Le bureau fourmille, aujourd'hui. Saül ne cesse de se frotter les paupières. La nuit passée sur le canapé de son bureau a été rude - affreuse - et son dos s'en souviendra pour l'éternité. Assurément, le soir qui vient sera plus doux. Après de trop nombreuses nuitées passées sur un canapé dur comme du bois, Saül va pouvoir s'offrir le luxe de dormir dans un vrai lit aux côtés de son amante, dans un hôtel qu'ils ne connaissent maintenant que trop bien. C'est drôle, Elise n'a pas pensé à aller chercher son infidèle de mari là-bas. Pourtant, c'est là-bas qu'il est le plus souvent, après les parties de poker, entre les bras d'une française. Il les déteste tous et particulièrement elle, la démone qui sait lui faire oublier que dans la tour de verre qu'il occupe présentement, c'est la catastrophe.
Un grand investisseur menace de se tirer mais personne ne semble connaître le pourquoi du comment. En quelques semaines, tous se font la malle pour aller rejoindre d'autres boîtes. Michael Hill n'a pourtant rien à envier à ses concurrents et depuis l'arrivée de Saül, l'entreprise n'avait pas connu pareille crise. Le téléphone ne cesse de sonner et les chiffres hurlent à l'agonie dans tous les sens, mais l'italien est parfaitement concentré sur des accords qu'il signe machinalement. Personne ne sait lui dire pourquoi, alors il s'occupe d'essayer de sauver ce qui peut l'être. Des têtes tomberont, bien sûr. Les raisons finissent toujours par se trouver mais aujourd'hui, les solutions traînent de la patte. Il serait pourtant temps que quelqu'un apporte à Saül de quoi sauver le navire et ses passagers.
On frappe deux fois. La première fois, Saül n'a pas répondu. La seconde, il ne lève les yeux que pour aboyer un "entrez" sec et excédé. C'est un gamin affecté au service de Marcus. Saül ne s'occupe pas de ces gens là parce que son ami les tient avec assez de poigne pour qu'ils filent tous droit. Stylo à la main, regard glacial, Saül dévisage celui qui vient de faire irruption dans son bureau des pieds à la tête. « Vous apportez le café ? » qu'il lance en replongeant le nez sur ses feuilles, déjà ennuyé. « Si ce n'est pas le cas, contentez-vous de fermer la porte en partant. » Plus que des idiots, Saül a horreur des courants d'air.
Cela doit faire quelques semaines déjà que je l’ai à l’œil, il m’a semblé étrange dès mon arrivée. Son comportement n’était pas en corrélation avec celui des autres membres de l’équipe, quelque peu déviant, un brin anxieux. Non pas que le stress ne soit pas coutume au sein de la Michael Hills International ça fait même partie du package qu’on nous offre à l’entrée : un petit pochon d’anxiété, quelques friandises ayant un arrière-goût de concurrence mal placée et une barre protéinée pour pallier aux nuits passées sans y trouver les bras de Morphée. Ce n’est pas marqué sur le contrat, pourtant nombreuses sont les choses sur lesquelles il faut faire une croix lorsqu’on s’engage à bosser pour les quatre empereurs à commencer par notre dignité. Au début j’ai cru que mon cerveau me jouait des tours, que j’avais seulement envie de voir le pire dans chacun de mes potentiels adversaires. Leckie prenant toujours un malin plaisir à alimenter la compétition entre ses différents salariés, il n’aurait donc pas été difficile que cela me monte rapidement à la tête. J’ai d’ailleurs fini par mettre cette supposition de côté pendant un moment, octroyant la présomption d’innocence à Spencer jusqu’à ce qu’il m’offre une première preuve et que je me décide à enquêter.
Aujourd’hui c’est un dossier complet que je tiens fermement dans les mains, prêt à exposer ses fautes devant le grand patron. Je n’ai pas dormi de la nuit, relisant les preuves une à une pour être sûr de ne pas m’être trompé. Le jeu dans lequel je me suis lancé est dangereux, c’est le dernier niveau, celui où c’est quitte ou double soit j’arrive à convaincre Williams de mes doutes quant à la fidélité d’un de ses employés, soit je me fais virer pour avoir balancer des absurdités sur le dos d’un coéquipier. Je prends une profonde inspiration lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le dernier étage de la tour de verre. Il est encore temps de faire machine arrière, de balancer le dossier dans le broyeur à papier et de ne plus en reparler. Mon honnêteté aura peut-être raison de moi, mais mes jambes me poussent à aller jusqu’au bout des choses alors qu’elles s’empressent de me faire avancer en direction de la secrétaire. « Bonjour, je viens voir Mr Williams.» Elle ne prend pas la peine de relever la tête ni même de cacher l’air blasé sur son joli visage. « Vous avez rendez-vous ? » Je lève les yeux au ciel, exaspéré par cette phrase qu’elle semble recycler à chaque fois qu’une nouvelle personne se présente à elle. « Non, mais c’est urgent. » - « Mr Williams ne reçoit que sur rendez-vous. » qu’elle répond machinalement, ils auraient mis un robot à la place de cette femme que ça m’aurait fait le même effet. « Il a dû vous laisser un mot sur un bout de papier. » Je pointe du doigt la pile de papier qui se trouve derrière elle avant de filer en douce dès qu’elle a le dos tourné. « REVENEZ-ICI » que je l’entends crier comme un putois, voilà une phrase qui, jusqu'ici, ne faisait pas partie du répertoire qu’elle prend plaisir à réciter en boucle. Je tape une fois, puis deux, le dossier dans la main en espérant que Saül Williams daigne me répondre avant que sa secrétaire ne puisse me rattraper. « Entrez » Je pousse la porte et la referme tout de suite derrière moi, la bloquant légèrement avec le derrière de mon talon. « Vous apportez le café ? » Il me dévisage ce qui me fait baisser les yeux, s’il est déjà d’humeur maussade, je ne donne pas cher de ma peau lorsque la secrétaire fera irruption dans son bureau pour lui raconter ce qu’il vient de se passer. « Si ce n'est pas le cas, contentez-vous de fermer la porte en partant. » Je relève le dossier et m’apprête à lui répondre quand je sens la porte cogner contre le bout de mon talon. La femme déboule dans la pièce à deux doigts de se fouler la cheville lorsque je retire mon pied. « Je …suis...désolé… Mr Williams » qu’elle dit complètement essoufflée, je cache mon sourire derrière ma pochette en plastique tandis que j’observe la scène se jouer devant mes yeux. « Je lui ai dit que vous n’étiez pas disponible mais il s’est joué de moi. » Elle me dévisage, passant ses mains sur ses cheveux pour remettre son chignon en place. « J’ai bien plus qu’un café à vous offrir.» Je lui montre le dossier que je tiens dans les mains. « Je vous assure que je n’aurais jamais contourné les dires de mademoiselle si ce n’était pas de la plus haute importance.» Mon ton est implacable, je ne sais pas d’où me vient cet élan de confiance en moi, probablement d’une bonne dose d’adrénaline car si je parle de manière assurée, je peux tout de même sentir mon cœur tambouriner dans ma poitrine. « C’est confidentiel, monsieur. » que j’ajoute alors que mon regard se pose sur sa secrétaire qui fait toujours le pied de grue au milieu de son bureau.
Saül a déjà entendu parler de ce garçon. On le dit fonceur, absolument dévoué. Saül n'a fait que le croiser, mais Marcus n'en dit après tout que du bien. Aujourd'hui, il fait irruption dans un bureau où il n'a certainement pas été invité. C'est la secrétaire qui gère l'emploi du temps de l'homme d'affaires, mais il a la main mise sur cet agenda qu'il connaît par cœur, plusieurs jours à l'avance. Il a en horreur ces chefs d'entreprise paresseux qui confient tout aux autres. Non, ce qu'aime Saül, c'est le contrôle que lui octroie son poste. Pourquoi déléguer, alors ? C'est la secrétaire qui, justement, bondit dans le bureau, un air visiblement désolé affiché sur le visage. Elle a beaucoup de sang-froid et c'est pour cela que Saül l'a embauchée. Cependant, en cet instant, elle semble l'avoir complètement perdu au profit d'autre chose... « Je …suis...désolé… Mr Williams » De la colère ? De la peur, peut-être ? « Je lui ai dit que vous n’étiez pas disponible mais il s’est joué de moi. » Le regard de l'italien se posent sur la jeune femme puis sur l'artiste qui met décidément du bazar dans les rangs - et dans le rigoureux planning de la secrétaire. « Dans ce cas, fermez la port- » « J’ai bien plus qu’un café à vous offrir. » La main figée comme s'il s'apprêtait à chasser une mouche de son champ de vision, Saül plante son regard dans celui du jeune homme. La secrétaire se fige de stupeur, elle qui est si familière des humeurs de son patron. On ne coupe pas la parole à Saül Williams.
Le dossier tendu n'émeut pas beaucoup l'homme d'affaires. Des employés zélés, il y en a beaucoup. Si c'est encore un garçonnet souhaitant que l'on augmente son salaire, c'est Marcus qui se fera souffler dans les bronches. « Je vous assure que je n’aurais jamais contourné les dires de mademoiselle si ce n’était pas de la plus haute importance. » Le stylo de Saül clique une fois sur le bois de son bureau de ministre. « Vous prendrez rendez-vous, comme tout le monde. » « C’est confidentiel, monsieur. » Une belle manière de chasser la pauvre secrétaire dont les yeux envoient des éclairs. « Fermez la porte derrière vous, Margaret. Repoussez mon prochain rendez-vous d'un quart d'heure. » Ladite Margaret opine du chef et c'est à contrecœur qu'elle se retire, sans oublier de lancer un ultime regard à l'intrus.
Lorsque la porte est fermée, Saül lâche son stylo. « Restez debout. » Cela obligera l'impertinent à ne pas prendre son temps. Rien ne valent les rencontres qui ne durent pas, surtout si elles sont désobligeantes. « Il y a des gens qui perdent leur travail pendant que nous discutons et je leur offrirai votre place si vous me prenez plus de quinze minutes de mon temps. Et il est précieux, en ce moment. » Le regard de Saül se pose sur le dossier que le jeune homme tient entre les mains comme s'il tenait les codes des missiles nucléaires. Ou son diplôme de fin d'étude. Ou le secret qui se cache au centre de l'Univers. Dans une grande respiration, Saül se carre dans le fond de son siège. « Quinze minutes. » qu'il rappelle, laissant la parole à son interlocuteur. C'est drôle, la lueur qu'il porte dans les yeux rappelle un peu à Saül ce qu'il a été, à ses débuts - mais cela n'a aucune importance. Ce que l'intru tient entre les mains, en revanche...
Je regarde la scène qui se déroule devant moi sans piper mot jusqu’à ce que je me décide à intervenir, ma voix se mélangeant à celle de Williams. « Dans ce cas, fermez la port- » Un silence s’ensuit et si, jusqu’ici, je voulais qu’il me remarque, son regard glacial vient de m’ôter toute envie. La femme qui se tient au milieu de la pièce se fige ce qui m’a tout l’air d’être mauvais signe. J’analyse les traits de son visage à défaut d’avoir le courage de poser mes yeux sur celui du patron. Il me faut quelques secondes pour chasser toute peur de mon esprit, foutu pour foutu, j’ouvre à nouveau la bouche pour défendre la raison de ma venue. Je connais le dossier sur le bout de mes dix doigts et si j'ai peu d'espoir quant à mon avenir au sein de son empire, j’ai bien conscience de l’importance des révélations que je m’apprête à lui faire. « Vous prendrez rendez-vous, comme tout le monde. » que peste la secrétaire, je me mords l’intérieur de la joue pour ravaler un juron. Elle n’a visiblement pas compris la notion de l’urgence dont je lui ai fait part quelques minutes plus tôt même si, pour sa défense, d’autres avant moi ont dû prétexter la même excuse faisant perdre un temps considérable au patron pour quelques enfantillages. C’est pourquoi, je décide de me montrer bien plus stratège qu’elle en la poussant vers la sortie de façon subtile bien qu’assez clair pour qu’elle puisse en comprendre le sous-entendu. « Fermez la porte derrière vous, Margaret. Repoussez mon prochain rendez-vous d'un quart d'heure. » Elle me dévisage sans aller à l’encontre de sa demande tandis que j’agite discrètement les doigts en guise d’au revoir, la suivant du regard jusqu’à ce qu’elle ne disparaisse derrière la porte. J’ai la nette impression que Margaret ne voudra plus entendre parler de moi, ce qui en soi m’importe peu, elle ne se serait jamais donnée en spectacle si elle avait pris le temps d’entendre ce que j’avais à lui dire. « Restez debout. » Ses mots me stoppent dans ma lancée, je me retrouve donc au milieu de la pièce sur le spot même de Margaret, ce qui est loin d’être rassurant vu la vitesse à laquelle il s'en est débarrassé « Il y a des gens qui perdent leur travail pendant que nous discutons et je leur offrirai votre place si vous me prenez plus de quinze minutes de mon temps. Et il est précieux, en ce moment. » J’acquiesce de la tête, quinze minutes c’est déjà mieux que rien surtout pour quelqu’un qui n’était pas prévu dans son planning. « Quinze minutes. » Je sors mon portable pour enclencher le chronomètre, les secondes s'écoulent à une vitesse vertigineuse et plus je les regarde défiler, plus je me dis que c’est loin d’être gagné. « Spencer Stuart.» Ma mère était une fervente lectrice avant toutes les merdes qui l’ont poussé à se réfugier dans le sommeil plus que dans les livres. Elle avait pour rituel de commencer ses bouquins en lisant la dernière page, une habitude qui me rendait dingue. J'avais du mal à comprendre comment on pouvait prendre plaisir à lire des thrillers en ayant déjà connaissance de l’identité du criminel. Aujourd’hui, je lui fais honneur en divulguant le nom du fauteur de troubles avant même d’avoir commencé mon discours. « Il vend des informations à la concurrence. » Depuis quelques temps déjà, peut-être même avant que je ne sois recruté. J’observe les minutes se soustraire au temps restant, il me faudra plus de dix minutes pour tout lui raconter. « Il se pourrait même que ça dure depuis un bon moment. J’ai surpris un appel, un soir, alors que je revenais sur mes pas pour chercher la clé USB que j’avais oublié. » Je switch d’application sur mon téléphone portable pour ouvrir celle des enregistrements audio. « Il me faut plus de temps, je n’ai pas encore eu accès à la liste des clients [...] Non, personne n’est au courant.[...] J’ai entendu dire que Williams allait bientôt partir en voyage, je ferai ça à ce moment-là.[...] J’aimerais bien vous y voir avec un Leckie qui est toujours sur votre dos. [...] Le prix n’est pas négociable, mais je peux toujours offrir mes informations à une boite moins exigeante s’il vous semble trop élevé. [...] Très bien, c’est noté. [...] Ne m’appelez plus pendant les heures que je vous ai donné. » Sa voix est amplifiée par la réverbération des toilettes dans lesquels il se trouvait lorsque j’ai tout enregistré. Je range mon téléphone dans la poche arrière de mon pantalon à pince et ouvre la pochette en plastique. [color:3602=#navy]« J’ai pu imprimer quelques-uns de ses échanges que j’ai trouvé sur sa boite mail personnel ainsi que des documents que j’ai récupéré via son google drive. » Spencer se pense peut-être très intelligent, mais faut croire qu’il y a plus intelligent que lui surtout dans le domaine de l'informatique. Je ne compte plus le nombre d’erreurs qu’il a commise, le tas de papier que je dépose sur le bureau de Saül en est la preuve. Une autre chose que ma mère avait l’habitude de faire, c’était de me rappeler que dans la vie, tout finit par se savoir. L’alarme de mon téléphone se met à sonner, annonçant la fin du temps imparti. Je relève les yeux vers mon patron en espérant m’être montré assez convaincant pour garder mon poste.
Quinze minutes. C'est tout ce que Saül est prêt à céder à un gamin dont il connaît vaguement les exploits. Le dos calé au fond de son siège, Saül tend l'oreille. Il est prêt à écouter le jeune homme défendre ce pour quoi il est venu. Une augmentation ? Non, il disait que c'était urgent et l'homme d'affaires espère qu'il n'est pas assez stupide pour se lancer dans une demande qui ne lui permettra que d'accéder plus rapidement à la porte. Sans attendre, le jeune homme se lance dans une explication digne d'un exposé au sujet de la paléonthologie comme on en écoute chez les gamins au primaire. « Spencer Stuart. » L'homme d'affaires hausse un sourcil. Stuart est un garçon intelligent à qui Saül a rapidement confié des tâches à la hauteur de ses compétences. Il fait partie de ceux qui peuvent se présenter au bureau de leur patron sans avoir à prendrez rendez-vous - mais il fait aussi partie de ceux qui lui lèchent un peu trop les bottes. Ce petit jeu là n'a jamais fonctionné avec l'italien, qui a déjà remis Stuart à sa place plus d'une fois. Est-il mort ? Voudrait-il commanditer l'assassinat de son patron ? « Il vend des informations à la concurrence. » La respiration de Saül s'arrête un instant et repart, alors qu'il se passe une main sur la mâchoire. Ses yeux sont accrochés à ceux du jeune homme qui se tient devant lui. « Il se pourrait même que ça dure depuis un bon moment. J’ai surpris un appel, un soir, alors que je revenais sur mes pas pour chercher la clé USB que j’avais oublié. » Ici, les fausses informations sont nombreuses et ceux qui veulent grimper en passant par des chemins de traverses sont plus nombreux encore. Balancer un collègue pour espérer s'attirer les faveurs de son patron, c'est une technique que Saül pratiquait à des fins peu catholiques. Des ennemis, il s'en est fait tout un tas juste en jouant les balances si cela pouvait lui rapporter plus que cela ne pouvait lui coûter en réputation. Mais en temps que patron, Saül sait combien ces gens sont précieux - lorsqu'ils disent la vérité.
Et la vérité, Saül ne peut que la contempler - l'écouter - alors que le jeune homme dévoile une audio de Stuart. Les yeux de Saül brillent d'un éclat mauvais alors qu'il ne bouge pas, réfléchissant déjà à l'horaire qui conviendrait le mieux pour coincer Spencer. Les employés du genre de Spencer sont comme des vers dans une pomme. Si on ne s'en débarrasse pas vite, c'est toute la pomme qu'il faudra jeter à la poubelle. « J’ai pu imprimer quelques-uns de ses échanges que j’ai trouvé sur sa boite mail personnel ainsi que des documents que j’ai récupéré via son google drive. » D'un bref coup d'œil, Saül ne peut que constater la véracité des propos du jeune homme. Sans lever les yeux vers son interlocuteur - qui vient de terminer ses accusations en quinze minutes - l'italien reprend un ton plus amer. « Il est interdit de fouiller dans les fichiers de ses collègues. Cette effraction à elle-seule est un motif de renvoi. » Les yeux de Saül reviennent alors se planter dans ceux de son interlocuteur. « Et si tu oses me mentir pour un poste supérieur au tien, je m'assurerai que plus personne ne t'embauchera, pas même pour faire du ménage. » Le tutoiement comme arme, surtout employé avec un ton si corrosif. Pourtant, Saül ne peut pas s'empêcher de penser que ce gamin dit vrai.
Alors qu'il était penché sur les papiers donné par son interlocuteur, Saül se carre à nouveau dans le fond de son siège, non sans soupirer un grand coup. « Qu'est-ce que tu y gagnes ? Tu ne seras pas mieux payé. Je ne te donnerai rien et tu retourneras à ton poste aussitôt Spencer renvoyé. Si et seulement si je le revoie. » qu'il lâche, un index menaçant levé vers le jeune homme. Un coup de téléphone détourne l'attention de Saül, qui demande à sa secrétaire de faire patienter son prochain rendez-vous quinze minutes de plus. « Ton nom ? » Sans détacher son regard de celui qui se tient devant lui, Saül colle un post-it sur la pochette confiée par son interlocuteur. S'il dit vrai, Saül aura gagné des oreilles perspicaces... et peut-être même un peu plus que ça.
Enfoui au fond de son siège, Saül hausse un sourcil lorsque je prononce le nom du coupable. J’ai beau analyser les traits de son visage, je ne sais pas si cette mimique est une preuve de son étonnement ou bien si c’est encore une de celles qui prouve son incrédulité à mon égard. Stuart n’est pas n’importe qui aux yeux du patron, petit protégé, tout le monde sait qu’il a le droit à pas mal de laisser-passer. C’est pas Spencer qui aurait dû se battre avec la secrétaire pour pouvoir accéder au bureau de Williams par exemple. Un lèche cul, voilà ce qu’il est en plus d’être un menteur et un traitre. Je n’ai aucune notion de l’importance que porte Saül quant à son hygiène corporelle, mais une chose est sûre, c’est qu’il doit avoir la raie des fesses sacrément nette avec quelqu’un comme lui à ses côtés. Je marque quelques pauses entre mes révélations préférant la faire courte plutôt que de prolonger un suspens que je n’ai pas le luxe de m’octroyer. Quinze minutes, pas une de plus. Le poids des yeux bleus de l’italien est à deux doigts de me faire bégayer. J’ai l’impression de revenir des années en arrière et d’avoir à passer devant toute la classe pour présenter mon exposé, sauf qu’il n’y a qu’une personne qui se tient devant moi aujourd’hui et que le sujet de l’exposé en question est beaucoup plus sombre que ceux que j’avais l’habitude de faire en étant môme. C’est quand je lui fais écouter la voix de son poulain que le regard du patron se met à changer. Ça ne dure pas longtemps, juste l’histoire de quelques secondes mais c’est bien assez long pour que son expression me pousse à garder espoir. Il va peut-être finir par me croire après tout, j’ai tout donné entre l’audio que je viens de lui faire écouter ainsi que le dossier que je m’apprête à lui donner, je vois pas trop comment il pourrait encore douter de ma sincérité. « Il est interdit de fouiller dans les fichiers de ses collègues. Cette effraction à elle-seule est un motif de renvoi. » - « Il est interdit de vendre des informations confidentielles aux boites concurrentes pourtant Stuart est toujours en train de boire son petit café à la cafétéria d'en bas. » Boisson qu’il s’est payé grâce à l’argent sale qu’il a pu se faire sur le dos de son patron préféré. Je tente de cacher mon amertume, même si sa réponse est plus que culottée. La façon dont je me suis procuré toutes ces informations est loin d’être des plus louables, je l’entends mais faut pas oublier que celui qui a fauté c'est Spencer, pas moi.
« Et si tu oses me mentir pour un poste supérieur au tien, je m'assurerai que plus personne ne t'embauchera, pas même pour faire du ménage. » Je me retiens de ne pas lever les yeux au ciel, le déni est une belle connerie qui a l’air de n’épargner personne, pas même les gens de la haute société. S’il pense encore que tout ce que je viens de lui dire est un ramassis de mensonges alors c’est que je me suis trompé sur son compte et qu’il est moins pragmatique que ce qu'il pouvait laisser paraitre. « Qu'est-ce que tu y gagnes ? Tu ne seras pas mieux payé. Je ne te donnerai rien et tu retourneras à ton poste aussitôt Spencer renvoyé. Si et seulement si je le revoie. » Rien visiblement, si ce n’est me faire remonter les bretelles par mon patron. Tout ceci était une mauvaise idée, qu’il garde Spencer pour ce que ça peut me faire. J’ai rien à gagner, je voulais juste lui éviter de perdre quelques clients en plus et de voir d’autres boites nous voler les projets pour lesquels nous avions tous bossé d’arrache-pied. « Ton nom ? » J’hésite un instant à lui donner une fausse identité et me barrer de ce bâtiment sans prendre la peine d’y revenir même si je sais que c’est loin d’être une décision que je peux me permettre de prendre. Ce job est bien plus important à mes yeux que tous ceux que j’ai pu avoir dans le passé, il est vital. C’est ce salaire qui me permet d’être un grand-frère à peu près acceptable et un fils un tant soit peu honorable, il me permet de payer une grande partie du loyer, d’offrir une vie à peu près normal à Samuel et de faire la fierté de ma mère en bossant sur des bijoux qu'elle a toujours rêvé de porter. « Angus Sutton » que je dis finalement. « Et pour répondre à votre question, j’ai rien à y gagner, c’est vous le patron, vous faites comme vous voulez. J’aime à penser que vous prendrez la bonne décision, c’est tout. Les gens commencent à parler, vous savez. » Et ce qu’ils disent n’est pas beau à entendre car pour la plupart des employés, Saül est le seul responsable de la crise que connait l’entreprise depuis son arrivée. « Après, si et seulement si vous décidez de le renvoyer, sachez que je me porte volontaire pour le remplacer. Je suis vraiment doué dans ce que je fais, monsieur. » Plus doué que Stuart, ça c’est certain et bien plus fidèle aussi. C’est à mon tour d’être culotté, jamais ô grand jamais je ne me serais permis de tenir de tels propos mais j'ai un mauvais pressentiment quant à la longévité de ma période d'essai alors autant tenter le tout pour le tout. Une chose est sûre, le regret ne fera pas partie des choses que j’emporterai avec moi dans le cas où je devrais quitter mon job dès aujourd'hui.
« Il est interdit de vendre des informations confidentielles aux boites concurrentes pourtant Stuart est toujours en train de boire son petit café à la cafétéria d'en bas. » Ce qu'il est culotté, le jeune homme. Mais c'est le même mordant qui a tiré Saül hors du fond du panier. Sans le lâcher des yeux, Saül attrape un stylo avant d'écrire le nom de l'accusé sur un post-it. Dès que Sutton aura quitté son bureau, l'homme d'affaires s'occupera d'investiguer au sujet du traître, lequel a probablement bien préparé sa défense. Malheureusement pour lui, Saül est familier des techniques qu'il a certainement employé pour se soustraire au regard de son patron.
Sur le post-it, Saül compte aussi inscrire le nom de celui qui risque aujourd'hui son poste. « Angus Sutton » Le gamin affecté au service de Marcus a désormais une identité que Saül colle sur un coin de son bureau. « Et pour répondre à votre question, j’ai rien à y gagner, c’est vous le patron, vous faites comme vous voulez. J’aime à penser que vous prendrez la bonne décision, c’est tout. Les gens commencent à parler, vous savez. » Un sourire amusé glisse sur le visage du quarantenaire. « C'est un avertissement ? » Mais qu'elles sont pratiques ces petites souris qui sont les oreilles et les yeux de Saül dans des endroits où il ne va jamais. La cafétéria, les bureaux des premiers étages, les salles de réunions où se réunissent les petits employés... Les petites souris se font rares, pourtant. Depuis qu'il est arrivé en Australie, Saül est confronté à un phénomène qui ne cesse d'essayer de remettre en cause sa place de grand patron. On le dit étranger, trop agressif, mal-aimable et autant de mots pour essayer de le discréditer. Si la boîte se porte bien, pourtant, c'est bien grâce à l'italien. Un mal sévit pourtant dans les rangs de l'entreprise et Saül entend bien arracher les vers qui se sont glissés dans la pomme. Avec les dents, s'il le faut. « Après, si et seulement si vous décidez de le renvoyer, sachez que je me porte volontaire pour le remplacer. Je suis vraiment doué dans ce que je fais, monsieur. » « Bien sûr. » Le ton doucereux de l'italien ne laisse pas de place au doute. Son agacement éclatera bientôt. « Dehors. Ferme la porte en partant. » L'instant d'après, le revoilà au téléphone, occupé à agiter les gens d'en bas à la recherche de ce dont Angus Sutton est venu lui faire part.
***
Il est tard lorsque Angus Sutton est, cette fois-ci, convoqué. Il n'a fallu que vingt-quatre heures à Saül pour constater la culpabilité de Stuart. Ce dernier vendait en effet des informations à la concurrence, informations auxquelles il avait accès grâce à sa place auprès de Saül. Dans les bureaux, il n'y a plus grand monde. Seuls les esprits zélés s'affairent encore. « Reste debout. » D'un geste bref, Saül écarte un énième contrat sur lequel il vient d'apposer sa signature. Ses yeux se posent sur le jeune homme qu'il jauge un instant du regard avant de reprendre. « Tes nouvelles fonctions prennent effet tout de suite. Je veux que tu restes à ton poste. Quand je t'appelle, tu dois être ici dans la minute. Je n'ai pas le temps de courir après les retardataires et nous n'avons pas de temps à perdre. » Nous. Qu'il ne jubile pas, Saül le renverrait sur l'instant. L'italien a horreur de ceux qui fêtent un peu trop publiquement des nouvelles qu'ils attendaient dans l'ombre.
C'est l'audace du jeune homme qui a eu son attention et c'est son zèle qui l'a gardé attentif. Décidément, Angus rappelle à Saül quelqu'un qui, au même âge, se mettait aussi en danger. « Je veux que tu gardes les yeux ouverts. Pour tout le monde au même niveau. Il y a des gens que tu vas désormais côtoyer et qui ont autant de responsabilités que Marcus, auprès de qui tu resteras. » Si Angus n'aura pas l'impression d'avoir beaucoup plus de responsabilités immédiatement, les choses prendront effet avec le temps. Un peu de patience sera nécessaire pour gagner la confiance d'un grand patron ayant l'habitude de se méfier de tout et de tout le monde. « Mon fils doit avoir à peu près ton âge. » Mais il n'a jamais fait preuve d'un tel mordant. « Tu garderas un œil sur lui aussi. » Mais pas pour les mêmes raisons. Saül le soupçonne de ne pas mettre beaucoup de cœur à l'ouvrage. Le nez à nouveau dans les papiers, Saül ne songe désormais qu'à filer loin de ce bureau, jusque dans les bras de la seule française dont il apprécie la compagnie.
Il attrape son stylo, celui qui sent l’argent à plein nez et je me demande à partir de quelle somme les gens de son statut deviennent assez riche pour mettre un prix exorbitant dans ce genre de futilité. C’est qu’il faut en avoir plein le compte en banque pour aller jusqu’à dépenser une fortune dans ce qui se rapproche le plus d’une simple fourniture scolaire. Je l’observe prendre des notes sur un bout de post-it me mettant discrètement sur la pointe des pieds pour tenter de lire ce qu’il est en train de retranscrire, sans grand succès. Il colle le bout de papier jaune sur le coin de son bureau, n’ayant pas l’air d’avoir peur d’abimer le revêtement de la grande table qui surplombe la pièce. Au pire des cas, il aura assez d’argent pour s’en défaire et renouveler son bien. C’est aussi pour ça que j’ai soif de réussite, afin d’éliminer les nombreux problèmes qu’on peut avoir lorsqu’on se retrouve avec tout juste assez d’argent pour se payer un loyer. C’est qu’on doit se sentir beaucoup plus léger dans la peau d’un riche, le fric ne fait peut-être pas toujours le bonheur mais ça a l’air d’être un super régime minceur, trente kilos en moins de soucis financiers. « C'est un avertissement ? » Je sais au ton de sa voix que l’affirmation n’est pas une réponse que je peux me permettre de lui donner. « Non, il me semblait bon de vous faire part de ce que vos employés peuvent dire à votre sujet, voilà tout. » C’est une fatalité, Williams ne gagnera pas la palme d’or du patron de l’année. Il lui faudra encore pas mal de temps pour arriver à racheter le respect de ceux qui ne le voient plus du tout comme le leader qu’on leur a un jour promis. Pourtant il est doué Saül, il a tout pour diriger cet empire et si certains sont persuadés du contraire, je continue de miser sur lui. « Bien sûr. » qu’il me répond après lui avoir glissé mon envie d’endosser le rôle de remplaçant. Marre de rester sur la touche, faut que ça bouge. « Dehors. Ferme la porte en partant. » Je m’exécute sans dire un mot de plus en espérant que le message ait été assez clair pour être entendu. Je referme la porte derrière-moi et passe devant la secrétaire, un sourire satisfait sur le bord des lèvres. « Ne faites pas cette tête, Margaret. C’est une belle journée !» Elle me lance un regard noir et ça me fait doucement rire. Je repense à l’entretien alors que l’ascenseur se fait désirer et que je peux toujours sentir les yeux de la secrétaire me foudroyer tout en ayant le dos tourné. Je tente tant bien que mal de ne pas me laisser submerger par l’angoisse de m'être montré trop culotté, pas assez convaincant et de devoir dire au revoir à la tour de verre. Le patron n’est pas facile à cerner et même s’il a entendu ce que j’avais à dire sur Spencer, rien ne m’assure que la taupe ne soit pas passée dans son bureau avant moi pour court-circuiter tous mes plans. Et s’il s’était rendu compte que je l’avais enregistré ? Et s’il avait monté un faux dossier pour me faire couler et sauver sa peau d’un licenciement imminent ? Quand on est prêt à vendre des informations sur sa propre entreprise, c’est qu’on est prêt à tout sacrifier, jusqu’à sa propre dignité. Je suis peut-être mal placé pour parler vu comment j’ai pris plaisir à le balancer, mais c'était pour la bonne cause, la mienne -cela va sans dire- mais aussi et surtout celle de la Michael Hills. Les portes de l’élévateur s’ouvrent enfin et je m’engouffre à l’intérieur faisant un signe de la main à Margaret avant de disparaitre.
***
Une convocation, la main de l’agent de l’accueil qui m’agrippe le bras alors que je suis sur le point de quitter les lieux. « Angus Sutton ? » qu’il me répond comme s’il n’avait pas déjà vu mon nom s’afficher sur son écran lorsque j’ai passé mon badge pour enclencher l’ouverture des portes vitrées. « Ça dépend qui le demande. » Je me défais de sa poigne, passant ma main sur la manche pour la défroisser. « Le patron, il vous attend dans son bureau. » Mes yeux s’attardent sur les portes encore ouvertes alors que je pense à Samuel qui m’attend à la maison. Je l’ai déjà prévenu, comme à chaque fois que je file au boulot. J’essaye de le préparer du mieux que je peux à de potentiels retards de ma part afin qu’il ne soit pas déstabilisé s’il ne me voit pas rentrer à temps. Jusqu’ici, j’ai toujours su arriver avant qu’il soit l’heure pour lui d’aller se coucher. J’envoie un rapide message à Bonnie pour l’informer que je ne serai pas là pour lui lire son histoire du soir tandis que je m’engage dans l’ascenseur. « Coucou, comment il va ? » Je vois Bonnie qui marche dans le couloir de mon appartement probablement à la recherche de Samuel. « Ça va, il aurait préféré que tu sois là pour le border, mais j’ai mis le voyage d’Arlo sur mon ordi pour faire diversion et ça a l’air de fonctionner.» Elle tourne la caméra pour me montrer mon frangin allongé dans son lit en train de jouer avec ses figurines de dinosaures devant l’un de ses dessins animés préférés. « Salut bonhomme, j'suis vraiment désolé de pas pouvoir être là pour te coucher. T’as passé une bonne journée ? » - « Tu ren..tres qu..and ? » La connexion me lâche au fur et à mesure que l’ascenseur monte d’un étage. « Ça capte mal, attends.» Je laisse échapper un juron, secouant le téléphone dans tous les sens comme si cela pouvait le faire fonctionner. Les portes finissent par s’ouvrir et je m'empresse de lever le bras en l’air pour gagner quelques barres de réseaux. « Gus ? Tu m’entends Gus ? » La voix de mon petit frère devient plus audible mais son visage reste toujours figé sur l’écran de mon téléphone pendant un moment avant de retrouver une fluidité digne d'une connexion 4G. « Sam, tu veux voir un truc méga chouette ? » Il acquiesce de la tête alors que je m’approche d’une des vitres pour y coller l’objectif de mon portable. Le panorama de nuit est encore plus beau que celui que j’ai pu voir lorsque je me suis incrusté dans le bureau du patron. Les jeux de lumières offrent un spectacle que je pourrais passer des heures à contempler mais là, tout de suite, c’est le sourire de mon frère dont je ne peux pas me détacher. « Unique au monde ? » je fais référence à notre passage préféré à défaut de pouvoir lire le petit prince en sa compagnie. « Unique au monde » Je lui montre mon petit doigt et il fait de même avant de raccrocher. Ces quelques secondes de facetime m’ont permis de ne pas avoir à penser à la nature de cette nouvelle rencontre. Cette fois-ci c’est le patron qui demande à me voir et non pas moi qui exige à m’entretenir avec lui. Mon poing vient frapper contre la porte de son antre pour annoncer mon arrivée, je patiente un moment pour qu’il m’invite à entrer puis -non sans une vague d’appréhension- mes doigts viennent tourner la poignée. « Bonsoir. » - « Reste debout. » Je profite d’avoir le dos tourné pour lever les yeux au ciel tandis que je referme la porte derrière moi. « Tes nouvelles fonctions prennent effet tout de suite. Je veux que tu restes à ton poste. Quand je t'appelle, tu dois être ici dans la minute. Je n'ai pas le temps de courir après les retardataires et nous n'avons pas de temps à perdre. » Je me retourne surpris par les mots qu’il vient de prononcer et si ce n’était pas Saül, je l’enverrais sûrement chier. Ses belles paroles n’ont pour unique but de me faire comprendre qu’il s’apprête à faire de moi son nouveau larbin. S’il me siffle alors c’est que je me dois d’accourir, ni plus, ni moins. « Vous pouvez compter sur moi. » Au diable la dignité. Si c’est ce qu’il faut pour me faire une place parmi les plus grands, pour montrer à Samuel qu’on peut toujours arriver à ses fins avec un peu d’acharnement et beaucoup de conviction alors qu’il fasse de moi son larbin. « Je veux que tu gardes les yeux ouverts. Pour tout le monde au même niveau. Il y a des gens que tu vas désormais côtoyer et qui ont autant de responsabilités que Marcus, auprès de qui tu resteras. » Les conditions qu’il vient de citer sont, quant à elles, loin de me déplaire. J’affectionne tout particulièrement le service dans lequel je travaille et puis y'a pas mieux que Leckie pour motiver les troupes, il a l'art et la manière de faire ressortir le meilleur en chacun des membres de son équipe. « Je serai vos yeux et vos oreilles. » C’était déjà le cas avant ce soir, je compte plus les informations que j’ai pu dégoter sur les employés au fil des semaines qui se sont écoulées. Une habitude qui doit me venir du rugby, je me revois encore visionner les matchs des adversaires pour noter la moindre de leurs faiblesses. Si y’a bien quelque chose que ce sport m’a appris, c’est qu’il est essentiel d’en connaitre un maximum sur ses adversaires. « Mon fils doit avoir à peu près ton âge. » Je fronce les sourcils, m'apprêtant à lever le doigt pour l'arrêter quand il me coupe dans mon élan pour reprendre la parole. « Tu garderas un œil sur lui aussi. » Là par contre, il pousse le bouchon. J’ai mieux à faire que de jouer les baby-sitter pour sa progéniture. Je le connais de loin, je l’ai déjà croisé dans les couloirs de la société et une chose est sûre c’est que je peux pas me le blairer. Je me fous pas mal de devenir une balance pour la plupart de mes collègues, la petite main de Saül, un paria par contre j’ai pas envie d’être celui qui torche les fesses de son fils. « Un œil sur lui, c’est-à-dire ? » J’ai trop de boulot pour perdre mon temps avec Damon même si je pourrais parfaitement tourner cette condition à mon avantage.« Où est-ce que je dois signer ? » Car il doit bien y avoir un contrat de confidentialité pour ce genre de responsabilités. Je signe pour tout, sauf pour le dernier point que j’espère être en mesure de rayer de la liste. C’est délicat, je me vois mal lui dire que je peux pas voir son fils en peinture et que je le considère plus comme un adversaire qu’un futur coéquipier.