Y’a rien à faire, j’ai dû mal à me sortir le futur mariage de Damon de la tête. Plus j’essaye de ne pas y penser et plus ça s’incruste dans mes pensées. Ça tourne en boucle depuis quelques jours au point de ne pas arriver à me concentrer sur les préparatifs du black friday. En temps normal, j’aurais déjà commencé à coucher sur papier plusieurs de mes idées. Là, la feuille est encore vierge et tout ce que j’ai envie de faire c’est lister les différentes théories qui l’ont poussé à faire sa demande aussi rapidement. C’est l’arroseur arrosé, si au début je pensais que c’était moi qui finirais par me moquer de lui, il faut croire que derrière son visage angélique se cachait un esprit machiavélique. J’ai l’impression que les données enregistrées à son sujet étaient erronées. Le nez en l’air, j’observe mes collègues aller et venir au rythme de leurs inspirations. La réunion d’ouverture a eu lieu hier et le moodboard commence doucement à se remplir, ce qui n’est pas pour déplaire au patron. J'essaye d'éviter de poser mes yeux sur les croquis de bagues qui me replongent sans cesse dans un acheminement de mauvaises pensées que j’aimerais bien éviter. Le bruit assourdissant des piaillements me pousse à me lever pour rejoindre le rez-de-chaussée.
« Un latté sans sucre et un café allongé, s’il vous plait » Je passe mon badge de salarié sur le lecteur alors que la femme me tourne le dos pour préparer les boissons chaudes. J’en profite pour jeter un coup d’œil à la salle à la recherche d'une tête blonde même si à présent je le fais plus par habitude que par envie. Un mec me fait signe de me retourner pour que je puisse récupérer ma commande et lui laisser la place. J’attrape les gobelets toujours perdu dans mes pensées pendant que les personnes autour de moi s'impatientent devant les ascenseurs. « C’est pour bientôt apparemment » Je lève les boissons en l’air pour me faufiler tout au fond de l’élévateur, la meilleure place, celle qui évite de devoir sortir à chaque fois qu’on s’arrête à un nouvel étage. « Le petit veinard, c’est qu’elle est hyper canon sa fiancée. » Le mec se penche pour zieuter le portable de son pote, pas besoin de me mettre sur la pointe des pieds pour pouvoir espionner par-dessus son épaule. Il fait défiler les photos instagram d’une blonde aux yeux bleus jusqu’à ce que son visage laisse place à une bague dont la pierre précieuse vaut bien plus que toute la fortune que je n’aurai jamais en ma possession. « Ils vont bien ensemble » ajoute la fille à côté d’eux. Je fais l’erreur de reposer mes yeux sur l’écran de l’employé pour y découvrir l’image d’un couple heureux. Je sais pas ce qui m’écœure le plus sur cette photo, le grand sourire de Damon ou la légende qui figure juste en dessous. « Ils se ressemblent tellement qu’ils pourraient être frère et sœur. » Ils me dévisagent tous les trois, alors que je les pousse pour me frayer un chemin vers la sortie grimpant les dernières marches qui me séparent de l’open space. C’est trop pour mon égo, j’en ai ma claque de les entendre bavasser à tout va comme si son mariage était l’évènement de l’année.
C’est la respiration saccadée que j’arrive devant le bureau du patron. « Livraison de café, vous en voulez ? » que je lui propose en passant ma tête dans l’embrasure de la porte. Ça fait très lèche bottes, j’en suis conscient mais je m’en moque pas mal si ça peut me donner l’occasion de procrastiner un peu plus longtemps. Je compte bien sur l’enthousiasme infaillible de Marcus pour me changer les idées, malgré son rôle de patron, il trouve toujours le moyen de se montrer présent. On m’a souvent dit de me méfier de ses sourires, les gens racontent même qu’il est doué en affaire, mais que c’est dans les faux semblants qu’il excelle le plus souvent. Ce qui n’a pas eu pour effet de m’en éloigner puisque je serais la dernière personne à pouvoir le juger. Y’a rien de vrai dans les relations que je crée au sein de la société, elles sont toutes biaisées par l’adversité sauf celle qui faisait exception à la règle et que je pensais entretenir avec le fils du grand requin. « Je voulais aussi revenir avec vous sur la réunion du black friday.» Je relève les yeux vers lui, les boissons toujours dans les mains. « Est-ce qu’il serait possible de me mettre dans l’équipe qui s’occupe des colliers plutôt que dans celle qui se charge des alliances ? » Ma demande est un tant soit peu culottée pour un salarié qui n’est là que depuis quelques mois, mais je me connais assez bien pour savoir que ce serait plus profitable à la boite d’accepter ma requête que de la refuser.
Il s’était perdu dans la contemplation des plans de réaménagement des boutiques -depuis combien de temps, il ne saurait le dire. Les perspectives sous différents angles fournies par le cabinet de design d’intérieur permettaient de se projeter aisément dans ce que seraient les futurs espaces de vente. Se projeter un peu trop, peut-être, tant l’esprit de Marcus s’était mis à vagabonder, d’abord le long des comptoirs puis ailleurs, loin. Sa tête était logée au creux de la paume de sa main, l’autre venait régulièrement, machinalement, gratter les recoins de sa barbe. Ses pensées étaient embouteillées, comme il disait. Des kilomètres d’idées, d’hypothèses et d’appréhensions en file indienne attendant chacune leur tour d’être passées au pressoir. Il n'appréciait guère cet encombrement, le Leckie, mais la période était propice ; comme tous les ans, il s’agissait des semaines les plus chargées du calendrier concentrant la pression de la rentrée, des soldes et des fêtes tout à la fois. Son entourage ne lui facilitait pas la tâche. Il n’avait jamais été du genre à se faire du souci pourtant ; fervent adepte du laisser-faire, chacun menait sa barque comme il l’entendait et lui se contentait d’être là. En toutes circonstances, il était là. Désormais son frère était coupable de délit de fuite, sa soeur piquait une nouvelle crise d’adolescence, et son meilleur ami, au milieu de tous ses excès, mariait son filleul sans l’accord de qui que ce soit. Les étoiles s'étaient alignées pour des révélations coup sur coup. Et au fond, rien ne dépendant de lui, tout lui glissait entre les doigts. Mais le laisser-faire n’avait jamais été aussi compliqué à appliquer. Au moins, dans les locaux de Michael Hills, Marcus jouissait du parfait contrôle de ses équipes, de son planning, de son budget ; de tous les aspects, même les plus petits, comme un horloger disposant les rouages de sa nouvelle machine. La fourmilière qu’était le service marketing lui apportait du réconfort. Il se surprit à errer dans ses pensées -loin d’être une habitude de sa part- lorsque la voix d’Angus résonna dans son bureau, le faisant légèrement sursauter. « Livraison de café, vous en voulez ? - Volontiers ! » Pas besoin d’émerger, l’énergie de l’australien ne lui faisait jamais défaut ; il sauta sur ses deux jambes et fit le tour du bureau pour subtiliser l’un des gobelets. Sans se demander si elle lui était bel et bien destinée, il s’empara de la plus claire des boissons. “Oh, latte, parfait, comment t’as su ?” Perche tendue à un peu de lèche supplémentaire, Marcus ne percevait jamais d’un mauvais oeil d'être caressé dans le sens du poil ; il voyait au travers de toute hypocrisie de ce genre comme de l’eau claire. On n’apprend pas au vieux singe à faire la grimace, après tout. Rapidement, il porta le café à ses lèvres et sirota une petite gorgée brûlante. L’amertume sur ses papilles prodiguait une vague de réconfort supplémentaire. “Hm… C’est a-do-rable de ta part mon Gusgus.” Adorable, oui, mais jamais sans arrière pensée. Alors Mac s’asseya sur le rebord de son bureau, voyant qu’Angus n’était pas sur le départ après avoir déposé son présent. Maintenant, qu’est-ce que tu me veux ? signifiait tacitement sa gestuelle.
« Je voulais aussi revenir avec vous sur la réunion du black friday. Est-ce qu’il serait possible de me mettre dans l’équipe qui s’occupe des colliers plutôt que dans celle qui se charge des alliances ? » Grain de sable dans les rouages. Le Leckie fronça les sourcils tandis qu’il soufflait doucement sur sa boisson. Avant d’accéder à quelconque demande, il se devait de connaître les raisons qui la motivaient, quelle guéguerre de cour de récréation avait encore sévi dans l’open space ou s’il s’agissait d’une crise d’égo comme il en explosait douze à l’heure chaque jour. “C’est bien moins prestigieux, Gus. C’est pas dans ton intérêt.” argumenta Marcus d’entrée de jeu. Il faisait dans le favoritisme et n’avait aucune honte à l’afficher ; c’était aux autres de se demander ce qui leur manquait pour se faire remarquer, pour sortir du lot. Il prenait soin à faire en sorte que chacun se sente spécial et valorisé, c’était son truc à lui, ce qui rendait son management particulier ; mais dans les faits, seule une poignée d’employés accédait à ses bonnes grâces. Le reste se contentait de la superficialité de sa sympathie, son équivalent très personnel de l’indifférence, option langue de bois. “On est connus pour le travail du diamant ici, je t’apprends rien. Qui dit diamant dit alliances. Le titre de notre site contient le mot “alliances”, et le premier onglet de celui-ci est aussi “alliances”. On ne fait pas meilleure visibilité.” En somme, Angus n’avait pas la moindre raison de se plaindre de son sort, encore moins de vouloir en changer. De plus anciens employés vendraient leur mère pour ce genre d'opportunités. “Je t’ai précisément mis dans cette équipe parce que je pense que ça te donnera une occasion de te faire remarquer, et si c’est une question de manque de confiance en tes capacités je t’assure que, oui, tu as tout ce qu’il faut pour assurer cette campagne.” Peut-être en attendait-il beaucoup du jeune homme, cependant ces attentes étaient à la hauteur de ses espoirs à son sujet. Les Millenials étaient si sentimentaux, Marcus s’en était déjà fait la remarque. Il fallait constamment les rassurer, les biberonner, les remotiver. Des missions qu’il endossait sans problème, mais non sans soupirer longuement à la fin d’un énième coaching de petit jeune en mal de confiance en soi. “Pourquoi tu voudrais changer pour un bijou qui a bien moins de valeur au sein de la boîte ?” Car concrètement, la seule chose dont la direction se fichait moins que des colliers, c’était des bracelets, et les boucles d’oreille étaient en tête de la trinité des bijoux, cadeau par excellence des maris culpabilisant de ne pas accorder assez de temps à leur douce.
« Volontiers ! » Je n’ai pas le temps d’aller à sa rencontre qu’il se tient déjà debout devant moi, ses doigts se refermant sur l’un des deux gobelets. "Oh, latte, parfait, comment t’as su ?” À l’entendre, on pourrait penser que nous sommes proches tous les deux alors qu’en réalité le tutoiement n’est qu’une coutume chez le patron, bien loin de toute marque de favoritisme à mon égard. « Un magicien ne révèle jamais ses secrets, monsieur. » Il doit s’en douter, mais il n’y a malheureusement aucune once de magie dans le choix de la boisson chaude. Si tel était le cas, j’en profiterais pour l’utiliser à bon escient comme ajouter une somme astronomique à mon compte en banque d’un claquement de doigts ou trouver la solution pour sortir ma mère de sa descente aux enfers. Non, il se trouve que je n’en savais rien jusqu’à ce que la femme de la cafétéria me fasse grâce de sa réponse. Néanmoins, j’aurais préféré qu’elle se soit trompée et que son choix s’arrête sur le café allongé, mais je suis prêt à lui laisser ma boisson si c’est pour le voir accepter la requête que je m’apprête à lui demander. “Hm… C’est a-do-rable de ta part mon Gusgus.” Les traits de mon visage se déforment en une grimace comme à chaque fois qu’il fait usage de ce surnom enfantin. Il m’est toujours difficile de savoir s’il l’utilise de façon affectueuse ou dans le but d’accentuer une hypocrisie que les employés ont le don de lui reprocher dès lors que Leckie a le dos tourné. Pour leur défense, Marcus est un de ces hommes difficiles à cerner, sa jovialité semble être sans répit et les gens trop heureux sont ceux dont on finit toujours par se méfier. Il s’assoit sur le rebord de son bureau tandis que je ne le quitte pas des yeux portant mon gobelet sur le bout de mes lèvres. Ce n’est pas humain de sourire autant sans parler de son rire qui a l'air trop forcé pour sonner vrai. Pourtant j’aimerais croire que les membres de mon équipe se trompent à son sujet, que notre patron fait partie de ces spécimens rares ayant la capacité d'être tout le temps heureux. “C’est bien moins prestigieux, Gus. C’est pas dans ton intérêt.” C’est vrai. Je referme la porte derrière moi avant de m’adosser contre celle-ci. Sa réponse est légitime, ma demande l’est un peu moins. Je me reconnais plus ces derniers jours, c’est pas de moi que de vouloir être rétrogradé à un projet beaucoup moins ambitieux. Je bois une gorgée de mon café pour simple réponse, mes yeux ayant quittés son visage pour venir admirer ses pieds. “On est connus pour le travail du diamant ici, je t’apprends rien. Qui dit diamant dit alliances. Le titre de notre site contient le mot “alliances”, et le premier onglet de celui-ci est aussi “alliances”. On ne fait pas meilleure visibilité.” Non, il ne m’apprend rien. Ma mâchoire se serre malgré moi à chaque répétition de ce mot qui n’a plus du tout la même sonorité et dont la prononciation me ramène à un sujet auquel j’aimerais ne plus avoir à penser. “Je t’ai précisément mis dans cette équipe parce que je pense que ça te donnera une occasion de te faire remarquer, et si c’est une question de manque de confiance en tes capacités je t’assure que, oui, tu as tout ce qu’il faut pour assurer cette campagne."Le café allongé prend rapidement le goût de la culpabilité. Ces mots me touchent plus qu’il ne pourrait l’imaginer. C’est bien pour cette raison que je ne veux pas me laisser monter la tête par ce qu’on peut dire sur lui, car il a toujours su se montrer présent. Marcus pousse ses employés à devenir meilleur en se montrant disponible et à l’écoute contrairement à d’autres qui profiteraient de ce pouvoir pour menacer et rabaisser leurs salariés à la première occasion. J’ai l’impression d’être un de ces morveux, peu reconnaissant, qui vient cracher dans la soupe alors qu’il est bien mieux loti que ses voisins. “Pourquoi tu voudrais changer pour un bijou qui a bien moins de valeur au sein de la boîte ?” Je relève le nez tentant de trouver les mots justes pour répondre à sa question. « Vous avez combien de temps devant vous ? » Ma main de libre vient trouver ma nuque alors que je quitte la porte pour venir prendre place sur le rebord d’une commode contenant certainement des dossiers auxquels je n’aurais jamais accès. « Pour commencer, sachez que j’ai conscience de la chance que j’ai de pouvoir travailler dans votre équipe. » J’aime ce boulot et je ne l’échangerais pour rien au monde même s’il y a des jours plus compliqués que d’autres, que la compétition est rude et qu’il y a des soirs où il m’arrive de rentrer trop tard pour pouvoir passer du temps avec Samuel. Je me racle la gorge ne sachant pas vraiment par où commencer. « J’ai un ami d’enfance qui vit une passe difficile. Il s’est amouraché d’un mec ce qui, en le connaissant bien, n’est pas du tout son genre. Seulement voilà, il se trouve que le type en question est sur le point de se marier à une fille sortie de nulle part. » Je n’ose pas le regarder préférant mettre toutes les chances de mon côté pour rendre mon récit le plus crédible possible. En soi, c’est la vérité à quelques détails près. Je ne cite simplement pas les noms des protagonistes et l’ami d’enfance se trouve être la personne qui se tient devant lui. « Il m’a tellement bassiné avec son histoire que j’ai du mal à voir plus loin que ce qu’il est en train de vivre. À chaque fois que je tente de trouver des arguments qui feraient vendre un bon nombre de nos diamants, c’est son discours péjoratif sur le mariage qui me vient à l’esprit. » Je porte le gobelet à mes lèvres pour boire une nouvelle gorgée de ma boisson chaude. J’ai beau essayé, je n’arrive plus à trouver de points positifs à cette coutume qui vise à lier deux personnes pour la vie. Ça fait un moment que je ne suis plus friand des mariages, j’y ai cru en étant gosse et puis mon père s’est barré me faisant comprendre à quel point les vœux pouvaient vite être bafoués. « Comment on fait ? » Les mots sortent sans que je puisse m’en rendre compte. « Je veux dire, comment fait-on pour vendre quelque chose auquel on ne croit plus ? » Parce que c’est là que réside tout le problème. Des diamants, je pourrais en vendre des tas, créer des slogans, des affiches qui inciteraient même les plus frileux à s’en procurer. C’est l’alliance et tout ce que cela peut représenter que je n’arrive plus à mettre en valeur. « Vous y croyez vous, en l’amour, au mariage ? » Et si ce sentiment n’était qu’un concept inventé par des gens comme nous ou par des Saül Williams en puissance ayant pour seul objectif celui de vendre des pierres précieuses à une clientèle en manque d’affection. Parce que c’est ça, non ? Se faire de l’argent en faisant miroiter un avenir meilleur alors qu’en réalité nous ne faisons que rémunérer indirectement les notaires en poussant nos clients vers un probable divorce qui leur coûteront encore quelques billets de plus. Un partenariat caché entre des professionnels qui, pour s’acquitter de leurs loyers, se payent la tête de personnes bien trop naïves pour ne pas passer entre les mailles du filet.
« Vous avez combien de temps devant vous ? - De combien de temps tu as besoin ? » Il était toujours entre deux, le Leckie. Entre deux réunions, deux mails, deux projets, deux drames dernièrement. Il ne supportait pas être en retard mais s’avérait toujours sur le fil du rasoir. Il courait ici, là, répondait présent, fournissait les livrables à l’heure, et trouvait un moyen de se rendre disponible pour le reste quitte à distendre les journées. Il n’était plus certain qu’elles ne fassent que vingt-quatre heures au final. Le temps n’était jamais une excuse à ses yeux. Seulement les priorités. Et bien sûr, malgré son affection professionnelle pour Angus, le jeune homme n’était pas au sommet de la liste. Il était cependant une excellente distraction vis-à-vis de tout ce qui était supposé l’être, tout ce qui encombrait l’esprit de Marcus. Ce n’était pourtant pas sa tasse de thé, de jouer les thérapeutes de son équipe. Il écoutait d’une oreille, souriait, hochait de la tête, oubliait aussitôt faute d’en avoir quelque chose à faire. Au moins avait-il le mérite de prendre le temps. « Pour commencer, sachez que j’ai conscience de la chance que j’ai de pouvoir travailler dans votre équipe. » Si tout le monde à cet étage pouvait avoir conscience de sa chance de travailler sous les ordres de quelqu’un comme Marcus plutôt qu’un Anchise ou un Saül, le monde s’en porterait bien mieux. Mais pester sur le dos de son directeur de service était une tradition à laquelle lui-même s’était adonné lorsqu’il grimpait les échelons, alors il ne se formalisait pas de ce que l’on pensait de lui. Il avait passé l’âge. En revanche, il acceptait toujours aussi bien la flatterie. D’un geste de la main, café dans l’autre, il invita Angus à poursuivre ce qui se profilait comme une tirade qui lui laisserait le temps de boire quelques gorgées sans rien avoir à rétorquer. « J’ai un ami d’enfance qui vit une passe difficile. Il s’est amouraché d’un mec ce qui, en le connaissant bien, n’est pas du tout son genre. Seulement voilà, il se trouve que le type en question est sur le point de se marier à une fille sortie de nulle part. » Derrière son gobelet, Marcus prit une longue inspiration. Il voyait les pièces du puzzle s’emboîter. Il en avait le coeur serré. Tu sais qui il fréquente ? qu’il entendait Saül marteler lors de leur dernière conversation à ce sujet. Je n'ai pas besoin de t'expliquer que c'est un mauvais choix. Quel choix ? Angus était un bon gosse. Qu’il soit résumé à ces propos était particulièrement injuste aux yeux du Leckie. Il avait conscience cependant que Angus n’était pas le problème, il n’avait probablement rien à se reprocher. Rien hormis de ne pas être du bon bord selon l’italien. Il détourna son regard une seconde, le temps de déterminer s’il jouerait le jeu du ouï-dire que proposait Angus en se réfugiant derrière l’histoire d’un prétendu ami, ou s’il leur épargnerait la mascarade en parlant franchement. Cela ferait sûrement plus de mal que de bien, songea-t-il. Et il ne souhaitait pas que Angus se sente mal à l’aise face à lui à l’avenir. « Il m’a tellement bassiné avec son histoire que j’ai du mal à voir plus loin que ce qu’il est en train de vivre. À chaque fois que je tente de trouver des arguments qui feraient vendre un bon nombre de nos diamants, c’est son discours péjoratif sur le mariage qui me vient à l’esprit. » Il y avait de quoi en être dégoûté, oui, Marcus ne pouvait pas le nier. Il avait essayé mais n’avait pas eu son mot à dire. Le tout sonnait particulièrement Moyenâgeux. « Comment on fait ? Je veux dire, comment fait-on pour vendre quelque chose auquel on ne croit plus ? » L’australien ne se souvenait pas s’être posé pareille question un jour. Pourtant cela semblait être un questionnement par lequel toute personne du milieu passait un jour, un trébuchement avant une forme de réalisation de la réelle hypocrisie et la cruauté de cette branche. La raison pour laquelle tout et tout le monde paraissait si faux. Non, Marcus n’était jamais passé par là parce qu’il s’était orné de masques dès le départ. Privé, secret, empathique, il avait rapidement eu besoin d’un persona l’aidant à naviguer et évoluer dans son métier. Alors il pouvait tout vendre, de l’aspirateur au fast-food ; il n’avait pas besoin de croire. « Vous y croyez vous, en l’amour, au mariage ? » Boum. Heavy stuff. "Ça dépend des jours.” souffla le brun avec une rare honnêteté. Cependant la dernière fois qu’il y avait cru remontait à bien des années maintenant. L’espoir n’était plus au rendez-vous depuis longtemps, mais la notion même de l’amour, elle, était immuable. “Tu sais Gus, on a tous notre lot de déceptions. Ton ami, ce ne sera pas la dernière qu’il vivra. C’est comme ça. On se décourage parfois. Moi, je n’ai jamais eu de chance dans ce domaine.” On pouvait même affirmer que la seule chose que Marcus avait un jour épousé était son travail. Norah ne désespérait pas qu’il se trouve enfin quelqu’un. Lui s’était résigné à croire que le concept de couple n’était pas pour lui. Ce qu’elle ne pouvait pas comprendre, bien sûr, elle qui avait filé le parfait amour. “Ma sœur, elle, elle a trouvé l’amour de sa vie quand elle était toute jeune, elle s’est mariée, elle a eu deux enfants. Son mari est décédé maintenant, ça a été tragique -ça l’est toujours. Mais ça n’a rien changé à ses sentiments et à la valeur de leur mariage, tu peux le voir dans ses yeux quand elle en parle.” Lorsque la nostalgie reprenait le dessus, lorsque Frank leur manquait. Elle l’aimait toujours comme au premier jour, même s’il n’était plus présent depuis des années. Marcus pourrait également citer ses propres parents, toujours ensemble, toujours amoureux ; quatre enfants et des décennies de mariage avec des hauts et des bas. Il n’était néanmoins pas sans exemples d’histoires gâchées ; celle de Caelan avec son ex-femme, et Percy avec la sienne. Les hommes Leckie n’avaient pas gagné la loterie des amours. “Quand je vois ça, je ne peux pas décréter que l’amour n’existe pas ou que le mariage est une institution obsolète, il reprit à propos de Norah. Il y a simplement des personnes plus chanceuses que d’autres, et c’est pour ces personnes-là qu’on trouve le meilleur moyen de mettre en valeur quelque chose d’aussi symbolique qu’une bague.” Le café trouva ses lèvres. Mac félicita intérieurement Angus d’avoir eu la présence d’esprit de fermer la porte du bureau. Lui qui ne mentionnait jamais les détails de sa vie privée, sa famille, encore moins ses amours, se passait bien que les oreilles baladeuses s’emparent de ses confessions afin de l'humaniser une seule seconde.
J’observe Marcus, encore surpris de m’être livré à lui aussi facilement. Ça fait du bien, de pouvoir en parler même si c'est de façon détournée. Sans le savoir, Leckie vient de m’ôter d’un poids. Je porte ma boisson chaude à mes lèvres tout en analysant les mots que je viens de prononcer. Une grimace déforme mon visage lorsque je me rejoue l’avant dernière phrase que je viens de prononcer. Un aveu maladroit plus qu’une critique à l’encontre des bijoux qui font la réussite de la société. Ma vision du mariage n’est que le reflet de l’exemple qu’on m’a donné, des vœux bafoués par un diagnostic posé, un père qui tire sa révérence à la première difficulté et une mère qui comble son chagrin dans les bras de Morphée. "Ça dépend des jours.” Je relève la tête vers l’homme qui se tient face à moi. Étonné de ne pas l’entendre plaider une cause qui est la source primordiale de nos revenus mensuels. J’admire son honnêteté ainsi que l’ambivalence qui se dégage de sa réponse. “Tu sais Gus, on a tous notre lot de déceptions. Ton ami, ce ne sera pas la dernière qu’il vivra. C’est comme ça. On se décourage parfois. Moi, je n’ai jamais eu de chance dans ce domaine.” C’est la première fois que je l’entends parler de sa vie privée, un sujet qui a longtemps suscité une curiosité chez les employés de la Michael Hill. Cela pouvait aller des interrogations sur son orientation sexuelle jusqu’à des paris lancés sur une pseudo relation au sein de l’entreprise. Anchise arrivait toujours premier suivi de près par Phoebe et si les avis étaient partagés, tout le monde s’accordait à dire qu’Anja se tapait Saül et non Leckie. Quant à moi, je préférais profiter de ces moments d’étourdissements pour prendre de l’avance et doubler la concurrence car plus ils étaient occupés à spéculer et moins ils travaillaient. “Ma sœur, elle, elle a trouvé l’amour de sa vie quand elle était toute jeune, elle s’est mariée, elle a eu deux enfants. Son mari est décédé maintenant, ça a été tragique -ça l’est toujours. Mais ça n’a rien changé à ses sentiments et à la valeur de leur mariage, tu peux le voir dans ses yeux quand elle en parle.” Je tente de l’imaginer dans son rôle d’oncle, mais aussi de frère. Si je l’ai toujours vu comme quelqu’un ayant le sens du détail, je me rends compte à présent que cela ne s’arrête pas seulement aux mots employés dans un slogan. Son récit est tout aussi tragique que ce qu’il peut être magnifique, j’ai déjà du mal à envisager qu’un mariage puisse fonctionner sur toute une vie alors qu’il puisse marcher même lorsque le destin en a décidé autrement m’est inenvisageable. J’aurais aimé que mon père puisse porter le même amour à sa femme ainsi qu’à ses enfants, qu’il puisse tenir parole et la chérir pour le meilleur comme pour le pire. “Quand je vois ça, je ne peux pas décréter que l’amour n’existe pas ou que le mariage est une institution obsolète. Il y a simplement des personnes plus chanceuses que d’autres, et c’est pour ces personnes-là qu’on trouve le meilleur moyen de mettre en valeur quelque chose d’aussi symbolique qu’une bague.” Ces mots m’arrachent un rire amer et je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle entre ma personne et la blonde qui s’apprête à épouser Damon. J’aimerais dire qu’elle a eu une chance de cocu alors qu’en réalité, elle a simplement eu du cul tandis que je suis celui qui se rapproche le plus de la somme des deux syllabes. « Et vous pensez que les malchanceux doivent abandonner ? » Je bois une gorgée de ma boisson comme pour marquer un temps d’arrêt. « Il n’arrête pas de me demander s’il devrait se battre ou lâcher l’affaire et j’avoue que je ne sais pas quoi en penser. » Depuis petit, on m’a toujours poussé à ne jamais baisser les bras. Une devise inculquée par le rugby et qui faisait toujours partie des discours d’encouragement que mon grand-père prenait le temps de me conter avant chacun de mes matchs. La compétition est devenue une constante qui s’est avérée bien plus facile à gérer sur le terrain comme au travail mais plus difficile à accepter dans les relations. Et si celle-ci ne me fait pas peur sur le plan professionnel, elle a tendance à me pousser vers la sortie lorsqu’elle s’immisce dans ma vie privée. C’est seulement dans ces moment-là que je préfère déclarer forfait avant même d’avoir essayé. Si la défaite peut être difficile à digérer lorsqu’il est question de performance intellectuelle ou sportive, elle reste totalement indigeste quand il s’agit d’avoir le sentiment de ne pas être assez bien pour que quelqu’un se décide à rester. « Vous n’êtes pas envieux de ces gens qui ont la chance d’aimer et de l’être en retour ? » Je demande sans oser relever les yeux pour le regarder. L’amour, ou tout ce qui peut bien s’en rapporter a toujours suscité en moi une pudeur que je ne saurais expliquer. Non pas que je sois pas en mesure d’éprouver tout sentiment qui pourrait s’en rapprocher, seulement je crois qu’il n’y a rien qui puisse rendre aussi vulnérable que le fait de s’en accommoder. Je suis incapable de dire si ce que j'ai vécu avec Damon se rapproche un tant soit peu de ce que les gens peuvent ressentir quand ils sont amoureux, tout ce que je sais c’est qu’il a réussi à m’atteindre plus que je ne l’aurais cautionné avec toute autre personne. « C’est quand la dernière fois que vous avez gagné à la loterie ? » Je me retourne pour vérifier que la porte soit bien fermée, conscient de l’indiscrétion qui se cache derrière la question que je viens de poser.
Derrière la porte du bureau fermée et face au désarroi d’Angus, d’un de ses poulains, il était étrangement aisé pour Marcus de parler de lui. Il gardait pourtant sa vie privée enfermée à double tour, il ne s’épanchait pas sur ses propres émotions. Et il n'était pas toujours de bons conseils dans le domaine du privé, pas lorsque des employés et des collègues venaient à lui avec leurs problèmes. Il était le plus chaleureux, ouvert et affectueux en dehors du bâtiment de Michael Hills ; une facette dont personne ici ne se doutait. Pourtant il décidait d’entrouvrir cet accès au jeune homme qu’il savait profondément bafoué par la faute de Saül. Ne pas être parvenu à le faire revenir sur sa décision était un regret qu’il portait. Il laissait faire, lui-même blessé. Il mettait le dénouement entre les mains de Damon et espérait encore que le mariage n’ait jamais lieu. « Et vous pensez que les malchanceux doivent abandonner ? » demandait Angus, ce qui ne faisait que souligner toute sa jeunesse. Avant trente ans, tout semblait important et forcément tragique. Chaque obstacle était une montagne, chaque déception était une épreuve. Ce n’était plus tard que l’on revenait sur ces réactions et pensées extrêmes avec un rire attendri. “Abandonner ? Non, bien sûr que non.” Il prétendait ne jamais avoir abandonné. Mac avait simplement cessé de chercher. « Il n’arrête pas de me demander s’il devrait se battre ou lâcher l’affaire et j’avoue que je ne sais pas quoi en penser. » Comme si le choix lui appartenait. Non, Angus se frottait à Saül, aux Williams de manière générale, et si cette affaire devait lui apprendre une chose essentielle c’était de tourner les talons et prendre ses jambes à son cou. Il ne devait pas plonger dans ce monde-là, y perdre son temps, son énergie, son potentiel. Damon le choisirait s’il le voulait vraiment. Et s’il ne le faisait pas, alors il ne servait à rien de combattre le courant. “Il y a trop de poissons dans l’océan pour se battre pour quelqu’un qui ne te rend pas ton affection comme il se doit, fit le Leckie en rendant ainsi sa pensée aussi générique que possible pour continuer de feinter son ignorance de la situation qui se tramait réellement. C’est ce que je lui dirais, à ton ami.” C’était l’hôpital qui se foutait de la charité lorsque l’on considérait que Marcus était le premier à malmener les sentiments qui lui étaient portés dès qu’une histoire devenait trop sérieuse à son goût -mais cela demeurait un bon conseil, non ? Du moins, il espérait être en mesure de faire relativiser Angus sur son sort. S’il le voulait, il pourrait remplacer Damon en une semaine avec le coup de pouce de quelques apps. Un grand romantique, ce Leckie. « Vous n’êtes pas envieux de ces gens qui ont la chance d’aimer et de l’être en retour ? » Il leva un sourcil. Est-ce que Gus était en train de lui citer Moulin Rouge exprès ? Est-ce qu’ils allaient soudain se mettre à chanter ? “Non.” répondit-il sans laisser planer l’ombre d’un doute. Si, parfois, qu’il songeait silencieusement. “L’amour a bien des formes et moi, j’offre tout ce que j’ai à donner à ma famille et à mes amis. C’est amplement suffisant.” En soi, ça l’était. Marcus n’avait pas la sensation qu’il manquait un élément vital à son existence, il ne portait sur ses épaules aucun regret des choix qu’il avait fait et qui avaient systématiquement favorisé son travail à la romance. De toute manière, s’il se mettait à regarder en arrière en remettant en question chacune de ses décisions, la seule chose qu’il s’avancerait serait une dépression. La rétrospective n’était pas au programme, sauf peut-être pour Angus qui s’engouffrait dans la brèche que son patron avait laissée ouverte. « C’est quand la dernière fois que vous avez gagné à la loterie ? » Pour être tout à fait honnête, Marcus n’avait pas souvenir d’avoir tiré le gros lot un jour. Peut-être n’avait-il pas été en mesure de le voir, ou peut-être l’avait-il saboté comme à chaque fois. En y réfléchissant, il reprit une gorgée de café et fit le tour de son bureau pour se réfugier derrière. S’il admettait qu’aucune de ses histoires en quarante années de temps n’avait été en mesure de dépasser le cap des trois mois, il passerait sûrement pour un homme fort seul et triste -ce qu’il n’était pas. Hors de question que ce soit cette image qui quitte ce bureau. “Tu vois, ça n’a jamais été important pour moi, il répondit finalement. Trop de personnes font tourner leur univers autour de la romance et consacrent leur vie à chercher leur moitié. C’est une priorité comme une autre, mais surcotée, si tu veux mon avis.” Banalisée, surtout. Et oui, l’amour était une belle chose, un moteur puissant. Mais d’où il se tenait, c’était des personnes comme lui, l’univers entier du marketing, qui avait mis la notion de couple dans la lumière pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la beauté de la chose. Non, un couple ou des époux étaient des cibles idéales ; il était plus simple de leur vendre des habits pour s'apprêter lors de la période de drague, puis il y avait tout le commerce annuel autour de la Saint-Valentin qui alimentait tant de branches de l’économie. Un couple consommait plus, s’offrait des cadeaux, avait des enfants pour lesquels ils devaient acheter plus de choses encore. Comme pour tout dans son travail, Marcus ne ressentait pas le besoin d’être d’accord pour être professionnel et faire ce qu’il devait faire. C’était sans doute la preuve d’un manque de principes, d'engagements, d’intérêt quelconque envers la société ; impossible à dire. Il estimait surtout que rien de tout ceci ne le définissait comme homme. “On devrait être tout aussi encouragés à vivre pour soi-même, pour sa famille, s’entourer d’amis, prioriser son travail ou voir le monde. Avoir un couple n’est pas une fin en soi. C’est une agréable addition à une vie qui demeure épanouissante, avec ou sans.” Et ça, c’était son ultime conviction. “Mais pour notre cible, bien sûr, love is all.” conclut-il en s’asseyant sur sa chaise de bureau. De l’autre côté de la pièce, il détailla Angus encore une fois. Damon était stupide, mais qui ne l’était pas à cet âge ? Saül était un abruti tout autant, et là encore, il pouvait commencer à le qualifier de vieux con. Un certain nombre de vies allaient être bouleversées par ce mariage mais pour le jeune homme, cela n’était pas une fatalité. Il s’en remettrait, se disait le Leckie. Il finira par tomber amoureux de quelqu’un d’autre et oublier tout ceci, parce que c’est ce que les gens font. “Tu veux toujours que je te retire de l’équipe des alliances ?”
Si on m'avait dit qu'un jour, je me retrouverais à demander des conseils sur ma vie personnelle auprès de mon patron, je n'y aurais jamais cru. Pourtant, c'est bel et bien ce que je suis en train de faire. C'est dire à quel point je suis désespéré, non pas que Leckie soit de mauvais conseils puisqu'il me surprend en me prouvant le contraire à chaque fois qu'il se met à parler. Seulement, y'a pas plus pathétique que de se morfondre devant son boss aussi patient et compatissant soit-il. Paradoxalement, c'est aussi la première fois qu'on prend le temps de discuter plus de cinq minutes. Et par 'discuter', j'entends 'échanger' et non pas seulement rester assis à l'écouter me parler des nouvelles directives quant au dernier projet lancé. Leckie a beau être l'empereur qui semble le plus abordable, s'il force le respect, il reste aussi celui avec qui on ne sait jamais sur quel pied danser. Ce qui n'est jamais le cas avec Saül, par exemple, parce qu'on a toujours l'impression de le faire chier et qu'il n'a pas besoin de parler pour nous faire comprendre qu'on est en train de le déranger. “Abandonner ? Non, bien sûr que non.” Ce serait pourtant la solution la plus facile, faire une croix sur une relation que peu de personnes pourraient approuver. Je ne saurais même plus dire comment tout ceci à commencer, ni même à quel moment j'ai pu penser que ça pourrait fonctionner. “Il y a trop de poissons dans l’océan pour se battre pour quelqu’un qui ne te rend pas ton affection comme il se doit, Je relève instinctivement les yeux vers lui à l'emploi du pronom personnel n'étant plus destiné à mon 'ami', mais bien à ma propre personne. Ces mots qui, pendant l'espace d'une seconde, me sont directement destinés comme si Marcus avait vu clair dans mon jeu, ne prenant plus la peine de prétendre le contraire. Je n'ai jamais été très bon pêcheur, mais plus du genre à me vanter d'avoir fait quelques belles prises sans que cela ne soit réellement le cas. À vrai dire, je n'ai connu que des poissons-lanternes, ceux qui sont là le temps d'une nuit et qui disparaissent à la lumière du jour. À l'exception de Damon et c'est bien là l'essentiel, le fond du problème. C’est ce que je lui dirais, à ton ami.” Mes épaules finissent par se relâcher alors que ses paroles me ramènent tout droit à l'artifice dont j'ai préféré user pour dissimuler une relation bien plus compliquée que celle que je viens de lui exposer. “Non.” qu'il me répond avec une grande facilité comme si la simple idée d'un jour avoir à envier ces couples qui ont la chance de s'être trouvés était futile, voire dérisoire. “L’amour a bien des formes et moi, j’offre tout ce que j’ai à donner à ma famille et à mes amis. C’est amplement suffisant.” Je ne peux qu'hocher la tête face à des paroles qui font forcément écho car tout comme Leckie, j'ai toujours fait de la famille, une priorité. Chacune de mes actions est pensée en fonction de ceux que j'essaye tant bien que mal de protéger. C'est pourquoi, ce boulot est primordial et aussi la raison pour laquelle je ne peux pas me permettre de me montrer cent pour cent honnête envers Marcus. Saül ne peut -et ne doit- surtout rien savoir de mon histoire avec son fils, parce que c'est ce qui causerait ma perte, mais surtout celle des deux personnes qui comptent sur moi. Quant aux amitiés, je les ai toujours vu comme étant des bonus et non comme une nécessité absolue, c'est aussi probablement pour cela que je me retrouve à me confier à mon patron et non pas à un ami. Pour autant, si je le rejoins sur le fait que les relations privées n'ont jamais été une finalité, je dois tout de même admettre qu'il y a des relations qui laissent un goût amer lorsqu'elle se terminent. “Tu vois, ça n’a jamais été important pour moi, Mon regard se perd sur son bureau, à la recherche de photos de ceux qui, contrairement aux relations amoureuses, ont un intérêt à ses yeux. Trop de personnes font tourner leur univers autour de la romance et consacrent leur vie à chercher leur moitié. C’est une priorité comme une autre, mais surcotée, si tu veux mon avis.” Et nous consacrons la majorité de nos journées de boulot autour de ce même sujet ce qui rend son récit plutôt comique. La romance est surcotée, c'est un fait et nous participons grandement à ce qu'elle le reste, c'en est un autre. Alors certes, nous ne sommes pas les seuls à surfer sur la vague, y'en a d'autres qui ont flairé le bon filon et ce depuis longtemps. Il n'en reste qu'à trop vouloir faire miroiter un concept qui fut un temps me laissait indifférent, j'ai peut-être fini par y prendre goût à mon tour.“On devrait être tout aussi encouragés à vivre pour soi-même, pour sa famille, s’entourer d’amis, prioriser son travail ou voir le monde. Avoir un couple n’est pas une fin en soi. C’est une agréable addition à une vie qui demeure épanouissante, avec ou sans.” Je détourne les yeux, conscient que par 'prioriser son travail', il sous-entend peut-être 'ne pas laisser ses problèmes personnels s'immiscer sur la vie professionnelle au point de vouloir changer d'équipe.' “Mais pour notre cible, bien sûr, love is all.” qu'il ajoute ce qui m'arrache un léger sourire en pensant à l'une des chansons préférées de ma mère. Celle qui figure sur la bande originale de quatre mariage et un enterrement, ce qui se marie plutôt bien à la situation actuelle. Love is all around, et y'a rien de plus vrai puisqu'on fini toujours par retrouver l'amour sur les panneaux publicitaires ; dans les bouquins ; dans les films ou même dans ces couples qui se bécotent au coin de la rue ou sur la terrasse d'un café. “Tu veux toujours que je te retire de l’équipe des alliances ?” "Non." Je finis par lâcher sans vraiment prendre le temps d'y songer. Je sais pas si cette conversation aura pour effet de débloquer les idées que je peine à trouver depuis que j'ai appris qu'il était sur le point de se marier, mais je veux bien réessayer parce que Marcus a raison quand il dit qu'il existe des personnes comme sa soeur, qui méritent qu'on mette tout en oeuvre pour leur offrir un objet aussi symbolique qu'une bague. "Et merci." D'avoir pris le temps de m'écouter et pour les conseils qu'il a su me donner. "J'ai plus qu'à me remettre au travail." Parce que la chance ça va, ça vient et qu'il y a des veinards qui risquent de ne plus l'être demain.