Bayside. Je connais cette ville presque sur le bout des doigts. L’on pourrait penser que Brisbane est bien trop grand pour en connaître chaque racoin, la solution à cela est de sortir mais toujours aux mêmes endroits. J’ai l’habitude d’y rejoindre mon frère dans mes rares journées de congé, généralement pour s’enchaîner quelques montées. Aujourd’hui ne fait d’ailleurs pas exception, et c’est l’esprit tranquille que je me gare dans le carré d’asphalte servant de stationnement à la plage, mais aussi à la falaise qui la jonche. Car oui, c’est au sommet de ce belvédère naturel que Martin et moi avons l’intention de grimper ce matin. Je n’ai pas vu Martin depuis au moins quelques mois à cause des responsabilités que viennent avec n’importe qui travaillant à l’hôpital, mais je ne suis pas stressé. Ce ne serait pas la première retrouvaille entre Martin et moi, et au final même si les mois se défilent parfois sans que nous puissions nous voir, les liens du sang ont cette solidité inexplicable qui fait en sorte qu’ils résistent à l’épreuve du temps.

J’enfile mon sac de sport à mon épaule et me dirige nonchalamment vers la plage. Il est tôt encore et la plage est déserte, comme prévu. Je suis arrivé un peu en avance ou bien c’est Martin qui est en retard, car je suis pour le moment le seul être vivant sur cette mer de sable. Le lever du soleil pointe le bout de son nez à l’horizon et donne une allure relaxante à l’endroit. Je m’avance d’un pas pénard vers la falaise pour donner une chance à mon frère de me rattraper au cas où il arriverait sous peu, enfonçant mes pieds à chaque pas dans le sable pour profiter de sa fraîcheur. Cela ne prend pas plus de deux minutes toutefois, que me voilà déjà arrivé au pied de cet immense étendu de roches. Je dépose mon sac au sol et lève les yeux vers le sommet. De ci-bas, la montée semble plus imposante qu’elle ne l’est réellement, mais c’est ce petit sentiment de vertige qui me donne des frissons dans le dos à chaque montée et me fait apprécier ce sport qu’est l’escalade. Je me retourne brièvement, pour m’assurer que je suis bien à la vue du stationnement. Pas de doute, si Martin arrive à ce moment, il ne pourra pas me manquer.

J’en profite pour ouvrir mon sac et en déballer le contenu : cordes, harnais, craie pour les mains et chaussures d’escalade et, le plus important, deux bières froides que je réserve pour le sommet. Cette falaise représente un endroit pas mal fréquenté par les grimpeurs et des piquets ont déjà été plantés à son sommet, de longues cordes tombant le long de la falaise à quelques endroits pour pouvoir s’y accrocher.

@Martin Murphy

Ian est de retour. Après des années passée dans un autre pays, il est officiellement de retour à Brisbane et pourtant j'ai l'impression qu'il est beaucoup plus éloigné. Bien que nous habitons dans la même ville et dans des quartiers voisins, son boulot est bien trop prenant. Il a eu du mal à se détacher de l'hôpital et je pourrais presque le prendre mal si je n'étais pas bien trop occupé avec ma propre vie ces derniers temps. Mon collègue Swann est de retour, le cabinet connaît l’accalmie annuelle, le père de Loan est toujours hospitalisé dans un centre de rééducation, j'ai du mal à reconnaître mon meilleur ami tant il est enfermé dans cette bulle que je ne parviens pas à atteindre, son copain Clément me tape sur le système bien plus facilement qu'à l'accoutumé, Ivy a comme disparu de la circulation et Eirean a emmené notre fils en Irlande pour y passer l'hiver. J'essaie de me tenir occuper, d'être seul le moins possible mais lorsque je le suis je passe mon temps à ruminer cette dernière année et tous les événements qui se sont dérouler. Je fume, aussi, de plus en plus, si bien que le CBD ne fait plus aucun effet sur moi.

Ainsi, je dois avouer que le message de mon frère m'invitant enfin à une partie d'escalade, arrive à point nommé. Ça fait bien trop longtemps que je ne me suis plus dépensé et dépassé physiquement. A vrai dire, la dernière fois que j'ai escaladé une façade telle que nous l'avons prévu, c'était pendant ROA et j'étais au bord du malaise lors de la monté. Je dois avouer aussi que, plus je m'approche de la falaise, moins je suis serein. Mais évidemment, je ravale toutes mes émotions afin de ne pas faire pâle figure face à mon frère. Bien sûr qu'il va savoir que quelque chose ne tourne pas totalement rond en moins, mais peut-être qu'il ne s'en rendra compte qu'une fois en haut ou lorsque le point de non retour sera atteint.

Lorsque j'aperçois la silhouette de Ian, je prend une profonde inspiration, me redresse un peu et affiche un sourire tandis que je lui fais un signe de la main pour attirer son attention. J'accélère le pas et m'avance, décidé, vers lui  « Salut le fantôme» lançais-je en souriant, faisant une référence directe à toutes ces fois où il m'a ghosté. Délibérement ou non.  «ça fait plaisir de savoir que t'as pas encore crever en fait » haussais-je les épaules, alors que je dépose mon sac sur le sol  «T'as l'air en forme dis donc » reprenais-je en le regardant de haut en bas avant de sourire plus largement encore et réduire totalement la distance qui nous sépare pour le prendre dans mes bras dans une étreinte fraternelle.

 « Alors ? Près pour la grande monté ? Avec un peu de chance on y sera avant le couché de soleil hein» je lui adresse un clin d’œil puis me recule, ouvre le sac et commence à m'équiper comme je l'ai fait tellement souvent déjà.

L’escalade, ça doit faire au moins deux décennies que Martin et moi pratiquons ce sport. Ça avait d’abord été initié de force, par nos parents. À l’époque, ces sorties étaient de véritables obligations et pratiquer cette activité ne m’enchantait guère. Bouger, faire du sport, ce n’était pas vraiment mon truc. Tout ce qui impliquait de devoir lâcher mes consoles, n’étaient en fait pas vraiment ma tasse de thé. Mais alors, faire de l’escalade avec Martin? Si mon enfer personnel devait avoir eu une définition, ça aurait été celle-ci. Avec le temps toutefois, j’avais appris à aimer cette activité. Et peu à peu, j’y avais pris goût. Martin aussi visiblement, ou sinon il ne serait pas venu ce matin. Je procède à démêler les harnais qui se sont enchevêtrés l’un dans l’autre, concentré. « Salut le fantôme » Je ne sursaute pas. Comment sursauter face à une voix aussi familière? « Ça fait plaisir de savoir que t’as pas encore crevé en fait » Je me retourne vers Martin, qui hausse les épaules avant de déposer son sac au sol. Je lève mon bras pour déposer ma main derrière mon crâne, me grattant nerveusement les cheveux avec un sourire un peu jaune. « Touché. » Pour le coup, celle-là était méritée. Même si Martin et moi vivions dans la même ville, je l'avais pas mal négligé récemment. C’est pas trop mon genre de me sentir coupable normalement, mais là j’accepte sans broncher une seconde. Je prends mon sac par la bandoulière pour venir le déposer près du sien. « T’as l’air en forme dis-donc. » Il me dévisage de haut en bas, alors que je suis occupé à en faire de même. Ses lèvres s’étirent pour former un large sourire, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il me serre dans ses bras dans une accolade fraternelle. Le voilà, mon frère. « J’aurai bien du savoir que t’étais pas sérieux. » Me libérant de ses bras, je lui souris à son tour, un sourire plus large encore que le sien. « T’as l’air d’aller plutôt pas mal non plus. » Je le dévisage une seconde. « Même avec ces nouvelles rides. Ça te va plutôt bien en fait. » Quel frère cela ferait-il de moi si je ne lui lançais pas la pareille? Un sourire en coin étire mes commissures dans un rictus amusé.

Je joins mon frère dans son élan, commençant à enfiler mon harnais avec aise. « Alors? Prêt pour la grande montée? Avec un peu de chance, on y sera avant le coucher de soleil hein. » Je ricane alors que je jette le paquet de cordes sur mon épaule. « J’espère que oui. Quoi que la vue doit être pas mal la nuit de là-haut. » Je lui lance un grand sourire. « Tu veux que je te traîne? Si tu veux, tu peux accrocher ta corde à mon harnais. J’en parlerais à personne. » Je lui fais un clin d’œil. Évidemment, je ne suis pas sérieux. Notre équipement finalement enfilé, je jette un dernier coup d’œil à Martin. « Prêt? » J’attends son signal, puis me retourne et me dirige vers la crète de la falaise. Je prends une corde de mon épaule que je passe à Martin afin qu’il puisse s’attacher. À mon tour, j’enfile une corde autour de mon harnais avant de la nouer dans un nœud solide à celle tombant le long de la falaise. J’attache finalement les mousquetons de sécurité, histoire d’être toujours en vie à la fin de la journée. Puis je me retourne vers Martin, toutes dents dehors. « Quand tu veux, frérot! »

@Martin Murphy

Si j'ai toujours abhorré aller aux cours d'escalades avec mon frère, il faut avouer qu'avec les années qui passent j'ai appris à apprécier voire carrément aimer ces moments qui sont, malgré tout, assez particulier. Notre niveau est pas mal égal étant donné que nous avons commencé au même endroit au même moment et nous pouvons donc nous permettre de choisir des endroits assez difficile que chacun parviendra facilement à réaliser. Je sais pertinemment, en arrivant, que la compagnie de mon frère me sera clairement bénéfique moralement. Aussi c'est pour cela que je le salus avec humour, le instaurant un début de malaise avant de lui faire comprendre joyeusement que je ne suis pas sincère et le prendre dans mes bras.

Il me rend la pareille en me disant que moi aussi j'ai l'air d'être en forme malgré mes nouvelles rides qui, d'après lui, me vont quand même très bien. Je laisse échapper un rire et repousse son doigt tendu vers mon visage  « ta gueule» lançais-je en secouant la tête alors que je passe à côté de lui pour m'approcher de la falaise. Je lève le regard, l'observe quelques instants puis déballe mes affaires et m'équipe d'une main experte, levant les yeux au ciel lorsque Ian reprend la parole.  « J'ai pas besoin de ton aide » grognais-je entre mes dents, posant un regard brillant de défit sur mon frère  «De toute manière te connaissant, je vais devoir t'attendre en haut et j'aurais déjà bu la moitié de la bouteille de vin le temps que t'arrive» expliquais-je en refermant le harnais correctement et en vérifiant à nouveau les cordages. J'accroche le mousqueton à l'endroit prévu à cet effet puis m'approche de la falaise et fait un signe de la tête à mon frère  «Prês » assurais-je alors que je m'étire pour attraper une partie du mur, me hisser dessus et commencé l'ascension.

Rapidement, je retrouve les sensations que je pensais avoir perdu et mes reflex reviennent très vite. Je tire sur mes bras, pousse sur mes jambes et apprécie la tension dans mon dos, mes épaules et mes mollets. Cette sensation de brûlure dans les muscles qui travaillent constamment est incroyable et a quelque chose de magique. Arrivé à mi chemin, je suis, toutefois, obligé de m'arrêter et me colle contre la paroi, me stabilisant avec mes pieds et mes genoux dans l'optique de pouvoir reposer mes bras et de reprendre mon souffle. C'est en faisant cette pause que je me rends compte à quel point je manque de condition physique, que mon endurance n'est plus ce que c'était et que la crise de l'année dernière en octobre a quand même laissé quelques séquelles derrière elle. Soufflant doucement pour reprendre le contrôle sur ma respiration, mon corps et mon esprit, je relève mon regard vers le haut, attend quelques instants encore puis reprend mon ascension

@Ian Goldschmidt

le retour des dès!:

« Ta gueule ». Je laisse échapper un rire à mon tour, sans trop en rajouter cependant. On gardera ça pour plus tard. Lorsqu’il s’arrête à ma hauteur pour m’observer quelques instants, je soutiens son regard dans une sorte de suspens, m’attendant à une quelconque pique en tout genre. Pour autant, rien ne vient et Martin s’équipe alors que j’en fais de même. Finalement, la voilà qui arrive quelques secondes plus tard. Comme quoi, il suffit d’être patient. « J’ai pas besoin de ton aide » grogne-t-il entre ses lèvres dans une réplique vaguement boudeuse en me lançant un regard empli d’éclairs. Ma réaction est immédiate. Je me redresse de tout mon long, comme si l’on venait soudainement de me réveiller, le regardant avec un sourire jusqu’aux oreilles et le regard brillant face à l’expression de défi de mon frère. « T’es vraiment sûr? Non? » Mon attitude ne semble pour autant pas le décourager, alors qu’il poursuit. « De toute manière te connaissant, je vais devoir t’attendre en haut et j’aurai déjà bu la moitié de la bouteille de vin le temps que t’arrive », ce à quoi j’acquiesce silencieusement, un sourire amusé en coin trahissant toutefois mon apparente attitude sérieuse. Je procède aux derniers préparatifs pour m’assurer que mes attaches soient sécuritaires alors que mon frère et moi s’approchons de la falaise. Jetant un dernier coup d’œil à mon frère, j’attends son signal qui ne tarde pas à arriver. « Prêt ». Sans perdre davantage de temps, je m’agrippe à la paroi rocheuse et commence doucement à me hisser vers le haut.

Avec tout le boulot récemment à l’hôpital qui a pris le plus clair de mon temps, ma dernière montée remonte à au moins plusieurs mois, sans doute avec Martin. Mon corps s’est légèrement ramolli et je dois m’arrêter à quelques reprises pour prendre de courtes pauses afin d’échauffer mes muscles. Me rappelant les leçons apprises lorsque nous étions jeunes, je procède étape par étape. D’abord, tendre le bras vers une grippe qui semble solide. Ensuite, le pied. Puis, hisser sa main libre vers le haut en s’assurant de garder les bras le plus tendu possible entre chaque prise pour ne pas se fatiguer inutilement. Un exercice qui semble facile en apparence mais est beaucoup plus essoufflant qu’on pourrait l’imaginer. Au contact de la falaise, je ressens un doux vertige qui parcours ma colonne vertébrale et me rappelle pourquoi l’escalade est un sport que j’apprécie tant, aux côtés de Martin bien sûr. Nous poursuivons ainsi notre ascension pendant au moins une demi-heure lorsque, fatigués tous les deux, nous prenons dans un accord silencieux une courte pause à mi-chemin. Tendant les bras sur ma prise et m’appuyant un peu sur le harnais pour reprendre des forces, je tourne le visage vers mon frère. « Tu tiens le coup? » Ce commentaire n’est pas dit d’une façon moqueuse toutefois, mais réellement pour s’assurer du bien-être de mon frère. De là où je suis, je ne vois que peu son expression et la montée prendra quand même aux alentours d’une heure. Une fois rassuré sur l’état de mon frère, je ne peux pas m’empêcher de rajouter; « Celui qui arrive en dernier en haut doit une bière à l’autre? » Pourquoi ce besoin de rigoler, je ne le sais pas moi-même, sans doute cela a-t-il quelque chose à voir avec la fraternité.

@Martin Murphy

J'ai toujours aimé l'escalade. C'est clairement le genre de sport qui te demande de te surpasser physiquement mais surtout mentalement. Sur un mur ou sur la façade d'une falaise, le moindre faux mouvement ou faux pas peut être fatal. Tout est donc une question d'adresse, de force musculaire, de réflexion, de concentration et de mental. Tout ce que je n'ai pas actuellement. Mon mental est, à l'instar de mon corps, bien plus faible que ce que j'aimerais et à chaque fois que je lève mon regard je suis démoralisé par la distance qu'il nous reste à parcourir. Et lorsque je m'autorise une pause et que mon frère me demande si ça va, j'ai juste envie de lui dire que j'abandonne et que je redescends. Mais il me lance le défis d'une course et l'idée d'avoir un objectif me donne un coup de motivation.  « Prépare l'argent, le vieux !» lui lançais-je en réponse et reprend instantanément l'ascension avec un regain soudain de force. Malheureusement, mes capacités physiques sont atteintes bien trop rapidement et j'avoue que j'ai de plus en plus de mal à me hisser d'une prise à l'autre. A plusieurs reprises, mes doigts glissent et je ne parvient qu'au dernier moment à me rattraper.

Ainsi j'atteins le haut bien deux minutes après mon frère. C'est à plat ventre que je m'éloigne du bord avant de me tourner sur le dos et rester allonger, mes bras reposant mollement sur le sol. J'ai besoin de plusieurs secondes de plus jusqu'à ce que ma respiration revienne à la normale et que je retrouve la force de me redresser.  « J'ai bien cru que je n'y arriverais pas» avouais-je après quelques instants pendant lesquels le silence s'étire un peu plus. Je pose mon regard sur ma main droite et joue un peu avec mes doigts qui me semblent un peu plus raides que d'habitude avant de la détacher mon sac à dos et l'ouvrir  « J'ai fait des muffin» expliquais-je en sortant le paquet  « J'espère que t'as pensé aux gobelets toi» reprenais-je en sortant la bouteille de vin que je m'empresse de dévisser.

Ou plutôt, essayais-je de le faire. Après quelques essaie infructueux, j'abandonne et la tend à Ian  « Tien, t'auras plus de succès je pense» soufflais-je alors que je commence à me masser la main et l'avant bras  « Je sais pas ce que j'ai mais ma main me répond pas comme elle devrait» expliquais-je, n'ayant que très peu de secret pour mon frère  « déjà lors de la montée elle menaçait de me lâcher» je bouge un peu mon poignet avec ma main gauche avant de la secouer, espérant qu'ainsi mes muscles se relâcheront  « Enfin, ça vient sans doute du fait que ça fait un peu moins d'un an que je n'ai plus fait de l'escalade» et surtout pas de la sclérose en plaques ajoutais-je pour moi alors que j'attrape un gobelet remplis de vin que me tend mon frère  «Bon eh bien … à nous et à notre exploit du soir hein» dis-je en levant le verre vers Ian, lui offrant en même temps un sourire.

Les derniers mois n’ont pas été faciles pour mon frère, je m’en doute. Si sur la terre ferme il paraît si normal, humain, le même frère que j’ai toujours connu, c’est en le voyant grimper que je prends conscience que sa sclérose en plaque est bel et bien réelle. Pas moyen de le nier, elle est devant nos yeux. Si venir faire de l’escalade aujourd’hui était notre idée à tous les deux, je me prends à me demander si c’était une bonne idée. Un instant de doute me traverse alors que je suis à l’arrêt, me tenant en suspens entre deux roches, le regard tourné vers Martin. Si ce dernier ne dit rien, je peux voir qu’il est à bout de souffle. Dans une tentative de lui donner un regain de motivation, je lui lance un défi. Une bière, grand classique. « Prépare l’argent, le vieux! » Si je connais bien mon frère, sa réaction est tout de même surprenante. Sa phrase à peine terminée, le voilà qui s’élance au pas de course presque, escaladant la surface rocheuse à toute vitesse. Je ris dans ma barbe, toujours suspendu par la corde et n’ayant pour ma part pas encore bougé d’un doigt. Me redressant sur mes jambes, je reprends mon ascension, dans un rythme plus lent que Martin cependant. Ou plus prudent, plutôt, histoire d’économiser mes forces.

Les prochaines minutes se font en silence, la fatigue se faisant de plus en plus ressentir. Concentré sur ma montée, je progresse lentement, posant prudemment chaque main sur la prochaine roche afin d’éviter de me blesser ou pire, de causer un accident. Les minutes s’écoulent et avec elle, le sommet devient de plus en plus accessible. Lorsqu’il me semble n’être plus qu’à quelques mètres, je m’étire pour regarder tout en haut, où je m’attends à voir Martin, assis, me narguant puisqu’il serait arrivé le premier. Pour autant, le sommet me semble désert. Je m’arrête un instant pour regarder autour de moi, lorsque je découvre Martin quelques mètres plus bas, qui semble escalader la falaise avec une certaine difficulté. J’hésite à l’attendre mais le sommet n’étant plus qu’à quelques mètres, j’empoigne les quelques prises restantes avant d’arriver finalement en haut. Je m’empresse de me défaire de mes cordes, et pose mon sac à dos au sol que j’éventre afin d’en sortir une bouteille de jus d’orange et du sel. Puis je vide ma gourde afin de la remplir de jus, ajoutant quelques pincées de sel afin d’obtenir une boisson sportive à l’intention de Martin. En attendant, j’en prends quelques gorgées quand même.

Quelques minutes plus tard, c’est à plat ventre qu’il rejoins le sommet, s’affairant à faire l’étoile sur le sol. Je ne peux pas m’empêcher de rire doucement, plus pour le narguer gentiment. « Si tu vois une lumière au bout du tunnel, ce n’est pas bon signe. » Plus sérieusement, je me rapproche de lui alors qu’il se redresse. « J’ai bien cru que je n’y arriverais pas. » Je hoche la tête doucement. « L’important, c’est que tu sois arrivé en haut sain et sauf. » Je l’observe alors qu’il sort une enveloppe de plastique de son sac. « J’ai fais des muffins. J’espère que tu as pensé aux gobelets toi. » Je hoche de nouveau la tête, me retournant pour sortir deux gobelets en carton que je viens déposer entre mon frère et moi. Lorsque je me retourne cependant, c’est en train d’essayer d’ouvrir une bouteille de vin que je découvre mon frère. Essayer, car sa main semble trembler dans tous les sens, et le bouchon refuse obstinément de se dévisser. « Tiens, t’auras plus de succès je pense. » J’acquiesce alors que je m’empare de la bouteille, la dévissant en quelques tours. Si j’ai développé une certaine rigidité du cœur à force de voir des patients malades, cela me fait un effet différent lorsqu’il s’agit de mon frère. Je m’affaire à remplir les gobelets de la bouteille de vin blanc qu’à apporté Martin. « Je sais pas ce que j’ai mais ma main me répond pas comme elle devrait. Déjà lors de la montée elle menaçait de me lâcher. Enfin, ça vient sans doute du fait que ça fait un peu moins d’un an que je n’ai plus fait de l’escalade. » C’est un regard inquiet que je relève vers mon frère, déposant les deux gobelets sur la pelouse avant de lui tendre la gourde que j’avais préparé quelques instants avant qu’il n’atteigne le sommet. « Tiens, prends ça, ça te fera du bien. De quoi reprendre des forces » parce que c’est bien joli le vin, mais ce n’est pas très pratique dans ces situations. Puis je me redresse quelques instants plus tard pour venir m’asseoir à ses côtés, lui tendant un des deux gobelets remplis de vin. « Bon eh bien… à nous et à notre exploit du soir hein » je lève le verre à mon tour en lui rendant son sourire, espérant qu’il soit plus convaincant que le sien cependant. « On y est arrivé, frérot! » Puis je prends une première gorgée de liquide, méditant silencieusement. « On aurait peut-être dû commencer par une côte plus petite ou encore à l’intérieur. Désolé, je n’y avais pas pensé. »

@Martin Murphy je m'excuse j'ai fais plus long qu'à l'habitude, je me suis un peu perdue dans mes mots. Je vais revenir à 500 mots environ

Allongé là, sur le haut de la paroi rocheuse, les yeux fermés et peinant à retrouver une respiration digne de ce nom, je maudis cette maladie qui s'est invité de façon un peu trop inopinée dans ma vie. Je l'ai accepté assez rapidement je dois avouer, ma participation à ROA ayant beaucoup aidé au fait que je me rende compte qu'elle ne changera pas totalement ma vie. Et pourtant, c'est à ce moment là, alors que j'ai eu du mal à atteindre le haut de la falaise, que je me rends compte à quelle point elle a eu un impacte sur ma vie, mon mental, mon corps et mes capacités physique. Au final, puis-je sincèrement dire que je l'ai totalement accepté ? Ou est-ce qu'une part de moi lutte encore, plus d'un an après, contre ce diagnostique ? Je n'en sais rien.

La voix de mon frère me sorts de mes pensées et c'est dans un sourire qui ressemble plus à une grimace que je me redresse, lui annonçant que j'ai bien cru ne jamais y arriver. Alors que je m'attendais à une remarque acerbe et moqueuse de sa part, c'est finalement un soupçon d'inquiétude qui traverse son ton lorsqu'il m'annonce que le plus important c'est que je sois arrivé sain et sauf. Je lui lance un coup d'oeil de biais, hésite une fraction de seconde, puis décide qu'une réponse ne changera rien et fini par sortir les muffin ainsi que la bouteille de vin. Celle-ci m'est impossible à ouvrir, tant ma main droite tremble et manque clairement de force, me forçant à abandonner pour la fourrer dans les doigts de mon frère. En échange il me file sa gourde remplie de jus d'orange dans lequel je sens clairement un goût salé. Buvant goulûment, je souris intérieurement, heureux d'avoir un frère qui pense à tout.

Nous trinquons ensuite à notre exploit et, alors que je prend une première gorgé, Ian reprend la parole en me disant que nous aurions du commencer par un autre endroit plus facile.  «Tu sais, à la base, cette falaise est facile » haussais-je les épaules en abaissant mon gobelet  « Rappelle toi qu'on l'a déjà faite en 30 minutes il y a deux ans» je soupire doucement et reporte mon regard au loin  «Je pouvais pas savoir que je galérerais autant pour une telle paroi» je soupire doucement et reprends une plus longue gorgée  «Enfin bref » je me redresse et pose mon regard sur mon frère  «ça va toi sinon ? Le boulot et tout ça ? » demandais-je, bien décidé de changer de sujet, en souhaitant pas parler d'avantage de moi  « T'as des nouvelles concernant le père de Loan ? J'ai pas pu aller le voir hier» ce pourquoi je me maudis, tant il me semble important que James soit bien entourer. D'autant plus que j'avais promis à mon meilleur ami que j'irais tous les jeudi.

Je sens le liquide tiède glisser le long de mon œsophage. Même si le vin n’est à proprement parler pas une boisson sportive et pire même, un déshydratant, c’est pourtant exactement ce dont j’ai envie à cet instant précis et je remercie intérieurement mon frère d’y avoir pensé. Nos fesses posées au sol, mon regard se perd en face de nous, contemplant et appréciant le son des vagues au loin. C’est finalement les mots de Martin qui me sortent de mes pensées. « Tu sais, à la base, cette falaise est facile. Rappelle-toi qu’on l’a déjà fait en 30 minutes il y a deux ans. » Je ne peux pas m’empêcher de partir à rire, tournant la tête vers mon frère. « C’est vrai qu’à bien y penser, si on aurait voulu aller à une falaise plus petite… je pense que c’est celle-là, en fait. Je pense pas qu'on aurait trouvé plus court. » Je ris dans ma barbe, jetant un coup d’œil taquin à mon frère. C’est soupirant que je le retrouve et reprends aussitôt mes airs de grand frère sérieux, mon sourire s’effaçant en une longue fente fine et droite. Je tousse doucement contre mon poing fermé, chose que j’ai pris l’habitude de faire à l’hôpital sans m’en rendre compte lorsque je m’apprête à dire quelque chose de sérieux et de relativement grave à un patient. C’est mon habit de docteur qui ressort, en quelque sorte. « Tu sais, si jamais tu souhaites que la descente soit plus aisée. » Je marque une courte pause, lui jetant un dernier coup d’œil sérieux. « On pourrait toujours te pousser en bas. » Puis je souris largement, fier de moi, avant de reprendre un muffin posé non loin de là par Martin et de croquer goulument dedans.

Ma bouchée terminée, je dépose le muffin au sol et appuie mes longs bras sur la pelouse derrière moi, de façon à être plus confortable. « Ça va toi sinon? Le boulot et tout ça? » « Ça va, ça va. Ça n’arrête jamais mais au final, c’est très bien comme ça. J’ai eu un peu plus de temps libre récemment, ça fait du bien de sortir de l’urgence parfois, des journées comme celle d’aujourd’hui. » Je marque une nouvelle pause, recommençant à me perdre en contemplant les vagues au loin. Ce que je ne précise pas à Martin, c’est que ces vacances ont été presque forcées. À force de passer ses journées là-bas, ne pas y être est devenu presque anormal et il suffit de m’en parler brièvement pour que je me remette à penser au boulot. La pile de dossier qui m’attend en rentrant, les patients qui doivent attendre depuis des heures… je ressens presque une certaine culpabilité au fait de ne pas être présent. Je secoue la tête, quelques secondes seulement s’étant écoulées. « Il va mieux. Enfin, c’est ce que j’ai dis à Loan. La vérité c’est que j’ai l’impression que ça va prendre un moment à partir. C’est quand même fragile un cerveau, et on ne sait pas encore les séquelles qu’il aura. » Je tourne mon visage vers Martin, souriant. « Mais t’en fait pas, il est entre de bonnes mains. Et toi, quoi de neuf? Comment ça va avec le cabinet?.. Est-ce qu'il y a quelqu'un en ce moment? » Pourtant, c'est mon frère, et je devrais savoir ces choses là. Mais avec tout ce temps perdu à l'urgence, on a au moins quelques choses à rattraper.

@Martin Murphy

C'est assez frustrant, je dois avouer, que d'être aussi exténué après une si petite falaise alors que j'en ai déjà fait des bien plus grandes et surtout bien plus compliquées et technique. Et pourtant, je dois faire face à la réalité : mon corps a du mal à s'ajuster à cette nouvelle situation dans laquelle il se trouve depuis quelques mois déjà. Mon frère parviens tout de même à m'arracher un rire lorsqu'il me propose de me pousser pour que la descente soit plus facile.  «Je savais que tu voulais ma mort. J'aurais du m'en douter quand tu m'as proposé cette séance d'escalade » je souris doucement, amusé, alors que je reprend une gorgé de ma boisson et que mon regard se pose sur l'horizon.

Après quelques secondes de silence, je fini par reprendre la parole pour savoir comment ça se passe au boulot de mon frère et je ne suis pas du tout étonné de l'entendre me dire qu'il n'arrête pas. Il a toujours été comme ça, passionné comme pas possible par son travail à se plié en quatre pour contenté tout le monde au risque de s'oublier lui même. Je me suis déjà taté plusieurs fois à lui faire la remarque mais au final il est assez grand pour savoir ce qui lui convient le mieux. Je suis d'autant plus content, donc, lorsqu'il me propose des journées comme celle-ci. J'hoche donc simplement la tête en signe d'approbation, lui montrant que je l'ai entendu et attrape un muffin avant de lui demander des nouvelles du père de Loan.

La réponse me plaît un peu moins, même si, encore une fois, je m'y attendait. Ils ne connaissent pas encore totalement l'étendu des conséquences du AVC mais il est entre de bonnes mains.  «Je n'en doute pas une seule seconde » hochais-je la tête  « J'irais le voir demain je pense» reprenais-je alors que je tourne à nouveau mon regard vers Ian lorsqu'il me demande comment ça se passe au cabinet  « ça se passe» hochais-je les épaules  «J'ai considérablement réduit ma charge de travail histoire d'avoir quand même un peu d'activité mais c'est surtout Swann qui prend tout » Swann, ce collègue sans qui je ne serais rien. Un ange.  «Je pense pouvoir reprendre à plein temps d'ici la fin du mois» C'est ce que je crois et espère sincèrement.

Nous parlons encore pendant quelques temps, évoquons quelques souvenirs liés à l'escalade et les voyages et décidons finalement de redescendre avant que le soleil d'hiver ne s'installe de trop dans le ciel. La descente est, évidemment, bien plus facile et c'est, rapidement, que mes pieds retrouvent la terre ferme.  «On se refera ça rapidement hein ? » dis-je à mon frère alors que nous remballons les affaires et que j'épaule à nouveau mon sac. Ensemble, nous retournons à nos véhicules respectifs avant de se quitter après une accolade fraternelle.