Charles lui a filé son après-midi et il se demande si ce dernier n’est pas en train de la lui mettre à l’envers. Il ne lui a rien dit de spécial si ce n’est qu’il méritait un peu de repos et déjà il ne pouvait pas l’offenser plus qu’en soulevant cette idée-là, alors même qu’Eddie est parfaitement conscient que le metteur en scène a raison. C’est juste qu’il se refuse toujours à l’admettre tout comme il rechigne encore à informer sa compagnie pour la mise en repos forcée qui lui pend sérieusement au nez. Ils ne voient vraiment rien tous, ça fait des mois qu’il traine cette blessure et qu’il se bourre d’antalgiques sous leur nez pour la supporter et pourtant Eddie donne de moins en moins bien le change, dernièrement on le voit même boiter bien plus que d’habitude. Mais ça n’inquiète personne à partir du moment où il prétend que tout va bien, car pourquoi en douter ? Il a presque hâte de voir qui sera vraiment surpris quand il l’annoncera car certains doivent quand même un peu s’en douter, et en y repensant Charles est suspect à le congédier alors que les projets ne manquent pas au théâtre. Il y a notamment celui qu’il lui a personnellement confié, ce spectacle qu’Eddie gère seul depuis que le metteur en scène s’est mis en tête de le « punir » pour toutes les libertés qu’il prend dans la compagnie. Un sacré challenge qu’il doute de plus en plus de pouvoir relever avec tout le retard accumulé et Charles a bien dû s’en rendre compte, de là à ce qu’il l’écarte du projet il n’y a peut-être qu’un pas. Ça le foutrait en l’air de perdre ce spectacle avec tout ce qu’il a investi dans celui-ci et Eddie est en train de virer parano avec cette histoire, il tourne en rond chez lui alors qu’il pourrait être au théâtre à cette heure-ci et c'est là qu'il se rend compte qu'il n'a vraiment pas de vie en dehors de la danse.

Alors qu’est-ce qu’il pourrait bien faire de son après-midi de libre ? Pendant un instant il songe à passer voir Halston à son agence mais il se ravise aussitôt, se rappelant qu’il n’a pas tellement le droit d’y débarquer à l’improviste. C’est surtout qu’il fait le mort depuis quelques jours, il ne se voit pas revenir une nouvelle fois comme une fleur alors qu’il ignore tous les messages qu’elle peut lui envoyer. Ça lui tord le bide de ne pas répondre quand il voit le nom de l’agente s’afficher sur l’écran de son téléphone, c’est une vraie torture qu’il s’inflige et Eddie n’est évidemment pas fier d’en arriver là. Il n’ose pas imaginer l’impression que ça doit donner à Halston le concernant après la nuit qu’ils ont passé, ce qu’elle peut bien penser de lui en ce moment. Qu’il s’est bien foutu d’elle sans doute, cette idée le hante tandis qu’il triture l’alliance à son doigt, une alliance qu’il ne peut se résoudre à retirer pour tout ce qu’elle symbolise. Même s’il ne le montre pas ça signifie toujours quelque chose pour lui, leur relation toute entière signifie quelque chose pour lui. C’est une journée qu’ils auraient pu passer ensemble dans l’optique de se voir plus comme ils l’avaient convenu mais le danseur est complètement perdu, et il n’a pas du tout envie de lui infliger une vision de lui qui pourrait casser toute la magie qui avait opéré entre eux jusqu’ici. Elle l’a connu fougueux, plein d’énergie et c’est censé être l’avantage que l’on trouve dans le fait de fréquenter un homme plus jeune. Il n’est donc pas du tout certain qu’elle aimera une version de lui affaiblie et claudiquante, Eddie est même persuadé qu’il ne l’intéressera plus quand elle saura tout alors il retarde sa révélation autant que possible, préférant opter pour la fuite comme le lâche qu’il est.

Il va devenir fou s’il reste enfermé dans cet appartement que seule la présence de ses chats parvient à animer, il devrait être en train de trouver refuge dans son travail comme il sait si bien le faire et au lieu de ça il est affalé sur son canapé à se demander comment il se sortira de tous les problèmes qu’il s’est lui-même causé. Eddie ne perçoit pas d’issue, pour aucun d’entre eux, et il y a des jours comme ça où il aimerait juste tout laisser en plan et se barrer. Sauf qu’il ne peut pas. Trop de choses et de gens le retiennent ici même si présentement il ne répond plus à personne, et aimerait juste qu’on l’oublie. Eddie n’est pas un grand consommateur d’alcool et sa tolérance est toujours aussi faible alors ce n’est pas très bon signe quand il se met subitement en tête d’aller boire un coup en ville, seul, ce qu’il ne fait jamais en temps normal. Il enfourche sa moto sans même savoir où ses pneus le mèneront et il s’arrête devant la première taverne qu’il trouve sur son chemin, qu'il choisit aussi bien pour sa proximité avec son appartement que pour son nom qui l’inspire bien. Il n’aura pas beaucoup de route à faire dans l’autre sens pour rentrer et c’est une bonne chose s’il se met à boire plus que de raison, en espérant tout de même qu’il ne se mettra pas trop mal sous prétexte qu’il a un tas de choses à noyer dans le fond d’une bière aujourd’hui. Eddie repère une promo sur les boissons qui prend effet dès qu’on revêt un costume de chevalier alors il ne réfléchit pas davantage et enfile une cape ainsi qu’un casque mis à disposition. Son allure ne doit pas être folle là tout de suite mais au moins il économisera un peu de sous, et en ce moment il est prêt à sauver le moindre centime vu la galère dans laquelle il se trouve aussi financièrement. Quelle plaie vraiment, vivement qu’il n’ait plus à se soucier de ça au moins. Eddie est un petit joueur puisqu’il se contente d’une pinte de bière pour commencer, ce qui est déjà pas mal pour l’habitué qu’il n’est pas. Il rejoint l’immense table commune et s’installe sans décrocher un regard ni un sourire pour personne, jusqu’à ce que son attention ne soit attirée vers un gars face à lui qui ne semble pas très adroit de ses mains. Le voir renverser une partie de sa bière sort le danseur de sa torpeur, alors que le type en question lui signifie que ça n’est pas une grande perte. Eh bien merci pour le spoil mon gars. « J’en conclus que cette bière laisse à désirer avant même de l’avoir goûtée. » Sauf qu’il l’a payée cette bière, pas grand-chose certes, mais autant s’en faire son propre avis. Eddie y trempe ses lèvres et la légère grimace qu’il affiche parle pour lui : effectivement, il en a connu des bien meilleures dans sa vie. Le gars face à lui n’est pas bien bavard et sans trop savoir pourquoi il ressent le besoin de lui parler, ou de se sentir un peu moins seul, allez savoir. « Je préfère pas imaginer de quoi on a l’air à être assis là en tête-à-tête avec nos chopes et fagotés de cette façon. » De deux guignols esseulés, au hasard ? Eddie est certainement le plus grotesque des deux puisqu’il a opté pour la panoplie complète du chevalier avec ce casque, mais ça doit juste vouloir dire qu’il est le plus fauché des deux et celui qui comptait le plus sur cette promo aujourd’hui. La peur du ridicule n’existe tout bonnement plus devant la perspective de boire pour moins cher. « Même sans cette promo n’importe quelle excuse est bonne pour boire, hein. C’est quoi la tienne là ? » il lance à l’inconnu face à lui qui semble déjà repérer les plats qu'il est possible de commander. Eddie doute de se laisser tenter par quelque chose à manger de son côté sauf si on lui dit que ça aussi lui reviendra moins cher dans cet accoutrement, ce dont il doute quand même beaucoup. Il peine en tout cas à croire qu’il fait la conversation à ce type qui n’en a peut-être rien à cirer, à croire qu’il prend déjà trop au sérieux l’idée de communion et de partage véhiculée par cet établissement et par cette grande table autour de laquelle ils se trouvent tous réunis.

Un compagnon de picole, pour le coup il ne pensait pas en trouver un si vite. Le gars face à lui le prévient que cette bière n’est pas terrible mais Eddie n’a pas enfilé ce déguisement ridicule afin de la payer moins cher pour finalement ne pas la boire, il est quand même plus sensé que ça. Mais il doit se rendre à l’évidence, à ce prix-là ça ne risquait pas d’être une bière d’exception. Disons qu’elle vaut son prix mais il lui en faut plus pour regretter d’avoir fait le déplacement, ça le sort au moins un peu de son appartement dans lequel il n’aurait rien fait d’autre que broyer du noir - à l’image de son humeur depuis quelques jours. Est-ce qu’ils sont tous dans le même état d’esprit ici, prêts à noyer leurs tourments dans cette bière infecte ? Pas sûr car certains se fendent bien la poire autour deux mais ce mec, là, ce n’est pas trop la joie de vivre qui l’étouffe non plus d’après ce qu’il voit. Son excuse pour être ici c’est que la taverne se trouvait sur le chemin de son travail, auquel il ne s’est du coup pas rendu. « Et tu fais quoi comme boulot pour avoir aussi peu envie d’y aller ? » il lui demande en étirant un sourire amusé car il a trouvé pire que lui en fin de compte. Eddie ne s’est pas rendu non plus au sien de boulot mais lui n’a pas eu le choix, c’est son boss qui ne voulait manifestement pas voir sa tronche aujourd’hui. Il repense aux mots de Charles tout en fixant le contenu de sa chope et il espère vraiment que le metteur en scène ne s'apprête pas à lui planter un couteau dans le dos au pire moment, pas alors qu'il est la seule personne à qui il fasse vraiment confiance dans cette compagnie.

Il n’est quand même pas très pratique pour boire ce costume, Eddie commence à se sentir con d’avoir opté pour le casque en pensant qu’il économiserait un max en enfilant la panoplie complète, mais ils ne doivent pas être trop regardants là-dessus étant donné qu’il croit avoir payé un prix fixe qui doit être le même que pour ceux qui se contentent de la cape comme ce gars face à lui. « Même pas. Je pensais, mais j’y gagne juste une double dose de ridicule en plus d’un truc bien lourd qui va sûrement me filer mal au crâne. » Si la bière ne le fait pas avant, mais elle n’a pas l’air bien forte alors il doute de prendre la cuite du siècle ce soir. Il pourrait l’enlever ce casque et c’est d’ailleurs ce qu’il fait, c'est plus encombrant qu'autre chose et il ne voit pas pourquoi il s’infligerait ça maintenant qu’il a payé sa consommation. Eddie ne s'est pas accoutré en chevalier pour l’amour du déguisement, s’il avait fallu le faire pour le fun sans pouvoir réaliser la moindre économie autant dire qu’il se serait abstenu. On voit quelles sont ses motivations, celles d’un mec qui n’a pas un rond mais qui voulait quand même boire un coup. Son interlocuteur est d’avis qu’on leur a servi une bière spéciale pour les mecs radins ou fauchés dans leur genre, et ce serait presque rassurant que ce soit le cas. « Je préfère penser ça aussi, car je vois pas comment cet établissement pourrait fidéliser des clients en servant cette daube à tout le monde. » Sans mentir cette bière est vraiment immonde, au point que l’appeler bière est presque un affront pour toutes celles qui sont dignes de ce nom. C’est le genre de chose que tu bois une fois avant de dire plus jamais. « Mais c’est une publicité mensongère leur truc. Ils pourraient préciser qu’à ce prix-là c’est de la pisse d’âne à quoi t’as droit, et pas une vraie bière. » Car tout de suite ça donne beaucoup moins envie, un bon gros attrape-nigauds leur soi-disant promo à ne pas rater et bien sûr ils sont tombés dans le panneau comme deux idiots. On a dû leur servir des fonds de fûts qui ont mal tourné et voilà, c’est donc ça qu’ils osent appeler une bière ici. « Les deux dollars les moins biens investis de ma vie là. » Eddie préfère ne pas penser à ce qu’il aurait pu s’acheter de beaucoup plus pertinent avec ces deux dollars mais comme ça, au hasard, de quoi manger ? Sachant qu’il doit compter ses sous en ce moment et que ce qui lui faisait un repas il n’y a pas si longtemps lui en fait à présent deux. Restrictions obligent, c’est la crise. « Je vais sûrement passer pour un immense crevard mais.. si tu commandes un truc, je pourrai piquer vite fait dans ton assiette ? » Il tente. C’est très osé de sa part mais il tente. Ce mec il ne le connait pas alors ça vaut le coup de voir s’il a l’esprit de partage, au pire s’il s’offusque Eddie n’aura qu’à aller s’assoir un peu plus loin avec sa bière infâme. Il ne se voit pas lui confesser directement que ces deux dollars c’est aussi tout ce qu’il avait sur lui et qu’il ne pensait pas avoir subitement faim, mais peut-être qu’il va le deviner rien qu’à sa tête. L’endroit revendique un esprit convivial accentué par cette grande table commune alors Eddie en profite, au risque de se faire proprement envoyer paître pour excès de culot.

Le type est barman et cette précision lui arrache un sourire, ce qui n’est pas rien aujourd’hui. Un bar l’a donc détourné d’un autre, plutôt cocasse comme situation et manifestement ce n’est pas le boulot en lui-même qui le blase, il n’aurait pas trouvé refuge dans cette taverne ce soir s’il saturait de cette ambiance. Eddie n’est pas certain de parvenir à extirper beaucoup d’autres informations à ce gars et il se surprend d’ailleurs à être le plus bavard des deux, lui qui n’est pourtant pas d’humeur à papoter avec qui que ce soit à l’origine. Ce n’est pas dans un élan de sociabilité qu’il a quitté la froideur de son appartement pour lui préférer cet endroit, s’il avait besoin de parler à quelqu’un il saurait à qui s’adresser et ce n’est pas pour rien que les messages s’accumulent sur son téléphone sans qu’il ne daigne y répondre. Sa boule au ventre ne le quitte pas et ce n’est pas non plus l’enthousiasme qui l’étouffe depuis qu’il est assis là, mais son voisin n’a pas l’air dans un très bon mood lui non plus et dans un sens ça le rassure. Pourquoi il ne sait pas vraiment, il ne doit pas avoir très envie de supporter le bonheur dégoulinant des autres quand sa négativité est à son apogée depuis plusieurs jours. Ce n’est pas un cadeau qu’il leur ferait vu les mauvaises ondes qui doivent l’entourer, et peut-être que ce type avec sa cape regrettera lui aussi bientôt d’avoir lancé cette discussion autour des bières infectes servies ici.

Eddie considère avoir très mal investi le peu de sous qu’il lui reste ce soir mais ça c’est avant que ce gars en face lui rappelle qu’il a pris trois bières, le battant ainsi à plate couture en tant que pigeon et l'amenant à relativiser un peu sur son propre cas. Cette promo vendait du rêve sur le papier mais dans la réalité ces bières sont hors de prix compte tenu de leur qualité, et ça lui fait franchement mal aux fesses à Eddie d’avoir perdu deux précieux dollars là-dessus. Certains n’y verraient pas la différence mais lui si, c’est bien la preuve qu’il aurait certainement mieux fait de rester chez lui car le contenu de cette chope est loin de valoir le déplacement mais encore une fois il reste celui qui s'en tire le mieux dans l'histoire. « Ah oui dur, courage mec. » il formule dans une petite moue compatissante. Le type ne peut compter que sur lui-même pour boire tout ça, Eddie n’étant pas sûr de pouvoir terminer la sienne il est grandement tenté de le laisser se débrouiller avec ses trois chopes même si l’une d’entre elles a déjà fini à moitié renversée sur cette table. Plus il approche du fond et plus Eddie se demande ce qu’il est en train d’absorber. Il ne sait pas trop à quoi il s’attendait en venant ici mais avant aujourd’hui il n’aurait pas pu croire qu’une bière puisse le laisser dans un tel état de frustration, surtout qu’il n’a rien à côté pour éponger ça. C’est qu’il mangerait bien quelque chose là, seulement il n’a plus un sou en poche et sa tentative culottée auprès du blond fait un flop. Celui-ci ne se risquera pas à la nourriture servie dans cet endroit et il peut le comprendre, c’est vrai qu’il y a de quoi s’attendre au pire si c’est à l’image de leurs """bières""". « T’as pas tort. Si les boissons qui sont censées être leur spécialité laissent à désirer c’est à se demander ce que valent leurs plats. » Eddie s’incline, lui non plus n’a d’un coup plus trop envie de tester ça car ce n’est pas dit que son estomac plutôt fragile appréciera beaucoup le mélange. « Qui prend sérieusement une bière au McDo ? » il relève dans un sourire et visiblement ce type le fait lui, c’est bien la première fois qu’il entend ça. Le McDonald’s serait en tout cas le prochain arrêt de son voisin et il semble lui proposer un marché, qu’Eddie risque d’avoir du mal à refuser vu sa situation. « J’évite la malbouffe autant que je peux je t’avoue, mais là je peux pas franchement faire le difficile. » Déjà parce qu’il n’a pas de quoi se payer ça ou autre chose, et aussi parce qu’il pourrait avaler n’importe quoi avec une faim pareille. « Je me sacrifie allez. » il annonce en récupérant la chope que le blond a commencé à faire glisser vers lui, comprenant qu’il va devoir l’aider à finir tout ça s’il veut avoir une chance de se mettre quelque chose sous la dent ce soir. Ce n’est pas avec ce qu’il doit rester dans ses placards qu’Eddie ira bien loin, il lui faut se rendre à l’évidence.

Lorsque sa précédente question lui est finalement retournée Eddie a comme premier réflexe de soupirer. Son boulot ? C’est drôle parce que c’est presque devenu une question piège alors qu’il aurait longtemps pu lui répondre avec pas mal de fierté. « Je suis danseur professionnel, enfin je suis.. j’étais.. c'est compliqué. » Compliqué depuis qu'il néglige totalement sa santé mais ça il ne le précisera pas, ça n'intéresserait probablement pas son interlocuteur et ce dernier n'a lui-même pas épilogué sur son métier. Il sera fixé d’ici quelques jours sur le bon temps à employer et ne pas savoir est pour le moment une torture. La danse ne devrait en principe pas le quitter pour de bon mais Eddie appréhende une pause forcée qui pourrait réellement l’achever comme elle arriverait au plus mauvais moment pour lui. « C'est pour ça qu’en temps normal j’essaye de pas trop mal manger tu vois, les excès c’est pas trop conseillé même si ça s’élimine vite à mon niveau de pratique. Et puis je suis chorégraphe aussi, ça c'est encore assez nouveau. » Sinon il donne des cours mais ça c'est comme danseur, il n'est pas certain de pouvoir rester professeur encore longtemps car que deviendront ses élèves s'il doit être opéré et affronter ensuite une convalescence de plusieurs mois ? C'est mauvais pour ses affaires tout ça, il n'est vraiment pas serein et ça doit pas mal se sentir. « Mon nom c’est Eddie au fait. » il reprend histoire que le type sache à qui il s’adresse, si jamais il se posait la question. Est-ce qu’il obtiendra l’information équivalente en retour ça reste à voir, en attendant il tente de terminer sa chope avant d’attaquer celle que son voisin lui a filé non sans un certain désespoir. « Barman c’était une vocation ou..? » Il ne finit pas sa phrase car il se connait, il pourrait être maladroit dans sa formulation et faire passer ce job pour un sous-métier alors que ce n’est pas du tout comme ça qu’il le voit. Parfois il vaut mieux se taire, c’est un truc qu’il n’a définitivement pas assez appliqué dans sa vie.

Eddie est sûrement un peu désespéré pour envisager au départ de tester la nourriture servie ici, son voisin de siège le ramenant bien vite à la raison en lui rappelant qu’ils ne sont déjà pas foutus de faire des bières convenables. Il mentirait quand même s’il disait que les assiettes autour de lui ne lui font pas un peu envie mais ce doit être trompeur, après tout ces bières ont l’allure qu’on serait tenté d’en attendre mais c’est au goût qu’elles s'avèrent hautement décevantes. Ce type doit être plus lucide que lui, ils ne sont pas en droit d'espérer grand-chose de ces plats alors Eddie ne jettera pas un œil à leur carte pour ne pas se laisser bêtement influencer. Tout bien réfléchi il ne dirait pas non à un McDo, c’est le genre d’écart qu’il ne commet que rarement en tant que danseur se devant de garder une forme physique optimale mais il faut admettre que c’est plutôt abordable, et qu’un jour comme celui-ci il n’a juste pas le moins du monde envie d’être raisonnable. Alors c’est décidé il s’en fout aujourd’hui Eddie, le mec face à lui est déjà bien sympa de l’inclure dans son petit plan donc il s'en contentera largement. Et il ne fera croire à personne qu’il mange équilibré tous les jours de sa vie, ses chats pourraient par exemple témoigner du fait qu’il cuisine très peu - et très mal.

Est-ce qu’il peut se permettre de décliner l’offre de ce type ? Pas franchement. Il se dit même que le sacrifice est moindre s’il a la garantie de pouvoir se mettre un truc sous la dent à l’arrivée, car il faut bien se motiver et se donner du courage. Mais pour ça il va devoir finir cette bière, ce n’était pas prévu qu’il se retrouve avec une double dose mais son voisin a eu les yeux plus gros que le ventre et il n’a qu’à le voir comme un travail collaboratif. L’entraide, la solidarité, tout ça.. Il faut avouer qu’il n’est pas trop d’humeur à se serrer les coudes avec qui que ce soit mais ils sont dans la même galère tous les deux, prisonniers de ces bières infectes qui descendent bien trop lentement dans leurs chopes. Au passage Eddie évoque sobrement ce qu’il fait de sa vie, sans entrer dans les détails de sa situation compliquée avec son opération à venir qui pourrait lui coûter cher d’un point de vue professionnel mais le blond doit sentir l’embrouille rien qu’à la tronche qu’il tire. Quand il y pense il n’a encore jamais été reconnu pour son apparition dans les spots publicitaires et campagnes d’affichage Häagen-Dazs et ça l’arrange assez, il l’a fait pour l’argent et pas du tout pour la reconnaissance alors ça ne lui viendrait pas trop à l’esprit d’en parler de lui-même. Les présentations sont en tout cas faites, le type est enfin identifié et répond donc au nom d’Asher. Quant à savoir si barman était un job de prédilection pour lui il comprend vite que ça n’est pas le cas, son voisin préférant évoquer une solution de facilité. « Mon cousin est barman aussi, enfin.. aux dernières nouvelles. » Il ne sait pas pourquoi il lui confie ça, il ne faudrait même pas lui demander dans quel bar exactement car Eddie n’en sait fichtrement rien. Nicky change de job comme lui change de couleur de cheveux et pour ça comme pour le reste il est très difficile à suivre. Mais peut-être qu’ils bossent ensemble ou se sont déjà croisés ? Quoique non, ce serait fou vu le nombre de bars que compte cette ville. Quelque chose lui fait en tout cas dire qu’Asher fait ce boulot à côté d’une passion, c’est d’ailleurs peut-bien ce qui l’aurait aussi attendu s’il n’était pas parvenu à vivre de la danse. Et encore tout est relatif car s’il se retrouve en galère financière aujourd'hui c’est bien parce que le métier d’artiste reste précaire, ses parents avaient au moins raison là-dessus même s’il ne l’avouera jamais devant eux. Asher le fait sourire en lui disant qu’il préfèrerait que l’argent lui tombe directement dans les poches au lieu de devoir travailler pour ça. « Je crois que c’est un peu notre rêve à tous, mais ça aide quand même vachement de faire un boulot qui te plait. » Là il parle pour lui car Eddie est loin de se rendre au théâtre à reculons tous les matins, il angoisse même beaucoup à l’idée d’être prochainement mis au repos forcé car faire de la danse un métier était un rêve de gosse et il voit d'ici son quotidien s'affadir quand il ne pourra plus l'égayer avec ce qu'il préfère faire au monde - qui est aussi la seule chose pour laquelle il se considère doué.

Mais il avait raison pour Asher, il semblerait que lui aussi ait quelque chose qui le fasse vibrer puisqu’il se dit dans le domaine de la musique, ce serait d’ailleurs tout aussi compliqué pour lui. En tant qu’artistes ils peuvent en tout cas se comprendre, même s’ils ne gravitent pas du tout dans le même monde tous les deux et que musicalement parlant Eddie considère être une brêle. « Musicien, chanteur, producteur ? » il l’interroge et peut-être même qu’il est les trois, des fonctions dans ce domaine il doit d'ailleurs y en avoir des tas d’autres auxquelles il ne pense pas. Eddie tente de visualiser ce qu’il fait exactement car le type est plutôt avare en informations, il n’obtient que le minimum de sa part. Il replonge ensuite ses lèvres dans la chope récupérée de son voisin puisque la sienne est officiellement terminée, et à ce moment-là Eddie boit vraiment à contre cœur. Il n’a plus soif du tout mais par contre qu’est-ce qu’il a faim, et c’est là qu’Asher le surprend totalement. Le type renverse la fin de sa bière sur la table sans prévenir, comme s’il venait de décider que sa souffrance avait suffisamment duré. Littéralement out of nowhere. « Bah ? » Eddie reste médusé face à la scène et il n’est pas le seul, certaines personnes autour d’eux ayant les yeux rivés vers leur coin de la table. « Je te pensais maladroit au début mais là plus trop. » il commente dans un rictus alors que la table garde encore un peu plus le souvenir de leur passage. D’autres gars auraient peut-être jugé ce geste mais pas lui, déjà pas en temps normal et encore moins aujourd’hui. Eddie prend volontiers la moindre chose susceptible de lui décrocher un sourire, et ce type là a le mérite d’être plutôt divertissant quand il veut. « Pas trop mal au cœur de voir tes deux dollars se répandre sur cette table ? » On ne peut même pas tellement parler de gâchis, et elle n’est sans doute pas plus mal sur celle-ci plutôt que dans leur bide cette bière bien qu'Eddie rechigne à faire la même chose de son côté car il ne voit pas encore tout à fait le fond de sa chope. Elle est encore pleine à moitié alors s’il décidait d’imiter son voisin c’est un tsunami qu’il créerait à leur table. « T’es venu comment au fait ? Je suis à moto moi, et j’ai deux casques si jamais. » Qu’il en profite tant qu’il peut encore la conduire sa bécane, son genou le lui permettant toujours. Le McDo n’est pas très loin mais pas non plus au bout de la rue, alors tout dépend si Asher est véhiculé ou non de son côté mais il n’exclut pas de l’embarquer avec lui en bon compagnon de galère qu’il peut être parfois.