Le village olympique, c'est un endroit que tout le monde fréquente en ce moment. C'est un endroit idéal pour se perdre, aussi. Un endroit parfait pour y pister des gens sans être vu. Pochette sous le bras, Murphy marche en direction du café installé pour l'occasion. Une petite baraque en bois qui propose des spécialités du coin ainsi que quelques boissons chaudes pour les addicts à la caféine. Rien de très extraordinaire, bien sûr, mais Murphy n'est pas venue pour s'amuser. Aujourd'hui, elle a du travail, du vrai. La chevelure blonde de Shiloh se détache du décor. C'est vrai qu'elle est très jolie et Murphy n'est pas certaine qu'elle se rende compte que beaucoup de gens se retournent sur son passage. Murphy a remarqué cela en suivant Shiloh ces derniers jours: elle illumine les endroits où elle passe. Aujourd'hui, elle sera très utile à Murphy et à sa petite collecte.

Shiloh est après tout la dernière personne a avoir vu Megan traîner dans le coin où Murphy l'a déjà aperçue: leur chez-elles. Depuis, plus moyen de voir sa sœur sortir de cet immeuble qu'elles habitaient ensemble - c'était écrit sur la boîte aux lettres. Surveiller les gens, ce n'est de plus pas vraiment compliqué en 2021. Instagram est une mine d'or pour quiconque souhaite enrichir sa petite connaissance des gens. Et puis, fouilles dans les abonnements des gens et surveiller les photos qu'ils commentent, ce n'est pas très compliqué non plus. Cela, Murphy sait très bien le faire. Elle retrouvait tous les crushs de ses copines, à Londres. Même dans une ville qui n'était alors pas la sienne, elle est un agent du FBI que personne ne peut concurrencer. Et puis, suivre Shiloh à travers le village olympique, c'est aussi éviter de remettre les pieds au théâtre, où Murphy ne reprendra pas de cours. Ils ne veulent pas d'elle ? Très bien, elle ne voulait pas d'eux non plus de toute façon.

Alors, comment aborder Shiloh ? La solution est venue un soir que Murphy passait allongée sur son lit, la tête à l'envers. Son père le lui a toujours dit: changer de perspective, c'est s'assurer de trouver une solution qu'on n'espérait plus. Alors que Shiloh s'empare du café que le serveur lui tend, Murphy déboule pour percuter la jeune femme. Tous les papiers qu'elle tenait sous le bras, dans sa pochette, s'étalent sur le sol boueux. Ils sont vite recouverts par une mare de café qui en brouillent les traits. « Merde ! » Bien sûr, ces dessins de robes de mariée n'étaient pas les siens. Murphy les a volé, comme le reste. Le désespoir qui se lit sur ses traits passera pour vrai, lui. Murphy ne sait pas dessiner, mais elle mime très bien les airs catastrophés et les visages les plus désemparés. Sans même poser les yeux sur Shiloh, elle s'empresse de ramasser les dessins sur lesquels on ne distingue plus que quelques traits de crayon. « Oh non, non, non... » Les robes de mariée sont désormais tachées, et Murphy essaie théâtralement de récupérer ce qui peut l'être. « Désolée, j'avais la tête ailleurs, je... Désolée... » Ses yeux ne croisent toujours pas ceux de la jeune femme alors qu'elle continue de rassembler ce qui passera comme un travail de plusieurs jours.

Le travail ne réside pas dans les dessins mais dans ce plan que Murphy façonne depuis des jours à la sueur de son front, le nez poudré de cocaïne. Il paraît que ça rend créatif.

James nous a demandé de s’inspirer de Brisbane pour la prochaine collection. Comme souvent, il est resté assez évasif quant au dénommé même de l’exercice. Il s’était contenté de réunir tout le monde au sein de l’atelier en nous demandant de revenir dès lundi avec des inspirations de formes, de couleurs et de tendance. Un brainstorming comme on en trouve nulle part ailleurs tant tous les corps de métier se retrouve impliquer dans ce qui se voudra d’être un nouveau souffle chez Weatherton. Il avait tant insisté sur le fait que l’inspiration devait venir de la ville que j’avais finie par ressentir une certaine pression. Un ordre déguisé pour partir explorer cette ville que j’avais si longtemps mise de côté.

Si j’ai commencé par traîner dans mon quartier, j’ai bien trop rapidement compris que l’inspiration pure ne viendrait qu’au milieu d’une foule dense, inspirer par un mouvement de va et vient en tout genre. Rien de mieux pour cela que les derniers événements organiser par la ville pour célébrer la sélection de Brisbane pour les Jeux Olympiques. Tout avait été pensé autour du sport et de l’amusement, personne n’allait se pointer en tenue de haute courte et moi-même je commence à avoir l’impression de détonner dans la foule avec ma robe à fleurs, mais c’est là que se situe la vraie vie. Parmi tous ces gens se cachent des futurs clients, des gens qui prendront les inspirations de la collection. Alors mon regard se perds entre les silhouettes, j’observe les tenues de sport autant que les associations un peu plus osées. Le portfolio se veut hétéroclite et profondément inspirant. Durant quelques minutes, je me poste au carrefour de plusieurs lieux d’activités, prends quelques photos, gribouille des croquis sur le carnet que j’avais emporté. Les idées fourmillent dans un coin de ma tête et pour la première fois depuis bien trop longtemps, je me souci guère du regard des autres. Pris au jeu de ma mission, je retrouve les premiers amours de mon métier : la folle envie de créer.

L’achat d’un café n’est que l’excuse parfaite pour rester au même endroit et continuer à observer le ballet de la foule. J’ai repéré un petit endroit parfait et lorsque le serveur me tend mon gobelet, je n’ai qu’une idée en tête retrouver mon spot. Tout cela sans même faire attention à ce qui m’entoure, provoquant une collision avec la jeune femme qui semblait attendre à mes côtés. « Merde ! » - « Excusez… » Mon regard se perd alors sur les dessins qui s’étalent dans l’herbe et la boue. Des croquis de robes, des esquisses en tout genre qui s’échappent de sa pochette que je viens de renverser. « Oh non, non, non... » Tout se retrouve mélanger sur le sol, tâché de café et piétiner par des clients à peine attentifs. Je pose précipitamment mon gobelet à moitié vide pour m’accroupir et tenter de sauver ce qui peut encore l’être. « Mon Dieu, je suis tellement désolée. » Ma voix craque sous l’effet de l’émotion alors que j’attrape quelques feuilles entre mes mains. Je viens de cacher des journées de travail avec mon inattention et la jeune fille semble complètement dévastée. « Désolée, j'avais la tête ailleurs, je... Désolée... » - « Non, c’est ma faute, j’ai pas regardé. » J’attrape une nouvelle feuille qui se veut complètement tâchée de café. Je tente de tout sauver pour poser en équilibre mon butin sur la table en bois derrière nous. « On peut, peut-être en sauver quelques-uns. » Je m’empresse de me redresser pour venir souffler sur les feuilles trempées par la caféine. Mon regard se perd sur les esquisses, le coup de crayon se veut maîtriser, les formes inspirées et le tout complètement magnifique. Mes mains tremblent à l’idée même d’avoir ruiné son travail. « Celui-là est pas trop gâché. » que je souffle tendant vers elle un croquis très légèrement tâché de brun. « Je… Je suis désolée, vos dessins sont tellement magnifique. » Je cherche un mouchoir dans mon sac à main et viens tamponner le papier dans un geste frénétique.

Déjà, le piège se referme. La pauvre Shiloh bondit sur les feuilles pour tenter de les sauver, s'épanche en excuses. C'est plutôt à Murphy de les lui présenter, elle qui a dépouillé un pauvre étudiant de ses croquis à la sortie de l'université. Lui pourra en refaire. Murphy, elle, n'a absolument aucun talent artistique. Elle n'est d'ailleurs pas douée pour grand chose sinon pour la scène. Ses mains ne lui servent qu'à s'exprimer et à faire de grands gestes catastrophés quand les dessins qu'elle tenait sous son bras prennent soudain l'eau et se tachent de boue. « Mon Dieu, je suis tellement désolée. » « Comment je vais faire, comment je vais faire... » C'est dans la peau d'une créatrice qu'elle s'est glissée. Elle en a les épaules - enfin, ça, elle s'en est persuadée - et ce n'est de toute façon pas bien compliqué de les avoir. « Non, c’est ma faute, j’ai pas regardé. » Elle se confond en excuses et c'est parfait. Murphy tire de la boue un dessin totalement effacé, un croquis qui ressemblait autrefois à une robe de mariée. La jeune australienne a eu de la chance, d'habitude les jeunes universitaires ne sont pas très enclins à dessiner ce genre de travail qui semble demander beaucoup plus de rigueur et de confiance en soi que de simples chapeaux.

Shiloh se redresse et Murphy fait de même, tenant entre ses doigts une feuilles partiellement déchirée. Le café et la boue ont rendu complètement invisible le trait de crayon. « On peut, peut-être en sauver quelques-uns. Celui-là est pas trop gâché. » D'un regard, Murphy juge la trouvaille des yeux. Celui-là est le moins abimé et il causera la perte de son mensonge si bien ficelé. Elle le récupère comme si le dessin était son bébé. « Merci, mais je crois que c'est irrattrapable J'essaierai de les reprendre une fois à l'atelier. » Murphy façonne un regard triste et angoissé alors que ses yeux se détachent de ceux de son interlocutrice. « Je… Je suis désolée, vos dessins sont tellement magnifique. » « Oh vous êtes trop gentille... » Doucement, elle vient joindre ses gestes à ceux de la blonde. Mais le mouchoir ne fait qu'étendre la tache... « C'est horrible, j'avais rendez-vous avec ma cliente dans la soirée... Ce devait être une robe pour la réception de ses fiançailles. » Murphy ouvre sa pochette en secouant la tête. « Enfin, personne n'est mort. Vous en faites pas. J'espère juste qu'elle va pas me virer. C'est un mariage important. » La pause qu'elle marque est dramatique, ménageant l'arrivée du nom qui sera bientôt sur toutes les lèvres de ceux qui trempent dans l'océan de requins qui compose le monde des affaires. « Damon Williams, vous connaissez ? »

Mes yeux écarquillés voient s’envoler des heures de travail sous les pas des gens pressés et inattentif avant de finir dans la flaque de boue qui semblait s’agrandir à vue d’œil pour mieux engloutir les croquis de la jeune femme. « Comment je vais faire, comment je vais faire... » Mon cœur se serre de voir ses traits disparaître au contact de l’eau croupie et je me précipite pour récupérer les feuilles qui semblent les moins atteintes tout en me confondant en excuses. T’es qu’une idiote Shiloh. Je laisse la tempête de reproche faire rage dans un coin de mon esprit, laissant mes doigts agir comme seul agent en contrôle de la situation. Mes gestes se veulent méticuleux pour ne pas provoquer plus de dégâts, à la recherche d’une serviette de papier afin d’éponger le plus gros de l’humidité. Le mal est fait cependant, recouvrant les croquis des robes d’une trace marronnâtes venant se mélanger aux coups de crayon pour ne créer qu’un amalgame flou. Si les taches de café se voudraient de donner un style particulier à l’ensemble, elles sont les plus tenaces pour effacer l’écran noir des contours rendant l’exercice de sauvetage bien plus périlleux encore.

Je m’entête malgré tout à vouloir lui rendre, ne serait-ce qu’un seul croquis sauvé des flammes. Mes gestes se veulent minutieux pour tenter de tout éponger quand son regard à elle semble complètement désespérer. J’absorbe chacune de ses réactions comme si elles étaient les miennes, comme si j’étais celle qui venait de voir son travail se noyer de manière aussi bête. « Merci, mais je crois que c'est irrattrapable J'essaierai de les reprendre une fois à l'atelier. » - « J’ai des crayons dans mon sac, pour sauver quelques traits au moins. » Et voilà que je fouille dans la pochette qui ne me quitte jamais pour tenter de donner un dernier espoir à ce croquis d’une robe que j’aurais aimé avoir dessiné moi-même. Les traits sont travaillés et j’imagine déjà le tomber d’un tissu noble pour ce genre de coupe si raffinée. « Je travaille dans la mode, moi aussi. » que je lui explique comme si elle avait quelque chose à faire. « J’aurais aimé avoir l’idée de celle-là. » que j’argumente malgré tout en pointant du doigt le croquis encore étalé sur la table avant que je ne brandisse un peu de fusain et de quoi éponger encore le papier. « Ce serait trop idiot de ne pas pouvoir en sauver un peu. » Je voudrais au moins pouvoir faire cela afin d’apaiser son regard et de réparer mes actions manquées.

« C'est horrible, j'avais rendez-vous avec ma cliente dans la soirée... Ce devait être une robe pour la réception de ses fiançailles. » Je grimace imaginant qu’elle va devoir reporter son rendez-vous désormais, car même toute ma volonté ne pourra rendre ces croquis présentables à une cliente future. « Je suis vraiment désolée. » que je répète en boucle, bien incapable de faire plus. « Enfin, personne n'est mort. Vous en faites pas. J'espère juste qu'elle va pas me virer. C'est un mariage important. » Je m’en veux tellement que j’en viens à lui proposer tout et n’importe quoi. « Je peux vous aider si vraiment le rendez-vous ne peut pas être reporter. » Ce ne sera pas parfait, la journée étant déjà bien entamée, mais ce n’est pas dans ma personnalité que de lui dire de se débrouiller. « Damon Williams, vous connaissez ? » J’étais perdue dans mes pensées à tenter de trouver la meilleure des solutions, mais le prénom qui franchit ses lèvres capture toute mon attention. « Damon ? » Je l’ai déjà entendu quelque part ce prénom si singulier. Megan ! C’est le petit ami de Megan, enfin futur mari. « Votre cliente… Est-ce qu’il s’agit de Megan Monroe ? » Pourquoi Megan aurait fait appeler à une autre designeuse pour sa robe de réception ? Est-ce que les quelques idées que j’avais su lui présenter jusqu’à présent ne lui convenait plus ?! Tout se mélange un peu tandis que j’attends la réponse de la brune avec le cœur battant.

« Je travaille dans la mode, moi aussi. » Murphy lui glisse un regard faussement surpris. Elle l'observe de pied en cap comme l'aurait peut-être fait quelqu'un travaillant dans un domaine pareil à celui de Shiloh. « J’aurais aimé avoir l’idée de celle-là. » D'une main délicate, l'australienne récupère une feuille parmi tant d'autres, aussi ruisselante que les autres. Un soupir théâtral s'échappe de sa bouche alors qu'elle constate l'étendu des dégâts. C'est dommage, elle les aimait bien ces dessins. Les savoir détruits la rend un peu triste, dans une certaine mesure. C'est l'étudiant qui doit la maudire, à l'heure qu'il est. Elle n'a aucun regret en ce qui le concerne. Il n'a pas été mis sur sa route pour autre chose que la réalisation de son incroyable plan. « Ce serait trop idiot de ne pas pouvoir en sauver un peu. » « Regardez-les. Ils sont fichus. Je vais tout devoir reprendre. » Un nouveau soupir agite le thorax de Murphy alors que cette dernière secoue doucement une feuille pour la débarrasser de la boue qui la recouvre.

C'est alors que l'essentiel du plan se met en branle. Murphy n'a presque rien à faire pour en déclencher le déroulement tragique. Elle n'est qu'à l'origine de la toute petite impulsion qui pousse Shiloh à se confondre en excuses. Cette dernière est si facile à berner que s'en est presque désolant. « Je peux vous aider si vraiment le rendez-vous ne peut pas être reporter. » Le coup de théâtre arrive. Comme une panthère en chasse, Murphy se prépare à attaquer sa proie de plein front. En y mettant le ton, l'australienne espère désarçonner Shiloh, assez pour que le reste vienne tout seul. « Damon ? » Ces intonations, Murphy les connaît par cœur. Elle y reconnaît de la surprise autant que de la panique mêlées à un brin de stupéfaction. D'un discret mouvement de la tête, la menteuse acquiesce. « Votre cliente… Est-ce qu’il s’agit de Megan Monroe ? » Nous y voilà.

Sourcils froncés, Murphy lance un regard faussement étonné à Shiloh. « Oh, alors vous connaissez le couple. » La jeune femme marque une pause. Maintenant, réfléchir. Elle a pensé à de nombreuses manières de faire dire à Shiloh la nouvelle adresse des jeunes fiancés mais elle ne veut surtout pas se précipiter. Tout se joue sur cet instant. « Elle organise une réception pour ses fiançailles. Je n'ai pas la prétention de pouvoir lui créer une robe pour son mariage, ça sera quelque chose de bien moins officiel. » Le mouvement de sa main semble si désinvolte. Quelque chose de moins officiel, mais vous savez comment sont les bourgeois. Ils en veulent toujours plus. La mine circonspecte, Murphy ménage encore son effet. « Ecoutez, ne vous en faites pas, je vais l'appeler et... Oh merde, allez mais rallume toi... » Comme il est pratique que sur l'instant, le téléphone de Murphy ne fonctionne plus. Cette dernière plante un regard désespéré dans celui de Shiloh. « Je crois que c'est vraiment pas ma journée. » Prochaine étape, soutirer à la blonde ce dont Murphy a besoin... et détaler comme un lapin.

« Regardez-les. Ils sont fichus. Je vais tout devoir reprendre. » Chacun de ses mots vient s’illustrer par ses croquis recouverts de boue et de café dans un mélange peu savant et loin d’être sublimatoire. Son soupir me serre le cœur alors que l’on réalise toutes les deux que mes tentatives pour sauver ce qui reste ne seront que vaine. Son travail vient de s’envoler en fumée et moi, c’est toute une culpabilité qui vient me ronger de l’intérieur. J’aurais dû faire attention, le lieu est rempli de monde et moi, je m’amuse à tourner sur moi-même avec une tasse de café chaud entre les mains. C’est une voix masculine bien particulière qui viens m’incriminer jusque au fond de mon esprit tandis que mon corps réagit par des tremblements que je pensais savoir maîtriser. Je me reprends malgré tout, avec un soupir et un dernier dessin ravagé que je tends à la brune à mes côtés.

Accablé d’avoir complètement ruiné des heures de travail acharné, voilà que j’en viens à lui proposer toutes les solutions du monde pour me faire pardonner. On ne se connaît pas, mais j’exerce dans le domaine alors je sais parfaitement, toute la sueur qu’on laisse entre nos croquis, et puis elle ne cesse de parler de son rendez-vous avec sa cliente et ma culpabilité deviens alors ingérable. Jusqu’à ce que la jeune styliste prononce le prénom du petit ami de Megan. À croire que la chance me sourit quelque peu malgré tout. « Oh, alors vous connaissez le couple. » Je hoche la tête de manière affirmative même si connaître le couple en soi est un terme quelque peu approximatif. « Megan est ma meilleure amie. » C’est bien plus honnête comme cela. J’ai rencontré Damon bien entendu, mais ce n’était qu’une fois et je lui avais à peine parlé le pauvre. « Elle organise une réception pour ses fiançailles. Je n'ai pas la prétention de pouvoir lui créer une robe pour son mariage, ça sera quelque chose de bien moins officiel. » Un instant, je fronce des sourcils n’ayant pas entendu parler d’une telle fête. Probablement un énième desiderata de la part de la belle-mère, elle semble assez particulière quand il s’agit des traditions. J’observe malgré tout les croquis tâchés me demandant si Megan finira par préféré son style au mien ? Je me perds dans mes pensées à me dire que je ne suis pas au niveau, qu’il va falloir que je retravaille toutes mes idées. Au point, où j’entends à peine la jeune femme qui commence à s’échapper. « Écoutez, ne vous en faites pas, je vais l'appeler et... Oh merde, allez mais rallume toi... » Jusqu’à ce que le sort semble s’acharner sur sa personne. « Je crois que c’est vraiment pas ma journée. » - « Ma pauvre, je suis tellement désolée. » que j’énonce avant de commencer à fouiller dans mon sac afin d’en ressortir mon mobile. « Attendez, je vais essayer de l’appeler. » Je presse mon doigt sur le profil de Megan et laisse les sonneries défilées avant d’atterrir sur sa messagerie. « Comme toujours. » que je marmonne avant de lui envoyer un texto pour lui dire de me rappeler. « Je viens de lui envoyer un message. » Mon regard se relève afin de croiser celui de la jeune femme. « Je vous offre un café en attendant, pour me faire pardonner ? » Megan devrait me répondre assez rapidement, mais elle n’est jamais la meilleure pour décrocher au premier appel. « Ou bien, je peux vous accompagner, Megan sait à quel point je peux être maladroite. » Je ferais tout pour faire entendre à mon amie que je suis bel et bien la seule responsable de ce désastre. « Je vous dois bien ça. »

Une brebis happée par le loup.

« Attendez, je vais essayer de l’appeler. » Oh non. C'est là qu'il faudra à Murphy assez de calme pour effectuer un magnifique dérapage contrôlé. Rien ne présageait jusque là que Shiloh allait avoir l'idée d'appeler son amie, mais Murphy s'était aussi préparé à une éventualité du genre. Rien d'aussi critique, mais tout de même. Il ne faut néanmoins pas se faire griller alors, Murphy reste silencieuse, comme si l'idée de Shiloh était d'un révolutionnaire éclairant. Fort heureusement, personne ne répond aux appels de la jeune femme et Murphy se retrouve à remercier tous les dieux qui puissent peupler le ciel - et ce malgré son absence de croyance en qui que ce soit qui puisse être perché dans les nuages. « Comme toujours. » « C'est pas grave. » Si, ça pourrait l'être si Murphy était vraiment la créatrice de ces dessins, mais c'est tout le contraire. En fait, la jeune femme est très soulagée que personne ne se manifeste pour répondre aux appels de détresse de Shiloh. Tant mieux. « Je viens de lui envoyer un message. » La jeune australienne opine du chef, faussement comblée de joie à l'idée que Megan réponde aux messages de son amie. De toute façon, elle n'y répondra pas. Elle doit être trop occupée avec sa vie parfaite ou avec son parfait petit époux. Dommage que sur internet, personne n'ait encore divulgué leur adresse. S'ils ne font pas officiellement partie des personnalités publiques de cette ville, ils sont au moins de la haute société. Des vautours pourraient bien avoir envie d'en savoir un peu plus sur leur vie, des vautours comme Murphy. Malheureusement pour elle, il lui faudra faire preuve d'un peu plus d'ingéniosité si elle veut vraiment se procurer l'adresse du couple.

« Je vous offre un café en attendant, pour me faire pardonner ? » Pendant un instant, Murphy a presque envie d'accepter. Un café, voilà qui serait réconfortant après toute cette aventure... mais les choses ne sont pas encore tout à fait terminées. Les crocs empoisonnés du serpent se referment doucement sur la proie naïve que représente Shiloh. « Ou bien, je peux vous accompagner, Megan sait à quel point je peux être maladroite. Je vous dois bien ça. » « Ce n'est pas nécessaire, ne vous en faites pas. » qu'elle élude, accompagnant ses mots d'un mouvement de la main. Non, elle n'a pas besoin d'être accompagnée. Elle n'a besoin que d'une adresse. D'une main, elle farfouille dans les papiers sales qu'elle tient encore contre elle. De sa poche, elle sort un stylo et affiche sur son visage l'expression du génie retrouvé. Une idée lumineuse vient vraisemblablement de lui traverser l'esprit. « Leur adresse est sur mon téléphone, vous pourriez me l'écrire s'il vous plaît ? J'irai dans la journée pour expliquer le problème et ne vous en faites pas, je ne parlerai pas de vous. » Trop tard, de toute façon, Shiloh a envoyé un message. Peu importe. Sourire confiant - et un peu suppliant - aux lèvres, Murphy tend le stylo et le papier à la jeune femme. La voilà, la récompense.

Par tous les moyens, je tente de rattraper ma maladresse auprès de la jeune femme. Les dessins sont ruinés, mais peut-être qu’il reste encore une chance pour que son rendez-vous se déroule à merveille. Megan a son caractère, mais il n’y a pas grand-chose qu’elle ne saurait me pardonner. La coïncidence est folle, mais elle aura au moins le bénéfice de jouer l’avantage pour la créatrice. Passé, l’effet de choc, la brune semble tout de même relativement calme, ce qui aurait tendance à m’impressionner quant à sa place, j’aurais déjà fondu en larmes. Rien dans ses gestes ou son regard ne laisse transparaître une véritable panique. Un simple aspect résigné, probablement en train de répéter en silence le discours qu’elle pourra offrir à sa cliente. Je m’en veux réellement, à me mordre la lèvre et chercher la moindre des solutions pour soulager le désastre. « Ce n'est pas nécessaire, ne vous en faites pas. » Une fois encore, je me retrouve sans voix face à son calme olympien. Au point, où je serais prête à accepter n’importe quoi, tant que cela sonne comme un semblant d’excuse de ma part. « Leur adresse est sur mon téléphone, vous pourriez me l'écrire s'il vous plaît ? J'irai dans la journée pour expliquer le problème et ne vous en faites pas, je ne parlerai pas de vous. » - « Bien sûr ! » Et me voilà à tourner sur moi-même sans jamais avoir appris la leçon, pour trouver un support sur lequel écrit tout en fouillant d’une main le fond de mon sac à main. Je brandis mon stylo comme une arme avant de venir coucher sur le papier la toute nouvelle adresse de Megan, celle que je n’ai mis que quelques jours à mémoriser. Je m’applique afin que mon écriture soit parfaitement lisible et ajoute également mon numéro de téléphone. « Vraiment, vous pouvez lui dire que tout est de ma faute. » Je souris un peu avant de tendre le papier à la jeune femme. « Et s’il y a le moindre souci, j’ai noté mon numéro. » Je devrais me méfier, ne pas laisser ce genre d’informations à une parfaite inconnue, mais comme toujours ma gentillesse prends le dessus pour me faire foncer tête baissée. « Encore désolée. » que je conclus dans un sourire avant qu’elle ne file réparer les dégâts. Ou quelque chose comme ça.