| And then I lose the strength to leave | amos #2 |
| | (#)Sam 11 Sep 2021 - 11:36 | |
| Son costume sent la cigarette. Le cardiologue lui dirait certainement que le paquet qu'il trimballe avec lui soir et matin aura sa peau, mais Saül n'en a cure. D'une main distraite, il attrape le verre tendu par dessus le bar. Ce n'est pas le premier, pas le dernier non plus. D'un œil maussade, l'italien regarde le couloir d'où montent les bruits discrets produits par les joueurs de poker. Le tintement discret des jetons attire son oreille, mais son attention n'est retenue que par la présence permanente d'Ariane, dans ses souvenirs. Il la revoit passer la porte à ses côtés, tout sourire, le pas impétueux. Elle rayonnait, ici, malgré les lumières et les pièces dorées qui tombaient dans les machines partout autour d'elle. Elle attirait absolument toute la lumière, même alors que le soleil était couché depuis longtemps. Le verre froid dans la paume de Saül lui rappelle les boissons qu'ils buvaient ensemble et le goût du rhum lui renvoie encore les notes parfumées qui traînaient toujours sur les lèvres de la française, ces soirs là. Et puis, par dessus tout, cette odeur de cigarette mêlée aux notes plus subtiles de son parfum... cette senteur là est inimitable et pourtant, l'homme d'affaires tente de s'en rapprocher en empruntant à Ariane certaines de ses mauvaises habitudes.
Mais Ariane n'est plus là et Saül est seul, au bar. Il attend quelqu'un, un ami qui viendra le temps venu. Amos est un homme occupé et Saül ne pressera pas sa venue. Il est bien, ici, prostré dans sa tristesse, à imaginer Ariane l'attirer du côté des tables qu'ils connaissent si bien et desquelles ils étaient vainqueurs, à deux. Saül n'ira plus, pas pour l'instant, pas alors que le départ de sa femme est si récent. Il ne porte déjà plus son alliance, pourtant, qu'il a accrochée autour de son cou. La chevalière offerte par Ariane tient pourtant bien sa place, en solitaire. « La même chose. » qu'il lance à la serveuse, alors qu'Amos apparaît, en roi des lieux. Saül lui sourit, s'assurant au passage qu'aucune trace de poudre blanche ne subsiste sous ses narines. Pour se donner le cran de retourner dans ce lieu de toutes les tentations, il a fallu à l'homme d'affaires un peu de courage en poudre. Non, cette mauvaise habitude là n'a pas cessé de le hanter non plus. « Salut, majesté. Il est joli ton palais. » Le visage de Saül est familier, ici. L'italien écoule l'argent volé dans les caisses de Michael Hills sans aucune honte, mais les temps se font durs... Et la populace se fait méfiante.
« Comment vont les affaires ? J'ai l'impression que ça se porte bien. » Saül lance un regard à la salle, envahie de monde même en plein jour. Il y reconnaît des habitués bien moins fortunés qu'il ne l'est lui-même, des pauvres gars perdus au regard complètement vide. « Même dans l'arrière-boutique. » Un sourire discret se glisse sur le visage de Saül, qui sait pertinemment qu'il n'est pas le seul à se jouer des lois. Bien sûr, Amos est une autre pointure, dans un autre domaine. Qui sait, peut-être joueront-ils dans la même cour plus vite qu'ils ne l'imaginent...
@amos taylor |
| | | | (#)Jeu 16 Sep 2021 - 13:55 | |
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AN THEN I LOSE THE STRENGHT TO LEAVE
Qualifier Saül d’homme excessivement souriant en société serait presque une insulte à son intelligence. J’ai toujours considéré qu’il avait été sculpté dans le même bois que ma complice : celui du faux-semblant. Il est avenant quand c’est nécessaire et taiseux s’il n’a rien dire. Il cache à merveilles ses émotions, mais ce soir, tandis que j’approche du bar où je l’ai invité à m’attendre, il m’a semblé éteint. Etait-ce une bonne idée de le convier alors qu’Ariane est partie ? Dois-je lu en parler ? Est-il préférable de le laisser seul juge de ce qu’il confiera ou non ? Ai-je le droit de lui balancer les merveilles que je cache dans le coffre fort du bureau pour lui demander son opinion d’expert et, a fortiori, l’entraîner avec moi dans un trafic qui n’aura rien de légal ? Je l’ignore. En m’asseyant sur le tabouret à ses côtés, je ne sais pas où commencer. Dès lors, je garde le silence après les salamalecs d’usage. Je me tais puisque j’estime de bon ton de l’autoriser à digérer puisque sans Ariane, dans un premier temps, ce casino ne serait pas là. Les premiers mots du crocodile sont adressés à la serveuse. Il passe commande et, de mon pouce et de mon index, je réclame la même chose. Quoi ? Je n’en sais trop rien. Aucune importance. Mon ami se déride et c’est l’essentiel. Il tourne enfin vers moi un regard dénué de sa flamme résolue à mettre le monde à ses pieds.
Moi, je ne ressens pour lui aucune pitié, pas même de la compassion. Je me contente de comprendre par anticipation combien son monde tourne désormais au ralenti. « Raelyn pour la déco. Elle a des goûts plus sûrs que moi. Je dois être son exception.» ai-je rétorqué dans une tentative d’humour en jetant sur la pièce un regard circulaire. C’est beau, il a raison. Néanmoins, je ne me sens pas maître en ses lieux ou pas comme il pourrait l’entendre. « Elle se porte en effet très bien… et si j’en crois la rumeur. Elles sont toutes en pleine forme.» Est-ce la perche que j’espérais le voir me tendre pour que nous grimpions au bureau ? Dans le doute, je la saisis tout de même, de peur qu’il n’y en ait plus d’autres à attraper à pleines paumes. « Et si tu es d’humeur curieuse, je pourrais même t’en dire un peu plus. J’ai à l’étage quelque chose qui pourrait t’intéresser… si tu gardes l’esprit bien ouvert.» Assez pour qu’il me pose les questions que j’ai anticipées et auxquelles je répondrai sans faire de manière. « Et, en chemin… tu pourras en profiter pour me dire comment tu te sens...» Plus nous grimperons, plus le silence nous entourera. Il n’y aura plus d’oreilles de chou pour capter des confidences qui n’ont pas à quitter le confort qu’est le secret. « Si bien entendu, le coeur t’en dit.» Ainsi, ai-je attrappé mon verre et je lui ai intimé, d’un signe de tête, à m’imiter et à me suivre.
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| | | | (#)Sam 25 Sep 2021 - 18:12 | |
| « Raelyn pour la déco. Elle a des goûts plus sûrs que moi. Je dois être son exception. » Ô combien cette discussion commence par du futile, ô combien Saül n'écoute déjà plus les commentaires d'Amos. C'était Ariane aussi pour la déco. C'était elle qui disait à Saül, sans essayer d'y mettre les mots, combien ses goûts étaient passés. Ils avaient décoré la chambre d'Abel ensemble, non sans se disputer pour mieux se rabibocher ensuite. Ils avaient aussi décoré le bureau de Saül, laissé à l'abandon depuis le départ de la française. Au fil du temps, c'était devenu la pièce favorite - après la cuisine - de l'italien qui, bien qu'il râlait lorsque Ariane l'interrompait dans son travail, se faisait une joie de la voir apparaître l'espace d'un instant. Elle ne venait que pour déranger ses cheveux, mettre du bazar dans ses feuilles et le tirer d'un dossier qu'il avait eu le malheur de ramener à la maison. Elle avait l'art et la manière de le traîner hors de sa tanière trop sérieuse et trop ennuyante pour l'emmener ici, au casino, où ils dépensaient des fortunes en riant et sans jamais y réfléchir à deux fois. Ce temps là est révolu, semble-t-il.
Pendant ce temps là, Raelyn et Amos mènent leur barque. Saül, lui, vogue dans un monde dont il a perdu la carte avec une boussole qui n'indique plus le nord. Certains n'ont pas perdu le sens des affaires et malgré la profonde tristesse de l'homme d'affaires, le monde ne s'arrête pas de tourner - fort heureusement. Le monde de Saül, lui, est fatigué. Il n'effectue plus ses révolutions autour du soleil puisque de toute façon, le soleil s'est éclipsé. « Elle se porte en effet très bien… et si j’en crois la rumeur. Elles sont toutes en pleine forme. » Un vague grognement attend la réplique d'Amos. Saül se déride un peu mais ce n'est qu'une façade, alors qu'il fait tourner le rhum qui se trouve dans son verre. « Et si tu es d’humeur curieuse, je pourrais même t’en dire un peu plus. J’ai à l’étage quelque chose qui pourrait t’intéresser… si tu gardes l’esprit bien ouvert. Et, en chemin… tu pourras en profiter pour me dire comment tu te sens... » « Je ne suis pas un enfant qu'on doit distraire, Amos. Il n'est pas nécessaire que tu t'adresses à moi de la sorte. » lâche le quarantenaire d'un ton glacial. Non, il n'a pas besoin que l'on enrobe un discours qui lui est, de toute façon, destiné.
Fort heureusement, Amos n'a pas l'air de trop s'en formaliser, profitant d'un regain d'énergie de l'homme d'affaires pour l'entraîner à l'abri des regards - mais surtout des oreilles - indiscrets. « Si bien entendu, le cœur t’en dit. » Il n'en faut pas plus à Saül pour rejoindre son ami, une main dans la poche et l'autre autour de son verre à demi plein.
Les couloirs ne sont pas très animés. De toute façon, tous ceux qui pouvaient s'y trouver s'écartent du chemin, laissant passer Amos sans même essayer de croiser son regard. « J'y participe bien, non, à l'essor de cet établissement ? » que lance Saül, un léger sourire aux lèvres. « Enfin, plus depuis quelques jours. » Plus depuis qu'Ariane est partie. D'une rasade, l'italien s'éclaircit la gorge. « Il y a des fois où je l'entends, la nuit. Elle insulte les clients. Elle disparaît dans les jetons. » Ce ne sont que des songes. Malheureusement, il n'arrive jamais à la rattraper, elle qui s'est échappée sans laisser à Saül l'espoir de la retrouver. « Si tu caches des prostituées derrière la porte... » Mais le quarantenaire connaît son ami. Il sait qu'il ne cache pas de telles choses dans ses placards, pas alors que l'ombre de Raelyn plane partout entre les murs de l'enseigne. Pas alors que Saül cherche encore Ariane des yeux, au cas où elle se cacherait derrière les tables de jeux qu'elle fréquentait autrefois avec son époux. |
| | | | (#)Dim 10 Oct 2021 - 18:42 | |
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AN THEN I LOSE THE STRENGHT TO LEAVE
Il est déjà ailleurs, Saül. Il ne m’écoute plus vraiment. Il me paraît perdu dans ses pensées, à des kilomètres de la réalité et, quoique je ne puisse prétendre jouir du don de Rae pour lire les gens, je m’avancerais volontiers sur les raisons qui éloignent mon interlocuteur des banalités que nous échangeons. Ariane est partie. Ariane s’est enfuie en abandonnant derrière elle quelques mots dont la teneur ne peut suffire à guérir un cœur épris. Je deviendrais fantôme si Raelyn attrapait ses jambes à son cou et m’abandonnait. Dès lors, je me tais. J’interromps l’une de mes assertions sans atteindre le point final. J’opte pour une autre qui, surprenamment, me vaut une remontrance et non de la gratitude. Au moins le crocodile n’a-t-il rien perdu de son mordant. C’est plutôt rassurant et je ne m’offusque pas. S’il n’a pas envie que j’enfile une paire de gants pour m’adresser à lui, qu’à cela ne tienne. Je me fierai à ma franchise naturelle : il est plus aisé de respirer dans une bulle d’authenticité que partout ailleurs. « Crois-moi, Williams. Le ton n’a rien de révélateur. Ce que j’ai à te montrer est un bien plus qu’une distraction.» ai-je claironné, loin d’être vexé, sous-entendant que le message était bien passé alors que nous longeons le couloir qui mène vers le bureau, d’abord en silence - nous ne sommes pas réputés pour être deux grands bavards - jusqu’à ce que l’Italien le brise abruptement, presque trop pour moi. Son premier commentaire n’est qu’un préambule qui lui vaut un regard curieux. Le second est bien plus lourd de vérités que la froideur de son temps quand le mien lui suggère que je compatis - ce qui n’est qu’en partie vrai - ou que je le ménage. « Et d’autres fois, tu l’entendras t’appeler et tu auras peur d’oublier le son de sa voix ou ses éclats de rires.» Je parle en connaissances de cause et, compte tenu que mon interlocuteur réclame la vérité plus que la délicatesse, je m’auréole d’authenticité. « Le pire reste à venir.» Il faudra apprendre à vivre avec l’absence, avec le manque et avec la douleur. En attendant qu’il encaisse - si toutefois il était heurté par ce que je ne mâche pas mes mots - je déverrouille la porte de l’antre des administrateurs avant d’être moi-même remué par sa remarque. « Respecte les morts, Saül. Surtout les miens si tu ne veux pas que je te traite comme un orphelin.» ai-je persiflé aussi froid qu’il ne fût lui-même. Mais, est-ce justifié ? Sait-il, Saül ? Lui ai-je déjà parlé de ma fille ? De mon deuil ? De mon combat ? De ma vengeance ? De ce qu’elle est morte à cause de l’exploitation de l’Homme par l’Homme ? De la femme par l’homme ? De la jeunesse par les porcs dégueulasses en mal d’affection qui ne désire plus leurs femmes trop ridées et qui ne le sont pas davantage par ces dernières faute à l’embonpoint ? Je n’en sais rien. De mémoire d’homme, je n’ai pas souvenir d’avoir confié les tenants et aboutissants de mes activités…. J’ignore même s’il a jamais su que j’avais été père, que je le suis toujours au fond de mon cœur et que je m’apprête peut-être à le redevenir. « Donne-moi plutôt des nouvelles d’Abel.» ai-je renchéri sans lui promettre que je lui offrirai sur un plateau ce qu’il désire. En revanche, tandis que nous nous installons dans le divan du bureau, l’un en face de l’autre, comme deux hommes d’affaires prêts à discuter finances ou à négocier un accord, je vide délicatement sur la table le contenu d’un sachet de velours noir récupéré au préalable dans le coffre blindé et à code. « Qu’est-ce qu’ils valent ?» Que valent-ils ces diamants sortis du circuit avant d’être frappés, estampillés d’un pinçon… ces diamants qui n’ont pas encore été modelés, ceux qui sont encore bruts. « Séparément, on s’entend.»
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| | | | (#)Mar 9 Nov 2021 - 19:37 | |
| Les couloirs se ressemblent tous. Ils forment un véritable labyrinthe dans lequel Saül se perdrait volontiers. Ici et là, des portes laissent échapper des bruits facilement identifiables. Des jetons, des murmures, des jurons. Un brouhaha familier aux oreilles de l'italien qui ne rêve que d'une chose: le rejoindre et s'y fondre, ne penser à rien d'autre qu'à ce fourmillement. Depuis qu'Ariane est partie, les habitudes ont toutes volé en éclats. « Crois-moi, Williams. Le ton n’a rien de révélateur. Ce que j’ai à te montrer est un bien plus qu’une distraction. » Le quarantenaire lâche un soupir. Il ne trépigne pas d'impatience, mais la simple idée d'avoir le cerveau occupé le distrait assez pour qu'il suive Amos à travers le bâtiment.
« Et d’autres fois, tu l’entendras t’appeler et tu auras peur d’oublier le son de sa voix ou ses éclats de rires. » « Je ne veux pas en parler. » Il a déjà peur d'oublier le son de sa voix. Il a déjà repassé tous les enregistrements vocaux dans lesquels elle dit des choses aussi banales que brèves. Il s'est déjà imaginé la rejoindre dans ce monde d'enregistrements et de souvenirs, allongé en chien de fusil sur le canapé. « Le pire reste à venir. » « Ouais, ouais. Avance. » Ne pas en parler, jamais. Ces sentiments, Saül s'imagine l'avoir inventé, comme tous les amoureux qui perdent une part d'eux-même au départ de la moitié de leur âme. Ils sont tous certains d'être les premiers à le ressentir avec cette intensité et Saül n'échappe pas à la règle, préférant garder cette douleur pour lui. Qu'adviendra-t-il, si elle disparaissait elle aussi ? Passera-t-il à autre chose ? Cette idée est absolument insupportable. Saül ne veut pas passer à autre chose. Saül veut rester pétri de cette douleur affreuse. Elle lui rappelle qu'il est encore en vie. « Respecte les morts, Saül. Surtout les miens si tu ne veux pas que je te traite comme un orphelin. » La froideur du ton d'Amos rappelle Saül à lui, qui le détaille un instant des yeux. Qu'a-t-il vécu pour se placer ainsi en proche conseiller ? "Rien qui ne vaille la peine d'être écouté", voilà ce qu'en pense le crocodile blessé.
« Donne-moi plutôt des nouvelles d’Abel. » Alors que les deux compères passent la porte, Saül hausse les épaules. « Abel pleure parce que sa mère lui manque. Il a compris qu'elle ne reviendra pas, je l'ai vu dans ses yeux. » Et depuis, Abel pleure un peu moins, seulement pour avoir toute l'attention de son père. Le sujet est lui aussi douloureux. Alors, avant que ne viennent les larmes, Saül s'intéresse à ce que Amos lui présente. « Qu’est-ce qu’ils valent ? » Saül s'empare de l'une des pierres. « Si j'avais une loupe, je pourrais te le dire avec précision. » Saül n'y connaît pas grand chose en pierre, mais il est en revanche toujours au fait du cours de toutes les denrées précieuses qui peuvent transiter dans les boutiques Michael Hills. « Ils sont très bien. Purs. » Saül ne questionne pas leur authenticité. Un homme comme Amos ne se serait pas fait rouler dans la farine par de vulgaires cailloux imitant la pureté du plus beau des diamants. « D'où est-ce qu'ils viennent ? La mine t'en a fait envoyer pour... » Soudain, une question importante fait surface dans le cerveau de l'italien. Les yeux plantés dans ceux de son comparse, Saül hausse un sourcil. « Qu'est-ce que tu fais avec des diamants ? » |
| | | | (#)Mer 1 Déc 2021 - 15:41 | |
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AN THEN I LOSE THE STRENGHT TO LEAVE
Je ne juge pas Saül William. Je ne ressens pour lui aucune pitié non plus. S’il est quelque chose qui m’effraie dans son comportement, il ne provient pas de ce qu’il erre comme une âme en peine dans les dédales du casino, m’utilisant comme d’un fil d’Ariane. Non. Il m’apeure parce que je sais, par avance, que je ne serais ni plus honorable ni moins abattu si, d’aventures, Raelyn me quittait. M’abandonnerait-elle que je ne serais plus que l’ombre de l’homme que je suis. Je me noierais dans mon addiction et nul doute qu’à l’image du crocodile, je détournerais chaque mot de la bouche de mes interlocuteurs afin qu’il nourrisse ma colère, ma frustration ou ma peine, celle peine grandissante qu m’envahirait, qui à terme, m’engloutirait. Est-ce par la faute de cette certitude à propos d’un avenir hypothétique où, moi aussi, je nagerais dans une rupture que je lui propose mon oreille ? Certainement. Suis-je toutefois vexé qu’elle me renvoie dans mes buts ? Pas le moins du monde. Au contraire, je ponctue d’un : «Dans ce cas, taisons-nou.» Je n’ai jamais été mal à l’aise avec le silence et avons-nous besoin de longs discours pour nous entendre sur l’affaire que je vais lui proposer sous peu ? Dès que nous aurons franchi la porte de mon bureau ? Dès que je lui aurai rappelé que la prostitution n’a pas sa place en ces lieux puisque nous avons chacun nos deuils à porter ? Me suis-je volontairement montré froid ? Non ! C’est un réflexe dès lors qu’il est question de Sofia et de sa mort tragique. Ce n’est néanmoins rien de grave. S’il n’est pas question d’aborder la question d’Ariane, en ouvrant la porte, je m’enquiers des nouvelles du petit. J’apprends sans surprise qu’il souffre et j’en hausse les épaules, fataliste : je n’ai pas de solutions à proposer. Je n’ai à disposition qu’un empêcheur de tourner en rond que j’étale sur la table basse sous les yeux rallumés - du moins me semble-t-il - du spécialiste que j’ai choisi pour écouler avec moi la marchandise. «Une loupe ? En voilà, une.» J’annonce en tirant l’objet du bureau de Raelyn avant de me réinstaller. Au centre de la table trône des bouteilles et des verres : ils sont là à notre convenance. La politesse n’a pas d’attrait quand des millions de dollars américains sont concentrés dans quelques cailloux sur un meuble de chêne massif. «Amérique du Sud. De la mine même où on les tire. Mais, ce n’est pas mon marché. Je ne sais pas ce que ça vaut. Je vois plus où moins comment les écouler, mais je veux en tirer le meilleur parti, en particulier de celui-là… parce qu’il sera pour moi. Pour ça aussi tu pourrais faire quelque chose ? » Le caillou ne sera pas l’essentiel pour réussir ma demande en mariage, mais il y contribuera au minimum pour assurer que je ne plaisante pas. «Tu veux toute l’histoire sur la façon dont je me les suis procurés ? Parce que c’est long et en prime, ce n’est ni beau ni propre.» Une sale histoire d’illégalité et, pour le moment, ce n’est pas encore ce que je propose à Saül, pas tant qu’il ne manifestera pas l’envie de virer de bord, comme je l’ai fait….avec pour seule motivation l’amour. Quelle serait la sienne ?
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| | | | (#)Mer 5 Jan 2022 - 12:40 | |
| « Une loupe ? En voilà, une. » Saül ne s'y connaît pas beaucoup en pierres, mais il a l'habitude de voir passer beaucoup de diamants. C'est la seule pierre qui a ses faveurs, avec le rubis qui lui rappelle la chevelure fauve d'Ariane. Beaucoup de clients viennent avec des pierres pour impressionner l'homme d'affaires qui, faute de connaître toutes les valeurs de tous les cailloux, connaît au moins celles qui valent le plus gros paquet de dollars. D'un hochement de tête, le quarantenaire remercie son comparse et se penche sur la table. La pierre est parfaite, sans aucun défaut. Pure, comme on en voit rarement. L'italien esquisse un sourire satisfait. Amos ne s'est pas moqué de lui, il tient entre ses doigts un produit qui doit valoir beaucoup sur le marché. De quoi contenter le requin qu'est Saül, à la soif inégalée de trésors. « Amérique du Sud. De la mine même où on les tire. Mais, ce n’est pas mon marché. Je ne sais pas ce que ça vaut. Je vois plus où moins comment les écouler, mais je veux en tirer le meilleur parti, en particulier de celui-là… parce qu’il sera pour moi. Pour ça aussi tu pourrais faire quelque chose ? » De la loupe, Saül enlève son œil et jette un regard à Amos. Le diamant tourne entre ses doigts une fois ou deux et alors que le temps s'égraine, Saül se lève pour aller le contempler sous la lampe qui éclaire la pièce.
Après quelques longues secondes de réflexion, Saül vient se rasseoir aux côtés de son ami. «Très propre. Je me demande vraiment où tu l'as eu. » Est-ce pour Raelyn ? Il y a des chances qu'une des pierres lui soit réservée, à moins qu'elle soit tout à fait laissée en dehors de toute cette histoire. A connaître Amos, Saül a cependant des doutes. Et à se connaître lui-même, il sait qu'il n'aurait pas laissé Ariane dans l'ignorance, à moins de vouloir lui faire un cadeau dont elle aurait su tirer partie. Maintenant, les cartes sont rebattues et les deux amis n'ont plus tous deux leur âme sœur à leurs côtés. Jamais Saül ne saura s'il aurait laissé Ariane tremper là dedans. Parce qu'à connaître Amos, la provenance des pierres n'est pas celle des cailloux habituels. « Tu veux toute l’histoire sur la façon dont je me les suis procurés ? Parce que c’est long et en prime, ce n’est ni beau ni propre. » Un sourire carnassier passe sur le visage de l'italien. « Je m'en doutais. » Certes, Saül n'a pas connaissance de tous les méfaits réalisés par Amos et Raelyn, mais il se doute que les choses ne sont pas aussi claires que les amants le laissent entendre. Saül n'a jamais mis son nez là dedans, préférant au prix de sa liberté les dollars propres - et sales - qu'il tire à la sueur de son front. Mais les choses commencent à se corser et de ce côté là, la source sera bientôt tarie.
Reposant la pierre, Saül se sert un verre de la meilleure bouteille de rhum trônant sur la table. Cet alcool a toujours eu ses faveurs. D'une œillade, il constate les envies de son comparse et le sert d'un même geste. « Je veux tout savoir. Si tu as besoin de moi, je dois pouvoir en évaluer les bénéfices. » Et les conséquences désastreuses que pourrait avoir un arrangement pareil. « Ne me dis pas que tu as acheté une mine à Raelyn ? » C'est un cadeau qu'il aurait été capable de faire à Ariane. Une mine de rubis pour le plus flamboyant des joyeux français. |
| | | | (#)Sam 8 Jan 2022 - 11:43 | |
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AN THEN I LOSE THE STRENGHT TO LEAVE Si la scène était le théâtre d’une publicité téléphonéee, le slogan scandé joyeusement par la voix off serait : “un mot, un geste, Amos fait le reste”. Et pour cause, il tend déjà une loupe à Saül qui détaille sans tarder les cailloux étalé sur le table basse chargée de bouteilles auxquelles je ne toucherai pas. J’en ai peut-être servi deux, mais je n’ai pas encore soulevé le verre à whisky pour le porter à mes lèvres. En revanche, je ne quitte pas mon ami des yeux. Je cherche dans son regard ou sur ses traits une grimace propre à l’intéret, à la surprise, à l’effarement tant la qualité des bijoux proposés est incomparable. J’y trouve à peu près ce que je cherche et mon coeur bat plus lentement. Mes lèvres se réhaussent également d’un sourire satisfait puisqu’’au vu de la situation familiale de l’Italien, j’aurais détesté le déranger pour des bagatelles, pour de faux diamants qui ne valent pas tripette sur le marché. Semblerait que l’inverse soit plus probable et je siffle une marche de conquérant. Je suis d’autant plus chargé d’allégresse que je détiens entre mes doigts de quoi sertir la bague de fiançailles la plus somptueuses qui soit, une qui ressemblera à ma dulcinée à condition que Saül me confirme que mon instinct - je ne suis qu’un néophyte - ne m’a pas trompé quant à la splendeur de l’objet que je lui confie. Là encore, je jurerais qu’il est impression et, surtout, intrigué. Sa première question n’est pas : à qui le réserves-tu ? Mais bien, où t’es-tu procuré pareilles merveilles. Un sourire voilé de mystère peint mes lèvres et mes traits. Je livre un soupçon de vérité et ceux de l’Italien me répondent du masque prropre à l’homme d’affaires. «Non ! Je n’ai pas fait ça…»ai-je ris à gorge déployée. La remarqUE est la preuve même de mon dévouement à cette dernière et ça m’amuse. Or, je retrouve tout mon sérieux alors que je lui narre la façon dont j’ai obtenu ce petit trésor. «Une africaine. Mariée. Mauvais mariage. Son mari travaile dans les mines de diamants. Il en pique régulièrement des poignées avant qu’ils ne soit recensés. Elle ne savait pas quoi en faire, elle a donc pris contact avec son frère. Il vit ici, à Brisbane. Il n’a pas plus d’idées que moi de la façon d’en tirer parti, mais il m’a contacté parce qu’il a confiance en moi. » Faute à ce que je lui livre régulièrement des armes clandestines qu’il livre lui-même à l’étranger pour armer des pauvres bougres dont le pays est envahi par l’ennemi. «Je sais que tu as toujours travailler proprement, Saül. S’il y a un moyen de blanchir tout ça pour que ça entre dans le circuit, je ne suis pas contre, mais effectivement, j’ai besoin de toi pour ça. J’ai aussi besoin de ton avis. Tu connais la législation sur la matière, pas moi. Tu as aussi des contacts : pas moi. Le partage sera donc à hauteur de ce que tu peux ou ce que tu as envie de faire.» Pour t’enrichir et aussi te changer les idées, ai-je réprimé. J’ai bien saisi qu’Ariane était un sujet sensible. «Sauf, comme je te le disais, celui-là. J’ai besoin qu’il soit sertir, qu’il devienne la plus belle bague qui soit et, pour ça, j’ai besoin d’un joiallier qui ne posera aucune question. Tu as ça sous le coude ?» Autrement dit, marches-tu ? Possèdes-tu les pièces qui manquent au puzzle ? «Dans un premier temps, pas un mot à Raelyn. Je le lui dirai après… quand le moment sera venu. Je ne voudrais pas qu’elle devine ce que je prépare avec un cadeau celui-là.» Une véritable demande en mariage, cette fois.
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| | | | (#)Mar 18 Jan 2022 - 20:50 | |
| « Non ! Je n’ai pas fait ça… » Il en aurait été capable, Saül. Faute d'offrir à Ariane une bague, il lui aurait offert toutes les pierres, pour qu'elle puisse se servir à loisir. Un vrai choix de reine. Mais Ariane n'est plus et Ariane ne reviendra pas - enfin, c'est ce que croit l'homme d'affaires, dur comme fer. « Une africaine. Mariée. Mauvais mariage. Son mari travaille dans les mines de diamants. Il en pique régulièrement des poignées avant qu’ils ne soit recensés. Elle ne savait pas quoi en faire, elle a donc pris contact avec son frère. Il vit ici, à Brisbane. Il n’a pas plus d’idées que moi de la façon d’en tirer parti, mais il m’a contacté parce qu’il a confiance en moi. » Et il bâille, le crocodile, peu intéressé par l'idée d'avoir le récit de la vie de cette femme. Ce n'est pas ce qui l'intrigue. C'est l'histoire d'Amos qui lui donne à bâiller au corneille, persuadé de ne pas être là pour ça. S'il voulait une histoire, l'homme d'affaires, il serait allé plonger le nez dans les livres qu'il lit déjà à Abel même si le bambin n'y comprend très certainement rien du tout. C'est tout de même armé de patience que Saül fait la lecture au bambin, en italien et en anglais. Le français était la mission d'Ariane. Mais Ariane n'est plus et Ariane ne reviendra pas. « Pitié, fais-moi l'économie des détails. » La pierre tourne sous le doigt de l'italien qui n'a cure de l'histoire d'Amos. Il a ce défaut, parfois, Amos. Il s'enfonce dans des détails. « Je sais que tu as toujours travailler proprement, Saül. S’il y a un moyen de blanchir tout ça pour que ça entre dans le circuit, je ne suis pas contre, mais effectivement, j’ai besoin de toi pour ça. J’ai aussi besoin de ton avis. Tu connais la législation sur la matière, pas moi. Tu as aussi des contacts : pas moi. Le partage sera donc à hauteur de ce que tu peux ou ce que tu as envie de faire. » Un nouveau sourire prend place sur le visage de Saül. « Je rêve, tu as besoin d'aide. » De son aide qui plus est. C'est fou ce que le monde peut amener, parfois.
Et il est d'accord, Saül. Il est d'accord mais il ménage son effet, rendant à César ce qui appartient à César. La pierre retrouve son propriétaire et Saül termine son verre, s'en servant un nouveau. « Sauf, comme je te le disais, celui-là. J’ai besoin qu’il soit sertir, qu’il devienne la plus belle bague qui soit et, pour ça, j’ai besoin d’un joiallier qui ne posera aucune question. Tu as ça sous le coude ? » « Mmh. » qu'il lâche, sourire aux lèvres. Ses yeux se sont plantés dans ceux d'Amos il y a de cela quelques minutes, mais Saül fixe désormais son comparse avec une lueur amusée dans le regard. C'est qu'il est amusant, Amos, quand il est amoureux. L'amour semble ne rester pour lui qu'un business. C'est drôle que lui et Saül ne se rejoignent pas sur ce point. Saül aime de tout son être, sans que l'amour ne connaisse jamais de repos. Pour Ariane, il aurait acheté toutes les mines de rubis du monde. Il n'aurait jamais rien demandé à personne et certainement pas à ses plus proches amis. Aucun conseil - fier comme il est, le crocodile ne sait pas se faire aider. Mais Ariane n'est plus et elle ne reviendra pas. C'est une litanie, le concert d'une phrase qui tourne en boucle dans l'esprit du quarantenaire et qui, désormais, ne le quittera plus jamais.
« Dans un premier temps, pas un mot à Raelyn. Je le lui dirai après… quand le moment sera venu. Je ne voudrais pas qu’elle devine ce que je prépare avec un cadeau celui-là. » Avec délicatesse, Saül attrape le joyau pour le cacher dans le mouchoir de son veston. « Ta Raelyn ne saura rien. Si ma femme l'avait su, elle aurait été incapable de retenir le secret. Mais tu sais ce qu'il est advenu de ma femme. » D'une traite, Saül termine son verre auparavant rempli. « Tu peux compter sur moi pour ton affaire de mines et pour le reste. Tant que mon nom n'apparaît nulle part, je marche. » A la seconde où il se sentira menacé, le crocodile retournera dans les eaux froides qui peuplent son territoire. Pour l'heure, c'est un homme comblé qui se lève. Ici, il signe comme un second mariage. Un mariage qui durera, il espère, cette fois-ci. « Je veux la moitié ou rien. Mes services vont te coûter cher mais tu ne trouveras pas meilleur que moi et tu le sais. Je t'offrirai ce que je sais et ceux que je connais. » Nous aurons tout, Amos. Ils auront tout ou ils ne se lancent pas, c'est ainsi que le monde de Saül fonctionne. « Je ne veux pas mettre Abel en danger, j'ai besoin que tu me garantisses que nous serons protégés de ton petit univers. » S'il y a bien une chose que Saül ne met pas sur la table, c'est bien la sécurité de son fils. |
| | | | (#)Lun 24 Jan 2022 - 17:11 | |
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AN THEN I LOSE THE STRENGHT TO LEAVE L’attitude de Saül est ce que j'appellerais le paradoxe du “crocodile” puisqu’il s’agit de son surnom. Il réclame des éclaircissements, mais dès lors que le sujet ne l’intéresse plus ou que le récit contient trop de mots, il le balaie d’un geste ample de la main. Un susceptible - et j’en suis un - l’aurait probablement mal vécu. Après tout, que se cache-t-il derrière un tel geste ? “Tais-toi, tu m’ennuies ?”, “C’est bon, j’en ai assez, je te fais confiance les yeux fermés ou presque ?” En ce qui me concerne, j’ai cessé il y a un moment de m’interroger sur qui était réellement ce personnage. Tantôt sympathique, tantôt hautain, il pouvait vous donner l’impression d’être votre meilleur ami quand ce qu’il sait de vous tient sur un post-it “(à peine), et l’instant d’après, oublier votre existence au profit d’une autre. Ses critères ? Je n’en sais rien. Par réflexe, j’aurais tendance à estimer qu’il s’agit de l’argent et ça ne m’embête pas. Il est le nerf de la guerre. C’est lui qui fait tourner le monde. C’est un riche homme d’affaires, ce qui le tien en éveil, William, c’est l’état de son compte en banque, à la vitesse à laquelle il se remplit et à quelle fréquence il peut dépenser. La donne était peut-être différente avant le départ d’Ariane. Compte tenu que je n’ai rien pu obtenir de personnel de sa part, j’écarte les bras, lui promettant par ce geste que je lui épargne les détails, ce qui m’arrange : il est conquis par l’idée de toute façon. Si en apparence, tout est clean dans sa société, j’ignore ce qu’il se tramerait ou non derrière le décor et, fondamentalement, ce n’est pas mon problème. Je lui propose de rouler avec moi, lui demander de l’aide, d’évaluer ensemble si ça fonctionnerait sur le long terme ou terme, le tout en dénantissant l’entreprise de toute forme de légalité. C’est entre lui et sa conscience que se joue la suite désormais. Donc, je me tais. Mon silence est d’or et, la parole de mon interlocuteur, elle est d’argent. «Tu rêves pas.» Si tant est qu’il ait besoin de flatter son ego, libre à lui d’ailleurs. Tout comme je le suis de considérer qu’énoncer des conditions - en plus d’accepter les miennes - signifie : “je marche. «Je ne crains pas qu’elle ne garde pas le secret, c’est juste pas le bon moment pour elle de savoir. Pour elle ou pour moi. Je ne sais pas bien finalement.» Un mince sourire à rehausser mes lèvres. Je me suis absenté, quelques secondes seulement. « Pour ce qui est de la moitié, c’est une affaire qui concerne le Club, pas l’Octopus, je ne suis pas décisionnaire. Mais, j’entends… Et intègre qu’en échange de tout ça, j’ai pour le moment une mine qui ne sait pas quoi faire de toutes ses richesses… que je suis conscient du danger et que la sécurité de ma famille compte plus que tout le reste. Toi, Abel, vous serez en sécurité.» Je lui en fais la promesse sans crainte, en lui tendant la main, sans douter de moi : dans ma tête, je réfléchis déjà à une mécanique qui gardera toutes nos affaires australiennes à l’écart des activités qui proviennent du bout du monde, un autre monde.
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| | | | | | | | And then I lose the strength to leave | amos #2 |
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