n’a clairement verbalisé. Mais ce sont des impressions, de celles qui n’ont pas besoin d’être confirmées pour être considérées comme véridiques et ça suffit à un Finnley qui s’accroche peut-être un peu trop à la perspective de ne pas être totalement seul face à des problématiques qui concernent pourtant bien d’autres jeunes de leur âge. Ils ne sont pas les premiers, ils ne seront pas non plus les derniers, à avoir des difficultés avec leur entourage proche ; mais Finnley n’a que rarement l’occasion de souligner celles-ci, même de manière superficielle, car il n’a de manière générale que rarement l’occasion de côtoyer des jeunes de son âge. Et des jeunes de son âge qui sont aussi des dommages collatéraux d’une notoriété, directe ou indirecte, encore moins. Il en est presque désolé pour Evie, qu’elle ait eu le malheur de se mettre sur sa route ce soir-là, qu’il soit bien plus investi dans cette conversation qu’il ne l’est d’ordinaire avec le reste du monde. Elle l’a sauvé de cette confrontation avec le journaliste et s’apprêtait à continuer son chemin ; il n’a pas pu s’empêcher de la retenir et, peut-être qu’il serait temps pour lui de la libérer. Mais pour une fois Finn a envie d’être égoïste, a envie de poursuivre cet échange qui, bien que dans la retenue, demeure terriblement sincère.

Et peut-être que sans le vouloir, il en demande trop, alors que la jeune femme finit par préciser l’identité de son paternel. "Kai Pearson." Et même le plus grand inculte ne saurait prétendre que ce nom n’est pas un minimum familier. Son père aurait hurlé, ce serait extasié et aurait félicité ses exploits, lui se contente de hocher légèrement la tête pour lui souligner que le nom ne lui en effet pas totalement inconnu, bien qu’il ne lui fera pas l’affront de l’amener sur le sujet. Parce qu’il n’est plus de ce monde, et parce qu’il ne s’agit finalement pas de lui. "Si c’est inscrit dans les gènes, je devrais me poser des questions. Je déteste ça, moi aussi." Il esquisse un léger sourire, haussant les épaules avec amusement ; à croire qu’ils sont définitivement les moutons noirs de leur famille et qu’ils ont été épargné de certains héritages. Il pourrait se surprendre qu’elle en soit aussi détachée, alors qu’avec un père comme le sien, tout le prédestinait à avoir un minimum d’intérêt pour le sport, mais encore une fois, il ne s’agit pas de son père et il n’a aucune envie de la résumer, même brièvement, à celui-ci. Un constat qu’elle fait à son tour et qui a le don d’alléger les épaules autant que le cœur du rouquin. "Peut-être. Mais on sera deux à être horribles dans ce cas, et on m’a toujours dit que c’était toujours plus réconfortant d’être plusieurs." Hochant doucement la tête, il ne peut que lui donner raison. « Et je suis heureux de dire qu’aujourd’hui, je peux le confirmer. » Il s’amuse doucement, avec un léger sourire. Jusqu'ici il n’avait pas eu le soulagement de partager ce sentiment avec qui que ce soit ; cette impression de sortir des clous, de ne pas avoir sa place là où elle devrait être, de n’appartenir à rien. Il ne sait pas si Evie partage cette impression sur tous les points, toujours est-il qu’elle s’en rapproche comme jamais personne avant elle et que c’est agréable. C’est agréable, surtout, de ne pas se sentir seul, pour une fois, même si rien n’indique que leurs chemins se recroiseront. C’est une accalmie qui est peut-être unique et qu’il apprécie d’autant plus qu’elle semble toucher à sa fin alors qu’il la voit jeter un œil à sa montre, rester silencieuse en instant après ses remerciements détournés ; et lui annoncer que "Quelqu’un doit passer me prendre." Un instant, il imagine qu’il s’agit d’une manière polie d’en rester là et il pourrait comprendre – il l’a beaucoup sollicitée ce soir et rien ne l’obligeait à lui faire la conversation. "Si ça te dit, tu pourrais venir faire un tour avec nous ? On a prévu d’aller manger quelque chose dans le centre, ce sera toujours plus consistant que les hors-d’œuvres qu’on sert là-bas." Il ne cache pas la légère surprise qui s’affiche sur son visage, de ses sourcils qui se haussent légèrement à ses yeux qui s’écarquillent un instant. "Ne te sens pas obligé d’accepter, c’est juste si tu as envie de continuer à discuter." Un sourire s’affiche sur ses lèvres alors qu’elle ne se rend pas compte de tout ce qu’il préférerait plutôt que de rester ici ; et discuter avec elle est en tête de liste. « Je voudrais pas m’imposer. » Il débute, parce qu’il a toujours cette peur de déranger, Finn et que ce soir ne fait pas exception à la règle. « Mais ça me ferait plaisir, oui. » Il reconnaît, ses lèvres toujours étirées et son regard dans le sien. « Et puis, c’est pas comme si elles allaient remarquer mon absence. » Il ajoute, en détournant la tête vers la bâtisse. Ni sa sœur ni sa mère ne s’en rendront compte avant de quitter les lieux et en vue de la manière dont sa génitrice prend bien trop de plaisir à se pavaner, il a encore quelques heures devant lui. Pas qu’il compte s’imposer autant aux côtés d’Evie, mais chaque minute de sursis est agréable. « Merci. » Et cette fois-ci, il ne réfléchit pas à la manière de détourner sa gratitude ; il la reconnait, tout simplement.  

@Evelyn Pearson