Depuis mon réveil, j’ai la sensation de vivre dans une bulle. Bien souvent, j’ai l’impression de ne pas tout comprendre. Il m’est difficile de me souvenir des jours qui précèdent l’accident et plus le temps passe, plus je me demande ce dont je me souviens réellement. C’est comme si ma mémoire était devenue un véritable champ de mines. Certains visages restent familiers, mais c’est souvent le contexte qui me manque ou plutôt les dernières informations. Cela ne fait que quelques jours depuis mon véritable réveil, mais le neurologue est déjà passé plusieurs fois dans ma chambre, toujours en me posant des questions sur la temporalité des événements. La plupart du temps, je réponds à côté de la plaque. Il semblerait que l’on soit en 2021 et non pas en 2019 comme j’en étais absolument persuadé lors de ma première conversation avec Thomas. Depuis tout semble flou et parfois peu cohérent. Je me demande même si tout cela n’est pas encore un rêve provoqué par toutes les drogues qu’ils ont su m’injecter. Il paraît que je suis resté dans le coma près de trois semaines. Tout me paraît un peu dingue et je supporte de moins en moins de me retrouver enfermer dans cette chambre, même si je ne suis réveillé que depuis quelques jours seulement. Malheureusement, je suis bien incapable de bouger avec ma jambe enfermée dans un plâtre qui part du bout de mes orteils jusqu’au haut de ma cuisse. On me parle de rééducation, d’examens en tout genre et j’essaye de suivre, mais bien souvent, c’est le mal de crâne qui l’emporte, m’obligeant à dormir plus que de raison pour faire passer la douleur.

Ce matin encore, j’ai eu le droit à une tournée dans tout l’hôpital pour différents examens. Un IRM pour ma tête afin de vérifier que tout se remet en place correctement après le traumatisme crânien que j’ai subi, une prise de sang pour différentes analyses et bien entendu une poignée de médicaments à avaler. L’après-midi ne fait que débuter et j’ai déjà eu le temps de manger et faire une petite sieste. Dehors, les nuages ont cédé leur place au soleil et je soupire le regard rivé sur la fenêtre.

Le héros du jour prend la forme d’un Thomas souriant qui débarque sans frapper. « Sors-moi de là Tom. » Il fait ce qu’il veut, il va emmerder qui il veut, mais je veux pouvoir bouger autrement que pour aller passer des examens. « Même juste cinq minutes, je veux aller dehors. » Mon regard croise le sien presque suppliant. « S’il te plaît… » Il est douloureux pour moi de me relever dans mon lit, mais on est dans un hôpital, ils ont bien des fauteuils roulants ou n’importe quoi pour m’aider. J’ai besoin d’aller prendre l’air, besoin de sentir les rayons du soleil sur ma peau même si je dois faire attention, même si mon corps est plus faible que jamais. J’ai aussi besoin de parler à mon meilleur ami sans que les oreilles des infirmières de l’étage ne rôdent dans le coin.


@thomas beauregard

ENFIN! Enfin j'ai eu cet appel tant attendu de l'hôpital pour me dire que Cian était en phase d'éveil. J'ai tout lâché dans mon bureau, j'ai laissé Thalia avec quelques explications et j'ai filé à l'hôpital. Arrivé sur place, c'était un peu la désillusion parce que...ben les réveils en vrai ce n'est pas un patient qui se réveil d'un coup comme dans les films, non. Si j'ai été appelé c'est juste parce que mon meilleur ami a réagit à plusieurs sollicitations et que ses derniers examens montraient de très bons résultats. Il m'a fallut une bonne semaine de plus pour pouvoir commencer à interagir avec Cian, puis quelques jours encore avant qu'il ne prononce les premiers mots et qu'il ne fasse ses premiers gestes.

Aujourd'hui ne fait exception : je me gare à nouveau à l'hôpital après une grosse mâtiné de travail. J'ai eu l'autorisation de commencer ma permission plus tôt et c'est donc en début d'après midi que je me retrouve ici soulagé que pendant les deux prochaines semaines je n'aurais plus qu'à jongler entre Cian et mon frère -qui est toujours aussi déprimé depuis la mort de son meilleur ami- , mes enfants étant avec leur mère et leur père respectifs pendant les quinze jours qui vont arrivé. Malgré tout, alors que je m'avance vers le hall d'entrée, j'ai comme l'impression que le capitaine Nicholson va se faire un malin plaisir pour me rappeler pendant mes deux semaines de permissions. Le remplaçant de Sullivan vient d'arriver en début de semaines et je ne l'ai pas côtoyer bien longtemps. Mais les quelques heures que j'ai passé en sa compagnie, il m'a semblé être un vrai con. Le genre qui n'hésitera pas à faire de l'abus de pouvoir quand ça l'arrange et ce que pour le fun. J'ose espéré que je me fasse des idées, mais je le sens mal et je regrette déjà maintenant notre cher Sullivan.

Traversant le couloir du premier étage où est hospitalisé Cian, je chasse ces pensées négatives et c'est, avec un large sourire que j'entre dans sa chambre.  « salut le m...» commençais-je avant que Cian ne me coupe la parole en m'ordonnant de le sortir de là. Il me supplie de lui accorder cinq minutes à l'extérieur du bâtiment car il en a marre. Mon regard s'adouçit un peu et j'hoche la tête  «Laisse moi deux minutes, le temps d'aller chercher Petra, ta grande copine » dis-je sur un ton moqueur sachant parfaitement à quel point l'amour est fort entre cette infirmière et Cian  «Mais d'abord ... » je fouille mon sac à dos et en sort un nounours que je pose sur le ventre du soldat  « T'as vu ? Il a aussi une jambe dans le plâtre et un bras cassé» dis-je avec un large sourire, fière de ma connerie  «vous allez bien vous entendre. Donne lui un nom ! » et ni une ni deux je ressors dans le couloir.

Je reviens quelques minutes plus tard flanqué de deux infirmières qui s'affaire à installer Cian dans un fauteuil roulant. Je reste en retrait, les laissant faire leur travail et ne sachant pas qui plaindre de plus : Cian qui souffre ou elles qui se font engueuler. Dans tous les cas, lorsqu'une d'elles attrape la veste du militaire, je m'avance  «Je m'en occupe, ne vous inquiétez pas » intervenais-je avant un sourire. Me gratifiant d'un sourire et d'un hochement de tête, elles s'en vont de nouveau et je m'approche de Cian  «on a le droit de sortir aussi longtemps qu'on veut » dis-je en l'aidant à passer son bras valide dans une manche de la veste  « Je propose qu'on aille se chercher un café dans le café par trop loin et qu'on se pose dans le parc. Il fait un peu froid mais y a encore un peu de soleil. Donc autant en profiter !» je me recule et observe Cian  « Tu veux une chaussette aussi ?» demandais-je en allant lui chatouiller les doigts de pieds qui dépassent du plâtre. Je laisse échapper un rire avant de lui mettre une chaussure au pied et passer derrière lui.   « Et c'est partiiiie !!» lançais-je en le poussant vers le couloir.

Nous le traversons rapidement jusqu'à l'ascenseur qui nous amène au rez-de-chaussé où Cian peut enfin respirer l'air frais de la liberté.  « Bon... raconte moi, est-ce que le lion a réussi à attraper la gazelle finalement ?» demandais-je en faisant référence à l’émission sur les animaux sauvages que nous avons regardé ensemble avant que Petra ne me vire de la chambre  «et …. en fait j'ai une meilleure idée que le café » décidais-je finalement en virant vers la gauche au lieu de prendre à droite.

Qu’importe son emploi du temps plus que chargé, qu’importe le fait qu’il soit seul avec ses enfants, Thomas n’a jamais louper une visite depuis mon réveil. Il était là quand tout était encore réellement flou, quand je ne restais éveiller que quelques minutes et que j’avais bien du mal à parler. Il a allongé ses visites du moment où l’on a pu échanger à nouveau. Il squatte la chaise à côté de mon lit, il m’apporte tout ce que j’aime et m’aide pour tenir tête à l’infirmière de temps en temps. Il est mon pilier dans toute cette situation, le seul à qui je peux parler de mes doutes, le seul qui est au courant de tout ce qui se passe depuis le départ. Je sais que je peux compter sur lui et c’est bien pour cela que je n’hésite pas, une seule seconde à lui demander de m’aider à sortir. J’ai bien compris que je n’allais pas revoir mon appartement avant un long moment, mais me garder enfermer dans cette chambre n’allait pas aider. J’ai besoin de faire semblant d’avoir un retour à une vie normale, juste le temps de prendre l’air. « Non mais y a Louisa aujourd’hui. » Qu’importe ce que je peux bien dire, il est certain qu’il va se donner un malin plaisir à aller demander l’autorisation à Petra. Ce n’est pas que je n’aime pas l’infirmière, mais disons que nous avons déjà eu nos différends. Elle est celle qui vient souvent me poser des questions sous l’ordre du neurologue et donc celle qui m’énerve assez facilement puisqu'une fois sur deux, je ne me souviens pas et suis bien incapable de lui répondre.

Avant de filer Thomas me colle une peluche sur le ventre qui m’arrache un léger rire. « Haha très drôle. » J’observe le petit ourson et me dis que c’est probablement sa fille qui aurait préféré recevoir une peluche. Néanmoins, je décide de garder l’ourson sur ma table de nuit tandis que Thomas file dans le couloir. Je sais qu’il va réussir à obtenir l’autorisation et j’ai déjà hâte de pouvoir aller dehors pour quelques minutes.

Le processus pour sortir du lit est tout ce qu’il y a de plus douleur. Mon épaule me fait encore souffrir, j’ai les côtes en feu et il est presque impossible de trouver une position confortable avec ce plâtre. Je râle tout simplement parce que c’est plus fort que moi, parce que j’ai mal de partout et que ça ne cesse pas. Heureusement, c’est bien rapidement mon meilleur ami qui prend le relais alors qu’il m’explique son plan. « Je rêve d’un vrai bon café. » Et pas ce jus de chaussette que l’on nous sert au restaurant. « T’aurais dû aller m’en chercher un au DBD, celui de Matt, c’est le meilleur. » que j’affirme alors que je m’installe à nouveau dans le fond du siège après avoir enfilé une veste. Je crois que je n’ai jamais été aussi excité de rejoindre l’extérieur, qu’importe si le moindre mouvement me paraît impossible, qu’importe si je vais mettre des heures à m’en remettre. « Tu t’amuses trop de la situation. » que je râle malgré tout, alors que Thomas semble plus heureux que jamais à l’idée de pouvoir me balader sans que je ne puisse rien décider.

Lorsqu’il évoque l’émission que l’on regardait l’autre jour, j’éclate de rire. C’est que je suis devenu un expert en programme télévisé en seulement quelques jours même si je ne regarde jamais l’écran bien longtemps avant que mon mal de crâne ne revienne. « Il en a bouffé un bout et à laisser le reste aux charognes, c’était pas fou. » Après, je me suis endormi, je crois. Il s’en fiche bien Thomas quant à peine dehors, il change déjà le programme sur un ton presque trop mystérieux. « Et tu m’emmènes où ? » que je demande alors que mes yeux se ferment pour apprécier les quelques rayons du soleil qui viennent chatouiller la peau de mon visage blême.

Je sais bien qu'il y a d'autres infirmières que Petra dans ce service. Mais je sais que voir interagir mon meilleur ami avec celle-ci est particulièrement divertissant. Toutefois, j'avoue qu'au dernier moment j'ai une once de pitié et j'avoue un peu soulagé quand l'infirmière en chef demande de l'aide à une plus jeune qui est plus au goût de Cian. Ou peut-être est-ce lui qui est à son goût ? Je ne saurais le dire. Dans tous les cas, elles ne font que l'installer dans le fauteuil et je gère le reste, m'amusant un peu de la situation de force dans laquelle je me trouve, me vengeant ainsi pour toutes les années où il a été insupportable. De toute manière, mieux vaut ça que de le prendre en pitié et y aller avec des pincettes ! Je suis persuadé qu'il m'en voudrais bien plus que si je fais des blagues en me moquant de sa gueule de zombie et en allant chatouiller ses doigts de pieds.

C'est donc ainsi, après que j'ai aidé mon frère de cœur à s'habiller correctement, que je guide le fauteuil roulant vers la sortie, lui promettant un bon café. Quelle faute ! Voilà-t-il pas que Cian évoque le nom de Matt. C'est vrai que c'est un détail que je ne lui ai pas encore révélé, leur accident étant arrivé plus ou moins en même temps, il ne peut pas être au courant de tout ce qui s'est passé et que Matt n'est plus de ce monde. Cela dit, je décide de ne pas trop lui révéler d'un coup et hausse simplement les épaules, heureux toutefois qu'étant donné sa position, Cian ne peut pas voir la grimace qui passe sur mon visage  «Oh tu sais, depuis qu'il a changé de fournisseur de café c'est plus la même chose  » déclarais-je sur le ton le plus naturel possible  «Il a changé il y a deux mois je crois, donc normal que tu ne t'en rappelle plus. Je sais d'ailleurs même si t'as eu l'occasion de goûter à son nouveau mélange» j'immobilise le fauteuil face à la route et m'avance pour me placer à côté de Cian de façon à pouvoir le voir et lui parler en face  « Il est beaucoup plus doux son café et tu les aimes bien corsé...enfin je t'en ramènerais un la prochaine fois » si j'ai le courage d'y passer, au DBD ajoutais-je dans ma tête avant de donner une impulsion au fauteuil pour traverser la route.

Je décide de changer de sujet et évoque l'émission sur les animaux que nous avons regardé ensemble la dernière fois, me joignant facilement au rire du soldat  « Tous ces efforts pour rien ...» soufflais-je en secouant la tête avant der sourire, mystérieux, lorsque Cian me demande où je l'emmène  «Tu verras bien assez tôt ... »

Et effectivement, il ne faut pas plus de deux minutes pour que nous arrivions à destination : un de nos diners favoris. Là où nous passions la plupart de nos soirées lorsque nous étions à l'école militaire et où nous allons encore au moins une fois par mois.  «tadaaa ! » dis-je en me plaçant devant Cian, les bras écartés pour une présentation théâtral.  «te connaissant t'as sûrement encore rien manger de ce qu'on t'as donné à Midi donc je vais te payer le meilleur hamburger du monde avec une grosse portion de frite. » Je me tourne vers le jeune homme, large sourire sur les lèvres  «Ose dire que je ne suis pas le meilleur des meilleurs amis du monde ! » je laisse échapper un rire puis reprend ma place de chauffeur et guide le fauteuil avec son passager vers l'entrée. Après avoir galérer pour entrer nous finissons par trouver une place et j'aide Cian à s'installer le plus confortablement possible avant d'aller prendre notre commande.

Quelques minutes plus tard je dépose un plateau bien garnis sur la table devant nous  « Eeeeh voilà ! Bon appétit» déclarais-je avec un accent français presque impeccable  «ou alors ... sláinte mhaith comme on dirait dans ton pays » ajoutais-je en attrapant un cheeseburger  « Profite bien, je ne suis pas certain que Petra nous laisser sortir à nouveau quand elle se rendre compte de ce que t'as bouffé» et je croque avidement dans mon burger.

Depuis mon réveil et surtout depuis que les pièces ne semblent plus s’aligner correctement dans le fond de mon esprit, il y a toujours comme un léger malaise lorsque je me retrouve avec l’un de mes proches. Les visites se font encore assez rares, elle m’épuise bien souvent plus que de raison, mais je le sens en particulier avec Thomas. Il n’a jamais rien dit, jamais perdu son sourire, mais je vois bien qu’il fait attention, qu’il taquine sans jamais aller dans les intentions qu’il pouvait avoir auparavant. C’est toujours léger, presque timide. J’ose imaginer que l’accident a été une belle frayeur pour lui, je n’ai aucun souvenir de mon arrivée à l’hôpital, mais je suppose qu’il était là dans les premiers. Il semble ne pas vouloir évoquer les trois semaines que j’ai passées dans le coma et je ne lui en veux pas. C’est comme marcher sur des œufs, sans savoir comment se lancer. Au moins, son sourire se veut communicatif.

Ce n’est pas que je n’apprécie pas les plaisanteries, mais je suis soudainement presque mal à l’aise lorsqu’il sous-entend que je ne me souviens à peine du café que je préfère. Les troubles de mémoires sont liés au choc rencontré, le médecin a même dit que ça ne pouvait être que temporaire. Il n’y pas de quoi s’inquiéter pas vrai ? Je soupire quelque peu sans trop relever les paroles de Thomas. « Bon même un café moyennement passable, ça ira. » que j’ajoute pour la forme, parce que je veux pas qu’il s’inquiète de trop. Je voudrais lui dire que je n’ai pas tout oublié, que si je me concentre assez longtemps tout me revient, mais les mots restent coincés dans le fond de ma gorge.

La bonne humeur de Thomas semble presque communicative lorsqu’il finit par me faire sourire à m’amener dans notre diner favori. « Ça fait des années qu’on n'était pas venu ! » Et la perspective de manger autre chose que l’immonde bouillie que l’on nous sert à l’hôpital me ferait presque frétiller de bonheur. Il est fier de son idée l’asperge et je finis par lever les yeux au ciel. « T’apporte pas trop de mérité non plus, tu pourras plus passer les portes. » À ce jour, c’est plutôt ma personne qui se trouve avec un léger problème pour passer l’encadrement. Le fauteuil est presque trop large, ma jambe gauche en extension n’aide en rien dans le processus. C’est galère mais on finit par s’en sortir, même si tous les regards se tournent vers nous. C’est que je me sens presque gêné, mais tout s’oublie bien rapidement.

Comme un enfant, j’attends que Thomas aille passer commande et nous ramène un plateau incroyablement bien garni. « Sláinte mhaith mate. » Je ne me fais pas prier pour croquer dans le burger avec appétit. J’en avais réellement oublié la sensation, de manger quelque chose de vraiment bon. « Ouais, bah, on dira à Petra que leur bouillie, c’est de la merde. » Oh, cela promet des conversations encore endiablées avec l’infirmière. Dans le fond, je suis persuadé qu’elle m’aime bien, mais qu’on est bien incapable de ne pas se chamailler. « T’as parlé au médecin ? Tu crois que je pourrais bientôt rentrer ? » Je n’aime pas rester enfermer dans cette chambre d’hôpital, encore moins devoir subir de nombreux examens, j’aimerais que l’on me laisse un peu tranquille pour être honnête. « Faut que tu m’envoies Sullivan aussi, j’veux pas rester au banc éternellement. » Reconnecter avec la réalité, resté en contact avec le travail, c’est important. « Ça va à la base d’ailleurs ? » Parle-moi de la vie normale, Tom.

J'aimerais dire que tout est facile, que je traite Cian comme si de rien n'était, que je vois outre son amnésie et son petit physique actuel, mais fait est que c'est bien plus compliqué. Je suis patient, je lui explique tranquillement plusieurs fois les choses qu'il ne comprend pas mais j'ai souvent du mal à masquer mon trouble lorsqu'il me pose des questions un peu plus personnelles. C'est ainsi que je peine à trouver mes mots lorsqu'il évoque Matt et le DBD et je sais que Cian n'est pas dupe, je sais que ça l'emmerde profondément de savoir que sa mémoire lui fait défaut lorsqu'il répond que même un café passablement buvable lui ferait du bien. Je décide de rien répondre, car de toute manière je ne saurais pas quoi dire de plus et profite du fait d'arriver au diner pour changer de sujet.

Après qu'on se soit installé et que je sois revenu avec un plateau bien garni, je reprend avec légèreté qu'on ne devra rien dire à Petra. Du tac au tac, Cian répond qu'on aura cas lui dire la vérité sur la bouffes qu'ils servent à l'hôpital et je laisse échapper un petit rire  « Tu sais quand même que les soignants n'y peuvent rien, pas vrai ?» demandais-je, sourire mutin sur les lèvres alors que je pose le burger et que je m'affaire à ouvrir le ketchup  « Mais tu peux te plaindre à la cuisine au pire» haussais-je les épaule tandis que je vide le petit paquet sur le plateau.

C'est alors que Cian reprend la parole, me demandant de lui parler de moi et surtout de la vie à la base. Lorsqu'il évoque Sullivan, je ne peux m'empêcher de baisser le regard en un soupire  « Il n'est plus là» dis-je doucement, cherchant les mots adéquats  «Il a été muté dans une autre base et depuis le début de la semaine c'est un certain Nicholson qui le remplace et d'après ce que j'en ai entendu, il va rester définitivement » je pince les lèvres et observe la frite quelques instants la frite que je tiens en main avant de croquer dedans et relever mon regard sur le soldat  «Mais Sullivan faisait parti des premiers à être venu te voir quand t'étais dans le coma. » ajoutais-je  « Il me demande régulièrement de tes nouvelles et je suis encore pas mal en contact avec lui. Mais ton retour ne dépend plus de lui du coup» j'hausse les épaules  « de toute façon, dans ton état, je ne pense pas que tu reprendras le boulot cette année encore» je grimace légèrement  «Les médecins trouvent que tu fais de très bon progrès, que tes blessures sont en bonne voie de guérisons, mais je doute fortement qu'ils vont te laisser sortir bientôt  » je déteste annoncer des telles mauvaises nouvelles à Cian  «Je le dis et le repête : prends ton temps. Je sais que c'est horrible et que toute cette situation te dépasse bien trop souvent, mais je t'en supplie Cian, prend sur toi. Il ne sert à rien de rusher les choses, ce ne sera que contre productif  » je soupire doucement et reprend mon burger en main  «En attendant, je serais à tes côtés tous les jours, tu ne pourras pas te débarrasser de moi si facilement » je lui adresse un sourire sincère et entendu. Ce sera une des plus rude épreuve que notre amitié ait connue, mais après 20 ans de relation fraternelle, je pense que nos liens sont assez solides pour qu'ils puissent y survivre avec facilité.

« Ce sera mon prochain objectif : réussir à aller me plaindre en cuisine. » Je plaisante, mais qu’à moitié, il faut croire. Ce n’est pas que la nourriture que l’on nous sert est nécessairement affreuse de manière quotidienne, mais disons que de manière globale cela ne ferait pas de mal de mettre un minimum d’effort. Ce n’est déjà pas une partie de plaisir que de se retrouver dans une chambre d’hôpital, ça l’est encore moins lorsque l’on ne peut même pas se faire plaisir avec un bon repas. Alors je me plains, parce que cela fait rire Thomas et parce que je vois bien à quel point il cherche à faire durer la plaisanterie pour ne pas s’attarder sur les sujets un peu plus sérieux.

C’est la première fois depuis mon réveil que j’évoque la base et donc mon travail. Ce n’est un secret pour personne quand tous mes proches savent à quel point je suis accro à mon job. Je voudrais pouvoir retrouver mon bureau et surtout voir notre supérieur pour discuter un peu de toutes les éventualités qui s’offre à moi. Je ne suis pas idiot, rien ne se fera du jour au lendemain, mais je ne veux pas que l’on me relègue au placard, il en est hors de questions. J’avais anticipé le changement de ton de la part de Thomas, mais jamais je n’aurais pu prévoir ce qu’il est en train de me raconter. « Quoi ?! » Sullivan ne travaille plus à la base et voilà que mon meilleur ami évoque un nouveau qui semble bien moins commode. « Qu’est-ce qui s’est passé avec Sullivan ? » Ils n’ont pas pu le mettre à la porte de cette manière, pas aussi simplement, pas après autant d’années. Et voilà que je tente à nouveau de chercher dans ma mémoire un événement qui aurait pu donner raison à tout cela. Est-ce qu’il a sauté après nous avoir laissé autant de passe-droit ? « Dis-lui de venir me voir quand même… » Il faut que Sullivan m’explique tout cela par lui-même, je veux comprendre et probablement lui adresser mes excuses par la même occasion.

La suite des paroles du militaire m’enchante encore moins. J’ai conscience que mon état actuel ne pourra me permettre de retourner au travail immédiatement, mais je ne compte pas pourrir dans une chambre d’hôpital pour le reste de ma vie. « T’as conscience que je vais pas rester un infirme ? » Je ne supporterais pas l’idée, qu’importe le prix à payer. Il le sait parfaitement Thomas quand il me connaît par cœur et que son regard est devenu bien plus fuyant. Ils sont malins les médecins de laisser ce genre d’annonce aux proches, quand jamais le chirurgien m’a parlé d’une immobilisation à vie. « Qu’est-ce qu’ils t’ont dit et qu’on me cache ? » Il faut qu’il soit honnête avec moi, Thomas, il est bien le seul en qui j’ai parfaitement confiance pour cela. D’ailleurs, un léger rire m’échappe alors qu’il s’applique à me proposer son aide de manière journalière. « Myrddin va être ravi tiens. » Oui, il sera enchanté, j’en suis persuadé.

La réaction de Cian lorsque je lui annonce le départ et le remplacement de Sullivan c'est la même que celle que j'ai eu moi-même quand je suis arrivé un matin et que j'ai vu le militaire entrain de faire ses affaires. C'est arrivé tellement subitement que je me suis réellement posé la question si c'était justifié et surtout si l'état était dans son droit. Mais au final, aucune protestation n'a changé quoique ce soit et maintenant nous nous retrouvons avec Nicholson sous les bras. Lorsque Cian souhaite avoir plus d'explications, j'hausse les épaules, affichant une moue désuète alors que j'attrape une frite entre mes doigts  « Je sais pas. Vraiment, j'ai aucune idée du pourquoi du comment il a été muté à Sydney» je soupire doucement et hausse les épaules  «Je crois, cela dit, qu'il a de la famille là-bas. Mais il nous l'aurait dit s'il avait demandé lui-même sa mutation. Il ne l'aurait pas fait en secret je pense » je pince les lèvres avant de croquer sans la pomme frite.  «Mais oui, je lui ait dit que tu étais réveillé et je peux sans problème lui dire que tu es fin près à accepter du monde » je lui adresse un doux sourire puis attrape mon burger.

Cian me demande ensuite si les médecins m'avaient dit quelques chose concernant son état et surtout il se demande s'il peut venir travailler rapidement. Je lui annonce que, malheureusement, ce ne sera pas le cas, qu'avec ses blessures il risque même de ne pas revenir à la base cette année encore. Ce à quoi il me demande si je lui au courant qu'il ne restera pas un infirme éternellement avant qu'il ne devienne parano.  «Ils m'ont dit exactement ce qu'ils t'ont dit : ton état est, certes, stable, mais tu n'as juste pas la force de revenir travailler alors qu'on fait un métier physique qui nécessite d'être présent à 100%, autant physiquement que mentalement » j'incline légèrement la tête sur le côté  « Je ne pense pas que ton amnésie passagère sera un frein, mais faut être réaliste Cian : tu n'es pas près physiquement à revenir dans ta carrière de militaire. Du moins, pas dans l'immédiat en tout cas. Un jour tu reviendras, mais ni moi ni les médecins ne savent quand» mon ton est intransigeant et je le fixe avec l'air de dire de ne pas jouer au con, priant que pour une fois il n'ira pas plus vite que la musique et qu'il se prendra le temps nécessaire pour sa guérison.

La dernière déclaration, bien que dite sur le ton de l'humour pour mon meilleur ami, me touche directement au cœur. Lorsqu'il prononce le nom de mon ex mari, c'est comme si on enfonçait une dague empoisonné dans l'un des organes qui me tiens en vie. Baissant instantanément le regard, je regrette amèrement de ne pas pouvoir cacher ma douleur mentale  « Myrddin et moi c'est fini» soufflais-je entre mes dents serrées  «ça fait plus de deux ans que nous nous sommes séparé » et la douleur est toujours aussi présente. Pas tout le temps, mais parfois ça me prend comme ça  «C'est pas grave, tu pouvais pas le savoir, mais je ...enfin, voilà. Myrddin et moi c'est de l'histoire ancienne. Nous nous côtoyons encore de temps en temps depuis qu'il est de retour en ville mais seulement pour Arthur» je pose mon burger sur l'assiette, l'observant avec un certain dégoût, ma faim s'étant presque instantanément coupée.  «Si tu pouvais éviter, à l'avenir, d'évoquer son nom, ce serait cool » pendant tout ce temps, je n'ai plus regardé Cian dans les yeux, mon regard restant fixé sur la table devant moi.

C’est comme se prendre un énième coup de massue sur le coin de la nuque lorsque Thomas m’annonce que Sullivan a quitté la base. Je fronce les sourcils, tente de fouiller dans un coin de ma mémoire à la recherche du moindre indice qui pourrait me laisser comprendre que j’étais déjà au courant de tout cela. J’ai beau entendre les paroles de mon ami, je refuse de croire que notre chef est décidé de partir sans jamais nous en parler, sans donner le moindre indice à l’un d’entre nous. Ce n’était pas son genre à Sullivan. « Tu penses qu’on l’a forcé à partir ? » Il a toujours été un brin laxiste avec nous, on faisait nos conneries et il réussissait toujours par nous couvrir d’une manière ou d’une autre. Ce n’était pas un tyran, juste un homme qui aime son métier et ses hommes. Je refuse d’admettre que je ne travaillerais plus jamais avec lui, cela me paraît complètement surréaliste. « S’il te plaît, j’aimerais vraiment le voir. » Juste une dernière fois, semblerait-il.

Évoquer ma propre situation est beaucoup moins aisé tant j’ai la sensation que les médecins ne me disent pas tout. Aucun d’entre eux n’a encore osé aborder le sujet de la reprise du travail et je soupçonne presque Thomas de l’avoir demandé d’éviter une telle conversation. Il me ressort le même baratin que j’entends depuis mon réveil et je retiens un soupir, préférant mordre dans mon hamburger. Je déteste l’entendre me dire que je ne pourrais être de retour rapidement. Voilà que je vais me retrouver tenu à l’écart, que l’on va commencer à discuter sur mes capacités à reprendre les vols. « Tu dois leur dire que je pourrais toujours voler. » Ma voix craque presque sur la fin tandis que mes mains tremblent me forçant à lâcher la nourriture que je tentais de mâchonner pour mieux dissimuler l’émotion qui se mêle à l’angoisse. « Les laisses pas me refourguer à un grade de merde ou pire en civil. » Je ne pourrais pas tenir et il le sait parfaitement. Mon métier, c’est ce qui m’a toujours permis de tenir et je ne pourrais envisager de prendre ma retraite aussi tôt. « Je te fais confiance. » Et c’est probablement la pire des tâches que je viens de laisser glisser entre ses doigts.

Comme pour palier à l’émotion palpable, comme pour faire le malin, je me permets une petite blague sur la dévotion de Thomas. Je m’attendais à entendre son rire éclater dans la salle du restaurant et non pas à ce silence qui devient étrangement pesant. Son annonce fait l’effet d’une bombe, me ramenant en pleine figure cette amnésie qui a décidé d’effacer les deux dernières années de ma vie. « Je suis désolé, Thomas. » Je remarque immédiatement que le sujet est sensible, retiens un ‘je ne savais pas’ de glisser entre mes lèvres et me contenter d’avancer la main pour venir la poser sur la sienne. C’est un autre doute horrible qui s’en part de moi. « Je t’ai pas laissé tout seul hein ? J’étais avec toi ? » Je serais bien incapable de comprendre s’il m’avouait avoir traversé cette épreuve seule. « J’ai pas été le con obnubilé par sa copine hein ? » Je repense à Autumn qui semblait si douce, mais dont je ne me souvenais à peine. Elle avait dû partir trop vite, mais j’attends sa visite avec un peu plus d’impatience à chaque jour qui passe.

Moi qui voulait que nous passions une simple soirée entre meilleurs amis, sans prise de tête et avec légèreté, je fini par devoir me rendre que c'est impossible que ça arrive. Très rapidement, nous retombons dans les vieux schémas avec des annonces qui ne sont pas agréables à entendre. Évidemment que Cian n'en sait rien du départ de Sullivan qui s'est fait la semaine dernière et encore moins de ce nouveau capitaine qui, après seulement une semaine, commence déjà à montrer son vrai visage.  «Je ne sais pas » avouais-je lorsque Cian me demande si Sullivan a été forcé à partir  « Je lui ai demandé mais je n'ai encore l'info» haussais-je les épaules  «on a prévu de s'appeler demain soir donc j'en saurais un peu plus la prochaine fois que je viendrais te voir » je lui adresse un sourire confiant et mord dans mon burger.

Maintenant que nous sommes lancé sur le sujet de la base, voilà que Cian s'inquiète du fait qu'on l'oublie et surtout qu'il ne pourra plus voler. Vu le ton sur lequel il me parle, sa peur d'être refourgué à un post de bureau ou, pire, une mise à la retraite prématurée, est réelle.  « Je vais tout faire ce qui est en mon possible pour pas que ça n'arrive jusque là» lui assurais-je  « On fait un deal ? Tu fais en sorte de guérir tranquillement et moi je te garde ta place bien au chaud, ok ?» j'hausse les épaules  «Il y en a qui appellerait ça de l'abus de pouvoir, moi je dis que c'est juste naturel. Tu as servi tellement longtemps dans l'armée, on ne va laisser un simple accident se mettre à travers de ta carrière et oublier les vingt ans de bons et loyaux services » mon ton est confiant, tant je suis persuadé que mon grade d'amiral jouera en notre faveur  « on trouveras déjà une solution pour que tu puisse retrouver ta place» assurais-je à nouveau pour éviter que Cian ne s'inquiète de trop.

Malheureusement, cette assurance, dont je fais preuve, est brusquement brisée lorsque mon meilleur ami évoque Myrddin, pensant réellement que notre relation est encore au goût du jour. Même si je le voulais, je n'aurais pas réussi à cacher mon émotion et c'est, dans un soupire, que je baisse le regard, lui expliquant, tranquillement, que l'Irlandais est mon ex-maris et que nous n'avons plus de contact. Je tais que le fait que nous n'ayons aucun avenir, Myrddin et moi, me fait encore bien trop souvent mal et que je me suis rendu malade pendant des mois, mais je pense que Cian le comprend tant il est rapide à venir poser sa main sur la mienne. En relevant dans le visage, je vois dans son regard l'incertitude qui y est dépeint bien trop souvent ces derniers temps, alors qu'il me demande s'il été là pour moi, avançant l'inquiétude d'avoir été le gars trop obnubilé par sa copine.

 «Tu as été le meilleur » dis-je en hochant la tête  « en fait, en 2019, Myrddin a eu une offre pour se produire à l'international avec une compagnie basé à Dublin. Et il a accepté sans m'en parler...» je soupire doucement en baissant à nouveau le regard, retirant ma main de celle de Cian  « Je l'ai toujours encouragé pour retrouver le chemin vers la scène, mais je ne pensais pas qu'il serait capable de faire ce qu'il a fait» j'hausse les épaules  «Enfin, bref, lorsqu'il est parti j'ai passé quelques semaines chez toi avant de décidé de faire la surprise à Myrddin. On est parti ensemble en Irlande pour Noël cette année là » je grimace  « Et ce qui devait être une surprise s'est finalement transformée en rupture total parce que Myrddin avait clairement refait sa vie amoureuse à Dublin avec un comédien de sa troupe» je ferme les yeux et me passe la main sur les tempes  «  on a décidé d'un commun accord que c'était mieux qu'on en reste là et le 10 janvier 2020 les papiers du divorce étaient signé. J'ai eu la garde d'Arthur le temps que Myrddin revienne en ville et maintenant on est en garde alternée.» un sourire, ressemblant plus à une grimace qu'autre chose, se dessine sur mon visage  « Enfin voilà, deux mariages avorté en moins de 5 ans» je secoue la tête  «D'ailleurs, tu m'avais fait la promesse solennelle de me retenir à coup de baffe si je me mettais en tête de me marier à nouveau un jour »

Le moment se voulait léger, mais comme à chacune de ses visites, j’ai besoin que Thomas me parle. L’amnésie à bouleverser mon équilibre, venant mettre à mal tout ce que je crois connaître et toutes les certitudes avec lesquelles je me suis réveillé. Parmi tous mes visiteurs, je sais que le militaire est bel et bien le seul qui ne prendra pas de gants avec moi. Il ne fait pas semblant d’éviter le sujet lorsque je parle de toutes mes craintes liées à notre métier. Sans langue de bois, il annonce la couleur, un retour sera compliqué. J’ai une jambe vraiment amochée et des mois de rééducations qui m’attendent. Je refuse de l’admettre, il est véritablement compliqué pour moi de ne pas marcher à ma guise, mais les faits sont là. Je ne suis pas encore sorti de l’hôpital et personne ne serait me donner une date précise pour un retour à la normale. En attendant, mes craintes ne cessent de grandir pour accompagner au mieux des angoisses que je ne me connaissais pas auparavant. « Merci Thomas. » J’entends dans la moindre de ses paroles, la sincérité qui l’a toujours caractérisé à mes yeux. Il fera tout pour que je conserve ma place, je n’en doute pas une seule seconde. « Je vais travailler d’arrache pied. » Je vais me remettre en selle plus rapidement que ce que les médecins pensent, je vais aller mieux et je pourrais retourner voler. Je dois me raccrocher à cela, si je ne veux pas sombrer.

Malheureusement, l’amnésie n’a pas fait que ramener des doutes dans ma vie, elle m’a fait oublier des moments essentiels comme le divorce de Tom et Myrddin. Je me sens comme un con d’avoir amené l’homme dans la conversation sur le ton de la plaisanterie. Je pensais que je pouvais tout me permettre avec Thomas, que le manque de souvenirs ne viendrait en rien entacher notre relation. Je n’avais pas le moins du monde envisagé que sa vie personnelle puisse avoir été autant chambouler ces deux dernières années. Il prend le temps de tout m’expliquer alors que le sujet paraît encore si dur à digérer pour lui. « Quel con. » Je ne peux m’empêcher de murmurer une réaction que j’ose deviner avoir déjà eu par le passé en apprenant les actions de Myrddin. Cela n’avait jamais été l’amour fou entre lui et moi, il est définitivement passé du côté des ennemis désormais. La légèreté du moment semble revenir lorsque Thomas évoque une promesse que je lui avais faite à l’époque. « Ça sonne bien comme un truc que je pourrais dire. » que je plaisante ravi de le voir sourire à nouveau. Je préfère alors glisser sur un terrain qui me semble quelque peu sécurisé. « Comment vont les enfants ? » J’ose imaginer à quel point ils ont dû changer quand dans mes derniers souvenirs Clara était encore cette petite fille à peine sortie de sa période bébé. « Tu leur as parlé de ce qui m’était arrivé ? » Je passais tout mon temps libre avec sa petite famille et je m’en veux déjà de leur avoir causé de l’anxiété. « Je suis désolé, Thomas. » Et l’excuse est formulé sans raison tandis que je prends conscience de tout ce qui aurait pu être bouleversé si je n’étais pas sorti vivant de cet accident.

 « Je sais» soufflais-je lorsque Cian m'annonce qu'il va travailler d’arrache pied. Et ce n'est pas forcément une bonne chose. Connaissant le phénomène qu'est mon meilleur ami, il risque de vouloir en faire trop et pousser son corps dans ses retranchements, risquant ainsi de ne pas s'en sortir moins rapidement que s'il allait doucement. Mais il sera bien assez tôt pour lui en parler en temps et en heures lorsqu'il pourra réellement commencer sa rééducation. Je me fais ainsi la promesse solennelle de lui faire la remarque dès que je sens que ça ne va pas, au risque de réveiller le volcan qui sommeil en lui. Même s'il s'en est sorti vivant, le plus dur reste à venir et je sens que les forts liens de notre amitié devront faire leur preuve.

D'autant plus que son amnésie lui faire dire des choses qui réveillent de vielles douleurs en moi, telle que mon union avortée avec Myrddin. Je ne peux oublier ces années de bonheurs que j'ai vécu avec lui, mais j'ai réussi a accepté notre divorce et la fin de notre relation. Toutefois, en parler reste douloureux, encore plus lorsque j'explique les détails à Cian. En temps normal je ne l'aurais pas fait, mais je ne peux pas lui en vouloir que sa mémoire lui fasse défaut et au moins comme ça il ne me posera plus la question. Je lui assure toutefois que oui, il été très présent pour moi et pour cela je ne l'en remercierait jamais assez.

La légèreté de notre conversation revient lorsque je m'autorise un trait d'humour concernant la promesse de Cian de me frapper si l'idée me venait de me marier à nouveau.  «Même que t'avais proposer le taser mais que t'as rapidement oublié cette idée quand j'ai menacé que je me vengerais avec du pepper spray » mon sourire se fait un peu plus large, plus léger et plus amusé encore  « une baffe ça ira très bien au final» ajoutais-je en hochant la tête alors que je reprend le burger en main. Même si celui-ci commence à être froid, ma faim est si grande que je serais incapable de le laisser.

C'est alors que mon meilleur ami me demande des nouvelles de mes enfants, me demandant en même temps si je leur ai raconté ce qui s'était passé.  « Oui, je leur en parler» avouais-je en hochant la tête  « Arthur était pas mal choqué, Alex il a eu la réaction de l'adolescent de base et Clara ...» je pince les lèvres  «Clara elle s'inquiète beaucoup. Elle demande tous les jours de tes nouvelles et elle insiste vraiment pour venir un jour » je soupire doucement et relève mon regard sur le jeune homme  « ça te dérangerait que je la ramène la prochaine fois ? Elle a malheureusement l'habitude de l'hôpital, elle ne sera pas choqué de te voir comme ça. Donc faudra pas t'inquiéter pour ça. Mais ...enfin c'est vraiment comme tu veux. Si tu te sens de la voir, je l'emmène. Si tu te sens pas, je lui dirais d'attendre encore un peu, y a vraiment pas de problème.»

Cian fini toutefois par prononcé les mots fatidiques, ceux auxquels je m'attendais mais que j'espérais ne pas entendre. Il s'excuse. Pourquoi ? Pour quelles raisons ? Je soupire doucement et me penche en avant, posant à mon tour ma main sur la sienne  «Ne t'excuse pas, ok ? Tu n'as rien fait de mal. Ce qui est fait est fait, tout ce que tu peux faire maintenant c'est aller de l'avant et remercier les gens qui te soutiendront, ok ? Tu nous as fais vraiment peur, mais tu es vivant et tu as encore de longues années devant toi. Tu es un battant et tu ne t'es jamais laissé abattre, ce n'est pas ce combat là que tu perdras  » et je suis intransigeant là-dessus : je le laisserais pas baisser les bras.

Ce qui se devait d’être un moment sympathique en compagnie de mon meilleur ami se transforme en une série de malaise en tout genre provoqué par mon manque évident de souvenirs. J’ai encore bien du mal à accepter le fait qu’il puisse me manquer une aussi grosse part de ma vie. Qu’importe si les médecins m’assurent que tout pourrait éventuellement me revenir, à l’instant, je ne me souviens pas, provoquant alors une situation qui met à mal Thomas. Je vois dans son regard qu’il ne me tient pas responsable, mais que je lui inflige une épreuve qu’il aurait préféré ne pas revivre. Ma tentative, pour changer de sujet est bien fébrile, mais elle a le mérite d’exister et d’amener sur la table le sujet de ses enfants. Je ne pourrais jamais me tromper avec eux, c’est certain. Ou tout du moins, je le crois. C’est rassurant que de l’entendre prononcer leur prénom et qu’une image claire et précise viennent se graver à mes pupilles. Ils ont forcément grandi, Clara bien plus que les autres tant Thomas m’informe qu’elle s’inquiète d’une situation dont je l’aurais imaginé bien trop jeune pour la comprendre. Je tente de l’imaginer la fillette, en train de demander après moi auprès de son père. Elle a toujours été ma favorite Clara, toujours celle que j’ai cherché à protéger depuis sa naissance. « Bien sûr qu’elle peut venir. » Je ne voudrais pas qu’elle s’inquiète de manière démesurée alors que je suis tout de même relativement bien. Il reste des bleus et bien des plâtres, mais rien qui ne devrait l’effrayer plus que de raison. « Je crois que ça pourrait me faire du bien. » Avoir la visite de ma filleule, l’entendre me parler de ses peluches et de son univers encore enfantin. Cela pourrait servir de remède, après tout.

La tension étant un peu redescendue et la fatigue jouant, je finis par m’excuser d’avoir causé autant de soucis à mon entourage. Cela paraît futile, mais depuis des jours, je ne fais qu’entrevoir la panique qui a bien pu les habiter durant la durée de mon coma. Je n’ai aucune idée de ce qui a bien pu me pousser à être si peu vigilant sur ma moto et c’est bien une question qui m’obsède, mais lorsque Thomas se cherche à être rassurant, je me contente de lui sourire vaillamment. « Ça va aller… » que je murmure autant pour lui que pour moi, avant de faire changer le sujet de la conversation de manière bien plus radicale.

On passera le reste de l’après-midi à se gaver de beignet tout en discutant de sujet bien plus léger qui me redonne le sourire, jusqu’à ce que Thomas me raccompagne à ma chambre. Ce n’est que le début d’un long chemin, mais avec mes amis à mes côtés, je pense pouvoir m’en sortir.