Le sac était retourné sur le palier comme pour s’assurer de ce qui était pourtant une certitude. Ce matin-là alors qu’elle était assise dans le bus qui l’emmenait à Toowong, Moïra avait réalisé que ses clefs étaient restées sur la table basse du salon après qu’elle les y ait posées pour lacer ses chaussures. Elle savait qu’elle serait bonne pour une remarque de son père quant au fait qu’un jour elle oublierait sa tête, et ils échangeraient probablement un rire en sachant tous les deux que du père et de la fille, cette dernière n’était assurément pas la plus étourdie des deux. Rien de dramatique en somme, d’autant plus qu’à débuter sa journée de travail bien avant l’aube son père était pratiquement toujours à l’appartement l’après-midi, elle n’aurait qu’à sonner pour se faire ouvrir … En théorie. Et quel beau pays, la théorie, à ceci près que lorsqu’elle avait appuyé sur la sonnette dans l’encadrement de leur porte la jeune fille n’avait eu que le silence pour réponse. Insistant un peu, mettant cela sur le compte d’une journée de travail trop éreintante qui aurait poussé son père dans les bras de Morphée pour une courte sieste, la frimousse blonde s’était fendue d’une moue désappointée en réalisant que son père n’était pas assoupi : il était absent. Et elle était à la porte. De l’autre côté du battant et comme pour la narguer, Moïra avait entendu Microbe le chat miauler à son attention, mais bien que particulièrement dégourdi pour avoir vécu les premières années de sa vie dans la rue l’animal n’en était pas non plus au stade d’ouvrir soi-même la porte. « Papa nous a abandonné, mon gros. » avait-elle alors grommelé pour le principe, sachant bien que son père n’y était en réalité pour rien et qu’elle aurait simplement dû vérifier qu’elle avait bien ses clefs avant de claquer la porte en partant.

Le téléphone portable que son père avait consenti – non sans difficultés et restrictions – à lui offrir pour son entrée au collège était supposé palier à ce genre de problème : si Tommy était sorti prendre l’air, l’appel de sa fille pour lui annoncer qu’elle était coincée sur le palier était suffisant pour lui faire écourter sa promenade. Et puisque Moïra était supposé garder son téléphone éteint durant sa journée de classe elle n’aurait en théorie eu qu’à le rallumer pour appeler … Mais encore une fois, la théorie. Allumé sans interruption depuis le matin, le cellulaire avait rendu son dernier souffle de batterie dans le bus du retour au beau milieu d’un morceau d’Ariana Grande et ne serait d’aucune aide à sa propriétaire, qui en soupirant avait ramassé les affaires de classes éparpillées sur le palier pour les ranger dans son sac à dos. « Oh mais je sais ! » Bondissant sur ses pieds comme si elle venait d’être frappée par la lumière divine, elle avait dévalé ses escaliers dans l’autre sens son sac sur le dos, et lançant un « Bonjour ! » à la cantonade au retraité du deuxième étage qui entrait dans l’immeuble juste quand elle en sortait, elle ne s’était pas arrêtée et avait remonté la longue avenue quelques croisements plus haut, sautillant jusqu’au numéro trente : sa destination.

A cette heure du milieu de l’après-midi le « KaRayOke » était encore relativement calme, et la voix enjouée de la petite blonde avait résonné à travers le commerce lorsqu’elle s’était fendue d’un « Oncle Raaay ! » en traversant la salle pour rejoindre le bar. À douze ans, l’époque où elle devait se mettre sur la pointe des pieds pour espérer dépasser du comptoir était déjà loin, et à peine avait-elle eu besoin de prendre une impulsion pour grimper sur l’un des tabourets de bar et se pencher pour gratifier « oncle Ray » d’un baiser sur la joue. « Papa n’est pas à la maison et j’ai oublié mes clefs … Je peux l’attendre ici ? » Offrant son meilleur regard de chien battu et faisant battre ses cils avec exagération, la petite blonde espérait deux choses : une réponse positive, et pourquoi pas un verre de jus de fruits ou de grenadine aux frais de la maison.

Les lunettes sur ton nez alors que tu t’es installé avec ton nouvel ordinateur portable sur ta banquette favorite de ton karaoké. Celle ci même qui a un point de vue parfaite sur la vitrine et donc l’extérieur pour capter d’éventuels indécis à entrer. Egalement une vue sur la petite scène car tu aimes pouvoir regarder les gens qui chantent, et pour terminer, la vue sur le bar, au cas où quelqu’un attend de se faire servir et que la personne sur la rota du jour n’est pas là à ce moment là. Tu mets un point d’honneur à ne pas faire attendre les clients, jamais. Il est important que le service soit proche de l’irréprochable car ça te ressemble et c’est ton endroit. Le seul problème de cette banquette c’est que tu ne peux l’utiliser que lorsque ce sont des heures creuses. Tu restes sagement derrière le bar si tu n’as pas réussi à te trouver un siège libre sur une table de convive qui apprécient ta compagnie. C’est la fête tous les soirs ou presque depuis que tu as ce karaoké. Clairement tu t’es créé ton paradis sur Terre avec cette reconversion.

Ce qui est moins paradisiaque c’est ce nouvel ordinateur. Le système d’exploitation est différent de ce que tu avais jusque là. On t’a beaucoup soufflé d’en prendre un nouveau, chose que tu refusais mais ton ordi a une moitié d’écran qui n’affiche plus rien depuis une semaine. Tu as dû te rendre à l’évidence. Sauf que tu as mis le prix histoire d’avoir un ordinateur qui est plus rapide mais, tu ne retrouves pas grand chose de familier. Voilà un quart d’heure que tu regardes une vidéo youtube qui donne des trucs et astuces pour l’utilisation de ton système d’exploitation mais tu as l’impression que c’est beaucoup de chinois. Ou peut être que tu n’y mets pas beaucoup de volonté. Soit. Tu décides d’abandonner pour aujourd’hui. Tu fermes l’ordinateur allant le remettre dans ton studio qui se trouve quelques portes plus loin dans l’arrière boutique.

« Oncle Raaay ! » Tu reconnais cette voix entre mille. Tu viens tout juste de réapparaitre derrière le bar. Ton ancien ordinateur sous le bras. « Moïra ! Quelle belle surprise. » Car oui, ce genre de visiter entre ces murs est toujours accueillit à bras ouverts, même si tu te doutes qu’il y a quelque chose la dessous vu l’heure qu’il est. Un baiser est rapidement posé sur ta joue alors qu’elle a déjà grimpé sur une chaise haute. « Papa n’est pas à la maison et j’ai oublié mes clefs … Je peux l’attendre ici ? » Tu hoches la tête, appréciant que tu sois le point de chute des galères de Momo. « Bien sûr. Qu’est ce que tu dis d’une part d’un très bon gâteau au chocolat? » Il te reste la moitié d’un gâteau d’une soirée improvisée et il vaudrait mieux pas que tu sois celui qui mange tout. Tu te dis c’est l’heure du goûté non ? Tu poses ton ordinateur dans un coin derrière le comptoir, te disant qu’ils seraient dommage de le briser plus encore par mégarde, mais qu’en même temps ça serait la bonne façon de l’achever. Tu n’aurais plus le choix que de véritablement te lancer à fond sur le nouveau.« Tu as prévenu ton père que tu étais là ? » Tu te sers un verre d’eau fraîche et naturellement tu en sers un deuxième pour Moïra qui n’a rien demandé à ce propos. Tu le lui poses devant elle.

Moïra n’avait pas attendu d’atteindre l’âge vénérable de douze ans pour s’entendre dire qu’elle était une petite fille dégourdie. Et si Tommy tendait à s’en féliciter, intimement persuadé que l’on allait bien plus loin dans la vie de cette manière qu’en étant le dernier des assistés, sans doute n’avait-il pas conscience qu’une partie des capacités d’adaptation de sa fille unique lui venaient des manquements dont il avait pu se rendre coupable en tant que parent. Il faisait de son mieux, bien sûr, et il y avait bien pire que lui, évidemment … Mais il n’en restait pas moins un père célibataire un peu à l’ouest, toujours de bonne volonté mais souvent maladroit, et qui avait eu toutes les peines du monde à rattraper le temps que ses deux années et demi derrière les bareaux d’une prison canadienne lui avaient fait perdre, à un âge où sa toute petite fille grandissait à toute vitesse. Elle avait appris à faire cuire des raviolis du haut de ses six ans ? Il fallait bien se nourrir les soirs où Tommy servait des pintes au McTavish. Elle savait utiliser du fil et une aiguille pour repriser une chaussette ? Ils avaient appris ensemble en regardant une vidéo sur YouTube, parce que cela valait toujours mieux que de s’abaisser à demander de l’aide à la matriarche des Warren. La porte de son père était fermée ? Celle de son “oncle Ray” serait probablement ouverte, elle. Ou comment illustrer au mieux l’adage qui voulait qu’une porte fermée n’attendait que de vous voir entrer par la fenêtre pour prouver votre débrouillardise.

Et voilà comment, au lieu de s’asseoir au milieu des escaliers dans l’attente du retour de son père, au risque de se faire houspiller par leur vieille voisine devenue beaucoup moins sympathique depuis que Tommy-le-concurrent-de-ROA était devenu Tommy-l’ancien-repris-de-justice, la pré-adolescente était allée trouver l’asile au karaoké – pardon, au KaRayoké – du bout de la rue, où elle ne doutait pas d’être comme à chaque fois accueillie à bras ouverts par le propriétaire des lieux. Elle n’avait pas bien suivi comment l’homme était passé des maisons cossues de Logan City où vivaient ses grands-parents à ce troquet de la bien moins proprette Redcliffe, et parait-il qu’il s’agissait d’histoires de grandes personnes auxquelles elle ne portait que peu d’intérêt, mais ce changement d’adresse était tout sauf pour lui déplaire puisqu’il lui semblait voir le bonhomme bien plus souvent depuis. « Moïra ! Quelle belle surprise. » s’était d’ailleurs exclamé “oncle Ray” lorsque la petite tête blonde avait déboulé avec candeur dans son établissement. Enthousiasme communicatif, la jeune fille avait offert un immense sourire lorsque lui avait été proposé « Bien sûr. Qu’est ce que tu dis d’une part d’un très bon gâteau au chocolat ? » et s’était fendue d’un « Oh ouiii, merci. » avant de se hisser sur l’un des tabourets de bar alignés le long du comptoir. Finalement, cette étourderie était en train de se transformer en quelque chose de beaucoup plus sympathique.

La rappelant malgré tout à l’ordre sans le savoir, Ray avait demandé en lui servant un immense verre d’eau « Tu as prévenu ton père que tu étais là ? » et se saisissant du verre, la blonde s’était fendue d’un « Heu ... » hésitant avant d’engloutir la moitié du contenu sans reprendre de respiration. Un soupir de soif étanchée plus tard, elle avait repris « Pas encore. Mais parce que je n’ai plus de batterie ... » Et elle ne connaissait pas par cœur les quelques numéros que contenait son tout jeune répertoire – retenir les numéros de tête, c’était un truc de vieux, pas vrai ? « J’ai oublié de le recharger hier. » mentit-elle en faisant la moue, ajoutant « Et j’ai écouté de la musique avec dans le bus, aussi. » juste pour se donner l’illusion qu’il ne s’agissait plus que d’un demi mensonge. « Mais peut-être que je peux le charger un peu ici, pour pouvoir appeler papa ? » Disant cela, elle avait brandi le dit téléphone pour joindre le geste à la parole. Ce n’était ni le plus récent ni le plus performant, elle n’avait que douze ans et Tommy des moyens limités, mais c’était déjà bien plus que ce auquel le brun aurait eu droit au même âge, c’était certain … Ses parents auraient de toute façon argué qu’il n’était pas assez soigneux, et ils n’auraient pas eu entièrement tort. « Tu faisais du travail avant que j’arrive ? » Questionna finalement la blondinette, dont le regard s’était posé sur l’ordinateur portable posé un peu plus loin. Car gérer un karaoké, dans ses jeunes yeux, était plutôt un amusement qu’un vrai métier … Non, les métiers étaient ennuyeux, un peu comme lorsque son père remplissait des tableaux Excel d’un air concentré sur la table basse du salon, en parlant de “budget mensuel” comme si dans ce tableau se trouvait la réponse à si oui ou non elle aurait le droit à une nouvelle paire de baskets de course.

« Oh ouiii, merci. » Tu ne t’attendais pas à une autre réponse et tu vas bien évidemment prendre une part avec elle. Ça ne se fait pas de la laisser manger seule, non ? Surtout que toutes les excuses sont bonnes oui. Tu aimes bien garder en tête que sa participation va te faire ingurgiter moins de sucre que ça aurait pu. Peut être même que tu lui feras le reste dans du papier aluminium puisque tu n’as pas réussi à remettre la main sur tes tupperwear. Tu as déjà oublié que tu les as déjà filé à quelqu’un en leur donnant certains très bons restes. T’es étourdie dans ton genre mais la solution du papier aluminium fut une vraie révolution pour toi. Tu te demandes à propos de Tommy et la réaction de Moïra te fait sourire. « Heu ... » Le verre que tu lui as donné se trouvant être sa meilleure excuse pour gagner du temps on dirait. Tu la suis en buvant car ton docteur t’a dit de boire beaucoup d’eau et c’est une chose à laquelle tu oublies facilement. Alors tu profites de suivre son mouvement pour en avaler quelques longues gorgées. « Pas encore. Mais parce que je n’ai plus de batterie ... » Tu hoches la tête, comprenant tout à fait.

« J’ai oublié de le recharger hier. »
« J’oublie tout le temps aussi. »

Tu as de la chance de ne jamais avoir de coup de fil important qui viennent sur ton cellulaire. « Et j’ai écouté de la musique avec dans le bus, aussi. » Tu n’écoutes pas la musique sur ton téléphone mais tu comprends que ça doit consommer de l’énergie supplémentaire. Toi tu passes un peu trop de temps sur l’instagramme. Tu as découvert cet app quand ton fils t’a dit que c’était une bonne chose à faire pour le karaoké. Que toutes les entreprises en ont un maintenant, encore plus ceux liés aux divertissements. « Mais peut-être que je peux le charger un peu ici, pour pouvoir appeler papa ? » Tu hoches la tête. « Bien sûr. Viens voir par ici y’a quelques transfo disponible. » Tu l’invites à venir de l’autre côté du comptoir comme ce n’est pas la première fois. Moïra c’est la famille et ici, c’est la maison. Tu n’es pas sûr à quoi les différentes prises sur cette multi prise correspondent, mais y’en a un petit nombre avec des cables plus ou moins différents, tu te dis qu’il doit forcément y en avoir un compatible avec le téléphone de la jeune demoiselle.

« Tu faisais du travail avant que j’arrive ? » Tu commences à faire un non de la tête qui se transforme en oui. T’es entre les deux, ça te fait même doucement rire. « J’essayais de comprendre mon nouvel ordinateur en regardant des explications sur la communauté des vidéos. » Tu fais une mine qui veut dire - c’est pas encore trop ça-. « Faudra que je fasse ça à tête reposé dans le silence car ça n’est pas si évident que ça. » Tu hoches la tête l’air de dire - on pourrait croire que c’est facile l’internet mais pas vraiment - car tu ne te sens pas à ce point là hors du coup. Tu travailles sur des ordinateurs depuis des années. Juste… pas des comme celui là. Le changement c’est pas ton fort, mais il va bien falloir que tu t’y mettes.

« Je vais nous chercher le gâteau. » Que tu ajoutes avec un petit sourire qui sous entend - voilà une bonne chose -. Tu files rapidement dans l’arrière boutique puis ton studio avant de revenir avec le plat entier qui est entamé à moitié. Deux assiettes et deux cuillères aussi. « T’écoutais quoi comme musique avec ton téléphone? » Tu demandes en coupant deux parts à l’aide d’une des petites cuillères car tu n’as pas pensé à prendre un couteau ou un ustensile plus approprié comme une spatule. Le gâteau est assez crémeux. Un vrai délice bourré de chocolat. Tu serres une première part de manière très laborieuse. Il ne faut pas s’attarder sur l’aspect esthétique de la chose une fois dans l’assiette nope.

Moïra ne s’en faisait pas trop, elle savait que son père avait fort peu de chances de lui reprocher l’étourderie liée à l’oubli de ses clefs. La raison à cela était simple : son père était autant, si ce n’est plus, étourdi qu’elle encore, et ses clefs il les avait probablement déjà oubliées lui aussi. Mais le brun avait de la chance, sa fille était une enfant consciencieuse et débrouillarde … et surtout il avait la chance que Ray ait élu domicile dans le quartier, offrant un asile temporaire à celui des deux qui se retrouverait malencontreusement à la porte de l’appartement. Un verre au comptoir de son karaoké était une perspective bien plus plaisante que celle d’aller quémander une radio pour tenter de débloquer la serrure, ou de moisir dans la cage d’escalier en attendant que l’autre ne rentre à son tour avec le précieux trousseau de clefs. Il valait cependant probablement mieux pour la jeune fille qu’elle ne charge son téléphone pour pouvoir prévenir son père qu’elle était là, et lui éviter de s’inquiéter inutilement de ne pas la trouver à l’appartement lorsqu’il rentrerait – fort gentiment, Raymond avait fait signe à Moïra d’approcher de l’autre côté du comptoir. « Bien sûr. Viens voir par ici y’a quelques transfo disponibles. » Choisissant parmi tous celui qui lui permettrait de recharger son cellulaire, la petite blonde avait laissé l’appareil se recharger de quelques pour cent avant de songer à contacter son père, et questionné dans l’entre-deux son oncle Ray sur ce qui l’occupait avant son arrivée. « J’essayais de comprendre mon nouvel ordinateur en regardant des explications sur la communauté des vidéos. » À défaut de pouvoir se retenir de faire une drôle de tête, la fillette avait au moins su se retenir de faire un commentaire ; Elle avait compris, c’était le principal. « Faudra que je fasse ça à tête reposée dans le silence car ça n’est pas si évident que ça. » Offrant à l’homme une moue hésitante, Moïra avait fini par proposer « Peut-être que moi je peux t’aider ? Oncle Marius dit que les jeunes comme moi on est nés avec l’informatique dans le sang. » Et sans doute le frère de Tommy avait-il un peu raison : après tout, les enfants de l’âge de sa nièce n’avait jamais connu le monde autrement que dominé par l’informatique et les réseaux sociaux … Pour le meilleur comme pour le pire.

« Je vais nous chercher le gâteau. » avait finalement annoncé le propriétaire des lieux, obtenant de Moïra qu’elle frappe dans ses mains avec enthousiasme en retrouvant sa place au comptoir. Disparaissant un instant dans l’arrière-boutique, Ray en était revenu avec un immense gâteau déjà amputé de quelques parts ainsi que de deux assiettes. « C’est toi qui l’a fait ? » avait demandé la petite avec un brin de curiosité, les talents culinaires de son père se limitant à faire dorer des pancakes et préchauffer un four pour y mettre des plats surgelés. Entreprenant de leur servir une part chacun, Moïra bien contente qu’il la suive dans la perspective du goûter, le propriétaire des lieux avait questionné à son tour « T’écoutais quoi comme musique avec ton téléphone ? » avec ce qui semblait être un réel intérêt, la fillette dodelinant sa tête avant de répondre « Oh, des trucs de jeunes … » sans même réaliser le potentiel vexant d’un tel raccourci. « Ariana Grande, Taylor Swift, Justin Bieber, Demi Lovato … » Récita-t-elle ensuite avec application, pour ne citer que ceux-là, remerciant d’un signe de tête lorsque Ray lui avait tendu l’une des deux assiettes sans se formaliser le moins du monde que sa part de gâteau tombe à moitié en ruine … Elle finirait dans son estomac, de toute façon.

T’es content de voir qu’elle trouve son bonheur parmi tous les fils présent derrière le comptoir. Tu as l’impression d’avoir sauvé la suite de sa journée seulement maintenant alors qu’elle a déjà trouvé refuge ici à son plus grand bonheur. Et le tiens aussi. Sa compagnie est toujours très apprécié. Elle te rappelle ta fille même si la tienne était bien moins dégourdis à son âge. A chaque fois que tu vois Moïra tu passes un rapide coup de téléphone à Lucy après. Tu as toujours peur de la déranger mais comme c’est rare, tu te dis que c’est plus du positif que l’inverse. Tu sais que tes enfants t’en veulent d’avoir trompé leur mère mais ce sont pas leurs affaires et ça fait bien longtemps qu’ils ne sont plus à votre charge ces deux là. Ca ne devrait pas les affecté tant à ton avis. Mais tu n’en sais rien en vérité. Surtout que celle ci, la vérité, ils ne la savent pas non plus. Il faudra que tu te décides un jour à le leur dire enfin. Mais tu n’es pas encore prêt pour ça.

Pas prêt non plus pour comprendre ton ordinateur. « Peut-être que moi je peux t’aider ? Oncle Marius dit que les jeunes comme moi on est nés avec l’informatique dans le sang. » Mais entre deux expressions de son visage, Moïra te propose son aide qui tu dois l’avouer, sonne tout doux à tes oreilles. « Oh hmm. » Tu ne dis oui d’emblée car tu te dis que forcément ça va prendre du temps, temps qu’elle n’a peut être pas maintenant. Est-ce que vous devriez convenir d’un rendez vous à un autre moment d’un autre jour afin de ne pas être dérangé par qui que ce soit, ni même pas ses devoirs qu’elle a sûrement à faire ? Et surtout ce gâteau que vous avez à manger en premier lieu.

« C’est toi qui l’a fait ? » « Oh non. C’est Cherry, une des barmaid, qui l’a apporté. Je ne pense pas qu’elle l’ait fait non plus. Je n’en sais rien à vrai dire. » Elle avait dû le mentionner à un moment, mais ta mémoire te fait défaut. Tu apprécies ça, les moments conviviaux avec les autres personnes travaillant au karaoké. Dans un monde parfait, cet endroit est une famille plus qu’une entreprise et tu as l’impression de bien y arriver pour l’instant.

Tu questionnes sur la musique que l’ado écoutait, curieux de voir ce que les jeunes de son âge aime. Il y a peu de personnes de son âge dans ton karaoké qui est principalement rempli les soirées. « Oh, des trucs de jeunes … » Cette phrase te fait sourire alors que tu poses l’assiette avec le gâteau devant elle. « Ariana Grande, Taylor Swift, Justin Bieber, Demi Lovato … » Un sourire bien plus large se forme sur tes lèvres, tu es fier de connaître tous ces noms là. « Cherry est fan de Taylor Swift. Si elle t’entendait elle serait déjà en train de sautiller sur place. » Son comportement t’as toujours amusé. Etre aussi émoustillé pour un artiste, tu sais ce que c’est mais pas au point de sauter dans tous les sens. Tu manges une nouvelle cuillère du gâteau en partant légèrement dans tes pensées. « Si t'es pas dérangée, je vais aller chercher mon ordinateur… » T’as l’impression de n’avoir fait que ça des allés retours pour le prendre et le reposer. Une histoire d’amour et de haine ce nouvel ordinateur. « ...Tu jettes un coup d’oeil si tu comprends quelque chose. » Car tu n’es pas dupe. Il existe bien des sortes différentes d’ordinateurs et tu n’as pas envie de lui mettre de pression sur ses épaules si au final elle ne saurait pas t’aider. Moïra est pleine de ressources, tu es sûr qu’elle va te bluffer. « ...Et je vais mettre Taylor Swift en fond. » Que tu ajoutes avec un doux sourire aux lèvres. Personne ne chante à cette heure ci et il y a toujours de la musique plus ou moins fort en fond. Tu veux faire plaisir à Moïra.

C’était quelque chose dont Tommy était particulièrement fier concernant sa fille : elle n’hésitait jamais à proposer son aide avec enthousiasme lorsqu’elle pouvait l’apporter, et pas encore débarrassée de sa candeur juvénile elle ne se laissait pas ralentir par la crainte de déranger. Exact opposé sur ce point, le père célibataire espérait de toutes ses forces que ce trait de caractère ne quitte jamais Moïra. La proposition de la pré-adolescente d’aider “oncle Ray” avec son ordinateur était donc on ne peut plus sincère et désintéressée, et dispensée avec le même enthousiasme que celui dont elle avait fait preuve lorsque le propriétaire des lieux avait proposé d’aller lui chercher une part de gâteau. « Oh non. C’est Cherry, une des barmaid, qui l’a apporté. » avait-il d’ailleurs rectifié à ce sujet lorsqu’elle avait demandé s’il en était le pâtissier, « Je ne pense pas qu’elle l’ait fait non plus. Je n’en sais rien à vrai dire. » Cela ne faisait pas grande différence au fond, la petite blonde n’était pas moins enthousiaste à l’idée de le manger, mais un léger rire lui avait tout de même échappé avant qu’elle ne commente « C’est un drôle de prénom, Cherry. » sans s’appesantir plus longtemps sur la question. L’heure du goûter était encore une institution que l’on se devait de respecter, lorsque l’on avait l’âge de Moïra.

Loin de vouloir sembler insolente, la collégienne avait répondu sans aucune mauvaise intention à la question de Raymond concernant ses goûts musicaux, simplement persuadée que les chanteuses qui envahissaient son téléphone ne pouvaient pas être du goût de quiconque avait les cheveux qui grisonnaient. « Cherry est fan de Taylor Swift. Si elle t’entendait elle serait déjà en train de sautiller sur place. » Le visage de la blonde s’illuminant, elle avait avalé sa bouché de gâteau dans la seconde et s’était exclamée avec intérêt « C’est  vrai ? » Cette Cherry avait peut-être un drôle de prénom, mais elle avait des goûts musicaux qui plaisaient déjà à Moïra, et rien que pour cela la jeune fille avait une curieuse envie de rencontrer la barmaid du karaoké désormais. « Si t'es pas dérangée, je vais aller chercher mon ordinateur … » avait de son côté repris Ray après avoir terminé son gâteau. « … Tu jettes un coup d'œil si tu comprends quelque chose. » Acquiesçant d’un signe de tête candide, la petite avait elle aussi quitté le haut tabouret sur lequel elle était assise pour aller récupérer son téléphone et les quelques pourcents de batterie récupérés. « Je vais appeler Papa pendant ce temps-là ! » Et avant de disparaître dans l’arrière-salle pour aller récupérer le capricieux ordinateur, Ray avait ajouté un « … Et je vais mettre Taylor Swift en fond. » complice, obtenant un couinement enthousiaste de Moïra.

Sans grande surprise, ce qui semblait incompréhensible aux yeux du quinquagénaire était aux yeux de Moïra d’une logique implacable, quand bien même elle avait tenté de ne pas le faire remarquer trop vivement, cette fois-ci consciente que l’inverse pouvait s’avérer vexant. « Il serait quand même plus rapide en vidant la corbeille et la boîte des mails … » avait-elle simplement osé suggérer. « En plus on nous a dit au collège que supprimer ses mails ça faisait moins de pollution ! Même si je ne comprends pas trop comment c’est possible … » Reste que comme nombre d’enfants de son âge, elle était bien plus réceptive et intéressée par la protection de la planète que ne pouvaient l’être les générations précédentes. « Il reste un petit bout de gâteau pour moi ? » Poussant à son tour la porte du karaoké, Tommy avait fini par débarquer lui aussi. Une poignée de main à Raymond et un baiser sur le crâne blond de sa progéniture plus tard, le brun avait pris place derrière le comptoir, bien content de profiter de quelques instants de légèreté après l’après-midi peu engageante qu’il venait de passer.