| Dérouler le bandage [Jarchie#11] |
| | (#)Lun 19 Juil 2021 - 22:24 | |
| Les doigts d’Archie s’enroulent autour d’une orange. Il soulève le fruit parfaitement rond et pétrie sa pelure sans savoir ce qu’il fait. Il le renifle une seconde et fait un constat bien rapidement : l’orange sent l’orange, c’est tout. « C’est quoi un fruit de saison… » Il grommelle en jetant un coup d’œil à la terrible liste de course que James lui a envoyé. Il a seulement précisé les pêches, rien d’autre. Enfin ; des pêches et des fruits de saison. Il relève la tête en cherchant une réponse autour de lui mais il n’y a que des agrumes qui rient de lui. Soufflant un soupir, il décide de seulement attraper un sac de pêches et le laisse tomber dans le fond de son caddie. Il se dirige par la suite vers les avocats et en prend deux au hasard, puis il louche trois secondes de trop sur toutes les variétés de salade avant de trouver un bouquet de kale qu’il prend, lui aussi, au hasard. Il attrape au passage des carottes et un concombre. Quand il se plante devant le réfrigérateur des poissons, il se plaint à nouveau : « Églefin, flétan ou morue ? Décide-toi, James… » Il trouve les trois sortes, déjà préparées par le poissonnier, et les juxtapose pour mieux les comparer et choisi celui qui est visuellement plus attrayant que les autres. « Identique. » Il conclut pour finalement jeter le paquet de morue dans le caddie, délaissant les deux autres. Il se perd ensuite dans les allées pour entamer la chasse au trésor la plus difficile de son existence. Une trentaine de minutes plus tard, il arrive à la caisse et pose le contenu de son panier sur le comptoir. Il aura cherché la citrouille en canne en vain, et son égo est bien trop immense pour qu’il ne se résolve à demander de l’aide. Tandis que ses items sont scannés par le jeune caissier, pas plus âgé que seize ans, il jette un dernier coup d’œil à la liste et remarque seulement maintenant le citron inscrit tout en bas. Il souffle un juron. « Mets les fruits avec les fruits idiot ! » L’adolescent surpris relève les yeux, paniqué, pensant que l’actionnaire s’adressait à lui. « Pardon ? » Il demande, la voix gorgée d'inquiétude, mais Archie balaie l’air du revers de la main. « Je ne te parlais pas. » Les yeux noirs, il tend le cou pour regarder par-dessus a rangée de caisse et les citrons rient encore de lui. Tant pis. Pas de citrouille ni de citron.
Juste avant de démarrer sa voiture, il envoie un message à James pour l’informer de son arrivée imminente. Il ne se trouve qu’à une dizaine de minutes de chez lui et google map indique que le trajet ne sera pas retardé par des travaux. Ses promesses sont donc respectées et il pose tous les sacs de course devant la porte d’entrée de la maison de James à 17h15. Il hésite à frapper mais il décide d’attraper immédiatement la poignée qu’il tourne sans qu’elle ne résiste. Une odeur de… James… le couve dès le moment où il met un pied à l’intérieur. Sa gorge se serre, il déglutit, et ferme finalement la porte derrière lui en faisant le plus de bruit possible pour signaler son arrivée. Comme c’est la première fois qu’il voit l’intérieur de cette maison, il laisse ses yeux se perdre dans la déco. Le style est totalement différent du sien. Chacun a concocté sa baraque à son image. Archie a misé sur la modernité et la technologie, James a décidé de se mettre dans la peau d’un vieux démodé, c’est à sa guise. « James ! » Il s’exclame, la voix brève, vive. Il reçoit une réponse du salon. Il traîne les sacs avec lui, ces derniers percutent sans arrêt ses mollets pour mieux lui déchirer la peau. Un large sourire amusé étire les lèvres d’Archie quand il découvre le styliste étendu dans le canapé tel un martyr sur le bord du gouffre. « J’avais oublié que tu avais quatre-vingt ans ! » Il ne peut s’empêcher de glisser une première plaisanterie pour ne pas penser aux récents événements qui ont condamné l’homme à une série de points de sutures et des côtes cassées. « Tu as un petit contenant pour faire pipi aussi, ou comment ça marche ? » Il demande en le contournant, ayant détecté la cuisine adjacente. Il s’y dirige. « Ou alors, un tuyau glissé dans l’urètre, relié à une poche que tu traînes à ta ceinture. » Il pose les sacs sur le comptoir et note la propreté impeccable des lieux. « Ça doit être pénible, en tout cas ! » Il conclue d’une voix un peu plus forte pour compenser la moitié de mur qui les sépare. Dans cette pièce, il n’a pas à supporter le poids du regard de James : tant mieux. Il s'atèle machinalement à remplir le réfrigérateur de ses achats. Il en profite un peu pour espionner son contenu. Il ne mentait pas lorsqu'il affirmait n'avoir presque plus rien à manger. « Au fait, la prochaine fois que tu fais une liste, regroupe les fruits et les légumes ensemble. J'ai pas pris ton citron, j'étais rendu à la caisse quand je l'ai vu. J'espère que tu ne rêvais pas d'une limonade ce soir. »
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| | | | (#)Sam 24 Juil 2021 - 13:34 | |
| Il était sans doute naïf de sa part de croire qu'il pourrait retrouver son précieux atelier si tôt sorti de l'hôpital, mais dans quel monde demandait-on à un bourreau de travail tel que James de rester à la maison pour se reposer ? Ce serait mal le connaître que de croire que rester assis sur son canapé à regarder des documentaires animaliers lui ferait le moindre bien quand la seule chose à laquelle il aspirait après son agression était à reprendre une vie normale. Se sentir utile et efficace, voilà ce dont il avait besoin pour aller mieux, et ça n'était sûrement pas de le condamner à une vie d'ermite et de lui imposer des séances chez le psy qui lui rendrait service. James ne se considérait pas un seul instant comme une victime, moins encore comme quelqu'un qui avait besoin d'aide. Il nierait farouchement avoir été traumatisé par la façon dont ses agresseurs l'avaient roué de coups en pleine rue, tout comme il nierait s'être repassé le film de cette soirée dans les moments où cette solitude forcée le poussait à trop réfléchir. Il allait on ne peut mieux, et il n'avait pas besoin d'être traité comme si ça n'était pas le cas. Quiconque le connaissait savait qu'il n'attendait que le moment où il pourrait de nouveau sauter sur ses deux jambes, courir d'un bout à l'autre de son atelier et se noyer sous les deadlines et les commandes comme il l'avait toujours fait. En attendant, il lui fallait encore supporter d'être légèrement limité dans ses déplacements et de devoir rester le plus immobile possible pour permettre à ses blessures de se rétablir. Les médicaments aidaient à atténuer la douleur mais malheureusement pas à faire passer le temps plus vite, et c'était loin d'être le plus humiliant lorsque même faire ses courses devenait un casse-tête pour lequel il devait se faire aider. Bien des noms auraient alors pu lui venir en tête pour cette tâche et celui d'Archie n'était sûrement pas celui qu'on l'aurait imaginé choisir compte tenu de leurs rapports plus qu'ambivalents ces dernières semaines, mais James n'y avait au contraire réfléchi qu'une demi-minute. Bien des choses lui manquaient durant les longues journées qu'il passait seul chez lui et la compagnie de l'actionnaire en faisait indéniablement partie, qu'il soit prêt à se l'avouer ou non. Leurs points quotidiens sur les affaires de Weatherton étaient alors un prétexte comme un autre pour le revoir, passer un peu de temps ensemble et s'assurer qu'Archie n'ait surtout pas dans l'idée de l'oublier. Lui pensait bien trop souvent à lui lorsqu'un pesant silence l'entourait et que son rire idiot venait à lui manquer.
Ponctuel, Archie se présenta chez lui à l'heure convenue et James prit comme à chaque fois le soin de se redresser sur le canapé, ne désirant pas paraître plus diminué et assisté que ça n'était déjà le cas. Bien au contraire, le salon était parfaitement rangé et chaque objet demeurait à sa place : il fallait bien qu'il occupe son temps entre ces murs et tenir cette maison propre et ordonnée s'avérait étonnamment relaxant. La voix d'Archie ne tarda pas à résonner depuis l'entrée et c'est bientôt son parfum qui se répandit dans l'air tandis que James resta profondément imperturbable. A ceci près qu'il lui fallut de longues secondes pour répliquer à ses tentatives d'humour, trop occupé sans doute à chasser les plis de sa chemise et vérifier dans l'écran de son téléphone qu'il n'ait pas trop mauvaise mine. Juste comme ça. « Tu as bouffé un clown ce matin, dis-moi. » Il souffla d'un ton égal, songeant que toute cette situation avait au moins le mérite d'amuser quelqu'un. Archie était simplement fidèle à lui-même et ça tombait bien, James ne comptait pas sur lui pour traiter cette affaire différemment de d'habitude. Il préférait nettement ça à l'idée de lui inspirer une quelconque pitié, pouvant supporter de soutenir son regard s'il y percevait du dédain mais pas le moindre apitoiement. « C'est ce que tu fais au bureau pendant que je suis ici, amuser la galerie ? Je savais qu'en mon absence certains se relâcheraient, mais j'imaginais pas que tu serais le premier à montrer le mauvais exemple. » Son regard avait à peine eu le temps d'accrocher sa silhouette, Archie ayant déjà disparu dans la cuisine avec ses sacs de courses. Naturellement une part de James lui était reconnaissante d'avoir fait ce détour au supermarché sans poser de problème, mais il était bien plus dans leurs habitudes de s'échanger des piques que de se remercier chaleureusement, raison pour laquelle il ajouta. « C'est aimable à toi de t'en inquiéter, mais mon appareil urinaire va très bien. Cela dit tu peux m'escorter jusqu'aux toilettes pour en juger par toi-même, si ça t'inquiète autant. » Il aimerait pouvoir en dire autant de ses côtes et de son abdomen, particulièrement touchés par les coups qu'il avait reçu, mais Archie savait probablement mieux que personne à quel point il n'était pas ressorti indemne de cette soirée. Il était celui qui avait appelé les secours, celui qui ensuite l'avait veillé plusieurs heures à l'hôpital d'après son père. Une pensée qui lui valut de redevenir silencieux un instant, alors qu'il croirait revivre cette même scène chaque fois qu'il ouvrait les yeux. La silhouette d'Archie, postée dans un coin de la chambre, lui apparaissant d'abord floue puis se faisant de plus en plus nette. Tiré de ses pensées par la voix de l'homme d'affaires, il chassa son trouble par un soupire. « C'est parce que tu n'y as mis aucune bonne volonté. » Et James savait pertinemment qu'il n'aurait guère montré plus d'enthousiasme si les rôles avaient été inversés. « Une liste, ça se lit en entier et de haut en bas. Heureusement que tu es plus rigoureux dans ton travail, sinon Weatherton aurait déjà fait faillite. » C'était probablement injuste de sa part, mais James n'avait que son sarcasme pour le protéger dans une situation qui le rendait suffisamment vulnérable. Incapable de faire ses courses, obligé de demander de l'aide à la seule personne qu'il voulait autant voir disparaître que garder près de lui, il se sentait tellement inutile qu'il ne savait plus qui il détestait le plus. Ses agresseurs, ou lui-même d'en être réduit à montrer une telle faiblesse quand cette idée l'avait toujours horripilé plus qu'aucune autre. Archie ne devait pas voir à quel point il avait ici besoin de lui, moins encore à quel point sa présence égaillait sa journée. « Puisque tu es debout, serre-nous deux verres de vin. J'en ai rêvé toute la journée et l'avantage d'être ici c'est que je peux t'offrir autre chose qu'un café. » L'un des seuls avantages au fait de ne pas avoir mis les pieds au bureau depuis plusieurs jours, dirons-nous. Il fallait bien qu'il y en est quelques uns. « Tu peux venir t'asseoir au salon, la pièce est assez grande pour nous deux. » Assez grande pour qu'ils puissent respirer le même air sans que la situation ne devienne à nouveau embarrassante. Archie et lui devaient encore parler boulot, après tout, et ce serait plus agréable autour d'un verre. Ce n'était en aucun cas une ruse pour le retenir.
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| | | | (#)Dim 8 Aoû 2021 - 16:23 | |
| C’est pratique, de bouffer un clown tous les matins. De cette façon, Archie s’assure d’avoir assez de réparties pour contourner les problèmes sérieux et les discussions qui l’effraient. Il n’a jamais besoin d’exprimer ses véritables émotions lorsqu’un sourire hilare fend ses lèvres. Il peut taire à jamais la douleur qu’il a ressentie en découvrant le corps endormi et blessé de James dans le lit d’hôpital, et il louvoie avec une facilité déconcertante entre les sentiments qu’il ne montrera jamais en sa présence. Ce sourire et ces vannes pourries lui sauvent la mise et le préservent de cet homme qu’il aurait pu devenir s’il n’avait pas été assez fort pour le chasser, comme son père lui a montré. James pense qu’il est faible, un trouillard même, mais dans la tête d’Archie tout est bien différent. La faiblesse serait pour lui de céder à ce bourdonnement étrange dans son ventre. Il est fort, très fort, et c’est pour ça qu’il a hérité de cette couronne imaginaire aujourd’hui. « Les clowns font partie de mon régime depuis des lustres, James. » C’est étrange de prononcer son nom si près de lui. Sa voix arrive de justesse à maintenir son équilibre. Le garçon garde appuie sur le comptoir et laisse ses yeux se promener dans la cuisine à la recherche de l’armoire où sont rangés les aliments qui ne doivent pas rester au frais. « C'est ce que tu fais au bureau pendant que je suis ici, amuser la galerie ? Je savais qu'en mon absence certains se relâcheraient, mais j'imaginais pas que tu serais le premier à montrer le mauvais exemple. » Un rire subtile fait vibrer sa gorge alors qu’il entrepose quelques objets sur les étagères. Il a beau chercher des miettes de poussière, il n’arrive pas à mettre le doigt sur la moindre négligence de la part de James. Il se demande même s’il n’aurait pas engagé une femme de ménage, ou un homme, peu importe ; quelqu’un qui vient récurer à sa place. Le connaissant, il se dit que l’option ne lui a probablement pas traversé l’esprit. James aime avoir le contrôle sur tout. « Il faut bien que je remonte le moral des troupes maintenant que tu n’es plus là pour leur partager ton humour raffiné. » Il répond d’un ton sarcastique, sa voix devenue fluette lorsqu’il veut bien lui faire comprendre qu’il plaisante, que le patron Weatherton n’a jamais été celui qui arrache des rires. Dans le panier à fruits, il pose sa seule trouvaille : le sac de pêches. Il aurait effectivement pu chercher quels étaient les fruits de saison mais il a préféré insulter la liste de courses trop imprécise de James plutôt que de faire des efforts. « C'est aimable à toi de t'en inquiéter, mais mon appareil urinaire va très bien. Cela dit tu peux m'escorter jusqu'aux toilettes pour en juger par toi-même, si ça t'inquiète autant. » Archie serre les poings et remercie ce mur qui le sépare de James. Ce dernier ne peut pas voir l’expression sur son visage. Il se contente de souffler tout l’air par ses narines en glissant le morceau de poisson dans le tiroir à viandes. « Je vais devoir refuser l’offre, merci. » Il marmonne simplement pour ne pas laisser le silence trahir son malaise. N’importe quel véritable ami aurait certainement pris des nouvelles sur l’état de ses cotes, celles qui avaient réellement écopé lors de l’agression, mais son égo surdimensionné le rend muet. Il se contente de faire claquer sa langue contre son palet de façon répétitive, jusqu’à ce qu’il se rappelle le fameux citron dans le bas de la liste de James. « C'est parce que tu n'y as mis aucune bonne volonté. Une liste, ça se lit en entier et de haut en bas. Heureusement que tu es plus rigoureux dans ton travail, sinon Weatherton aurait déjà fait faillite. » Ses yeux se lèvent au plafond et il esquisse un soupir. « La différence entre un citron et mon travail, c’est qu’il y en a un des deux qui m’intéresse un peu moins. » Pas la peine de préciser lequel mérite davantage son attention. Il sait très bien que le styliste survivra avec un agrume en moins dans sa maison. « D’ailleurs, tu sais qu’il existe des services de livraison de courses ? Tu n’as besoin que d’un téléphone, et le tour est joué. Et, moi, pendant ce temps, je ne perds pas mon temps à chercher où tu ranges tes trucs dans ta cuisine. » Évidemment, ça lui fait plaisir de voir James mais il préfère faire semblant d’avoir mieux à faire. Il se surprend même à apprécier de fouiner dans ses effets personnels. Comme s’il s’appropriait une part de lui. Le doute se prend de son ventre lorsqu’il entend la proposition du jeune homme dans le salon. Du vin ? Il connait très bien le pouvoir qu’a le vin sur eux. Hésitant une seconde de trop, il finit par abandonner et se dit qu’un seul verre ne lui fera pas de mal. Il relève naturellement la tête là où il a aperçu le cellier en traversant le couloir. Il n’avait d’ailleurs pas pu s’empêcher de se dire que le sien était plus grand. « Je prends la bouteille la plus chère ? » Il demande en se mettant à lire le nom des vins, cherchant le plus vieux, le plus réputé, celui qui est à sa hauteur. Il n’attend même pas la réponse de James avant de s’emparer d’une petite perle qui a dû lui coûter la peau du cul. Un Joseph Phelps 2016. Il l’a certainement reçu en cadeau. Un sourire ravi étire ses lèvres tandis qu’il rejoint à nouveau la cuisine pour chercher un tire-bouchon. James l’invite à le rejoindre alors il s’exécute, deux coupes dans la main droite et la bouteille ouverte dans l’autre. Il pose le tout sur la table basse en lorgnant James d’un sourire toujours aussi moqueur. « J’espère que tu ne m’en veux pas d’avoir choisi celle-là. » Il plaisante en désignant l’étiquette à la bordure dorée de la bouteille. Il ne serait pas surpris d’apprendre que celle-ci avait été imprimée dans la feuille d’or. Il verse le liquide rouge dans une première coupe qu’il glisse vers James et il se sert sa propre consommation. « Si tu veux tout savoir, les filles ne cessent de me poser des questions sur toi. » Il porte la coupe à son nez et en hume le parfum fruité. « Elles savent que j’étais présent lors de l’accident. C’est un véritable enfer parce que je ne sais jamais quoi répondre. » Il hausse mollement les épaules et observe James de haut en bas, louchant une seconde sur sa position légèrement repliée vers l’avant, comme si quelque chose le maintenait dans cet angle. Un bandage, certainement, qui immobilise ses côtes cassées. Il interroge le jeune homme du regard. « Alors, qu’est-ce que je dois leur dire ? » C’est une façon comme une autre de prendre des nouvelles sur son état. Au moins, grâce à cette stratégie, il ne semble pas être celui qui s’inquiète pour le blessé. Ce sont les filles chez Weatherton qui ont posé la question.
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| | | | (#)Lun 16 Aoû 2021 - 20:29 | |
| Même doté d'un humour qui avait le don de l'irriter autant que d'amuser une part de lui que James ne laissait pas s'exprimer en présence de l'actionnaire, Archie le sauvait par sa seule présence d'un ennui qui s'avérait au fil des jours de moins en moins supportable. En vérité, il n'avait sans doute aucune idée d'à quel point James s'était langui de le voir franchir le pas de la porte, ses sacs de courses à la main comme prétexte à sa présence aujourd'hui. Il avait besoin d'aide dans les tâches du quotidien et cette idée l'horripilait suffisamment pour qu'il ne risque pas de l'oublier, mais James savait qu'il aurait pu tenir une journée de plus avec les restes de son frigo ou simplement commander à manger. S'il avait tenu à ce qu'Archie le rejoigne, ça n'avait pas autant à voir avec du poisson frais et des agrumes qu'avec son incapacité notoire à lui faire comprendre plus clairement que oui, c'est vrai, il lui avait manqué. « J'espère qu'au moins tu veilles à ce qu'on prenne pas de retard sur nos commandes. Je voudrais pas constater que le rythme s'est relâché en mon absence. » James ne serait pas James s'il ne continuait pas à vouloir tout contrôler, même à distance. Les filles de l'atelier auraient pourtant raison de savourer leur répit, tout un chacun sachant bien qu'il s'empresserait de compenser ces semaines d'inactivité dès son retour. Et loin de mettre en doute la capacité d'Archie à assumer l'interim en son absence, James avait surtout besoin d'être rassuré sur l'importance du rôle qu'il continuait de tenir à l'atelier. Ce n'était pas comme s'il risquait d'être remplacé, pourtant, mais il craignait sans doute bien trop de se rendre compte qu'il n'était rien en dehors de son travail et qu'il ne lui restait que ça, aujourd'hui. Le sarcasme étant devenu leur principal moyen de communiquer depuis que la gêne et la pudeur s'étaient de nouveau fait une place au sein de leurs échanges, ses réparties se voulaient du même niveau que celles d'Archie, prouvant que l'actionnaire n'était pas décidé à le traiter différemment à cause de son état. Tant mieux, James ne l'aurait pas supporté. Haussant les épaules, l'air d'avoir à peine entendu sa prochaine remarque, James mûrit sa réponse plusieurs secondes de peur de laisser paraître quoi que ce soit qui pourrait indiquer à Archie que sa présence lui était bien plus précieuse et nécessaire que celle de n'importe quel livreur. « Je le sais, j'y ai juste vu l'occasion... d'avoir un peu de compagnie. Tu as sûrement du le remarquer, mais je vis seul et on peut pas vraiment dire que les visites du facteur soient d'une grande distraction. » Son ton était égal, son visage ne laissant pas transparaître la moindre émotion. Il aurait pu demander à n'importe qui de faire ça pour lui, pourtant, ça n'était pas les options qui manquaient même alors que James n'était pas réputé pour entretenir une vie sociale particulièrement remplie. Rien qu'à l'atelier, des assistants n'auraient pas rechigné à faire ses courses et y auraient probablement mis bien plus de bonne volonté que ne l'avait fait Archie. « La prochaine fois je demanderai à quelqu'un d'autre si m'honorer de ta gracieuse présence est encore trop te demander. » Évidemment qu'il l'avait choisi parce que sa présence dans les environs lui manquait autant que ses roulements d'yeux exaspérés et son sourire arrogant. Et évidemment qu'il préférerait le nier plutôt que d'admettre que ses visites étaient la seule chose réjouissante venant ponctuer ses journées. « C'est pas comme si je comptais faire durer le plaisir, de toute façon. » Ni dépendre de qui que ce soit plus longtemps. Cette situation n'avait rien d'une partie de plaisir et à l'allure où allait les choses il finirait même probablement par ne plus supporter cet endroit. Dieu sait pourtant qu'il l'aimait, cette maison, et qu'il se réjouissait aujourd'hui secrètement d'y recevoir Archie. Pas seulement parce que les journées étaient longues et solitaires, entre ces murs, mais aussi parce qu'il nourrissait au fond de lui l'espoir qu'ils sauraient l'un et l'autre se montrer un peu moins bornés qu'au bureau ou l'autre soir, au restaurant. James n'était pas certain d'avoir la force de livrer une énième bataille contre lui et c'est pour ça qu'à défaut d'être le genre de personne à mettre délibérément de l'eau dans son vin, il lui proposa d'en boire un verre avec lui. Ça ne leur ferait sûrement pas de mal de se dérider un peu, et Archie l'avait sûrement mérité en dépit de son incapacité à lire une liste de course jusqu'au bout. « Prends celle que tu veux. C'est pas comme si je recevais grand monde ces temps-ci. » Ni comme s'il était suffisamment désespéré pour s'enfiler des bouteilles de vin lorsqu'il était seul, d'autant plus quand une partie étaient d'inestimables cadeaux provenant de richissimes clients. Lorsqu'Archie revint finalement avec sa trouvaille, le coin des lèvres du créateur se retroussa avec un brin de malice. « Tu as des goûts de luxe, c'est pas vraiment une surprise. » Son regard capta le sien un instant avant de se reposer sur le verre que l'actionnaire lui tendit et dont il se saisit après un hochement de tête silencieux.
Finalement, ses yeux rencontrèrent de nouveau les siens, mais cette fois une lueur légèrement surprise passa dans son regard. « Vraiment ? » Que les filles de l'atelier se questionnent sur son état n'était pas surprenant lorsqu'on connaissait les rapports privilégiés que James avait toujours entretenu avec elles, pour autant il n'imaginait pas que ces questions puissent régulièrement revenir au centre des préoccupations de chacune. C'était d'autant plus troublant à imaginer qu'Archie se trouvait être la seule personne à pouvoir directement les renseigner et les rassurer, notamment en raison de sa présence sur place le soir de son agression. « Dis-leur la vérité. Que je vais bien et que j'irai encore mieux lorsque je pourrai reprendre le travail. » Inutile de s'étendre sur les circonstances qui l'avaient conduit à l'hôpital et qui lui valaient aujourd'hui de rester chez lui en attendant le terme de son arrêt de travail ; James n'en parlait pas, il ne posait même jamais de mots là-dessus. « Je vais bien. » Il répéta en plongeant son regard assuré dans celui d'Archie, simplement au cas où il lui prendrait l'envie d'en douter. Se souciait-il seulement de son état, ou était-il bien content d'être débarrassé de lui pendant plusieurs semaines ? Une part de lui n'avait que peu de doute quant à la réponse, mais une autre – plus enfouie – aimait croire à la première éventualité. « Mais ça m'aide pas de rester là. C'était stupide de la part de mon père de m'interdire de mettre les pieds à l'atelier. Ici je sers à rien alors que là-bas je pourrais au moins donner mon avis, signer de la paperasse... » Il pourrait faire quelque chose pour s'occuper les mains et l'esprit plutôt que de tourner en rond à attendre que les journées ne passent. « Il va vouloir me renvoyer chez le psy, mais j'en ai pas besoin. » Il avait déjà donné, il y a trois ans, et il n'était pas question qu'il revive ça. Son père ne pensait qu'à son bien et il devrait sans doute passer plus de temps à l'en remercier qu'à le tenir responsable de cette situation, mais James avait toujours enfermé ses émotions à triple tour. « Et c'est de moins en moins douloureux. » Il désigna brièvement son abdomen, et toute la partie de son corps qui ce soir-là avait reçu une pluie de coups particulièrement violents. Ses côtes cassées se remettaient lentement du traumatisme, aidées par ce bandage qu'il devait garder presque nuit et jour – comme si limiter ses déplacements au strict minimum n'était pas déjà de la torture. « C'est juste gênant lorsque... » C'est en se penchant pour reposer son verre sur la table basse qu'une gêne arracha aussitôt une grimace crispée à son visage livide. Certaines postures lui étaient particulièrement douloureuses et garder ce bandage bien en place lorsqu'on refusait l'aide d'une infirmière à domicile s'avérait être un casse-tête quand on était aussi têtu que James. « Merde. » La vie avait toujours une drôle de façon de vous rappeler votre vulnérabilité et cette idée horripilait James autant que de l'afficher devant les yeux d'Archie. « Je vais avoir besoin de plus de vin. » Il prétexta en fixant la bouteille comme pour noyer le poisson, détourner l'attention de l'actionnaire ou se convaincre qu'il n'avait besoin de personne, si ce n'est d'un grand verre de vin pour oublier que son agression n'était que le début d'un cauchemar qui semblait décidé à s'éterniser.
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| | | | (#)Sam 21 Aoû 2021 - 21:56 | |
| « J'espère qu'au moins tu veilles à ce qu'on prenne pas de retard sur nos commandes. Je voudrais pas constater que le rythme s'est relâché en mon absence. » Regard vers le haut ; soupir long et chaud ; soulèvement de la commissure des lèvres et gloussement sec. James a oublié de faire quelques calculs avant de lui faire part de ses inquiétudes. Si le compte en banque d’Archie est plein à craquer, ce n’est pas parce qui s’est tourné les pouces toute la vie. Il sait gérer, organiser, planifier, veiller au roulement d’une entreprise. S’il ne se considère que simple actionnaire, ça ne l’empêche pas de parfois d’enfoncer son nez trop profond dans les dossiers qui ne le concernent pas. Il aime s’assurer qu’il a bien placé son argent, c’est tout à fait normal. Il n’y connait rien en aiguille, en fil, en mousseline, en venelle, mais il sait faire les comptes et, pour le moment, la production ne s’est pas ralentie. Les filles se sont données pour mission de bien veiller sur le bébé de James pendant son absence. Alors, de la cuisine, après avoir ravalé son rire vaniteux, Archie répond : « Tu peux dormir sur tes deux oreilles. Weatherton ne changera pas, et elle sera peut-être même meilleure lorsque tu retourneras dans ton atelier. Les filles ne veulent pas te décevoir. » Et lui-même ne veut pas le décevoir, mais c’est un détail qu’il rangera bien au fond de sa gorge. Il n’a pas l’impression de devoir faire ses preuves, de toute façon, sa loyauté envers la marque par pour lui. Il passe parfois des journées entière – à observer la silhouette de James – dans l’atelier simplement parce qu’il adore admirer les dentelles, les paillettes, la soie douce qui s’étend sur plusieurs mètres sur la table. Il apprécie aussi de voir les fins doigts de l’artiste s’enrouler autour des ciseaux pour couper les filaments qui tendent leur cou en dehors de la pièce de vêtement. Il apprécie d’entendre le petit clic subtil qui accompagne le mouvement. Ce dernier lui manque mais, encore une fois, l’information restera tue.
Même si ça lui fait secrètement plaisir de découvrir la maison de James, Archie ne peut s’empêcher de se plaindre, de chougner comme un enfant à qui l’on vole la sucrerie. Il explique à l’estropier éphémère qu’il existe des applications qui pourraient répondre à ses besoins de nourriture. « Je le sais, j'y ai juste vu l'occasion... d'avoir un peu de compagnie. Tu as sûrement du le remarquer, mais je vis seul et on peut pas vraiment dire que les visites du facteur soient d'une grande distraction. » Archie s’immobilise, la pognée d’une armoire en main. Il y accroche un peu son poids en cachant sa bouche et sa barbe derrière sa large paume. Il hésite, fait tourner sa langue dans sa bouche, cligne des paupières en cherchant à nettoyer ses yeux légèrement secs, et finit par simplement lâcher un souffle par ses narines. Il se remet au travail en passant outre l’information. Il vaut mieux pour lui de ne pas s’aventurer dans ce sentier erratique. Il ne saurait pas sur quel gros rocher ou minuscule gravillon il pourrait trébucher. « C'est pas comme si je comptais faire durer le plaisir, de toute façon. » Un peu ironique qu’il précise cela alors, que, à peine quelques secondes plus tard, il lui demander d’attraper une bouteille de vin au passage.
Il laisse ses yeux partir à la recherche de l’étiquette la plus dispendieuse. S’il n’est pas réellement un franc connaisseur de vin, il sait trouver les marques les plus luxueuses et celles qui ont marqué l’histoire. Son père possède justement une impressionnante collection de spiritueux et se fait un prétentieux plaisir à vanter ses dernières trouvailles sur le marché. Archie se souvient des noms, des dates, et des détails sur les étiquettes parfois rehaussées de feuille d’or véritable. Alors il demande à James s’il serait embêté de le voir ouvrir sa bouteille la plus chère, mais ce dernier ne s’en plaint pas. Glorieux, il le retrouve dans le salon en compagnie du Joseph Phelps 2016, une prise qui, dans ses souvenirs, approche la barre des mille dollars. Une miette à côté de l’épaisseur de son portefeuille. « Tu as des goûts de luxe, c'est pas vraiment une surprise. » Un ricanement fier roule dans sa gorge tandis qu’il hoche de la tête de bas en haut. « Il faut bien que j’utilise tout cet argent, à quoi me servirait-il autrement ? » Il demande, le sourcil arqué, tandis qu’il hume le parfum du vin qui colore discrètement les pourtours transparents de sa coupe en verre. « Tu comprendras peut-être, un jour. » Il ajoute finalement, faussement moqueur.
« Vraiment ? » Il acquiesce, prenant soin de ne pas trop longtemps dévisager les ecchymoses de James dans son visage angélique. Même abimé de la sorte, le jeune homme présente les mêmes traits divis, fins, jeunes, comme si son visage avait été sculpté dans le marbre blanc. Il ne voit toujours pas le moindre poil saillant à son cou. Il prend toujours soin de se raser tous les matins malgré la mobilité réduite. Il n’en attendait pas moins de sa part. « Dis-leur la vérité. Que je vais bien et que j'irai encore mieux lorsque je pourrai reprendre le travail. » Une seconde de trop, il observe le styliste. Ce dernier capte l’incertitude dans son regard et il reprend une deuxième fois : « Je vais bien. » Il soutient son regard, cherchant le mensonge derrière ses prunelles. Il abandonne bien rapidement, ne souhaitant pas afficher trop d’intérêt pour son état, et il plonge ses lèvres dans l’alcool au raisin. « Je leur dirai ça, alors. Tu vas bien.» Il prétend, se posant un peu plus confortablement dans le canapé en face de James. Il desserre naturellement le nœud de sa cravate pour se permettre de respirer. « Je ne pense pas que c’est stupide. Tu ne te rends pas compte de tous les muscles que tu utilises lorsque tu passes une journée à l’atelier. Je suis d’accord avec Norman, écoute les médecins. » Il propose, esquissant un sourire amusé, faignant le léger manque d’intérêt pour ne pas qu’il comprenne qu’il craindrait de le voir retourner travailler à peine quelques jours après l’accident et l’opération. « Il va vouloir me renvoyer chez le psy, mais j'en ai pas besoin. » Nouveau haussement de sourcil. Il ne pose pas la question qui lui brûle les lèvres. Évidemment qu’il a eu besoin d’un spécialiste lorsqu’Alessandro est décédé. Il a perdu la moitié de sa vie. « Tu verras bien. » Il répond après avoir avalé une gorgée de sa boisson. Lui aussi aurait bien besoin d’un psy pour que ce dernier lui retire ses pensées honteuses de la tête. « Et c'est de moins en moins douloureux. » Il se permet de jeter un regard là où la gestuelle de James tente de le diriger. Son torse, ses côtes, son tronc. Là où les coups ont ruisselé derrière la vitre qui le séparait de James et la bande d’homophobes qui avaient appris du pire des homophobes. « C'est juste gênant lorsque... » Au moment où le blessé se plie vers l’avant et pousse un gémissement, Archie se redresse dans son canapé, prêt à bondir sur lui pour venir à son secours. Mais il réalise bien rapidement que sa réaction est exagérée alors il se racle la gorge et fait mine de se faire déranger par une mouche imaginaire qui vole autour de sa tête. Avec un peu d’insistance, il arrivera à se faire croire qu’il ne se soucie pas autant de James que ses actions laissent prétendre. « Je vais avoir besoin de plus de vin. » Il attrape la bouteille, se penche un peu vers l’avant pour attraper le verre de James et le remplir à nouveau. Il l’observe du coin de l’œil. « Ce sont tes côtes qui te font le plus mal ? » C’est là où sa peau avait été coupée puis ouverte pour accueillir un tas d’outils chirurgicaux. Accompagnant James, il voit une énième gorgée à son tour puis ajoute en basculant la tête sur le côté : « Tu as encore ton bandage, j’espère. » Il l’aurait très bien imaginé le retirer simplement parce qu’il n’était esthétiquement pas compatible avec son accoutrement.
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| | | | (#)Mar 31 Aoû 2021 - 12:44 | |
| Les doutes formulés par James n'étaient que ceux d'un créateur peu habitué à déserter son atelier bien longtemps, lui qui même quelques jours après perdu Alessandro était déjà de retour au travail et prêt à s'y noyer entièrement pour éviter de penser au reste. Il n'était jamais resté plusieurs jours sans s'occuper des essayages de leurs derniers modèles ni designer leurs prochaines collections, et parce qu'il se sentait particulièrement inutile et impuissant en étant ici, il lui suffisait parfois de se retrouver trop longtemps seul avec ses pensées pour tout de suite s'imaginer le pire. Bien sûr que Weatherton ne changerait pas et qu'il la savait entre les meilleures mains qui soient, ayant toute confiance en son équipe autant qu'en son père et, bien que ça lui coûte de se l'avouer, en Archie ici présent. Il connaissait sa loyauté autant que la rigueur qui avait fait sa fortune et son succès, il savait donc qu'il pouvait compter sur lui non pas seulement pour le tenir au courant de ce qui se passait en son absence, mais aussi pour veiller à ce que la cadence ne ralentisse pas. « Je suis à peu près certain qu'elles doivent pas trop se plaindre de l’intérimaire. » L'intérimaire étant Archie, qui veillait à ce que l'atelier tourne efficacement et à ce que les deadlines soient toutes respectées. S'il est certain que le charisme de l'actionnaire en troublerait plus d'une, sa tchatche naturelle devait aussi les changer de l'apparente froideur et de l'impassibilité de James. Certains diraient qu'un peu de changement ne pouvait nuire à personne, seulement lui se sentait inutile en étant ici et c'était la partie la plus compliquée de cette convalescence. « Je suis même sûr que mon père doit souvent t'inviter à monter prendre un café avec lui. Il n'arrête pas de me parler de toi. » En bien, ce qui n'avait rien d'étonnant lorsqu'on savait que Norman avait instantanément apprécié Archie. De toute évidence les dernières semaines les avaient approché et sans imaginer un seul instant que son séjour à l’hôpital puisse y être directement pour quelque chose, James supposait simplement que la discussion s'était amorcée d'elle-même lorsque son père s'était sans doute montré reconnaissant envers Archie d'avoir appelé les secours le soir de son agression. « Tu l'as ensorcelé, on dirait bien. » Il souffla d'un ton faussement égal, comme si cette idée ne suffisait pas à le troubler. Si son père et lui avaient toujours demeuré très proches, James n'avait jamais éprouvé le besoin de se confier à lui sur les dessous de sa relation avec Archie. La dernière chose dont il avait besoin était que son père soupçonne le rapprochement qui s'était initié entre l'actionnaire et lui autant que les sentiments qui l'animaient chaque fois qu'il pensait à Archie ou, comme ici, quand il était rejoint par ce dernier.
Relever qu'Archie avait sans conteste des goûts de luxe n'avait rien d'une insulte dans la bouche d'un James habitué à fréquenter toutes sortes de portes-monnaies savamment garnis depuis qu'il était enfant. Du temps où son père accueillait leurs riches clients dans la maison familiale, et à présent qu'il nouait aussi des liens privilégiés avec certains d'entre eux, devenus avec les années de véritables amis. Bien qu'il ne vive pas lui-même dans une opulence indécente se contente fort bien du charme discret de cette maison, il n'en était pas moins incapable de renoncer à certains plaisirs qui, il est vrai, avaient souvent un coût. Le vin était l'un d'entre eux et aucune des bouteilles qu'Archie aurait pu débusquer dans son cellier n'aurait pu être vendue en grande surface, certaines ayant même parcouru la moitié du globe avant d’atterrir ici. Et ce serait mal le connaître que d'imaginer qu'il aurait pu accueillir Archie sous son toit et lui proposer autre chose que de trinquer autour d'une bouteille d'exception. Ce n'est pas tant qu'il voulait l'impressionner, c'est qu'une partie de lui espérait aussi lui donner envie de rester un peu plus longtemps. « Tu en as peut être déjà entendu parler, mais il existe un concept appelé « associations humanitaires » à qui tu peux reverser l'argent que tu n'utilises pas. » Il releva dans un sourire légèrement moqueur, dissimulé derrière son verre de vin. Oh, ils savaient tous les deux qu'ils s'asseyaient à la même table pour ce qui était de vivre autocentrés sur eux-mêmes et sur leur petit monde. « Je sais, venant de moi c'est ironique. Je donne même pas un centime à la chorale de Noël quand ils viennent frapper à la porte. » Il prenait pourtant toujours la peine de leur ouvrir et de leur refermer la porte au nez, imperméable face à ce flot de bons sentiments qu'il supportait moins encore pendant les fêtes de fin d'année. Et il savait qu'Archie et lui étaient pareil, pas davantage du genre à s'émouvoir de la misère du monde que désireux de voir les autres compatir à leur peine.
Ses yeux peinaient à quitter les siens depuis qu'Archie l'avait rejoint au salon, et James réalisait une nouvelle fois combien ses journées manquaient de saveur durant les jours qui séparaient ses visites. N'avoir personne à qui faire la conversation était déjà une plaie, mais n'avoir personne pour qui se rendre présentable était bien pire encore pour un homme comme lui. Quand bien même ça lui demandait toujours deux fois plus d'efforts de cacher l'ampleur de son état face à lui, devant qui il voulait demeurer fier et inébranlable. Si James minimisait volontiers la violence de l'agression qu'il avait subie, c'était en partie pour qu'Archie, lui, ne le perçoive pas différemment. Pour qu'il n'ait pas l'impression de faire face à un homme diminué, mais à celui que quelques semaines plus tôt une partie de lui avait pu trouver désirable. Du moins, il osait le penser. « Ça alors, je te croyais pas du genre à te ranger à l'avis des médecins. » Un rictus sarcastique étira le coin de ses lèvres. Traître, qu'il pensa tout au fond de lui sans pour autant partager cette pensée. Peut être parce qu'il était malgré tout conscient que son père et Archie avaient raison. Chacun savait que si ça ne tenait qu'à lui James aurait repris le boulot si tôt sorti de l'hôpital et qu'il n'aurait pas ménagé ses efforts pour finaliser toutes ses commandes dans les temps, ce qui n'aurait sûrement eu pour effet que de le fragiliser un peu plus. Ainsi, même si suivre les consignes des médecins lui donnait l'impression de vivre emprisonné du matin au soir, c'était sans doute la meilleure chose à faire. Sans doute, oui. « Oui, j'en ai encore pour plusieurs semaines. On m'a prescrit des antidouleurs mais ces trucs-là assommeraient un cheval. » Ils sous-estimaient tous visiblement sa résistance à la douleur, ou bien était-ce James qui surestimait la rapidité de sa guérison. « J'essaie de dessiner tant que je suis ici et les médicaments me brouillent les idées. » Il avoua finalement dans un souffle, ses yeux désignant les carnets à croquis disposés sur une commode face à eux. Il n'avait rien de mieux à faire de ses dix doigts que de poser ses idées sur des feuilles de papier, seul moyen par lequel il réussissait à maintenir un lien avec son boulot et à se sentir utile, même ici. Il avait dessiné certains de ses plus célèbres modèles durant la période qui avait suivi le décès de son ancien compagnon, après tout, il y avait toujours eu à ses yeux quelque chose de particulièrement inspirant dans la douleur et le dépit. « Je le porte toujours, oui. Mais il se détend sans arrêt et seul ça me prend à chaque fois une éternité de le refaire. » Il lui fallait déjà presque se contorsionner chaque fois qu'il devait le changer et ce genre de postures n'aidaient pas vraiment à atténuer les douleurs. Bien sûr il aurait pu compter sur les services d'une infirmière à domicile et se les était d'ailleurs vu chaudement conseillé par son père, mais James était bien trop fier pour laisser qui que ce soit le traiter en malade alors il n'en avait évidemment fait qu'à sa tête. « Je suis pas entrain de te demander ton aide. » Son regard remonta jusqu'à celui d'Archie et y plongea plusieurs secondes pour appuyer ses propos. Sa gorge se serra pourtant dans la crainte que ce qu'il ajouta ensuite le rende de nouveau vulnérable face à lui. « Mais... je serais pas en position de refuser si tu me la proposais. » Parce qu'il n'avait personne d'autre, personne qui le visitait aussi souvent depuis sa sortie de l'hôpital et qui ne semblait jamais tout à fait convaincu lorsqu'il assurait que tout allait bien. Personne de qui il accepte d'être approché d'aussi près, surtout, quand bien même la seule pensée qu'il puisse s'approcher ne serait-ce que d'un mètre de plus suffirait à lui couper la respiration. Sa fierté démesurée lui interdisait de solliciter son aide mais sa lucidité le forçait à s'avouer qu'il n'avait peut être pas d'autre option s'il voulait guérir rapidement et sortir au plus tôt de cet état. Ses yeux quittèrent les siens pour se poser n'importe où ailleurs dans la pièce et ne pas risquer de voir apparaître ce sourire moqueur qu'il ne connaissait que trop bien et dont il se passerait pour une fois volontiers. Comme si ça n'était pas déjà assez embarrassant.
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| | | | (#)Mer 1 Sep 2021 - 1:01 | |
| Le portrait que fait James d’Archie le ferait presque rougir s’il n’avait pas appris à son sang à ne pas monter à ses joues dans ce genre de situation. Un sourire discret peint ses lèvres et s’accompagne d’un léger hochement de la tête. « Pour le moment, en tout cas. » Aucune fille n’avait émis le moindre commentaire à son égard. Il ne faisait pas le même boulot que James, évidemment – faute de talent – mais il avait adopté sa manie de tourner en rond dans l’atelier pour s’assurer que les aiguilles guident les fils à travers les tissus. Il ne savait pas toujours ce qu’il regardait mais il appréciait de plus en plus le talent des artistes de la robe. Parfois, il se surprenait à poser quelques questions, quand la curiosité lui chatouillait le bout de la langue. Il avait appris le nom de plusieurs tissus, breloques, pierres semi précieuses et métaux, il se tâterait presque à les énoncer à voix haute devant James pour l’impressionner mais il n’avait pas besoin de se faire caresser dans le sens du poil ici. Il n’y avait aucun témoins ; personne pour l’applaudir. Seulement un estropié cloué dans son canapé. Et il savait qu’il n’avait besoin de rien prouver à James à ce niveau-là. « Je suis même sûr que mon père doit souvent t'inviter à monter prendre un café avec lui. Il n'arrête pas de me parler de toi. » Un détail qu’il aurait préféré garder pour lui. Lèvres pincées, il esquisse un sourire confus. Il hausse les épaules, secoue la tête de droite à gauche, puis de bas en haut. « M’oui. Une ou deux fois. Pour se mettre à jour sur l’état financier, et toute la papeterie ennuyante. » Il ment tout en douceur, se faufilant dans le salon comme s’il connaissait l’endroit par cœur. Ses mollets ne frôlent pas la table basse, ses orteils ne s’entortillent pas dans le tapis épais qui délimite la pièce. Un poisson dans l’eau. « Tu l'as ensorcelé, on dirait bien. » Cette fois, il ne fait que secouer la caboche à la négative. « Nous parlons simplement le même langage. » Tous les deux s’inquiètent de la même façon pour James, tous les deux ont serré les poings lorsqu’il se remettait de l’opération. Parfois, il arrive à Norman de tenter de ramener le sujet maudit mais Archie l’évite constamment en désignant les températures agréables. C’est plus facile de parler du soleil dans le ciel que de celui qui règne dans son cœur lorsqu’il croise le regard océan du jeune styliste. « Ne me dis pas que je sais mieux lui parler que toi ? » Il se permet d’ajouter pour ramener les feux des projecteurs en la direction du blessé.
La bouteille d’alcool à peine ouverte : les verres déjà remplis. Inutile de trinquer, les deux hommes trempent leurs lèvres dans le nectar luxueux et déjà le titillement agréable du spiritueux allège leur tête et balaie leurs problèmes du jour. Pour conduire la discussion à sa façon, Archie opte pour sa stratégie habituelle : vanter sa fortune. Un moyen pour lui de se transformer en objet désirable plutôt qu’en être humain doté d’émotions. « Tu en as peut être déjà entendu parler, mais il existe un concept appelé « associations humanitaires » à qui tu peux reverser l'argent que tu n'utilises pas. » Il est vrai qu’il n’a pas été élevé dans les valeurs les plus charitables. Une moue visible se lit sur son visage et il reste trop embêté pour répondre. « Oh non. Les pauvres petits enfants chanteurs. » Archie couine en penchant la tête sur le côté, choisissant la carte du sarcasme pour ne pas se mettre à trop penser à son manque de générosité. Il peut encore blâmer son père pour ça, c’est le minimum.
Archie et James se ressemblent, d’une certaine façon. S’il avait été dans sa situation, il aurait lui aussi combattu ses maux pour replonger le nez dans son métier. Quelques pilules avalées, une compresse contre ses côtes, un peu de soupe poulet et nouille : la recette gagnante pour qu’il rouvre son ordinateur portable et se perdre à travers les chiffres. Il aurait rapidement oublié la douleur, immobile de cette façon. Seulement, et il l’a bien observé, le travail ne James n’est pas aussi statique. Il lui conseille alors de suivre les indications des médecins et de son père. « Ça alors, je te croyais pas du genre à te ranger à l'avis des médecins. » Il tire une grimace. « J’essaye surtout de te sauver quelques mois de plus de convalescence. Je ne pourrai pas inventer de nouveaux designs à ta place. » L’idée serait innovatrice. Un actionnaire à la tête de la nouvelle collection Weatherton. De quoi attirer la presse, puis les mauvaises critiques. « Le James que je connais me dirait qu’il est bien plus fort qu’un cheval. Il me dirait aussi qu’il pourrait avaler trois cachets sans sentir aucun effet. » Il plaisante, la voix fluette et les yeux brillants. James lui a toujours donné l’impression que rien ni personne ne pourrait l’écraser. Même la plus puissante des bombes atomique ne décollerait pas ses talons du sol. Enfin, c’est ce qu’il pensait avant qu’une ruée de coups de poing ne le plaque sur le béton. Il chasse l’image derrière ses paupières avec une longue gorgée de vin.
Le verre de James déjà vide, son propriétaire réclame une seconde consommation. Un seul mouvement trop brusque lui arrache une grimace. Une seule grimace fait bondir le cœur d’Archie dans sa poitrine et il se retient de justesse de sauter sur le blessé pour s’assurer qu’il va rien. À sa façon, il arrive quand même à prendre un peu plus de nouvelles sur son état. Il se souvient avoir vu un bandage au niveau de ses côtes lorsqu’il était plongé dans un sommeil artificiel. « Je le porte toujours, oui. Mais il se détend sans arrêt et seul ça me prend à chaque fois une éternité de le refaire. » Il en faut peu pour que la gorge de l’actionnaire se noue. Il gruge l’intérieur de ses joues et sa langue capte une saveur métallique. « Je suis pas entrain de te demander ton aide. » Aurait-il eu le courage de lui en proposer ? Il ne croit pas. « Mais... je serais pas en position de refuser si tu me la proposais. » Génial.
Il s’humecte les lèvres. Il sourit, puis ricane. Une nouvelle fois, ses lèvres tracent la ligne de sa bouche. Il avale une gorgée de vin. Il soulève un sourcil, puis redresse son dos dans son siège pour… le recourber immédiatement en lâchant une sorte de soupir interrogatif. « C’est ta façon d’admettre que le Grand styliste de renom, James Weatherton, a parfois besoin d’un coup de main ? » Accompagnant sa remontée d’un rire, il pose sa coupe sur la table basse et contourne cette dernière pour rejoindre le jeune homme de l’autre côté du salon. Il s’arrête devant lui et apprécie une seconde trop leur différence de grandeur dans cette disposition. Il oublierait presque que James le domine de plusieurs centimètres quand ils se trouvent sur la même échelle. « Tu peux déboutonner ta chemise sans trop geindre comme un animal ? » Il demande, déterminé à ridiculiser cette situation pour en rire. C’est plus facile de cette façon. Il observe les fins doigts de l’artiste s’atteler à la tâche, faire passer chaque rondelle d’acrylique à travers les fentes et, lorsque la chemise est complètement déboutonnée, il se place derrière lui pour délicatement faire glisser le vêtement sur ses épaules. Il serre les dents quand il se rend compte que ses yeux ont envie de contempler le grain de sa peau. Il se mord le bout de la langue pour détourner son attention. « Il va falloir que tu m’expliques ce que je dois faire sinon je vais te rafistoler à ma façon. » Les termes employés le surprennent alors il se reprend en se raclant la gorge : « Enfin. Tu sais ce que je veux dire. Je vais empirer la position du bandage. » Parce qu’il n’est ni médecin, ni artiste ; seulement un homme qui sait compter sans utiliser de calculatrice à force de se familiariser avec les équations.
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| | | | (#)Jeu 9 Sep 2021 - 19:54 | |
| James effleurait l'idée de rencontres régulières entre son père et Archie avec une certaine nonchalance, loin d'imaginer que les deux hommes se rapprochaient aujourd'hui davantage de deux confidents que de simples collaborateurs. Son père s'était bien gardé de lui confier le détail de ses échanges avec Archie à l'hôpital, et le créateur lui-même évitait le plus souvent de prononcer le nom de l'actionnaire en présence de Norman – sans doute de peur que l'expression de son visage ne le trahisse. « Le même langage ennuyant, donc. » Il releva, un sourire entendu au coin des lèvres, n'ayant étrangement aucun mal à le croire lorsqu'il semblait dépeindre un tableau peu passionnant du genre de choses que deux hommes de leur position pouvaient échanger. James n'avait jamais caché que les finances autant que la gestion administrative présentaient bien peu d'intérêt à ses yeux, en lui brûlait depuis toujours une flamme artistique et rien d'autre. « Mieux lui parler de chiffres, si, sans le moindre doute. Vous êtes tous deux passionnés de gestion financière et ça n'a jamais fait partie de mes centres d'intérêts, alors je suppose qu'avec toi au moins il doit se sentir écouté. » Et si une pointe d'envie brilla un court instant dans le regard du créateur, c'est parce qu'il savait qu'en dépit de sa relation fusionnelle avec son père, leurs intérêts avaient toujours été bien trop différents pour qu'ils puissent autant se comprendre que deux hommes d'affaires face à un sujet qui les passionnait tous les deux. Ça ne l'avait jamais empêché de nouer un lien privilégié avec lui, mais une part de lui enviait Archie de pouvoir partager cette part de la vie de son père. « Mais je te rassure, il y a d'autres sujets de conversations qu'on partage lui et moi. Mais sûrement aucun qui trouverait d'intérêt à tes yeux. » Une idée qu'il balaya d'un revers de la main, rapidement plus intéressé par l'idée de goûter au vin que leur avait choisi Archie et qui, c'est vrai, démontrait qu'il n'avait sans doute jamais eu à s'inquiéter pour l'argent de toute son existence. Une préoccupation qui n'avait jamais fait partie non plus de celle du créateur, quand bien même cet endroit était loin de rivaliser avec le standing de la demeure d'Archie. « Je suis sûr que tu offres le même air désolé chaque fois que tu refuses un billet à quelqu'un. » Son regard amusé remonta dans le sien tandis qu'il redevient un instant silencieux, James songeant qu'ils s'étaient toujours bien plus ressemblé qu'ils n'avaient sans doute jamais voulu le voir. Ils pourraient régner ensemble sur leur petit monde s'ils n'étaient pas aussi bornés et incapables d'abaisser leurs barrières.
Au moins James savait-il qu'il pouvait compter sur la dévotion de ses équipes en son absence, qu'elles soient dotées d'un esprit créatif ou d'un sens de l'organisation redoutable. Archie, lui, s'illustrait dans une catégorie encore plus à part, capable d'assurer une infinité de rôles sans que James n'ait même eu à expressément le lui demander. Comme s'il avait toujours pressenti qu'il ferait un remplaçant à la hauteur. Comme s'il se fit entièrement à lui. « Personne ne m'empêchera jamais de créer, même si ça veut dire délocaliser l'atelier entre ces murs. » Ce qui paraîtrait complètement fou mais pas nécessairement infaisable. Fort heureusement James n'avait nulle intention de prolonger sa convalescence et comptait bien revenir au bureau dans les plus brefs délais, quoi qu'en pensent ses médecins. Ils avaient peut être des tas de diplômes mais ils ignoraient ce que c'était que d'être à la tête d'un atelier comme celui de Weatherton, où les idées se devaient de fuser en continu que leur créateur soit parfaitement opérationnel ou non. Il était un artiste, et on ne canalisait pas un artiste. « Je suppose que je devrais être flatté que tu aies gardé cette image de moi après m'avoir vu affalé par terre comme un burrito écrasé sous une chaussure. » Si son langage pouvait sembler cru pour parler du soir qui avait bien failli lui coûter bien plus que des cotes cassées et d'autres blessures heureusement plus superficielles, c'est simplement parce que James refusait de se morfondre sur une chose qu'il avait d'ors et déjà mise derrière lui. Il était peut être mis au repos forcé mais il refusait de donner satisfaction à ses agresseurs en agissant comme s'ils avaient réussi à lui ôter toute once de dignité. Plutôt rester trois semaines de plus enfermé ici que de leur faire ce plaisir.
Mais parce que ça non plus ça n'était pas une option, le créateur était bien forcé de réclamer de l'aide là où il avait une chance d'en trouver, quand bien même solliciter celle d'Archie était tout ce qu'il y avait de plus compliqué, et pas seulement pour son orgueil. Mais il avait besoin de lui, bien plus qu'il n'oserait jamais se l'avouer, et à cet instant tout était préférable au risque de le voir franchir le pas de la porte une fois son verre de vin englouti sans savoir quand il reviendrait le voir. James détestait l'idée d'attendre chacune de ses visites avec l'impatience dévorante d'un cœur bien trop vulnérable lorsqu'il était tout près, mais il avait suffisamment tenté de résister aux pensées que l'actionnaire insufflait en lui pour savoir que c'était bien vain. Alors quitte à être troublé de se retrouver dans la même pièce que lui, quitte à être incapable de réfléchir comme il se doit en sa présence, autant que ce soit pour une bonne raison. « Je t'en prie, sois pas aussi cérémonieux. Soit tu acceptes de m'aider, soit tu refuses, mais inutile de faire durer le plaisir. » Archie avait tellement l'habitude de brosser tout son monde dans le sens du poil qu'il s'exprimait toujours comme s'il devait contenter un auditoire. James appréciait peut être son éloquence dans un cadre professionnel, mais il la supportait bien plus difficilement quand un seul regard échangé avec lui suffirait déjà à faire sentir à Archie que oui, aussi humiliante que ce puisse être, il avait besoin de lui. La suite, elle, eut le mérite de lui tirer un fin rictus. « Tu peux me regarder déboutonner ma chemise sans prendre ça pour une tentative de drague ? » Oh, ça sonnait moins risqué dans sa tête. Remontant son regard joueur dans le sien, James garda un air imperturbable et ravala son embarras face à un Archie bien trop avantagé pour qu'il lui laisse voir à quel point il se sentait vulnérable. Déboutonnant précautionneusement sa chemise, il la fit glisser sur ses épaules et sentit sa respiration se troubler lorsqu'Archie l'aida à s'en défaire. Lui expliquer comment procéder était définitivement la meilleure option pour éviter d'avoir à penser qu'il faisait subitement beaucoup trop chaud dans la pièce, malgré le fait qu'il n'ait plus aucune épaisseur sur le dos. « Tu dois commencer par chercher l'extrémité du bandage et le dérouler pour pouvoir le replacer ensuite. Et accessoirement me laisser respirer une seconde, ce truc me sert atrocement. » Lui qui n'aimait pas se sentir restreint dans ses mouvements haïssait forcément ce bandage. « Quand t'auras fait ça t'auras plus qu'à replacer le bandage en faisant légèrement se chevaucher la bande à chaque fois et en serrant bien au niveau des cotes. Je t'apprends sûrement rien, t'as déjà du soigner Madison après une blessure. » Est-ce qu'Archie était ce genre de frère pour Madison ? Il n'en savait rien mais pouvait difficilement juger d'après l'aperçu qu'il avait eu de leur relation l'autre soir, au restaurant, conscient que sa présence autour de la table y était pour beaucoup dans l'attitude défiante de l'actionnaire. « L'extrémité doit être quelque part à l'arrière. Je vais me redresser pour... que tu puisses l'atteindre. » Dieu sait qu'il aimerait en finir rapidement, raison pour laquelle il n'attendit pas une seconde de plus pour décoller son dos du dossier du canapé, laissant ainsi le champ libre à Archie. L'invitant implicitement à s'approcher, James retint sa respiration en le sentant à présent plus proche de lui qu'il ne l'avait plus été depuis ce matin-là, chez lui, juste avant ce baiser échangé à la lumière du matin. Si l'on mettait du moins de coté le soir de son agression, un souvenir pas moins troublant mais bien moins agréable. « Tu... hm, tu la vois ? » Il demanda après une seconde qui parut interminable, posant son regard n'importe où à travers la pièce pour ne jamais prendre le risque de croiser le sien, un frisson le parcourant rien qu'à l'idée que les doigts d'Archie puissent ne serait-ce qu'effleurer sa peau. A cet instant il préférerait qu'il déroule cette bande comme on arracherait un pansement, pour ne pas avoir à penser trop longtemps à la proximité qu'ils partageaient.
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| | | | (#)Lun 20 Sep 2021 - 19:42 | |
| « Le même langage ennuyant, donc. » Parfait. S’il trouvait le langage ennuyant, il ne poserait pas plus de questions au sujet des discussions qu’entretient Archie avec Norman depuis quelques jours déjà. « Exactement, comme tu dis. » L’actionnaire esquisse alors en se dotant d’un sourire rempli de dents blanches, remerciant le flot de la conversation de ne pas le mener jusque-là. Certes, il ne discute pas vraiment des émotions qu’il ressent à l’intention de James mais le sujet flotte toujours au-dessus de leurs têtes autour d’un café. Il voit dans les yeux de Norman une lueur protectrice, reconnaissante, la lueur d’un père fier qui ne sait malheureusement pas qu’Archie ne sera jamais le bon gendre que mérite son fils. Il ne pourra jamais regarder le styliste dans les yeux et avouer cette pression exercée sur son cœur lorsqu’il croise une seconde de trop son regard. Il ne pourra jamais formuler les mots qui tuent, il ne pourra jamais devenir pour lui plus qu’un vieil ennemi et qu’un collègue de travail. Il est trop faible pour casser la chaîne des menottes. « Mieux lui parler de chiffres, si, sans le moindre doute. Vous êtes tous deux passionnés de gestion financière et ça n'a jamais fait partie de mes centres d'intérêts, alors je suppose qu'avec toi au moins il doit se sentir écouté. » C’est ironique. Archie ne se souvient pas la dernière fois qu’ils ont réellement échangé sur les états financiers de la compagnie. Ils ne font qu’effleurer la surface du sujet du bout des doigts puis se laissent aller aux discussions plus familières. Le genre de moment qu’il ne partage même pas avec son propre père qui préfère plutôt s’assurer que son fils devient aussi fortuné que lui et l’interroger au sujet des femmes qu’il côtoie. « Mais je te rassure, il y a d'autres sujets de conversations qu'on partage lui et moi. Mais sûrement aucun qui trouverait d'intérêt à tes yeux. » Il hausse les épaules en penchant la tête sur le côté. Il est tenté de lui demander plus de détails mais il se retient à la dernière seconde en se mordant le bout de la langue. Inutile de tenter le diable. Il craindrait trop que James use de sa technique habituelle, celle de renvoyer les questions pour ne pas rester le centre d’intérêt. Une ruse qu’Archie a adopté lui aussi, d’ailleurs, transformant souvent leurs débats en une partie de ping-pong infinie. « Je suis sûr que tu offres le même air désolé chaque fois que tu refuses un billet à quelqu'un. » Il ricane et secoue la tête en plissant le nez. « Les enfants ne passent même pas le portail. » Le ton est sarcastique. La vérité, c’est que très peu de gens se sentent accueilli par l’imposante clôture qui ceinture sa maison. Personne ne vient frapper à sa porte pour vendre des cookies ou pour chanter Noël. La petite affichette « attention au chien » n’aide certainement pas elle non plus à rendre le terrain chaleureux. « Après tout, ma maison a certainement inspiré de nombreux films d’horreur. » Et il jette un coup d’œil autour d’eux en plissant les sourcils. Comme s’il remarquait pour la première fois la décoration de la maison plutôt traditionnelle du styliste, il glisse : « Enfin, la tienne a inspiré la première saison d’American Horror Story. » Peu importe s’il a la référence : ça l’amuse. Si lui connait cette émission télévisée, c’est seulement parce que Saddie la lui a imposée la veille d’halloween.
« Personne ne m'empêchera jamais de créer, même si ça veut dire délocaliser l'atelier entre ces murs. » Il faudra bien qu’il l’admette un jour. Archie et James ont de nombreux points en commun. Ils ne peuvent tous les deux pas décoller leur nez du travail. Il suffit à l’actionnaire de traîner son ordinateur portable sur lui à longueur de journée pour ne jamais se sentir les mains vides. Il est cependant vrai que la situation de James est bien moins propice à la vie d’un nomade. « Tu te rendrais malade. » Il connait l’importance de séparer la vie personnelle et le boulot et, pourtant, il ne suit pas ses propres conseils. Ses nuits ne sont jamais bien longues puisque son ordinateur est posé sur la table de chevet à côté de son lit. Comme si ce n’était pas assez, tous ses mails sont parfaitement classés dans son téléphone qu’il touche du bout de l’index toute la nuit. « Je le serais certainement si je ne consommais pas autant de café. » Il ajoutait, les lèvres étirées en un sourire amusé, évitant soigneusement de préciser que le travail n’était pas la seule source de ses insomnies récentes. Il a passé trop de temps à espionner les profils Instagram, Facebook, ou Twitter même, de ces garçons qui ont laissé James pour mort dans la ruelle. Il les a tous retrouvés sans difficulté, évidemment, mais la plupart d’entre eux se faisaient plus discret sur les réseaux sociaux comme s’il savait qu’ils devaient se cacher. Archie avait d’ailleurs retrouvé plusieurs clichés de lui-même et des autres qui traversaient leur scolarité comme tout mauvais élève. L’alcool figurait comme thème principal dans la plupart des photographies. Il n’avait pas souri une seule fois en parcourant son adolescence par le biais de quelques clics. « Je suppose que je devrais être flatté que tu aies gardé cette image de moi après m'avoir vu affalé par terre comme un burrito écrasé sous une chaussure. » Ses sourcils se froncent alors qu’il s’accroche au regard de James. Incapable de répondre, une boule s’étant formée dans sa gorge, il se contente d’avaler le fond de sa coupe de vin. Il n’a pas l’intention de rire de l’état dans lequel il l’a retrouvé après l’avoir lâchement abandonné. La culpabilité lui grugeait toujours autant la peau.
S’il n’avait pas pu le sauver cette nuit-là, il pouvait au moins s’occuper de lui aujourd’hui. Resserrer un simple bandage ne devrait pas être trop compliqué même s’il a les mains aussi lourdes qu’un mécanicien. « Je t'en prie, sois pas aussi cérémonieux. Soit tu acceptes de m'aider, soit tu refuses, mais inutile de faire durer le plaisir. » Il ne pourrait cependant pas s’exécuter sans tourner la situation à la comédie. C’est mieux ainsi puisqu’il peut voiler son visage. « J’accepte de vous aider, Ô Noble Weatherton. » Il s’exclame héroïquement en s’approchant de lui d’un pas moins rassuré qu’il ne devrait l’être. Devant James, il attend que ce dernier se dévêtît du vêtement qui l’empêche d’avoir un aperçu sur le bandage défectueux. « Tu peux me regarder déboutonner ma chemise sans prendre ça pour une tentative de drague ? » Il grimace faussement, les traits froissés. « C’est toi qui a bouffé un clown ce matin. » Et, soudainement, ses yeux se mettent à danser partout sauf sur la peau dénudée du jeune homme. C’est seulement lorsqu’il se place derrière lui qu’il se permet de jeter un regard curieux, un seul, sur ses épaules dénudées. Il s’attarde un peu trop sur la chemise qu’il plie soigneusement afin de retarder le moment où il devra jouer le rôle de l’infirmier. Il sait ce que ça impliquera. Et, ce qui lui fait le plus peur dans tout ça, c’est la réaction que son propre corps aura. Tandis que le blessé lui explique la démarche, il se racle la gorge et observe plus en profondeur la bande de tissu entourée autour de ses côtes. Il hoche de la tête sans s’en rendre compte et sa main se soulève machinalement pour venir tâter le bandage sur sa longueur, à la recherche de son extrémité. « Tu serais gentil de ne pas mentionner Madi pendant que t’es à moitié nu devant moi, merci. » Il marmonne entre ses dents, inconscient de la portée de ses paroles. Quelques secondes plus tard, James se redresse légèrement pour séparer son dos du canapé. Aussitôt, il trouve l’extrémité qu’il recherchait et il l’attrape entre son pouce et son index. « Yep. Juste ici. » Il confirme en la délogeant d’en dessous d’une bande serrée. Il déroule soigneusement le bandage en touchant le moins possible la peau de James. Une fois ses côtes complètement dégagées, il forme une petite boule avec la banderole de tissu qu’il pose sur l’accoudoir. « C’est bon, tu peux respirer. » Lui aussi, par le fait même, puisqu’il s’était empêché de le faire durant toute l’opération. Seulement maintenant, il se met à observer les taches bleutées qui parsèment le dos du garçon. Des ecchymoses d’une taille considérable ; il en avait jamais vu d’aussi larges jusqu’à présent. Encore une fois, la culpabilité s’accroche à ses tripes mais, juste avant qu’il ne recule pour faire les cent pas, le parfum de vanille qu’il reconnait bien vient chatouiller ses narines. Il ferme les yeux. « Tes poumons sont heureux, ça y est ? » Il souffle entre ses dents en attrapant vivement le bandage qu’il enroule machinalement autour de sa main comme s’il s’agissait de son matériel de boxe. Il réalise bien rapidement que ses actions son insensées alors il se secoue les puces et s’excuse d’un gloussement. « Bouge pas. » Il ordonne ensuite en s’attelant à la tâche : il pose l’extrémité de la bande au milieu de son ventre et l’enroule à nouveau, prenant soin de bien serrer au niveau des côtes, s’assurant entre chaque mouvement que James n’a pas mal. Lorsqu’il termine son travail, il n’arrive pas à décoller sa main du tissu. Il le caresse du bout des doigts et son épiderme entre en contact avec celui du garçon. Il attend sa réaction avant de poser finalement toute sa paume sur son dos pour sentir sa chaleur. C’est en serrant les dents qui la fait glisser jusqu’à la hauteur de son cou, puis elle termine son trajet dans le haut de ses pectoraux. : « Est-ce qu’il est assez serré comme ça ? » Il sent une corde accrochée à son dos qui tente de le séparer de James mais il lutte, il lutte, parce qu’il veut sentir son odeur plus longtemps. Il se détestera plus tard. Il en a l’habitude.
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| | | | (#)Ven 24 Sep 2021 - 15:38 | |
| Le coin de ses lèvres se retroussa avec curiosité lorsqu'Archie fit référence à une série à laquelle James n'avait jamais vraiment pris la peine de s'intéresser mais qui semblait montrer une facette inattendue de l'homme qu'il croyait pourtant connaître (presque) sur le bout des doigts. Si Archie ne donnait pas l'impression de pouvoir s'intéresser à la pop culture, force était de constater qu'il pouvait encore lui réserver quelques surprises et cette idée n'était pas déplaisante. James n'oubliait pas qu'il ne lui avait jamais ouvert les portes de sa demeure avant aujourd'hui et une part de lui se satisfaisait de l'imaginer prêter attention aux moindres détails de cette maison dont il avait toujours été particulièrement fier. Si comme Archie le disait elle pouvait presque servir de décor à une série d'épouvante, le teint livide et les costumes sombres de son propriétaire ne jureraient probablement pas avec le reste du tableau. « Et encore, ils n'ont pas rencontré mon chat. » Il se contenta de souffler, guettant du coin de l’œil la silhouette du félin qui pour l'heure ne semblait pas encore vouloir les honorer de sa présence. « Il déteste les étrangers. » Et son regard malicieux capta celui d'Archie quelques secondes de plus, comme une manière de lui faire comprendre qu'il n'avait peut être pas encore rencontré l'hôte le plus exigeant de cette maison, quand bien même Shady et lui partageaient plus d'un trait de caractère. Et s'il était loin de sérieusement envisager de délocaliser son atelier entre ces murs, James savait qu'il ne laisserait personne lui barrer le chemin le jour où il remettrait un pied au travail – jour qui, déjà, n'arriverait pas assez vite. Loin d'être un patient modèle pour ce qui était d'appliquer à la lettre les recommandations de ses médecins, le créateur faisait au moins un minimum d'efforts pour s'assurer que personne ne lui compliquerait les choses à la fin de sa convalescence. « Au moins une chose pour laquelle toi et moi parlons le même langage. » James releva d'un ton entendu, n'ayant jamais douté de la rigueur et de la conscience professionnelle d'Archie, qui faisaient de lui un élément cher à Weatherton depuis le premier jour. Si bien des choses avaient pu les opposer – au moins en apparences – dans le passé, aujourd'hui James n'avait qu'à plonger son regard dans celui d'Archie pour y lire la même persévérance et la même soif de résultats que dans le sien. Quand il n'était pas trop obnubilé par la couleur de ses yeux pour penser à quoi que ce soit d'autre qu'à les admirer de plus près, du moins. « Mais je dois dire que c'est pas déplaisant de troquer pour une fois le café pour un peu de vin. » Un peu ne tarderait pas à devenir beaucoup si James continuait à se planquer derrière son verre chaque fois que la rencontre de leurs regards faisait s'accélérer son cœur comme s'il n'avait jamais cessé d'être cet adolescent réservé qui suivait toujours des yeux celui que tout le lycée idolâtrait. Sa gorge, elle, se noua rien qu'une seconde de repenser au soir de son agression. Ce n'était pas tant le souvenir des coups pleuvant sur son corps qui continuait de le hanter, mais la manière dont il s'était retrouvé démuni sans pouvoir livrer bataille face à plus fort que lui. De la haine, James en avait autant envers lui-même qu'envers ses agresseurs. Alors ironiser sur la situation était encore le plus simple.
Difficile pour autant d'ignorer qu'il ne pouvait pas éternellement se débrouiller seul, quand bien même il détestait l'idée de demander de l'aide. Fier, James l'était plus encore face à un Archie d'ors et déjà en position de force chaque fois que sa présence suffisait à le troubler. Lui apparaître plus vulnérable était la dernière chose qu'il souhaitait, mais aussi le dernier luxe qu'il pouvait à cet instant s'offrir. Et loin de ne pas en être conscient, le créateur éprouva un certain soulagement à l'idée qu'Archie soit pour une fois moins borné qu'il ne l'était en acceptant de l'aider. Aujourd'hui Archie n'était pas l'ennemi, si tant est qu'il l'ait été un jour. Et si James pensait avoir fait le plus dur en restant enfermé ici durant plusieurs semaines, garder la tête froide et les idées claires maintenant que le brun s'était approché relèverait d'un pur exploit. Sans chemise sur le dos derrière laquelle camoufler ses insécurités, James se sentait plus nu que le jour où ses lèvres avaient cueilli celles de l'actionnaire le temps d'un baiser qui continuait de le hanter nuit et jour. La différence, c'est qu'il y avait dans ce contact une chaleur profondément rassurante, un sentiment de bien-être tel qu'il n'en avait plus connu depuis des années. Ici, au contraire, le moindre courant d'air crispait ses membres et le faisait se sentir minuscule sous le regard d'Archie. Tétanisé, James garda pourtant la face et releva un regard faussement assuré dans le sien. « Ne me dis pas que tu vas rougir. » Comme si lui-même n'était pas à deux doigts de perdre le peu de contenance qu'il lui restait, soumis à la seule merci de celui qui avait toujours été son seul talon d'Achille, la seule faiblesse qu'il n'ait jamais su dompter. Redevenu silencieux à la seconde où Archie entreprit de dérouler la bande qui lui enserrait les cotes, James eut bien du mal à reprendre sa respiration lorsque ses poumons purent de nouveau se gonfler d'air. Le blond secoua nerveusement la tête, évitant de croiser son regard autant que de se concentrer sur cette proximité nouvelle que son corps gérait toujours avec autant de fébrilité. Les secondes s'écoulaient sans qu'il ne prête déjà plus attention à la bande qu'Archie repositionnait autour de son corps, simplement obnubilé par la manière dont ses mains œuvraient à même le tissu. A même sa peau, l'instant suivant, lorsque les doigts de l'actionnaire frôlèrent son épiderme dans un contact aussi doux qu'une caresse. Le cœur de James lui parut brusquement bondir hors de sa poitrine et le créateur se sentit défaillir, avaler tout entier par ce canapé qui déjà semblait imprégné de l'odeur d'Archie. Sa tête tournait, il avait chaud et sa respiration n'avait plus rien de régulière depuis plusieurs minutes. S'il pensa d'abord lui réclamer des comptes tout en lui ordonnant de retirer sa main, cette pensée fut bien vite chassée par une certitude : il n'était pas assez fort pour résister à ce que ces sensations nouvelles répandaient en lui. « Quoi ? Oh. » Le bandage. Il avait presque oublié son existence tant il s'était laissé troubler par le chemin emprunté par la paume d'Archie. Celle-ci descendait toujours plus bas, s'attardait toujours plus longuement contre sa peau. Il devrait détester ça et le détester lui, mais comment détester une chose qui vous faisait tant de bien ? « C'est... très bien, oui. » Comme s'il accordait la moindre importance à la manière dont il avait noué ce bandage autour de ses cotes, alors qu'il parvenait déjà péniblement à éviter à son cœur d'imploser dans sa poitrine. James ferma les yeux un instant, ses doigts refermés contre l'assise du canapé. « Tu... as les mains brûlantes. » Il lui avait fallu plusieurs secondes pour le noter, passée la surprise de ce contact dont la tendresse contrastait avec tout ce qu'Archie montrait habituellement. « C'est agréable. » Agréable parce que l'écart de température entre ses mains et sa peau parcourait celle-ci de longs frissons, qui lui faisaient à cet instant l'effet de décharges électriques. James se sentait subitement bien plus vivant qu'au cours de ces dernières semaines passées à dépérir dans le silence de ces lieux. Bien plus vivant en vérité que bien souvent ces dernières années. Et loin de pouvoir ni vouloir lutter contre ce sentiment, il le trouvait délectable. « J'espère que tu sais ce que tu fais. » Il souffla plus bas, tâchant du mieux qu'il pouvait de contrôler sa respiration devenue irrégulière. « Je veux dire... que le vin n'est pas entrain de te monter à la tête. » Était-ce pour ça que les doigts d'Archie s'aventuraient contre sa peau ? Pour ça qu'il faisait sauter chaque barrière implicitement dressée entre eux depuis leur baiser ? James aimait penser que non. « Parce que je crois que j'ai aucune envie que tu t'arrêtes. » Il en était sûr, en vérité. Et s'il ne tremblait pas déjà à l'idée d'avoir énoncé ces mots-là à voix haute, il lui aurait avoué qu'il aimait ça, le savoir près de lui, sentir ses doigts parcourir sa peau et y répandre autant de frissons qu'ils y apposaient de caresses.
Le bandage, lui, semblait définitivement relayé au dernier rang de ses préoccupations tandis qu'il se risquerait lui-même à guider ses doigts contre sa peau s'il n'était pas doté d'encore bien trop de bon sens pour s'abandonner à ce genre d'envies. « Est-ce que ça te répugne ? » Il demanda subitement, sentant son regard posé sur lui depuis plusieurs minutes sans qu'il n'ose imaginer ce qui pouvait bien passer par la tête d'Archie lorsqu'il le voyait comme ça. « Ces marques sur ma peau. » Ces bleus et autres ecchymoses qui tous portaient encore l'empreinte de ses agresseurs, de leurs coups de poings autant que de leurs coups de pieds. L'aspect n'était sans doute pas beau à voir s'il était proportionnel à la douleur ressentie le soir où James avait terminé sa course couché sur le bitume. C'était l'un des points positifs à vivre seul : personne n'avait jamais à admirer l'étendue des dégâts au niveau de son abdomen et de son dos. Archie était le premier, le seul devant qui il ait osé tomber la chemise et se montrer sous son jour le moins glorieux. Et ça lui était à cet instant bien plus difficile que ne l'était toute cette convalescence. « Est-ce que je te répugne ? » Cette fois James ne put faire autrement que de chercher son regard, peut être par besoin d'y lire ce qu'il craignait d'entendre filtrer d'entre ses lèvres pour pouvoir au moins s'y préparer. Il ne parlait plus des bleus, des marques et des conséquences de son agression. Il parlait de lui, dans toute sa vulnérabilité. De sa peau nue que plus personne n'avait touché depuis des années, et de celui qu'il était lorsqu'il ôtait sa carapace et redevenait subitement bien moins impressionnant que l'être gonflé d’orgueil qui arpentait habituellement son atelier. Il parlait de tout ce qu'Archie avait moqué et décrié des années durant, mais aussi de ce qu'il avait rejeté après leur baiser d'il y a plusieurs semaines. Il parlait simplement de James, qui ici ne pouvait plus se planquer derrière un nom ou un costume. James, qu'un seul mot de l'actionnaire avait à cet instant le pouvoir de briser pour de bon.
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| | | | (#)Lun 4 Oct 2021 - 22:47 | |
| Archie n’était pas l’ami des chats. Le peu de souvenir qu’il possède en compagnie d’un de ces petits félins n’est jamais bien rose. Il se rappelle le chat errant qui se promenait autour de la maison de campagne de sa famille en été, et qui lui crachait dessus quand il s’approchait un peu trop de lui pour récupérer une balle de baseball perdue. Il lui lançait toujours une insulte des plus acerbes mais son public se contenait de grogner en reculant sur la pointe des orteils, le dos courbé comme une montagne russe et les poils dressés vers le ciel. « Ton chat… » Il répète en laissant ses yeux s’aventurer par-delà le salon, cherchant la boule de poil qu’il venait de mentionner. Heureusement, il ne décelait pas sa présence dans le couloir et il ne l’avait pas croisé dans la cuisine. Il était probablement occupé à se lisser le pelage ou à dormir comme le bon paresseux qu’il est. Archie en a la certitude depuis toujours : les chats ne servent qu’à accumuler la poussière. Ils ne sont pas de véritables compagnons, comme les chiens. Il ne peut cependant pas s’empêcher de penser que le petit animal convient probablement autant à James que Bucky convient à Archie. C’est encore plus vrai maintenant que le styliste est coincé dans son canapé ; il n’aurait pas pu s’occuper de son animal s’il avait demandé autant d’attention que le meilleur ami de l’homme. « Au moins une chose pour laquelle toi et moi parlons le même langage. » Le café est la meilleure arme de toute personne ambitieuse, après tout. Malgré leurs différences, il faut dire que les deux garçons s’entendent effectivement sur l’importance du travail. « Mais je dois dire que c'est pas déplaisant de troquer pour une fois le café pour un peu de vin. » Le commentaire lui rappelait n’avait même pas pris la peine de s’assurer que le blessé pouvait se permettre de boire de l’alcool dans son état. Tant pis. Il est assez grand pour prendre soin de lui. « Disons que les deux boissons sont indispensables pour avoir une bonne qualité de vie. » Archie répond en accompagnant le geste à la parole. Il avale la gorgée de vin rouge sans réfléchir, sentant déjà les premiers picotements au creux de son ventre et les légers étourdissements qui accompagnent la consommation. Rien de bien nouveau pour lui alors il ne s’inquiète pas. Il pourrait même se permettre de prendre une pause ce soir et d’oublier toutes ces pensées qui l’accompagnent depuis qu’il a téléphoné les ambulanciers pour leur supplier de venir le plus vite possible.
Il est stupide de proposer d’offrir un coup de main à James car il entend déjà une voix au fond de son crâne lui ordonner d’arrêter de jouer à ce petit jeu. Malheureusement pour sa conscience, les vapeurs d’alcool la couvrent et il n’y prête déjà plus attention. Sans qu’il ne puisse réfléchir à ses actions, il se retrouve derrière un James dévêtu. Avec une certaine contenance, il observe les lignes de ses omoplates, relève les yeux, les abaisse à nouveau, se mord le bout de la langue, promène ses doigts au-dessus de sa peau en cherchant le peu de courage qu’il possède pour se mettre à la tâche. Lui retirer le bandage ne devrait pas être bien difficile. Sauf si James se met à jouer à ce petit jeu qu’il déteste autant qu’il aime. « Ne me dis pas que tu vas rougir. » Il attrape la bande de tissu et marmonne, à la fois intimidé et amusé : « Oh, la ferme. Tu m’empêches de bien faire mon boulot. » Il profite du silence qui suit pour jouer son rôle d’infirmier de circonstance et, non sans surprise, il constate que ses doigts ne lui ont pas fait défaut. Les ecchymoses de James sont à nouveau couvertes, bien que quelques lueurs bleutées s’échappent toujours du bandage sous la forme de nuages. Il n’entend plus les sons ambiants lorsqu’il pose sa main sur la chair dénudée du jeune homme. Il trace un chemin le long de sa colonne vertébrale jusqu’à sa nuque, passant par son cou, puis entamant une descente le long de sa poitrine. Comme s’il souhaitant garder les deux pieds sur terre, il brise lui-même le calme déstabilisant en demandant à James si le bandage a adéquatement été serré. Le choc de ce dernier est perceptible dans sa voix quand il reprend à son tour la parole. Malgré tout, Archie ne délaisse pas ce contact trop naturel qu’il entreprend avec lui. Il sent son cœur battre en dessous de sa peau douce comme la soie. Elle rebondit à coups de petits chocs, de petits tremblements. L’idée d’avoir désarmé James lui arrache un soupir de contentement. « Tu... as les mains brûlantes. C'est agréable. » Il s’humecte les lèvres et attrape l’inférieure entre ses dents le temps de remonter sa main contre la mâchoire du garçon. Doucement, il fait balancer sa tête sur le côté et libère son cou de quelques bouclettes. Il ne pense plus à rien lorsque sa bouche se pose contre la ligne de sa carotide. Il hume son parfum de vanille tout en gardant ses dents serrées parce qu’il a l’impression de jouer avec le feu – la lave, même. Il pourrait se brûler à tout moment. À nouveau, la voix de James le sort de sa rêverie. « Le vin m’est monté à la tête, oui. » Inutile de le nier. Ça ne changerait absolument rien. « Parce que je crois que j'ai aucune envie que tu t'arrêtes. » Ils sont tous les deux attirés par l’interdit. Il a lui aussi envie de continuer et il a décidé de remettre ses problèmes à plus tard. Doucement, il laisse ses lèvres glisser jusqu’à l’épaule de James, qu’il parsème de baisers aveugles, tandis que sa main aventureuse repart à la recherche d’une destination prohibée. Il s’arrête à la hauteur des reins de James pour doucement enfoncer ses doigts dans sa chair, promesse de futures caresses. « Est-ce que ça te répugne ? » Sa question résonne plus fort que désiré dans son crâne. Il secoue machinalement la tête de droite à gauche, envoyant ses longues mèches valser de droite à gauche, caressant dans la même lancée la peau de James. « Ces marques sur ma peau. » Il laisse ses ongles patiner sur les marques en questions. « Non. » Il murmure simplement, étreignant à nouveau son cou avec ses lèvres humides. « Est-ce que je te répugne ? » Il arrive seulement à penser la réponse. Non, c’est moi qui me répugne. C’est moi le responsable. Sentant le piège se refermer sur lui, il décide de s’en extraire immédiatement. Il glisse son pouce en-dessous de la ceinture du styliste et, habilement, connaissant le geste par cœur à force de l’avoir pratiqué sur lui-même, il la lui retire. Pour empêcher James de trop réfléchir aux conséquences de leur jeu, il exerce une pression sur sa tête pour qu’elle repose contre le dossier du canapé. Il savoure à volonté son épiderme tandis qu’il s’attèle à déboutonner son pantalon. Par-dessus son boxer, il découvre la forme gonflée de son sexe et une vague de chaleur le prend par surprise. Le mouvement est lui aussi familier lorsqu’il le caresse de bas en haut. « Laisse-toi faire. Ferme les yeux. » Ainsi, il pourra peut-être oublier qu’il s’agit de la main d’Archie qui le berce d’une façon aussi intime. Il pourra jouir sans ressentir les remords.
À moins que ce soit Archie qui craint de regretter les vingt années qu'il a consacré à ignorer ses véritables désirs.
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| | | | (#)Lun 11 Oct 2021 - 19:08 | |
| Ce serait mentir que de prétendre que James n'avait pas une petite idée en tête lorsqu'il avait proposé à Archie d'ouvrir cette bouteille de vin avec lui. Quand bien même ses intentions consistaient surtout au départ à aider l'actionnaire à se détendre et à laisser tomber cette petite guerre d’egos à laquelle le créateur et lui se livraient depuis des mois. James voulait jouer, mais différemment de d'habitude, peut être parce que la solitude de cet endroit lui pesait bien plus qu'il n'était près à l'avouer. Ça n'avait rien d'un hasard si Archie était la première personne qu'il ait appelée pour remplir son réfrigérateur, tout comme ça n'avait rien d'un hasard s'il était l'un des seuls à lui avoir aussi souvent rendu visite pendant sa convalescence. James voulait qu'il soit là, tout autant qu'il voulait chaque fois lui donner une bonne raison de rester. Le voir franchir le pas de la porte sans jamais savoir quand il le verrait revenir lui causait une frustration plus grande à chaque fois. Depuis que sa relation avec Archie avait pris une tournure qu'il était bien incapable de qualifier, depuis ce baiser chez l'actionnaire quelques mois plus tôt, James se surprenait à détester la simple idée qu'il puisse aller faire profiter de sa compagnie à d'autres. Qu'elles aient deux jolies jambes ou simplement un porte-feuille qui ne demandait qu'à se remplir, le créateur était aussi peu partageur qu'il était connu pour être drôle – et son sens de l'humour n'était pas vraiment la première qualité qu'on louait généralement chez lui. Alors oui, il y avait peut être plus qu'un simple désir d'alléger l'atmosphère dans cette proposition de partager un verre de vin avec son invité. Tout comme celle d'Archie avait peut être ravivé son besoin de le sentir près de lui, cette histoire de bandage devenant aussitôt un prétexte comme un autre pour le retenir un peu plus longtemps et initier un contact qu'il ne se serait jamais rabaissé à demander autrement. James n'avait jamais été très habile pour exprimer ce qu'il ressentait et la seule et unique fois qu'il s'y était risqué, Archie avait fini par rayer de sa mémoire l'instant où ils s'étaient confiés l'un à l'autre et où James, lui, avait ouvert son cœur. Ce n'était pas une expérience qu'il se savait pressé de revivre, pourtant il avait suffi qu'Archie s'approche pour que son rythme cardiaque s’affole. « Mille excuses, monsieur l'infirmier. » Et il pouvait tenter ce petit jeu de provocation autant qu'il le voulait, James ne se sentait pas en position de force face à Archie. Torse nu, le corps couvert d'ecchymoses, il se sentait au contraire comme une bête curieuse exposée au regard de l'unique personne à qui il voulait plaire. Jamais il n'avait eu aussi froid de toute sa vie.
Les mains d'Archie semblaient pourtant prêtes à réchauffer chaque parcelle de sa peau, ou bien peut être était-ce James qui ici était tenté de prendre ses désirs pour des réalités. Son cœur, lui, ratait un battement chaque fois que les doigts habiles de l'actionnaire s'approchaient d'un peu trop près de son épiderme, parcourant son corps de multiples frissons et reléguant au second plan ce bandage auquel James ne s'intéressait plus depuis plusieurs minutes. Seule lui importait cette proximité avec Archie qu'il voudrait éterniser sans pourtant se sentir capable de le lui demander clairement. C'est donc dans un silence presque complet que ses vagues tentatives pour faire la conversation se mêlèrent bientôt à des soupires que James fut bien incapable de contenir entre ses lèvres. Lorsque celles d'Archie, justement, se déposèrent à hauteur de son cou pour y imprimer leur marque, dans des baisers qui ne ressemblaient en rien à ce à quoi le brun l'avait habitué. C'était doux, délicat, tout à fait inattendu... et le contact le plus agréable qu'il ait partagé depuis maintenant bien trop longtemps. La surprise ne dura donc qu'un temps et James se surprit à incliner plus encore la tête de façon à lui laisser le libre accès à son épiderme. Il en voulait plus, il voulait ressentir cette sensualité qu'Archie mettait dans chacun de ses baisers et ne plus penser à rien d'autre qu'à ce moment suspendu. Si le vin était monté à la tête de l'actionnaire, alors il devrait définitivement boire plus souvent. James, lui, n'avait maintenant que faire de son propre verre et seule le préoccupait encore l'idée qu'Archie puisse le trouver repoussant pour toutes les raisons qui rendaient ce soir si difficile de se mettre à moitié à nu devant lui. Les marques laissées sur son corps témoignaient d'une faiblesse que James ne supportait pas de renvoyer, moins encore au regard si déterminant d'Archie. Ainsi l'unique moment où il s'autorisa vraiment à lâcher prise fut celui où ce simple mot s'échappa des lèvres de l'actionnaire. Non. Non, il ne le répugnait pas. Non, son regard sur lui n'avait pas changé. Et James éprouva non seulement un soulagement immense, mais aussi un besoin pressant de mettre derrière lui le souvenir de son agression, carcan insupportable qu'il n'avait aucune envie de laisser l'empêcher de savourer la lenteur affolante et terriblement agréable des gestes d'Archie. Ses baisers contre sa peau découverte, ses caresses exploratrices, chacune de ses initiatives réveillait ce feu dans son bas-ventre que James n'avait plus senti brûler depuis des années. Quoi qu'Archie soit entrain de faire, pour rien au monde James ne laisserait quoi que ce soit l'arrêter.
Les mains d'Archie empressées à le débarrasser de sa ceinture convinrent James de s'abandonner entièrement à ses gestes, de toute façon bien loin d'éprouver l'envie d'opposer la moindre résistance. Il n'avait qu'à fermer les yeux pour se concentrer sur la sensation de sa peau nue sous les paumes brûlantes du brun, croyant perdre la raison chaque fois qu'une de ses caresses venait mettre à mal le peu de contenance qu'il parvenait encore à préserver. Jusqu'où s'arrêterait-il ? Il eut rapidement la réponse, lorsque ce fut finalement sous sa ceinture que les doigts d'Archie décidèrent de se perdre. Sur cette partie de son intimité que James n'avait plus offerte à quiconque depuis presque quatre ans. Quatre ans, c'était long. Et s'il avait eu bien des occasions de tromper sa solitude depuis le décès d'Alessandro, c'était la toute première fois que James avait autant envie d'être touché. Parce que ça n'était pas par n'importe qui. Parce que c'était par lui. La surprise lui provoqua ainsi un tremblement incontrôlable et son désir, lui, augmenta de façon exponentielle. Au premier contact de la paume d'Archie contre son sexe, son esprit s'éteignit complètement et James ne tenta même pas de résister. Il voulait s'abandonner entièrement à cette chaleur étourdissante et délectable. Il voulait perdre le contrôle, pour une fois, quitte à avoir une bonne raison de se taper la tête contre le mur demain matin. Il voulait profiter, redécouvrir, laisser Archie mener la danse sans jamais avoir même l'envie de s'en plaindre. L'excitation dansant dans son bas-ventre lui faisait progressivement perdre tout contrôle sur ses propres faits et geste. Mais bien loin de le regretter, James n'avait plus qu'une hâte : que les geste d'Archie redoublent d'intensité. Qu'il allume pour de bon le feu qui ne demandait qu'à se répandre en lui. « Putain, Archie... » Il devrait probablement le détester de mener ainsi le tempo de son propre désir, le rendant dépendant de chacun de ses gestes et toujours plus pressé de sentir une nouvelle vague de chaleur l'envahir. Il devrait, oui, mais ne voudrait pourtant pas le laisser s'éloigner pour tout l'or du monde. Archie le rendait fou, et James l'aimait pour ça. « T'arrêtes pas. » Plus qu'une supplique, c'est un ordre qui s'échappa d'entre ses mâchoires serrées. A cet instant sa plus grande frustration était de ne pas pouvoir se redresser suffisamment pour glisser ses mains contre la peau d'Archie, explorer ce torse dont il avait gardé le plus brûlant des souvenirs. Peu importe, malgré ses cotes endolories James était prêt à se faire mal pour le sentir plus près encore. Il prit donc appui sur l'une de ses mains et ne résista pas à l'envie de plonger ses ongles dans l'épaule d'Archie. Lui aussi, il voulait le marquer. « Surtout t'arrêtes pas... » James ne contrôlait cette fois plus rien, son bas-ventre réagissant à chacun de ses gestes d'une cadence impitoyable. Tout était si bon, si fort, si différent quand c'était Archie qui pouvait décider de le libérer pour de bon ou de le faire languir un peu plus. Il avait toujours été excellent à ce jeu, et ça l'avait toujours rendu dingue. Finalement, c'est un long gémissement rauque qu'il exhala lorsqu'il sentit le plaisir monter et déferler en lui, vague après vague, secousse après secousse. Lâchant complètement prise, James ne voyait ni n'entendait plus rien en dehors des battements assourdissants de son propre cœur pulsant dans ses oreilles. Ce n'est qu'après quelques secondes, une fois son corps tremblant redevenu un peu plus calme, qu'il réalisa. Il releva ses yeux clairs vers ceux d'Archie et se pinça les lèvres. « Tu pourrais m'apporter quelque chose pour... » Il comprendrait, à son regard couvert d'une forme d'embarras que James n'avait plus éprouvé depuis de nombreuses années. Celui qu'on éprouvait en apparaissant partiellement dévêtu et vulnérable à quelqu'un devant qui on voudrait toujours pouvoir garder la face et rester le plus imperméable possible. Ce coup-ci, Archie l'avait eu. Il avait trouvé exactement comment lui faire baisser sa garde et aiguiser ce désir que James faisait taire depuis qu'il n'autorisait plus personne à percer sa bulle et l'approcher d'un peu trop près. Archie avait été le premier à lui voler un baiser depuis que le noir de sa garde-robe n'était plus seulement synonyme d'intemporalité pour le styliste. Aujourd'hui, il avait été le premier à poser la main sur lui et à faire monter en lui la force d'un plaisir aussi imprévu que délectable. Il avait pris plus que n'importe qui d'autre, une fois encore, et James l'avait laissé faire. Parce qu'il voulait que ce soit lui, qu'il le voulait depuis le premier jour et qu'une part de lui n'avait plus peur de se l'avouer.
Une autre, elle, demeurait même frustrée. Il le voulait pleinement et entièrement, tout comme il voulait passer ses bras autour de son cou et l'attirer à lui pour le forcer à passer les prochaines heures à ses cotés. Il voulait qu'Archie le guérisse pour de bon, s'abandonner complètement à ses caresses et le laisser posséder tout ce qu'il voulait tant qu'il restait plus longtemps. Mais James laissait son esprit l'égarer vers des désirs qui ne lui apporteraient rien de bon, il ne le savait que trop bien parce qu'il savait tout ce qu'il y avait à savoir d'Archie. S'il lui cédait complètement, s'il lui avouait vouloir tout lui offrir, il abandonnerait pour de bon le dernier rempare derrière lequel il pouvait encore se cacher. La froideur qui la plupart du temps lui sauvait la mise quand les regards d'Archie suffisaient à le désarçonner. Et il n'y aurait rien de plus terrifiant au monde pour lui qui se sentait déjà nu rien qu'à cet instant où son souffle n'avait pas encore repris son rythme normal. Son regard scrutant à nouveau le sien, il se mordit la lèvre lorsqu'il fut pourtant pris d'une envie on-ne-peut-plus déraisonnable mais tout aussi irrépressible. S'ils étaient voués à se servir du vin comme d'une excuse, autant y aller jusqu'au bout. N'est-ce pas ? « Approche. » Cette fois, c'est dans un souffle qu'il s'adressa à lui, et une main empreinte d'une douceur inattendue qui se déposa contre la mâchoire d'Archie lorsque celui-ci s'approcha et que son visage se retrouva subitement tout proche du sien. Sans plus réfléchir, James se redressa juste assez pour capturer ses lèvres avec une avidité nouvelle, bouleversante et presque effrayante, tandis que son cœur ne battait plus la chamade sous le coup du plaisir mais bien des sentiments qu'Archie, lui seul, y répandait. L'échange dura plusieurs secondes, et il en profita sans la moindre culpabilité jusqu'à la dernière. « T'es encore moins romantique que moi, tu fais chier. » Un rire moqueur s'échappa d'entre ses lèvres et sa paume s'écrasa contre son torse tandis que ses yeux, eux, le contemplèrent un instant. Dans d'autres circonstances il n'aurait jamais pris le risque de l'embrasser à nouveau, mais ce soir ses barrières avaient déjà cédé devant l'habile capacité d'Archie à le surprendre, encore et toujours. Alors ce n'était qu'un moindre risque à prendre face à celui avec qui son intimité avait encore grimpé d'un nouveau. Et surtout, il en avait envie. Terriblement envie. James laissa finalement son dos retomber contre le dossier du canapé, un sourire songeur sur les lèvres. Ce pourrait-il qu'ils aient cessé pendant un instant de jouer au plus indifférent – et au plus con – pour enfin cesser de résister face à ce qu'ils éprouvaient ?
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| | | | (#)Dim 24 Oct 2021 - 22:37 | |
| Paupières fermées. Tympans martelés par les battements de son cœur ainsi que ceux de James. Souffle chaud et tremblant, parce qu’il réalise qu’il succombe pour la première fois de sa vie à ce qu’il pensait être des caprices d’adolescence mais qui se sont éternisés dans le temps pour devenir une véritable forteresse inébranlable dans sa poitrine. Il goûte la peau du jeune homme, légèrement salée, l’emprisonne entre ses lèvres pour mieux la sucer et la marquer de rouge. Parfois, il se surprend à souffler trop d’air d’un seul coup et une sorte de plainte s’échappe de sa gorge, traître de ce désir qui monte en flèche dans son corps. Il fait de James son jouet lorsque ses doigts se referment autour de son intimité et il prend plaisir à décider des sensations qui traverseront son corps à lui, nu, vulnérable aux caresses, réactif au moindre frôlement. Il a toujours les yeux fermés lorsque le torse de James se cambre vers l’arrière parce que ses poumons se gonflent et tentent de préserver cet air de plus en plus difficile à aller puiser. Le mouvement de vas-et-viens s’imprime dans sa main et il concentre le reste de ses efforts pour ne pas craquer jusqu’au bout ; pour ne pas rejoindre le garçon sur le canapé ; pour ne pas retirer sa propre ceinture ; pour ne pas cesser de trop réfléchir ; pour ne pas rompre totalement cette barrière qui le protège. Entre deux regrets, il se satisfait d’entendre le souffle saccadé de James et entre deux remords, il se surprend à apprécier l’entendre prendre autant de plaisir. Parce que c’est lui qui lui offre.
James lui supplie de continuer et un sourire mesquin étire ses lèvres : il fait varier la cadence à sa façon mais, surtout, au rythme des baisers qu’il pose dans son cou et contre sa nuque. Il grimace légèrement quand les ongles du styliste s’enfoncent dans son épaule mais la douleur se transforme bien rapidement en électrisants feux d’artifices qui chatouillent son échine à leur passage. Si son sexe restait docile entre ses doigts jusqu’à présent, il devient soudainement plus exigeant lorsque les soupirs de plaisir deviennent des plaintes vocales et lorsque la gorge de James se met à vibrer. Une énième vague de chaleur le traverse tandis que James profite de l’orgasme sans lui, mais il s’accroche à son cou jusqu’à la fin, son autre main perdue dans sa tignasse bouclée et contre son crâne pour y enfoncer les ongles. Il se surprend à soupirer lui aussi de béatitude quand il sent les muscles de James se détendre et il vient coincer son oreille entre ses dents une dernière fois, ses lèvres étirées en un sourire fier, audacieux, orgueilleux même, parce que c’est à lui que James doit sa jouissance.
Il a peut-être oublié de réfléchir pendant quelques secondes, finalement.
« Tu pourrais m'apporter quelque chose pour... » Il flotte un court instant dans une sorte de transe silencieuse mais il rouvre bien rapidement les yeux. Il croise le regard de James, son cou s’étant tordu vers l’arrière, et fronce les sourcils seulement une seconde avant de réaliser. Pour la première fois, il le regarde. Il repose, fatigué, au creux de ses reins, et la vision assèche la gorge d’Archie. Il se redresse pour s’empêcher de le regarder plus longtemps : il n’a pas le droit de le faire. Il reprend sa main et ses pas le mènent machinalement vers une boîte de mouchoirs posée sur la table basse. Il la tend au garçon, toujours sans se permettre de l’admirer. Il ne saurait dire ce qui l’effraie le plus : le manque de mots dans sa bouche ou son propre inconfort au niveau de ses hanches. Dans tous les cas, il se sent ridicule perché ainsi au milieu du salon alors il s’exécute lorsque James lui demande de s’approcher. Il ne se débat pas lorsque ses mains accrochent sa mâchoire et il se laisse aller au baiser parce qu’il en a envie. C’est son corps qui décide à sa place et ce dernier donnerait tout au monde pour lui aussi accueillir les caresses de James mais… sa conscience n’est pas endormie pour autant. Prenant appui sur le bras du canapé, il se laisse courber vers l’avant pour lui aussi voler les lèvres du garçon et il arrive de peine et misère à ne pas coller son torse contre le sien. Il l’aime. Enfin… C’est bien ça, l’amour ? Mais ce n’est pas le seul problème.
Il en a envie. Tellement. Beaucoup trop. Il veut perdre le contrôle lui aussi mais il n’a pas le droit de le faire, ça non plus. Il a déjà violé trop de règles aujourd’hui.
« T'es encore moins romantique que moi, tu fais chier. » Il baisse les yeux. Les tremblements dans son souffle le trahissent. Il n’aime pas ça se sentir si faible. « Tu sais bien que je gagnerai toujours. » Parce qu’il est Archie, le roi de l’école, mais aussi le roi de la cour des grands. Silencieusement, il pose sa main sur celle de James, occupée à transmettre sa chaleur à son torse, puis il la sépare doucement en coinçant ses doigts. Il se recule d’un pas. Il se permet un court instant d’échanger un regard serein avec le jeune homme et ses pupilles suivent la ligne de son sourire. Il sourit à son tour, et laisse un gloussement s’échapper de sa bouche. Il ne se permet plus d’étudier le grain de sa peau nue désormais. Il doit partir d’ici. « Je pense que je vais te laisser. Tu m’as déjà emprisonné un peu trop longtemps. » Il aimerait que ce soit un reproche mais le ton de sa voix n’est pas négatif. Il replace nerveusement le col de sa chemise, attrape son verre de vin délaissé pour l’avaler d’une traite et part en titubant vers la porte de sortie. L’alcool lui est définitivement trop monté à la tête. Il se punira quand il sera à nouveau à jeun.
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| | | | | | | | Dérouler le bandage [Jarchie#11] |
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