| | | (#)Ven 17 Sep 2021 - 17:22 | |
| C'est une montre qu'il guette mais ce n'est pas la montre, celle dont il partageait autrefois la garde avec Ariane. L'Emporium n'est pas bien plein, en cette soirée de septembre. Le très agréable bar n'y est jamais trop bondé mais cette fois, il est vraiment étrange de le voir si vide. Saül y a déjà bu un café. C'est moqueur qu'il a demandé à Madame Spencer ce qu'elle voulait ajouter, et elle n'a fait que préciser qu'elle le voulait sobre. Alors, d'accord. La journée a été longue, assis à signer de la paperasse et à organiser des réunions sans intérêt. Le repas aussi, a été long. Les collaborateurs de l'homme d'affaires sont d'un ennui terrible et maintenant que le mariage de Damon et Megan est sur les rails, Saül n'a plus rien à penser pour se distraire. Son cerveau a tourné au ralenti toute la journée en imaginant, agacé, le rendez-vous du soir-même. Rien ne le contrarie plus que de se sentir convoqué comme un gamin ayant fait une bêtise, mais après tout, Spencer n'a pas l'air d'être une femme à embêter. S'il lui suffit d'un café pour qu'elle ne se mette pas, elle aussi, à s'attaquer à la réputation de l'italien, alors elle aura son dû.
Vêtu de son sempiternel costume bleu, Saül attend. Le bar devient habituellement intéressant, le soir. Combien de ses collaborateurs a-t-il vu en bonne compagnie, accompagnés d'escorts ou de leurs maîtresses ? C'est un endroit que Saül n'a jamais fréquenté avec Ariane, préférant la discrétion d'un hôtel moins en vue que l'Emporium. Ici, on voit et on est vu. C'est une véritable scène de théâtre qui, ce soir, est vidée de ses comédiens. Même le serveur se permet de s'asseoir derrière son bar, ne levant la tête que de temps en temps pour vérifier que son patron n'est pas dans les parages.
Et enfin, une ombre rousse passe la porte du bar. Saül y fixe ses yeux, un instant rattrapé par d'autres souvenirs qu'il chasse d'un battement de cils. Il ne se lève que lorsque la quarantenaire arrive à sa hauteur, marquant un respect des codes de la galanterie qui a la vie dure, même après toutes ces années. « Comment dois-je vous appeler ? Madame Spencer ? » L'ombre d'un sourire passe au coin des lèvres de l'italien, qui s'empresse de tendre la main à son interlocutrice afin de la saluer. Le souvenir de son visage est plutôt vif, dans la mémoire de l'homme d'affaires. Cela est assez étrange, au vu des circonstances de leur rencontre. Après tout, Saül n'a aucun souvenir de cette soirée. Il se souvient vaguement être tombé deux fois dans les escaliers menant à l'appartement qu'il partage avec Auden. Il se souvient aussi du visage de celle qui l'a ramassé alors qu'il attirait probablement tous les regards méprisants de la rue. « Saül Williams. Sobre, comme vous ne l'avez jamais vu. » qu'il glisse, désignant à la quarantenaire le siège qui lui est réservé.
Le serveur est appelé d'un claquement de doigt et le regard méprisant que lui renvoie Saül n'est pas sans lui rappeler qu'ici, le client est roi. Et le roi n'est pas satisfait de la maladresse de son pas ni de son regard fuyant. Après avoir commandé un latté et un café serré d'un ton glacial, Saül plante à nouveau ses yeux dans ceux de celle qui lui fait fasse. « Ils ne travaillent pas, les gens comme vous, le samedi après-midi ? » "Les gens comme vous", ou tous ceux qui ne sont pas Saül Williams et son appétit pour le travail acharné et les décisions prises en tyran égotique. @ashley spencer |
| | | | (#)Jeu 23 Sep 2021 - 18:46 | |
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La fenêtre de sa voiture grande ouverte, elle était nonchalamment accoudée à la portière, la tête penchée sur le côté. Sa joue reposant contre son poing fermé, sa lourde chevelure cascadait librement en-dehors de l'habitacle, créant un contraste flamboyant avec le bleu pervenche, plus terne de la carrosserie. Aux volutes éparses, une cigarette se consumait lentement entre son index et son majeur, tandis que son regard se perdait dans le vide. Une profonde inspiration plus tard, un épais de nuage de fumée blanche aux arômes floraux lui échappa, allant se disperser à l'extérieur de la voiture.
Comme à chaque fois qu'elle se préparait à se rendre " en société ", Ashley passait un instant avec elle-même, libre de ses pensées. De la musique électronique jouait en fond sonore ; ce que les plus jeunes appeleraient de la " melodic techno ", parmi tant d'autres genres, et qu'il ne lui déplaisait pas d'écouter à l'occasion, quand elle roulait la nuit en particulier. En poussant assez le volume, elle pouvait sentir son corps vibrer et avec la vitesse, le ronronnement du moteur ou le vent soufflant sur son visage, cela avait quelque chose d'exaltant.
Tournant son poignet, sa montre lui indiqua 19h47. Bonne ou mauvaise habitude selon les concernés, la ponctualité la poursuivait jusqu'en-dehors du travail, partant toujours à l'avance de chez elle. Le parking où elle s'était garée, relativement vide considérant l'heure, n'était situé qu'à quelques pas de l'Emporium. Etablissement cinq étoiles, ce n'était guère le genre d'endroit qu'elle fréquentait en temps normal, seulement visité quelques fois, à l'occasion de réunions entre ses employés ainsi que leurs clients.
L'homme qu'elle allait y voir ce soir, Ashley ne le connaissait pas ; sinon par le biais d'une première rencontre mémorable. Ivre, elle l'avait découvert dans une ruelle adjaçente à un bar, entre une poubelle grande capacité et un amoncellement de palettes en train de pourrir. Elle ne lui avait pas demandé son nom, soupçonnant qu'il ne s'en souviendrait pas, mais l'avait aidé à se lever et à marcher jusqu'au Uber qu'elle lui avait appelé – et payé –. La part d'altruisme qui existait encore en elle, sans doute, et qui l'encourageait parfois à tendre la main sans rien attendre en retour.
Rien n'était peut-être pas exact. Elle voulait au moins savoir s'il était rentré chez lui avec succès, d'où la carte glissée dans son costume. Et elle avait été servie. Ses deux premiers sms, consultés au milieu d'un couloir entre deux réunions, lui avaient fait hausser les sourcils. La menacer d'envoyer ses avocats, c'était une sacrée entrée en matière. Aujourd'hui encore, elle n'était pas certaine s'il s'agissait d'une tentative d'humour, ou s'il s'attendait vraiment à ce qu'elle l'extorque... Pourquoi, d'ailleurs ? Elle ne le connaissait ni d'Eve, ni d'Adam. La suite de ses messages avaient eu le mérite de lui arracher un ou deux sourires, surtout parce qu'ils n'étaient pas dénués d'auto-dérision.
19h53. Sa cigarette émit un grésillement à peine audible au moment où elle l'écrasa dans le cendrier. L'instant d'après, le jeu de clefs tournait dans la serrure, à l'ancienne, et elle s'éloignait sur le pavé grisâtre en attachant ses cheveux. Passé sur un pull en cachemire tressé, un blazer d'ivoire la protégeait des fraîcheurs nocturnes du printemps. Le tout complété par un pantalon fuselé et des escarpins en cuir, elle répondait au dresscode exigé par l'hôtel, trop inquiété par les exigences et le jugement de ses habitués pour se montrer conciliant. Le genre de tenue qu'elle abandonnait une fois sa journée de travail terminée pour ne plus l'enfiler que le lendemain... mais la vie était faite de compromis.
Il ne lui fallut pas longtemps pour le repérer une fois à l'intérieur. Sobre, semblait-il, comme elle le lui avait demandé (avoir eu le dernier mot dans leur conversation était sa petite fierté puérile). Il avait presque l'air chez lui, ici, dans un costume dont elle ne se hasarderait pas à deviner le prix. Ashley détailla sa posture au moment où moment il se leva ; la façon dont il balançait son corps pour le faire ; la jambe sur laquelle il s'appuyait le plus. Quand elle fut assez proche, son attention se porta sur les détails de son visage, la courbe de son menton ou celle de son nez, la forme de ses yeux et la couleur de ses iris ; la couleur et la coupe de ses cheveux.
« Comment dois-je vous appeler ? Madame Spencer ? » Au moment de lui serrer la main, elle était déjà capable d'en restituer un portrait-robot fidèle. « Ashley suffira, dit-elle, sauf si vous êtes attaché aux formalités. Sa poigne fut à la fois ferme et souple : combien de militaires lui avaient broyé la main, avant d'apprendre à l'estimer ? Alors, leur rendre la pareille avait été un mécanisme de défense naturellement acquis, soutenant leur regard avec le sien, un regard qui disait : " vous pensez pouvoir m'impressionner de la sorte ? " Ici, celui qu'elle rendit à son vis-à-vis était un peu plus affable, en réponse à son sourire. « Monsieur... ? Saül Williams, sobre comme vous ne l'avez jamais vu. »
Le nom ne lui évoqua rien. S'il était reconnu en Australie, ce n'était pas dans le milieu du pétrole, de l'extraction du fer ou celui des télécommunications ; tous ceux qu'elle-même avait fréquentés avant d'atterrir chez Boeing. « Je dirais bien que je suis enchantée, dit-elle en prenant place sur le siège gardé vacant, mais cette formule convient aux premières rencontres ». Son propre sourire, entendu et discret, s'estompa face au traitement qui venait d'être réservé au serveur ; battant en retraite trop vite pour qu'elle puisse demander un verre d'eau avec son latte.
« Ils ne travaillent pas, les gens comme vous, le samedi après-midi ? »
Même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pu retenir le rire qui lui échappa à cet instant. Les " gens comme elle ". Partagée entre la stupéfaction et l'admiration pour un tel culot, elle choisit de le prendre avec détachement. Les " gens comme moi " travaillent suffisamment la semaine pour ne pas s'en embarrasser une fois le week-end venu, expliqua-t-elle en s'accoudant au comptoir, le fixant du regard. Grand bien leur fasse. Mais qu'en est-il des " gens comme vous ", monsieur Williams ? Prenant le temps de savourer, elle précisa juste après. Est-ce que l'alcool est un moyen d'oublier qu'ils n'ont même pas leurs samedis pour se détendre ? Son sourire était revenu. Il l'avait cherché. @Saül Williams
Dernière édition par Ashley Spencer le Mer 6 Oct 2021 - 15:45, édité 1 fois |
| | | | (#)Lun 4 Oct 2021 - 15:43 | |
| C'est bien, au final, d'avoir choisi de se voir en de telles circonstances. Ce n'est ni trop pompeux ni trop décontracté et cela laisse à Saül le loisir de rentrer auprès de son fils si les choses deviennent trop ennuyeuses. C'est Auden qui est de garde, ce soir. Saül lui confie Abel sans la moindre crainte - ou presque. Voilà qui lui laisse assez d'espace pour s'occuper du problème du jour. « Ashley suffira, sauf si vous êtes attaché aux formalités. » Attaché aux formalités, Saül l'est assurément. Il est passé maître dans l'art de serrer des mains, mais n'a pas beaucoup l'habitude de côtoyer des femmes qui peuvent se prétendre aussi importantes que lui. Anja a l'habitude de lui rappeler toutes les choses qu'il ne peut pas dire face aux clientes qui sollicitent un entretien avec l'homme d'affaires. Ashley a l'air différente. Ashley a l'air importante sans être guindée. Ashley a l'air sophistiquée sans paraître coincée. Elle n'a pas l'air d'être familière avec le nom de famille de Saül qui, s'il n'en est pas le seul détenteur, laisse d'habitude les gens du monde des affaires coi. Même les artistes connaissent ce nom, par ici. C'est l'avantage - le désavantage, selon Saül - d'avoir un frère qui peint des toiles révolutionnaires - affreuses, selon l'aîné - et qui brasse tout un tas de billets colorés. Les parents Williams peuvent se congratuler: ils sont les parents d'une portée de requins ayant réussi, tous autant qu'ils sont - sauf pour la petite dernière.
« Je dirais bien que je suis enchantée, mais cette formule convient aux premières rencontres. » Un sourire illumine un instant le visage du quarantenaire qui prend place à côté de son interlocutrice. « Je ne connais pas l'homme que vous avez rencontré la première fois, il m'est désormais tout à fait étranger. » L'italien en question balaie d'un revers de la main la remarque d'Ashley, joignant le geste à la parole. Si elle savait qu'il n'en était pas à son premier coup d'essai, ce soir-là. Elle l'a vu dans une condition particulièrement déplorable. D'habitude, Saül sait au moins se tenir jusqu'à son chez-lui. Devant Auden, si on ne veut pas déclencher une dispute houleuse, il faut de toute façon jouer à l'homme parfaitement sobre. Et puis, il y a Abel...
Ashley a un rire qui appelle le sourire de l'italien. Alors qu'elle se met à l'aise, Saül fait de même sans la lâcher des yeux. « Les " gens comme moi " travaillent suffisamment la semaine pour ne pas s'en embarrasser une fois le week-end venu. Grand bien leur fasse. Mais qu'en est-il des " gens comme vous ", monsieur Williams ? » Monsieur Williams est touché. La pique le laisse muet, impressionné par le renvoi de balle qu'elle vient de lui faire. Saül n'a pas l'habitude qu'on le remette si poliment à sa place et les personnes qui adoptent habituellement ce ton avec lui sont les gens du fisc. « Est-ce que l'alcool est un moyen d'oublier qu'ils n'ont même pas leurs samedis pour se détendre ? » Tout sourire s'efface du visage de l'homme d'affaires qui garde tout de même un masque de neutralité impeccable. Fort heureusement, les commandes arrivent l'une après l'autre, permettant à Saül de composer une seconde sa réponse. « Les gens comme moi travaillent tout le temps. Je ne peux pas me débarrasser des troupes que je commande, surtout pas le weekend. » Ils se relâchent, ils font comme s'ils étaient en vacances, ils soufflent "vivement dimanche". Saül travaillait même la nuit, lorsqu'il était au même barreau de l'échelle que certains. A son époque, on avait un sens tout autre du travail. Les petits jeunes qui entrent à son service son des feignants. « Quant à l'alcool... » Le sourire lui revient pour dédramatiser ce qui devient certainement une addiction, au fil des ans. A moins que ce ne soit déjà le cas ? D'un geste du menton, Saül désigne la tasse qu'Ashley a désormais avec elle. « Je le préfère à ce que nous buvons là. » Cette horreur que Saül tolère, tout italien qu'il est. Pour son café aussi, l'Italie lui manque.
La tasse portée à ses lèvres, Saül ne lâche pas la quarantenaire des yeux. Elle a de drôles de manières d'occuper ses soirées, elle qui accepte des rendez-vous donnés par des ivrognes cherchant à se racheter une image. « Nous ne sommes pas là pour parler café, n'est-ce pas ? » La tasse de Saül est déjà vide alors qu'il reprend ses airs d'homme d'affaires, avec un peu plus de douceur dans le ton. « Ce que vous avez vu l'autre soir ne se produira plus. » Comme si elle allait avoir l'occasion de le savoir à nouveau. Ils ne vont plus se fréquenter après cette étrange rencontre autour d'un café - si ? « Qu'est-ce qui vous a poussé à accepter ce rendez-vous ? Les menaces ? » Un sourire brise l'image lisse de l'homme d'affaires que Saül aurait voulu maintenir quelques instants encore. « Je suis confus pour cela aussi. Disons qu'avec ma position, j'ai l'habitude que l'on me fasse chanter. » Être aux aguets tout le temps n'empêche pas les mauvaises rencontres et les disconvenus. Cela n'empêche pas non plus de se retrouver à partager un café en excellente compagnie. « Je ne sais pas vraiment comment me racheter, mis à part en vous offrant ce café. » |
| | | | (#)Mer 6 Oct 2021 - 14:12 | |
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Fondu comme neige au soleil. La façon dont son sourire s'était volatilisé n'aurait pu passer inaperçue, même pour une personne moins observatrice qu'Ashley. Cela lui confirma au moins une chose, car avec une inclinaison à l'auto-dérision d'ores et déjà prouvée, ce n'était pas sa plaisanterie qui avait froissé Saül Williams, mais plutôt la raison qui l'avait poussé à s'ennivrer plus que de raison. Une réalité à laquelle la rousse venait maladroitement de le confronter. C'était le risque, lors des rencontres inopinées et des boutades hasardeuses. Nous étions loin de l'examen approfondi d'une source potentielle, de l'étude de ses habitudes, de la reconnaissance de ses proches, du suivi de ses déplacements. La réalité du terrain face à celle de l'humain, où l'on se confrontait à l'autre sans artifices ni subterfuges.
A point nommé, la venue du serveur accapara momentanément leur attention. Un café serré et un latté dans leurs tasses luxueuses, sur leurs coupelles luxueuses, Ashley nota une certaine précipitation dans les gestes de ce dernier alors qu'il déposait le tout à leurs côtés, sans doute désireux de s'éloigner de l'homme en costume avant qu'il l'assassine à nouveau du regard. De sa part, il récolta tout de même un merci ainsi qu'un sourire social, avant qu'elle ne revienne à son interlocuteur. « Les gens comme moi travaillent tout le temps. Je ne peux pas me débarrasser des troupes que je commande, surtout pas le weekend. » C'était cela, comprit-elle. Un manager ? Peut-être un responsable de secteur. A moins qu'il ne s'agisse du directeur. Quelqu'un d'assez important et fortuné, en tout cas, pour fréquenter l'Emporium et s'y sentir à l'aise.
Ashley, pourtant, ne saurait être impressionnée. Elle ne pouvait plus l'être. En son temps, elle avait rencontré nombre d'hommes évoluant parmi les sphères du pouvoir. Parfois tout au sommet de celui-ci, quelque fut la forme qu'il adoptait. Des présidents, ministres et généraux, aux chefs de tribus, guides paramilitaires et leaders despotiques, chacun d'entre eux avait du sang sur les mains, de l'acier dans les yeux et du venin dans les mots. La différence entre les uns et les autres, c'est que certains revendiquaient la démocratie et la protection des citoyens, tandis que les autres se justifiaient par leur idéologie ou la défense de leurs terres. En fin de compte, les voies qu'ils empruntaient menaient toutes à la même destination, et ce n'était pas à la splendeur de Rome.
« Quant à l'alcool... Avec ce sourire qui revenait après le masque de marbre, l'ex-espionne comprit. Je le préfère à ce que nous buvons là. Elle comprit qu'il était doué. Doué pour masquer ses émotions, à moins qu'il les fassent taire. La nuance était subtile, mais elle demeurait. Il n'en restait pas moins cette preuve d'une grande maîtrise de soi, d'une force intérieure probablement née de l'habitude, ou d'une blessure profonde qui si on en croyait leur première rencontre, n'avait pas terminé de guérir. Intérieurement, Ashley sentit un élan d'empathie envers lui, probablement le même qui l'avait poussée à lui tendre la main une première fois. Si même celui d'un hôtel 5 étoiles ne vous convient pas, je comprends mieux votre réflexion concernant Starbucks. »
Mais il avait raison. Ils n'étaient pas ici pour échanger autour du café et de ses arômes. « Ce que vous avez vu l'autre soir ne se produira plus. Elle acquiesca, d'abord en silence, pour elle-même. Puis : Cessons simplement d'en parler, suggéra-t-elle avec simplicité, adoptant en même temps une position plus confortable. " Hier n'est plus, et demain n'est pas encore ". Elle aurait pu, à cet instant, se fendre d'une autre remarque impertinente ; mais ça aurait été risquer un nouvel impair. Ashley l'avait compris, il avait ses démons, et alors mêmes que les siens l'arrachaient parfois à son sommeil, il aurait été malvenu de chercher à les réveiller. Qu'est-ce qui vous a poussé à accepter ce rendez-vous ? Les menaces ? Précisément, reconnut-elle. Je me serais contentée d'un merci, alors vous imaginez ma surprise en entendant parler d'avocats... »
« Je suis confus pour cela aussi. Disons qu'avec ma position, j'ai l'habitude que l'on me fasse chanter. Un geste vague de la main balaya son simulacre d'excuses. C'était la première fois que je mentionnais le service juridique de mon employeur. Cela a quelque chose d'exaltant. » Avec toute l'humilité dont elle était capable, Ashley ne se savait pas moins importante, autant qu'intouchable. Son profil, dans le domaine où elle exerçait, était absomument unique en Australie, et probablement dans toute l'Océanie. Ce n'était pas seulement les compétences acquises à la CIA, mais celles validées par deux bachelors et un master à l'université, ainsi que les langues souvent jugées exotiques qu'elle maîtrisaient sur le bout des doigts. Si un jour quelqu'un menaçait de la traîner en justice, les avocats de Boeing seraient envoyés à sa rescousse, et ils se seraient impitoyables.
« Je ne sais pas vraiment comment me racheter, mis à part en vous offrant ce café. Ainsi, il lui offrait le choix du sujet de conversation. Ses loisirs ? Trop personnel, et si ses soupçons étaient corrects, sûrement n'en avait-il plus beaucoup, de loisirs. L'éventail n'était pas large, en vérité. Ashley saisit tout de même sa tasse par la anse et la porta jusqu'à ses lèvres pour marquer une coupure étudiée. J'aime les histoires, dit-elle en abaissant le récipient après une courte gorgée. Parlez-moi de cette position, poursuivit-elle, ou de ce travail qui poussent les autres à vous faire chanter. Mais pas les problèmes qui y sont liés. De nouveau accoudée, elle soutenait calmement son regard. Plutôt ce qui vous y plaît. » @Saül Williams |
| | | | (#)Mar 9 Nov 2021 - 13:37 | |
| « Si même celui d'un hôtel 5 étoiles ne vous convient pas, je comprends mieux votre réflexion concernant Starbucks. » « Je suis quelqu'un d'exigeant, madame Spencer. » Tant pis pour Ashley. Son prénom s'est perdu en chemin, Saül lui préférant la forme plus formelle. Question de ton. Un sourire tranche pourtant avec l'apparente rigidité des mots de l'homme d'affaires. Ashley est piquante. Il ne la connaît que depuis quelques minutes - leur précédente rencontre étant toute oubliée dans l'esprit de Saül - mais il sait déjà que le rendez-vous ne sera pas si ennuyeux qu'il en avait l'air. Déjà par messages, les choses s'annonçaient... cocasses. En attendant, Saül se confond en excuses, reprenant un ton un peu plus formel et abandonnant au passage le sourire en coin qui marquait jusque là ses traits. « Cessons simplement d'en parler. Hier n'est plus, et demain n'est pas encore. » Elle adopte une position plus confortable mais Saül ne fait pas encore de même. Des adversaires comme elle, il en a connu des tas. Des gens qui se cachent derrière de faux pardons et qui attendent des tas de choses en retour, il y en a des tas sur Terre. Son apparente décontraction intrigue pourtant le quarantenaire : s'il avait été ainsi dérangé, les choses n'en seraient pas restées là. Qu'est-ce qui pousse une femme comme elle a accepter un rendez-vous avec l'homme qui lui a probablement gâché sa soirée ? Des menaces ? « Précisément. Je me serais contentée d'un merci, alors vous imaginez ma surprise en entendant parler d'avocats... » Encore ce ton amusé. Cette fois-ci, Saül laisse tomber ses épaules. L'attitude décontractée de Ashley est déconcertante, mais néanmoins communicative.
« C'était la première fois que je mentionnais le service juridique de mon employeur. Cela a quelque chose d'exaltant. » Un rire s'échappe cette fois d'entre les lèvres de l'italien. Qui est-elle, l'ingénue sur qui semble peser tout un tas de responsabilités ? Elle semble aussi droite que facilement distraite, aussi intègre qu'espiègle. Et Saül se maudit de l'avoir remarqué avec tant de facilité. « C'est toujours comme cela, la première fois. Ne laissez personne vous enlever cette satisfaction. » A force de menacer tout le monde d'envoyer ses avocats, Saül ne ressent plus rien d'exaltant dans le fait de proférer cette menace. Quelques procès réglés à l'amiable plus tard, les menaces ne font sur lui qu'un effet très moindre... sauf lorsqu'il s'agit d'affaires dans lesquelles l'Etat pourrait mettre son nez.
Comment se racheter, alors ? Maintenant qu'ils ont eu leur rendez-vous, comment le rendre moins ennuyant ? En vérité, Saül se sent bien, assis sur cette chaise. La présence d'Ashley a quelque chose de plaisant. Mais quoi ? « J'aime les histoires. Parlez-moi de cette position, ou de ce travail qui poussent les autres à vous faire chanter. Mais pas les problèmes qui y sont liés. » Un froncement de sourcils ponctue la tirade de sa comparse. « Plutôt ce qui vous y plaît. » « Je pourrais vous raconter n'importe quoi. » Mais quelque chose lui dit que sa comparse n'en gobera pas un mot. Par où commencer ? « Je dirige une entreprise qui gère des joailleries partout dans le monde, mais surtout ici, en Australie. » Un poste qui ne permet pas de tremper dans de drôles de scandales publics. Le grand patron, pourtant, flirte toujours avec les limites du raisonnable. Dans ce domaine aussi, il est le roi. « J'y trouve un peu de nostalgie. De l'ère des monarques, vous voyez. Sur le plus haut des sièges, on se sent comme un roi. » Un sourire passe sur les lèvres de l'italien. « On se sent capable d'emmerder n'importe qui et d'être intouchable. » Et tout cela est vrai, mais ce n'est pas pour autant que Saül n'attend pas le bon moment pour désamorcer la bombe qu'il se garde sous le coude. « Vous portez des micros ? C'est pour le FISC, je n'ai aucune envie qu'ils aillent fouiller dans mes comptes. » Après un bref silence, le quarantenaire se fend d'un rire. « Je plaisante. » Ou pas. « Vous êtes sûre que vous ne cherchez pas un nouvel emploi ? Je vous verrais bien en haut, vous aussi. Pour tout un tas de raisons. » Et elles sont toutes plus déraisonnables les unes que les autres. |
| | | | (#)Mer 17 Nov 2021 - 17:03 | |
| « Je suis quelqu'un d'exigeant, madame Spencer. » Bizarrement, Ashley n'avait aucun mal à y croire. Leur échange de textos lui avait fait comprendre que Saül Williams était un habitué de l'Emporium, et probablement d'un tas d'autres établissements étoilés. C'est qu'à l'exception des touristes de luxe, on se retrouvait rarement dans un tel lieu par hasard, où même le prix du café pouvait se montrer dissuasif. Celui de la rousse, en l'occurrence, commençait déjà à refroidir. Mais ce n'était de toute façon qu'un prétexte. Une excuse. Au-delà de ces fameuses menaces, l'homme avait indubitablement piqué sa curiosité. Se faire ramasser à la sortie d'un bar, et être capable d'invoquer la défense de son image à l'encontre de son bon Samaritain, c'était d'une audace et d'une ironie telle que Saint Luc n'aurait pu l'imaginer dans son Evangile. Il restait sur la défensive, d'ailleurs. Elle le voyait, et se demandait combien de coups bas on avait tenté de lui porter par le passé pour qu'il maintienne ainsi sa garde, alors même qu'elle se détendait. Après tout, qu'avait-elle à craindre, si ce n'était que leur rencontre tourne au vinaigre, et qu'elle ait perdu sa soirée en venant ici ?
« Je pourrais vous raconter n'importe quoi. Il pourrait, oui. Mais elle pourrait aussi entrer son nom sur Google une fois de retour chez elle, et probablement obtenir son content d'informations. C'était le pouvoir souvent négligé d'Internet. La meilleure invention pour les services de renseignements depuis les satellites, et elle était accessible presque n'importe où. Une merveille. Je dirige une entreprise qui gère des joailleries partout dans le monde, mais surtout ici, en Australie. Un PDG. Elle y était presque en pariant sur le statut de directeur. Qu'il gère une chaîne de joailleries expliquait qu'elle n'ait jamais entendu son nom auparavant. Le domaine de l'aérospatiale et celui des bijoux n'avaient pas grand chose en commun, et Ashley elle-même n'était pas très portée sur les parures ou les joyaux. La faute à une vie menée dans des milieux essentiellement masculins. J'y trouve un peu de nostalgie. De l'ère des monarques, vous voyez. Sur le plus haut des sièges, on se sent comme un roi. » Elle se demandat s'il était sérieux. Son sourire, qu'elle lui rendit avec dérision, lui mettait le doute. Il poursuivait. Être capable d'emmerder tout le monde, elle avait connu. Sa spécialité, c'était justement ceux qui se pensaient intouchables.
« Vous portez des micros ? C'est pour le FISC, je n'ai aucune envie qu'ils aillent fouiller dans mes comptes. Humour ou non, la rousse ne serait pas étonnée que son interlocuteur se prête au jeu de l'optimisation fiscale. Rien d'illégal, mais c'était monnaie courante, lorsqu'on commençait à accumuler des sommes déraisonnables. Et s'il dirigeait une entreprise implantée sur plusieurs continents, alors... De nos jours, lui confia-t-elle, les plus aboutis sont à peine plus grands qu'un bouton de manchette. Voilà qui devrait lui donner matière à réfléchir, peut-être même l'alarmer un peu. Et ça serait sa faute, de lui avoir tendu ainsi la perche. Vous êtes sûre que vous ne cherchez pas un nouvel emploi ? Ses yeux s'ouvrirent un peu plus grand, l'interrogeant du regard. Je vous verrais bien en haut, vous aussi, lui lançait-il. Pour tout un tas de raisons. Méfiance, lui chuchota une petite voix à cet instant. L'homme qui flatte tend un filet sous ses pas. J'apprécie la proposition... assura-t-elle, mais je préfère rester à l'écart des projecteurs. D'aucun pourrait arguer que s'afficher avec un directeur d'entreprise à l'Emporium, ce n'était pas " rester à l'écart des projecteurs ". Il n'y a pas de photographes qui nous attendent dehors, n'est-ce pas ? »
L'inquiétude n'était qu'à moitié feinte. Ashley souhaiterait éviter que sa photo ne se retrouve dans un journal ou un magazine people d'ici les prochains jours. La célébrité, même le temps d'un jour, n'était absolument pas ce dont elle avait besoin dans sa vie. C'est à ce moment que le serveur choisit de revenir. Un " Madame ? Monsieur ? " plus affirmé que précédemment. Il fallait lui reconnaître sa ténacité, et son désir de revanche pour avoir été rebuffé la première fois, peut-être. Après un bref regard à son interlocuteur, l'ex-espionne choisit d'aller au devant. « Nous allons prendre un Chardonnay, dit-elle en souriant à l'employé. Peu importe lequel, tant qu'il vient de France. En l'absence de carte, elle parierait toujours sur le pays du vin, dont sortaient les meilleurs crus, et nul doute que l'hôtel en avait en quantité dans sa cave. Le regard de la rousse, lui, revint à Saül. Sauf si monsieur Williams souhaite autre chose ? Tant pis pour le prénom. » @Saül Williams |
| | | | (#)Mar 30 Nov 2021 - 15:57 | |
| « De nos jours, les plus aboutis sont à peine plus grands qu'un bouton de manchette. » « Je suis heureux de constater que vous ne portez pas de manchettes, dans ce cas. » Il mire pourtant les boutons de son blazer, attarde un instant son regard sur la peau de son cou en remontant jusqu'aux yeux de son interlocutrice. Elle est un parfum, un souvenir du passé. Une couleur de cheveux, aussi. Il est difficile de rester devant elle sans se l'avouer. Soudain, c'est Ariane qu'il voit passer la porte. C'est Ariane qu'il voit en train de s'installer devant lui, cheveux lâchés et air goguenard. Elle a l'allure de leur première rencontre, devant les fraises. Ashley a l'allure d'une femme que l'on ne rencontre qu'une fois à laquelle se mêle douloureusement l'image d'un fantôme du passé. D'un léger soupir, Saül chasse le souvenir de sa vue. Les négociations sont de mises, et même si c'est peut-être un peu pour plaisanter, Saül ne se laissera pas attendrir par la vue d'un spectre. « J'apprécie la proposition... mais je préfère rester à l'écart des projecteurs. » « Quel dommage. » Elle prendrait si bien la lumière. Saül l'imagine déjà parée de colliers et de montres, en tête des grandes affiches que Michael Hills expose parfois pour annoncer une collection à la suite d'un défilé. La lumière des projecteurs est cependant effrayante, peut-être trop vive pour le spécimen raffiné qu'est Ashley. Un autre jour, elle acceptera peut-être la proposition, à moins qu'elle ne tienne trop à son ombre protectrice. Cette ombre manque parfois à Saül. Sous le parapluie de l'anonymat, tout un tas de choses pouvaient se dire et se faire. Voilà pourquoi l'italien aime sa position : elle est en pleine lumière pour les gens qui nagent avec les requins de son espèce, mais elle est aussi ombre pour le reste du commun des mortels. C'est une place parfaite, confortable, que Saül entend garder autant que possible. Pour toujours, s'il fallait préciser un peu plus.
« Il n'y a pas de photographes qui nous attendent dehors, n'est-ce pas ? » Sourcil haussé, Saül esquisse un sourire. « Et que verraient-ils, sinon des amis sortant d'un endroit comme celui-ci ? » Même si la réplique d'Ashley était une plaisanterie bien sentie au sujet de la célébrité de l'homme d'affaires, Saül entend la rassurer. Les paparazzis ne suivent pas des gens comme lui. Les détectives suivent des gens de sa trempe, Elise aurait pu en engager des tas à l'époque. Ils n'auraient jamais rien trouvé. Saül sait comment marchent ces choses là. Les hôtels sont des nids à infidèles, mais Saül y a toujours ses quartiers. « Vous resterez dans l'anonymat le plus total, ne vous en faites pas. Vous êtes protégée tant que vous ne mettez pas un pied dans l'océan des méchants poissons. » Après, les gens spéculent. Déjà, tous les collègues et amis de l'homme d'affaires parlent du mariage de son fils. Cosimo est un grand garçon qui travaille aussi chez Michael Hills mais les rumeurs à son sujet vont bon train. Tant que personne ne sait pour sa liaison avec Angus Sutton, tout ira bien.
C'est alors que le serveur revient, entortillé dans sa gêne de faire à nouveau face à l'ours qui lui sert de client. « Nous allons prendre un Chardonnay. Peu importe lequel, tant qu'il vient de France. » A ces mots, l'italien se glace. C'en est trop pour ce soir. Les cheveux, le prénom, le rire et le vin. Sa gorge se serre douloureusement alors que les regards se tournent vers lui. Saül garde la face, apercevant à nouveau le fantôme d'Ariane qui quitte cette fois la pièce, une bouteille de champagne à la main. L'élégante robe rouge qu'elle portait à Paris dans ce maudit ascenseur est à nouveau à l'honneur pour ce soir et Saül attarde son regard sur ce point qui n'existe que pour ses yeux. D'un battement de cils, il revient pourtant à la réalité et à Ashley. Ashley, Ashley, Ashley. Son prénom, c'est Ashley. Et pas Ariane. « -sieur Williams souhaite autre chose ? » Un silence ponctue la phrase qu'il n'a entendu qu'à moitié. Son regard se porte soudain sur le serveur qu'il gratifie d'un sourire composé comme cela est possible. « Vous, vous allez appeler un taxi pour Madame Spencer. » D'une main, Saül sort quelques billets de son portefeuille pour régler les frais de la soirée, ainsi que le service du barman. « Ne contestez pas. Je n'avais pas vu l'heure, je dois mettre un terme à notre rendez-vous. » D'un seul mouvement, Saül se lève et attrape la main d'Ashley. « J'espère vous revoir bientôt et pas entre deux portes, cette fois-ci. » Ce n'est pas une poignée de main dont Saül gratifie Ashley mais bien d'un baise-main comme il s'amusait à faire dans sa jeunesse. Sont-ils plus amis maintenant qu'il y a quelques temps ? Peut-être pas. Pour l'heure, Saül suit prestement le fantôme d'Ariane, le parfum d'Ashley encore en tête. |
| | | | (#)Jeu 13 Jan 2022 - 10:56 | |
| « Je suis heureux de constater que vous ne portez pas de manchettes, dans ce cas. Trop masculin à mon goût. » S'il y avait une chose dont Ashley ne se débarrasserait de sitôt, au-delà des écueils de son précédent métier, c'était encore son éducation. Elle n'en était pas au point d'attendre le mariage, ou d'avoir pour seule perspective d'avenir le statut de femme au foyer, mais il y avait tout de même certaines choses que l'ex-espionne mettait un point d'honneur à respecter, des petits détails pouvant passer inaperçus qui faisaient pourtant d'elle une femme plus proche du 20ème siècle que du 21ème. Avec toutes les critiques que cela pouvait justifier auprès de ses pairs, elle n'était sûrement pas la seule dans ce cas. Je préfère les cacher sous ma veste. Etait-ce une façon de l'encourager à regarder ? Peut-être se figurait-il qu'à un mètre de distance à peine, la façon dont ses yeux se promenaient sur elle à cet instant lui échappait. Ashley souleva de nouveau sa tasse, trempant ses lèvres dans le reste du breuvage. Pas de traces de rouge à lèvres sur le bord du récipient, son maquillage ce soir était léger et naturel, à l'instar de celui qu'elle portait souvent au travail. Ses vêtements et sa coiffure étaient les seules choses qu'elle avait changées pour cette rencontre.
« Et que verraient-ils, sinon des amis sortant d'un endroit comme celui-ci ? C'était à lui d'y répondre, sûrement plus habitué qu'elle à cet aspect. Elle, elle se trouvait généralement derrière l'objectif, plutôt que devant. Mais il n'avait pas tort : elle pouvait être n'importe qui. Une collaboratrice, une concurrente, une collègue... En ce qui concernait le statut d'amie, elle ne se prononcerait pas encore. Il était un peu tôt pour cela à son goût. Vous resterez dans l'anonymat le plus total, assurait-il, ne vous en faites pas. Vous êtes protégée tant que vous ne mettez pas un pied dans l'océan des méchants poissons. Cela la fit sourire. Non seulement y avait-elle déjà mis les deux pieds, dans cet océan, mais elle s'y était jetée toute entière, nageant contre les courants alors que s'y formait parfois un maelström, sublimant l'art de sa profession et sa personnalité. Pourtant, à ses yeux, elle n'était qu'une femme avec un peu de bagoût et d'autorité. Et c'était mieux ainsi. Et quel est-il, cet océan, exactement ? s'enquit-elle. Le vôtre ? » Une façon de l'encourager à en dire plus, une question à laquelle Ashley s'attendait à ce qu'il réponde autour d'une bouteille de vin. Mais Saül Williams semblait en avoir décidé autrement quand il reprit la parole.
« Vous, vous allez appeler un taxi pour Madame Spencer. » Derrière l'étonnement, un contre-ordre rapide. Je suis venue en voiture. Et elle comptait rentrer avec. La place de sa Camaro n'était pas abandonnée sur un parking. Mais plus important, que faisait son hôte à sortir ces billets ? Ne contestez pas, dit-il comme s'il anticipait sa question. Je n'avais pas vu l'heure, je dois mettre un terme à notre rendez-vous. Il n'avait pas vu l'heure ? Cela ne faisait même pas vingt minutes qu'ils discutaient. De quelle heure parlait-il ? Devait-elle en conclure qu'ils s'étaient tous deux déplacés jusqu'ici pour faire à peine plus que se croiser ? C'était visiblement le cas, et elle réagit à peine quand il lui baisa la main, prouvant un goût pour les manières désuètes qui n'était pas forcément malvenu. J'espère vous revoir bientôt et pas entre deux portes, cette fois-ci. Trop surprise pour piper mot, Ashley se tourna vers le serveur. Celui-ci, interdit, était peut-être encore plus abasourdi qu'elle. Il la fixait en retour, semblant attendre quelque chose. Quoi ? Elle comprit après un court instant. Le Chardonnay. Mettez-le à emporter. Elle se sentirait trop stupide d'abandonner sa commande juste après l'avoir passée, tout comme elle se sentirait stupide de boire seule ici. Un millésime des caves de l'Emporium, ça serait une belle addition à sa collection. |
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