La galerie d’art a été privatisée ce soir, une fête organisée par mes soins, aux allures lointaines de Met Gala . Il se pourrait que j’ai sorti le grand jeu, organisant une exposition de quelques artistes considérés comme les étoiles montantes australiennes, dans un lieu où le champagne coulera à flot. C’est la richesse de Brisbane que j’ai cherché à attirer ici, les invitations filant vers les grands noms. Ma réputation pour organiser de tels évènements n’est plus à faire et si en temps normal je prends un certain plaisir à promouvoir les artistes que je souhaite faire découvrir, ce n’est pas sur ça que je suis concentré ce soir. Non en réalité pour la première fois il y a une personne en particulier que j’attends. Lexie Walker.  Une jeune femme que j’ai déjà croisé de loin à certaines soirées sans jamais lui adresser le moindre mot. Ce soir, je suis bien décidé à faire la connaissance de la demoiselle pour des raisons tout à fait égoïstes.

J’ai approché son frère il y a quelques temps. J’aurais dû m’arrêter là, arrêter de penser à cette lettre qui semble s’insinuer dans mon esprit à chaque fois que mon esprit s’égare. Il y a plus de chance que ce soit une farce plutôt que quoique ce soit d’autre. Il ne faut pas être un génie pour se rendre compte que Channing et moi n’avions rien en commun. Je n’ai aucune envie de savoir qui est ma famille biologique ou plutôt qui sont les responsables de mon abandon. Cela ne m’intéresse pas et j’ai coupé avec cette vie dès le moment où les Mulligan m’ont adopté.  Alors pourquoi, au lieu de brûler cette lettre écrite par une inconnue, je suis occupé à m’insérer dans la vie des Walker comme si j’essayais de découvrir leurs secrets ? Ou peut-être n’est-ce pas leurs secrets que j’essaye de trouver mais un portrait de cette famille que j’essaye de dessiner ? Et Lexie Walker a le mérite d’être plus facilement abordable que son frère. Sans doute parce que sa réputation la précède et que je me reconnais sans problème dans celle-ci à la différence de l’héritier qui respire un peu trop la perfection.

Elle se trouve face à un tableau et je m’approche, un cocktail à la main me tenant à sa droite en observant à mon tour l’œuvre d’art. « Alors, réussie ? » La soirée, le tableau, je ne sais même pas moi-même de quoi je parle. Je tourne la tête pour lui adresser un sourire charmeur, bien décidé à me mettre Lexie Walker dans la poche. « Est-ce que j’aurais le droit à une petite publicité au journal demain ? » Après tout j’ai fait mes recherches correctement cette dernière semaine, pour savoir qui était la seule fille de ce clan Walker.

«  Freddy Mulligan, je ne crois pas qu’on se soit déjà parlé. » Je tends ma main pour serrer délicatement la sienne, bien décidé à en savoir plus sur cette famille qui semble si parfaite.  

@Lexie Walker

« L’œuvre est magnifique. Vous pourrez me transmettre les coordonnées de l’artiste ? Je pense que je ferai appel pour l’un de nos prochains galas. Ils sont presque aussi ennuyants que les vôtres, mais il faut bien en passer par là, quelques fois. »

Lexie Walker n’a pas la langue dans sa poche et ça a le mérite de m’arracher un sourire entrelacé de malice. Ennuyeux ce gala ? Je regarde autour de moi, plutôt satisfait de l’évènement, même si je préférais de loin les fêtes où corps et langues se déliaient au rythme de la musique, loin des projecteurs et des apparences. Ces fêtes où la nuit était reine et où l’alcool coulait à flot. « Je sais pas pourquoi, mais je suis certain que les vôtres sont plus ennuyeux que les miens. Il faudrait que je m’y rende, histoire de constater par moi-même. » Mes dires sont accompagnés d’un clin d’œil alors que je fais tourner mon verre entre mes doigts.  A mes yeux, il y avait peu de chances que mes galas soient plus ennuyeux que les siens,  principalement parce qu’ils se concentraient uniquement sur l’art et que l’empire des Walker ne m’avait jamais intéressé, du moins jusqu’à aujourd’hui. « Puis, vous savez ce qu’on dit, l’ennui dépend de la compagnie qu’on a. Peut-être que vous ne m’aviez juste pas rencontré. »  Je ne peux m’empêcher de sourire avec malice, provocateur jusqu’au bout des ongles, me permettant même de trinquer ma coupe dans la sienne. « Quant à l’artiste, elle s’appelle Joleen Katya, je vous la présenterais, elle doit être en plein débat quelque part. » Perdue entre mes invités, profitant de l’occasion pour se faire connaître. Ce soir mon intérêt n’est pas porté sur les œuvres que j’ai exposées, encore moins sur les artistes mais bel et bien sur cette femme que j’ai pris le soin d’inviter en espérant qu’elle vienne pour découvrir qui elle est. Elle partage sûrement mon trait pour l’humour et sa réputation fait que je sais qu’elle aime le même genre de soirées que moi.

« Vous me flattez, mais c’est une mauvaise pioche. Je n’ai aucun pouvoir sur le choix des sujets diffusés par ABC, et je doute pouvoir placer un bon mot pour vous entre l’ensoleillement et les degrés du lendemain. » Dommage, si j’en avais quelque chose à faire du moins. « Ca se tente toujours. 28 degrés à Brisbane, un même niveau de chaleur que cette œuvre d’une nouvelle artiste peu connue. Et hop petit coup de pub. » je lance avec un sourire, me décidant enfin à me présenter, jouant sur les apparences qui sont reines en ces lieux.

« En effet, je pense que sinon, je m’en souviendrai. Lexie Walker, mais a priori, vous le savez déjà. » Il est clair que je m’en souviendrai aussi et je ne peux m’empêcher de me dire qu’heureusement que je ne l’ai pas croisée avant, Walker étant tout à fait le genre de femme qui m’aurait plu en temps normal. Les doutes qui pesaient sur notre lien de parenté avait eu raison de toute mauvaise attention de ma part, mais si mon charme pouvait m’aider à en apprendre plus sur elle, je n’allais pas hésiter à en jouer. Je me contente donc d’un sourire malicieux qui n’est qu’affirmation avant de lui demander le plus innocemment du monde : « J’ai entendu que vous étiez une amatrice d’art, c’est de famille ? »





@Lexie Walker

« Je doute que ma mère vous ait un jour envoyé une invitation, mais je pourrais sans doute vous faire parvenir un carton pour le prochain gala. Vous pourrez ainsi juger par vous-même et, qui sait, noter quelques bonnes idées pour améliorer vos prochaines sauteries. »

L’invitation tombe avec une facilité déconcertante un moyen pour moi de me rapprocher de cette famille hors norme qui ne peut pas être la mienne. Mon sourire s’est élargi, je vois cela comme une première victoire. « Ca serait avec plaisir. Je suis toujours à la recherche de nouvelles idées. » Je ne peux m’empêcher de lui adresser un clin d’œil, avant de souligner que ma compagnie l’aidera sans aucun doute à contrer son ennui.

« On ne peut pas dire que la modestie vous étouffe … Mais vous avez raison sur un point : la compagnie est fondamentale. C’est d’ailleurs pour cela que je ne suis pas accompagnée, en règle générale. Qui sait sur qui on pourrait tomber. »

Mon sourire ne disparaît pas. Mais je comprends le manège de la demoiselle. Elle me pense sans aucun doute intéressé et sans les informations que j’ai, j’aurais sans aucun doute sauté sur l’occasion en entrant dans son jeu. Si mon regard laisse transparaître une demie seconde que je suis déstabilisé je me ressaisis vite, me rappelant des apparences et de la personne que je suis censé être, buvant une gorgée de champagne avant de pencher la tête sur le côté pour l’observer. « Vous aimez les gens modestes ? Je peux le devenir s’il le faut. Mais j’ai bien peur que ma compagnie soit tout de suite moins intéressante. » Je lui adresse un clin d’œil malicieux, alors que je tente de rentrer dans son jeu sans être certain de savoir dans quoi je m’embarque. Je m’attendais à trouver une fille de riche manipulable et je me retrouve face à une femme qui a l’air de maîtriser parfaitement les règles du jeu.

« Vous pourrez sans doute échanger avec notre sommelier, lors de votre venue au gala des Walker. Il pourrait vous conseiller sur le choix d’un meilleur champagne, en tout cas. » Sa remarque m’arrache un rire, pas le moins du monde vexé. Tout simplement parce que je sais que ce champagne hors de prix est un des meilleurs du marché ce qui veut dire que cette femme cherche uniquement à me provoquer sans savoir non plus à qui elle a affaire. Je lève mon verre vers elle. « J’ai hâte de recevoir cette invitation dans ce cas. Vous avez l’air d’avoir beaucoup de choses à m’apprendre. »  Les mots sont tendancieux pour n’importe qui connaissant un tant soit peu Freddy Mulligan et pourtant ils font référence à une vérité toute autre qui réside dans la lettre que j’ai reçu pendant l’été. Lexie Walker a une infinité de choses à m’apprendre et elles sont toutes sur les membres de sa famille.

Elle semble surprise quand j’évoque sa famille et je me contente de sourire comme pour apaiser le moindre doute qu’elle pourrait avoir.  « Pas vraiment, non … Je pense être la seule à avoir cet attrait pour la peinture ou la sculpture. Et vous, d’où vous vient cet attrait pour l’art, et cette envie de faire connaître des artistes ? » Son attrait pour l’art n’est pas de famille et je ne peux m’empêcher d’être déçu sans trop savoir pourquoi.  Sans doute parce que c’est un trait que nous avons en commun. Elle me semblait intéressante et j’avais le faible espoir que le reste de la famille le soit aussi.

« Je peins dans mon temps libre depuis que je suis gamin. Un hobby comme un autre, ça me détend. »  dis-je en haussant les épaules. Si les années d’entraînement et de passion avaient aiguisé mon pinceau, je n’avais pas la prétention d’avoir un talent inné. Non en vérité, la peinture était mon jardin secret, un moyen comme un autre d’exprimer ce que je ne disais pas. « Mais quand on a de l’argent et un nom je suppose qu’autant qu’il soit utile à d’autres ?" C’était bien les seules actions caritatives qui m’intéressaient réellement, les autres n’étaient que pures obligations  vers lesquelles mon agent me poussait.

« J’aime les belles choses et ce qui se cache derrière un trait de peinture. » Mon regard ne la lâchait pas comme si je voulais savoir qui était Lexie Walker, prêt à donner l’illusion d’une tentative de séduction sans réellement savoir dans quoi je m’embarquais. « Qu’est ce qui vous a poussé à devenir journaliste Lexie ? Vous ne vouliez pas continuer l’entreprise familiale ? » Je suis sans doute bien trop curieux jouant de mon charme pour tenter d’en savoir plus, prêts à déterrer les secrets de cette famille.



@Lexie Walker