D'un point de vue extérieur, et sans doute un brin critique, les soirées mondaines auxquelles s'astreignait l'élite médiatique avaient des allures de parade nuptiale. Les robes de couturier et les costumes sur-mesure se distinguaient autant que les parures de plumes de certains oiseaux, tandis que les sourires calculés et les rires mesurés remplaçaient les coassements frénétiques des grenouilles. Micah se conformait sans protester, lui qui avait été éduqué depuis son plus jeune âge à plaire aux autres en toutes circonstances. L'habitude, insidieuse, avait achevé de s'ancrer dans son esprit, et de dicter inconsciemment la moindre décision comme s'il s'agissait d'un dilemme, du chapeau qui ferait jaser la police de la mode jusqu'au café dans lequel il avait le droit de mettre les pieds sans être accusé de parti pris politique. En fait, sa vie entière était orchestrée par anticipation, et toutes ses sorties pensées dans le simple but de charmer son audience. Il n'était donc jamais plus abattu que lorsque ses choix étaient critiqués, ou que ses sourires n'enchantaient personne. Ce soir-là il avait opté pour un look en apparence décontracté : une chemise aux manches retroussées et un veston à carreaux gris assorti à son pantalon. La négligence n'était jamais plus harmonieuse que lorsqu'elle était réfléchie, à l'image de ses cheveux, insoucieusement plaqués en arrière dans un mouvement qu'on devinait méthodique. Il avait butiné une bonne partie de la soirée, toujours à l’affût de Megan, et avec autant d'excitation que d'appréhension à la perspective de croiser Penny par hasard, comme ça n'avait plus été le cas depuis des semaines. Il s'était finalement résigné à l'idée de la reconquérir, sans jamais abandonner celle d'être son ami et allié dans la bataille qu'elle avait décidé d'enterrer contre Byers. C'était Nolan qui l'avait finalement convaincu, plus chagriné encore qu'agacé de constater que son ami était incapable de passer à autre chose, même lorsque le maître mot était de s'amuser. C'était d'ailleurs en grande partie la raison pour laquelle il avait accepté cette invitation de Lena, dont le nom était depuis quelque temps inévitablement associé à l'organisation d'événements mémorables. Il ignorait pourquoi il avait suivi ses trajectoires du coin de l’œil, avide d'en apprendre plus sur celle qui vivait dans l'ombre de sa propre réussite. Comme cela devait être frustrant, de voir ses entreprises couronnées de succès sans s'en voir accorder le moindre mérite. A l'instar des équipes techniques au cinéma, celles même qui donnaient l'illusion du réel à des gens qui ne s'embarrassaient que rarement à distinguer le vrai du faux, Lena devait faire en sorte que ses soirées se passent dans l'illusion de la perfection. Alors même si elle devait parfois éteindre un feu à mains nues, il suffisait qu'elle se dérobe aux yeux de ses invités pour pouvoir se targuer d'avoir accompli sa mission. Derrière des sourires qu'il devinait aussi factices que les siens, elle naviguait entre ses convives avec une sérénité tout à fait superficielle, et Micah la soupçonnait de se détendre un peu plus chaque fois qu'un invité s'en allait en la gratifiant de quelques compliments obligés. Beaucoup de stars des réseaux sociaux s'étaient côtoyées ce soir. Une seule personne servait parfois plusieurs millions de paire d'yeux, aussi Lena savait même les infimes petits détails scrutés à la loupe. Micah avait pris des tas de photos pour l'occasion, qu'il se réservait le droit de partager selon l'humeur dans laquelle il quitterait le théâtre d'un événement qu'il considérait jusque là réussi. Il décida de l'aborder seulement lorsque l'affaire était dans la poche. A ce stade, elle avait contenté tellement de monde qu'aucun reproche de dernière minute ne pourrait plus atteindre sa réputation. « Bravo, c'était une soirée parfaitement organisée. J'aurais dû faire appel à toi pour mon anniversaire, j'y penserai pour l'an prochain. » avait-il déclaré sans trop s'approcher, alors qu'elle était encore affairée à ses ultimes finitions. Nul doute qu'elle aurait entendu parler de ses récentes frasques à Bali.

Les jours passaient sans se ressembler, et Lena se retrouvait épuisée depuis des mois. Il semblait qu'aucune de ses relations n'étaient destinées à être simples et apaisées, mais ça, ce n'était que peu surprenant vu les choix peu recommandables qu'elle avait fait dans le passé. Depuis sa rupture fracassante avec Rudy, pourtant, elle n'avait pas le temps de songer à tout ça, son travail et sa vie sociale étant devenus une priorité pour elle. Si ces aspects de sa vie étaient déjà parmi les plus importants jusque là, ils devenaient une obsession pour la blonde qui supportait encore moins la solitude qu'auparavant. Son appartement était vide plus souvent qu'occupé, c'était à peine si elle prenait le temps d'y rentrer pour dormir. Elle ne s'en plaignait pas, néanmoins, ravie de savoir qu'aucun créneau de sa journée n'était assez libre pour qu'elle n'ait le temps de penser à sa relation encore ratée ou à sa famille toujours aux abonnés absents. Ce soir encore, elle n'aurait pas une minute pour y songer. Robe longue, talons hauts, maquillage parfait. Voilà la tenue de travail qu'elle arborait parfaitement - comme toujours -, son sourire avenant toujours collé à ses lèvres, son téléphone rangé tout prêt d'elle dans sa pochette de soirée. Elle ne comptait plus ses heures de travail, mais c'était la vie qu'elle s'était choisie - et le meilleur moyen de ne pas succomber tous les jours à ses démons. Et si elle la regrettait parfois - comme aujourd'hui - elle en profitait le plus souvent. Ici, la soirée l'ennuyait très clairement. Mais dans sa carrière d'organisatrice, elle n'avait pas toujours le choix, et si la majorité des évènements auxquels elle participait finissaient toujours par trouver grâce à ses yeux pour une raison ou pour une autre, celui ci semblait être bien parti pour rester dans les annales des plus inintéressants. Pas de drame, pas de grande annonce, pas de larmes. Tout était calme et d'une banalité affligeante - au moins, aucun scandale ne briserait de carrière au petit matin, à la sortie des magazines people. Il ne s'agissait que d'une soirée purement professionnelle, d'une soirée dont la blonde n'allait pas tarder à s'évaporer discrètement sans demander son reste. Et à mesure que les convives s'échappaient eux aussi, non sans la féliciter pour le délice du champagne ou la qualité du traiteur, Lena se voyait déjà continuer sa nuit ailleurs. C'était sans compter sur l'arrivée, à ses côtés, d'un des invités à la soirée. Bravo, c'était une soirée parfaitement organisée. J'aurais dû faire appel à toi pour mon anniversaire, j'y penserai pour l'an prochain. Micah avait tout des hommes que Lena devait soigneusement éviter pour ne pas replonger dans ses vieux travers. C'était ce qui le rendait si intéressant, selon elle et son opinion tout à fait subjectif. Merci. Ce sera avec plaisir, ça me changera de ces soirées un peu trop mondaines. Je suis sûre qu'aux tiennes, l'ambiance est bien meilleure. Lena ne connaissait que trop bien ces soirées là aussi. C'était celles où on s'amuse toujours trop, celles qu'elle avait pris soin d'éviter pendant une période pour ne rien risquer : juste le temps qu'elle se reconstruise une image de parfaite professionnelle. Grâce à Sergio et Bailey sa carrière était sauvée, alors c'était aussi celles qu'elle fréquentait à nouveau depuis qu'elle avait décidé que sa réputation entachée n'était pas plus importante que son besoin de se défouler. Il était si simple de retomber dans ses travers sous le couvert d'un million d'excuses qu'elle avait même oublié toutes celles qu'elle se trouvait : l'envie de voir du monde, l'anniversaire d'un tel, le mariage d'un autre ou la sortie d'un film, le besoin d'exposer une robe de créateur... Elles étaient toutes bonnes. C'est bien pour ça que depuis plusieurs semaines, Lena n'était visible qu'en soirée. Et entre celles qu'elle organisait et celles où elle profitait simplement du bar, la différence dans son comportement était fascinante à observer. Elle réussissait pourtant à le cacher au monde, prenant soin désormais de compartimenter tous les aspects de sa vie. J'espère que tu t'es pas trop ennuyé ce soir d'ailleurs. De ce que j'ai entendu, le style champagne et petits fours c'est pas trop ton truc. Qu'elle lançait le sourire aux lèvres, l'air taquin.

On ne calibrait pas sa vie dans les moindres petits détails : peser ses mots, mesurer ses sourires, trouver l'équilibre idéal entre courtoisie et insolence, sans subir quelques dénonciations d'hypocrisie. A l'évidence Micah faisait partie de ces célébrités qu'on traitait sans scrupule d'imposteur, et il en était suffisamment conscient pour ne jamais s'en offenser. S'il y avait bien une part de lui dans ce personnage qu'il vendait aux médias, ce n'était que la plus superficielle, celle qui n'empiétait pas sur le peu de pudeur qu'il réservait à une poignée de privilégiés. Ce soir, comme tous les soirs où il s'affichait sur les réseaux sociaux, à la télévision ou dans la presse, il incarnait cet homme bien sous tous rapports et débordant de confiance qui divisait les critiques. Puis, à mesure que s'échappaient les objectifs, que s'estompait la lumière des projecteurs, se manifestaient dans ses intentions, même dans sa voix, quelques bribes d'authenticité. Il avait décelé chez Lena cette même schizophrénie. La jeune femme coquette, un peu effrontée qui se pavanait sur les réseaux sociaux entre deux hashtags semblait à des années lumières de l'organisatrice dévouée et exigeante qui avait mené cette soirée avec brio. Micah devait bien trop souvent éluder ce genre de questions, lorsque des journalistes le prenaient en otage sur les tapis rouges, pour avoir la décence de ne pas questionner les sources de son professionnalismes. Les gens avaient tendance à s'étonner de le voir incarner des rôles si dramatiques au cinéma lorsqu'il apparaissait si irrévérencieux dans sa vie. Il leur rétorquait toujours qu'il ne faisait rien d'autre que son travail.

Lena avait à peine détourné le regard lorsqu'il s'était approché d'elle. Dans son élément, elle était encore imprégnée de son rôle d'hôte accommodante, flattant son ego pour ne pas avoir à révéler les propres humeurs du sien. « C'est une autre ambiance c'est sûr. Après je vais pas t'apprendre que l'ambiance dépend quand même en grande partie des invités. C'est que je dois m'entourer des bonnes personnes. » avait-il répondu à son tour. On le reprendrait peu souvent à faire preuve d'autant de modestie. « Mais tu te sous-estimes, me semble que tu en as aussi organisé quelques unes de soirées débridées. Le problème à ce genre de soirées, c'est que les gens sont trop soucieux de leurs images pour s'autoriser la moindre petite folie. Au moins quand j'organise je sais à quoi m'attendre. » Lena n'était pas à son galop d'essai. Elle savait quand troquer l'intimité des bougies contre des effets stroboscopiques. Tout était une question de public et d'intention. Visiblement, ce soir-là elle n'avait pas projeté de hausser le niveau des décibels. « Crois-moi, il y a bien plus mondain que ça. T'as déjà assisté à un gala de charité ? Là-bas on s'ennuie. Je donne le change, mais c'est vrai que c'est pas mon exercice préféré. » Le ton taquin qu'elle avait employé trahissait une pointe de curiosité. Le désir discret de prêcher le faux pour savoir le vrai. Ou l'inverse. Quelques oreilles traînaient encore à plusieurs mètres de là, mais quand on repensait à la foule qui s'était massée plus tôt, leur conversation avait des allures de confessionnal. « Tu m'intrigues cela dit. Qu'est-ce que tu as entendu au juste ? » avait-il demandé, même s'il avait bien une idée de la réponse. Contrairement aux idées reçues, Micah contrôlait cette image imparfaite de lui plutôt qu'elle ne lui échappait. Avec le concours de quelques journalistes et photographes corrompus, il fomentait et orchestrait les scandales qui faisaient la une des magazines. Peu échappaient à sa vigilance. « Tu fais quoi généralement après ces soirées ? »

Lena s'était toujours montrée curieuse de découvrir d'autres personnes. Elle s'était toujours amusée à observer des inconnus pour deviner leurs ambitions rien qu'à les observer, et même si elle visait parfois juste, elle n'avait pas toujours un bon instinct. Oui, elle s'était fait avoir plusieurs fois, justement en raison de cette fascination viscérale qu'elle entretenait pour l'être humain. Micah n'échappait pas à cette règle, et elle se posait déjà des centaines de questions. Elle les garderait pour elle, s'amuserait à y répondre au fil de la soirée comme elle aimait le faire. C'est une autre ambiance c'est sûr. Après je vais pas t'apprendre que l'ambiance dépend quand même en grande partie des invités. C'est que je dois m'entourer des bonnes personnes. Elle savait parfaitement de quel genre de personnes il parlait. A vrai dire, Lena en faisait partie bien souvent lorsqu'elle laissait tomber ce voile de la parfaite organisatrice, de la parfaite influenceuse, de la parfaite personne tout court. Tu as raison, nos listes d'invités ne sont pas tout à fait pareilles. Qu'elle lançait, le ton rieur. Si elle n'avait jamais eu l'impression de devoir jouer à l'actrice pour coller au rôle dont elle s'était affublée en se lançant dans sa carrière et dans ce monde huppé, c'était sans doute qu'elle avait dû apprendre à jouer depuis son enfance. Auprès de son père d'abord, en Écosse, alors qu'il comptait sur sa tendre fillette pour filer le portrait de la famille idéale ; dans son école privée ensuite, alors qu'elle risquait des mauvais traitements à la moindre erreur. Elle faisait l'apologie de l'honnêteté et de la confiance en soit, mais force était de constater qu'elle se mentait un peu trop souvent à elle même. Mais tu te sous-estimes, me semble que tu en as aussi organisé quelques unes de soirées débridées. Le problème à ce genre de soirées, c'est que les gens sont trop soucieux de leurs images pour s'autoriser la moindre petite folie. Au moins quand j'organise je sais à quoi m'attendre. Elle acquiesçait, un sourire en coin sur ses lippes. C'est vrai que j'en ai organisé des bonnes, mais les meilleurs sont souvent celles que je ne peux pas mettre sur mon CV. Et puis ici aussi on sait à quoi s'attendre.. à pas grand chose, finalement. Elle regardait autour d'eux furtivement, espérant ne pas être entendue. De telles remarques pourraient lui valoir des critiques de la part de certains. Crois-moi, il y a bien plus mondain que ça. T'as déjà assisté à un gala de charité ? Là-bas on s'ennuie. Je donne le change, mais c'est vrai que c'est pas mon exercice préféré. Lena songea qu'ils se ressemblaient sans doute sur plus de points qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Oh oui, ces soirées c'est l'horreur. Aucune ambiance, juste un ramassis de gens riches qui veulent étaler leur fortune aux yeux des autres. Et qu'elle aidait à mettre en lumière de par son travail. Paradoxal, lorsqu'on sait qu'elle ne supportait que peu ces étalages indécents. Heureusement qu'à ces soirées il y a toujours du champagne. On avait beau dire ce qu'on voulait à propos de ça, l'alcool avait toujours le don d'adoucir les mœurs et de réunir les gens. Tu m'intrigues cela dit. Qu'est-ce que tu as entendu au juste ? Elle avait souvenir d'articles qui parlaient de Micah mais ne s'était pas attardée dessus, peu friande des rumeurs bien souvent infondées. Juste des rumeurs qui disent que tu sais bien t'amuser. T'en fais pas, c'est pas moi qui vais te juger. Qu'importe la véracité des informations qui étaient dévoilées à son sujet, elle préférait ne pas s'y fier. Tu fais quoi généralement après ces soirées ?  La version officielle veut que je rentre me reposer pour reprendre des forces avant de me lever tôt le lendemain matin. Ça, c'est ce qu'elle aimerait que les personnes pour qui elle travaille croient. C'était l'image qu'elle essayait de se reconstruire auprès d'eux. En réalité, je finis la majorité de mes nuits dans des soirées plus amusantes que celle ci.

C’était le thème de ce soir qui était différent, à vrai dire, mais Micah consentit à hocher la tête avec une résignation complaisante. Aux yeux de Lena, et surtout de ses invités, l’ambiance importait moins que les efforts ostentatoires qu’elle déployait pour satisfaire leurs exigences. Souvent, le regard vagabondait, inquisiteur, indifférent à la musique, d’un élément du décor à l’autre, d’un costume à l’autre - le terme était d’autant plus approprié que tout le monde s’appliquait à déguiser ses intentions - tandis que les ragots se succédaient, pas de danse frénétiques dont personne ne faisait la démonstration. Rester guindé toute une soirée était un exercice épuisant. Sourire hypocritement à des gens qui vous avaient rhabillé pour l’hiver une véritable performance d’humilité. Micah se demandait rarement ce qu’on pouvait bien dire de lui dans son dos. C’était bien l’un des rares avantages à voir ses moindres faux pas détaillés dans la presse : il faisait preuve d’une incroyable lucidité sur la question. En revanche, que disait-on de Lena Edwards ? La vraie Lena Edwards, pas celle qui se paraissait de ses plus beaux atouts pour ne pas froisser l’orgueil d’une clientèle aux exigences susceptibles. Qui même pouvait se targuer de la connaître ? Sans doute pas les gens qui fréquentaient ses soirées avec l’ambition secrète de la juger. « Moi je crois surtout que tout ça ce n’est qu’une facette de toi. » rectifia-t-il après réflexion. Et Micah se surprenait à vouloir découvrir tout ce que la jeune femme parvenait si brillamment à dissimuler. Tous les secrets qui avaient motivé ses accomplissements, et qu’elle ne partageait sans doute qu’avec ceux qui se fichaient bien de la démesure de son talent. De gratter le vernis jusqu’à la normalité d’une existence à laquelle lui-même ne se pliait jamais. « Qui êtes-vous donc, Lena Edwards ? » lança-t-il d’une voix grave et ironique à la fois. Loin de lui l’idée de l’offenser, aussi préférait-il se réfugier derrière l’éventualité d’une plaisanterie.

Proie à l’agitation affectée, la vérité se tapissait pour ne sortir qu’une fois à l’abri du danger. A mesure que les invités se retiraient, les langues se déliaient, comme les souris couinaient une fois les renards partis. « Ah voilà ! Je savais que tu cachais des choses. » s’exclama-t-il lorsque Lena se confia sur ses supposés écarts de comportement. Elle avait choisi le bon public et le savait. La réputation de Micah le précédait. « Et dis-toi que je fais partie de ces gens. Mais bon pas d’offense, je le fais par opportunisme. Comme tout le monde finalement, sauf que j’ai le culot de l’admettre. » Il ne s’attendait pas plus à se faire mousser pour son honnêteté qu’il espérait disséminer les preuves qu’il était digne de confiance. C’était une règle tacite, mais les aveux appelaient à la réciprocité. « C’est souvent le champagne qui révèle les gens d’ailleurs. » Du moins ceux qui se cachaient derrière la superficialité de leurs œuvres de charité. L’alcool avait ce don d’extraire l’essence de ceux qui la consommaient avec outrance. « Alerte spoiler, les rumeurs sont vraies. J’ai mes accès de normalité parfois. La différence c’est que tout le monde est au courant et se croit en droit de me juger. » avait-il confessé avec une amertume à peine voilée. Si Lena lui faisait la politesse de ne pas prétendre le connaître, au fond elle s’était déjà comme tout le monde construit une opinion de lui. Et leur naïveté forcée à tous les deux ne bernait personne d’autre que leur soudain respect des convenances. « Tu m’intéresses. Tu crois que quelqu’un comme moi serait le bienvenu dans tes soirées ? Bon, le risque c’est de te voir exposée et de plus pouvoir faire semblant d’être la version sage que tu veux montrer aux gens. » avait-il conclu, haussant les épaules avec la fausse candeur des gens sûrs d’eux.

Le spectacle tonitruant qu'offraient ces faux sourires et ces robes longues était toujours très satisfaisant à regarder pour Lena. Non pas pour sa beauté ou pour les raisons pour lesquelles les convives s'apprêtaient aussi parfaitement, mais surtout pour s'amuser à repérer tous les petits détails qui coinçaient et qui ne collaient surtout pas avec le paysage. Ceux que personne n'osait avouer à voix haute mais qui risquerait de faire tomber des têtes s'il était mis un peu trop en avant. Une alliance manquante à une main, par exemple, créerait des murmures discrets tout au long de la soirée. Un baiser échangé entre deux portes et vu d'un œil indiscret ferait tout autant, voir plus d'effet. Ceux que la blonde préférait était sans aucun doute les fautes de goûts, les robes un peu trop transparentes ou les coutures d'un costume un peu faiblardes qui risquaient de craquer à tout moment. Si les victimes de ce genre d'incidents subissaient un niveau de honte peu descriptible, Lena s'en amusait et les attendait parfois avec impatience. Ce genre d'incidents étaient les lueurs d'amusement qui manquaient un peu trop souvent à ces soirées toujours trop guindées, toujours trop lisses et belles. Des façades, encore et toujours, qui permettait à nombre de personnes de s'afficher sous leur meilleur jour alors que leur réalité était toute autre. C'est là où Micah voulait en venir, lui aussi. Moi je crois surtout que tout ça ce n’est qu’une facette de toi. Elle ne confirmait ou n'infirmait rien, gardant pour elle les pensées qui lui traversaient alors l'esprit. Elle savait pertinemment à quel point il avait raison et lui offrait un simple sourire taquin en guise de réponse. Qui êtes-vous donc, Lena Edwards ? Y'avait-elle une réponse qui tenait en une ou deux phrases à cette question ? Sans doute que non. Un mystère, résolument. Elle aimait jouer à se cacher derrière des façades même si dans le cas présent Lena était persuadée que Micah l'avait déjà percée à jour. Ah voilà ! Je savais que tu cachais des choses. Elle ne s'inquiétait pourtant pas de savoir ce qu'il pourrait bien penser d'elle, persuadée qu'au contraire, c'était son côté sombre qui l'attirait plus que cette professionnelle sage et bien rangée. On en cache tous des choses, non ? Qu'elle lançait sa voix pleine de sous entendus. Et dis-toi que je fais partie de ces gens. Mais bon pas d’offense, je le fais par opportunisme. Comme tout le monde finalement, sauf que j’ai le culot de l’admettre. Ils se ressemblaient bien plus qu'ils n'auraient pu y songer de prime abord, et cela se confirmait avec la facilité avec laquelle ils avaient d'échanger. A la différence prêt que le culot dont faisait preuve Micah lui permettait sans nul doute de vivre plus serein. Cacher une partie de soi même était forcément bien plus fatiguant que tout assumer. C’est souvent le champagne qui révèle les gens d’ailleurs. Elle regrettait parfois que les hôtes n'en abusent jamais. Puis la conversation s'orientait sur Micah et ses frasques récentes, loin de faire peur à Lena. Elle ne s'intéressait que rarement aux on-dit et ne les utilisait jamais pour juger quiconque. Au contraire, ce qu'elle avait entendu sur le brun le rendait un peu plus intéressant encore à ses yeux. Alerte spoiler, les rumeurs sont vraies. J’ai mes accès de normalité parfois. La différence c’est que tout le monde est au courant et se croit en droit de me juger. Aussi difficile à croire que ça ne pouvait être, Lena ne le jugeait pas. Elle le jalousait, à vrai dire, d'avoir le cran de s'affirmer qu'importe les conséquences. Ils jugent parce qu'ils n'ont rien de mieux à faire. Leur vie est si pathétique qu'ils ont besoin de se concentrer sur celles des autres pour se sentir exister. A son tour d'être amère. Voilà le constat qu'elle avait fait au cours du temps. Que ce soit dans son enfance alors que les médias écossais avaient décidé de critiquer sans cesse sa famille ou depuis qu'elle était connue sur les réseaux, Lena avait dû faire face à toutes sortes de critiques. Elle avouait ensuite à Micah son programme de la soirée. Tu m’intéresses. Tu crois que quelqu’un comme moi serait le bienvenu dans tes soirées ? Bon, le risque c’est de te voir exposée et de plus pouvoir faire semblant d’être la version sage que tu veux montrer aux gens. Sans réfléchir elle opina du chef, un sourire franc calé sur ses lèvres. Je crois qu'avec toi je ne prends pas trop de risques. Tant que tu gardes tout ce qui se passe pour toi... Bizarrement, Lena avait envie de lui accorder sa confiance. Elle ne le voyait pas comme une menace, surtout pas avec leur conversation du soir. Micah avait la même vision de ce monde et des mondanités qu'elle ; il n'avait juste pas les mêmes façons de les gérer. Bon. Si d'ici à ce que j'ai terminé t'es encore là, on ira. Qu'elle lui lançait d'un air taquin, faisant signe au barman d'apporter une coupe de champagne pour le faire patienter. Elle avait une soirée à terminer ici avant de s'adonner à la suivante, du travail à clôturer avant de lâcher prise. Alors elle le laissait là pour partir saluer encore quelques personnes, serrer quelques mains. Et lorsqu'elle estimait que le personnel pourrait gérer le reste des tâches, la fin de soirée et le rangement, elle retournait auprès de Micah. Quelle patience. Elle était ironique Lena, ne s'étant pas absentée si longtemps que ça. Mais le fait qu'il était toujours là était à souligner malgré tout. C'est pas trop loin, on peut être à la soirée en dix minutes en uber. Une villa dans laquelle était organisée une soirée totalement privée, restreinte à un certain groupe de personnes et presque garantie sans paparazzi, où l'alcool qui coule à flot est bien plus fort que le champagne ; le combo parfait pour la blonde.

C'était souvent avec amusement, et son plus beau masque d'impassibilité, que Micah observait l'attitude guindée des protagonistes de ce genre de soirées. Il fallait être particulièrement doué pour lire les menaces entre les lignes, et plus encore pour filer les sous-entendus sans éveiller les soupçons des oreilles baladeuses. Devant une assemblée si gratinée, on se parlait souvent à demi-mot, comme une vengeance silencieuse et dangereuse qu'on distillait pour déstabiliser les personnes qu'on ne qualifiait jamais publiquement d'ennemis. Micah ne portait pas le monde entier en estime, mais il avait suffisamment appris les rouages de l'industrie pour éviter de brûler toutes ses cartouches. Ce n'était pas une attitude plus hypocrite qu'elle était opportuniste, car personne n'était foncièrement dupe. Juste un jeu d'influence et d'ego, qu'on n'apprenait malheureusement pas à manier sans quelques faux pas. Où se situait donc Lena sur l'échiquier ? « Touché. Certaines personne plus que d'autres. » avait-il répondu lorsqu'elle répliqua que personne n'était tout à fait irréprochable. Micah ignorait quelle était la meilleure stratégie à adopter. Si la fâcheuse tendance qu'il avait de révéler des secrets pré-fabriqués le plaçait en dehors des radars, ou si ce n'était pas au contraire la porte ouverte à toutes les indiscrétions. Les gens redoublaient en général de curiosité quand les vies les plus pudiques étaient exposées en une des magazines, et à raison le plus souvent. Elles étaient celles dont les secrets étaient les plus sombres et scandaleux. Un fétiche un peu excentrique, de l'argent dissimulé dans un paradis fiscal, personne n'était à l'abri de la vérité.

L'amertume dans la répartie de Lena était palpable. Un signe assez évocateur qu'elle commençait à lui faire confiance, à baisser un peu une garde que tout le monde hissait naturellement dans ces événements mondains. Micah ne pouvait pas se targuer d'avoir suffisamment enquêté sur sa vie pour distinguer la source d'une telle indignation. Il était toutefois curieux de l'apprendre, lorsque le moment serait plus opportun. « Je ne peux que dire amen à ça. Les chiens aboient, la caravane passe, comme on dit. » Les ragots l'avaient-ils jamais déstabilisé ? L'acteur était au contraire passé maître dans l'art de les tourner à son avantage. La brèche se présenta finalement à lui. Celle qu'il pourrait exploiter pour apprendre sur Lena quelques unes des anecdotes qu'elle boudait au reste du monde. « C'est une promesse que je ne peux pas te faire. Ma vie privée reste rarement secrète très longtemps. » avait-il répondu avec impudence. En revanche, tout ce que la jeune femme ignorait était bien la preuve de son extraordinaire capacité à taire les secrets qu'il estimait digne de son silence. Ceux qui entouraient Nolan, Roman, et tous les amis qui composaient son boys club. « Cela dit, je suis rarement l'origine de la fuite. Tu seras surprise d'apprendre que je suis plutôt doué pour garder un secret. » avait-il ajouté pour la rassurer. Il opina quand elle lui proposa de l'attendre : « Compte sur moi. », accorda un geste discret du menton en guise de remerciement pour la coupe de champagne gracieusement offerte, et dénicha son meilleur allié quand il fallait contrer l'ennui : son téléphone. L'occasion d'alimenter sa story Instagram, histoire de complimenter les efforts de Lena, et de lui prouver en même temps qu'il n'était pas qu'un parasite suceur de champagne. Le soin qu'il apportait à chacune de ses publications avait le don de changer les minutes en secondes. Il avait à peine terminé lorsque Lena était revenue stupéfaite constater qu'il avait une parole. « J'espère que l'attente en vaudra la peine. » avait-il ironisé. A vrai dire, le plus dur était derrière elle. Maintenant que la pression était retombée, elle n'avait plus aucune attente à combler. « T'embête pas pour ça, j'ai un chauffeur qui est bien plus patient que moi. » avait-il assuré, bien moins pour l'amadouer que la remercier d'avoir été une hôte prodigieuse, en désignant l'homme qui les observait du coin de l’œil. La soirée ne faisait visiblement que commencer.

Dans le nombre incalculable de convives qu'elle croisait souvent à ce genre de soirées, Lena aimait découvrir ceux qui, comme elle, était plus du genre à juger les mondanités qu'à réellement les apprécier. Micah semblait en faire parti, à son plus grand bonheur. Ces jeux de rôle qui se déroulaient sous leurs yeux n'étaient pas si compliqués que ça à comprendre, et la blonde appréciait particulièrement le fait qu'il semblait savoir lire entre les lignes et tirer avantage de sa propre image. Touché. Certaines personne plus que d'autres. Personne n'était irréprochable même si certains essayaient de prouver le contraire au quotidien. Le plus bel exemple de ce comportement était d'ailleurs sans doute son père, pour qui la stratégie d'afficher une famille parfaite avait fini par faire imploser cette dite famille. A tout acte ses conséquences, à toute célébrité son revers de médaille. Je ne peux que dire amen à ça. Les chiens aboient, la caravane passe, comme on dit. Elle laissait paraître un sourire sur son visage, ravie de comprendre qu'ils semblaient d'accord sur un sujet sensible pour des personnes de leur trempe. Tellement d'accord qu'ils finirent par vouloir passer le reste de la soirée ensemble. C'est une promesse que je ne peux pas te faire. Ma vie privée reste rarement secrète très longtemps. Elle l'avait bien vu, en était tout à fait consciente. A ses côtés, elle espérait que ce serait différent, pourtant. Lena ne pouvait pas se permettre de bavures. Cela dit, je suis rarement l'origine de la fuite. Tu seras surprise d'apprendre que je suis plutôt doué pour garder un secret. Il ne faisait donc pas partie des sycophantes qui s'amusaient à donner en pâture les secrets des uns pour leur voler un peu de leur célébrité ou de leur fortune. Il n'en avait pas l'air en tout cas, bien assez occupé avec sa vie publique déjà bien remplie, de ce qu'elle avait compris. Compte sur moi. J'espère que l'attente en vaudra la peine. Il avait un sourire taquin sur les lèvres qu'elle s'amusait à reproduire, amusée. J'en suis certaine. Le stress de la soirée était désormais loin derrière elle, elle pouvait passer à autre chose et se contenter de passer un bon moment. Qu'importe si Micah risquait de lui attirer des problèmes ou une visibilité inattendue, elle ne comptait pas lui dévoiler tous ces secrets dès aujourd'hui, alors les risques étaient minimes. Elle ne comptait pas pour autant devenir plus pudique qu'à son habitude, elle ne saurait pas l'être même en essayant fort. Par contre, elle tenterait de ne pas se réveiller au petit en ayant oublié ce qu'elle avait fait la veille. Il lui fallait un minimum de tenue malgré tout. Prêts à partir pour un monde meilleur, Lena lui indiquait l'endroit où ils devaient se rendre. T'embête pas pour ça, j'ai un chauffeur qui est bien plus patient que moi. C'est donc en voiture privée qu'ils arrivaient devant un bâtiment qui ne payait, de prime abord, pas de mine. Ce n'est qu'en entrant par la porte que la magie opérait et que tout un monde de la nuit caché aux yeux des ignorants s'ouvrait à ceux qui connaissaient l'endroit. Une boîte de nuit dont l'accès était fermement privé, que la blonde avait souvent pour habitude de fréquenter. La première chose qu'elle avait invité Micah à faire était évidemment de se chercher à boire pour commencer correctement la soirée. L'alcool était-il vraiment un incontournable pour Lena ? Était-ce vrai qu'il lui était incapable de s'amuser sans avoir au minimum une coupe de champagne à la main, voir bien plus fort que ça ? Était-ce une aberration que de dire que la réussite de ses soirées ou de sa vie en général dépendait d'une telle substance ? Que ça lui permettait de réfléchir ou d'oublier ? C'est bien ce qui lui semblait alors qu'elle se faisait servir. Elle n'aurait trop su dire si Micah connaissait déjà l'endroit - sans doute que si - ou si c'était le fruit du hasard qui avait mis pas mal de ses connaissances sur leur chemin ce soir, mais Lena ne cachait pas sa déception de n'avoir pu passer toute la soirée à apprendre à le connaître. Facilement interpellé pour un oui ou un non, la célébrité de Micah était presque handicapante même dans un lieu comme celui ci ou pourtant le public était plus proche d'un rassemblement d'influenceurs et autres personnalités publiques que d'un attroupement de fans. La blonde n'avait malgré tout pas lâché son sourire tout du long et s'était promis, en quittant la soirée, qu'elle reverrait Micah tôt ou tard.