Presque une semaine s’est écoulée depuis qu’il s’est endormi à mes côtés. Six jours depuis cette soirée, celle qui s’est terminée par nos mains qui se touchent et nos doigts qui s’enlacent. Si je me concentre bien, je peux encore sentir sa paume contre la mienne comme s’il avait laissé une trace indélébile, un peu comme l’empreinte de sa tête toujours présente sur l’oreiller. J’ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil ces derniers jours, le côté gauche de mon lit est imprégné de son odeur ce qui, étrangement, n’est pas pour me déplaire. Et ça me fait paniquer, je panique à l’idée d’avoir pu aimer sa présence. Ce qui m’angoisse aussi, c’est la réaction qu’il a eu et la distance qu’il a mis entre nous depuis qu’il s’est réveillé et qu’il a quitté la pièce honteux de ce qu’il avait fait. C’est lui qui s’est immiscé dans ma chambre, c’est Diego qui a pris place sur mon lit et pourtant c’est aussi lui qui me fuit. J’entends encore sa phrase, je l’entends se jurer de ne jamais recommencer et je me demande si c’est parce que j’ai ronflé, si j’ai dit quelque chose de mal pendant que je dormais. C’est pour ça que je déteste dormir avec les gens en général, j’aime pas ça, la plupart du temps je ne m’endors pas sauf cette fois-là. J’ai pourtant lutté, à deux doigts de sortir du lit pour prendre place sur le canapé, mais y’avait sa main qui était lié à la mienne et sa voix dans ma tête me demandant de ne pas le laisser alors je suis resté. On a passé la semaine à se croiser, lui qui partait pour le boulot et moi qui revenais de soirée, quelques regards échangés entre deux portes, des phrases bateaux pour faire comme si de rien n’était. Jusqu’à ce que je me décide à nous sortir de ce malaise en lui envoyant une photo du règlement, la semaine étant impaire, c’était à son tour de choisir une activité. Je n’aurais jamais pensé qu’il choisirait le festival médiéval, événement ayant lieu tous les ans et auquel je n’ai jamais eu envie de participer. J’ai rien contre les fans du moyen-âge, mais l’histoire ne m’a jamais vraiment attirée et puis j’ai l’air sacrément inculte lorsque quelqu’un commence à entrer dans ce genre de sujet. J’ai pas forcément envie de l’être devant lui alors j’ai triché passant la soirée à regarder des vidéos récapitulatif sur cette époque afin d’avoir des choses à lui dire dans le cas où il se mettrait à me poser des questions. C’est en grande partie pour cela que je suis arrivé en retard aux répétitions, la gueule dans le brouillard, comme la moitié du groupe ce qui a ôté tout sentiment de culpabilité. On a passé l’après-midi à s’entrainer sur de nouveaux morceaux dans l’espoir de pouvoir bientôt les jouer et puis on s’est quitté. C’est la guitare sur le dos et les rollers aux pieds que j’ai suivi les indications du gps téléphonique jusqu’à me retrouver perdu au milieu de gens déguisés, tous sauf Diego. « Salut » que je murmure presque le sourire aux lèvres alors qu'il se tient devant l'un des guichets. Une partie de moi espère que cette fin d’après-midi nous donnera l'occasion de retrouver la complicité qui semblait s’être installée entre nous. « J’suis déçu, je m’attendais à te voir déguisé en troubadour. » Je me pince les lèvres à l’idée de l'imaginer dans un tel accoutrement. « Depuis quand t’es fan du moyen-âge toi ? » J’arque un sourcil en observant la diversité des déguisements qui se trouvent tout autour de nous et sors ma carte bleue pour payer ce ticket, le pass qui mène à une autre époque.
L’image de cesse de tourner dans son esprit. Le flash de sa main qui se glisse dans la sienne, des doigts qui s’enlacent aux siens et ne les lâchent plus. L’image revient souvent quand il s’y attend le moins, par exemple lorsqu’il embrasse Callie et qu’il essaye de se convaincre qu’il l’aime. Parce qu’il l’aime, mais il n’est pas sûr de l’aimer correctement, pas sûr de l’aimer comme il devrait l’aimer quand ses lèvres touchent les siennes et que ses mains caressent sa peau. Mais surtout, aucun de ces moments ne lui arrache un frisson électrique comme le souvenir de ses doigts enlacés avec son colocataire. Il n’arrive plus à le regarder en face depuis, fuit les moments où ils se retrouvent face à face dans cet appartement, n’ose plus croiser son regard ou lui adresser une phrase plus longue que quatre mots. Du moins jusqu’à ce qu’il reçoive la photo du règlement instauré, lui rappelant ses obligations. C’est le marché médiéval qu’il a choisi après être tombé sur un poster faisant la pub de l’évènement en pleine rue.
Diego se sent un peu mal à l’aise au milieu de la foule déguisée et si son regard se pose avec admiration sur les costumes jamais il n’aurait osé en porter un. Il attend l’arrivée de son colocataire, un peu nerveux sans réellement comprendre pourquoi. « Salut » L’interne relève immédiatement la tête vers le son de sa voix et ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire en le voyant avec sa guitare sur le dos et ses rollers aux pieds. « Salut. » souffle-t-il doucement. Garret ne s’est pas moqué de lui quand il lui a proposé d’aller à la fête médiévale, alors que Diego avait eu envie de se donner des claques dès le moment où il l’avait proposé. Non il avait accepté et c’était déjà beaucoup pour l’interne qu’il soit là avec lui aujourd’hui. « J’suis déçu, je m’attendais à te voir déguisé en troubadour. » La remarque lui arrache un rire gêné qui le fiat osciller d’un pied à l’autre. « Ca me va pas trop les costumes. » Ils s’avancent pour payer les tickets et la main de Diego se pose sur l’avant-bras de Garret pour l’empêcher de payer. « Non, c’est moi qui t’invite, je suis à peu près sûr que c’est toi qui a payé tous les verres la dernière fois. » A peu près sûr, car la soirée est un peu flou pour le mexicain, qui semble se rendre compte de son geste et qui retire un peu trop vite sa main. Pour quelqu’un qui n’est pas très tactile, il ne sait vraiment pas ce qu’il lui prend avec Garret.
« Depuis quand t’es fan du moyen-âge toi ? » lui demande le jeune homme. Diego a encore du mal à croiser son regard alors qu’ils s’avancent entre les stands mais un sourire gêné s’esquisse sur ses lèvres. « Je crois que c’est pas tant le moyen âge mais le fantastique. Le côté chevaliers et dragons tout ça… » Il se sent comme un idiot dès le moment où il a prononcé les mots. « Et puis j’aime bien l’histoire. » Haussement d’épaule un peu plus sérieux, comme s’il essayait de se rattraper de l’aveu précédent. « Je me disais que ça pourrait être marrant. » Son regard curieux parcoure les stands et se met à briller en tombant sur le forgeron, son enclume et des épées en tous genres exposés. « Regaaaaarde des épées ! » L’enthousiasme est palpable dans sa voix alors qu’il presse le pas vers le stand pour observer les objets. « Tu crois que ça ferait de trop dans l’appartement ? » demande-t-il d’une voix à moitié sérieuse et à moitié sur le ton de l’humour. Etre à côté de Garret semble redevenir un peu plus facile. Tout en regardant les épées il ne peut s’empêcher de dire. « Je suis désolé d’avoir été bourré la dernière fois… » Il n’est pas désolé que pour ça mais pour s’être glissé dans son lit et avoir entrelacé ses doigts avec les siens, mais ça il préfère de loin le laisser de côté et ne pas y penser et surtout de ne pas croiser le regard du jeune homme.
Diego relève la tête et me sourit pour la première fois depuis qu’il a quitté ma chambre en trombe après s’être rendu compte de la situation dans laquelle il venait de nous mettre. « Salut. » On reste un petit moment sans en dire plus, ce qui me permet de le regarder davantage, plus longtemps que les fois où mes yeux se sont posés sur lui au cours de la semaine passée car cette fois il ne peut pas s’enfuir et qu’il n’y a pas de portes derrière laquelle il pourrait se cacher. J’ai l’impression qu’on a fait dix pas en arrière, qu’on se retrouve à nouveau à être dans la peau de ces deux gars qui ne savaient pas quoi se dire au début de la colocation et j’aime pas ça. Si au début ça n’avait pas l’air de me déranger, aujourd’hui les choses sont différentes, du moins c’est ce que je pensais jusqu’à ce qu’il instaure une barrière invisible entre nous. « Ca me va pas trop les costumes. » Je suis pas de cet avis, même si l’idée de l’imaginer en troubadour me fait sourire, j’ai du mal à croire que quelque chose ne pourrait pas lui aller. Il a pas besoin de ça, Diego. Il pourrait se trimballer avec un sac poubelle en guise de tenue, qu’il trouverait toujours le moyen de rayonner. Je sais pas si c’est son sourire enfantin, ses yeux qui se plissent à chaque fois qu’il rigole ou la façon qu’il a de remettre ses lunettes sur le nez, mais s’il a su m’apprivoiser aussi vite, c’est qu’il doit vraiment y avoir quelque chose de l’ordre de l’occulte chez lui. Je m’avance pour prendre nos places, mais sa main vient se poser sur mon avant-bras ce qui a le don de me stopper dans ma lancée. Mon regard s’attarde sur son geste, celui qui me ramène à la soirée, à ses doigts qui encerclent mon poignet et à sa voix qui me demande de rester. « Non, c’est moi qui t’invite, je suis à peu près sûr que c’est toi qui a payé tous les verres la dernière fois. » Il retire sa main, comme s’il venait de se souvenir, lui aussi, de ces gestes qu’on a pu avoir. Une proximité pourtant simple, mais pas pour nous parce que je n’ai jamais été très tactile, du moins pas avec les personnes du même sexe et qu’il semble en être de même pour Diego. « À peu près sûr hein, promets-moi de m’appeler si un jour tu bois sans moi et qu’il n’y a personne pour te ramener. » Je suis pas médecin, c’est lui l’interne mais j’ai pas de mal à dire qu’il est de ceux dont l’organisme a beaucoup de mal à filtrer l’alcool ingéré. J’attrape ma place, murmure un merci plus à l'égard de Diego qu'à la dame du guichet puis on commence à enjamber le pas d'un groupe super bien déguisé. Je trouve ça beau de voir des personnes passionnées par un univers qui m’est un peu étranger, toutes les générations se sont données rendez-vous pour rendre honneur à une époque qui n’est plus la nôtre. « Je crois que c’est pas tant le moyen âge mais le fantastique. Le côté chevaliers et dragons tout ça… » À ses mots, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle entre les chevaliers et son futur métier ayant pour dénominateur commun celui de vouloir venir en aide, sauver un maximum de personnes. Là où certains pourraient le faire dans l’unique but de gonfler leur égo surdimensionné, je sais que Diego le fait de façon désintéressée. « Et puis j’aime bien l’histoire. » Je sens les questions sur le Moyen Âge arriver dangereusement alors je décide de faire diversion. « T’es peut-être pas chevalier, mais t’as déjà trouvé ta princesse.» Mon ton se veut neutre, je me mords l’intérieur de la joue en repensant à sa petite-amie, Callie. Il n’y a pourtant pas une once de méchanceté en elle et je l’aurais certainement apprécié dans un tout autre contexte mais je peux plus la voir en peinture depuis qu’elle a pris le loft pour refuge. Ils passent le plus clair de leur temps libre ensemble, c’est à peine si on trouve un moment pour se voir lui et moi et s’il n’y avait pas le règlement, je doute qu’on se serait retrouvé ici aujourd’hui. Diego est tout ce qu’il y a de plus réglo, en bon interne, ça ne m’étonnerait pas qu’il apporte une importance capitale aux promesses qu’il peut faire et je vais vraiment finir par penser que notre relation ne tient qu'à un bout de papier. «Je me disais que ça pourrait être marrant. » Oui, même s’il aurait pu me proposer n’importe quoi que j’aurais sûrement accepté. C’est ce qui me fait le plus peur, l’accoutumance de nos moments, d’y avoir pris goût si rapidement. Nos regards parcourent les différents stands jusqu’à ce que ses yeux s’illuminent devant de vieilles épées. « Regaaaaarde des épées ! » l’intonation de sa voix m’arrache un sourire alors que je presse le pas pour arriver à le suivre. « Calme-toi Arthur » Je me pince les lèvres pour ne pas rire et inspecte les différents objets de collection qui s’offrent à nous. Par réflexe, je jette un rapide coup d’œil sur le prix qui est loin d’être donné pour un futur ramasse poussière. « Tu crois que ça ferait de trop dans l’appartement ? » Je fronce légèrement les sourcils et passe le doigt sur le bout de la lame non affutée. « Est-ce une façon détournée de faire entrer une arme chez nous dans le cas où il te prendrait l’envie de te débarrasser de moi ? » Je lui montre un stand au loin en souriant. « J’crois que j’en ai vu en plastique là-bas, on peut même se déguiser en noble chevalier. » J’observe les gens sortir d’une cabine aménagée avec leur déguisement tout juste loué. « Je suis désolé d’avoir été bourré la dernière fois… » Je ne m’attendais pas à des excuses de sa part, il n’a rien fait de mal du moins c’est ce que je crois. C’est pas ce que dirait l’église non, elle apparenterait cela à un crime, un délit qui m’a semblé juste et que je ne regrette pas malgré l’anxiété que ça a pu me causer. Il avait besoin d’une présence, ça s’arrête là, n'est-ce pas ? « Il s’est passé quoi la dernière fois ? » que je lui réponds d’un air innocent pour mettre ça derrière nous une bonne fois pour toute. « Tu viens ? J’ai envie de te provoquer en duel. » Je marche en direction du stand de déguisements et sors quelques billets pour nous louer une épée. « Tu veux te déguiser en chevalier où tu préfères te contenter de l’épée ? » Je souris et accroche l’étui autour de ma taille avant de brandir ma super épée dont la pointe a sûrement été mâchouillée par un gamin de cinq ans.
« À peu près sûr hein, promets-moi de m’appeler si un jour tu bois sans moi et qu’il n’y a personne pour te ramener. » Diego se contente d’hocher la tête sans vraiment le regarder dans les yeux, honteux de son comportement, trop peu habitué à boire et supportant mal perdre le contrôle. Il ne dit pas qu’il n’osera sans doute pas l’appeler de peur de réitérer les actions qui ont eu lieu la semaine dernière. Non il est préférable de ne pas s’attarder sur ces images et de penser plutôt à sa enthousiasme pour les chevaliers et les dragons.
« T’es peut être pas chevalier, mais t’as déjà trouvé ta princesse. » Le sourire qui apparaît sur son visage est fuyant, il sonne un peu faux, comme un mécanisme répété. « C’est vrai… » Mais c’est faux et il y a cette part de lui qui au fond le sait pertinemment, qui lui fait se rappeler qu’il n’a jamais été amoureux d’aucune des filles avec qui il est sorti. Il a terriblement envie d’aimer Callie et il l’aime mais comme il l’a toujours aimée soit pas de la bonne manière. Cela lui donne l’impression d’être cassé d’une façon ou d’une autre, d’être incapable d’aimer, de ne pas être assez. C’est cette insécurité générale qui le fait fuir le regard de Garret, qui donne un ton un peu amer dans les mots prononcés. Il n’a pas envie de penser à Callie quand il est avec Garret, pas envie d’y penser quand il a déjà l’impression de voir bien trop peu le jeune homme.
« Calme toi Arthur. » Diego ne peut s’empêcher de lui lancer un regard demi amusé demi gêné, conscient de son enthousiasme un peu trop présent pour les épées qui ne dataient certainement pas du Moyen Age mais qui étaient à ses yeux tout aussi intéressantes. Les yeux de Diego ne se posent pas sur le prix de l’épée qu’il attrape dans ses mains pour l’examiner. Il n’a aucune intention de l’acheter, il n’a pas l’argent pour et jamais il ne dépenserait quoique ce soit pour lui, encore moins une telle quantité quand c’est de l’argent qui pourrait aider Maria.
« Est-ce une façon détournée de faire entrer une arme chez nous dans le cas où il te prendrait l’envie de te débarrasser de moi ? » Diego le regarde en comprenant à moitié l’humour du garçon alors qu’il s’insurge par réflexe. « Pourquoi j’aurais envie de me débarrasser de toi ? » Son regard s’ancre dans le sien une nouvelle fois alors qu’il se sent trop proche de son colocataire qui a un peu trop tendance à l’empêcher de respirer quand il s’y attend le moins. Diego semble se rappeler que c’était sûrement une tentative d’humour et rougit inconsciemment, se concentrant de nouveau sur l’épée comme si de rien n’était.
Heureusement Garret attire son attention sur un autre stand pour le sauver de son malaise soudain. « J’crois que j’en ai vu en plastique là-bas, on peut même se déguiser en noble chevalier. » Diego suit son regard vers le stand en question, curieux. Mais la gêne reste toujours présente, l'ombre de la soirée le poussant à s'excuser pour son comportement.
« Il s’est passé quoi la dernière fois ? » Diego le regarde sans comprendre une demie seconde, avant de sourire en voyant le sourire innocent qui apparaît sur celui de Garret. Cet air qui lui fait comprendre que le moment est oublié, qu’il n’a pas d’importance, qu’ils peuvent mettre ça derrière eux et ne plus jamais penser à ce moment où Diego s’est glissé dans son lit et a serré la main dans la sienne. Le soupir de soulagement est silencieux à peine détectable mais pourtant bien présent. « Tu viens ? J’ai envie de te provoquer en duel. » Enfin ses épaules se détendent et il s’élance derrière lui vers le stand de déguisement. « Tu veux te déguiser en chevalier où tu préfères te contenter de l’épée ? » En temps normal il ne se déguiserait pas et pourtant il y a quelque chose chez Garret qui le pousse à sortir un peu de sa zone de confiance. « Je me déguise seulement si tu promets de ne pas te moquer ! » qu’il lance avec un petit sourire amusé bien qu’un brin timide. Il enfile la cote de maille qui est certainement bien plus légère qu’un véritable et enfile un heaume sur sa tête qui est un peu petit pour lui et qui réduit sa vision de moitié. « Je vois riiiien. » Ne peut-il s’empêcher de se plaindre. Il attrape l’épée en mousse. « En garde Oxton ! » Et deux secondes après ils se retrouvent à combattre comme des enfants et le rire de Diego finit par pointer le bout de son nez, le naturel revenant enfin malgré toute la gêne qu’il ressentait quelques temps auparavant. Essoufflé, il finit par crier « Drapeau blanc j’ai chaud ! » dit-il en abandonnant le combat. Il tente d’enlever le heaume et celui-ci refuse partir. « Ok euh…te moque pas mais je crois que je vais avoir besoin de ton aider pour l’enlever il est bloqué. » Diego se racle la gorge, gêné, déjà un peu claustrophobe avec ça sur le visage. Heureusement, la tache à deux se révèle moins compliquée que prévue et lorsqu’enfin il retrouve l’air libre, son visage est tout rouge et ses boucles en pagailles. « Rappelle-moi de plus enfiler un truc fait pour les enfants de dix ans. » rit-il doucement. « Ca te dit qu’on aille se manger une glace ? Peut-être que tu pourras jouer faire un peu le troubadour. » argumente Diego avec un petit sourire en pointant la guitare de Garret posée à côté d’eux le temps de la joute. Après tout le marché médiéval se trouve dans un parc et le stand de glace se trouve non loin des déguisements.
« C’est vrai… » Il laisse sa phrase en suspens, comme s’il s’efforçait de ne pas trop en divulguer. Diego n’a pas besoin d’en dire plus, y’a des gestes qui ne trompent pas, comme la façon qu’il a de la regarder ou tous ces moments qui se permet de lui consacrer. Lui qui fut un temps se plaignait d’être trop overbooké à croire qu’il a fait d’elle sa nouvelle priorité. Je tente de le suivre lorsqu’il se met à presser le pas en direction du stand à épées. Son engouement est contagieux car je me mets à sourire, moi aussi, alors qu’il attrape l’arme blanche sans même rechercher la permission de la part du vendeur. Il me demande si je trouve qu’elle irait bien dans notre appartement, ça me fait encore bizarre de me dire que c’est chez nous et non plus chez moi. La cohabitation n’a pas été simple au début, pourtant aujourd’hui y’a beaucoup de lui, chez nous. Tout a été multiplié par deux depuis qu’il a débarqué, maintenant y’a deux brosses à dent dans la salle de bain, deux assiettes sur la table lorsqu’on se pose pour manger, deux chambres au lieu d’une. La seule chose qui a été divisé c’est le bordel, y’en a deux fois moins grâce à Diego. « Pourquoi j’aurais envie de me débarrasser de toi ? » Il me toise du regard et je fais de même me pinçant les lèvres. Y'aurait des tas de raisons de vouloir se débarrasser de moi parce que je suis trop bordélique, trop bruyant, pas assez consciencieux, un brin je m’en foutiste et qu’il est tout le contraire. « On sait jamais, les gens ça va, ça vient. » Un jour on se promet de ne jamais se laisser et le jour d’après on finit par être abandonné. Je me racle la gorge et lui montre du doigt le stand qui me fait de l’œil depuis tout à l’heure. Il détourne le regard, s’excusant pour sa cuite de la dernière fois. C’est du passé, je crois qu’il vaut mieux faire mine d’avoir tout oublié plutôt que de ressasser ce moment qui a créé un énorme fossé entre nous deux. C’est donc ce que je fais en usant d’une touche d’humour pour balayer les souvenirs d’une nuit passée à ses côtés. On se dirige vers le stand de déguisement et je sais pas pour lui, mais j’ai espoir de le voir céder à la tentation. « Je me déguise seulement si tu promets de ne pas te moquer ! » Je me mords la lèvre inférieure, il m’est difficile de promettre l’impossible. J’ai déjà envie de rire en le regardant enfiler sa cote de maille. J’en attrape une dans un élan de solidarité, même si l’idée ne m’enchante pas des masses. « Je vois riiiien. » Je me rapproche de lui pour relever la visière de son casque. « C’est mieux comme ça ? » Il a le visage esquiché par l’acier ce qui me fait partir dans un fou rire que je ne peux contrôler. « J’te jure que je moque pas. » Je me dépêche d’enfiler le mien afin de cacher mon sourire derrière le casque de chevalier, bordel qu’il fait chaud. « En garde Oxton ! » L’épée en plastique dans une main et l’autre posée sur ma hanche, je me remémore la posture des mousquetaires tel le D’Artagnan que je suis loin d’être. « As-tu un dernier mot à dire avant de mourir ? » Mes doigts viennent rabattre ma visière et je commence à l’attaquer avant même qu’il n’est pu ouvrir la bouche. La pointe de mon épée en plastique vient toucher son flanc droit tandis que la sienne m’effleure le bras. Je pousse un cri de douleur, passant ma main de libre sur ma blessure imaginaire. Quelques gamins s’arrêtent pour nous regarder, amusés par nos talents de dramaturges, c’est qu’il en faut peu aux enfants pour être heureux. « Drapeau blanc j’ai chaud ! » qu’il finit par dire, complètement essoufflé alors que je tends l’oreille pour mieux l’entendre. « Est-ce là le son de la victoire que j’entends au loin ? » Ça fait rire les gens autour de nous, je brandis mon épée vers le ciel d’un air victorieux. « Gloire à Oxton ! » C'est à tâtons que mes doigts trouvent le bout de la visière pour la relever, c’est vrai qu’on meurt de chaud dans ce machin. J’espère qu’ils désinfectent le tout après chaque utilisation, l’idée d’avoir des bactéries sur tout le visage me dégoûte alors je me dépêche d’ôter ce que je viens d’emprunter. « Ok euh…te moque pas mais je crois que je vais avoir besoin de ton aide pour l’enlever il est bloqué. » Je secoue la tête à ses mots, y’a qu’à lui que ça arrive ce genre de chose. Je viens poser mes doigts derrière sa nuque pour la soutenir tandis qu’on tire prudemment sur le casque. Il était pas loin de voler la vedette à Nick-quasi-sans-tête. « Rappelle-moi de plus enfiler un truc fait pour les enfants de dix ans. » qu’il dit en riant une fois que son visage est libéré de l’emprise du heaume maudit. « L’intelligence a un prix, tu peux pas stoker autant de connaissances et rentrer ta tête dans le premier heaume qui se présente à toi. » Je souris déposant nos costumes sur la table du stand. « Ca te dit qu’on aille se manger une glace ? Peut-être que tu pourras faire un peu le troubadour. » - « Seulement si c’est moi qui paye. » J’avance en direction des stands de nourritures, l’odeur mi salée mi sucrée qui se dégage des allées m’ouvre l’appétit. « Tu veux quoi ? » Mes yeux s’attardent sur l’ardoise, y’a tellement de parfums que je ne sais plus où donner de la tête. « Je vais vous prendre une boule coco et une boule vanille s’il vous plait. » Ma guitare sur le dos, je me retourne vers le groupe de musiciens qui commence à jouer les premières notes de take on me version Bardcore. Des gens s’agglutinent devant la place pour regarder des petits danser au rythme de la musique. Et si je n’étais pas aussi anxieux, j’irais sûrement les rejoindre pour ajouter un peu de guitare aux différents instruments. « Et pour le troubadour, t’es en train de m’arnaquer. T’étais pas censé me jouer un morceau toi ? » Je souris parce que s'il se souvient pas de tout, je me souviens bien de l’avoir entendu dire qu’il serait capable de jouer pour moi.
« On sait jamais, les gens ça va, ça vient. » Le regard de Diego s’ancre dans le sien avec sérieux cette fois. « Pas moi. » Non Diego n’abandonne pas, Diego ne part pas. Diego se refuse à ne pas valoir mieux que son père. Et comme s’il était conscient de son ton un peu trop sérieux, il ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire et d’ajouter. « Et puis je commence seulement à m’habituer à ton bordel. » Bordel qui est un bien grand mot quand Diego passe le plus clair de son temps à rendre l’appartement immaculé et parfaitement rangé. Il est déjà heureux que Garret fasse un peu plus d’effort, ce qui lui évite des crises cardiaques en rentrant dans le salon.
Les deux jeunes hommes se dirigent vers le stand de déguisement et Diego ne sait même pas comment il s’est laissé entraîner là-dedans, toujours est-il qu’il enfile une cote de maille sous le regard amusé de Garret et un heaume dans lequel il ne voit rien. « C’est mieux comme ça ? » D’un geste, il vient relever la visière avant d’exploser de rire et Diego lui lance un regard faussement courroucé alors qu’un sourire vient étirer ses lèvres. Le rire de Garret est contagieux, il illumine son visage, le rend moins froid et c’est assez pour que Diego ne le quitte pas des yeux, intrigué par la façon dont les traits de son visage changent sous ses yeux. « Jte jure, que je me moque pas. » « Ouais ouais ouais, c’est ça. » réplique-t-il en grommelant plus pour le principe qu’autre chose.
« As-tu un dernier mot à dire avant de mourir ? » « Pour le royaume ! » dit-il d’un air dramatique, alors que les épées s’entrechoquent. Cela fait longtemps qu’il ne s’est pas senti aussi détendu, alors que son épée effleure le bras de Garret et que ce dernier pousse un faux cri de douleur, tandis que lui-même prétend tomber à genoux face à l’épée qui touche son flan avant de demander une trève. « Est-ce là le son de la victoire que j’entends au loin ? Gloire à Oxton ! » Il ne peut s’empêcher de rire, se relevant, ignorant le regard des autres, uniquement concentré sur le jeune homme qui semble attirer son regard comme de la lumière.
L’interne se décide à enlever son heaume mais celui-ci se retrouve coincé sur sa tête au point qu’il soit obligé de demander de l’aide. Ses doigts sur sa nuque provoquent un frisson le long de son dos alors que Diego se force à ne pas le regarder dans les yeux. « L’intelligence a un prix, tu peux pas stoker autant de connaissances et rentrer ta tête dans le premier heaume qui se présente à toi. » Diego lui tire la langue pour seule défense, pas vraiment conscient d’être bien plus détendu et bien moins coincé qu’à l’accoutumé.
L’odeur de la nourriture le pousse à lui proposer une glace qui lui semble être une bonne récompense après ce combat acharné. « Seulement si c’est moi qui paye. » S’il tente de protester, le regard du garçon lui fait comprendre que c’est peine perdue alors il capitule, le suivant vers le stand. « Tu veux quoi ? » « Hmm…Chocolat et noisette ! » répond-il après avoir hésité un moment devant l’ardoise à la multitude de parfums. « Je vais vous prendre une boule coco et une boule vanille s’il vous plait. » Le regard de Diego est attiré vers les musiciens et il écoute la musique avec intérêt. « Ils jouent bien. » commente-il avant d’attraper la glace que lui tend Garret. « Merci. » lui dit-il doucement. La froideur de la glace la rafraîchit après ce combat improvisé. « Et pour le troubadour, t’es en train de m’arnaquer. T’étais pas censé me jouer un morceau toi ? » Diego fronce les sourcils avant de se rappeler de la scène, se souvenant d’une manière assez floue d’avoir affirmé pouvoir jouer devant lui dans ce bar quand il n’a osé joué dans l’appartement que lorsque Garret n’était pas là. Ses joues rougissent et il se concentre sur sa glace. « Euh oui enfin peut être pas je sais pas. » Mais il n’a pas envie de paraître comme quelqu’un qui ne tient pas ses promesses devant Garret et surtout il se dit que ça ne le dérangerait peut-être pas de jouer devant lui. « Pas ici il y a trop de monde, je ne vais pas aller compléter les troubadours. » Diego tente de rire, mais il est nerveux et cela se sent. Pourtant, malgré tout, alors qu’ils avancent dans les allés du marché, Diego voir un grand arbre non loin et un peu d’herbe plus éloigné du monde où ils pourront être seuls. « On pourrait se poser là ? »
Les deux garçons s’installent dans l’herbe et Diego se concentre sur sa glace plutôt que sur la guitare de Garret qui lui rappelle ce qu’il a eu le malheur de dire. « T’as jamais peur de jouer devant les gens ? Quand t’es sur scène ? » Diego est véritablement curieux, lui angoisse après tout à la simple idée. Le cornet de glace se termine et il s’essuie les mains sur sa serviette. Il semble hésiter avant de prendre son courage à deux mains, son regard ayant repéré l’absence de gens autour d’eux. Il semble se décider, prenant une grande inspiration, conscient qu’il va être temps qu’il dépasse sa peur. « Ok je joue ! Mais après c’est ton tour ! » finit-il par dire avec un petit sourire tendant la main vers sa guitare. « Je peux ? » Après tout l’objet est personnel. Mais Diego a déjà hâte de l’avoir dans les mains et dès que c’est le cas, commence par la regarder dans tous les sens, testant les cordes et sifflant appréciateur. « Elle est belle. » Il teste quelques mélodies sans oser croiser le regard de Garret. Puis enfin, se décide pour une chanson. Une chanson qui n’est pas anodine vu que c’est celle que Garret avait choisi lors de cette sortie. All I want raisonne doucement, s’il hésite sur les premières notes, son regard trouve celui de Garret et soudain il se détend, certain que le jeune homme ne le jugera pas, lui accordant sa confiance. Alors ses épaules se relâchent et il ose enfin, dévoilant ce qu’il garde le plus caché chez lui.
« Pas moi. » Je relève la tête pour le regarder, il a l’air sérieux, Diego. Et pourtant y’a une partie de moi qui ne peut m’empêcher de penser qu’un jour il ne sera plus là. La seule chose que je ne sais pas c’est si son départ sera causé par une erreur que j’aurais commise ou juste parce qu’il aura fini par se lasser de ces moments que pour l’instant nous semblons tous les deux apprécier. Je me demande ce qui serait le pire même si rien de tout ceci n’a d’importance puisque la fin restera inchangée. « Et puis je commence seulement à m’habituer à ton bordel. » Je baisse les yeux ne pouvant m’empêcher de sourire, un bordel trop ordonné depuis qu’il a débarqué. Je ne dis rien, même si moi aussi, je commence à m’habituer à toutes ces choses qui font qu’il est lui. On se dirige vers le stand de déguisement devant lequel il me surprend en acceptant d’enfiler la panoplie complète du chevalier. Ce qu’il n’a pas l’air de savoir, Diego, c’est que le heaume qu’il en train de se foutre sur la tête est celui d’un môme de douze ans pourtant il ne perd pas espoir et enfonce le casque jusqu’à ce qu’il fasse tout noir pour lui, mais pas pour moi. « Ouais ouais ouais, c’est ça. » qu’il réplique alors que je ne peux contenir mon rire plus longtemps. Je relève sa visière pour qu’il puisse contempler les gens qui commencent doucement, mais sûrement à se regrouper autour de nous. La voix du loueur de costume se fait entendre lorsqu’il annonce le combat imminent entre le preux Gutiérrez et moi-même. « Pour le royaume ! » Je cache mon sourire amusé derrière ma visière et tends l’épée en plastique d’un geste maladroit. J’ai l’impression d’être dans Game of Thrones sauf que sous la tenue de mon ennemi se cache un garçon à qui je n’oserais jamais faire de mal. Ce qui est drôle quand on sait qu’à nos débuts, j’étais pas loin de lui mettre mon poing dans la gueule. Cette fois-ci c’est pas ma main que j’utilise, mais bien l’épée qui vient effleurer son flanc. Diego fait semblant de tomber à genoux sous les applaudissements des enfants qui se trouvent autour de nous et moi j’accepte cette victoire en poussant un cri de joie à qui veut bien l’entendre. Je glisse ma main derrière sa nuque pour l’aider à enlever ce casque, il tire la langue une fois que son visage est libéré alors que je détache mes doigts de la parcelle de son cou. L’artisan nous dévisage un instant, juste assez pour que je me puisse me rendre compte de l’infime espace qui nous sépare. Je me racle la gorge et détourne rapidement le regard pour le poser sur un stand voisin.
« Hmm…Chocolat et noisette ! » même les couleurs de nos boules de glaces s’opposent, un peu comme nos deux tempéraments. « Ils jouent bien. » Je tourne la tête vers le groupe de musiciens, c’est vrai qu’ils gèrent. J’imagine mon groupe de musique jouer du bardcore et ça me fait sourire. Y’aurait du potentiel, une idée à garder dans un coin de la tête dans le cas où on se lasserait du répertoire qu’on a mis des années à créer. « Merci. » Diego attrape la glace que je lui tends tandis que je pose mes lèvres sur le rebord du biscuit avant que l’une des deux boules ne commencent à fondre et à dégouliner le long du cône. « Euh oui enfin peut être pas je sais pas. » Il revient sur ses paroles, celles qu’il a prononcé un soir alors qu’il était un peu trop éméché. C’est bien ce que je pensais, le contraire m’aurait étonné. Je vois pas pourquoi Diego voudrait jouer pour moi quand il n’est pas capable de le faire pour quelqu’un d’autre. « Pas ici il y a trop de monde, je ne vais pas aller compléter les troubadours. » Je le suis du regard alors qu’il s’avance dans l’allée. « On pourrait se poser là ? » On pourrait, oui. Je viens m’installer à ses côtés déposant délicatement la guitare sur la pelouse. « T’as jamais peur de jouer devant les gens ? Quand t’es sur scène ? » Sa question me fait sourire et me laisse penser qu’il est bien loin de me voir tel que je suis réellement. J’ai envie de le lui dire que je stress pour un rien, qu’il n’y a pas un instant où mon corps n’est pas rythmé par des élans d’anxiété, qu’il m’arrive même de paniquer à l’idée de ne pas être en train de paniquer mais je ne fais rien car je sais qu’il est lui-même sacrément angoissé. « Non, pas vraiment. » Je mens ; le shot d’adrénaline est souvent intense avant de monter sur scène, parce qu’il y a cette peur de ne pas être assez bien. Ce silence étouffant avant de jouer les premières notes, ces yeux d’inconnus qui sont fixés sur nous. Le truc avec les scènes ouvertes, c’est qu’on ne sait jamais sur quel public nous allons tomber, c’est ce qui en fait aussi toute sa beauté. Le stress n’est pas le même que lors des concerts, où les gens font le choix d’acheter leurs places pour venir voir un artiste qu’ils apprécient déjà. Là, c’est différent, ceux qui se retrouvent dans le bar sont venus pour passer un bon moment entres amis autour d’une boisson, ils ne sont pas forcés d’écouter ni même d’apprécier ce que l’on fait. Alors oui, il m’arrive souvent d’avoir peur avant de monter sur scène, mais je crois que je serais bien plus stressé à l’idée de jouer devant lui. « Qu’est-ce qui te fait peur ? » La question est vaste, même si elle se rapporte plus à la musique qu’à autre chose. Je relève la tête pour l’observer me demandant s’il existe, à ses yeux, une angoisse bien plus importante que celle de jouer devant une autre personne. « Ok je joue ! Mais après c’est ton tour ! » Pause. Il sourit et je me demande si Diego est sérieux ou s’il me fait marcher marquant un temps d’arrêt pour observer ma réaction avant de revenir sur ses mots en me laissant penaud. « Je peux ? » « Bien sûr » ma réponse est un peu trop rapide, assez pour trahir un soupçon d'impatience. Je me penche pour attraper ma gratte que je sors doucement de sa housse. « Il se pourrait qu’elle soit un peu désaccordée » Comme toujours lorsqu’elle passe plus d’une heure dans l’étui, mes doigts viennent faire sonner les cordes et je grimace lorsque la cinquième se met à faire un son tout droit sorti d’un autre monde. Il ne me faut pas longtemps pour trouver la bonne sonorité, juste assez pour me faire à l’idée que Diego est sur le point de jouer devant moi.
« Elle est belle. » C’est vrai qu’elle déchire. C’est la première guitare que je me suis offert, une vieille version limitée et même si depuis j’en ai ajouté quelques-unes à ma collection, cette folk restera la meilleure à mes yeux. Elle a une valeur sentimentale que les autres n’auront jamais. « Ça te va bien. » Il joue quelques mélodies pour échauffer ses doigts que je regarde passer d’une corde à l’autre d’un naturel que je n’aurais jamais soupçonné jusqu’à ce que les premières notes d’une musique que je connais trop bien se fassent entendre. Diego ne le sait pas, mais parmi tout son répertoire il n’aurait pas pu choisir pire comme musique. Je tente de me concentrer sur lui et non sur cette mélodie qu’il joue à la perfection, mais les souvenirs d’une autre vie commencent à me submerger par vagues comme à chaque fois que je l’entends. Des moments en sa compagnie allant de notre première rencontre jusqu’à cette nuit où tout est parti en fumée et que le monde a fini par s’arrêter. Je baisse le regard, mes doigts arrachant les quelques brins d’herbes qui se trouvent devant moi tandis que les souvenirs se mêlent à l’arpège et c’est alors que je me souviens des raisons qui m’ont poussé à détester Diego avant même d’apprendre à le connaître. Physiquement, il est loin de ressembler à Seth, c’est son amour pour les études et plus particulièrement pour la médecine qui me ramène à lui, par moment. Et si ce n’était pas mon colocataire qui était en train de jouer, ça ferait bien longtemps que je lui aurais gueulé de cesser mais je sais à quel point son geste n’est pas anodin qu’il lui a fallu beaucoup de courage pour prendre ma guitare et encore plus pour faire glisser ses doigts sur ces cordes abimées par le temps. C’est pourquoi, je prends sur moi et relève le visage pour le regarder en m’efforçant de faire abstraction à toutes ces pensées qui essayent de me ramener vers le passé. « Sacré talent caché que j’entends là. » Je souris, la gorge nouée à trop tenter de refouler ces élans de moments périmés depuis trop d’années. « T’es pas si mal. » que je dis en cherchant ses yeux des miens. « Enfin, j’veux dire que t’es beaucoup plus doué que t’en as l’air. » Je reprends ses mots en les ajustant à la situation, cette même phrase qu’on s’est dit un soir où ça avait plutôt mal commencé entre nous. « Merci » Y’a des tas de choses pour lesquelles je voudrais le remercier : merci de m’avoir rendu moins bordélique ; de m’avoir poussé à réduire ma consommation d’alcool ; d’avoir les épaules assez solides pour me supporter plus d’une journée et de me faire assez confiance pour avoir accepté de jouer devant moi malgré le stress que cela a dû provoquer. « Tu veux entendre une musique en particulier ? » Je passe mes mains sur mon pantalon pour enlever le reste d’herbes que j’ai trituré, un vrai champ de bataille.
« Non, pas vraiment. » Garret a une assurance que Diego n’aura jamais, et le jeune homme ne peut s’empêcher de le regarder d’un œil admiratif, ne se rendant absolument pas compte du mensonge qu’il prononce, de l’anxiété qu’il cache, de tout ce qu’il ne dit pas. « Qu’est-ce qui te fait peur ? » La question est large, le fait détourner le regard, lui donne envie de fuir. Car Diego n’est pas courageux il est terrifié. Terrifié de tout mais surtout de l’échec, à croire qu’au moindre trébuchement il pourra s’écrouler. « De ne pas être assez bien. » souffle-t-il doucement sans le regarder. La question concernait la musique, elle pourrait pourtant être générale, la réponse l’est aussi. Elle englobe chaque pan de la peau de Diego. « Et toi, t’as peur de quoi ? » souffle-t-il en le regardant cette fois. Sa question à lui n’est pas liée à la musique il ne s’en cache même pas. Garret a-t-il seulement peur de quoique ce soit quand il dégage une assurance naturelle ?
Le mexicain finit par oser prendre la guitare et si son colocataire le regarde comme s’il lui faisait une blague, aussi doit-il s’accrocher à son courage pour effacer la peur du regard de l’autre. « Bien sûr. Il se pourrait qu’elle soit un peu désaccordée » Les épaules de Diego se détendent juste un peu, mais Garret finit par sortir sa guitare et l’accorder avant de la lui donner et il se demande soudain pourquoi il a proposé de son propre fait de jouer quand le jeune homme ne l’y a même pas forcé.
« Ca te va bien. » Les doigts de Diego parcourent les cordes sans véritablement oser croiser le regard de Garret qui lui brûle la peau. Il se souvient de la chanson qu’il avait choisie pour décrire sa vie, il ne pense pas à mal, juste à trouver quelque chose de bien. Une chanson qu’il connait, une chanson que Garret aimera. Il se jette dans le grand bain, sa voix trouvant la mélodie, se souvenant des mots, ses doigts parcourant la guitare de manière habile. Il n’ose pas le regarder pas tout de suite et pourtant à la moitié de la chanson quand il ose enfin croiser son regard il ne le croise pas. Garret a les yeux rivés sur le sol, ses mains arrachant des brins d’herbe, ses épaules sont tendues. Il n’aime pas, il n’y a pas d’autre possibilité. Ou ce n’était pas la bonne chanson. Tout ce qu’il sait, c’est que quelque chose ne va pas. Et lorsque les notes s’arrêtent enfin, la gorge de Diego se noue inévitablement. « Sacré talent caché que j’entends là. » Garret sourit mais son sourire n’atteint pas ses yeux. « T’es pas si mal. Enfin, j’veux dire que t’es beaucoup plus doué que t’en as l’air. Merci. » Garret reprend ses mots et si ça aurait pu le faire sourire, si seulement il n’était pas concentré sur ce regard, ce regard qui ne sourit pas, ce regard qui semble ailleurs, dans un passé que Diego ne connait pas. « Tu es sûr ? Qu’est ce qu’il y a ? » Il a ignoré le compliment, ne l’a pas entendu, sa question est à peine plus haute qu’un murmure parce qu’il a peur que Garret lui mente. « Tu n’as pas aimé la chanson ? » Il baisse le regard, incapable de se convaincre que Garret ait pu réellement l’aimer tout simplement parce qu’il a remarqué que quelque chose n’allait pas.
« Tu veux entendre une musique en particulier ? » demande Garret en enlevant le reste de l’herbe qu’il a trituré. Diego secoue la tête, se mordillant la lèvre, soufflant malgré lui. « Une qui te fera plaisir… »Parce qu’il a envie de voir le sourire allait jusqu’à ses yeux et ne plus voir le champ de bataille d’herbe devant lui.
Il détourne le regard à ma question ce que je peux comprendre puisque je ferais la même chose la situation était inversée. La question est bien trop personnelle pour le laisser de marbre parce qu’elle fait ressurgir des choses auxquelles on n’a pas forcément envie de penser, des craintes qu’on plus tendance à cacher plutôt qu’à dévoiler. « De ne pas être assez bien. » Je ne dis rien à ses mots qui ont le don de faire écho, je n’ai pas peur de ne pas être assez bien puisque je ne suis pas doué comme lui et que je n’ai pas pour habitude d’exceller dans un grand nombre de domaines. Par contre, là où ma peur rejoint la sienne, c’est sur le fait de ne pas être assez, tout simplement. De ne pas suffire tout en ayant été la meilleure version de moi-même, j’ai peur du rejet après avoir tout donné. D’être abandonné, des appels manqués, de ne pas être assez bien pour que les gens se décident à rester. « Et toi, t’as peur de quoi ? » C’est à mon tour de baisser le regard, j’aimerais lui dire les choses avec sincérité, me livrer à lui en retour, mais y’a toujours cette voix qui me conseille de ne pas le faire, de rester cloitrer derrières des barrières. « Des guêpes. » J’opte pour une vérité, bien que ce ne soit pas la réponse qu’il attendait, c’est déjà mieux qu’un énième mensonge que je pourrais lui déballer. Je souris à ce que je viens de dire, Diego risque de me voir autrement, peut-être même que ça va le faire rire. Je suis bien loin de l’image qu’il se fait de moi et peut-être qu’un jour il aura le droit à la version sans artifices, celle qui n’est pas camoufler par des stratégies que j’ai mises en place pour garder les gens loin de moi. Parce que moins on en dévoile et mieux on se protège. Il attrape ma guitare d’un geste qui se veut timide tandis que je le regarde, impressionné par cet élan de courage. Il n’a d’yeux que pour les cordes de mon instrument, qu’il s’amuse à faire sonner de ses doigts fins et c’est pas plus mal car ça me donne l’occasion de l’observer sans avoir à détourner le regard. Je peux m’attarder sur les détails de son visage, la façon qu’il a de froncer les sourcils pour se concentrer, ses lunettes qui ont le don de lui tomber sur le bout du nez. Il s’applique Diego, même quand il est question de musique mais son visage semble plus apaisé que lorsque je le surprends à bosser sur ses cours de médecine comme si jouer était son échappatoire, un moyen de décompresser. Le son de sa voix vient se mêler aux bruits des enfants, il ne faut pas longtemps pour que mes oreilles se focalisent sur lui uniquement. Je dévie le regard et arrache quelques brins d’herbes quand je reconnais les premières paroles d’une chanson que j’aurais pu écrire. C’est alors que je me rends compte que Diego n’a pas compris ce que j’ai tenté de lui dire en lui révélant le titre de cette musique. Il a certainement dû penser que ça faisait d’elle, l’une des chansons dont je n'arrive plus à me passer alors qu’en réalité, rares sont les fois où je me permets de l’écouter. Y’a des musiques comme celle-ci qui font plus de ravages que ce qu’elles peuvent procurer de plaisir. C’est la seule à me faire cet effet et pourtant, je ne peux pas faire autrement, que de rester là à le contempler. J’essaye de faire abstraction de tout ce que cela fait resurgir, me focalisant uniquement sur Diego et son talent, Diego et sa voix, Diego tout court. Les cordes finissent par cesser de vibrer alors je tente de ne rien laisser paraitre en ajoutant une touche d’humour à mes paroles ce qui ne semble pas avoir l’effet escompté. « Tu es sûr ? Qu’est ce qu’il y a ? » J’essuie mon pantalon puis relève les yeux vers lui, une nouvelle fois. « Je suis épaté, c’est tout. J’risque même d’en redemander. » Je souris en espérant voir ses lèvres s’étirer pour se calquer aux miennes. « Tu n’as pas aimé la chanson ? » Il commence à me connaitre, Diego. J’ai beau tenter de me cacher derrière des paroles, il reste tout de même certaines choses qui ne trompent pas. Je sais pas comment lui dire sans trop en révéler. « J’ai adoré ta version, tu devrais jouer plus souvent, t’as ça dans le sang. C’est juste cette chanson que j’ai du mal à écouter, mais c’est pas toi, au contraire. » Je regarde le trou surplombé de terre, vestige des dégâts que j’ai fait sur la pelouse. « Tu me crois quand je te dis que t’es super doué ? » Je veux pas qu’il pense que j’ai détesté, c’est faux et je veux encore moins entacher le peu de confiance en lui sous prétexte de ne pas avoir réussi à réprimander de mauvais souvenirs du passé. Je me penche pour attraper ma guitare en profitant pour lui demander s’il a une musique qu’il aimerait entendre à son tour. « Une qui te fera plaisir… » Je réfléchis à une chanson, laissant mes doigts jouer quelques notes qui sonnent bien ensemble avant de sourire. Il ne me faut pas plus qu'un raclement de gorge pour me lancer dans une improvisation que je risque de regretter.
Have you seen Diego ? Well, he’s probably working on a new subject, Getting ready to start the day and saving life Like he does every single day. Or maybe, just maybe He’s playing guitar while nobody is around Because he doesn’t know how brillant he truly is Too shy to share it with the rest of the world That’s a shame isn’t it ? To be so talented and yet so humble to embrace it
Have you seen Diego ? He might be doing his best to prove that he can Nothing seems to stop him A son every parents should be prouf of I hope that’s the case for the Gutiérrez Otherwise, that juste means that they must be blind and trying to prove them wrong would be such a waste of time
Have you seen Diego ? He’s maybe cleaning the mess that Garret made Well, what can I say, he’s the perfect roomate You might not see it at first but think it twice And you’ll not be able to ask for someone else
So Diego, please take this words for granted. Because if you don’t, I’ll have to put this song on repeat and God knows how it would be anoying.
« Des guêpes. » Diego relève la tête vers lui, pas certain d’avoir bien entendu. Il ne peut s’empêcher de sourire alors, un léger rire secouant ses épaules. Ce n’est certainement pas la réponse qu’il attendait. Diego s’est ouvert et face à lui Garret reste fidèle à lui-même, confiant et inatteignable, la carapace refusant de s’ouvrir. Il l’observe un instant, se demandant ce qui se cache derrière ce regard couleur acier.
Alors qu’il attrape la guitare que le jeune homme lui tend et qu’il commence à jouer, il se rend bien trop vite compte du mauvais choix de chanson alors que Garret fuit son regard, se mettant à décimer l’herbe au sol. Diego a du mal à le croire lorsqu’il lui fait des compliments, peut-être parce qu’il est clair qu’il n’a pas aimé la chanson. « Je suis épaté, c’est tout. J’risque même d’en redemander. » De nouveau il sourit et pourtant son sourire n’atteint pas ses yeux et Diego est incapable de le croire, sa confiance s’étiolant au fil des secondes.
« J’ai adoré ta version, tu devrais jouer plus souvent, t’as ça dans le sang. C’est juste cette chanson que j’ai du mal à écouter, mais c’est pas toi, au contraire. » Ses sourcils se froncent, et il semble réaliser soudainement le sens de la chanson qu’il a chanté, un peu trop tard. Se rappelle que Garret l’a choisi pour se représenter. Diego l’observe doucement, se demandant s’il a perdu quelqu’un et si lui comme un idiot a joué cette chanson qui n’a fait que rappeler de mauvais souvenirs. Il ne dit rien, trop gêné, jouant à son tour avec l’herbe sur le sol. « Tu me crois quand je te dis que t’es super doué ? » Un haussement vague d’épaule, un regard fuyant, s’il hoche la tête, il sait au fond de lui qu’il n’y croit pas une seule seconde et c’est sans doute pour cela qu’il met du temps à relever la tête vers son colocataire qui a attrapé la guitare.
« Have you seen Diego ? » les premiers mots chantés lui font ouvrir de grands yeux étonnés et plus le garçon chante plus le sourire de Diego s’agrandit alors qu’il secoue la tête d’un air gêné lui lançant des regards furtifs. Garret et sa voix qui crée une douce chaleur dans son estomac. Garret et son regard qui lui laisse penser qu’il y a tellement de chose derrière sa carapace. Garret qui semble croire en lui et en son talent. Il ne sait pas pourquoi la chanson lui tient aussi à cœur, alors qu’il le regarde, pourquoi il se laisse prendre au jeu, en temps normal il aurait sans doute réfuté toutes les paroles une par une. Mais cette fois il se contente de le regarder, de se demander s’il le pense vraiment et peut être aussi d’y croire juste un peu. Lorsque les derniers mots sont prononcés et que le silence s’installe, Diego ne peut s’empêcher de le regarder, son regard s’accrochant au sien sans être capable de le lâcher, sa bouche s’ouvrant comme s’il cherchait à dire quelque chose. Son silence parle pour lui. Personne n’a écrit de chansons pour lui. Personne ne lui a donné aussi envie d’y croire. C’est son regard qui dévie vers les lèvres de Garret sans même qu’il ne réalise, sans savoir pourquoi. Le rire d’un gamin non loin le sort de ses pensées et vient briser le moment, faisant fuir le regard de Diego alors qu’il se concentre sur l’herbe en se raclant la gorge. Le jeune interne arrache à son tour avant de le lancer sur Garret. « C’est bon je te crois ! » lance-t-il en lui tirant la langue. Il n’y croit pas vraiment, mais peut être juste un peu et c’était mieux que rien. « Tout pour que tu ne me la chantes pas en boucle ! » Diego lui adresse un clin d’œil, mais ses joues ont pris une couleur rouge pivoine. Il est bien plus gêné qu’il ne veut l’admettre, attrapant la guitare des mains de Garret. « A mon tour ! » Il n’a aucune idée d’où il trouve la confiance mais se laisse aller, se décidant à créer lui aussi une petite chanson, reprenant la mélodie qu’il a identité à l’oreille avec facilité, réutilisant les mêmes accords que Garret tout en en changeant quelques un, oubliant un instant sa timidité.
Have you seen Garret, He seems lost in his thoughts, Tearing the grass from the ground,
Have you seen Garret With a smile on his face, So why do his eyes say something else ?
Have you seen Garret, Maybe lost in his room, Full of songs that demand to be written,
Have you seen Garret Maybe he is hiding from the wasps ? Can you hear his voice ? Maybe he is not the worst,
Maybe his roommate was a little too harsh Maybe he really likes his songs,
And maybe maybe, he even likes him But just a little bit.
Mes doigts se laissent porter par la mélodie, des notes que je répète en boucle, faisant sonner les cordes une à une dans un arpège que j’essaye de réguler alors que mon regard est rivé sur Diego. Il fait les yeux ronds, mais je peux voir le début d’un rictus étirer ses lèvres que je m’autorise à regarder. Le timbre de ma voix est rouillé, marqué par les nombreuses cigarettes que j’ai consumé. Malgré tout, je me laisse aller et les paroles, bien qu’improvisées, finissent par sortir toutes seules. J’ai toujours trouvé ça plus facile de me confesser à travers une chanson, peut-être parce que cela rend le discours moins sérieux ou qu’il y a un truc dans la musique qui pousse les gens à se montrer sincère. C’est d’ailleurs ce qui m’a sauvé étant môme, chanter était le seul moyen de m’exprimer sans bégayer. J’ai longtemps pensé que la musique pouvait donner de supers pouvoirs, qu’elle rendait meilleur, qu’elle polissait les défauts de ceux qui avaient fait le choix de la prendre pour passion. « Well, he’s probably working on a new subject » Les paroles parlent d’elles-mêmes et n’ont pas besoin d’indications supplémentaires comme celles qu’on peut trouver sur Genius. Il bosse dur, Diego. J’aurais pu ajouter un couplet sur Callie qui commence doucement mais sûrement à prendre place dans notre appartement. Cette fille qu’il m’a un jour révélé être sa petite-copine, lui qui n’avait pas l’air d’être attiré par tout ce qui se rapproche de près ou de loin à des relations amoureuses. Je le toise du regard et il fait de même de ses yeux noisettes, les mots se mêlent à la mélodie jusqu’au dernier couplet. « C’est bon je te crois ! » Je souris alors qu’il me lance quelques brins d’herbes que j'évite en secouant la tête. Deux gamins, voilà ce que nous sommes. Deux enfants qui prennent plaisir à se chamailler, à utiliser le moindre stratagème pour pouvoir communiquer. « Tout pour que tu ne me la chantes pas en boucle ! » Il m’adresse un clin d’œil, ça aussi, c’est ce qu’on sait faire de mieux, se dire le contraire de ce qu’on pense réellement, atténuer le sens de nos phrases pour en dévoiler le moins possible, mais assez pour que le message soit passé. Diego se penche pour venir me prendre la guitare des mains, un geste qui me surprend autant qu'il me plait. « A mon tour ! » Pas question que je reporte mon attention sur la pelouse, non pas cette fois. Je suis soulagé de voir qu’il est prêt à retenter l’expérience, que ma réaction ne l’a pas rebuté au point de ne plus jamais vouloir jouer devant le piètre auditeur que je fais. Il reprend les accords d’une facilité assez déconcertante, mes yeux se lèvent lorsqu’il se met à chanter.
Have you seen Garret, He seems lost in his thoughts, Tearing the grass from the ground
Mes doigts cessent de triturer l’herbe à ses paroles, le sourire accroché sur le bout des lèvres. Je passe mes mains sur mes genoux pour les essuyer sur le tissu de mon jean noir tandis qu’il continue de jouer.
Have you seen Garret With a smile on his face, So why do his eyes say something else ?
Je détourne le regard comme pour ne pas que le sien puisse s'introduire dans le fond de ma pensée. Il l’a vu et j’aurais beau nier, tenter de changer de sujet, je sais qu’à présent, il se doute que j’ai des choses à cacher.
Maybe his roommate was a little too harsh Maybe he really likes his songs, And maybe maybe, he even likes him But just a little bit.
Je me mords la lèvre, un sourire indélébile marqué par les mots qu’il vient de prononcer. C’est de ça que je parlais, quand je disais qu’on était doué pour se dire les choses de façon un peu détourné de la réalité. « But just a little bit. » que je répète étant conscient que là encore, c’est un mensonge de plus prononcé parce que je l’apprécie, Diego, et pas qu’un petit peu. Un petit peu c’est pour les collègues de boulot, ceux qu’on côtoie plus par obligation que par envie, qu’on ne souhaite pas voir en dehors des heures hebdomadaires de travail. Mes yeux gris viennent à nouveau rencontrer les siens alors que j’attrape la guitare pour la ranger dans son étui. « Est-ce que j’ai le droit d’ajouter une règle au code la coloc ? » À défaut de pouvoir ajouter celle qui justifierait le fait de ne plus voir Callie débarquer chez nous à l’improviste. « Se faire ça beaucoup plus souvent. » Et par « ça », j’entends : se retrouver rien que tous les deux ; prendre une mélodie en otage pour s’avouer des choses qu’on ne pourrait pas se dire autrement ; le voir prendre conscience de son talent ; passer du temps avec lui tout simplement.
« But just a little bit.” Rien de plus, juste assez.
Tu parles.
Diego sourit timidement avant de fuir son regard gris qui ne dévoilait rien et tout à la fois. Il devinait que son colocataire lui cachait énormément de choses, qu’il ne semblait pas prêt à s’ouvrir, pourtant parfois, il arrivait à en lire un peu plus dans son regard, comme en cet instant. Cette connexion qui semblait se faire naturellement maintenant qu’ils commençaient à se connaître. Ce maudit frisson surtout qui parcourait toujours son échine dès que son regard s’attardait un peu trop dans celui du musicien.
Il reprit la guitare pour la remettre dans son étui et Diego sembla soudainement réalisé qu’il l’avait fait. Il avait osé jouer devant lui, osé s’ouvrir assez pour le laisser l’écouter. Il n’y avait pas eu de jugement dans le regard gris de Garret. Il l’avait écouté, il l’avait complimenté, malgré le choix de la première chanson qui ne lui avait clairement pas plu.
« Est-ce que j’ai le droit d’ajouter une règle au code la coloc ? » Diego le regarda d’un regard empreint de douceur et de curiosité, un sourire incapable de quitter ses lèvres. Garret aurait pu ajouter toutes les règles du monde que le garçon les aurait sans doute acceptées, surtout après l’avoir entendu chanter. « Se faire ça beaucoup plus souvent. » Le sourire du brun se fit un peu plus grand, un peu moins timide. « Se faire ça beaucoup plus souvent. » répéta-t-il doucement en se relevant, essuyant l’herbe de son pantalon. Les deux colocataires que tout semblait séparer il y a encore quelques temps commençaient enfin à se rapprocher. Diego aimait passer du temps avec le garçon. « On va voir si on peut trouver de la déco médiévale pour l’appart ? » Demanda-t-il avec un air innocent, mi-figue mi-raisin. Il avait prononcé la question avec un sourire, à moitié blagueur et à moitié sérieux, après tout il n’aurait pas dit non à une petite épée en guise de déco. C’est comme ça que les deux garçons reprirent la direction du marché médiéval. Le cœur de Diego était plus léger dans sa poitrine, comme si Garret arrivait à effacer une partie de son angoisse.