@LENA EDWARDS & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ help me if you can, i'm feeling down and I do appreciate you being 'round, help me get my feet back on the ground, won't you please, please help me?

(SPRING HILL, LES FLEURS DU MAL).

Bonjour, je sais que vous ne voulez sûrement plus entendre parler de moi, mais pourrait-on se voir ?

C’est très important. C’est pour une rencontre professionnelle, je vous assure. Je ne sais pas à qui m’adresser d’autre. C’est vraiment important et je pense que vous êtes la seule qui peut m’aider.  

Kieran n’a jamais été très doué avec les autres et il en fait encore la démonstration à cet instant, bien que je m’abstienne de m’offusquer vu la manière dont il prend en main les choses (fait suffisamment rare pour être souligné). Il a su dès l’envoi que son message n’était pas très clair, ni très engageant, mais il est arrivé à un point où il se doit d’admettre les choses : il n’a pas de meilleure solution, en plus ne pas savoir comment s’y prendre (mais est-ce qu’il sait s’y prendre de manière générale, non, absolument pas). Lena Edwards lui a semblé la seule en mesure de l’aider et si d’ordinaire il n’aurait jamais osé quémander l’aide de quiconque et surtout pas après une aussi mauvaise première impression, Kieran envoie, pour la première fois, valser des années de principes et de doutes qui animent pourtant chacune de ses décisions et actions. Je devrais m’en réjouir si la situation n’était pas aussi dramatique. Contacter une pseudo inconnue, par exemple, n’est pas quelque chose qu’il se serait permis de faire dans d’autres circonstances. Mais celles-ci sont, comme il l’a dit à Lena, très importantes et le jeune homme concède à utiliser chaque moyen à sa disposition pour tenter d’arranger une situation qui se dégrade bien plus vite qu’il est en mesure d’en offrir des solutions. Il n’émet plus aucun doute sur le fait que Tom se fait harceler, mais il ne sait rien sur la manière dont cela se déroule concrètement. Il n’a pas de bleus, il ne semble pas être frappé et ses camarades semblent se tenir correctement avec lui durant les cours. C’est bien plus subtil, bien plus insidieux et, par conséquent, bien plus dommageables car les preuves lui manquent toujours autant pour signaler la situation plus haut. Il s’en fiche bien que Tom le veuille ou non, à cet instant le ressenti du garçon ne l’intéresse pas si cela implique de favoriser sa sécurité (c’est discutable, mais là-aussi, je m’abstiens de le faire car ça se comprend aussi). Il sait qu’il ne devrait probablement pas avoir ce type de raisonnement, principalement parce qu’il sait lui-même qu’il aurait tué (ah ah, évidemment, regardez-le) quiconque dénonçant sa situation quand il était à l’école. Et pourtant, avec le recul, il réalise qu’il aurait aimé qu’on ouvre les yeux, qu’on s’en fiche de ce qu’il pouvait dire et qu’on prenne les choses en mains malgré ses supplications pour laisser les choses telles qu’elles étaient, par peur des représailles. Elles n’auraient pas pu être pires que ce qu’il subissait à l’école et à la maison ; et il ne veut pas que Tom, dans quelques années, en arrive au même constat. Je sens que ce simple retour dans le passé lui serre le cœur et une part de moi devrait l’empêcher d’aller aussi loin, d’user d’une telle méthode si elle lui fait aussi mal. Une autre sait qu’il s’agit d’un prérequis pour aider son élève ; mais peut-être lui aussi, quelque part. Régulièrement en contact avec Ally, la mère de son élève, la jeune femme ne semble pas obtenir de meilleurs résultats que lui ; ce qui le pousse à en chercher ailleurs. Tom doit sûrement craindre lesdites représailles, ses supérieurs s’en fichent encore éperdument des craintes du professeur, alors Kieran a fait un constat : peut-être qu’il doit sortir du cadre de l’école et en faire une affaire personnelle, après tout. Tout est toujours une affaire personnelle avec lui, de toute évidence, alors cette situation ne ferait tout simplement pas abstraction à la règle.

Il n’a pas eu de réponses de Lena et bien que se doutant d’un quotidien très chargé et d’un nombre de followers impressionnant ne lui permettant pas de répondre rapidement ni à tout le monde, le dessinateur a mis sa timidité et sa réserve (même virtuelle) de côté pour relancer la discussion, pour l’heure, à sens unique. Il a insisté une nouvelle fois sur l’aspect important de la chose sans parvenir à lui l’expliquer concrètement : il ne veut pas non plus dévoiler la situation de Tom et, par conséquent, l’exposer plus qu’il ne l’est déjà ainsi que trahir la confiance qu’il semble avoir en Kieran et qui s’effrite de jour en jour par la manière dont il devient sûrement intrusif dans ses interrogations. Il y a cette petite voix dans sa tête (pas la mienne, puisque je lui donne raison) qui a même mis en avant la possibilité qu’il se soit fait des films et que tout ceci ne soit qu’un énième scénario qu’il s’imagine dans l’espoir de faire quelque chose de bien, un jour et d’être presque un héros qui sauve le monde. Mais toute la créativité et la fantaisie de Kieran n’auraient jamais réussi à le convaincre de réellement faire quelque chose pour changer sa situation, alors jamais il n’aurait inventé et vu des signes là où il n’y en a pas. Ces signes sont bien réels ; Ally les partage et ça suffit à le conforter dans sa stratégie maladroite qu’il parvient à justifier malgré son manque évident d’assurance et de connaissance dans le domaine. Il est nul sur tous les domaines, mais dans celui-ci, il n’a d’autres choix que de réussir et bien évidemment que ça ne peut pas se faire qu’avec lui-même ; le facteur réussite n’est possible que s’il partage les responsabilités, Lena en fait les frais malgré elle, dès le moment où elle lui a répondu et qu’un rendez-vous a été fixé entre eux.

Chose rare à souligner, c’est avec une vingtaine de minutes d’avance qu’il est arrivé au salon de thé, car chaque minute est précieuse et si la jeune femme est là huit minutes en avance, ce sont huit minutes qui seront favorables à Tom. Jusqu’au dernier moment, il craint qu’elle ne lui pose un lapin (il serait habitué), mais lorsque la silhouette de Lena finit par entrer dans le salon relativement désert à cette heure-ci, il l’interpelle aussitôt pour la diriger jusqu'à lui. « Hey ! » Assis à la table la plus isolée, pour s’assurer une certaine intimité, il a peut-être même repoussé les autres tables et chaises quand le serveur était sur la terrasse pour s’assurer d’une bulle de tranquillité. « Je vous remercie d’être venue. » Ce n’est pas le plus important, mais il commence par le plus logique, avant de poursuivre rapidement. « Vous voulez boire quoi ? » Il ne lui demande pas si elle le veut, ni même si elle veut regarder la carte ; il n’a pas de temps à perdre malgré son envie de demeurer courtois.

S'il y avait bien quelque chose dont Lena était fière, c'était sa capacité à s'adapter à chaque situation qui s'offrait à elle. De manière générale, l'écossaise savait comment réagir face à tous types de personnes et à tous types de contextes. Force est de constater que ce talent lui provenait de son début de vie catastrophique dans un monde fait d'écrans de fumée politique et de sa relation si parfaitement imparfaite avec son paternel, elle devait bien le remercier sur ce point. Si elle essayait d'être elle même en toutes circonstances, elle avait développé un don d'actrice quasi imperceptible lorsqu'elle avait décidé de s'embarquer dans un rôle. Elle avait dû faire face à de nombreuses expériences qui avaient forgé cette capacité au fil des années, et surtout depuis son arrivée à Brisbane notamment. Mais il lui arrivait, parfois, de faire des rencontres tellement surprenantes qu'elles réussissaient à déstabiliser l'influenceuse : Kieran Halstead en faisait partie. Pas du genre à crier plus fort que son interlocuteur ou même à imposer ses idées, visiblement, il n'était pas de ceux qui ont une personnalité si forte qu'on se souvient toujours de leur charisme. Il avait pourtant touché Lena en plein dans son ego et dans sa sensibilité, si bien que leur première rencontre au café l'avait fait sortir en un instant de ses gongs. Et si elle pensait qu'elle ne pourrait plus être surprise par cet homme, elle se trompait : elle s'en était rendue compte à l'instant même où ses yeux se posaient sur les messages qu'il lui avait envoyés. D'abord prise d'un élan de rejet total, elle avait posé son téléphone sur le côté pour ne plus songer à ce qui ressemblait à un appel à l'aide. Elle s'était bien vite mis dans la tête quelques instants après que cette tentative de contact pourrait être un moyen pour lui de trouver du nouveau contenu à afficher pour son employeur, ou à afficher par lui même ailleurs. Qu'importe les raisons, la blonde n'avait rien voulu savoir de celui qu'elle aurait voulu ne plus croiser sur sa route tant il l'avait contrariée. C'est sa curiosité qui l'avait faite changer d'avis. Toujours avide d'en savoir plus sur les gens, sur le monde qui l'entourait, c'est après un long soupire qu'elle avait répondu de manière nonchalante à l'artiste. Un message bref, presqu'un brin insolent. Dites moi où et quand, je saurais me rendre disponible dans la semaine. Elle était arrivée à l'heure sur le lieu de rendez vous, bien déterminée à ne pas accorder à Kieran plus de temps qu'il n'en mériterait. Lena entrait dans le salon de thé, et il ne fallut pas plus d'une seconde pour qu'il ne l'interpelle. « Hey ! » Elle tournait la tête vers lui, presque caché dans un coin du salon, reconnaissant immédiatement sa voix. Bonjour Kieran. Peut-être était elle un brin plus froide que nécessaire. Gênée, elle ne l'était que très rarement Lena. Mais elle devait bien admettre que la situation dans laquelle elle se trouvait la mettait plutôt mal à l'aise, et pour cause : de Kieran elle ne connaissait pas grand chose. Et s'ils avaient presque pu s'entendre sur leurs désaccords à leur première rencontre, elle n'avait pas suffisamment confiance en lui pour être persuadée qu'il ne s'agissait pas d'un piège journalistique pour encore essayer de la moquer, en caricature ou ailleurs. « Je vous remercie d’être venue. » Elle ne se confondait pas en politesses outrancières, ils n'étaient pas de ce genre là, de ce qu'elle avait retenu de leur dernier face à face. Lena n'attendait qu'une seule chose, c'était qu'il aille droit au but. Parce que si à les voir, elle était la femme sûre d'elle et lui l'homme peu confiant, ce n'était qu'une image. Oui, il avait le pouvoir de lui faire bien plus de mal qu'elle ne l'aurait pu - à moins qu'elle ne lui associait bien plus de pouvoir qu'il n'en avait réellement ? Elle s'installait sans plus attendre, posant son sac juste à côté d'elle. « Vous voulez boire quoi ? » Elle ne prit pas même le temps de regarder la carte, impatiente d'être déjà à la fin de cet entretien qu'elle prédisait dors et déjà comme catastrophique. Cette fois, au moins, ils étaient assis : aussi elle espérait que les boissons ne finissent pas renversées. Un café, noir, ça ira très bien. Alors, qu'aviez vous de si important à me demander ? Un nouvel article est en préparation, peut-être ? Elle se voulait piquante, mais si tel était le cas, elle était décidée à tourner les talons sans attendre une seconde. Autant jouer franc jeu, donc.

À sa manière d’être incapable de tenir en place en attendant la jeune femme, il aurait été dans une banque qu’on aurait pu croire qu’il préparait un mauvais coup (oui, bon, imaginons-le aussi avec la tête de Mads Mikkelsen pour plus de crédibilité, soit). Le pied qui danse contre le sol, les jambes qui l’obligent à se lever à intervalles réguliers pour guigner du côté de l’entrée à la recherche de la silhouette de la jeune femme (sans prendre en compte son énorme avance), Kieran en vient presque à regretter ce rendez-vous. Non. On appuie sur le bouton stop, on rembobine et tu me feras le plaisir de ne plus penser ça, Halstead, alors que tu as pris une initiative et que celle-ci est particulièrement importante. Peu importe la manière dont cette entrevue se déroule, elle peut être la plus catastrophique que tu n’auras pas à te sentir mal à l’aise, parce que tu auras la satisfaction d’avoir essayé de faire quelque chose pour Tom. Bien sûr, ça ne suffira pas (même si ça se passe bien) et il ne compte de toute façon pas s’arrêter-là, mais c’est une maigre consolation pour lui qui anticipe toujours tout et, le plus souvent, en se basant sur les pires scénarios. Je ne peux pas lui donner tort, pour cette fois-ci, les souvenirs de sa première rencontre avec Lena étant encore très vifs et ce serait de la provocation que d’essayer de le convaincre que ce n’était pas si pire (c’était carrément une catastrophique). Revenu sur sa chaise à l’heure du rendez-vous (quand même, il ne faudrait pas avoir l’air plus ridicule qu’il ne l’a déjà été auprès d’elle), notre protagoniste n’a pas à attendre longtemps avant que la blonde apparaisse. Bonjour Kieran. Elle se souvient de son prénom c’est déjà un bon point, non ? Il se rassure comme il le peut alors que le ton froid de sa voix ne fait qu’accentuer ses inquiétudes. Calme-toi, Kieran. Elle ne serait pas venue si elle n’était pas disposée à t’écouter. Néanmoins déstabilisée par cette simple entrée en matière, c’est d’abord dans les politesses d’usage qu’il se perd afin de, disons-le clairement, la brosser dans le sens du poil (même si Kieran est toujours poli, du genre à s’excuser et construire un autel pour chaque moustique tué). Le silence de la jeune femme a le mérite d’être clair sur son ressenti et le fait qu’elle n’a probablement pas envie d’être ici (mais alors, pourquoi s’être déplacée ?), permettant à Kieran de ne pas avoir à tenter (lamentablement) d’identifier ses émotions. Elles sont claires, précises et c’est presque rassurant, même pour lui qui ne cherche que l’appréciation des autres, à ne pas se faire mal à la tête à essayer de lire en eux. Un café, noir, ça ira très bien. Faisant signe au serveur, il se retrouve muet lorsque celui-ci arrive à leur niveau et qu’elle enchaîne. Alors, qu'aviez vous de si important à me demander ? Un nouvel article est en préparation, peut-être ? Il se sent humilié, Kieran, alors que le serveur se moque probablement des sous-entendus de Lena. Lui, pourtant, obnubilé par les opinions des autres, est bien incapable de prétendre que cette réflexion ne l’atteint pas. Secouant légèrement la tête pour revenir à lui, il commande la même chose avant d’attendre que le serveur ne soit plus en mesure de les entendre. « Pas de nouvel article, non. Je, euh, je travaille plus là-bas. » Un instant, il est tenté de s’offrir le beau rôle en mentionnant qu’il a démissionné, qu’il a su porter ses testicules supposées disparues et prendre la décision qui s’impose. Mais il a été lâche, Kieran, trop dépendant de ce salaire pour se permettre de l’abandonner de lui-même. « Ils m’ont viré, pour être honnête. J’étais pas assez... hm, piquant ? Pour le job. Vous voyez le truc. » Il se mord aussitôt la lèvre. Non, elle ne voit pas, puisque justement tu as été exécrable dans ta caricature, Kieran et que même si l’article à charge n’était pas ton œuvre, c’est ton dessin qui l’illustrait, en gros, bien visible, suffisamment pour que tu portes tout le blâme. « Je veux dire, que... » Notre conversation m’a empêché de faire mon boulot correctement, ah ah. Cette fois-ci, j’arrive à le faire taire avant qu’il ne continue à s’enfoncer. « Enfin, c’est pas un mal. » Ça tu peux le dire, Kieran, puisque tu le penses. Tu le penses et c’est d’ailleurs un exploit que tu arrives à partager une opinion de la sorte. Normalement, il aurait été de ceux qui arrondissent les angles, il aurait dit qu’il a adoré cette expérience et qu’il se félicite d’avoir saisi cette opportunité qui a été un apprentissage de vie, mais ce serait un gros mensonge ; la perte du salaire est douloureuse, celle du job est un soulagement. « Donc non, c’est pas pour ça. » Le serveur apporte leur commande, permettant à Kieran de respirer un instant avant d’avoir à se lancer dans son plaidoyer – il ne sait vraiment pas par où commencer. « Mon premier job, c’est d’être prof. » Non, c’est d’être artiste, mais ça, tu aimes l’oublier, n’est-ce pas ? « Et... je sais pas trop comment, comment aborder ça, mais j’ai un élève... » Qui est harcelé. Il est dur à dire, ce mot, pas vrai ? Si la direction aime prétendre qu’il n’existe pas, Kieran, lui, le trouve bien trop réel. « J’ai un élève que je soupçonne d’être harcelé. » C’est dit, il n’ira pas plus loin dans les détails concernant l’élève en question, par égard pour lui. Il est déjà mal à l’aise d’en arriver là, à parler d’une telle situation à une inconnue. « À l’école, évidemment, mais j'imagine que c'est aussi le cas sur les réseaux. » Et il se pince la lèvre, Kieran, quand il réalise qu’il ne sait pas vraiment à quel moment il a lié les deux. Ou plutôt, à quel moment ça lui a semblé être une bonne idée. « Et, je... je sais pas trop, mais hm... » T’as l’air con, Kieran, ressaisis-toi. Mais comment ? Il est persuadé qu’elle en a rien à faire, qu’elle n’a aucune raison de l’aider alors qu’il ne lui a pas fait la meilleure des impressions. Que le problème de Tom n’est pas le sien, qu’elle ne peut rien faire et qu’il doit s’adresser à des professionnels. « Je crois que j’avais besoin de quelqu’un avec un avis extérieur à tout ça, mais qui comprendrait quand même, vous voyez ? » Pas quelqu’un comme lui, beaucoup trop impliqué, parce que l’écho entre la situation de Tom et la sienne est encore trop douloureuse. Quelqu’un comme Lena, qui arrive à passer au-dessus des haters pour vivre sa vie, alors que lui reste enchaîné à ses bullies, même vingt ans après. « Je crois que c’était stupide. » Qu’il achève finalement, baissant la tête et se mordant la lèvre. C’était stupide, comme chacune de ses idées, qu’il se convainc, sans même m’écouter pour limiter les dégâts de sa dépréciation.

@Lena Edwards

Lena avait prit le temps de se déplacer sur la demande de Kieran. Elle avait fait l'effort d'être à l'heure et de lui accorder l'écoute dont il avait visiblement besoin mais n'avait pour autant aucune envie de passer une minute de trop en sa compagnie. Ses excuses minables de l'autre fois n'avaient pas suffit à la rendre compréhensive envers lui malgré tous les efforts qu'il avait mis à essayer de lui faire comprendre qu'il n'avait jamais voulu lui faire du mal délibérément. Les salutations à peine cordiales avaient été un poil trop froides d'après la blonde, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se méfier de lui. Plutôt sociable la majorité du temps, elle n'accordait en général sa confiance qu'une fois et pardonnait difficilement ceux qui la trahissaient.. concernant Kieran, on ne pouvait pas dire que leur relation avait commencée sous les meilleurs auspices. Elle le lui faisait bien comprendre d'ailleurs en le piquant d'office sur les raisons qui, selon elle, avaient poussées le brun à la recontacter. Pas de nouvel article, non. Je, euh, je travaille plus là-bas. C'était censé être une bonne nouvelle, ou Lena était elle censée le plaindre ? Elle hésitait encore. Ah ? Fut la seule réponse qu'elle trouvait à prononcer, ou plutôt qu'elle laissait à sa bouche le loisir de lâcher sous le coup de la surprise. Parce qu'elle aurait nettement préféré ne rien dire du tout. Ils m’ont viré, pour être honnête. J’étais pas assez... hm, piquant ? Pour le job. Vous voyez le truc. Avait-il dit la vérité ? Plus le temps passait et plus la blonde y songeait. Il n'avait pas le profil type du journaliste à scandal qui aimait descendre le monde entier. Sans doute qu'il s'en était vraiment voulu pour toute cette histoire, au final. Oh, oui, je vois. Qu'elle se contentait de dire. Lena était bien plus bavarde habituellement, mais force était de constater qu'elle mettait ici toute son énergie disponible à analyser Kieran, le moindre de ses mots, ses gestes aussi. Je veux dire, que... Enfin, c’est pas un mal. Elle hocha la tête un peu trop vigoureusement pour montrer son accord avec ça. Je suppose que non. Ça lui évitera de faire d'autres caricatures peu reluisantes d'elle ou d'autres personnes qui ne lui avaient rien demandé. C'en était au moins un en moins qui ferait du mal à des innocents pour faire plus d'argent à un média pourri de plus. Donc non, c’est pas pour ça. Les cafés furent posés sur la table et sans attendre un instant Lena vint coller ses mains contre son mug encore chaud. Son regard plongé dans celui de Kieran, elle l'invitait silencieusement à enfin avouer ce qu'il avait à lui dire. Mon premier job, c’est d’être prof. Qu'est-ce qu'un prof pouvait bien faire à jouer les critiques dans un journal miteux ? N'avait-il pas assez de choses à faire avec ses élèves ? Lena se demandait surtout quel était le rapport avec sa présence ici, et son expression interloquée valait mille mots. Et... je sais pas trop comment, comment aborder ça, mais j’ai un élève... Il se faisait long, n'allait pas droit au but et Lena n'aimait pas ça. Elle restait patiente pour ne pas se montrer désagréable mais n'en pensait pas moins. Oui, il avait beau sembler plus fragile que dangereux et avait fait un mea culpa concernant sa caricature, elle ne lui en tenait pas moins rigueur. J’ai un élève que je soupçonne d’être harcelé. C'était triste pour lui. Elle savait à quel point ça n'était pas simple. Pour autant, elle ne voyait toujours pas où le professeur voulait en venir. À l’école, évidemment, mais j'imagine que c'est aussi le cas sur les réseaux. Elle opina du chef à nouveau, se mordant la lèvre, impatiente de connaître le dénouement du récit de Kieran. Et, je... je sais pas trop, mais hm... Allait-il réussir à terminer une phrase complète ? Je crois que j’avais besoin de quelqu’un avec un avis extérieur à tout ça, mais qui comprendrait quand même, vous voyez ? Son avis, voilà tout ce qu'il voulait ? J'ai l'air d'une psy ? Furent les premiers mots qu'elle répondait, sur un ton plutôt très arrogant. Elle s'en était voulue immédiatement, refusant de devenir cette petite peste blonde pour laquelle on la prenait trop souvent encore. Inutile de tendre le bâton pour se faire battre encore. Il semblait qu'elle ait réussit à toucher à la susceptibilité d'Halstead bien rapidement puisque déjà, il se ravisait. Je crois que c’était stupide. Elle secoua machinalement la tête. Non, pardon, ne dites pas ça, je.. c'est que je ne vois pas en quoi je suis censée vous aider. Se montrer humaine et compréhensive, voilà la réaction qu'elle aurait pu avoir immédiatement s'il savait être un peu plus direct, Kieran. Tergiverser, très peu pour elle. Le fait que je sache ce que ça fait d'être harcelée ne veut pas du tout dire que je suis une experte ou que je saurais trouver des solutions, vous savez. Malheureusement, elle voyait mal ce qu'elle allait pouvoir faire pour un jeune adolescent harcelé. Il devait exister des solutions pour ce genre de problèmes, non ? D'autres solutions que d'appeler une inconnue à l'aide. Enfin.. qu'attendez vous de moi exactement ? Qu'elle finit par lui demander de but en blanc. Si vous m'en disiez un peu plus je pourrais peut-être essayer de trouver des solutions. Elle s'avançait un peu, mais mine de rien ce genre de sujets la touchaient et elle n'avait pas le cœur de repousser quelqu'un qui venait lui demander du soutien. Même pas Kieran.

Ah ? Pour toute réponse, il se contente de hocher la tête par l’affirmative. Ce n’est pas une question, ce n’est même pas une invitation à en dire plus ; il ne le fera pas. Pas qu’il l’aurait fait en temps normal, Kieran, même si Lena peut se vanter d’avoir eu beaucoup plus de mots sur son licenciement qu’il n’en a offert à d’autres – y compris sa propre sœur. Mais à choisir, elle est bien celle qui mérite quelques détails pour mieux se moquer de lui. Voyez, si nous étions dans une sitcom, là, il lui aurait offert le panneau lumineux pour mieux l’indiquer et, surtout, l’humilier car il considère que ce serait bien mérité. Elle est celle qui est le plus à même de se satisfaire de son échec et, pour une fois, je ne condamne même pas sa dévalorisation : son raisonnement se veut logique. Oh, oui, je vois. Il fronce les sourcils, étonné qu’elle n’en profite pas pour souligner « qu’on ne récolte que ce que l’on sème » et toute autre vérité absolue qui s’appliquerait à son cas précis. Je suppose que non. Et là-aussi, il attend la suite, une réflexion qui lui indiquerait qu’elle est heureuse que les compteurs semblent se remettre à zéro, même si de son côté, il ne pense pas que cela suffise pour se faire pardonner de son portrait peu glorieux. Portrait peu glorieux qui suit un moment qui l’est aussi peu ; ce n’est pas vraiment l’expérience sur laquelle il désire revenir, ayant suffisamment mal vécu ce travail autant que son « altercation » (à sens unique, vu sa couardise) avec la jeune femme. Il préfère ne pas rebondir sur le sujet, puisqu’il n’y a pas grand-chose d’autre à dire : il n’était pas à sa place, son contrat s’est terminé, c’est tout.

Et, surtout, il y a des raisons bien plus importantes derrière ce rendez-vous donné aujourd’hui. Ça n’a rien à voir avec la carrière qu’elle lui connait, aussi se permet-il de prendre un instant pour contextualiser, autant que parce qu’il ne sait comment aborder les choses et qu’il lui faut un temps de réflexion (le problème, avec Kieran, c’est que si je n’interviens pas, ce temps peut durer des heures et elle n’a certainement pas des heures devant elle à lui accorder). Alors il se lance, évoquant avec précaution la situation de Tom qui l’inquiète, mais dont il ne se sent pourtant pas légitime de parler. Il espère que l’élève autant que sa mère ne sauront rien des stratégies qu’il met en place afin de lui venir en aide, car il n’est pas certain que ce soit vu de la meilleure des façons. Il prend donc soin de ne pas tout détailler, de ne pas entrer dans des informations dont elle n’a pas besoin et de se contenter du strict minimum pour que la situation soit suffisamment claire sans être détaillée. J'ai l'air d'une psy ? La réponse fut aussi immédiate que tranchante et Kieran baisse la tête une fraction de secondes, véritablement mal à l’aise à l’idée qu’il ait pu lui renvoyer cette impression. Pourtant, s’il prend un instant pour y réfléchir, il comprend sans difficultés qu’elle en soit arrivée à cette conclusion. Secouant la tête par la négative, il marmonne un « non » mal assuré : c’est là qu’elle va frapper. Se foutre de lui, saisir l’occasion parfaite pour mettre en avant la stupidité des liens qu’il fait dans son esprit autant que le ridicule de sa demande et son manque de légitimité pour se préoccuper d’une situation qu’il est lui-même en mesure de provoquer avec une feuille et un crayon. Elle a une magnifique opportunité autant que des dizaines de réflexions qu’il vient de lui offrir sur un plateau d’argent en s’épanchant légèrement sur le cas de Tom qui l’inquiète en dehors des murs de l’école. Se ravisant à la suite de ses mots, conscient qu’il n’aura pas le courage ou la force d’entendre un acte d’accusation à son égard, il entreprend déjà de faire machine-arrière et de la saluer afin de disparaître de ce café et se maudire d’avoir pensé qu’il s’agissait d’une merveilleuse idée (elle n’a jamais été considérée comme telle, en réalité, mais c’était une idée, à défaut). Non, pardon, ne dites pas ça, je.. c'est que je ne vois pas en quoi je suis censée vous aider. Lui non plus, s’il se montre honnête. On s’y perd – moi le premier – dans le raisonnement de ses pensées, des évidences qu’il est le seul à voir. Et même ainsi souligné par Lena, il ne la voit plus, cette évidence. Le fait que je sache ce que ça fait d'être harcelée ne veut pas du tout dire que je suis une experte ou que je saurais trouver des solutions, vous savez. Il le sait. Tout comme il sait qu’il serait plus judicieux de s’orienter vers des professionnels, mais manque de chance pour lui, l’école pour laquelle il travaille ne semble pas particulièrement concernée par la situation. Ils ferment les yeux, les uns après les autres et Kieran possède aussi peu de moyen que de courage pour entreprendre des démarches plus poussées. Lena, aussi inaccessible qu’elle semble, s’est pourtant présentée comme l’option la plus facile pour tenter de dessiner les contours d’une solution. Enfin.. qu'attendez vous de moi exactement ? C’est la question la plus évidente autant qu’il s’agit de la plus difficile : il n’en sait rien. Si vous m'en disiez un peu plus je pourrais peut-être essayer de trouver des solutions. Il relève la tête, surpris, tandis qu’il s’ose à plonger son regard dans le sien, dans une tentative de jauger de sa sincérité. Elle reste silencieuse, attendant qu’il lui fournisse les informations qu’elle demande et c’est après un court silence gênant qu’il comprend qu’elle n’a pas l’intention de partir de suite et qu’elle lui accorde même une chance de la convaincre de l’aider. « C’est pas-c’est pas vraiment ce que je vous demande. » Il souligne, pour lui ôter une potentielle pression liée à ce rôle qu’il ne lui attribue pas. À aucun moment il ne l’a vue comme la solution absolue des problèmes de Tom, seulement comme une béquille sur laquelle il pourrait s’appuyer un instant. « Je veux dire, j’ai conscience que ce n’est pas votre rôle, mais le mien. » En partie. « Et celui de l’école, aussi, mais ils ne se sentent pas... très concernés. » Quel euphémisme. « Je sais que vous n’êtes pas une experte et je vous demande pas de l’être, je me demandais juste comment... comment vous aviez fait. » Réalisant qu’il n’est guère explicite, autant qu’il réalise que le sujet devient complexe pour des raisons plus personnelles, il tente de faire de l’ordre dans ses pensées. « Pour être honnête, je-j’étais un Tom – l‘élève en question – quand j’étais à l’école et les critiques... j’ai jamais vraiment réussi à passer outre. » Encore maintenant, mais qui ça surprend ? « Je dis pas que celles que vous recevez ne vous touchent pas, mais j’ai l’impression que vous arrivez à faire la part des choses. » Contrairement à lui, contrairement à Tom. « Je sais qu’il n’y a pas de manuel pour y arriver, mais je me disais que, peut-être, vous aviez des conseils ou qu’on pouvait simplement en parler pour que je comprenne et que j’essaie de l’aider au mieux. » Ce sera pas miraculeux, il en a conscience, mais il ne se pardonnerait pas de ne pas mettre toutes les chances de son côté pour aider Tom. Et ceci implique d’avoir l’air ridicule auprès d’une petite célébrité. « C’est très personnel, je sais. Je suis désolé si c’est déplacé et... enfin, vous savez, je ne vous force à rien. » Elle peut partir, si elle le désire. Elle a probablement compris, en vue du contenu de son discours, qu’il est incapable d’être directif et assuré ; elle a toutes les portes de sortie du monde qu’elle désire.

@Lena Edwards

Non Elle n'avait pas l'air d'une psychologue, donc. Que lui voulait-il, du coup, au juste ? Trouver les solutions pour aider un inconnu en claquant des doigts ? C’est pas-c’est pas vraiment ce que je vous demande. Elle haussait les épaules, ne comprenant pas où il voulait en venir. Quoi, alors ? Son ton était encore un peu plus sec que ce qu'elle n'aurait voulu exprimer. Je veux dire, j’ai conscience que ce n’est pas votre rôle, mais le mien. Elle acquiesça d'un geste de la tête. Et celui de l’école, aussi, mais ils ne se sentent pas... très concernés. Silencieusement, son regard ne quittait pas Kieran. Elle attendait de savoir où il voulait en venir. Je sais que vous n’êtes pas une experte et je vous demande pas de l’être, je me demandais juste comment... comment vous aviez fait. Il parlait d'elle, maintenant ? Vaste question... A laquelle elle n'avait elle même toujours pas trouvé de réponse précise. Pour être honnête, je-j’étais un Tom – l‘élève en question – quand j’étais à l’école et les critiques... j’ai jamais vraiment réussi à passer outre. Bizarrement, ça ne l'étonnait pas d'apprendre ça. Je vois. Elle croisait les bras sur sa poitrine, s'avançait un peu sur sa chaise, montrant clairement son intérêt pour son discours. Je dis pas que celles que vous recevez ne vous touchent pas, mais j’ai l’impression que vous arrivez à faire la part des choses. Je sais qu’il n’y a pas de manuel pour y arriver, mais je me disais que, peut-être, vous aviez des conseils ou qu’on pouvait simplement en parler pour que je comprenne et que j’essaie de l’aider au mieux. Elle était surprise de sa demande, ne voyait malgré tout toujours pas comment aider, même avec toute la bonne volonté du monde. C’est très personnel, je sais. Je suis désolé si c’est déplacé et... enfin, vous savez, je ne vous force à rien. Mais en même temps elle était ici, et il semblait si perdu et inquiet qu'il méritait bien une réponse à ses questions. Qu'importe si elles ne serviraient pas à grand chose. Le problème c'est que le seul moyen que j'ai eu de m'en sortir n'est pas à recommander. Elle lui donnerait plus d'informations pour le lui prouver juste après. J'ai fait semblant. J'ai prétendu que ça ne me touchait pas jusqu'à ce que j'arrive à m'en convaincre moi même. Fake it until you make it. Loin d'être son mojo aujourd'hui, elle qui prône le fait d'être fier de ce qu'on est et de s'assumer, c'est pourtant en se lançant dans le plus grand jeu d'acting de sa vie qu'elle avait fini par s'en sortir. Et pour m'aider à oublier, je me suis plongée dans des habitudes pas très saines, si vous voyez ce que je veux dire. Drogue, alcool. Si ces choses là étaient entrées dans son quotidien à cause de Rudy, son habitude de consommation s'était exacerbée alors qu'il avait disparu, emprisonné sans qu'elle n'en sache rien. Son addiction avait encore empiré après, et plus les évènements s'étaient enchaînés, moins elle contrôlait sa vie et ce qu'on pouvait raconter sur elle. Ces détails là étaient plus qu'intimes et elle n'aurait pas eu besoin de les partager. Elle aurait mieux fait de les garder pour elle, au risque de les voir à nouveau affichés si Kieran mentait sur son changement de direction professionnelle. A une époque, elle avait bien trop souffert de voir son nom traîné dans la boue sur les réseaux sociaux, alors qu'on la traitait de junkie, qu'on la disait morte ou souffrante de séquelles neurologiques irréversibles suite à son overdose. Un enfer qu'elle avait subi alors même qu'elle était déjà au fond du trou. Alors qu'on explique en général que lorsqu'on est au fond on ne peut que remonter, Lena, elle, à l'époque, avait eu même l'impression de creuser un peu plus profond. Loin de minimiser ce que ce Tom pouvait subir, elle comprenait parfaitement la sensation qu'on pouvait avoir lorsqu'on se sentait totalement seul face à un monde trop cruel. Mais le chemin qu'elle avait parcouru, elle refusait qu'il le suive à son tour. Bref, rien qui n'aiderait votre élève en somme. Si raconter sa propre histoire pouvait servir à d'autres d'éviter de la reproduire, elle l'aurait racontée mille fois. Mais Lena voyait difficilement comment aider cette personne, ou les autres encore. Je ne sais pas quoi vous dire. J'aimerais sincèrement pouvoir aider, mais c'est une problématique tellement vaste et sensible.. D'où lui venait cette empathie envers Kieran, soudain ? Sa voix adoucie et son air inquiet prouvaient qu'elle venait clairement de passer de "je ne peux pas voir cette personne" à "oh, il est touchant en fait". Pour certains la solution sera de changer de réussir à extérioriser, pour d'autres il faut changer d'environnement pour pouvoir repartir à zéro. Ce qu'elle avait tenté de faire, au final, en fuyant son contexte familial néfaste, bien avant que toute cette histoire d'image publique ne commence pour elle. L'essentiel, je crois, c'est qu'il sente qu'il n'est pas seul. Qu'il sache que vous êtes là pour lui.

Quoi, alors ? Son ton sec démontre d’une certaine impatience qui ne fait qu’accentuer le malaise d’un Kieran déjà bien peu confiant face à la jeune femme. Je ne peux pas lui en vouloir, elle est impressionnante, Lena, malgré son air angélique et sa taille de poche. Bon, soit, on ne va pas se mentir ; de toute façon Kieran est impressionné par tout le monde et même un pigeon au regard suffisamment mauvais est susceptible de lui provoquer quelques frissons, alors vous imaginez bien qu’une jeune femme qui n’a pas peur de montrer son impatience et son scepticisme, c’est l’assurance de le voir se décomposer sur place. Ce n’est pas du tout évident de l’aider à garder contenance ; et malgré mes efforts il bégaie et perd ses mots comme il en a l’habitude lorsqu’il est mal à l’aise. C’est agaçant pour le commun des mortels (d’où peut-être le ton ferme de la jeune femme), mais je vois au-delà de ça ; je vois surtout la confession qu’il se permet pour mieux lui expliquer la situation autant qu’une vaine tentative de lui faire comprendre qu’il n’a en réalité pas grand-chose à voir avec le caricaturiste sans état d’âme qu’elle a pu imaginer entre la publication de son « œuvre » et leur première rencontre. Kieran, il a tout d’un Tom et pire encore ; le gamin a la chance d’avoir une mère qui le défend bec et ongles et croit en son récit, de son côté il n’avait pas suffisamment de repères parmi les adultes pour en faire des alliés et c’est seul qu’il a affronté les choses d’une manière aux conséquences destructrices, dont j’en suis la preuve aujourd’hui. Ce n’est pas faute d’avoir eu plusieurs professeurs qui se sont inquiétés. C’est d’ailleurs l’inquiétude d’un d’entre eux qui a fini par alerter les services sociaux sur ce qu’il vivait à la maison ; mais c’est aussi ce qui a profondément chamboulé sa vie et Kieran a intégré ces bouleversements comme des raisons de se taire par la suite. Alors c’est ce qu’il s’est passé ; il n’a alerté personne, a toujours refusé les quelques mains qu’on lui tendait et à perfectionner ses mensonges pour s’assurer une tranquillité qui n’allait pas à nouveau impacter sa vie et lui faire perdre ses repères, aussi toxiques soient-ils. Ce n’est que quelques années plus tard que les regrets ont commencé à naître et ils sont d’autant plus présents en revivant cette situation à travers Tom ; non, il est hors de question qu’il reste silencieux ou passif, même s’il n’a jamais vraiment porté ses couilles, Kieran, parce qu’il faut dire les choses aussi brutales qu’elles soient. Je vois. Elle reprend place sur sa chaise et il y voit une façon d’illustrer toujours un peu plus son impatience, peut-être même une manière de souligner son départ imminent parce qu’il ne l’intéresse pas, parce qu’elle se fiche bien de ce qu’il peut raconter. Et il y a cette petite voix dans sa tête, la sienne, contre laquelle j’essaie constamment de lutter, qui ne fait qu’accentuer ce sentiment en insistant sur le fait qu’elle aurait raison ; qu’il est stupide autant de lui avoir donné rendez-vous ici et que d’avoir cru que sa vie, même rapidement évoquée, est susceptible d’intéresser qui que ce soit.

Alors il revient sur sa situation à elle, sur ce qu’il perçoit sans avoir la moindre assurance de la vérité au milieu de simples impressions ; c’est sûrement bien plus compliqué que ce qu’il verbalise et c’est ce qu’il constate lorsqu’il se veut enfin silencieux (félicitons-le d’avoir autant parlé, ce n’est pas souvent, à croire qu’elle te tient vraiment à cœur cette cause et qu’il serait pertinent d’apprécier tes efforts, Halstead). Le problème c'est que le seul moyen que j'ai eu de m'en sortir n'est pas à recommander. Pinçant les lèvres, il reste silencieux pour écouter la suite de ses propos. J'ai fait semblant. J'ai prétendu que ça ne me touchait pas jusqu'à ce que j'arrive à m'en convaincre moi même. Elle est intimidante, cette Lena, mais dans le fond, comme je le souligne à Kieran, ils ne sont peut-être pas si différents. Parce que faire semblant, c’est dans ta nature, Halstead et tu ne pourras jamais me contredire là-dessus. Tu peux prétendre à qui tu veux, mais pas à moi, oh, surtout pas à moi. Et pour m'aider à oublier, je me suis plongée dans des habitudes pas très saines, si vous voyez ce que je veux dire. Outch. Warning. Ce serait mentir que de dire qu’il est surpris ; puisqu’il a dessiné un portrait peu flatteur d’elle et qu’il s’est évidemment renseigné. Le problème, quand on est une célébrité, c’est qu’il n’y a jamais rien qui demeure secret ; et toute sa vie est étalée en ligne, ce qu’il a pu constater. Et je sais que Kieran ne souhaite pas se montrer jugeant avec qui que ce soit, d’autant quand il ne connait pas personnellement les gens, mais c’est un détail sur lequel il n’a pas pu s’empêcher de tiquer. Et il s’en veut, évidemment qu’il s’en veut. Et tu as raison, en réalité, Halstead, de t’agacer contre ces jugements trop faciles que tu peux faire ; mais à ta décharge, il y a ce passé qui biaise ton opinion. Comment être à l’aise avec les questions liées aux substances quand on a soi-même été un dommage collatéral de leurs consommations ? Mais ça, il ne le dira pas à Lena, non. Pas plus qu’il ne soulignera son avis très tranché sur de telles dérives ; car dans le fond, même si elle vient de creuser un fossé entre eux, elle avait au moins le mérite d’avoir des circonstances atténuantes. C’est drôle que tu penses ça, Kieran, alors que tes parents n’en avaient pas et que tu persistes à penser que ton existence en est pourtant une particulièrement valable. « Désolé. » Qu’il finit par répondre, un mot qu’il a souvent sur les lèvres, souvent à tort, mais qui a un peu plus de sens aujourd’hui. Bref, rien qui n'aiderait votre élève en somme. En effet. Il n’est pas sûr de vouloir conseiller à Tom de se mettre à l’alcool, hein. Je ne sais pas quoi vous dire. J'aimerais sincèrement pouvoir aider, mais c'est une problématique tellement vaste et sensible.. Et elle a raison. Il se sent encore plus stupide ; à quel moment il a cru que Lena serait en mesure de l’aider alors qu’il sait mieux que personne que chaque situation, chaque réaction, est propre à l’individu lui-même ? « Je comprends, oui. Je crois que... comme je ne sais plus quoi faire, j’ai voulu voir des solutions partout où ça me semblait possible. » Et lui faire perdre son temps par la même occasion. Pour certains la solution sera de changer de réussir à extérioriser, pour d'autres il faut changer d'environnement pour pouvoir repartir à zéro. La fuite, en un sens, même s’il s’agit de se préserver avant toute chose. « Mais dans ce cas, l’école aura gagné. » Qu’il soupire plus pour lui-même que pour la jeune femme. Le cas de Tom n’éveillera pas les consciences, non, il sera seulement enterré, caché, oublié, et les choses recommenceront. Un autre élève prendra sa place, jusqu’à ce que changer d’environnement ne suffise plus ; et tout le monde s’interrogera sur ce drame qui aurait pu être évité alors que personne n’a pourtant levé le petit doigt. L'essentiel, je crois, c'est qu'il sente qu'il n'est pas seul. Qu'il sache que vous êtes là pour lui. Mais ce n’est pas suffisant. Sa seule présence est toujours un fardeau, jamais l’inverse. Il est certain qu’à vouloir bien faire, il en fera trop et d’une façon ou d’une autre, il contribuera à la situation de Tom sans le vouloir. « Si seulement c’était suffisant. » Il souligne d’un rire nerveux, tandis qu’il passe une de ses mains sur ses yeux, dépité par ce constat. Lorsqu’il ose à nouveau regarder la jeune femme, il reste muet quelques instants. Il y a cette question sur le bout des lèvres qu’il n’ose pas formuler ; et je donne l’impulsion car après tout, qu’as-tu à perdre, Halstead ? « Vous êtes heureuse ? » Ce n’est pas la vraie question, pas vrai, Kieran ? Est-ce que c’est possible ? Est-ce que les gens comme elle, comme Tom, comme lui, peuvent être heureux après ce qu’ils ont vécu ? Est-ce que dans le fond, ils ne sont pas totalement bousillés ? « Pardon, c’est sûrement trop indiscret. » Il se reprend aussitôt, honteux d’avoir été trop loin, d’avoir toujours plus poussé la jeune femme à dévoiler son intimité. « Et je vous en ai déjà demandé beaucoup, je suis désolé. » Est-ce que les gens comme eux peuvent arriver, un jour, à légitimer leur existence et à ne pas toujours s’excuser de vivre, juste parce que certains ne le souhaitaient pas ?

@Lena Edwards

Désolé. Lena avait déjà trop entendu ce mot sans qu'il n'ait aucun sens, aucune valeur. Il servait simplement de bouclier ou de masque social à tous ceux qui n'avaient aucune idée de la réaction à avoir lorsqu'un sujet trop sensible était abordé au cours d'une conversation. Elle ne blâmerait pas Kieran pour ça car le monde entier avait cette même expression collée au visage lorsqu'un élan de pitié faisait son apparition, mais quand même, ça la gênait d'induire de telles réactions. Personne n'avait à être désolé des choix qu'elle avait fait et des erreurs qu'elle s'était infligée en dehors des coupables de lui avoir fait du mal. Personne n'avait à émettre de réaction sur une réalité qui n'était que la sienne. Elle n'attendait ni pitié, ni soutien, ni jugement : ce qu'elle venait d'exprimer était simplement un fait lié à son passé que rien ne pourrait changer même s'il résonnait parfois un peu trop dans son présent. Au moins pour ça, Kieran avait bien agit : il s'était contenté d'un mot là où d'autres en auraient prononcé de trop. C'est rien, c'est passé. Elle avait pourtant l'impression de ne jamais être libérée totalement de ses démons, mais ça, il n'avait pas besoin de l'entendre. L'essentiel était qu'elle ne comprenait pas comment sa propre expérience pourrait l'aider ou aider ce jeune à s'en sortir. Elle avait déjà essayer de témoigner, d'aborder le sujet officiellement, mais il lui semblait que ce genre de problèmes étaient plus du ressort de l'éducation des harceleurs que du soutien des victimes, à son plus grand désespoir. Je comprends, oui. Je crois que... comme je ne sais plus quoi faire, j’ai voulu voir des solutions partout où ça me semblait possible. Le voir désemparé lui faisait mal au cœur. Lena avait le don de s'intéresser à son entourage et aux particularités de chacun, elle aimait connaître les détails sortant de l'ordinaire chez les personnes qu'elle rencontrait. Il n'y a que comme ça qu'elle réussissait à garder le goût des découvertes, à garder cette étincelle de curiosité et de bienveillance aux autres qui la caractérisaient. Malgré tout, elle n'avait pas non plus les solutions. Elle aurait aimé, mais avoir subi ce genre de complications dans sa vie ne la rendaient pas experte en la matière. Je comprend, vraiment. J'aimerais savoir quoi faire. Elle ne connaissait que trop la sensation d'impuissance, l'impression que cette situation ne pourra jamais se terminer. Elle ne connaissait que trop la peur de réagir ou de demander de l'aide au risque que ça n'envenime encore plus les critiques. Elle ne connaissait que trop l'angoisse qu'on ressentait en se levant le matin et en sachant pertinemment que la journée serait rythmée de mots difficiles et mauvais. Ce qu'elle avait vécu au travers des réseaux n'était pas comparable à ce que vivait aujourd'hui les milliers d'élèves harcelés, mais elle avait aussi connu certaines violences à l'école, adolescente, et laisser ces sensations remonter en elle la rendaient particulièrement empathique, tout à coup. Son agacement envers Kieran semblait s'être évanoui complètement, lui laissant le sentiment d'être investie dans cette histoire. La seule chose qu'elle voyait à faire, si son élève n'était pas assez fort pour supporter cette situation, était un départ à zéro. De nombreuses fois elle y avait pensé mais son attachement à sa vie à Brisbane l'en avait empêchée. Mais dans ce cas, l’école aura gagné. Elle hochait la tête : fuir n'était pas la meilleure des propositions qu'elle aurait pu faire et elle en avait conscience. Fuir, c'était reconnaître la victoire des bourreaux, la défaite de celui qui subissait sans rien pouvoir y changer. Fuir, c'était garantir que d'autres personnes finiraient dans la même situation. Mais se disait qu'à un certain point, perdre valait mieux que renoncer complètement à qui on était. Si seulement c’était suffisant. Et elle était bien placée pour savoir que ça ne l'était pas, mais qu'en même temps ça aurait été bien pire sans aucun soutien. Elle était rarement si peu loquace mais ne trouvait pas les mots. Et elle aurait sans doute mieux fait de meubler pour éviter la question qui allait lui tomber dessus juste après que son regard ait croisé celui du professeur. Vous êtes heureuse ? Il était de plus en plus surprenant, le brun. Hm, je n'sais pas quoi vous dire. Et en même temps qui aurait pu répondre à cette question de but en blanc ? Lena n'était pas à plaindre, elle n'en aurait pas eu l'audace. Pardon, c’est sûrement trop indiscret. Et je vous en ai déjà demandé beaucoup, je suis désolé. Elle secouait la tête machinalement. Non je comprend, vous vous inquiétez.. Et c'était une preuve qu'il avait, contre toute attente, un grand cœur. Je le suis parfois. Elle prit une grande inspiration, se rendant compte que sa réponse méritait un développement. Je crois que personne ne l'est jamais pour toujours, que ça se travaille. Elle avait encore un gros chantier devant elle, mais elle savait espérer retrouver une stabilité un jour. Mais si la question c'est de savoir si ça m'a gâché la vie, je dirais que non. Rien n'était simple mais elle s'en était sortie. J'ai choisi de m'afficher, j'ai plus de risques que n'importe qui de subir ce genre de choses.. en dehors de ça, je crois que tout le monde peut réussir à passer à autre chose. Ça demande du temps, c'est tout. Ne dit-on pas que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ? La véracité brutale de cette comparaison était sans doute le meilleur exemple qu'elle pouvait trouver à cet instant précis. Et puis pour être tout à fait honnête, ce n'est pas que le harcèlement que j'ai vécu à cette époque qui m'ont fait tomber si bas. Disons que j'ai traversé des périodes compliquées... mais enfin. Qu'elle précisait pour qu'il ne perde pas totalement espoir. Toutes les solutions proposées à ces problèmes de harcèlement sont toujours très lâches, je trouve. La version courageuse serait d'agir à la source du problème, de venir à bout de ce fléau et d'empêcher les agresseurs d'agir. Dans un monde idéal, c'est ainsi que les écoles agiraient pour protéger les élèves. Mais là encore, je ne suis pas sûre de savoir comment procéder. Et il était peu probable qu'à eux deux ils réussissent à trouver un moyen.

C'est rien, c'est passé. Pinçant les lèvres comme pour lui confirmer qu’il ne reviendrait de toute façon par sur le sujet, Kieran se perd un instant dans sa tasse. Dans sa tête, cette rencontre aurait dû être simple. Ils auraient dû échanger des politesses d’usage avant de se mettre au travail – un travail pour lequel la jeune femme n’a pourtant pas signé. Il aurait appris son expérience personnelle en même temps que cela lui aurait donné des pistes pour tenter de régler la situation de Tom. Il aurait été particulièrement reconnaissant et leurs chemins se seraient séparés – peut-être qu’il aurait pris des nouvelles sur instagram de temps à autre, mais rien n’impliquant d’évoquer à nouveau la situation. Il aurait appliqué ses conseils à Tom et, dans la finalité, il s’en serait sorti grâce au partage de Lena. Oui, dans la tête de Kieran, les plans sont toujours simples. Trop simples, même alors qu’évidemment que les choses ne pouvaient pas se passer ainsi, car contrairement à ce qu’il semble croire, Kieran ne vit pas dans un film à la fin heureuse et que la réalité est souvent bien différente de son imagination. À cet instant, il s’en veut surtout d’avoir rouvert certains chapitres que Lena avait clos – et c’est quelque chose à laquelle il n’avait pas pensé. Il se doutait bien qu’il lui en demanderait beaucoup (trop) et que ce ne serait pas facile pour elle, mais il ne pensait pas un seul instant que la jeune femme avait pu autant souffrir de tout ça, quand bien même elle l’avait déjà évoqué lors de leur première rencontre. Alors il se sent con, terriblement con, à cet instant, Kieran, tandis qu’il regrette d’avoir fait appel à elle. Il a l’impression d’être cruel, d’appuyer là où ça fait mal par plaisir égoïste d’aider un élève. Un mal pour un bien, qu’il se disait, mais est-ce que Lena vaut vraiment la peine d’être sacrifiée de la sorte ? D’autant qu’il comprend de plus en plus que tout ceci était stupide en plus d’être déplacé, car la jeune femme ne peut pas lui apporter les réponses après lesquelles il court désespérément. Je comprends, vraiment. J'aimerais savoir quoi faire. Il affiche un fin sourire, reconnaissant qu’elle comprenne sa démarche alors qu’elle aurait eu mille raisons de lui en vouloir. Et si elle propose une solution, de son côté il n’imagine pas que cela puisse régler les choses, ou du moins, pas complètement. Tom irait mieux, c’est certain et dans le fond c’est bien ce qu’il désire, mais le message que cela renverrait serait dramatique. L’école aura gagné ; elle se sera débarrassée d’un poids, de ce gamin qui mettait à mal leur réputation et ils pourront prétendre que jamais rien ne s’est passé et que cette situation est un acte isolé, peu représentative de ce qu’il se passe réellement dans les couloirs de l’établissement. Et  Kieran, bien que peu souvent investi de convictions et de missions, n’a aucune envie de contribuer, à sa manière, à ce message.

Et il aurait dû arrêter les frais. Il aurait dû s’arrêter-là, la libérer, ne pas continuer avec son indiscrétion alors qu’il pose une question, une de celles qu’on n’ose pas verbaliser, en plus d’être particulièrement déplacée. Hm, je n'sais pas quoi vous dire. C’était suffisant pour qu’il se rétracte rapidement, mal à l’aise. Non je comprends, vous vous inquiétez.. Oui, c’est un fait, mais ça ne demeure pas suffisant. Je le suis parfois. Le parfois eut le don de l’attrister alors qu’il ne la connait pas personnellement dans le fond, et qu’il prend les choses à cœur. Je crois que personne ne l'est jamais pour toujours, que ça se travaille. Et tu ne peux pas lui donner tort, à cet instant, Kieran, n’est-ce pas ? Je le sais parce qu’il n’est pas heureux, Kieran et que parfois il se demande même s’il l’a déjà été. Bien sûr, il n’est pas constamment dans la souffrance, mais s’il fait le compte, il a l’impression d’avoir souffert plus qu’il n’a été heureux. Mais si la question c'est de savoir si ça m'a gâché la vie, je dirais que non. Et il y a cette voix dans sa tête, la sienne, qui n’arrête pas de lui dire que ça peut gâcher une vie. Qu’il en est le parfait exemple ; il aimerait croire qu’on s’en remet et que les événements passés ne définissent pas le futur – mais il sait aussi que dans certains cas, ce sont des foutaises. Pas dans le cas de Lena, mais dans le sien et peut-être dans celui de Tom. Que faire s’il ne se remet jamais vraiment ? Si le harcèlement continue et finisse par le définir, l’empêchant de devenir celui qu’il pourrait être sans ce mal-être ? Il s’est privé de cette chance en écoutant ces gens autour de lui, en refusant les rares mains qu’on pouvait lui tendre, il ne veut pas que Tom fasse la même erreur. J'ai choisi de m'afficher, j'ai plus de risques que n'importe qui de subir ce genre de choses.. en dehors de ça, je crois que tout le monde peut réussir à passer à autre chose. Ça demande du temps, c'est tout. Alors si ce n’est qu’une question de temps, pourquoi il a l’impression que le sien a été dépassé ? Que sa chance de s’en remettre a expiré et qu’il est condamné à vivre avec tout le mal qu’on a pu lui faire quand il était à l’école ? Et puis pour être tout à fait honnête, ce n'est pas que le harcèlement que j'ai vécu à cette époque qui m'ont fait tomber si bas. Disons que j'ai traversé des périodes compliquées... mais enfin. Cette confession a le don de dénouer le nœud dans sa poitrine, alors qu’il prend conscience que tout n’est pas à mettre sur le seul harcèlement qu’elle a subit, offrant un peu d’optimisme dans le cas de Tom. Toutes les solutions proposées à ces problèmes de harcèlement sont toujours très lâches, je trouve. La version courageuse serait d'agir à la source du problème, de venir à bout de ce fléau et d'empêcher les agresseurs d'agir. Mais là encore, je ne suis pas sûre de savoir comment procéder. Hochant la tête pour lui confirmer, les mots dépassent sa pensée : « Et je ne suis pas certain que donner des claques aux parents des élèves concernés soit très valorisé. » Ou aux élèves concernés, tout simplement. Il réalise très vite les mots qui ont franchi ses lèvres et il baisse la tête. « Désolé, c’est déplacé. Mais j’avoue que... parfois, j’aimerais tellement les secouer. » Dommage qu’il n’ait pas de caractère, qu’il songe, bien conscient qu’il s’agit-là d’un handicap qui le poursuivra toute sa vie, peu importe l’énergie qu’il met à le travailler. « Mais je vous remercie. » Qu’il ajoute en reprenant la parole, captant finalement son regard. « C’est sûr que... je sais pas, je m’attendais à autre chose. À des solutions toutes prêtes, même si je sais que ça n’existe pas. » Et il était déplacé de faire porter ce poids sur les épaules de Lena. « Car malgré tout, votre discours me donne de l’espoir. » Il est bien maigre, cet espoir, mais il est présent. « Et même si ça peut sembler long avant d’y arriver, vous avez l’air de ne pas trop mal vous en sortir. » Il se permet, hésitant, marquant une pause dans son discours, tandis que son regard fuit à nouveau. « Je sais bien que je vous connais pas et qu’encore une fois je me base sur une impression et que... enfin, jusqu’ici, vous serez d’accord avec moi sur le fait que ça nous a pas vraiment réussi. » Il aurait dû se taire, plutôt que de faire référence aux circonstances de leur première rencontre. « Mais vous m’avez l’air d’avoir votre petit succès, d’avoir un entourage sur lequel vous pouvez compter et... d’avoir fait la paix avec certaines choses. Peut-être pas tout, mais c’est déjà mieux que rien, que j’imagine. » Il se base sur ce qu’elle dévoile sur son instagram et même s’il sait que c’est souvent peu représentatif de la réalité, il aime croire qu’il y a des moments où elle ne ment pas, et où elle est aussi heureuse qu’elle ne le montre. « Alors même si je vais encore dans l’inconnu avec tout ça, j’aime croire que ça ne lui gâchera pas la vie à lui non plus. » Il aime croire cette idée et, surtout, il doit y croire, car Tom lui-même semble ne plus l’espérer. « Et j’ai bien assez abusé de votre temps et de votre bienveillance. » Qu’il finit par dire, conscient que même si la rencontre n’a pas été dans le sens qu’il l’espérait, elle a donné beaucoup, bien plus qu’il n’avait à le faire, d’ailleurs.

@Lena Edwards