Il me manque un certain nombre de mots pour exprimer correctement tout ce que je pense de Matthew McGrath. Le vocabulaire fleuri n’est pas assez diversifié non plus, pas à mon goût. Il est un pathétique connard égoïste qui abandonne sa famille, ses proches et même le commerce pour lequel il a donné toute son énergie. C’est donc un connard, égoïste et pathétique. On dit souvent qu’on ne doit pas dire du mal des morts, moi je trouve que c’est une idée à la con. C’est trop facile de se cacher derrière la mort ; c’est trop facile d’aller la trouver aussi. Sautez d’un pont ou d’un immeuble de six étages, faites une overdose, placez une corde autour de votre cou. Peu importe, soyez imaginatifs, faites parler de vous. L’issue sera toujours la même. Trouver la mort n’est pas le problème, rester à ses côtés ne l’est pas non plus. Ce qui est dérangeant, c’est toutes les âmes que vous laissez derrière sans la moindre once de remords, ni même de compassion. Et lui, ce sombre abruti, il laisse Ginny autant qu’il laisse Noah. Et ça, il n’y a pas pensé avant de se la jouer Rambo sur une planche de bois, au beau milieu de l’océan. Faut être con pour appeler ça un sport et non un suicide assisté. Sûrement parce que le second est encore interdit en Australie ; ça sonne beaucoup moins légal sur les papiers de la succession. Comme s’il y avait le moindre héritage à tirer de lui, de toute façon.

Ginny me détesterait pour avoir de telles pensées à l’égard de son frère, mais ça tombe de toute façon plutôt bien puisque Ginny n’est pas là non plus. Et, surtout, Ginny ne reviendra pas. A croire que les McGrath ont choisi leur moment pour s’en aller sous les applaudissements autant que les pleurs du public. Ils n’auront ni l’un ni l’autre venant de moi, et tout ce que je fais, je le fais encore pour le plus jeune d’entre tous, l’éternel dommage collatéral qui n’a rien demandé. “J’ai pas touché à ta chambre, tu peux prendre tout ton temps.” On marmonne tous en guise de salutations, le temps où Noah me prenait dans ses bras est loin derrière nous. Il sait ce qu’il s’est passé la dernière fois où nous avons tous passé la nuit dans cette maison et je ne peux pas lui en vouloir de ne pas me pardonner. Il n’a aucune raison de le faire, de toute façon. Mes mots sont bas, doux, attentifs. Je ne jouerai pas de pathos avec lui, mais je veux au moins qu’il comprenne qu’il aura toujours une place entre ces murs, peu importe ce qu’il en pense lui-même. Il vient récupérer ses affaires, il n’est pas viré pour autant. Loin de là.

Le plus dur sera de combler le temps avec Ezra. Lui, pire encore qu’un enfant qui ne me pardonnera jamais, c’est surtout un adulte qui a des yeux noirs mais qui n’est pas fichu de lancer une vendetta sans ramener tous ses petits potes. Avec Matt mort, il fait sans doute bien moins le malin, maintenant. J’ai envie de lui dire que c’est bien fait pour sa gueule et puisque je n’ai aucune retenue, c’est bien ce que je pense. “Comment il vit la chose ?” Noah restera mon seul sujet d’inquiétude. Pour lui, j’en ai rien à foutre qu’il soit triste de la mort de son ami ou du déménagement définitif de son ex petite amie d’il y a une vie. “Pour son oncle, je veux dire.” Pas pour le départ de sa mère à Sydney. J’imagine que la question portait à confusion ; il n’y a qu’un seul sujet dont j’ai envie de parler. Ou que j’accepte de parler.

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Il avait repoussé l’instant jusqu’au dernier moment, jusqu’à temps qu’il ne puisse plus dire à Noah qu’il n’était pas possible pour le moment d’y passer - ajouter ici n’importe quelle excuse faisait l’affaire et sonnant crédible aux oreilles d’un gamin de maintenant onze ans. Malheureusement, Noah n’était plus un gamin et n’avait de toutes façons jamais été dupe, alors il comprenait parfaitement les raisons qui poussaient son père à ne pas vouloir mettre les pieds à Bayside de suite. Cependant, une bonne partie des affaires d’école du petit blond se trouvait dans l’ancienne maison de sa mère, et ils se devaient d’y faire un détour un jour ou l’autre. « On y va et on traine pas, ok ? » Bien sur qu’il comprenait tout, Noah, alors qu’il venait hocher la tête avec le sourire le plus compatissant et rassurant qu’Ezra ait pu connaître, prenant sa veste et se mettant à courir dans les escaliers de l’immeuble afin de rejoindre la voiture.

« J’ai pas touché à ta chambre, tu peux prendre tout ton temps. » Furent les premiers mots prononcés, alors que la porte était déjà ouverte depuis presque une bonne minute sur les deux Beauregard. Si Noah semblait hésitant quant à la démarche à suivre, ne sachant trop sur quel pied danser - et il n’y avait aucun mal là dessus, il s’était retrouvé dans une situation qui ne le concernait en rien du haut de son jeune âge -, Ezra n’avait aucun mal à savoir où il voulait se positionner dans cette histoire. Si bien que ses yeux d’habitude bleu océan avait tourné au noir tempête, ne lâchant pas un instant la silhouette de Auden, les bras croisés sur son torse. Le gamin finit, après une énième seconde d’hésitation, par courir en direction de la chambre qu’il avait occupé quelques temps - sa chambre, d’autres diraient, qui n’en serait plus rien dès qu’ils seraient tous les deux de retour à Fortitude. Le regard de l’aîné de la famille n’avait pas lâché le Williams, durant tout ce temps. Il n’avait jamais connu ordure pareille, il était la pire de son espèce. Déjà qu’avant, il avait toujours eu du mal à le supporter, il avait de gros - gros - efforts pour Ginny mais depuis que cet abruti avait tout gâché, il ne fallait pas espérer la moindre once de sympathie de sa part envers Auden. « Comment il vit la chose ? » Que tu sois un enculé de première ? « Pour son oncle, je veux dire. » - « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? » Apparemment, Ezra n’avait toujours pas désenragé de leurs dernières rencontres, et la mention d’un homme devenu souvenir dans sa bouche à lui n’allait faire que mettre de l’huile sur le feu.  « Et t’es pas autorisé à parler de lui. »

Parce-que dans toute cette histoire, aujourd’hui en réalité, ce qui rendait Ezra dans cet état là, c’était la disparition soudaine et douloureuse de Matthew. Bien sur qu’il avait toujours une dent contre le Williams pour ce qu’il avait fait subir à Ginny, et par défaut à Noah également; il ne lui pardonnerait jamais et il lui avait bien fait comprendre. Mais la tournure des derniers événements avait fait que le coeur du Beauregard s’était alourdi d’une autre peine, de laquelle il avait du mal à se défaire. Et à ses yeux, Auden n’était en rien autorisé à venir parler de Matt, surtout pour ce qu’il devait en penser - il était sur qu’il avait en réservé autant de noms d’oiseaux qu’il en avait pour lui, et si d’ordinaire cela l’aurait dérangé qu’ils soient dirigés envers sa propre personne, Ezra aujourd’hui ne souhaitait rien d’autre que de défendre l’image du feu-McGrath. « T’en avais rien à foutre de lui, comme t’en as foutre de personne d’autre, alors joue pas la carte du mec sympa avec moi Auden. »

Je veux bien essayer d’être gentil et de faire semblant de partager son deuil, mais s’il n’y met pas un minimum du sien alors on risque directement de passer à la conclusion : un poing dans sa gueule, un autre dans la mienne. Qu’il m’observe comme un enfant en train de bouder s’il le veut, ce n’est pas son regard noir de pacotille qui risque de me faire trembler. Alors, je fais des efforts supplémentaires et je pose des questions, uniquement centrées sur Noah parce qu’il est le seul dont je me préoccupe un minimum encore. « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? » La journée risque d’être longue, je me retiens de lever les yeux au ciel et de lui décocher un regard assassin à mon tour. S’il n’arrive pas à faire semblant, il risque de très gros ennuis. « Et t’es pas autorisé à parler de lui. » Cette fois-ci, j’esquisse un demi-sourire. “Je te conseille de ne pas me dire ce que je suis autorisé ou non à faire.” Parce que ce qui sera mis dans la deuxième catégorie seront autant de choses que je transgresserai aussitôt. Qu’il ose me dire que je n’ai pas le droit de parler de lui et j’en ferai mon sujet de discussion préféré, quand bien même il me provoque éternellement de l’urticaire.

Le Beauregard monte sur ses grands chevaux, courage que je ne lui connaissais pas - ou peut-être que c’est encore de l’imbécillité, et ça je la lui connais. « T’en avais rien à foutre de lui, comme t’en as foutre de personne d’autre, alors joue pas la carte du mec sympa avec moi Auden. » Depuis quand ose-t-il se placer en maître de la discussion ? Depuis quand a-t-il même le courage de dire quoi que ce soit, d’aligner plus de trois mots, d’enfin tenter de jouer à l’homme fort et au père qu’il ne fait que semblant d’être ? Ses amis devraient mourir plus souvent, sans doute. “J’en ai toujours rien à foutre de lui, si ça peut te rassurer. Ton pote a pas été foutu de nager, tu crois que je vais me mettre à le pleurer et à dire tout un tas de trucs sympas sur lui simplement parce qu’il est mort ?” Il a joué, il a perdu. Ceux qui montent sur une planche de bois pour aller se perdre au milieu de l’Océan et de ses vagues sont stupides mais puisqu’on ose encore appeler ça un sport, alors c’est bien vu. Ce n’est pas mon problème. Je ne perds pas un ami, un frère, un mari ou quoi que ce soit d’autre encore. Sloan perd déjà un parrain et ça, je ne le lui pardonnerai jamais. “Y’a un petit garçon pour qui ça importe, et c’est pour lui que je m’inquiète, donc t’as pas intérêt à verser la moindre larme et à te laisser aller à tes sentiments parce que c’est maintenant qu’il faut jouer au père, Ezra.” Je voudrais hausser la voix mais la proximité de Noah, à peine un étage au-dessus de nous, m’en empêche. A défaut, mes yeux ont décidé de ne plus lâcher les siens. Il aurait pu se contenter de répondre à ma question et je me serais bien tenu. C’est sa faute, une fois de plus. “Il a aucun souvenir d’avant, mais on sait tous les deux qu’il n’oubliera jamais ce qu’il vit en ce moment, alors fais un peu d’introspection avant d’oser me dire ce que je devrais faire.” Mon fils, à son tour, n’aura aucun souvenir de cet instant et il ne saura sans doute même jamais qui avait été nommé pour être son second parrain. Le premier, lui, a plutôt intérêt à se ressaisir sinon je risque de le noyer moi-même pour régler le problème une bonne fois pour toutes.

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S’il le pouvait, et si cela était socialement accepté, Ezra viendrait arracher le sourire idiot qui venait de s’installer sur les lèvres d’Auden. « Je te conseille de ne pas me dire ce que je suis autorisé ou non à faire. » Il n’en avait absolument rien à foutre de ses conseils, à cette enflure. Il n’en avait plus grand chose à faire de lui de façon générale depuis quelques temps désormais, à dire vrai. « Mêle toi de ce qui te regarde alors. » Et la santé de Noah ne faisait pas partie de cette liste. S’il avait été autorisé à entrer dans leurs vies, cela avait été uniquement parce-que Ginny était entrée en ligne de compte. Sans elle, Ezra n’aurait jamais fait de pas en avant vers le Williams et il était persuadé que le contraire aurait tout aussi été vrai. Pour elle, ils avaient remué ciel et terre. Pour elle cependant, il avait été le pire de la pire des espèces et avait marqué un point final à l’entente cordiale entre eux.  « J’en ai toujours rien à foutre de lui, si ça peut te rassurer. Ton pote a pas été foutu de nager, tu crois que je vais me mettre à le pleurer et à dire tout un tas de trucs sympas sur lui simplement parce qu’il est mort ? » Oh, il sentait ses mâchoires autant que ses poings se serrer, Ezra. Auden comptait donc faire exactement le contraire de ce qu’il lui avait conseillé la minute passée, et à s’appliquer à cette tâche qui plus était. Le Beauregard avait du mal à tolérer de l’entendre parler de Matt de la sorte, surtout pour sortir des idioties comme celles qu’il s’appliquait à prononcer. La disparition du McGrath était un accident, un malheureux accident et rien n’aurait malheureusement pu le sauver de cette situation. Il savait nager, sans aucun doute, mais n’avait pu en venir à le faire étant donné les circonstances de l’accident. « Si c’est pour dire des conneries comme ça, vraiment, tu ferais mieux de rien dire. » Qu’il lui colle son poing dans sa mâchoire s’il le voulait, Ezra n’en avait rien à faire. Peut-être même que cela lui permettrait d’avoir la monnaie de sa pièce, de recevoir ce que Matthew n’avait pu lui administrer mais qu’il aurait du lorsque les opportunités s’étaient présentées. Peut-être que cela permettrait de retirer un peu de cette culpabilité qui venait peser sur les épaules du Beauregard.

« Y’a un petit garçon pour qui ça importe, et c’est pour lui que je m’inquiète, donc t’as pas intérêt à verser la moindre larme et à te laisser aller à tes sentiments parce que c’est maintenant qu’il faut jouer au père, Ezra. » Le dit-Ezra vint lever les yeux au ciel. Jouer au père, comme s’il savait de quoi il en ressortait de tout ça, lui. « Il a aucun souvenir d’avant, mais on sait tous les deux qu’il n’oubliera jamais ce qu’il vit en ce moment, alors fais un peu d’introspection avant d’oser me dire ce que je devrais faire. » - « Je t’ai pas demandé des conseils non plus, tu sais. » Le regard d’Ezra ne lâchait pas les prunelles de l’italien, même s’il savait que cela constituait une prise de risque. Il se trouvait en revanche, bien que les poings un brin trop serrés, être d’un calme plutôt impressionnant. Certes, ses mots et son regard donnaient de très bonnes indications, mais son attitude n’allait pas dans ce sens là - pour une fois; avait-il appris de ses erreurs ? « Si j’ai besoin de conseils pour être un meilleur père, c’est pas à toi que je vais venir en demander. C’est pas parce-qu’il a partagé le même toit que toi pendant quelques mois que tu peux prétendre le connaître par coeur. C’est pas ton gamin. » Ca avait failli ne pas être le sien, à Ezra, les choses ayant sacrement mal démarrées; mais il avait su montrer et prouver par la suite qu’il méritait amplement sa place de père auprès de Noah, et qu’il allait désormais s’y accrocher de toutes ses forces, afin d’agir toujours pour le mieux. Et cela commençait aujourd’hui en ne laissant plus le gamin passer un seul instant en la compagnie de l’ordure qui lui avait ouvert la porte. « Et c’est parce-que ça compte pour lui que je compte faire les choses au mieux. Je compte pas faire en sorte qu’il oublie ce qu’il vient de se passer. Au contraire. On va tous prendre le temps de gérer ça à notre façon. » Il vint soupirer légèrement, soupire presque railleur. « On connait tous ta façon de gérer les choses, et je sais d’avance d’autant plus que j’aurais pas besoin de tes conseils. » Parce-que cela avait bien fonctionné, la dernière fois. La preuve en était, Ginny n’était plus là. En revanche, ce qui se faisait présent au sein d’Ezra, c’était une certaine forme de soulagement. A venir passer, même si c’était de façon passive-agressive, ses nerfs sur Auden, il avait l’impression de respirer presque correctement pour la première fois depuis plusieurs jours.

« Mêle toi de ce qui te regarde alors. » Tout me regarde dans cette histoire, justement, même son avenir à lui qui n’en a justement aucun. Parce que ses faits et gestes auront toujours des répercussions sur Noah, je ne peux pas faire autrement que de m’y intéresser ou au moins faire semblant. Cela ne m’empêche pour autant pas d’imaginer assez régulièrement la tête d’Ezra au bout d’un pique, voyez-vous. En attendant, je ne souhaite pourtant que le meilleur pour un gamin qui n’a rien demandé à personne, surtout pas de grandir et évoluer au sein d’une famille aussi insensée. Je me disais justement que personne n’était mort depuis longtemps, voilà la chose résolue, j’imagine. Il fallait au moins Matt et toute sa stupidité pour s’y coller, et je me moque que mes paroles puissent énerver le Beauregard. Est-ce qu’il sait se servir de ses poings, au moins ? J’en doute, il se contente sûrement de fondre en larmes face au moindre objet lui remémorant son ami. « Si c’est pour dire des conneries comme ça, vraiment, tu ferais mieux de rien dire. » Je tremble. Il pourrait écrire les conseils cachés dans les biscuits chinois, avec une telle éloquence et sens du détail.

Il va abîmer ses jolis petits muscles, à serrer du poing comme ça. Il risque même de s’en froisser un, à terme, l’imbécile. Il devrait tout de même se ménager. Au moins, il a de quoi m’occuper en ayant ainsi décidé de ne pas faire quitter son regard du mien. C’est un jeu dont j’ai l’habitude, il reste éternellement amusant, surtout alors que pour une fois je ne suis pas celui perdant patience et contrôle de soi au fur et à mesure que les secondes s’égrainent. « Si j’ai besoin de conseils pour être un meilleur père, c’est pas à toi que je vais venir en demander. C’est pas parce-qu’il a partagé le même toit que toi pendant quelques mois que tu peux prétendre le connaître par coeur. C’est pas ton gamin. » - “Ça a failli ne pas être le tien non plus. Fais attention où tu vas.” Pendant longtemps, Noah n’a pas été son enfant. Élevé par un autre à l’autre bout du monde, il n’avait aucun droit sur la tête blonde et quand bien même j’ai toujours penché pour la défense d’Ezra dans cette histoire, je suis encore loin de le juger parfait. Il en a commis, des fautes, et pas des petites. L’avantage qui est le mien dans cette discussion, c’est que j’en sais plus sur sa vie qu’il n’en sait sur la mienne : moi, j’ai toujours un gamin dont je ne suis pas le père, même après vingt ans. Mes coudes désormais posés sur mes cuisses, je m’avance de quelques centimètres à peine simplement pour le défier avec plus d’ardeur, souhaitant ainsi m’assurer qu’il ne risque pas de s’effondrer avec Noah à ses côtés. Il est seul, il n’a plus Ginny ni Matt, alors il a intérêt à savoir gérer la situation comme une personne adulte.

Ezra a des paroles de bonne femme qui n’ont jamais mené nulle part. Il n’y a pas de ‘on le prend chacun à notre façon’ mais seulement un ‘il faut aller de l’avant’. L’avenir ne se forge pas en pleurant sur le passé, cela ne rime à rien et j’aurais au moins espéré qu’il l’aurait compris, du haut de ses quarante ans. Il faut croire que non et qu’il est encore coincé dans un passé du siècle dernier, quand tout le monde le maternait encore et lui donnait le biberon. Même son fils a passé l’âge de telles choses aujourd’hui, il serait temps de s’en rendre compte. « On connait tous ta façon de gérer les choses, et je sais d’avance d’autant plus que j’aurais pas besoin de tes conseils. » J’esquisse un sourire railleur, n’ayant de toute façon rien à lui cacher à ce sujet-là puisqu’il sait tout ce qu’il y a à savoir. Il a peur d’avoir un bobo, lui aussi ? Il devrait, parce qu’en sa présence je ne risque pas de retenir mes coups, comme il avait pourtant été le cas avec ma femme. “Dit celui qui a le poing qui le démange. Si t’étais capable de prendre des décisions seul, t’aurais au moins déjà essayé de me frapper. Au lieu de ça tu te lamentes.” Encore et toujours. Mes paroles se font plus basses simplement pour ne pas alerter Noah, non pas parce que je crains que mes mots le poussent réellement à me frapper - oh non, j’en rêve bien trop pour craindre une telle chose. “De nous deux t’es le seul à avoir dû te battre pour ne serait-ce que voir ton fils, alors ne fais pas comme si tu n’avais pas besoin de moi.” Et c’est bien dans un instant comme celui-ci que je me dégoûte à l’idée d’avoir tant de points communs avec lui, cet homme que je trouve bien plus lâche qu’autre chose. Nous avons aimé la même femme, eu un enfant d’elle, pour au final mieux la voir s’éloigner. A la seule différence qu’elle n’a peur que de l’un de nous deux, aujourd’hui, et nul besoin de préciser qui. L’autre est encore occupé à découvrir les muscles de son poing. “Je te mettrai pas de bâtons dans les roues si tu fais au moins semblant d’être capable d’être père.” D’être capable de ne pas s’effondrer, surtout, parce que c’est bien là que résident tous mes doutes à son sujet. “Parce que j’ai envie que Sloan connaisse son frère.” Demi frère. Je n’agis pas par charité chrétienne (ce ne serait de toute façon pas venu à l’esprit de qui que ce soit) mais bien uniquement pour servir les desseins de mon propre fils, et m’assurer que Noah se porte bien. L’excuse est toute trouvée. “Noah ne veut pas me voir, alors si je te confie mon fils je veux être certain que t’as les épaules pour tout gérer.” Parce qu’après tout il est son parrain, et que bien que je pense aujourd’hui que ce choix était une belle connerie, je ne reviendrai pas desssus.

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« Ça a failli ne pas être le tien non plus. Fais attention où tu vas. » Ses dents allaient finir par se fissurer à force de venir les serrer de la sorte, à force de faire en sorte de contenir une expression presque cordiale de façade. Pas qu’il voulait absolument passer pour quelqu’un de pacifiste auprès de Auden - il n’en avait absolument rien à faire de ça -, mais se forcer à opter pour une expression de visage presque calme lui permettait presque de se convaincre seul qu’il l’était. Et, par conséquence, de ne pas venir assener son poing fermé contre la mâchoire du Williams - il connaissait le chemin par coeur, pourtant. Mais surtout, ce qui le faisait redescendre d’un cran, c’était malgré tout la vérité qui transparaissait dans les paroles du brun. Il avait beau le détester de tout son être, trouver qu’il était de la pire espèce que la terre puisse porter, il savait que ses paroles restaient vraies. Si Noah n’avait pas été malade, et si venir tester les gênes de son père n’avait pas été nécessaire, Ginny n’aurait jamais remis un pied en Australie; elle serait restée auprès des Fitzgerald et du reste de sa fratrie à Londres et pour sûr Ezra n’aurait jamais vu la moindre mèche de cheveux blonde de Noah de toute sa vie. Auden le savait pertinemment, malheureusement, puisqu’il avait fait partie des rares personnes à être restées du côté d’Ezra à Brisbane lorsque toute cette histoire était arrivée. Pas de gaité de coeur ou pour soutenir le jeune homme, non, mais bien parce-qu’il avait été laissé en arrière lui aussi.

Leurs destins étaient bien plus liés, en réalité, que ce que les deux hommes n’admettraient jamais. Dire qu’ils étaient semblables à l’autre revenir à se tirer une balle en plein tempe, pour l’un comme pour l’autre, et pourtant la réalité était belle et bien cette dernière. Pourtant, cette idée là ne viendrait pas conforter Ezra dans l’idée de venir quémander conseils auprès d’Auden pour les semaines, les mois à venir. Bien sur que cela n’allait pas être simple, de s’occuper seul de Noah, là où Ginny avait été jusqu’alors l’actrice principale de son éducation; mais il n’allait pas avoir le choix et il ne viendrait pas demander à un homme portant la main sur sa femme comment faire pour faire en sorte que Noah devienne la meilleure version de lui-même. « Dit celui qui a le poing qui le démange. Si t’étais capable de prendre des décisions seul, t’aurais au moins déjà essayé de me frapper. Au lieu de ça tu te lamentes. » - « Been there, done that, je suis pas con au point de venir te foutre mon poing dans ta gueule pour en prendre le double dans la mienne derrière. » C’était ce qui s’était passé la dernière fois, à la galerie; Ezra avait ouvert les hostilités et avait perdu la partie en fin de course. Lily avait du lui faire des points de suture pour venir faire en sorte que toute la peau de son visage reste à sa place, et Auden avait gardé son sourire d’imbécile insupportable en place comme si de rien n’était. Ezra n’allait donc pas tenter de faire deux fois la même erreur, même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait présentement de venir voir si la peau du Williams était toujours aussi douce. « De nous deux t’es le seul à avoir dû te battre pour ne serait-ce que voir ton fils, alors ne fais pas comme si tu n’avais pas besoin de moi. » Déglutissant avec difficulté, Ezra vint serrer les mâchoires. Oh, qu’il mourrait d’envie de venir répliquer par quelque-chose dont Auden n’imaginait même pas l’ampleur; il n’en fit cependant rien, car s’il se mettait à aller sur ce chemin là, des répercutions bien trop sérieuses pourraient lui retomber dessus. Serrer un peu plus les mâchoires et jeter un regard noir, c’était bien aussi pour le moment.

« Je te mettrai pas de bâtons dans les roues si tu fais au moins semblant d’être capable d’être père. » – « J’ai pas besoin de ton approbation. » – « Parce que j’ai envie que Sloan connaisse son frère. » La réponse d’Auden vint, avec une réalité qu’il n’avait en rien anticiper, frapper Ezra de plein fouet. Il était vrai, il oubliait assez rapidement, mais finalement Sloan se trouvait être le frère de Noah - ce n’était pas faute d’entendre ce dernier venir parler du premier et de ses progrès dans la vie pourtant à peu près tous les jours. Ezra connaissait particulièrement bien, le fait de grandir autour de ses frères et soeur et de pouvoir profiter de leur présence. De ce qu’il avait compris, des informations récoltées auprès de Ginny et de Noah, il était de même pour Auden - encore un point commun, quelle ironie du sort. Au moins, là-dessus, ils arriveraient peut-être à se mettre d’accord, car ce n’était pas Ezra qui viendrait empêcher le fait que Noah puisse voir grandir Sloan. « Noah ne veut pas me voir, alors si je te confie mon fils je veux être certain que t’as les épaules pour tout gérer. » Alors qu’il avait été une boule de nerfs depuis son arrivée chez le Williams, Ezra se sentait étrangement apaisé en cette partie là de la discussion. Imaginant le petit Sloan, son filleul, dans ses bras alors qu’il était assis dans le canapé de son appartement avec Noah à ses côtés, avait quelque-chose de rassurant. Cela montrait également, même s’il ne se l’avouerait pas encore pour le moment, que la vie continuerait de s’écouler qu’importe les événements qui leur arrivaient en ce moment: Matt ne serait plus de l’autre côté du canapé pour venir faire ses meilleures imitations d’un clown peu compétant, et le rire de Ginny ne se ferait pas entendre en fond sonore; mais certaines choses continueraient d’avancer et permettraient de se forger de nouveau souvenirs. « Tu sais très bien que je prendrai soin de ton fils comme du mien. » Les prunelles d’Ezra se relevant dans celles d’Auden, il était on ne pouvait plus sérieux en cet instant. Et il savait que l’italien saurait le voir, malgré tout; ils étaient bien plus semblables qu’aucun des deux ne l’admettrait jamais.

« J’ai presque fini papa ! » Les pas du petit garçon devenu finalement grand au fil des années, même si Ezra le voyait encore comme cinq ans plus tôt lorsqu’il l’avait pour la première fois rencontré, se faisaient de mois en moins pressés sur le parquet de l’étage supérieur. Il allait bientôt avoir terminé de rassembler ses affaires, et son père et lui allaient bientôt pouvoir débarrasser le plancher - pour le plaisir d’Auden, mais pour celui d’Ezra également. « Y’a d’autres choses ailleurs que dans sa chambre que je dois reprendre ? » Promis, ce n’était pas une tentative de faire tourner le dos à Auden pour lui assener un coup de couteau dans son angle mort. Il venait lui poser la question très sérieusement, car il n’avait pas prévu de venir ici tous les quatre matins pendant les cinq prochaines semaines, à venir récupérer au compte goutte ce que Noah avait semé sur la dernière année aux quatre coins de la maison du Williams.

« Been there, done that, je suis pas con au point de venir te foutre mon poing dans ta gueule pour en prendre le double dans la mienne derrière. » - “Oh, chaton.” Le faible. Je rends encore plus ridicules ses paroles qui l’étaient déjà par nature, ne faisant qu’accentuer toute la couardise dont lui seul sait faire preuve. Il ne sait qu’aboyer mais a peur de mordre : à quoi bon ? J’aurais compris l’argument utilisant Noah, celui qui fait de lui un bon père souhaitant montrer le bon exemple. Celui-ci est grotesque, il n’a pas la moindre force à mes yeux - à l’image même d’Ezra. La seule raison pour laquelle je ne le pousse pas à en venir aux poings, c’est justement parce que son fils se tient à peine un étage plus haut et qu’il n’a pas besoin qu’on vienne compliquer encore un peu plus sa vie. S’il n’avait pas été là, je me serais fait une joie de lui en donner le double.

A défaut de mettre de l’huile sur le feu, je mets de l’eau dans mon vin. A ma façon, disons, puisqu’un reproche se veut caché derrière ma demande de prendre soin de Sloan si jamais je ne peux plus m’en charger moi-même, un jour ou un autre. C’est pourtant la façon la plus honnête et sincère que j’ai de parler sérieusement, et nous nous côtoyons depuis assez longtemps pour qu’il le sache. « Tu sais très bien que je prendrai soin de ton fils comme du mien. » Je le sais, et ça m’emmerde de le lui avouer oralement. Mon silence fait office de réponse et l’absence de nouvelle remarque acerbe confirme ce qui pourrait s’assimiler à un ‘je sais, merci’. J’espère ne jamais avoir à le remercier à ce sujet et toujours être capable de m’occuper de mon fils et le laisser grandir auprès de son demi-frère. Mes prunelles s’accrochent quelques secondes aux siennes, il y verra un clignement de paupières qui se résume au mieux que je puisse faire en cet instant.

Noah vient nous sauver d’un silence gênant que j’aurai à terme supprimé par une remarque qui aurait sans doute été mal prise par ce susceptible de Beauregard. « J’ai presque fini papa ! » Nos têtes se tournent en chœur en direction de la voix enfantine et du garçon, un certain soulagement relâchant ma poitrine. Il ne vaut mieux pas nous laisser seuls trop longtemps, cela ne mène jamais à rien de bon et certains secrets et autres souvenirs sont mieux là où ils sont : enterrés, six pieds sous terre. « Y’a d’autres choses ailleurs que dans sa chambre que je dois reprendre ? » Alors que je m’apprêtais à faire tourner ma tête de droite à gauche, le gamin me prend de court. « On peut prendre Pizza ? S’il te plaît s’il te plaît s’il te plaît. » J’esquisse un sourire amusé, et si Ezra avait eu la place pour accueillir un chien chez lui alors nul doute que je le lui aurais laissé sans mal. Après tout, il était un cadeau pour Ginny, à l’origine. “Tu pourras venir le voir quand tu veux.” J’anticipe toute réponse d’Ezra et lui évite ainsi de se chercher mille excuses. Cela laisse au moins le temps au garçon de venir se pendre au cou de l’animal pour lui dire au revoir, scène que j’observe les mains dans les poches, un pincement au coeur. Le chien était rapidement devenu ce qui se rapproche le plus d’un meilleur ami à ses yeux. “S’il a oublié quelque chose, je l’amènera moi-même.” Mes derniers mots sont pour le Beauregard alors que je fais au moins semblant d’être un adulte digne de ce nom. Cela lui permet de s’enfuir en bonne et due forme et de retrouver son fils, au moins.