L'annonce de l'accident de Cian Atwood était choquant. Il a toujours été casse cou, du genre à aimer la vitesse et tout ce qui s'y rapporte, mais malgré tout il était prudent sur la route et était constamment en total contrôle de son véhicule. Que ce soit sa voiture ou sa moto, il était toujours maître des situations et ne se laissait jamais dépasser. Du moins, jusqu'à ce jour fatidique qui l'a envoyé à l'hôpital dans un état critique. Avec les collègues nous avons tous un peu spéculer sur si oui ou non il se réveillerait et surtout dans quel état il sera, s'il aura des séquelles sur la longue durée ou s'il s'en remettra totalement. Pour ma part, j'étais persuadé dès le début qu'il se réveillera mais je suis bien incapable de savoir comme il ira. Physiquement, en tout cas. Je sais parfaitement que moralement ça n'ira vraiment pas fort car il fait parti de ces gens qui détestent se sentir faible et qui détestent montrer leur faiblesses aux autres.

Mais j'ai trouvé la technique imparable pour lui remonter le moral ! Je me suis un peu renseigné auprès de son grand ami Thomas pour savoir dans quel service et quelle chambre se trouve mon collègue et je me suis arrangé avec lui pour que nous ne croisions pas étant donné que Cian a encore du mal à se supporter quand il y a trop de monde dans sa chambre. C'est pour ça que c'est seule que je passe les portes du service. Mes camarades avaient plus ou moins insisté pour venir avec moi, mais j'ai été ferme sur ma décisions : s'ils veulent le voir, ils n’arrangerons avec lui personnellement.

Pochette de mon ordinateur pendant sur mon épaule et contenant le DVD de Top Gun, sachet de pop corn dans l'autre main, je réajuste ma veste en cuir en arrivant devant la chambre que m'a indiqué l'amiral, et toque deux fois avant de pousser la clenche.  «Let's turn and burn » déclarais-je solennellement, évoquant ainsi une de mes quotes préférée de notre film fétiche.

Mon large sourire toutefois disparaît un peu lorsque mon regard se pose sur Cian et que je comprends qu'il n'a clairement pas la tête à ce que je compte lui proposer.  « Tom m'avait prévenu que c'était pas la grande forme mais ...je vois qu'il ne s'est pas trompé» soufflais-je en m'avançant vers le soldat  «ça va … ? » et ma question n'est pas anodine. Je sais bien que ça ne va pas, mais je veux entendre la phrase négative de sa propre bouche. Je ne veux pas qu'il se cache derrière des faux semblant et qu'il soit sincère avec moi.

Les visites s’enchaînent sans jamais réellement se ressembler, les médecins sont bien plus nombreux que les visages familiers ce qui est bien loin de rendre les journées un peu plus gaies. Tout s’enchaîne sans que je n’aie proprement le temps d’enregistrer ce que tout le monde me raconte. Thomas me pose bien trop de questions sur des événements passés pour que cela soit considéré comme une discussion tout à fait normale entre deux vieux amis. Le chirurgien orthopédique qui a opéré ma jambe vient de m’annoncer une période de rééducation qui s’annonce bien trop longue pour envisager un retour rapide au travail. Charlie a bien trop changé, Jean est enceinte. Tout se mélange et ne fait pas sens. Tout me semble claire le temps d’une minute avant que je ne tente de me concentrer et que tout s’embrouille pour ne plus créer qu’un seul brouillard épais. Je suis persuadé de savoir, mais reste dans l’incapacité d’avoir un clair souvenir, alors après je ne sais plus rien. Si dans les premiers jours, je pouvais prendre cela comme un jeu avec moi-même, une sorte de compétition contre mon esprit pour se rappeler qui sera le plus fort. Il faut croire que l’esprit l’emporte toujours dans ce type de situation, parce que je reste là, incapable de me souvenir des jours, des semaines voire même des mois avant l’accident. Et soudainement, le jeu n’est plus aussi marrant.

Le neurologue semble devenir un incompétent lorsqu’il apparaît que chacune de mes questions apporte une ride supplémentaire sur son front déjà bien marqué par les années. Il devient une sorte de monsieur "je sais pas", qui pari avec le temps et me sort l’éternelle rengaine que seule le repos et la patience pourront m’aider à y voir plus clair. Je comprends que les mystères du cerveau restent un labyrinthe de possibilités même pour les plus expérimentés. Ma mémoire semble me faire défaut et personne ne pourra clairement me dire quand je serais en capacité de me souvenirs. Cela pourrait prendre une semaine, comme des mois voir des années ou tout simplement ne jamais revenir. La loterie est immense quand je n’ai pas encore pleinement conscience de ce que je pourrais avoir perdu. Alors tout tourne dans un coin de ma tête, je m’épuise à vouloir comprendre, au point de m’en créer un énième mal de crâne, au point d’en perdre le sourire. Tout est remis en question sans que personne semble capable de m’aider à trouver la réponse.

Il semblerait que je sois bien incapable de cacher mon état d’esprit lorsque Louisa fait son entrée dans la chambre. Au moins, son visage est familier. Au moins, je comprends de suite la référence à mon film préféré. Au moins, je n’ai pas oublié ce genre de petite chose. Pourtant, elle s’inquiète de suite la militaire et ça n’a jamais vraiment été son genre. Un soupire m’échappe alors que nos regards se croisent. « Je sais pas. » Voilà. Je ne sais plus grand-chose en ce qui me concerne. « Je me souviens pas que ma nièce est enceinte de six mois, je me souviens pas de ce qui m’a poussé à jouer au con en moto. Je me souviens de rien Louisa. » Et peut-être que le ton monte sans que je ne le contrôle. « Et j’ai mal au crâne, j’ai trop mal au crâne. » Voilà comment l’inquiéter pour de bons quand elle ne m’a jamais entendu me plaindre de quoi que ce soit, quand elle m’a toujours vu venir au boulot même malade.

Cian ne va pas bien. Il n'a pas besoin de le dire à haute voix pour que je m'en rende compte. Je m'en doutais déjà avant même de pousser les portes de l'hôpital, en vrai. Connaissant le bonhomme, je me doute réellement que toute cette situation le pèse énormément. J'en suis persuadé lorsque mon regard se pose sur lui en entrant dans la chambre. Le regard fuyant, les traits tirés par un bien trop important manque de sommeil, il fait peine à voir. Alors exit tous les plans et tous ce que j'avais prévu de lui faire faire, ici il ne s'agit pas du pilote avec qui, ensemble, nous fuyons la réalité, mais bel et bien l'ami qui a besoin de s'accrocher à une main qu'on lui tend.

J'avoue, toutefois, que je ne m'attendais pas à ce qu'il accepte tout de suite de me dire que ça ne va pas, mais je ne laisse rien paraître. L'observant avec douceur, c'est en silence qui je dépose mes affaires sur le sol et que je me débarrasse de ma veste alors qu'il m'explique ce qui ne va pas. Il ne se rappelle d'absolument rien et en plus de ça il a un mal de crâne affreux. Le voyant s'agiter, je m'approcher promptement et pose une main douce sur son épaule.

 «Eh, eh Cian, calme toi » soufflais-je en attrapant une chaise pour m'installer face à lui  «je suis sûre que tu me racontes des conneries en plus » je lui adresse un sourire  « Tu te rappelle bien de quelque chose» assurais-je  «Je sais que l'amnésie peut faire peur et je me doute à quel point c'est pesant et chiant » j'ai déjà vécu de sacrés crises de la part de Jackson  « Mais raccroche toi à ce que tu sais, ok ?» je pose mon regard sur le soldat  « Tu connais ton identité et celle de tes proches, tu sais où tu es et surtout tu sais que je suis meilleure dans les airs que toi» je tente l'humour pour essayer de le déridé, espérant sincèrement que ça l'aidera à penser à autre chose  «Les souvenirs reviendrons petit à petit, la mémoire sera fluctuante mais en fin de compte elle sera à nouveau là » je pose ma main sur la sienne et commence à lui caresser les doigts  « les maux de tête disparaîtront aussi en fin de compte.» je soupire doucement  « Je ne sais quand, mais je sais que tu finiras par avoir à nouveau la paix» et j'espère sincèrement ne pas me tromper en avançant tout cela.

J’étais en train de me noyer dans mes réflexions, perdus dans la complexité de toutes les annonces que j’ai pu recevoir ses derniers jours, avant que Louisa ne fasse apparition dans la pièce. Elle débarque l’air de rien avec son sourire espiègle, m’offrant alors toutes les possibilités de pouvoir enfin relâcher la pression. Non pas que je suis bien incapable de le faire avec le reste de mes proches, mais comparer à elle, ils avaient tous un air bien trop grave dès l’instant où ils venaient à franchir cette porte. Louisa, elle arrive comme un vent de légèreté, soucieuse de rien, porteuse de quelques rayons de soleil qui semblait me manquer cruellement. Elle m’offre la possibilité de tout laisser s’écouler quand je sais que jamais elle n’émettra le moindre jugement, si ce n’est me prêter une oreille attentive. Les mots s’emballent et se délient dans un bégaiement qui ne fait pas vraiment de sens. C’est l’angoisse la plus pure qui s’étale entre nous, celle de mon incompréhension la plus totale face à ma nouvelle situation. Elle prend tout en pleine tête la pilote, elle analyse à toute vitesse avant de me balancer quelques vérités bien placées. Elle n’a jamais eu sa langue dans sa poche et c’est probablement tout ce dont j’avais besoin même si cela pouvait rimer avec un humour que l’on pourrait sincèrement qualifier comme douteux. « Je suis peut-être devenu légèrement sénile, mais je sais que je te bats sur tout un tas de manœuvre. » Qu’elle ne me la joue pas à l’envers la brune, elle pourrait presque le regretter.

Je l’écoute avec attention la gamine, elle apparaît comme un vieux sage à prodiguer divers conseils qui me semblent aussi dérisoires qu’ils apportent un autre regard sur ma situation actuelle. Elle cherche à rassurer comme elle peut quand je me contente de hausser les épaules. « Je dois forcément oublier des choses importantes. » Comme une relation, un moment passé, la perte d’un être cher ? Je ne sais plus, je n’ai pas vu mon frère ou ma sœur depuis ce qui me semble être deux décennies et une éternité. « Je sais même pas si je pourrais encore voler. » Et elle, elle sera la seule à comprendre cette angoisse-là. « Je peux pas envisager ça Louisa. » Mes mains tremblent à nouveau tandis que mon esprit cavale à mille à l’heure dans des suggestions plus folles les unes que les autres.

Il me fait mal au cœur Cian à être aussi démunie. Et s'il est facile de s’apitoyer sur son sort, je n'en fait rien. Il n'a pas besoin que je le plaigne et que je l'enfonce encore plus dans ce qui lui semble être une situation insurmontable. C'est donc sur un ton léger mais ferme que je m'adresse à lui lorsque je lui dis de s'accrocher aux souvenirs qui sont encore gravés dans sa mémoire, me foutant un peu de lui en rigolant sur le fait que je sois meilleure dans les airs que lui. Évidemment, il n'y croit pas une seconde et j'accueille ses paroles avec un petit rire amusé.

 «Tu vois, tout n'est pas perdu ! » assurais-je en secouant la tête avant de reprendre mon sérieux lorsque le pilote reprend qu'il doit sans doute oublier quelque chose d'important. Mais le pire c'est la suite : quelque chose se brise en moi lorsqu'il m'avoue qu'il a sincèrement peur qu'il ne pourra plus jamais voler et qu'il ne supportera pas, ça.  «c'est normal » dis-je doucement en hochant la tête  « Mais ça n'arrivera pas» vraiment ?  « Tu ne peux plus voler maintenant...mais dans quelques mois quand tu seras de nouveau réparé et totalement neuf, votre supérieur comprendra bien qu'il ne pourra pas te garder au sol éternellement » lui assurais-je  «Je suis incapable de savoir combien de temps ta convalescence prendre mais rien ni personne ne pourra te couper les ailes » je plonge mon regard dans celui du pilote  «J'en suis persuadé à 200% » je sers un instant la main du soldat dans la mienne puis soupire en me redressant  «Tu as le droit de ne pas aller bien, mais tu n'as pas le droit de te laisser abattre, ok ? Parce que si tu te laisse abattre comme une victime, je te promet que je trouverais bien une solution pour te foutre un coup de pied au cul. » j'hoche une fois la tête  «Et crois moi, t'as pas envie que mes rangers rencontrent ton anus ou autre chose » déclarais-je, presque solennellement.

Je n'ai jamais été du genre à m’apitoyer sur le sors des autres et même si Cian mérite un peu de compassion, ce n'est pas ce qui le sauvera. Cela dit, un trop plein de menaces n'est pas bon non plus et ça risque de le braquer plus qu'autre chose, non ? Enfin, connaissant le soldat et son caractère de cochon, certes, mais surtout de battant, je sais qu'il ne prendra pas mal le fait que je sois aussi directe. Ou peut-être que si ? Je n'en sais rien en vrai. Mais peu importe.  «enfin bon... » je relâche sa main et me recule contre le dossier de la chaise, observant la chambre qu'il occupe  « Je suis déçue de pas voir de ballons ou fleurs dégueulasses. Ou de magasines de ragots !» ajoutais-je pour une touche plus légère  « Mais je vois que quelqu'un a eu assez d'humour pour t'acheter un nounours à ton effigie !» m'exclamais-je en attrapant l'ourson amoché  «Il est plus chou que toi en vrai » haussais-je les épaules, mon regard allant tour à tour de la peluche à Cian.

La présence de Louisa m’offre un sas de décompression que je n’avais encore osé imaginer. Elle est arrivée avec son sourire éternel et son optimisme sans faille, pas pour se moquer, pas pour venir constater les dégâts et mieux s’en aller. Elle est là et dans sa présence je ne remarque qu’un soutien d’une force que je ne saurais décrire, comme si elle avait compris que j’avais ce besoin de vider mon sac sans jamais oser le faire auprès de ceux qui sont trop proches, trop dans l’affect. Ce n’est pas que Louisa ne réagit jamais avec ses émotions, loin de là, mais notre relation lui permettra de tempérer. Alors je parle, j’évoque les douleurs et les doutes. J’envisage le pire, je note tout le sombre, je vomis ces paroles que je retiens depuis bien trop longtemps dans l’espoir de ressentir autre chose que ce vide. Elle se veut rassurante la pilote, elle mesure ses phrases, amène un discours qui tient la ligne sans que jamais ses paroles ne pénètrent complètement cette bulle négative que j’ai su créer tout autour de moi. « C’est pas aussi évident cette fois. » On connaît tous des hauts et des bas, on laisse toujours un ami nous rappeler qu’il y a bien plus grave dans la vie, que l’on finira par voir la lumière au bout du tunnel. Mais parfois, le rappel ne s’avère pas aussi efficace. Elle a beau me menacer, je ne vois que mon incapacité à bouger et pourtant voilà que je cache encore le tout derrière un certain sarcasme. « T’as aucune force la mauviette. » La blague pourrait en faire rire plus d’un quand on sait que Louisa est bien capable de dresser tout un bataillon de mec dopé aux hormones qui se prennent pour les rois du monde. Je m’essaye à rire, mais le cœur n’y est pas. Alors je croise son regard, juste une fois. « Quand j’aurais envie d’abandonner… » Je sais déjà que cela va arriver. « Je t’appelle et tu viens me botter le cul ? » J’ai besoin qu’elle soit mon assurance, le gage que quelqu’un osera me secouer comme il se doit.

Elle a toujours été douée pour les distractions la métisse, à faire d’une blague le moindre des sujets au point même de se foutre de la gueule d’un infirme. « Il est à ma nièce, il doit être aussi vieux qu’elle. » Cet ourson, je l’avais ramené à Charlie alors qu’elle n’était encore qu’une petite morveuse haute comme trois pommes. J’ai été surpris de la voir débarquer avec, mais je n’ai jamais questionné son intention, c’est sa façon à elle de surveiller. « Aller t’a forcément des potins à me raconter. » N’importe quoi tant que cela n’évoque pas un trait mot de l’hôpital, des soins, de jambe brisée et autres joyeusetés de ce genre. « Qu’est-ce qu’on dit à mon sujet sur la base ? » Je suis bien curieux d’en savoir plus, sur ce point-là.

J'incline la tête sur le côté et observe Cian en mode  «Tu te foutrais pas un peu de ma gueule là ? » lorsqu'il me dit que je n'ai aucune force de toute manière. Je suis très tenté de lui répondre qu'en l'heure actuelle j'ai beaucoup plus de force de lui et qu'entre nous c'est lui la mauviette, mais je garde bien, ne sachant pas forcément comme il régirait à cette provocation. D'autant plus qu'après un rapide rire -sans que le cœur n'y soit- il me demande réellement de venir lui botter les fesses si le courage venait à lui manquer.  « A vos ordres mon amiral !» dis-je en me redressant tout à coup avec un salut militaire en bonne et due forme.

Je me relâche ensuite en laissant échapper un rire et décide de changer de sujet, critiquant le manque de décoration et me foutant un peu de la gueule de l'ourson. Lorsque Cian m'informe qu'il appartenait à sa nièce et qu'il doit être aussi vieux qu'elle, je lâche la peluche avec une grimace de dégoût  « Elle a du tellement baver là-dessus ta nièce. Ça m'étonne que les médecins t'autorisent à le garder ici, tant il doit être remplis de germes !» je secoue doucement la tête et, du bout des doigts, le soulève par une oreille pour le reposer sur la table de cheveux.

C'est à ce moment là que Cian me demande ce qu'on dit de lui à la base militaire, souhaitant avoir tous les ragots qui doivent sans doute aller bon train.  «eh bien ... » je pince les lèvres et lève les yeux au ciel dans une moue de réflexion  «Alors, y en a qui croient dur comme fer que t'es mort. Et je rigole pas ! Hawkeye voulait commencé une quête pour ta famille pour ton enterrement » je secoue doucement la tête  « Sinon ben ...pas grand chose. T'as le bonjour de tout le bataillon, Sparrow est même persuadé qu'il arriverait à arranger le cockpit de ton hélico pour le mettre à niveau en fonction de ton handicap. T'sais, comme les voitures là ?» j'hausse les épaules  «Je lui ais dit que c'était pas forcément conseillé, encore moins en temps de guerre, mais non, il est entrain de bûché là-dessus persuadé qu'il trouvera une solution » je me recule contre le dossier de ma chaise  «J'ai ramené mon ordi. Si tu veux, on peut se regarder Top Gun » proposais-je, persuadé que ça l'aidera à se détendre à penser à autre chose.

Elle se moque de tout Louisa, c’est dans ses habitudes. Si je ne l’avais jamais vu au travail, je pourrais même me demander s’il lui arrive de prendre quelque chose au sérieux, au moins une fois dans sa vie. Chance pour elle, j’ai déjà eu le plaisir de l’observer à bord d’un avion de chasse. Assez pour comprendre qu’elle ne ferait jamais rien pour compromettre la vie de ses équipes et que, comme nous tous, son métier compte plus que de raison. On est accro aux sensations fortes, c’est ce qui nous a toujours rapprochés. Quand personne n’a envie d’aller faire des manœuvres dans un ciel déchaîné, on est toujours les premiers à se porter volontaire. Maintenant, je suis cloué dans un lit d’hôpital et tout ce qui lui reste, c’est de pouvoir se foutre de ma gueule ou bien moqué les cadeaux que j’ai pu recevoir. « Au moins, j’ai des cadeaux. » que je souffle avant de coller mon regard au sien. « On peut pas vraiment dire que t’en soi un. » Je tente de garder mon sérieux, mais il est trop facile d’exploser de rire en voyant son expression. Et dieu que cela fait du bien.

Pourtant, je suis le premier à relancer les sujets sérieux en évoquant la base. J’ai besoin de savoir ce qui se trame là-bas depuis des semaines, parce que je les connais tous assez bien, pour savoir que les rumeurs les plus folles ont du courir à mon sujet. Et donc pour mes frères d’armes je suis soit mort, soit bon a jeter pour le reste de ma vie, cloué à un fauteuil roulant. « Tu pourras dire que tu m’a vu vivant. » Ce sera déjà un bon début. « Et tu diras à Sparrow que s’il touche à mon hélico, je lui bousille les dents, fauteuil ou pas. » Je l’adore, mais qu’il n’abuse pas, je pourrais vraiment devenir violent. Heureusement, la jeune femme à le tour de passe-passe parfait pour me faire oublier tout cela. « Tu sais me parler. » Je souris un peu et me redresse légèrement pour faire de la place sur le lit afin qu’elle pose son ordinateur. Elle est en train de tout installer et je soupire quelque peu. « Tu m’emmènera voler si jamais… » Je ne finis pas ma phrase, je sais qu’elle va comprendre. Si jamais je ne serais plus jamais en capacité de le faire par moi-même, est-ce qu’elle me considérera encore comme un potentiel co-pilote ?

J'ouvre la bouche et pose une main sur mon cœur dans une expression faussement choquée lorsque Cian me dit que je ne suis pas un cadeau, moi.  «Olala, mais qu'est-ce que t'es méchant !» me plaignis-je en affichant, ensuite, une moue triste  « Je fais tout le chemin jusqu'ici, chargée comme une mûle et toi tu oses me dire des truc comme ça ...» je fini par me joindre à son rire, bien heureuse, finalement, d'avoir pu le dérider au point où même son rire semble être sincère. Je fini par me réinstaller plus confortablement, lorsqu'il me relance sur des sujets plus sérieux.

Mais là encore j'essaie de détourner le tout en humour de merde. Malheureusement, ça ne fonctionne pas et Cian est bien trop trop sérieux lorsqu'il me dit de passer le message à Sparrow comme quoi il risquerait de prendre cher s'il touche à son hélicoptère  « T'inquiète, jamais il ne montera dans ce truc» dis-je, demi sourire moqueur sur les lèvres  «Faut vraiment qu'il se sente minable si un jour il décide ne serait-ce que de s'approcher de ce truc là » bien sûr que je me joue de Cian, bien sûr que je remet sur le tapis la petite guerre bon enfant entre les pilotes d'avions de chasses de l'armée de l'air et le pilotes d'hélicoptères de l'aéronautique naval.  « Mais oui, on prendra Bertha de nouveau et on ira faire le tour du Queensland, et encore plus loin même» je me penche vers mon ami et pose une main sur son bras  «you can be my wingman anytime, darling » soufflais-je, autant parce que je le pense vraiment que pour citer notre film préféré.

Et d'ailleurs, c'est celui-ci que nous allons regarder maintenant ! Je sors mon ordinateur portable, pianote rapidement sur le clavier puis installe l'adaptable de manière à ce que nous pouvons parfaitement et tous les deux regarder l'écran. Je sors encore les pop corn -qui ne doivent absolument pas manquer à notre séance cinéma!- et enfin je lance ce film que nous aimons tant tous les deux. Tant et si bien que nous nous lançons dans notre rituel et notre petit défi du jour : celui qui dit le plus de dialogue possible au bon moment.