Le voilà, le premier article qui pointe le bout de son nez depuis les premières images promotionnelles du première épisode de la saison deux de Race Of Australia. Episode qu’elle allait boycotter sans surprise, refusant d’allumer sa télévision ce soir-là. Elle avait déjà entendu les bruits de couloirs à son sujet, maintenant, tout était officiel : May Glitters ne faisait pas partie de l’équipe cette année. Et elle n’en fera jamais parti. Elle n’était pas sur les images d’annonce de cette émission attendue pour septembre. Elle n’était pas dans le générique, n’était nulle part. A juste titre, elle avait été remerciée.
Le gros titre : May Glitters a disparu des radars. Son doigt scrollait sur son téléphone, elle lisait en diagonale une première fois, puis intégralement une seconde fois. Un ramassis de conneries d’après elle. Elle pouvait y lire qu’elle avait totalement disparu de la circulation depuis quelques mois, qu’on ne la croisait même plus dans les couloirs de ABC, qu’elle n’était pas non plus repartie jouer à la directrice de casting insupportable comme on pouvait souvent la décrire. On dépeignait un portrait qui lui faisait froid dans le dos. Imbus de sa personne, froide, méprisante. Voilà les adjectifs qui la décrivaient dans cet article. Au placard May, voilà sa place. Elle qui répétait sans cesse qu’il fallait avoir les épaules larges pour être dans le métier, qu’il ne fallait jamais se laisser abattre par les articles qu’on lisait dans les journaux pute à clique, qui ne voulaient que des vues et dont la qualité des articles étaient à vomir. Et pourtant, la voilà qui prenait très à cœur tout ce qu’elle venait de lire.
« Allez tous vous faire foutre. » qu’elle lance, sans filtre en appuyant sur le bouton à gauche de son téléphone pour éteindre l’écran et en relevant les yeux, quelle fut sa surprise de voir un ancien candidat de Race of Australia, juste devant elle. Kieran avait les yeux rivés sur des pâtisseries de ce stand alimentaire, en plein milieu du marché couvert. May en avait oublié où elle était avant de se mettre dans cette bulle pour lire l’article dont la notification était apparue sur son téléphone. Et Kieran lui, bullait, bavait, devant le commerçant chez qui elle venait exprès ce jour-là. « A qui l’tour ? » « S’il finit par se décider, je pense que c’est à lui, si non, je prends sa place. » qu’elle lâche, d’un ton amer, patiente quand même, patience qui durera sans doute trente secondes, tout au plus. Elle regarde alors Kieran avec insistance, petit coup de pression au passage.


@Kieran Halstead

@MAY ANDREWS & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ i was told when i get older all my fears would shrink, but now i’m insecure and i care what people think. My name is Blurryface and I care what you think.

Tu sais, Kieran, il y aurait un moyen bien plus économique (financièrement, du moins) de passer tes pauses que de traîner dans ce marché et d’avoir à payer un rein pour ton repas, sous prétexte qu’il s’agit de produits locaux. Un sandwich de supermarché ferait très bien l’affaire si notre protagoniste arrivait à se faire sa place parmi les autres enseignants de l’école Saint Anthony et qu’il ne cherchait pas la première occasion de disparaître dès que l’occasion se présente à lui. Voilà bientôt deux ans qu’il occupe ce poste de professeur et tout autant de temps qu’il n’arrive pas vraiment à sympathiser avec les autres, à quelques exceptions près. Ce n’est pas plus facile avec les parents d’élèves et concernant ces derniers, on en parle même pas : son autorité naturelle est inexistante et même forcée, le résultat n’est pas celui escompté. Voyez, il y aurait des dizaines de manière de régler la situation : forcer un peu plus le contact durant les pauses, offrir les cafés ou les pâtisseries (il l’a fait à de nombreuses reprises, il s’est ruiné), commencer à s’affirmer, oser s’imposer... des stratégies impensables pour un Kieran qui tend à se faire discret, voire carrément effacé et qui saisit chaque occasion pour disparaître. Aujourd’hui ne fait donc pas exception à la règle, alors que son prochain cours n’est que dans deux petites heures, lui laissant l’occasion de quitter les couloirs de Saint Anthony pour flâner dans un quartier qu’il connaît par cœur. S’il traîne souvent du côté de la State Liberty, lorsque son estomac l’interpelle, c’est du côté du marché qu’il lorgne, au détriment de son porte-monnaie. Kieran, c’est toujours un adolescent dans sa façon de se nourrir ; et au lieu de se contenter d’une salade, vous pouvez être sûr qu’il accumulera les snacks jusqu’à composer un repas. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il bave devant la vitrine de ce stand, hésitant entre le tiramisu, non, le fraisier, ou peut-être un simple cookie ? Mais le gâteau à la carotte à l’heure dingue aussi et s’il était capable d’oublier ses allergies alimentaires, même ce brownie pourrait lui faire de l’œil. « Allez tous vous faire foutre. » Trop occupé à baver (littéralement, je suis sûr que de plus près on peut apercevoir la salive au coin de sa bouche), le jeune homme en oublie le fait qu’il n’est pas plus seul ici qu’il ne l’est à l’école et, malheureusement pour lui, cette voix lui est tout autant familière que celle de ses collègues. Pour la tranquillité, on repassera. Relevant les yeux vers May Glittrs, celle qu’il range du même côté que la production de cette expérience mitigée qu’est Race of Australia, il fait un pas un arrière pour tenter de s’éloigner sans qu’elle ne le remarque. Oh, Kieran. Pour une fois, tu croirais presque être important, c’est dommage que ça s’exprime la seule fois où tu aurais raison de te considérer comme un parfait inconnu ; May n’a probablement pas le moindre souvenir de ta tête. « A qui l’tour ? » « S’il finit par se décider, je pense que c’est à lui, si non, je prends sa place. » Ouais, Halstead, ne pas vouloir soutenir son regard n’implique pas qu’elle ne t’ait pas vu de son côté et te voilà bien emprunté, n’est-ce pas ? « Prenez ma place, de toute façon j’ai changé d’avis. » Oui, bien sûr, va me faire croire que la photo de l’éclair qui s’imprime dans ton esprit est un « changement d’avis » tu vas surtout regretter toute la journée et quand celle-ci sera finie, les boulangeries du coin ne proposeront plus d’éclairs. Mais bon, c’est un détail, t’as l’habitude de ne pas avoir ce que tu veux, Kieran, n’est-ce pas ? À peu près comme t’as l’habitude que des visages du passé viennent te hanter, puisqu’il semblerait que ce soit une constante. Il aurait voulu oublier cette émission et toutes les conséquences qui ont suivies, celles auxquelles il aurait dû penser comme son anonymat inexistant et celles auxquelles il ne pouvait rien prévoir, comme le fait d’être agressé durant une soirée. Une agression qui ne semble n’en être une que pour lui, lorsqu’il a essayé de poser des mots dessus et qu’on lui a clairement fait comprendre que la situation était propice pour de l’audimat et puis, après tout, c’est un homme et des femmes se sont jetées sur lui, à quoi bon se plaindre d’un tel fantasme ? Mais t’avais raison, Kieran. Peu importe ce que les autres te disent, t’avais raison, je veux que tu le saches. Tout comme je veux que tu confrontes cette femme pour cette émission et leur besoin d’audimat, mais ça, c’est bien plus difficile, n’est-ce pas ? Alors il conserve sa rancœur et la bienséance lui oblige à glisser un « ravi de vous avoir revu, madame Glitters. » bien trop solennel, bien peu sincère avant d’envisager de détourner les talons. Alors pourquoi tu restes figé, Halstead ?

La blonde gardait ce regard insistant sur l’ancien candidat de l’émission qu’elle vomissait à présent. Allait-il enfin se décider à choisir quelques choses ou son regard allait rester figé sur cette vitrine encore bien trop longtemps ? « Prenez ma place, de toute façon j’ai changé d’avis. » Quand même. Et là, elle ne se fit pas prier la blonde. Bien sûre qu’elle allait prendre sa place, parce qu’elle est toujours un peu trop pressée même si elle n’a pourtant plus rien d’intéressant à faire. Pas d’emploi du temps trop chargé, pas de réunion inutile, pas de casting, pas de production à rencontrer, pas de cours de théâtre qui ne mène à rien non plus. Non, rien. Le néant. Alors pourquoi se montrait-elle si impatiente ? Surement, l’envie de s’enfuir et s’enterrer dans un trou à l’abri des regards. Loin des airs inquisiteurs qu’on portait sur elle. La moindre personne qui lui adressait un regard lui suffisait pour se dire qu’elle savait lire dans les pensées et qu’elle savait qu’on la jugeait. Pourtant, malgré le succès de Race Of Australia, tout le monde ne la remettait pas. Aussitôt vu, aussitôt oublié. La dure loi de la télé. Les nouvelles images de promotions suffisaient à ce que le nouveau visage de ROA supprime et remplace le sien. C’est ça, la télé et elle le savait mais tout ceci restait encore bien trop frais et trop sensible pour elle. « Pardon. » qu’elle lança alors à Kieran, pour qu’il se décale, se permettant même de poser son revers de main sur son torse, sans être trop intrusive cependant – c’est sa vision à elle, ceci dit. « Ravi de vous avoir revu, madame Glitters. » la blonde tourna la tête vers le jeune Halstead, qui avait la tête de quelqu’un qui avait vu un fantôme. Surement la même tête que May lorsqu’elle entendit à nouveau Glitters prononcé entre ses lèvres. « Andrews. » il n’allait surement pas comprendre, personne ne savait qui elle était vraiment. « Mon nom, c’est Andrews, May Andrews. Merci de ne plus m’appeler Glitters. » Même si elle se doutait que les risques qu’ils se revoient finalement étaient moindre. Elle se sentie bousculée resta à son tour comme bloquée face à Kieran. « Excusez-moi ? » l’impatience du boulanger se faisait elle-même sentir, sortant la blonde de ses quelques pensées. « Vous me mettrez un assortiment de ça. » comme si elle avait oublié pourquoi elle était venue réellement, elle désigna la vitrine et ses viennoiseries européennes. « Quatre. » qu’elle précisa, finalement, laissant un billet sur le comptoir avant de prendre son petit sac en papier bien rempli. La blonde sortie aussitôt de la petite boutique, sans adresser un mot de plus à Kieran. Une fois sur le trottoir, un sentiment d’air frais lui libéra la poitrine et lui permis de respirer un bon coup. Elle se retourna vers la vitrine et attendit alors que le brun ne sorte à son tour. « Kieran. » elle fit un pas vers lui, toujours sans se sentir trop intrusive alors qu’il y avait moins d’un mètre qui les séparait. « Comment tu vas ? »

Ce n’est pas habituel comme sentiment, la rancœur, n’est-ce pas Kieran ? Il fait partie de ceux que tu évites un maximum, que tu prétends ne jamais ressentir ; c’est bien plus simple que de l’assumer, que de se laisser consumer par un ressentiment auquel tu ne peux pas faire grand-chose, simplement parce que tu t’es convaincu qu’il n’y a rien à faire. Le jeune homme a enregistré toutes les excuses et justifications qu’on lui a toujours données concernant ses malheurs et sa détresse pour ignorer ceux-ci, dévalorisant ses propres sentiments et émotions pour s’adapter à celles qu’on lui prête. Après tout, il est stupide, c’est écrit sur son front, c’est un QI négatif alors est-ce qu’il peut vraiment ressentir de la peine et de la douleur ? Oh, Kieran. Un jour, tu comprendras à quel point tu te trompes et peut-être qu’un jour tu accepteras que cette rancœur à l’égard de May Glitters est cohérente. Peut-être même que si ce jour intervient plus vite que je ne l’espère, tu oseras la confronter pour lui demander les raisons derrière leur besoin d’audimat au détriment des candidats. Et non, je t’interdis de penser au fait que la télévision est un univers impitoyable, que la majorité des clichés sont vrais et que tu aurais dû t’y attendre. De la même façon que si May n’est pas la seule responsable, tu es en droit de la considérer comme réceptacle de ta haine ; parce qu’elle est le seul visage de cette émission que tu ne reverras jamais. Oh, ne le jugez pas ; il peut bien agir comme il le veut, je le fais agir comme il me semble bon pour lui et la pitié à l’égard de May n’a guère sa place. Il faut des sacrifiés, parfois, et cette fois-ci ce ne sera pas Kieran. Se mettant en retrait, ce n’est visiblement pas suffisant pour l’animatrice, alors que le revers de sa main se pose sur son torse. « Pardon. » Il ne l’entend pas, Kieran, alors qu’elle ne fait qu’accentuer ce pourquoi il la condamne, au même titre que cette émission, en premier lieu. Il s’écarte rapidement pour que cette intrusion soit vite reléguée au passé, ne s’autorisant pas à saisir sa main de la sienne pour lui forcer les choses, par peur d’être impoli. Oh, pourtant, s’il y a des moments où tu pourrais te permettre de l’être, c’est bien à cet instant, Kieran. Prêt à partir, il ne manque pas une dernière politesse qui n’a pas lieu d’être et dont la réaction n’est pas celle à laquelle il se serait attendu. « Andrews. » Fronçant les sourcils d’incompréhension, elle lit sur lui alors qu’elle précise : « Mon nom, c’est Andrews, May Andrews. Merci de ne plus m’appeler Glitters. » « D’accord. » Depuis quand tu lui obéis, Kieran, alors que tu n’as aucune raison de le faire ? Si ça lui déplaît tant que ça d’être appelée Glitters, alors tu devrais insister, encore et encore. Mais tu n’es pas ainsi, malheureusement, n’est-ce pas ? « Désolé. » C’est de pire en pire, Halstead. Tu n’apprends rien de mes leçons ? Il ne prête plus attention à l’échange, alors qu’il comprend ma colère et qu’il commence même à la ressentir lui-même. Il s’est excusé, il s’est écrasé et il n’aurait pas dû. Elle, elle devrait s’excuser, par contre, même s’il n’ose pas le souligner. Il reste figé, interdit et ne daigne même pas adresser un regard à May lorsqu’elle quitte l’enseigne, ne répond que de manière mécanique au boulanger sans même savoir ce qu’il commande. Son sachet dans les mains au contenu inconnu, il quitte la boulangerie seulement pour croiser à nouveau la silhouette détestable de May Andrews (Glitters, on a dit), non sans conserver l’idée de l’ignorer pour continuer son chemin. « Kieran. » Continue ton chemin, Kieran, ne t’arrête pas parce qu’elle semble te le demander. À défaut, tout ce qu’il fait, c’est de reculer d’un pas alors qu’elle s’approche pour s’assurer une distance de sécurité. Qu’elle n’entre pas dans sa bulle, qu’elle soit physique ou psychique, elle a bien assez fait ainsi, malgré elle ou volontairement, ça n’a pas beaucoup d’importance puisque le résultat est ce qu’il est : la confiance déjà bancale de Kieran a totalement été piétinée par cette émission. « Comment tu vas ? » Il écarquille les yeux un instant alors que je perçois toutes les insultes qu’il lui adresse et que j’essaie d’empêcher sa réaction naturelle pour la remplacer par celle que je voudrais ; mettre un terme à cette conversation sans délicatesse. Mais lui, il préfère un rire franc, nerveux, presque bruyant. « Pourquoi tout le monde me pose cette question ? » Il interroge entre deux rires nerveux, agacés, exaspérés, je ne sais plus vraiment. C’est pas ça le problème, Kieran, hein ? C’est que tout le monde pose la question sans s’intéresser à la réponse. « Je vais bien. » Ça ne vous regarde pas. « Et vous ? » Pure politesse, il s’en fiche. « Vous êtes pas obligée, vous savez. » Repoussant ses lunettes sur son nez, il ajoute : « De faire comme si on avait des choses à se dire. Je veux dire... l’émission, cette foutue émission de malheur qu’il voudrait ajouter, c’était il y a longtemps. On est tous passé à autre chose. » Oh, l’ironie, oh, la merveilleuse plaisanterie.

@"May Glitters"

Tout le monde savait. May savait, May avait sans doute oublié, mais elle savait quand même. Personne n’avait rien dit, personne n’avait rien fait. Ni May. Elle avait en quelques sorte fermé les yeux, parce que c’était mieux ainsi, c’était plus simple et puis, si elle parlait, ça lui retomberait sans doute dessus. Puisqu’on lui avait dit de ne rien dire, elle n’avait rien dit. C’était sans doute simple de se cacher derrière des ordres, derrières des menaces. Non, personne ne l’avait menacé bien sûre. Mais personne n’avait dit que si elle parlait, il n’y aurait aucune retombée non plus. Et puis, avait-elle eu envie de dire quelques choses ? Non. Soyons honnête, ça ne lui avait pas traversé l’esprit. Elle était rapidement passée à autre chose et elle était persuadée que ce serait la même chose pour tout le monde. La même chose pour Kieran. Elle avait sans doute raison, puisque personne n’avait plus jamais évoqué cet événement.
Pourquoi l’ex May Glitters avait ressentie le besoin de s’arrêter et d’attendre Kieran à la sortie de cette boulangerie ? pourquoi prendre la peine de faire demi tour et de l’interpeller une fois dehors à son tour ? Elle n’avait pas la réponse à cette question, pas maintenant. Elle aurait pu ne pas se retourner et partir, mais un sentiment d’inachevé l’avait parcouru. Incapable d’en expliquer la cause. « Pourquoi tout le monde me pose cette question ? » qu’il demande après son rire qui avait particulièrement mis May mal à l’aise. Et il continuait. Y avait-il vraiment besoin d’une raison pour poser ce genre de question ? A vrai dire, maintenant qu’il avait demandé, elle avait l’impression plus que jamais qu’il était légitime de lui poser. Kieran avait une attitude qui la gênait, qui l’embarrassait. Pourquoi ? « Je vais bien. » ça sonne faux. Pour une fois, la Andrews était capable de déceler le vrai du faux. Kieran était le pire menteur qu’elle n’avait jamais croisé. Facile quand on sait comme elle est si bien entourée. « Et vous ? » pourquoi, elle a l’impression qu’il ne lui demande pas réellement et qu’elle n’a pas réellement besoin de lui répondre ? Instinctivement, comme si elle avait peur que quelque chose lui explose à la figure, elle fait un pas en arrière. « Vous êtes pas obligée, vous savez. De faire comme si on avait des choses à se dire. Je veux dire... l’émission, c’était il y a longtemps. On est tous passé à autre chose » Elle sait pas trop si elle doit mal le prendre, si elle doit partager avec lui une certaine colère – sans doute une colère qui n’a rien à voir avec la sienne. Il a raison Kieran, ils sont pas obligés, alors pourquoi ? Elle se racle la gorge. Elle regarde autour d’eux, surement parce que la gène s’amplifie et qu’elle cherche à fuir son regard, parce qu’elle sait qu’elle a mal agit. Parce qu’elle sait qu’il y a quelques chose qui cloche. « Je sais par expérience que quand on est réellement passé à autre chose, on a tendance à être moins… » comment qualifier sa façon de s’adresser à elle ? « Vindicatif. » parce qu’il avait une tendance passive agressive qui trahissait sans doute tous les efforts qu’il se donnait pour paraitre tranquille. « Ceux qui passent vraiment à autre chose ont tendance à ne pas me calculer du tout. Les autres sont plutôt heureux de me croiser. Quand à ceux qui m’en veulent pour une raison ou une autre… » elle lui fait signe, le renvoyant à sa propre attitude.

Miss Paillette l’attend de pied ferme à la sortie de la boulangerie et Kieran ne comprend pas l’intérêt qu’elle peut avoir pour lui ; à l’exception de vouloir le caster pour une autre de ses émissions débiles où il sera ridiculisé (au mieux) ou carrément dénigré dans toute son intégrité physique et psychique (au pire). Elle doit en avoir des tonnes, sous le coude, la Glitters, de ces émissions où l’on prend les premiers paumés que l’on trouve, ceux qui semblent bien trop inoffensifs et stupides pour oser se défendre ou comprendre le petit jeu de manipulation dans lequel on les lance ; et on profite ensuite du spectacle. Elle a bien assez profité, à mon humble avis (ce n’est évidemment pas celui de Kieran – il est trop virulent pour lui). Et pourtant. Alors qu’il s’interroge quant à l’intérêt qu’elle peut avoir à lui adresser plus de deux mots et à poser des questions dont vraisemblablement elle se fiche autant des réponses qu’à l’époque de l’émission, je perçois un ressentiment qu’il n’arrive pas à me dissimuler. Oui, Kieran, il serait temps que tu comprennes que les sourires, rires et autres mimiques qui visent à détourner l’attention de tes interlocuteurs ne fonctionnent pas quand ça se passe dans ta tête. J’ai accès à tout, autant à ces images de cette foutue émission que tu voudrais oublier qu’au malaise que tu ressens depuis et aux conséquences honteuses (la prostituée pour passer au-delà de ce blocage, on en parle ?). Non, on n’en parle pas. Ainsi, à l’égard de la présentatrice, il va bien. Bien sûr qu’il va bien ; le contraire ne l’intéresse pas et ne l’a jamais intéressée, elle n’a pas à faire semblant aujourd’hui comme il le souligne après s’être lui-même faussement enquis de son état. C’est gentil de sa part de ne pas avoir détourné le regard en prétendant ne pas le reconnaître (alors qu’il envisageait d’agir ainsi, de son côté), mais elle n’est personne pour lui, si ce n’est le visage d’un malheur qui le touche plus qu’il ne le voudrait. Mais c’est un grand garçon, il se persuade. Il va passer à autre chose comme n’importe quel homme et il cessera de jouer au morveux bien trop fragile (comment est-ce que tu arrives à te souvenir de la voix de ton père avec autant de clarté, Kieran ?). May peut continuer son chemin et continuer de travailler pour un business qui s’en fiche de ceux qu’il utilise, tout en continuant de fermer les yeux pour l’aider à trouver un sommeil que Kieran a perdu quelques semaines à la suite de l’émission. « Je sais par expérience que quand on est réellement passé à autre chose, on a tendance à être moins… » Pendu à ses lèvres dans l’attente de la fin de sa phrase, il essaie de réfléchir aux mots qu’elle cherche à utiliser ; mais rien ne vient : il ne voit pas où elle veut en venir. « Vindicatif. » C’est un nouveau rire gêné qui s’échappe d’entre ses lèvres face à l’usage d’un terme qu’il n’aurait jamais associé à lui-même. Et qu’il n’aurait jamais cru possible d’associer à lui-même. « Je ne crois pas être vindicatif. » Il corrige doucement avec un sourire qui n’a rien de bien sincère, mais qu’il a appris à perfectionner pour le paraître. « Ceux qui passent vraiment à autre chose ont tendance à ne pas me calculer du tout. Les autres sont plutôt heureux de me croiser. Quand à ceux qui m’en veulent pour une raison ou une autre… » Pris au piège d’un constat simple, mais diablement efficace, il a envie de fuir, Kieran. Pourtant, je lui souligne à quel point il s’agit d’une occasion adéquate de lui dire ce qu’il pense réellement de cette émission, de ce qu’il s’est passé. De souligner les erreurs de la production et les conséquences sur lui ; mais en songeant à celles-ci, à l’extrémité de celles-ci pour un geste aussi minime, voire carrément inoffensif s’il en croit la vérité établie à partir de son genre biologique, il se rétracte. Il est persuadé qu’il aura l’air pathétique malgré toutes mes tentatives pour lui faire comprendre qu’être humain, qu’être blessé, ne fait en rien de lui quelqu’un de ridicule. « Je ne vous en veux pas. » Il n’est pas sincère Kieran, évidemment, mais il sait aussi qu’il ne peut lui imputer toute la responsabilité sur ses seules épaules. Elle fait partie d’un tout et ce tout prend son visage parce qu’il est le plus accessible. Elle était le visage de l’émission après tout, ça vaut aussi pour les désagréments. « Je... je ne garde pas un très bon souvenir de l’émission, c’est tout. » Il précise et avant qu’elle n’entreprenne de demander des justifications qu’il ne saura lui donner, il anticipe : « mon ex faisait partie du casting. » Eve n’a jamais vraiment été sa copine ; elle ne peut pas être son ex. Eve n’était qu’un problème parmi d’autres, Eve n’était certainement pas LE problème parmi tant d’autres. Mais du moment que May y croit, alors il y croit aussi. Il peut essayer, et même y arriver.

@"May GLITTERS"  

« Je ne crois pas être vindicatif. » elle se racla la gorge en réponse. Il ne croyait pas, pourtant, c’est bien ce qu’il était. Il était piquant, peut-être subtilement, mais elle sentait qu’elle le révulsait. Il lui avait bien fait comprendre qu’elle n’avait pas besoin de faire semblant de s’intéresser à lui, de faire même comme s’ils s’étaient déjà croisés. C’est vrai que Kieran faisait à présent parti d’un moment de sa vie, de son expérience professionnelle qu’elle préférait sans doute oublier. ROA avait été exceptionnel pour elle, ça avait été une opportunité pour elle de se hisser enfin en haut. L’ascension avait été lente mais prometteuse, lente mais savoureuse. Sauf qu’une fois arrivée en haut, la chute avait été presque instantanée. La promesse n’était pas tenue, les rêves étaient brouillés, devenus cauchemars. Plus rien. Le néant. « Je ne vous en veux pas. » il avait l’air. Et elle savait exactement pourquoi il pourrait lui en vouloir. « Je... je ne garde pas un très bon souvenir de l’émission, c’est tout. »  à raison sans doute. Elle soufflait, prête à baisser les armes et ne pas insister, prête à lui souhaiter bonne route et de ne plus se mettre à travers sa route pour ne pas remuer les mauvais souvenirs. C’était peut être déjà trop tard. Sauf que l’excuse servie par Kieran pour détourner le vrai problème semblait la bousculer elle-même. « mon ex faisait partie du casting. » elle souffla du nez, un sourire qu’elle ne contrôlait pas s’afficha sur son visage, oh, pas un sourire de joie, pas un sourire de bonheur non. Un sourire qui affichait qu’elle savait bien qu’il se moquait d’elle. « A d’autres. » qu’elle balança au nez de Kieran, alors qu’il n’avait surement pas envie d’aller sur ce terrain là. S’il avait tenté de se justifier avec une excuse aussi banale et fausse, c’est qu’il voulait surement la faire taire et se débarrasser d’elle. C’était tout l’inverse qui allait opérer. « Arrête de me prendre pour une idiote deux minutes. » ça va, les formules de politesses, la fausse courtoisie, c’est terminé. « Tu sais, tout comme moi je le sais, pourquoi tu n’as pas envie de croiser ma route, pourquoi l’émission a été si mauvaise pour toi. » elle se planta juste devant lui, réduisant la courte distance qui les séparait. « Tu sais très bien que ça n’a rien à voir avec ton exe. » qui ça d’ailleurs ? Laquelle était son ex ? Elle le saurait depuis un bon moment si ça avait été réellement le cas. Elle était de nouveau prête à tourner les talons, à quoi bon forcer ? elle se tourna un instant puis repris sa position initiale. « Ecoute Kieran… tu peux toujours te retourner contre la production. » la production qui n’avait pas lever le petit doigt à propos de son agression, bien sûre que non, ça ferait tâche dans le tableau, ça remettrait en cause toute une organisation, tout le tournage, l’émission en elle-même. Ca redistribuait bien trop les cartes, ils n’allaient pas prendre le risque de voir leur château s’écrouler. Se taire, continuer de faire comme si de rien n’était et pourquoi pas même en profiter pour faire plus d’audiance ? Faire parler les images et leur donner un tout autre sens, cacher, mentir, détourner. C’est ça la télévision. Mais était bien hypocrite de s’en saisir seulement maintenant mais faut dire que ça l’arrangeait bien, elle voulait se venger, Kieran pourrait être son arme secrète. « J’peux t’aider. » aider en se rendant coupable de complicité ? Surement pas... elle même se ferait passer pour une victime. Moyens de pression, menaces, culpabilité ... elle savait comment tourner la situation en sa faveur.

Je suis aussi surpris que Kieran quant à l’usage du terme vindicatif, mais je l’accepte bien plus facilement que lui – après tout, en voilà un qualificatif que j’essaie de faire émerger le concernant. D’autres n’apprécieraient pas qu’un terme aussi péjoratif puisse leur être associé (c’est le cas de Kieran), de mon côté j’apprécie le fait que cela traduise d’une manière un peu plus assumée de dévoiler son ressenti, ses opinions, même si on est encore loin de le désigner comme « franc », « brutal » ou même « haineux ». Oh, et ne jugez pas l’emploi de ces termes, concernant Kieran il serait temps qu’il parvienne à les affirmer et à ressentir de telles choses. Vindicatif, c’est déjà une première étape franchie pour moi, me laissant croire que je peux peut-être faire quelque chose avec notre protagoniste et que même s’il prend son temps, la finalité à laquelle il parviendra est celle que je désire. Qu’il s’émancipe de ses pensées, de moi-aussi, qu’il parvienne à s’affirmer sans que je ne sois là pour l’y pousser. Alors, même si je sais qu’il déteste cette May, même si je n’ai moi-même pas la meilleure des opinions sur sa foutue émission qui a fait bien plus de mal que de bien à Kieran, elle marque un point sur le seul usage de ce mot. Bien sûr, ma joie n’est que de courte durée lorsqu’il tente de souligner qu’il n’est pas particulièrement remonté contre elle – alors que c’est le cas et que je perçois dans chaque parcelle de son corps qu’elle l’irrite. Il est à moitié honnête quand il souligne qu’il ne garde pas un bon souvenir de l’émission, se contentant seulement d’user d’une excuse à laquelle lui-même ne croit pas et qui ravive des plaies. Eve, ce seul prénom suffit à l’irriter encore plus que May et là-aussi je me félicite d’en être arrivé à ce ressenti, lui qui ne vivait et ne respirait que pour la jeune femme qu’il dénigre désormais, conscient de toute la manipulation dont elle a fait preuve. C’est bien, Kieran, il y en a une autre pour laquelle cette prise de conscience s’applique. Le sourire de l’animatrice le brusque, autant que ces quelques mots : « A d’autres. » Il se mord la lèvre, partagé entre l’envie d’interrompre cette conversation (confrontation ?) ici ou de poursuivre dans son mensonge. Un mensonge qui ne serait même pas pour May, mais bien pour lui, dans son envie d’y croire, d’oublier ce qu’il s’est passé ou du moins, d’en transformer la version. « Arrête de me prendre pour une idiote deux minutes. » Il fronce les sourcils, accentue son air de ne pas comprendre où elle veut en venir alors qu’il sent le vent tourner. Kieran a toujours joué au plus idiot et a parfois oublié d’en conserver la couverture, ce fut le cas dans Race of Australia en étant le meilleur concernant les énigmes. « Tu sais, tout comme moi je le sais, pourquoi tu n’as pas envie de croiser ma route, pourquoi l’émission a été si mauvaise pour toi. » Elle se plante devant lui, il recule encore d’un pas alors qu’il la perçoit comme de plus en plus menaçante et qu’il se veut de moins en moins à l’aise. « Tu sais très bien que ça n’a rien à voir avec ton exe. » « Oh, vous savez ? » Il interroge aussitôt, lui-même surpris par l’affirmation dont il fait preuve. Je ne m’y attendais pas non plus, il faut croire qu’outre le fait qu’elle devienne menaçante, l’agacement prend le dessus alors qu’elle ne cesse de le confronter à une situation qu’il voudrait oublier. Oh, mais Kieran, nous savons très bien tous les deux que ce n’est pas le plus difficile dans son récit. C’est le fait qu’elle sait et qu’elle n’a rien fait. « Ecoute Kieran… tu peux toujours te retourner contre la production. » Et il ne comprend pas, Kieran, qu’elle lui offre cette solution alors qu’elle semblait elle-même vindicative quelques instants plus tôt. « J’peux t’aider. » Et qu’elle lui offre même son aide. Kieran se veut silencieux, alors que je lui souligne à quel point il s’agit d’une mauvaise idée : elle n’est pas fiable, pas plus que cette émission qu’elle a longtemps représenté. Il ne peut pas lui faire confiance, comme il n’a pas pu le faire avant. Alors il soupire, ne lui offre même pas un rire nerveux en guise de réponse, quand il demeure très sérieux et convaincu : « je ne vois pas de quoi vous parlez. » Et il ne lui fera pas l’affront de la laisser dans l’ignorance ou de lui laisser l’occasion de répliquer, quand il reprend : « il ne s’est rien passé qu’un homme comme moi n’aurait pas apprécié. » Un homme seul, peu séduisant, particulièrement timide qui, dans d’autres circonstances, n’aurait jamais attiré l’attention de ces femmes. « C’était un moment drôle. Les personnes dans ce bar ont rigolé, l’équipe aussi et Elias aussi. C’est passé au bêtisier. Il n’y a aucun souci, c’était juste drôle et moi j’étais juste mal à l’aise parce que c’est dans ma nature. » Il est convaincu, plus qu’il ne l’a jamais été auparavant, lorsqu’il récite l’événement menant aux interrogations de May. Il ne comprend lui-même pas pourquoi il le prend autant à cœur : il n’a rien subi d’autres que des attouchements et quand on le voit, il est persuadé qu’il devrait être flatté d’avoir suscité le moindre intérêt. Et s’il est aussi mal à l’aise, c’est seulement parce qu’il est de nature discrète et renfermée et que cette soirée ne lui a pas laissé l’occasion de l’être. Seulement pour ça. Mais bien sûr, Kieran. À d’autres.  

@May Andrews GLITTERS

La soirée avait tout pour être joyeux et prometteuse pour la production. Des déguisements, l’audiances adorent les déguisements, de l’alcool, de la musique, une fête, un événement heureux. Le cocktail parfait. C’était l’endroit idéal pour tourner des images dignes de ce nom, un peu de divertissement en dehors de la course effrénée à laquelle participaient les candidats. Kieran et Elias formaient un duo incroyable. A aucun moment, leur quotidien ne les auraient mis sur le chemin de l’un et l’autre s’ils ne s’étaient pas rencontrés durant l’émission. Elias était cru, charmeurs, drôle, Kieran était plus discret, mais il était la tête pensante du duo. Une sorte de Ying et de Yang, un parfait équilibre. Des femmes qui s’arrachent la présence de deux beaux garçons pour un enterrement de vie de jeune fille. Quoi de plus banale ? Avec leur déguisement, faut dire qu’ils avaient sans doute cherché… la confusion et l’illusion étaient parfaite. Quelles étaient les intentions en arrivant ici ? Bien sûre que ces jeunes femmes étaient en droit de toucher leurs trophées, leur surprise n’était-elle pas de pouvoir profiter ? Sous les caméras, les sentiments sont toujours plus exacerbés. May avait regardé ces images avec un air amusé, elle s’en était même presque frottés les mains. Savait-elle que tout allait trop loin ? Bien sûre. La production le savait. Tout le monde le savait et pourtant, même lorsque les images avaient été diffusées – soigneusement choisies pour que l’acte de trop ne soit pas à l’écran – tout ça était passé comme une lettre à la poste. Kieran avait eu un succès auprès de la gente féminine et personne, oh non, personne n’avait saisi le réel malaise. Mais tout le monde l’avait vu : Kieran était terriblement gêné par tout ce raffut, terriblement mal à l’aise et dans une posture où il n’avait pas pu s’en sortir seul. La sécurité qui rodait à proximité du bar avait fini par intervenir quand la production sentait que ça pourrait aller trop loin. N’était-ce pas déjà le cas ? Bien sûre que si. Mais à coup de montage, de rigolade et de tape dans le dos avec quelques : bien joué Kieran, aller, ça va aller, tout le monde pensait que ça passerait vraiment. Personne n’était revenu sur le sujet. Enterré, parce que tout le monde savait qu’il valait mieux faire profil bas et ne pas le prendre au sérieux.
« je ne vois pas de quoi vous parlez. » lui aussi, avait préféré mettre ça sous terre. Bien sûre. « il ne s’est rien passé qu’un homme comme moi n’aurait pas apprécié. » rien passé qu’un homme comme Elias n’aurait pas apprécié peut être oui. La cible était la mauvaise. « C’était un moment drôle. Les personnes dans ce bar ont rigolé, l’équipe aussi et Elias aussi. C’est passé au bêtisier. Il n’y a aucun souci, c’était juste drôle et moi j’étais juste mal à l’aise parce que c’est dans ma nature. » elle hoche la tête, May. C’est exactement ce discours que tout le monde avait eu, elle comprit. Exactement ce qui ne serait jamais passé si une femme avait été à sa place. Mais a l’heure qu’il était, Kieran semblait peu propice à vouloir faire confiance à May, à forte raison. A présent, elle avait placé sa graine, à lui de la faire germer. « J’te donne mon numéro. » elle griffonne sur un ticket de caisse ses quelques chiffres avec lesquels il pourrait la contacter. « Si tu changes d’avis. » après tout, rien ne servait à lui mettre la pression à présent. Il avait les cartes en main, à lui de voir s’il voulait se coucher ou faire un all in.