| god only knows why we were born to burn (joseph #11) |
| | (#)Lun 19 Juil 2021 - 4:13 | |
| Un joint, juste un. Elle s’est dit ça il y a quelques heures déjà, avant de perdre le compte. Ce n’est pas grave, elle en avait déjà fumé avec Matt. C’est lui qui lui a appris à rouler, c’est lui qui lui a appris à acheminer les substances jusqu’à les laisser brûler ses poumons. Ils n’ont pas fumé depuis décembre, ni l’un ni l’autre, mais en cet instant elle sait déjà qu’aucun enfant ne grandit en son ventre et que ce ne sera pas le cas un jour. Matt disparu, elle perd l’amour de sa vie en même temps que leurs rêves de fonder une famille ainsi que d’avoir les plus parfaits et plus choyés enfants qui soient. Avant lui, elle n’aurait jamais pensé toucher à ce genre de substances. Après lui, elle ne pense plus qu’à ça, à défaut de vouloir laisser ses pensées vagabonder ailleurs. Allongée sur le canapé du salon, elle observe la fumée remonter doucement. Maintenant, la maison ne peut qu’empester le cannabis. Heureusement que la police est déjà passée et qu’elle ne risque pas de lui annoncer un second décès. Les autres n’auraient pas tant de répercussions en elle, c’est au moins ce qu’elle se dit, la menteuse.
Terre à terre, Lily sait pourtant qu’elle ne peut pas passer la nuit seule. Elle ne tiendra pas autant d’heures dans de telles conditions, chien qui tourne en cage et qui a trop peur d’ouvrir la porte pour affronter le monde extérieur. Logiquement, c’est Ezra qu’elle aurait dû appeler. Lâchement, c’est plutôt son aîné qu’elle a contacté, encore incapable d’annoncer la nouvelle de la mort de Matt à qui que ce soit. Joseph n’en aura rien à faire, lui. Au contraire, Ezra en sera effondré et elle n’a pas les épaules nécessaires pour l’aider. Le secret ne sera pas tenu longtemps mais il passera au moins la nuit, le temps pour elle de tenter de remettre ses esprits en ordre et de trouver les mots nécessaires pour la situation. Le Beauregard comme le reste du monde mérite d’être tenu au courant, mais cela doit se faire de la bonne manière. En cet instant, c’est encore à elle qu’elle pense et à ce frère qui tarde à arriver, la laissant enchaîner un joint puis un autre. Elle n’a plus rien à perdre, Lily, et encore moins à prouver.
Il a une cadence de marche bien à lui et elle ne le pense pas simplement parce qu’il est son frère et qu’elle le connaît depuis toujours. Lily a toujours pensé qu’il marchait comme un marin à la jambe de bois, ou c’est peut-être sa pensée qui a dérivé vers un frère absent qu’elle essayait de retrouver dans ses programmes préférés à la télévision. Son ego n’accepte que la première option mais encore une fois, elle n’en a de toute façon plus rien à faire de rien. C’est en expirant encore un peu de fumée qu’elle retrouve enfin la parole. “C’est ouvert.” Il est sur le perron, elle en est certaine. Le connaissant, il doit réciter un discours, des questions, un ton de voix adapté à un message très inhabituel venant de sa cadette. Elle ne prend pas la peine de se relever, encore moins de bouger sa tête ou même ses yeux pour observer son aîné. “T’en veux ?” Qu’elle propose, main tendue, le joint serré entre index et majeur. Elle ne cherche pas à cacher quoi que ce soit, ce soir. “Tu fais quel genre de travail pour rester aussi tard sans pouvoir déléguer ?” L’état de choc a le dessus, ses yeux grands ouverts restent posés sur la fenêtre face à elle. Lily ne perd pas le nord, elle continue de s’inquiéter du sort de son aîné, surtout alors que celui de Matt a déjà été scellé et que rien de ce qu’elle pourrait dire ou faire ne saurait changer quoi que ce soit. Son mari est mort et son frère ne sait que courir vers le même objectif ; c’est la seule chose qu’il arrivera à réussir avant le terme normalement indiqué. |
| | | | (#)Ven 6 Aoû 2021 - 22:45 | |
| Lou n’est pas là ce soir. Entre deux coups d’œil sur la scène et sur les hommes qui fixent les danseuses avec un filet de bave sur le menton, Joseph répond aux messages de sa sœur. Il redresse la tête à chaque fois qu’il perçoit un mouvement dans la salle et il se maudit d’être aussi nerveux. Il vient à peine de commencer ce nouveau travail de garde du corps et il ne sait pas comment s’y prendre. Il préfère trop faire que pas assez. Lorsqu’un numéro termine et que la belle Holly descend de scène, cheveux flottants sur ses épaules, le garçon la suit du regard lorsqu’elle le frôle pour retourner dans le backstage, là où les filles se couvrent d’une couche de maquillage épaisse et replace leur poitrine dans leur habits serrés. « Ça va ? » Il demande en se retournant pour capter son regard. Elle lui adresse un sourire malin et un clin d’œil : « Évidemment. T’as pas à t’en faire pour le moment. » Elle lui présente les gros billets qu’un client bandé lui a glissé dans la culotte. Joseph ricane nerveusement et acquiesce. Son téléphone vibre à nouveau et il souffle un juron en comprenant qu’il n’a pas son mot à dire : Lily a besoin de lui, tout de suite, et il le regrettera certainement s’il ne joue pas son rôle de frère. Il s’assure une dernière fois que Lou n’est pas dans les parages (on ne sait jamais, elle l’épie peut-être dans le coin de la salle, tapissée dans le noir comme un corbeau) et il craque : il arrivera chez elle mais elle ne peut pas l’attendre avant 2h de la nuit. Il préfère attendre que l’afflux de clients soit moins important. Ainsi, quand la salle est presque vide et que cette dernière ne tardera pas avant de fermer, il va s’assurer une dernière fois que tout est bon du côté du backstage et il traverse la salle sans cesser de fixer les clients qui ne le remarquent même pas. Il rejoint le bowling. Il attrape l’épaule de la première abeille qu’il croise : « J’ai une urgence, c’est une question de vie ou de mort. » Il vaut mieux exagérer sinon il ne pourra pas partir d’ici sans représailles. « Deux cent, et tu prends ma place pour le reste de la soirée. » La somme d’argent intéresse évidemment celui qui comptait certainement se saouler toute la nuit. Il accepte et disparait à son tour dans le coin des danseuses. Nouveau coup d’œil autour à la recherche de sa patronne, sans résultat, et Joseph disparait. Il sait qu’il a des chances de se faire tuer mais il mettra le blâme sur Lily. Ce sera nouveau pour elle, tien.
Sur le perron de sa sœur, il jette un coup d’œil à son téléphone dont la batterie est presque morte. Il n’est pas en retard alors il se permet de tourner en rond un peu. Il se doute que Lily ne lui a pas ordonné de venir pour simplement boire un verre de vin avec lui et prendre de ses nouvelles. Elle n’est pas un oiseau de nuit comme lui. Elle a un travail, un mari, de vraies responsabilités de citoyenne. À cette heure, elle dort. “C’est ouvert.” Visiblement pas. Sa voix s’est faufilée à travers la fenêtre ouverte. Elle était légèrement étouffée par l’épaisseur des murs mais Joseph l’aurait reconnue parmi mille. Il pose sa main sur la poignée de la porte et ouvre le battant. Il referme silencieusement derrière lui. L’odeur du cannabis brûlé lui monte à la cervelle et ses poings se serrent naturellement. Il a envie de fumer maintenant. Seulement quand il trouve Lily dans le salon, il réalise que cette dernière tient entre ses doigts un joint. Il déglutit, observe ses yeux grands ouverts qui fixent ailleurs et reconnait ce regard. Elle refuse de pleurer, c’est évident. Par réflexe, Joseph tend le cou à la recherche de Matt. Il n’aurait jamais imaginé que ce dernier possèderait ce genre de drogue. Il ressemble à ces types qui n’ont besoin que de soleil et de bonne compagnie pour se sentir complètement euphorique. Une espèce que Joseph ne pourra jamais comprendre. “T’en veux ?” Il repose ses yeux sur sa sœur. Il observe le joint qu’elle lui tend. Il s’approche d’elle et l’attrape. Il tire une latte lente qui pourrait s’éterniser s’il avait de meilleurs poumons, pour voler le plus d’herbe possible. Comme s’il voulait lui voler sa drogue, l’empêcher de se bousiller la santé comme lui-même l’a fait. Il ne tousse pas quand il avale la fumée. Il éteint le reste du bâtonnet dans l’assiette sur la table basse qui contient déjà quelques mégots. Le garçon fronce les sourcils devant cette image plutôt déstabilisante. « À quoi tu joues ? » Ça l’agace de la voir de cette façon alors qu’elle lui a toujours reproché les décisions qu’il a prises dans le passé. “Tu fais quel genre de travail pour rester aussi tard sans pouvoir déléguer ?” Il attrape le siège une place et le glisse pour s’installer devant Lily. Son sac trouve une place au sol, à ses pied. Il tente de capter son regard qui semble perdu. Ses pupilles sont dilatées et avalent le bleu de ses prunelles. Ses joues sont sèches et son teint blafard. Elle n’a pas pleuré mais il connait cette expression de pierre dans son visage. Les émotions sont tues dans sa gorge, certainement brûlantes. Joseph reste silencieux. Seulement le son blanc des électroménagers berce l’atmosphère. « J’bosse dans un bar. » Il finit par répondre sans ajouter le moindre détail. Il fixe la jeune femme et ne cessera de le faire même si elle semble complètement ignorer sa présence alors qu’elle l’a lui-même contacté. « C’est la première fois que tu fumes ? J’peux savoir c’est quoi l’occasion spéciale ? C’est pas ton genre de défier Dieu comme ça. »
@Lily Keegan J'ai pas oublié de te tagguer |
| | | | (#)Sam 7 Aoû 2021 - 13:21 | |
| En temps normal, “T’en veux ?” aurait davantage eu de chance d’être rattaché à ‘ma main dans ta gueule, après que Joseph ait commis une énième bêtise au point où Lily en aurait encore une fois rapidement oublié toutes ses bonnes manières. Jamais ô grand jamais elle n’aurait imaginé être la main proposant un peu de drogue à son aîné, même si elle continue de penser que la sienne ne lui fera jamais autant de mal que ce qu’il s’injecte dans le bras. Ce soir, pourtant, aucune voix ne lui hurle de se ressaisir et de faire machine arrière. Ses grands yeux observent ses semblables, plus fatigués, plus attaqués par le temps passé. Leurs doigts ne se touchent même pas lorsqu’il prend le joint dans les siens, et Lily préfère finalement repasser ses bras derrière sa tête pour ne pas les laisser libres de trouver une nouvelle mauvaise idée à mettre à exécution. Elle l’observe acheminer la fumée toxique jusqu’à ses poumons en silence, s’imaginant déjà tout le chemin de cette dernière et tous les dégâts qu’elle cause là où elle passe. La culpabilité n’est pas assez importante pour l’atteindre. Quand il met prématurément fin à la vie du petit objet, pourtant, elle lève les yeux au ciel en soufflant doucement. Le compte à rebours avant la leçon de morale est lancé. « À quoi tu joues ? » C’est pas grave, son mari lui a appris à rouler, elle n’aura qu’à se faire un nouveau joint elle-même. Son frère ne fait que repousser l’inévitable. “Je sais que tu jubiles, au fond, et qu’une petite voix a crié ‘je le savais !’ quand tu m’as vu.” Il est l’un des rares à savoir que Lily Keegan est bien loin de la perfection qu’elle affiche pourtant face au monde entier. Pourtant, ces dernières années, elle l’a laissé dans le même panier de ceux à qui elle doit prouver quelque chose coûte que coûte, notamment le fait qu’elle n’a besoin de personne pour mener une vie digne de ce nom. Ce qui était vrai - plus ou moins - avant qu’elle ne s’habitue trop vite et trop bien au mariage, à la maison, aux animaux, aux eurêka concernant des prénoms de bébés. Après s’être élevé si haut, la chute est douloureuse, et son corps tout entier se voile encore la face sur le nombre ainsi que la gravité de ses blessures.
Éternelle petite sœur insatisfaite, Lily lui reproche déjà d’avoir tant tardé avant d’arriver. Si sa présence ne change rien au fond du problème, elle aurait aimé pouvoir le compter à ses côtés avant que tous les mécanismes de protection et d’auto-défense de son corps et son esprit ne se mettent en route. Alors qu’il se place sur un siège face à elle, la brune fait au moins l’effort de se relever, incapable de se la jouer pleinement rebelle. « J’bosse dans un bar. » Et elle sait déjà que c’est tout ce qu’il dira, sûrement parce que Joseph sait par avance qu’elle n’aimerait pas entendre pleinement ses explications. Comme si personne n’aurait pu le remplacer, dans son bar. Il n’aurait eu qu’à laisser les clients faire leurs propres mélanges, parce que sa sœur a besoin de lui. Elle est amère, Lily, et laisse sa colère et sa frustration se déverser sur le premier venu, lequel est son aîné. Il est venu, certes, mais il aurait pu être là plus tôt. Ça aurait peut-être changé quelque chose au poids compressant sa poitrine ou même à sa tête menaçant d’exploser, tant à cause de toute la peine qu’elle retient que des divers effets secondaires du cannabis sur une nouvelle consommatrice. Déjà, pourtant, il tente de capter son attention avec de nouvelles questions qu’elle sait ne pas pouvoir éviter. « C’est la première fois que tu fumes ? J’peux savoir c’est quoi l’occasion spéciale ? C’est pas ton genre de défier Dieu comme ça. » Lily lui offre un sourire qui n’a rien de rayonnant. Il est amusé, amer qu’il ramène déjà les choses à Dieu alors que ce dernier ne cesse de le priver des êtres qu’elle aime. Son enfant à naître, d’abord. Matt, ensuite. Quel sera le prochain, alors ? Ce n’est pas l’avenir ni même le présent dont elle avait rêvé. “C’est pas la première fois. Je gère.” Il n’y a pas à préciser que les maigres antécédents qu’elle a sont tous mêlés à Matt et que c’est lui qui s’occupait de tout, quand elle n’avait qu’à se laisser bercer et lui faire confiance : deux évidences. “Tu crois en Dieu, Jo ?” Dans la famille, on ne leur a jamais demandé leur avis. Ils devaient croire en Dieu puisqu’il était une évidence. C’est une méthode qui fonctionne sur les jeunes enfants à l’esprit modulable mais qui est loin de faire ses preuves sur des adultes grandissants et confrontés à la dureté du monde.
Soudainement, elle abandonne sa voix de pseudo adolescente rebelle pour retrouver celle qui est davantage la sienne dans les mauvais moments. “Tu peux rester, cette nuit ?” Ses mots sont ponctués d’autant de s’il te plait silencieux alors qu’elle ramène ses jambes sous elle, en tailleur, et trouve enfin la force de faire face au bleu des yeux de son aîné. |
| | | | (#)Dim 22 Aoû 2021 - 23:38 | |
| “Je sais que tu jubiles, au fond, et qu’une petite voix a crié ‘je le savais !’ quand tu m’as vu.” Il est vrai que, lorsque Joseph pense à sa sœur, il imagine une grande salle, une loge, derrière la scène, dont les murs sont couverts de masques en tout genre. Tous des masques qui ont été sculptés sur son visage et qui ont emprunté ses traits jusqu’au moins détail sur la surface de son épiderme. Certains sont souriants, et leur bouche étirée touche à leurs oreilles, d’autres sont visiblement attristés et des larmes en résine coulent sur leurs joues de plastique. « Tu sais, j’passe pas ma vie à essayer d’te trouver des défauts. J’sais qu’t’en as autant qu’moi, mais j’espérais qu’t’aurais fait un effort pour en trouver des plus originaux. » Parce que c’est lui le drogué, pas elle. Elle a passé toute sa vie à lui frapper les doigts lorsqu’il les tendait vers un objet qui pourrait lui ruiner la vie. « Regarde-moi et jure moi qu’tu penses que ça vaut la peine de consommer ce genre de truc. » Elle a devant lui un parfait exemple à ne pas suivre et ça ne lui suffit pas. Il se doute qu’elle a des raisons pour agir de la sorte ce soir (il s’en doute depuis qu’elle lui a ordonné de venir la rejoindre chez elle en plein milieu de la nuit) mais il sera le premier à l’empêcher de faire une connerie, peu importe la gravité de la situation. C’est pour cette raison qu’il écrase le joint sur la table basse après avoir avalé une bouffée qui lui servira d’ancrage pour la nuit.
Il s’installe devant sa sœur et la contemple silencieusement. Ses yeux sont terriblement vides et il entend la détresse muette dans sa respiration lente et contrôlée. Il ne lui impose rien, seulement sa présence. Sans surprise, elle l’interroge lui pour éviter les projecteurs soient rivés sur elle. Il répond moindrement, mentionne seulement un bar en louvoyant à travers les détails importants qui classifieraient ce travail d’illégal. De toute façon, Lily le connait et il sait qu’elle est trop intelligente : elle se doute qu’il n’est pas devenu un bon citoyen, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Il ne pouvait pas se payer ses consommations en bossant tristement dans une sandwicherie. La cocaïne avale un portefeuille en deux bouchées. L’odeur de cannabis imprégnée dans les murs l’empêche de se changer les idées. Sans arrêt, il revoit l’image du visage de Lily éclairé par la braise qui s’illumine au contact de l’air aspiré. Ses ongles sont enfoncés dans ses genoux couverts de sa paire de jeans usée. “C’est pas la première fois. Je gère.” Encore une fois, il aurait dû être surpris par ses confessions. Mais il reste impassible comme il sait si bien le faire quand il apprend une mauvaise nouvelle. « Super, alors. » Sa voix est ironique. « Qui t’a initiée ? » Elle n’a certainement pas trouvé un joint fraichement roulé dans un recoin de sa maison, et il se souviendrait lui avoir expliqué les rudiments même s’il lui arrive d’oublier certaines soirées trop arrosées. Les souvenirs finissent toujours par revenir morceau après morceau, miette après miette. “Tu crois en Dieu, Jo ?” Il fronce les sourcils. Il retient un ricanement qui finit par s’essouffler par ses narines. « Bien sûr que non. S’il existe réellement, alors il punit sans arrêt les mauvaises personnes. » Il se rend compte seulement maintenant que tous les deux n’avaient jamais abordé le sujet de façon aussi sérieuse. Il avait seulement assumé que Lily avait suit les pas de ses parents pour leur faire plaisir, mais maintenant que leur paternel n’est plus là, il était un peu plus curieux. « Pourquoi j’ai l’impression qu’tu commences de moins en moins à croire en lui ? » Les remises en questions, le joint, les idées de meurtres mises à exécution. Lily changeait au plus profond de ses tripes.
L’atmosphère s’alourdi dangereusement lorsque leurs deux paires d’yeux bleus se joignent et se lient. Le ton de la voix de Lily pétrifie Joseph et il entend un supplice, pas seulement une demande. Il hoche de la tête silencieusement et se lève pour la rejoindre. Il traverse le nuage de fumée qui émane du joint éteint pour s’asseoir à côté de sa sœur. Il lui offre son épaule si jamais elle a besoin d’un peu de soutient pour ne pas tomber plus bas. « J’peux rester autant qu’tu veux. » Il marque une pause, se mord la lèvre inférieure. « Mais dis-moi c’qu’il se passe s’il te plaît. » Quelle occasion est assez importante pour qu’elle demande à son frère et non à son mari de lui tenir compagnie pour la nuit ?
@Lily Keegan |
| | | | (#)Mar 24 Aoû 2021 - 10:47 | |
| Lily serait prête à accepter qu’on lui donne quelques défauts, mais aucun qui se rapproche de près ou de loin à son frère. Elle les accepte d’autant moins lorsqu’ils sortent de sa propre bouche. Ce n’est pas après avoir passé sa vie toute entière à le fuir qu’elle peut accepter que ses efforts soient réduits à néant aussi facilement. « Tu sais, j’passe pas ma vie à essayer d’te trouver des défauts. J’sais qu’t’en as autant qu’moi, mais j’espérais qu’t’aurais fait un effort pour en trouver des plus originaux. » Elle n’en a pas autant que lui, c’est statistiquement impossible. Même en cet instant, la plus jeune serait prête à lui tenir la (longue) liste de tous les reproches qu’elle garde contre lui, et l’inverse ne peut être aussi vrai. Pire encore, ils n’en partagent pas de communs, encore moins ceux pour lesquels Joseph fait des raccourcis, l’imaginant déjà totalement droguée et addict. Ce n’est pas le cas ; cela ne le sera jamais. “Les gens normaux seraient touchés que leur petite sœur veuille marcher dans leurs pas.” Lily reprend donc avec ironie, sur un ton éternellement clair et sans émotion. Les gens normaux pensent ceci parce que les gens normaux ne sont pas Joseph, ils n’ont pas accumulé les mauvaises décisions tout au long de leur vie. Ainsi, tout est de sa faute. « Regarde-moi et jure moi qu’tu penses que ça vaut la peine de consommer ce genre de truc. » Déjà, elle sait qu’elle ne dira rien. Elle ne lui concédera pas de terrain, elle ne lui fera aucune promesse vaine. Peu importe ce qu’il pense d’elle, ce n’est pas ce qui importe. Il ne sait pas ce qu’elle peut ressentir en cet instant et par conséquence, son jugement est biaisé. La seule raison qui la fait s’énerver se trouve dans le joint qu’il écrase contre la table plutôt que dans une assiette ou peu importe quel autre récipient.
Le temps d’un instant, ce ne sont plus que ses ongles enfoncés dans ses genoux qu’elle observe, silencieuse, avec l’envie sourde de les en déloger. Ses propres mains se referment sur elles-mêmes, ses ongles trouvant refuge contre sa peau pour ne pas déjà courir à la rescousse de son frère qui n’a aucune idée de la scène qui se joue sous ses yeux. Je gère. « Super, alors. » Elle remonte rapidement le bleu de ses yeux dans les siens, le menaçant de ne pas avancer davantage sur le chemin de l’ironie. Si elle l’a appelé, elle serait pourtant tout aussi capable de le renvoyer manu militari à la moindre contrariété. « Qui t’a initiée ? » - “Tu es de la police maintenant ?” Elle ne risque pas de donner le nom de Matt alors que son corps est encore chaud. Joseph l’aimait bien, et son avis sur son mari ne saurait être changé après coup. Ce sont autant de raisons pour elle de passer d’un sujet à un autre, comme le ferait un enfant hyperactif qu’elle n’a jamais été. La nouvelle question se porte sur Dieu, ce sujet qui plane au-dessus de leur tête depuis toujours mais qu’ils n’ont finalement jamais abordé. « Bien sûr que non. S’il existe réellement, alors il punit sans arrêt les mauvaises personnes. » Si la réponse de Lily ne pourrait être aussi catégorique, son avis rejoint pourtant celui de son frère. Ce sont les bonnes personnes qui finissent toujours par payer à la place des mauvaises. « Pourquoi j’ai l’impression qu’tu commences de moins en moins à croire en lui ? » Abandonnant son attitude rebelle aussi rapidement qu’elle l’avait trouvée, Lily serre doucement la mâchoire et laisse ses yeux vagabonder ci et là pendant quelques secondes, honteuse. “C’est pas qu’une impression.” Il semble bien décidé à la faire payer, elle et ses proches, pour des erreurs qu’elle n’a jamais commises et pour cette raison comme pour bien d’autres, chaque jour qui passe lui fait perdre un peu plus de foi. S’il existait réellement, Callum n’aurait pas eu à mourir de la main de Joseph et Matt, lui, serait encore vivant, comme l’enfant qu’ils allaient avoir, comme le premier enfant qu’elle avait porté dix ans plus tôt aussi. Si Dieu récompensait réellement ses fidèles, elle aurait en cet instant une belle famille et non une maison trop grande pour elle seule. “Tu as déjà cru en lui, pour de vrai ?” Quand est-ce qu’il a arrêté d’avoir la foi ; c’est ça, la véritable question.
A sa demande, Joseph gomme la distance entre eux pour venir se poser à ses côtés sur le canapé. Il ne sent pas que le cannabis, lui, mais elle ne prendra jamais la peine de le lui dire. Plutôt que de poser sa tête contre son épaule, elle se fait plus petite encore et se place sur ses cuisses. Une de ses mains prend en otage l’une des siennes et la caresse doucement ; ce seront autant de doigts qui ne pourront servir à lui lacérer la peau. Son regard se pose dans le vide alors qu’elle anticipe déjà les questions de son frère et n’a pas le courage de rencontrer son regard. « J’peux rester autant qu’tu veux. » Une nuit, une seule. Ce sera encore plus difficile si elle en vient à s’habituer à sa présence à ses côtés. « Mais dis-moi c’qu’il se passe s’il te plaît. » Ses doigts s’agrippent un peu plus encore aux siens alors qu’elle garde son bras serré contre son torse, bouée de sauvetage de pacotille à laquelle elle se retient plus que de raison. “Matt est mort.” Ce n’est pas un secret, elle n’en fera pas un non plus. Joseph l’aurait appris tôt ou tard mais pour ce genre d’annonce, elle ne veut pas qu’il soit le dernier tenu au courant. “Je sais que tu vas pas savoir quoi me répondre, et c’est pas grave.” Il n’est pas doué pour rassurer autrui, il ne sait pas trouver les mots non plus. Et ce n’est pas grave, vraiment pas, parce que ce n’est pas ce dont elle a besoin en cet instant et ce n’est pas ce qu’elle cherche non plus. Lily cherche son frère, pour ce qu’il est autant que ce qu’il n’est pas, et sa seule présence est plus que suffisante. “T’as raison de pas tomber amoureux, ça finit toujours mal.” De pas vouloir une vie normale ni parfaite, de ne pas vouloir d’enfants, de ne pas avoir fait d’études, de ne pas chercher un travail légal. Tout finit toujours mal, peu importe tous les efforts investis. “Il t’aimait vraiment bien, tu sais. Il m’aurait jamais demandé de réparer les choses avec toi, mais je sais que c’est ce qu’il voulait.” Pourtant, elle n’agit pas en sa mémoire pour ainsi répondre aux dernières demandes d’un mort. Lily le précise parce qu’elle se doute que ces mots auront leur importance et qu’ils sauront lui donner un peu de joie ou, à défaut, d’espoir. |
| | | | (#)Jeu 9 Sep 2021 - 23:30 | |
| “Les gens normaux seraient touchés que leur petite sœur veuille marcher dans leurs pas.” Les gens normaux nés dans une famille normale, oui. Une famille pas comme la leur. « J’serais touché si j’étais fier du chemin qu’j’avais emprunté. » Il le déteste, ce masque dans le visage de sa sœur parce qu’il l’empêche de lire les véritables émotions qui ne ponctuent pas le son de sa voix. Il peut deviner qu’elle est triste, peut-être en colère, mais c’est seulement parce qu’il a grandi avec elle et qu’il connait toutes ses failles. Pourtant, ce soir, il n’arrive pas à trouver la source de cette neutralité effrayante dans ses traits fatigués. Elle a les yeux d’un adulte devant une émission pour enfants. Alors, puisque Joseph ne sait pas comment attraper ses rênes, il opte plutôt pour la facilité. Ainsi, il la blâme pour consommer un simple joint, rien de bien inquiétant, seulement un peu d’herbe séchée enroulée dans une mince feuille de papier : une friandise qui l’accompagne tous les jours et qui ne lui fait presque plus d’effet. Son corps s’est habitué à sa douceur, il réclame les drogues plus dures, et il consommerait toute la cocaïne du monde pour empêcher sa sœur d’en sniffer une seule ligne. Les sacrifices qu’il ferait pour elle sont nombreux mais elle ne s’en rend pas compte. À ses yeux, il n’a pas joué son rôle de frère et il penserait la même chose s’il était à sa place. Il ne sait plus comment lui faire savoir qu’il est là et qu’il l’aime malgré la distance qui les sépare. Tout ce qu’il peut faire, c’est lui éviter de commettre les erreurs qu’il a lui-même faites dans le passé. Ça commence par un joint, un minuscule joint, qu’il éteint sur la table basse. “Tu es de la police maintenant ?” Le commentaire lui aurait arraché un ricanement s’il ne prenait pas la situation au sérieux. Dans un univers parallèle, il existe certainement un Joseph qui a trouvé sa place auprès de l’autorité. Après tout, il n’est pas né avec les mauvaises valeurs, seulement avec les mauvais parents. « Je veux savoir parce que je m’inquiète pour toi, c’est tout. » Encore une façon pour lui de tenter de lui faire savoir qu’il l’aime, mais Lily s’est voilée le visage. Son simple regard froid lui intime le silence alors il s’exécute et sa langue se colle contre le fond de son palet pour y rester.
Si le frère et la sœur ne partagent pas beaucoup de points en commun, il y a bien une chose qui les lie depuis leur tendre enfance. À peine sortis du ventre de leur mère, ils ont été entourés de croix, de personnages religieux, de traditions étranges, de ridicules assiettes arborant le visage de prêtres, et de couverts, aussi, à l’embout décoré de symboles catholiques. Joseph se souvient de toute son enfance et de ces yeux rivés vers lui, tous sauf ceux d’un certain Dieu qui n’a jamais tendu la main vers lui. “C’est pas qu’une impression.” L’intérêt de Joseph est capté et il ne détache pas son attention de Lily. Elle vient de prononcer des mots dangereux, du moins, selon elle. « Qu’est-ce qui t’fait soudainement changer d’avis ? » Parce qu’il avait essayé toute sa vie de lui prouver que personne ne s’occupait d’eux dans le ciel, qu’ils étaient livrés à eux-mêmes, mais elle avait toujours balayé ses mots du revers de la main pour ne pas les entendre. “Tu as déjà cru en lui, pour de vrai ?” Il réalise l’existence de sa mâchoire quand il commence à sentir la pression qu’exercent ses dents les unes contre les autres. Il n’aime pas replonger dans ces souvenirs. Inévitablement, il repense aux mains ridées de père David, et à l’odeur de papier sec et de cire à cacheter dans son bureau. S’il y a un souvenir qu’il voudrait effacer de sa mémoire, c’est celui-ci. « Comme on croit au père-Noël, j’imagine. On s’fait dire qu’il existe alors on ne se pose pas plus de questions. Puis, lorsqu’on voit toutes ces vieilles personnes déguisées en père-Noël dans les commerces, et quand on trouve un d’tes cadeaux dans la garde-robe de maman, on finit par réaliser que quelque chose tourne pas rond. » Il hausse mollement les épaules, le visage vide. « Et quand on se rend compte qu’le père d’notre Église ne nous veut pas que du bien, on comprend qu’il y a un problème quelque part, que ce soit disant Dieu n’est pas celui que vante la Bible, ou alors qu’il n’existe pas vraiment. » Il esquisse un faux sourire en passant sa main dans sa barbe. « J’pourrai jamais croire en un Dieu injuste, alors j’préfère me dire qu’il n’y a personne là-haut. » C’est plus simple comme ça. Il est livré à lui-même. S’il survie encore aujourd’hui, c’est parce qu’il a été chanceux.
Joseph trouve place sur le canapé de sa sœur lorsqu’elle cette dernière retire finalement son masque. Vulnérable, dans un état qui ne lui ressemble pas du tout, elle se recroqueville et pose sa tête sur les cuisses de son frère. Il l’observe en silence et serre instinctivement ses doigts à son tour. Sa seconde main se pose sur son épaule et le contact est plus naturel qu’il ne l’aurait pensé. Il finit par détendre ses muscles et à observer les pupilles humides de Lily tandis qu’elle scrute le vide. “Matt est mort.” Il sent son cœur se serrer et ça lui fait mal. Terriblement mal. Il s’empêche toutefois la moindre réaction et se concentre sur sa respiration pour ne pas inquiéter la jeune femme davantage. Comme elle le devine, il ne trouve pas les mots. Il se contente de caresser doucement quelques mèches de ses cheveux sombres avant de les replacer derrière son oreille. “T’as raison de pas tomber amoureux, ça finit toujours mal.” Il sent ses yeux lui brûler mais il se refuse de pleurer. Il doit rester fort pour elle au moins une fois dans sa vie. « T’aurais pas vécu autant d’bons moments si tu n’l’avais pas aimé. T’étais pas seule. T’avais quelqu’un pour t’accueillir le soir en rentrant du boulot, pour t’écouter raconter ta journée, pour s’endormir avec toi. » Il avale sa salive pâteuse. « Tu t’sentiras au fond du trou, maintenant, mais j’t’assure qu’tu pourras en sortir. Regarde-toi. T’es forte. J’ai toujours été jaloux d’ta facilité à te reprendre en main. » Elle avait raison. Il ne sait pas quoi dire, mais il fait de son mieux. “Il t’aimait vraiment bien, tu sais. Il m’aurait jamais demandé de réparer les choses avec toi, mais je sais que c’est ce qu’il voulait.” Cette fois, il ne peut empêcher une larme de couler, alors il vient l’essuyer rapidement avec le dos de sa main. Il sait que sa voix cassera s’il l’utilise immédiatement alors il marque une longue pause et, seulement après avoir respiré doucement, il murmure : « Et c’est aussi c’que j’veux. » Depuis qu’il l’a abandonné en plein milieu de la nuit, depuis qu’il l’a trahi en ne devenant pas l’homme qu’il aurait dû devenir. « On y arrivera, Lily. T’as ce pouvoir entre tes mains depuis toujours. »
@Lily Keegan |
| | | | (#)Lun 13 Sep 2021 - 18:48 | |
| Il ne peut pas être si doux ce soir, il n’en a pas le droit. Il devient le frère qu’elle a toujours rêvé de connaître. C’est bien, Joseph n’a que trente ans de retard après tout. Face au mutisme de sa cadette, il se confie à elle sans qu’elle ne s’y soit préparée, surtout alors que Lily s’obstine à préserver la mémoire de son mari et ternir sa propre image. « J’serais touché si j’étais fier du chemin qu’j’avais emprunté. » Lily accepte la nouvelle et ravale toute remarque. Elle serait bien la dernière capable de lui dire qu’il peut être fier du chemin emprunté. Il a trop fait d’erreurs pour cela, trop que ni elle ni personne ne puisse lui pardonner, peu importe ses raisons. Ce n’est qu’une preuve supplémentaire menant à la conclusion qu’ils n’ont rien d’une famille normale. « Je veux savoir parce que je m’inquiète pour toi, c’est tout. » Le masque de la jeune femme se fêle lentement face à cet aveu. Les mots sont simples mais elle n’est pas certaine qu’ils aient un jour osé les prononcer l’un à l’autre : je m’inquiète pour toi. Elle s’est inquiétée pour lui durant des années après sa fugue et elle n’est même pas certaine d’avoir un jour cessé. Lui, en retour, n’a aucune raison de s’inquiéter pour elle, Lily en est assurée. Même ce soir, rien ne change. Son attitude est nouvelle, mais pas inquiétante. “C’est trop tard pour ça.” Dans son esprit résonnent encore les mots qu’il avait eu à son égard, la dernière fois qu’il a évoqué le sujet de Callum. Il ne sait pas s’inquiéter pour elle, il cherche à diriger sa vie comme si elle n’était encore que la gamine qu’il a laissé derrière lui, incapable de rien.
Joseph terré dans son silence, sa cadette y voit le moment parfait pour lui poser une question lui brûlant la langue depuis bien trop longtemps maintenant. Plusieurs, en réalité, si ce n’est même une infinité. Leur seul point commun, c’est Dieu, cette entité qui les a toujours unis et séparés depuis le premier jour. Grâce à Lui et à son culte, au moins, ils arrivaient à avoir l’air d’une famille normale chaque dimanche, et ce sont quelques heures de répit qui ont permis à Lily de toujours garder la tête hors de l’eau. Le retour à la réalité n’en était que plus douloureux ensuite mais qu’importe. « Qu’est-ce qui t’fait soudainement changer d’avis ? » La réponse ne peut pas être donnée maintenant, pas comme ça. Si Dieu existait, alors Matt ne serait pas mort. Il est l’homme le plus doux, bon et parfait qu’elle ait connu de toute son existence et il avait tant à faire encore sur cette Terre, il ne méritait pas de déjà être rappelé. Si Dieu existait, il aurait choisi quelqu’un d’autre. Il aurait peut-être même choisi Joseph, qui sait. Ce n’est qu’une preuve de plus qu’il n’existe pas, hypothèse qui a fait son chemin dans l’esprit de Lily depuis plusieurs années déjà. Parce que si Dieu existait, Callum serait mort plus tôt. Le problème et ses preuves peuvent se retourner dans tous les sens. Finalement, la brune écoute les explications de son frère dans un silence religieux, ne pouvant que tomber d’accord avec ses mots. Et être d’accord avec lui est quelque chose d’ô combien difficile pour elle qui s’entête à prouver depuis toujours qu’ils n’ont rien de plus en commun que quelques brins d’ADN. « J’pourrai jamais croire en un Dieu injuste, alors j’préfère me dire qu’il n’y a personne là-haut. » Comme quoi, Joseph ne dit pas éternellement que des bêtises ou des choses horribles, et c’est ce dont Lily avait besoin pour oser abaisser ses barrières.
Elle trouve une place contre sa cuisse, soudainement frigorifiée. Son corps ne bouge plus, la main de son frère emprisonnée entre les siennes. Le contact de ses doigts contre son épaule l’électrise ; lui aussi a tout d’une nouveauté. Le silence de son aîné était prévisible et le fait qu’il ne sache pas quoi faire de ses mains l’est tout autant. Elle le connaît, et sa connaissance ne sert pas seulement à lui faire des reproches. Personne ne leur a appris comment agir en de tels instants et si Lily a su comment y faire grâce à ses proches et le peu de relations amoureuses qu’elle a connu, elle est attristée d’en venir à la conclusion que Joseph n’a rien connu de tel. Finalement, la brune lève le voile sur la situation et la peine qui l’étouffe. Le discours qui s’ensuit lui glace le sang: ce sont les mots d’un enfant perdu dans le corps d’un homme. « T’aurais pas vécu autant d’bons moments si tu n’l’avais pas aimé. T’étais pas seule. T’avais quelqu’un pour t’accueillir le soir en rentrant du boulot, pour t’écouter raconter ta journée, pour s’endormir avec toi. » Ce sont les mots d’une personne qui croit encore au grand amour, à la famille parfaite, à un avenir possible auprès du bras d’une seule et même personne. C’est un discours qu’elle aurait pu tenir, faisant faussement semblant d’y croire. Mais Joseph, lui, n’a jamais su mentir : il pense chaque mot. Lily n’arrive pas à en sourire et même les souvenirs des instants passés auprès de Matt ne semblent plus suffire en cet instant. Il l’a rendu heureuse, c’est une évidence, mais justement c’est là où réside tout le problème. “C’est justement pour ça que c’est difficile d’accepter qu’il ne reviendra pas.” Le retour à la vie normale et solitaire est d’autant plus douloureux alors qu’ils se voyaient déjà trois, quatre parfois même. « Tu t’sentiras au fond du trou, maintenant, mais j’t’assure qu’tu pourras en sortir. Regarde-toi. T’es forte. J’ai toujours été jaloux d’ta facilité à te reprendre en main. » Le cœur de Lily se serre et ses doigts en font de même autour de l’avant-bras de son aîné. Elle ferme les yeux pour ne plus avoir à subir la vue douloureuse sur le monde, pour pouvoir se concentrer sur le rythme de son cœur qu’elle doit calmer aussi. Ce sont des mots qu’elle n’aurait pas pu avoir, incapable d’accepter la moindre de ses qualités. “C’est pas pareil cette fois, Jo. Tu le sais autant que moi.” Cette fois, il ne suffira pas de faire semblant d’aller bien pour que cela devienne ensuite la réalité.
Matt ne laissera pas d’enfant en ce monde, mais il laisse au moins l’espoir que la famille Keegan puisse renouer entre elle, un jour. Elle le sent essuyer rapidement son visage, tout comme elle comprend que le silence est volontaire suite à cette annonce. Il ne pleure sans doute pas de chagrin suite à la mort de Matt mais ce n’est pas grave. Pour une fois, la moindre excuse ne sera pas utilisée pour lui en vouloir. « Et c’est aussi c’que j’veux. » Pourquoi est-ce que cela doit prendre autant de temps, alors ? Tout aurait été plus simple s’ils avaient fait front commun dès le début, s’ils avaient su qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre. « On y arrivera, Lily. T’as ce pouvoir entre tes mains depuis toujours. » - “Je suis désolée d’avoir rien fait. Avec papa.” Panser ses plaies n’a jamais été suffisant. Si elle en avait parlé autour d’elle, Lily n’aurait rapidement plus rien eu à réparer sur le dos abîmé de son aîné. “J’ai pensé qu’à moi quand t’es parti. J’avais peur d’être la prochaine.” Elle se recroqueville un peu plus encore, ses mains toujours plus serrées autour du bras de son frère, incapable d’accepter qu’il s’éloigne de nouveau, comme il l’a fait il y a des décennies de ça. |
| | | | (#)Jeu 23 Sep 2021 - 5:39 | |
| “C’est justement pour ça que c’est difficile d’accepter qu’il ne reviendra pas.” Il se pince les lèvres et ses yeux se ferment naturellement. Il ne cesse pas de caresser l’épaule de sa sœur avec son pouce pour lui rappeler à chaque minute, à chaque seconde, à chaque inspiration et à chaque soubresaut de peine qu’il ne bouge pas. Il n’est pas parti, lui, personne ne l’a arraché des mains de sa sœur. Même s’il a fui dans le passé, il n’est pas disparu pour de bon, comme Matt. Il continuait à prendre des nouvelles d’elle du mieux qu’il le pouvait en s’arrêtant devant la pharmacie, il observant par la fenêtre dans l’espoir de voir sa chevelure épaisse et noire retomber en cascade sur ses épaules comme des petits amas de coton. Malgré la distance qui les séparait, il n’avait jamais oublié la couleur de ses iris parce que c’était la seule chose qu’ils avaient en commun. « D’autres viendront. » Pas nécessairement des hommes avec lesquels elle partagerait sa vie. Le monde était rempli de gens et, si Joseph avait appris une chose même derrière les barreaux, c’est qu’il ne serait jamais seul. Pas vraiment. “C’est pas pareil cette fois, Jo. Tu le sais autant que moi.” Il hoche doucement de la tête en déglutissant. Sa salive est pâteuse et a un mauvais goût de fumée. « T’as raison. J’sais pas comment te réconforter. J’ai toujours été nul avec les mots. J’suis désolé, Lily. » Il observe l’éclat de ses yeux remplis de tristesse et contient une nouvelle vague de peine en gonflant ses poumons au maximum. Il exerce une nouvelle pression sur l’épaule de sa sœur pour lui rappeler une énième fois que, même si Matt a disparu cette nuit, elle n’est pas pour autant abandonnée. Il aimerait insulter le ciel mais il se doute que là n’est pas le moment de se laisser aller à l’hostilité.
Le silence qui flotte entre eux est à la fois paisible et terrifiant. Joseph se déteste de ne pas savoir réagir de la bonne façon. Il ne connait rien des contacts humains. Il n’a jamais été en couple, n’a jamais pensé à fonder une famille, a toujours détesté les deux parents qui l’ont élevé comme le bétail. Et il a complètement ruiné son amitié avec la seule personne qui le comprenait et qui regardait derrière l’étiquette collée sur son front. Alfie lui manque. Et s’il ne pourra jamais recoller les morceaux avec lui, il peut essayer de panser les plaies de sa sœur qui semble, pour la première fois depuis qu’elle est une gamine, réellement le considérer comme un frère. Il aura fallu qu’il frôle la mort deux fois et qu’il perde l’un de ses yeux pour qu’elle décide de s’occuper de lui comme elle prend soin des patients à l’hôpital. “Je suis désolée d’avoir rien fait. Avec papa.” Les mots le prennent par surprise. Il entrouvre les lèvres pour mieux respirer lorsque sa gorge se serre, se noue, empêche l’air de passer. Comme à chaque fois que le sujet est mentionné, il sent à nouveau les lacérations dans son dos, celles qui sont pourtant cicatrisées depuis plus de vingt ans. La douleur est un fantôme qui ne le lâche jamais. “J’ai pensé qu’à moi quand t’es parti. J’avais peur d’être la prochaine.” Il secoue la tête, marquant un silence plus long. « T’avais treize ans. J’en avais quinze. On ne savait pas c’qu’on faisait. J’t’en ai jamais voulu de ne pas avoir su agir comme un adulte à ce moment-là. J’pouvais pas te réclamer la lune. » Il déteste en parler. Ça lui fait mal. Ça rallume tous les maux. Il préfère plonger l’aiguille plutôt que de sentir plus longtemps la brûlure imaginaire dans sa main. « J’ai fait mes choix et tu as fait les tiens. N’en parlons plus. Ça me brûle les yeux. » Il conclut en émettant une sorte de ricanement inconfortable, sans joie, complètement forcé, parce que c’est plus simple d’en rire que de pleurer sur son sort. « J’m’occuperai de toi autant d’temps qu’tu veux. Tu peux compter sur moi, okay ? » Elle pouvait compter sur lui, réellement. Il n’allait pas fuir en plein milieu de la nuit. Il l'avait déjà fait et regretté - à moitié - dans le passé.
@Lily Keegan |
| | | | (#)Mer 29 Sep 2021 - 20:16 | |
| « D’autres viendront. » Peu importe. Elle n’en veut pas d’autres. Elle ne veut plus jamais rencontrer personne, peu importe à quel point cette résolution met à mal son besoin de fonder une famille. Aucun ne sera Matt, aucun ne lui arrivera à la cheville non plus. Qu’ils viennent, ces autres, et Lily leur montrera la porte comme elle sait si bien le faire. Il est impensable que qui que ce soit puisse un jour remplacer son mari, peu importe à quel niveau et à quelle importance. Le chagrin ne la rend pas aveugle. « T’as raison. J’sais pas comment te réconforter. J’ai toujours été nul avec les mots. J’suis désolé, Lily. » Son pouce caresse doucement le genou de son frère, supposé lui faire comprendre sans un mot qu’elle ne lui en veut pas. Il a toujours été ainsi, la communication verbale n’a jamais été leur point fort. Ce n’est pas ce soir qu’il risque de lui apprendre quoi que ce soit à son sujet : il est son frère, elle le connaît bien mieux que quiconque et il n’a pas à être désolé parce qu’il n’est pas capable de lui ramener son mari. Personne ne le peut, de toute façon. “J’ai pas besoin d’être réconfortée.” Elle annonce doucement, tentant d’être convaincante. Elle a besoin d’un frère à ses côtés et de quelqu’un à prendre dans ses bras, mais pas de mots rassurants. Si tel était le cas, c’est une autre personne qu’elle aurait demandée. Pourtant, seul le prénom de Joseph lui est venu ; et il a tout d’un bon choix.
Perdue dans ses pensées autant que sa tristesse et ses remords, la cadette ne peut s’empêcher d’évoquer le sujet de leur enfance et, pire encore, celui de leur père. Tout aurait pu être différent, si elle avait eu le courage de parler ou au moins de ne pas fermer les yeux. Joseph aurait pu réussir sa vie et être heureux, lui aussi, si elle s’était battue pour lui. Si. « T’avais treize ans. J’en avais quinze. On ne savait pas c’qu’on faisait. J’t’en ai jamais voulu de ne pas avoir su agir comme un adulte à ce moment-là. J’pouvais pas te réclamer la lune. » Pour une gamine ayant toujours clamé être une adulte avant l’heure, ces mots ont un goût de reproche sans même que Joseph ne puisse s’en rendre compte. Justement, elle aurait aimé être une adulte à qui on peut demander la lune et l’obtenir. Le jean gratte sa joue et l'abîme mais elle ne pense pas un seul instant à mettre de l’espace entre elle et son frère, de peur que tout soit irréversible et une fois de plus lourd de conséquences. « J’ai fait mes choix et tu as fait les tiens. N’en parlons plus. Ça me brûle les yeux. » Ils ont le même rire faux, les Keegan qui ne savent déjà plus comment être heureux. “Ça s’appelle la tristesse, Jo.” Ils ne posent jamais de mot sur rien mais Lily le juge nécessaire en cet instant, usant d’ironie pour tenter de ne pas laisser la situation devenir complètement pathétique. « J’m’occuperai de toi autant d’temps qu’tu veux. Tu peux compter sur moi, okay ? » Et si elle se relève, ce n’est finalement que pour venir passer ses bras par dessous ses épaules et l’enlacer sans grâce, ses yeux encore abîmés par les larmes ayant parcouru son visage de porcelaine. “Je sais. Je t’aime.” Quand bien même elle sait par expérience que cette trêve ne sera que de courte durée, prémices d’une guerre à venir toujours plus violente. Chaque problème à la fois, sûrement, et en cet instant le seul qui l’intéresse sont les longs cheveux de son frère l’empêchant de venir plonger son visage contre son cou comme elle le voudrait. |
| | | | | | | | god only knows why we were born to burn (joseph #11) |
|
| |