A little ride ?

(our own bonding moment)

Dimanche 25 Juillet 2021.

Je commence cette nouvelle journée au centre équestre avec un sourire éclatant aux lèvres et le cœur léger. Mes premières vacances avec Elie se sont déroulées à merveille. J'en garderai de nombreux et précieux souvenirs, ça ne fait aucun doute. De plus, notre retour la veille a pu se faire sans pression grâce aux efforts combinés de mes proches et de mon équipe. J'ai appris que Riverside pouvait survivre sans moi pendant quinze jours, ce qui m'a rassurée : je vais pouvoir tenir ma promesse faite à Elie et prendre le relais pour l'organisation de notre prochain séjour, l'année suivante. Il est grand temps pour nous de profiter un peu de la vie, de faire autre chose que de travailler sans relâche.

Ce matin, je m'occupe de quelques tâches administratives au bureau en attendant l'arrivée de ma belle-fille. Assez étonnamment, je ne ressens aucun jet lag et suis même en pleine forme. Je griffonne la paperasse à un bon rythme jusqu'à ce que ma montre m'indique dix heures : Amy est sensée arriver dans trente minutes, ce qui me suffit afin de préparer nos montures. Je quitte le bâtiment, non sans saluer quelques cavaliers réunis au rez-de-chaussée, une vaste pièce faisant office de club house. D'un bon pas, je rejoins les écuries avant de brosser puis harnacher les chevaux. D'abord Black - mon propre étalon, et ensuite Zaral, un stock horse australien à la robe blanche, doux et docile, que je réserve à Amy.

Je sais que la jeune femme doit d'abord passer à la maison, située à deux cent mètres environ seulement du centre équestre. Elie l'attend de pied ferme, ravi de pouvoir passer ce petit temps privilégié avec Abby. Quand il a emménagé avec moi, l'ancienne chambre de mon père était à rénover. Je pensais la refaire en chambre d'ami, sans vraiment trouver le temps de m'en occuper. Quand Abby a vu le jour, Elie et moi avons décidé de transformer cette pièce pour elle, afin de toujours avoir un endroit permettant de l'accueillir, que ce soit durant quelques heures, ou plus si besoin. Au fil des années, quand elle grandira, elle pourra s'approprier les lieux comme bon lui semblera. Comme mon frère et moi, chez mes grands-parents. Après tout, la vie n'est-elle pas un éternel cercle ?

Amy arrive alors que je discute dans la cour avec l'un des jardiniers. Je l'abandonne sur place, le laissant retourner à ses occupations, et retrouve ma belle-fille. « Hey, Amy ! » Elle me demande comment je vais et mes yeux se mettent à briller de mille feux. « On ne peut mieux ! C'était exceptionnel. J'adopte définitivement les vacances. J'ai promis à ton père de tout organiser pour l'année prochaine. » Je l'invite d'un geste à me suivre en direction de l'écurie. Le centre étant immense, il nous faut traverser la cour centrale, ce qui me laisse le temps de lui retourner sa question. « Et toi, tout va bien ? Papy est content d'avoir sa petite-fille rien que pour lui ? » Je demande, l'air espiègle. J'imagine très bien le bonheur de l'ex-SEAL, et ça me réchauffe le cœur. Je reprends mon sérieux et adopte un ton rassurant. « Tu es toujours prête à monter ? Si tu as changé d'avis, n'hésite pas à me le dire. C'est le genre d'expérience qu'il ne faut pas forcer. » Bien au contraire, car le cheval sent tout de suite le stress et la peur, ce qui n'est agréable ni pour lui, ni pour son cavalier.


@Amy Castle

J'évoque avec Amy mon envie de repartir en vacances l'année suivante, de déconnecter à nouveau de ce quotidien prenant afin de recharger nos batteries. Elle me demande si la destination sera différente. Je ne sais pas encore où on ira exactement, mais je peux lui confirmer que la belle Hawaii ne fera pas partie de la liste. Je crois que pour ce qui est des voyages, je vais laisser mon amour des habitudes au placard et privilégier les nouvelles découvertes. « On changera, ça ne fait aucun doute. Il y a tellement de lieux qui nous font envie… et il faudra pourtant que je fasse un choix. » J'esquisse un sourire malicieux à l'attention de la jeune maman. « Je compte sur toi pour m'aider à sonder ton père, l'air de rien, et essayer de voir ce qui le tenterait le plus. » Avec l'aide d'une complice, j'ai beaucoup moins de chance de me tromper. Je veux que notre prochain séjour soit aussi inoubliable que celui qu'il m'a réservé. « Le temps est de notre côté, en plus. » J'ajoute, songeant qu'on a un paquet de mois devant nous avant que je ne doive m'attaquer à l'organisation.

Mais assez parlé d'Elie et moi : je demande à Amy comment elle se sent après sa reprise du travail. Je n'ai pas eu d'enfant, mais ça ne m'empêche pas de comprendre qu'un retour de congé maternité n'est pas forcément simple. Il faut revoir tout le planning, reprendre un rythme que l'on a oublié. Amy semble toutefois bien vivre ce changement. Je suis ravie d'entendre cette nouvelle. « Parfait ! Tu le sais déjà, mais si tu as besoin de quoi que soit, surtout tu n'hésites pas. » J'ai conscience qu'elle se tourne plus naturellement vers sa mère quand il lui faut un coup de main, et c'est bien normal. Mais c'est aussi mon rôle de lui rappeler que du côté de son père, elle est également entourée, peu importe leur passé, peu importe la complexité de leur relation.

Parce qu'elle s'apprête à monter à cheval pour la première fois, je m'arrête devant l'entrée principale de l'écurie et m'assure qu'Amy n'a aucun regret, qu'elle est toujours partante. Étonnamment, ce n'est pas pour elle-même qu'elle s'inquiète, mais pour nos montures. Seront-elles bien, malgré le froid ambiant ? « Au contraire. Les chevaux transpirent moins, l'hiver, sous leur harnachement. Ne t'en fais pas pour eux. » Je la rassure d'un sourire et esquisse un geste de la tête vers l'intérieur de la bâtisse. « Il est temps que tu fasses la rencontre de Zaral. » Je suis sûre qu'ils s'entendront bien.

Lui et Black sont attachés dans le large espace sur la droite, juste à l'entrée - celui que l'on utilise aussi pour la douche de nos chers occupants. Je détache le hongre blanc avant de tendre les rênes à ma partenaire de balade. « Amy, je te présente Zaral. C'est une crème, tu verras. Et il n'y a rien qu'il aime davantage que les promenades tranquilles en forêt. » Je détache mon étalon et guide tout le monde dehors afin de donner à ma belle-fille les explications nécessaires : comment monter et se tenir sur le cheval, de quelle façon le guider. Enfin, j'attrape nos bombes que j'avais laissées sur le banc à quelques mètres, puis en tends une à Amy. « Elle devrait t'aller mais n'hésite pas à le dire si tu te sens trop ou pas assez serrée dedans. » Manifestement, tout est OK. Il ne reste plus qu'une chose à faire. « En selle ! » Je m'exclame joyeusement en passant mon pied dans l'étrier.


@Amy Castle

Amy ne peut rien me promettre mais elle essaiera de m'obtenir quelque chose concernant notre prochaine destination de vacances, à Elie et moi. « Ça marche. » J'acquiesce avec un sourire confiant aux lèvres. Je peux la croire sur parole. Je sais qu'elle fera de son mieux. Même si leur relation n'a pas toujours été des plus évidentes, et même s'ils sont encore en train de travailler à renouer, à gagner en partage et en complicité, les choses vont mieux entre les Castle. Et c'est réellement beau à voir.

J'aurais aimé ne pas avoir à compter sur l'aide de ma belle-fille afin de ne pas la déranger avec de telles considérations. Après tout, ce n'est pas important pour elle et en tant que jeune maman célibataire, elle a déjà un emploi du temps bien assez chargé. Mais Elie est un ancien SEAL. Son esprit est parfaitement entraîné : il sent ce genre de choses à dix kilomètres à la ronde. Si les questions viennent de moi, je suis prête à parier tout ce que j'ai qu'il ne mettra pas longtemps à repérer le stratagème. Et je tiens à ce que ce séjour soit une surprise à cent pour cent. Au moins, avec Amy, il aura davantage de mal à voir la supercherie…

On arrive finalement à l'écurie, et je présente le nouveau duo du jour sans tarder. Amy songe que tous les chevaux ici doivent avoir un nom. Bien sûr, je m'empresse de confirmer dans un petit hochement de tête. « Oui, mais je ne suis pas toujours celle qui le leur donne. Une partie des montures ici appartiennent à d'autres gens, et sont là en pension. Quant aux autres, on a pour habitude de conserver le nom qu'ils ont déjà quand ils arrivent chez nous. » Je lance un regard malicieux à Amy. « Mais tous ont évidemment droit à un surnom de ma part. » En réalité, je connais chacun d'entre eux. Leur personnalité, leurs qualités comme leurs défauts, leurs préférences : en somme, tout ce qui fait d'eux des créatures uniques. C'est non seulement ma passion, mais en tant que gérante, c'est aussi mon travail, et je le prends très à cœur.

Après un essai de bombe pour la protection et une poignée d'explications préalables, je laisse la cavalière en herbe prendre place sur le dos de Zaral. Bonne pâte - mais je n'en doutais pas - il patiente sans broncher jusqu'à ce qu'Amy ait les deux pieds dans ses étriers. Elle souligne que remonter juste après une chute ne doit pas être simple. « Ça s'apprend vite, tu verras. Encore une poignée de mises en selle et tu seras une vraie pro ! » Je réalise qu'elle pourrait prendre cette remarque dans le mauvais sens, et s'imaginer que je la pousse à monter de façon régulière. Je reprends aussitôt avec un sourire rassurant. « Enfin, si tu as envie de donner une suite à cette première expérience, cela va sans dire. » Quoi qu'il arrive, ce sera son choix.

Nos montures se mettent au pas pour commencer, et on se dirige doucement en direction de la grande forêt qui fait la fierté de Brisbane : la superbe réserve naturelle de Daisy Hill au cœur de laquelle se situe Riverside. On s'engage côte à côte sur le chemin, protégées par le couvert des arbres. Pour l'instant, pas de vue à couper le souffle, mais ça ne saurait tarder. Ce doux écrin de verdure cache bien son jeu, j'en sais quelque chose. « Une de mes amies qui a appris pour Abby vient de m'offrir un super livre de recettes spécial bébés. » Je me tourne vers ma partenaire de promenade. « Ça te tenterait que je lui prépare quelques petits pots, peut-être avec ses saveurs préférées et d'autres avec ce qu'elle n'a pas encore goûté ? » Rien ne me ferait plus plaisir que de mettre mes humbles talents de cuisinière au service de Miss Abby, tant que j'ai l'accord de sa maman.


@Amy Castle

Je laisse à ma belle-fille tout le temps dont elle a besoin pour s'installer sur la selle, passer les étriers et prendre les rênes en main. Zaral reste calme et immobile. Sa patience est légendaire ici, au centre équestre, et rares sont les cavaliers qui ont fait leurs premiers pas en équitation avec un autre que lui. Il est l'une de nos nombreuses mascottes. Une vraie star de Riverside, adoré de tous.

« Tout va bien se passer. » Je rassure Amy qui, en proie à quelques doutes, se demande si elle réussira à éviter une chute voire un passage aux urgences.

Je prévois une promenade plutôt tranquille, dénuée d'obstacles naturels et de dénivelés trop importants. Quant aux éventuels imprévus, tels qu'une rencontre avec l'équipe d'entretien des espaces verts ou avec certains animaux sauvages ayant élu domicile sur la réserve, j'ai une totale confiance en sa monture. Le bel hongre blanc connaît les lieux par cœur, et il lui en faudrait davantage pour le surprendre. Amy peut souffler, se détendre et profiter de ce moment : Zaral ne risque ni de se cabrer, ni de se lancer au triple galop sans avoir été sollicité au préalable.

Après une dernière vérification, notamment de la sangle maintenant la selle en place, on se met en route. Je sens Black pressé de sortir néanmoins, la présence de son vieil ami le canalise un peu, comme si Zaral arrivait à lui transmettre une partie de son éternel flegme. Finalement, Amy et moi trouvons notre rythme, évoluant l'une à côté de l'autre sous l'épaisse frondaison des arbres environnants.

J'en profite pour évoquer avec elle un sujet qui me tient à cœur : celui de sa fille. En tant que passionnée de cuisine, j'aimerais pouvoir lui concocter des petits pots maison en m'aidant de l'ouvrage offert par une amie. Car rien ne me fait plus plaisir que d'enfiler mon tablier en vue de régaler les papilles de mes proches, peu importe leur âge et peu importe leurs goûts. Le palais d'Abby est justement en train de se développer, et ce serait un honneur pour moi de pouvoir participer.

« Parfait ! » J'acquiesce, ravie que sa maman soit d'accord. Et soulagée, aussi, je dois bien l'admettre. J'avais peur d'empiéter sur un terrain qui n'est pas le mien. Un terrain où je ne suis pas sensée me trouver. Mon lien avec Amy a beau être positif, ma position reste délicate et il m'est, parfois, assez compliqué de savoir où se situe la limite. « Tu me diras ce qu'elle aime, ce qu'elle n'aime pas. S'il y a des aliments que tu souhaites qu'elle goûte. Je te préparerai ça. » J'ajoute, incapable de dissimuler mon impatience. « J'ai hâte de m'y mettre ! »

La balade suit son cours et bientôt, on arrive au bout du petit chemin, qui se sépare en deux directions opposées. J'indique la droite à Amy. La gauche nous mènerait à une jolie clairière cependant, ce n'est pas ce que j'ai en tête. Les nombreux arbres de la forêt continuent à nous envelopper de telle manière qu'ils nous coupent la vue. Lorsque le passage commence à grimper, j'informe Amy de mes plans.

« Ça va monter à partir de là mais tu verras, la pente restera douce. On va faire le tour de cette colline et rejoindre le sommet. » J'explique en lui indiquant le coteau du menton. « La vue sera cachée sur pratiquement tout le trajet, ce qui rendra le final encore plus majestueux. » Je conclus, non sans un brin de mystère et d'excitation dans la voix.

Et pour cause. Je suis certaine que son regard va s'allumer une fois là-haut, en apercevant ce paysage à couper le souffle sur trois cent soixante degrés. A l'occasion de ce premier instant en tête-à-tête avec ma belle-fille, je n'imaginais pas l'emmener ailleurs. Je veux qu'elle découvre Riverside, Daisy Hill et même Brisbane depuis ce point de vue unique. Tout simplement, je veux partager avec Amy l'endroit qui compte le plus à mes yeux, espérant que d'une manière ou d'une autre, cela aide à nous rapprocher.


@Amy Castle

Je me sens vraiment impatiente de me mettre derrière les fourneaux avec ce livre de recettes réservées aux bébés, d'autant que je peux faire comme bon me semble, sans exclure aucun ingrédient. Amy me confirme que sa fille est dans une période où elle goûte de tout, avec plus ou moins de succès. Son palais étant en train de se développer, elle doit se familiariser avec les nombreuses saveurs du monde afin de découvrir ce qu'elle aime ou non. Je suis heureuse de la liberté que cela me donne. Je me vois déjà penchée sur mon plan de travail, à dresser la liste complète des légumes, saison par saison, en m'assurant de ne rien oublier. Et si je demandais à Elie de m'apporter son aide dans la préparation ? Je suis sûre qu'il adorerait enfiler un tablier durant quelques heures si la destinataire de ses efforts n'est autre que sa petite merveille. Il pourrait s'impliquer dans n'importe quoi pour Abby, et c'est tout à fait normal.

Amy mentionne les petits caprices culinaires de la demoiselle, précisant que de temps à autres, elle adore recracher ce qu'on lui donne. J'ai beau avoir quarante ans, cette expérience m'est presque inconnue. J'en ai été témoin à deux ou trois reprises, il y a quelques années maintenant, avec les bébés de mes amis. Sans plus. « J'imagine que ça ne doit pas être simple de garder ton sérieux ! » Je me doute que les parents, surtout sur les premières années, doivent vivre dans une constante contradiction, entre l'envie de rire face aux bêtises de leur progéniture et la nécessité de leur expliquer que ce n'est pas bien. J'ai une pensée fugace à l'attention des miens, qui se sont vus obligés d'en gérer deux pour le prix d'un. Heureusement qu'ils formaient un couple soudé, y compris sur notre éducation, à Shane et moi.

Notre ascension se déroule sans accroc. Zaral, fidèle à lui-même, est calme au possible, et conformément à ce que j'avais prévu, son attitude sereine aide ma propre monture à ne pas s'emballer. Je sais que Black, jeune et d'un tempérament fougueux, a très envie de se défouler et je compte lui en donner l'occasion - plus tard. L'heure étant à la promenade, la course contre le vent devra attendre. Je tends mon bras, lui offrant une caresse sur l'encolure, le félicitant de la maîtrise dont il fait preuve depuis notre départ de l'écurie. Peut-être est-ce en me voyant faire, mais Amy me demande si j'ai toujours aimé les chevaux. Je suis touchée de l'intérêt qu'elle porte à ce qui compte à mes yeux, de son envie d'en savoir davantage à ce sujet.

« Je suis née avec. » J'explique avec un sourire où flotte une certaine nostalgie. « Mon père a été jockey, dans les années soixante-dix et quatre-vingt. C'est lui qui m'a tout appris. J'avais à peine trois ans quand je me suis retrouvée sur le dos de mon premier poney. » J'ai encore des images de mon père juste devant moi, tenant les rênes et guidant le petit équidé en me rappelant de ne pas lâcher le pommeau ou la crinière. « Si tu croises un soixantenaire aux cheveux gris et aux yeux rieurs sur le domaine, généralement en train de s'occuper de nos pensionnaires d'une manière ou d'une autre, c'est lui. » J'ajoute, amusée. Nathan Callahan n'est retraité que sur le papier. Dans la réalité des choses, il passe la moindre de ses journées à Riverside, à donner des coups de main partout et à jouer à la perfection son rôle de membre d'honneur adoré de tous.

« Et toi ? Tu avais une passion en particulier quand tu étais petite ? » J'interroge Amy alors que nos chevaux contournent l'un après l'autre une branche d'arbre gisant au milieu du chemin. Quand nous retombons côte à côte, j'ajoute. « Et que tu as peut-être encore, d'ailleurs ! »

Nos passe-temps d'enfants ne sont pas obligés de prendre fin avec notre insouciance, au contraire. Je me dis qu'ils sont là pour nous rappeler que notre âme de gosse ne disparaîtra jamais vraiment, qu'elle sommeille quelque part en nous, prête à se réveiller au moindre appel. Du moins, c'est ce que je ressens quand je me lance au triple-galop. J'ai l'impression de faire un bond en arrière, de me revoir, gamine, à faire exactement la même chose… exactement au même endroit, en plus. A mon sens, tout le monde devrait avoir une bulle de bonheur comme celle-là.


@Amy Castle

J'écoute Amy me parler de sa fille et de sa propension à la faire tourner en bourrique quand elle recrache sa nourriture. Je ne suis pas une experte en jeunes enfants mais il me semble qu'elle détermine jusqu'où elle peut aller avec sa maman avant que celle-ci ne se fâche. Ce n'est apparemment que le début. Plus tard, Abby testera d'autres limites, et de différentes manières. Combien de fois ai-je entendu mes propres parents me raconter la manière dont Shane et moi arrivions à les faire sortir de leurs gonds ? Il m'arrive de me demander si j'aurais fait une bonne maman moi-même, surtout quand je suis confrontée à la situation. Comme maintenant avec ma belle-fille qui évoque les mini-frasques de sa douce Abby. Je n'aurais jamais la réponse à cette question précise, et ce n'est pas grave. C'est un choix. Mon choix. Je suis loin de le regretter cependant, je crois que s'interroger sur ce qui aurait pu être, dans un autre univers, reste normal. Humain.

Notre conversation s'éloigne peu à peu de la demoiselle pour se focaliser sur nous. Nos passe-temps, ce qui nous fait vibrer, ce qui nous inspire le sourire et nous remplit de bonheur. L'équitation, de mon côté. Oui, j'ai ça dans le sang, comme le dit si bien Amy. Elle a entièrement raison. Je serais incapable de vivre sans les chevaux, sans ce qu'ils m'apportent sur une base quotidienne. Leur amour, leur noblesse et leur force, entre autres. Ce sont des créatures plus qu'exceptionnelles. Si demain on devait me les enlever, si demain j'étais forcée d'abandonner Riverside et tous ses pensionnaires, peu importe que je sois entourée, peu importe que je sois soutenue : je ne m'en remettrai pas. Ça ne fait aucun doute dans mon esprit.

L'échappatoire d'Amy, c'est le dessin. Elle explique avoir noirci de nombreux carnets, remplis de croquis en tous genres. J'ai beau réfléchir, je ne me souviens pas l'avoir vu un crayon à la main depuis que je la connais. Est-ce une activité qu'elle préfère exercer seule ? Ou est-ce d'abord un manque de temps, d'inspiration ? J'acquiesce quand Amy mentionne son statut de mère. Il est évident que prendre soin d'un nouveau-né n'a rien de simple ou de reposant, au contraire. Par extension, puisque la petite Abby a aussi un papa, je songe à Ash. J'imagine qu'il est difficile de trouver la motivation pour dessiner quand on doit déjà se remettre d'une séparation. Car, dans le fond, que ça se passe bien ou non entre les deux ex-conjoints ne change rien : ça reste très compliqué à gérer.

« Je suis certaine que tu finiras par retrouver ce petit quelque chose te manque pour t'y remettre vraiment. » Je lui assure. Quand on a une véritable passion, rien ni personne ne peut nous en éloigner longtemps. Elle finit toujours par retrouver son chemin jusqu'à nous. Parce qu'on en a besoin. Et parce que sans elle, notre vie ne serait pas tout à fait complète. « A l'occasion, je serai contente de voir quelques-unes de tes œuvres. » Je n'en dis pas plus. Je ne veux pas la forcer, surtout si ses dessins font partie de son jardin secret. A l'instar de mon amie Silver, qui écrit ses propres poèmes… qu'elle seule est autorisée à lire.

Notre progression nous mène encore plus haut, et bientôt, je peux apercevoir la fin du sentier. L'ombre des arbres devient moindre alors que les frondaisons laissent apparaitre le ciel, juste au-dessus de nos têtes. Avant que l'on ne sorte des bois, je stoppe ma monture. Zaral s'arrête aussitôt. « A partir de là, tu vas fermer les yeux et te laisser guider. » Je laisse passer une courte seconde de silence, puis étire mes lèvres en un rictus malicieux. « La surprise en vaut la peine. Fais-moi confiance. Et pas de triche ! » Je conclus en riant, un index levé.

Calmement, Black et son vieil ami à la robe blanche reprennent leur marche. En moins de deux minutes, on arrive au bout de la clairière, à flanc de colline. On se trouve désormais au point culminant de Daisy Hill. « C'est bon, tu peux regarder. » Je chuchote presque à Amy, comme si l'endroit était sacré. Je retiens ma respiration sans même m'en rendre compte, impatiente de découvrir la réaction de ma belle-fille face à ce paysage à couper le souffle, dégagé sur trois cent soixante degrés. D'un côté, la nature à perte de vue avec son immense forêt ainsi que sa rivière serpentant ente les cimes. De l'autre, la ville de Brisbane, ses innombrables gratte-ciels et ses banlieues denses. « Alors, qu'est-ce que tu en dis ? »


@Amy Castle

Amy ne semble pas déstabilisée le moins du monde par son actuelle absence de temps et de motivation vis-à-vis du dessin. Au contraire. Elle reste philosophe : si elle ne retrouve pas cette fameuse étincelle, ce sera sans doute une opportunité de se tourner vers une nouvelle passion. Quelque chose qu'elle sera même en mesure de partager avec sa fille. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, sans doute parce que la force d'un tel lien m'échappe puisque je ne suis moi-même pas maman, mais c'est une belle manière d'appréhender la situation. En attendant, Amy accepte de me montrer quelques-uns de ces carnets. « Super. J'ai hâte de voir ça. » J'ai proposé de faire cette promenade ensemble avec un objectif précis : faire découvrir mon univers à la jeune Castle. Savoir qu'elle est d'accord pour m'intégrer au sien, du moins en partie, me fait sincèrement plaisir. C'est un pas en avant dans notre relation belle-mère/belle-fille. Un excellent moyen de nous rapprocher un peu plus.

On arrive vite en haut de la colline et lorsque je lui demande de fermer les yeux, elle me pointe du doigt en arguant que si elle tombe, ce sera de ma faute. J'échappe un rire amusé. « OK, ça marche. » Évidemment, je sais qu'elle restera bien assise sur Zaral. Entre le creux de la selle, ses pieds dans les étriers et ses doigts dans la crinière de sa monture, il y a zéro chance qu'elle perde l'équilibre. Je suis donc confiante dans la réussite de cette mission. J'aurais pu me contenter de la guider jusqu'au bout sans rien dire, sauf que la vue vaut un million de fois cette effet de surprise…

Et alors qu'on termine les derniers mètres, que je donne enfin mon feu vert et qu'Amy soulève ses paupières, absorbant le paysage autour d'elle, je sens mon cœur se gonfler de joie face à sa réaction. Elle reste un instant bouche bée, incapable de prononcer le moindre mot. Retrouvant ses esprits, elle confirme que ça valait la peine, tout en me remerciant de l'avoir emmenée ici. « Avec plaisir. » Je laisse mon regard errer sur les gratte-ciels, juste en face, et le ramène sur Amy. « C'est mon petit coin secret. » Elle ne l'a sûrement pas remarqué, mais le sentier qu'on a parcouru n'est pas balisé. Ce qui veut dire qu'officiellement, ni le centre équestre ni ses clients n'ont le droit de se balader par là. Seuls les occupants du domaine et leurs invités peuvent l'emprunter, à l'instar d'une propriété privée normale.

Autrement dit, et puisque mon père est la seule personne de mon entourage à monter à cheval mais qu'il est trop actif pour vouloir rester en haut d'une colline à ne rien faire, j'ai la jouissance exclusive de ce Paradis sur Terre. « Cet endroit compte beaucoup à mes yeux. C'est ma bulle. » J'ai toujours aimé cette image. Celle de la bulle, cette forme ronde et protectrice qui m'enveloppe, qui me coupe du reste du monde jusqu'à ce que je me sente prête à y retourner. « C'est là que je viens quand je ne me sens… pas en forme. Quand j'ai besoin de me remonter le moral, de prendre du recul, ou de réfléchir à une situation compliquée. J'ai pris la plupart des décisions les plus importantes de ma vie précisément où tu te tiens. » Un petit sourire étire mes lèvres. Mes iris, eux, restent plantés dans ceux de ma belle-fille. « Je suis souvent venue avec des soucis en tête, des doutes. Des problèmes à résoudre. Et aussi étonnant que ça puisse paraître, je ne suis toujours repartie qu'avec des solutions. » Je conclus d'une voix assurée.

Je ne me suis jamais autant confiée sur ce lieu et sur ce qu'il représente à qui que ce soit, pas même à Elie. Bien sûr, je ne peux pas pousser Amy à s'ouvrir aussi, et je ne lui en voudrais pas de ne pas aller jusque-là. Mais je nourris l'espoir qu'elle réalise, un jour, que je peux être autre chose que simplement la compagne de son père. Que je peux être un ajout positif à sa famille : présente en cas de besoin, à l'écoute, prête à l'accompagner quel que soit l'obstacle en travers de son chemin.


@Amy Castle