J'ai fait en sorte que le lodge familiale était libre ce week-end car j'ai décidé d'y emmener ma sœur. Après cette année passée à Brisbane, j'ai l'impression qu'il n'y a pas eu de vrai changements positifs dans la vie de cette dernière et que son moral était pareil à des montagnes russes. D'autant plus maintenant que Nathan est parti en mer pour une durée indéterminée, son humeur est pire qu'un yoyo. Elle enchaînes les phases où elle est presque exubérante et celles où elle déprime un peu trop et où rien ni personne ne peut l'atteindre. Du coup, j'ai décidé d'attraper le taureau par les cornes et j'ai débarqué chez elle, jouant sur l'effet de surprise pour lui faire comprendre quelle n'a pas le choix que celui de me suivre. Je crois qu'elle m'en veux un peu car elle n'a pas sorti un seul mot tout au long du trajet et dieu sais que 4h de route jusque dans les montagnes avec quelqu'un qui ne parle pas, c'est long. Très long. Mais au moins elle ne m'a pas soûler par rapport à ma musique qui, je le sais, n'est pas de son goût. Mais je sais qu'elle a juste besoin d'un peu de temps pour sortir de sa bulle. Et je sais exactement comment le faire.

Lorsque je me gare devant le chalet et que j'éteins le contact, je me tourne vers Shiloh et lui souris  «Deux jours et deux nuits, c'est tout ce que je te demande » dis-je doucement  « On ira se promener, on mangera des conneries, on boira autant de vin que tu veux et on discutera si tu le souhaite. Ok ?» je plonge mon regard dans celui de la jeune femme  « Je veux juste que tu te change les idées » et je veux surtout t'aider à aller mieux et à prendre conscience que malgré tout la vie continue et elle est belle ajoutais-je pour moi-même alors que je sors de la voiture que je contourne pour récupérer les affaires dans le coffres  «Allez, vient » lui lançais-je alors que je m'avance vers l'entrée du chalet.

Tout ce que je voulais était de rester enfermer dans mon appartement pour le week-end. Depuis le départ de Megan, j’ai comme la sensation d’avoir fait une quinzaine de pas en arrière. Ce n’est pas comme si ma meilleure amie avait quitté la ville ou m’avait tourner le dos – c’était plutôt mon genre – elle avait simplement décidé de vivre avec son petit ami. Si je suis incroyablement heureuse pour la photographe, il n’empêche que le vide de sa présence semblait résonner avec bien trop de puissance. C’est comme si Louisa avait pu le ressentir depuis l’autre bout de la ville pour venir me kidnapper sans même me donner mon avis.

Ce n’est pas que je n’ai pas envie de passer un peu de temps avec ma sœur, mais j’aurais aimé qu’elle me prévienne. J’ai dû faire mon sac à en quelques secondes sous son regard qui ne me laissait aucune chance de m’échapper sans qu’elle ne veuille m’annoncer la destination. Comme un coup de vent, elle venu chambouler le cocon que j’avais instauré autour de ma personne et je n’ai pas su lui dire non. Peut-être que j’aurais dû proposer une alternative qui impliquait de rester à l’appartement pour manger de la glace le temps d’une soirée avant de la mettre dehors le lendemain matin. C’était mal connaître Louisa.

Je ne voulais pas m’enfermer dans ma bulle, j’aurais voulu marquer une contestation, dire ce que je pensais, mais trop rapidement, je me suis retrouvé sur le siège passager à tenter de ne pas entendre la musique affreuse diffuser par la stéréo. Louisa n’intervient pas de manière innocente, elle va vouloir que l’on parle. Elle va me demander des explications et des vrai cette fois. Elle va vouloir connaître toute l’histoire et je ne suis pas sûre d’être en mesure de pouvoir lui offrir tout cela. Alors j’angoisse, à chaque virage, à chaque kilomètre que l’on avale. Au bout de quelques heures, je finis par reconnaître la route qui mène au lodge que les parents avaient acheté alors que l’on était encore petit et soudainement, Nathan me manque encore plus que d’habitude. Les pensées se multiplient et m’avalent tout entière faisant se dérouler le voyage dans un silence qui pourrait presque me plaire.

Une fois dans la maison, j’observe les lieux d’un air presque nostalgique. « Ça fait si longtemps que je ne suis pas venu ici. » En haut, à gauche de l’escalier, se cache la chambre que j’ai toujours partagée avec Nathan. Dans le jardin, il y a encore probablement des traces de toutes nos frasques et dans la cuisine la marque de brûlure laissée par une Louisa qui tentait de cuisiner le déjeuner. « Arrête de t’inquiéter Lou. » Je le vois dans son regard qui ne cesse de me suivre à la trace depuis que je suis sorti de la voiture. « On peut faire comme si rien n’avait existé ? » Juste un temps, juste quelques heures s’il le faut. Pas de photos compromettantes, pas d’ex abusif. Juste deux sœurs qui tentent de se retrouver dans un contexte parfois si particulier. Je me tourne vers elle pour lui adresser un léger sourire qui reste malgré tout bien trop timide. « J’ai envie d’aller voir le lac. » C’est bien le lac, c’est la nature, c’est le calme. C’est surtout bien loin de tout ce qui me tracasse.

Lorsque mon regard se pose sur le lodge, je suis envahie par un sentiment de douce nostalgie. Peu importe les frictions familiale qu'il y a pu avoir entre nous, nous arrivions toujours à passer plusieurs jours ici sans se prendre la tête. C'est comme si cet endroit était magique et réussissait à lui même d'apaiser les tensions qui passaient par là. J'aurais du pensé à cela bien plus tôt et j'aurais dû ramener Shiloh ici dès son retour en ville, peut-être que ça lui aurait éviter tous les soucis qu'elle a actuellement dans sa vie.

C'est avec un petit soupire que j’accueille ses paroles lorsqu'elle me dit que je dois cesser de m'inquiéter. «Rien que je fais que tu dises que ça fait que je m'inquiète encore plus » avouais-je en grimaçant légèrement. Nous sortons toutes les deux de la voiture et j'allais récupérer mes affaires lorsque ma sœur me supplie de faire comme si rien n'avait exister. Relevant la tête, je l'observe quelques instants puis hausse les épaules «Si c'est ce que tu veux, alors on fera ça » dis-je avec douceur avant de contourner à nouveau la voiture et rejoindre la jeune femme qui m'informe qu'elle aimerait aller au lac. « Eh bien allons-y» déclarais-je en indiquant le chemin qui passe à côté de la maison et qui nous permettra de rejoindre directement l'étendue d'eau qui se trouve, littéralement, dans le jardin.

C'est en silence que nous contournons la maison et que nous empruntons le petit sentier « c'est dommage que le lodge ait été laissé a l'abandon ces derniers mois» dis-je en observant les plantes et les mauvaises herbes qui avaient eu le temps de pousser de façon incontrôlé depuis la dernière que quelqu'un de nous avait mit un pied ici. « faudrait qu'on s'occupe un peu du jardin» ajoutais-je alors que je rattrape ma sœur qui est déjà presque arrivée au lac.

Me plaçant à ses côtés, je croise les bras devant moi alors qu'un doux sourire apparaît sur mes lèvres. « J'oublie toujours à quel point c'est magnifique comme endroit» dis-je dans un souffle «Ils ont prévu du beau temps en plus ce week-end» ajoutais-je avant de soupirer et me tourner complètement vers Shiloh «Comment ça va ? » demandais-je finalement «Genre ...vraiment... »

L’endroit semble comme figer dans le temps, une autre période de ma vie, quand l’innocence était encore de mise. J’adorais venir ici tous les étés, parce que l’on avait tout notre temps libre pour jouer à des jeux, parce que papa et maman nous laissaient veiller un peu plus tard le soir à nous raconter des histoires autour du feu. En grandissant, on avait préféré faire de longues randonnées jusqu’au lac et le soir, je passais mon temps à coudre, assise sur le porche de devant. Une fois, on a même eu le droit de venir au lodge avec notre bande de copains et ce fut la meilleure semaine de vacances de toute notre vie. Il n’y a que des bons souvenirs liés à cette maison et je comprends pourquoi Louisa à tellement tenu à m’amener ici. Je suis apaisée en ce lieu même si ma sœur, elle, semble encore un peu stressée. « Lou… Ça va aller. » C’est ce que je ne cesse de répéter depuis le soir où j’ai débarqué chez elle en pleurs et aux prises d’une énorme crise de panique suite à la publication des photos. J’ai su renfiler mon masque à toute vitesse et c’est bien cela qui ne lui plaît pas à mon aînée.

La maison semble un peu plus vieille que dans mes souvenirs et lorsque l’on dépose nos affaires dans le salon, je réalise que cela fait bien longtemps que personne n’est venu par ici. « Les parents sont bien occupés. » Et surtout, ils n’ont plus leurs enfants autour d’eux pour profiter de cet endroit. Cela doit être plus dur en étant simplement à deux. Je fais tout de même le tour de la pièce pour ouvrir les volets et laisse quelques fenêtres ouvertes, ça ne fera pas de mal d’aérer un peu. « Tu sais que je n’ai toujours pas la main verte. » Maman s’en plaignait assez souvent quand je voulais toujours l’aider au jardin, mais que je finissais par écraser des fleurs ou faire mourir une plantation. Je n’ai jamais été très douée dans ce domaine.

Ce n’est pas ce qui importe le plus lorsque je laisse mes doigts venir s’enlacer à ceux de ma sœur, pour aller faire un tour dehors. L’endroit est particulièrement calme, ne laissant s’entendre que dans un écho, les différents bruits de la nature. La ville semble être à des milliers de kilomètres et tous les soucis avec. Jusqu’à ce que Louisa s’inquiète à nouveau alors que l’on venait tout juste d’arriver près du lac. « Lou… » Je voudrais profiter de l’instant présent, juste souffler un moment, mais je comprends ce qui la tracasse depuis le début. Elle n’est pas habituée à mon silence quand je lui ai toujours tout dit. Elle était ma confidente, avant c’est à elle que j’ai parlé de mon premier crush, à elle que j’ai demandé des conseils quand j’ai voulu passer à l’étape supérieure avec Théo. C’est elle qui m’a appris à conduire, elle qui me donnait toujours les meilleurs conseils. Et j’ai brisé cette relation si privilégiée, en coupant les ponts avec elle. « Ça ne va pas. » Je ne peux pas être plus honnête qu’à cet instant, quand mes doigts lâchent les siens pour me permettre de mettre une légère distance entre nous. J’ai besoin de lui tourner le dos afin de déverser tout ce qui se retient dans un coin. « Je ne sais plus vraiment qui je suis Louisa et… Ça me fait peur parfois. » Il avait vraiment tout détruit en moi. « J’ai retrouvé mon travail, mais je n’ose rien entreprendre. » Je passe la majorité de mon temps à attendre que l’on me donne des ordres pour les effectuer sans jamais prendre d’initiative et je sais que cela a déjà attiré le regard de James. « Megan déménage et ça m’inquiète de vivre seule. » Ce n’est en aucun cas un reproche envers ma meilleure amie, mais plutôt une vérité qui m’assaille depuis plusieurs jours déjà. « Et je crois que j’ai peur des hommes. » Tout le temps, sans vraiment savoir l’expliquer réellement. Je me paralyse d’un rien et voilà que j’ai la sensation d’en avoir déjà trop dit.

Je sentais que Shiloh avait besoin de sortir de la ville. Dans son appartement à Brisbane, elle étouffait à toujours rester enfermer chez elle, paniquant au moindre bruit suspect. J'aimerais tellement pouvoir faire plus et rester auprès d'elle 24h sur 24, mais mon travail ne me le permet pas et elle ne souhaite pas non plus être materné à ce point. Alors que je la laisse tranquille, avec l'inquiétude qui me tient au corps, ne sachant pas dans quel état émotionnel je risque de la retrouver la prochaine fois que nous nous verrons. D'autant plus qu'elle est devenue tellement discrète et tellement renfermé que je suis incapable de la comprendre, elle et ce qui se passe dans sa tête. Ce week-end dans notre chalet familiale était obligatoire. Autant pour elle pour qu'elle puisse respirer un peu plus que pour moi pour pouvoir avoir un œil sur elle.

Ensemble, nous nous dirigeons directement vers le petit chemin qui mène au lac. J'en profite pour commenté un peu à quel point c'est dommage que le lodge soit à l'abandon ces derniers temps, ce à quoi Shiloh répond que les parents sont occupés. Hochant doucement la tête, j'hausse les épaules, souriant doucement lorsqu'elle reprend qu'elle n'a toujours pas la main verte  «C'est vrai que t'es une des rares personnes sur terre à réussir à tuer à cactus » je laisse échapper un rire alors que j'accélère le pas pour rejoindre ma sœur qui s'est arrêté face au lac.

Debout l'une à côté de l'autre, je sens ses doigts qui cherchent les miens et ouvre la main accueillir la sienne. Et enfin, elle commence à parler et à s'ouvrir sur ses sentiments. Je lui lance un coup d’œil discret mais ne la regarde pas, ne voulant pas la brusqué en la fixant comme je le fais souvent. D'une petite voix, elle m'avoue ne plus savoir qui elle est, d'avoir peur d'entreprendre quoique ce soit au sein de son boulot, qu'elle flippe à l'idée que sa meilleure amie déménage et qu'elle a peur des hommes. En même pas deux minutes elle me dit beaucoup plus qu'elle ne m'ait révélé depuis qu'elle est de retour en ville.

 «Je comprends Shiloh » c'est avec cette phrase qu'on commence en général, non ? On indique ainsi à la personne que ses sentiments sont légitimes et qu'on ne la juge pas.  «C'est tout à fait normal de ressentir tout ce que tu ressens » vu par quoi tu es passé  «Mais ça va revenir, tu sais ? Un jour tu te réveilleras et tu te demandera ce qui a changé. Et la différence entre ce matin là et la veille, c'est que tu te sens bien. Tu te sens d'attaque et pleine d'énergie. Ça durera deux jours, deux mois, peut-être deux ans, puis tu auras de nouveau un moment où ça n'ira pas. Mais ce moment là sera moins grave parce que tu sais exactement que tu pourras t'en sortir. Si tu as réussi à goûter à nouveau au bonheur une fois, tu réussiras une deuxième fois. Puis une troisième. Puis quatrième. Jusqu'à ce que plus rien ni personne ne pourras te miner le moral. » je fini par me tourner totalement vers ma sœur et attrape son autre main  « Tu n'es pas seule Shiloh, tu ne le seras jamais » je lui adresse un sourire rassurant  «Tu t'en sortiras, je n'en ai aucun doute là-dessus » je lâche une de ses mains et la passe sur sa joue  «Megan aussi ne sera jamais loin. Elle quitte ses côtés mais pas ton cœur, ses choix de vies n'auront aucun impact sur votre amitié » j'ai beau le dire sur un ton assuré, j'avoue que je n'en aucune idée en vrai tant je ne connais pas la jeune femme.

 «Et pour les hommes...eh bien... » je me recule un peu  « T'as jamais voulut essayé les femmes ?» demandais-je sur un ton plus léger  « J'ai quelques amies qui étaient persuadé être 100% hétéro lors de leur adolescence, puis elles ont ouvert un peu leur esprit, ont tenté la chose avec les filles et c'était la révélation. Genre c'est ce qui leur manquait quoi » je souris doucement  « Et j'en connais aussi quelques unes qui se feraient une joie de te montrer ce chemin si tu te décide de l'essayer» et je suis sérieuse à 200%.

Longtemps, j’ai redouté ce moment où j’allais me retrouver complètement seule avec ma sœur. C’est loin d’être une corvée et j’adore passer du temps avec elle, mais Louisa a toujours été celle qui sait lire en moi comme dans un livre ouvert. Elle n’a pas sa langue dans sa poche et se fiche de, souvent, mettre les pieds dans le plat. Pourtant, aujourd’hui, il semblerait qu’elle est décidée de choisir une technique bien plus douce, m’emmenant au milieu de souvenirs d’enfance qui résonne de gaieté et me donne le sentiment de retrouver un certain équilibre dans une bulle qui se veut rassurante. Les environs ne peuvent qu’amener du réconfort quand je reconnais chacun des chemins et que la maison est emplie de bons souvenirs en famille. Même si le jardin tombe un peu en désuétude, la familiarité est présente malgré tout. Il est presque aisé de finalement ouvrir la bouche pour laisser s’écouler les mots qui cherchent à traduire mes émotions. Tout semble brouillon, pas vraiment clair, loin d’être parfaitement explicite, mais les mots s’échappent enfin de la muraille que je n’ai de cesse de construire autour de moi. Je vois la surprise dans les yeux de ma sœur, ce petit instant où je comprends qu’elle ne sait absolument pas comment réagir et que peut-être, j’aurais mieux fait de me taire. Le rouge me monte aux joues tandis que Louisa cherche ses mots. Elle hésite une demi-seconde, avant de reprendre son rôle à la perfection en mettant des mots sur ce que j’ai encore tant de mal à accepter. La guérison sera longue, les démons jamais loin, mais tout me bouffe encore avec force, chacune de ses expressions, tout ce qu’il était en capacité de faire pour me mettre à genou devant lui. « Parfois, je me dis que je ne serais jamais capable. » Incapable de respirer sans lui, de sortir la tête hors de l’eau sans me rappeler tout ce qu’il a su encrer sur ma peau. « Il est jamais loin, j’entends encore tout ce qu’il me disait. » Chacun de ses mots qu’il me crachait avec force, tout ce qu’il a su me dire pour me rappeler que je ne suis personne. « Vous comprenez pas. » Pour eux, tout semble si simple, à me répéter qu’il était un connard tout s’arrange. C’est loin d’être le cas… Je ne suis pas seul, certes, mais j’ai la sensation que personne ne comprend réellement.

Je voudrais conclure la conversation, dire que tout cela n’était qu’une bêtise. Tout faire pour passer à autre chose, mais voilà que Louisa propose de me présenter des filles. « Mais de quoi tu parles ? » Je n’ai jamais eu de soucis avec la sexualité de ma sœur ou de n’importe qui d’ailleurs, mais je ne comprends pas qu’elle puisse me proposer cela comme on pourrait me proposer de tester un gâteau. « Je veux rencontrer personne Louisa. » Parce qu’on me brisera le cœur, parce que je suis pas assez forte, parce que ce n’est clairement pas le moment. « Tu veux chercher à me changer toi aussi ? » Est-ce que je vais devenir le pantin de ma famille désormais ? Pour mieux coller à l’idée parfaite qu’ils ont de ma personne ? Soudainement, je ne me sens plus aussi bien et je voudrais n’avoir jamais lancé cette stupide conversation.

Shiloh a toujours cette habitude de se refermer comme une huître lorsqu'on arrive à parler de sujets sensibles. Si bien que j'ai compris, à mes dépends souvent, que ma technique directe n'était souvent pas la bonne. Ainsi je tente une autre approche aujourd'hui en l'emmenant dans cet endroit qui signifie autant pour moi que pour elle. Peut-être même plus pour elle en vrai. Dans tous les cas, c'est là, face au lac et dans le calme qui nous entoure que je décide de tenter de retrouver à nouveau le chemin vers son cœur. Je ne suis pas psychologue, je suis même loin d'avoir assez d'empathie pour qui que ce soit, mais pour Shiloh je peux bien faire un effort. Ma voix est douce lorsque je m'adresse à elle, mes mots sont choisis avec le plus grand des efforts et dans la plus grande des réflexions.

Et pourtant, ça ne fonctionne pas. Elle retourne dans ses retranchements, se dénigre encore et toujours et fini par dire qu'on ne comprend pas.  «Effectivement, je ne comprend pas » confirmais-je ses paroles, toujours avec douceur et bienveillance  « Mais tout ce que je sais c'est que nous sommes là. Tous. Autant que nous sommes. Prend le temps qu'il te faut, mais n'oublie que tu es aimé et que chacun d'entre nous est prêt à t’accueillir dans nos bras dès que tu en as besoin»

Mes doigts se resserrent encore une fois autour de la main de ma sœur avant que je ne lui pose la question de trop. C'est pourtant sans aucune arrière pensées que je lui demande si elle n'a pas envie de tenter 'l'autre côté'. Si les hommes lui font peur, peut-être qu'elle serait plus à l'aise aux bras d'une femme ? J'avoue que je suis tellement perdue avec Shiloh que je propose ça un peu en dernier recours, mais si ça peut l'aider, franchement, pourquoi pas ? Malheureusement, la jeune femme ne le prend absolument pas comme et, au contraire, va jusqu'à insinuer que je souhaite 'aussi' la changer.

 « Woh, woh, tout doux» dis-je en levant les mains en signe d'innocence  « Alors déjà, non, je ne veux pas te changer. Clairement.» je secoue la tête  « C'était qu'une proposition. Mais vu comment tu réagis on va tout de suite l'oublier» dis-je en hochant la tête  «faut pas le prendre mal, j'essaie juste de comprendre et savoir ce que je peux faire de plus pour t'aider à te sentir mieux... » j'avoue enfin à haute voix que je n'ai vraiment aucune idée de comment atteindre ma sœur ou comment l'aider.

Au fond de moi, je sais. Tout ce que me dit Louisa, je le sais. Qu’ils seront toujours présents pour moi, que je ne devrais jamais hésiter à me tourner vers ma famille. Bien sûr que j’en ai conscience, même si Nathan ne cesse de jouer aux abonnés absents, même si on n’arrive jamais vraiment à se parler toutes les deux. Les rôles s’inversent lentement, quand elle devient mon pilier, en l’absence du premier. C’est étranger et loin d’être véritablement familier, c’est une nouvelle danse à maîtriser alors que j’ai encore tant de mal à formuler de manière cohérente tout ce qui a bien pu m’arriver. Ils n’ont pas à payer de mes erreurs, ils ne doivent pas porter ce fardeau avec moi, mais une nouvelle fois Louisa me jure qu’ils sont là. Alors lentement, je hoche la tête, tentant de graver cela dans un coin de mon esprit. « Nathan me manque. » Le mot est encore faible en comparaison de cet immense vide que je ressens depuis qu’il a accepté cette nouvelle mission, mais elle saura lire entre ligne notre grande sœur qui a toujours su naviguer entre notre lien.

Mais parfois, la communication n’est pas exactement parfaite, parce que je ne suis plus réellement celle qu’elle a connue toutes ces années, parce que mes réactions ne sont pas les mêmes. Je ne perçois pas la plaisanterie, mais ne vois qu’une volonté de me faire changer, encore une fois. Je me défends sans même trop savoir pourquoi, je veux pouvoir maîtriser encore cela, au moins. Louisa semble désemparée et je m’en veux d’avoir réagi aussi vivement. D’un léger signe, je l’invite à me suivre pour que l’on s’installe sous le porche de la maison. « Je veux rencontrer personne. » Pas pour le moment en tout cas, pas pour quelques années même peut-être, dans le fond je n’en sais trop rien. Mais au plus profond de moi, je sais que ce n’est pas cela qui pourra arranger quoi que ce soit. J’ai besoin de mon cercle à moi, les gens que je connais par cœur, ceux en qui j’ai pleinement confiance, rien de plus. « Je n’ai pas besoin que tu changes le monde pour moi, tu sais. » que je lui affirme lentement dans un sourire. « Juste d’avoir ma sœur avec moi. » Celle qui a une grande gueule, qui a toujours des histoires à raconter et qui a toujours vécu mille et une aventure. « On pourrait se préparer un bon repas, regarder un film, juste pour ce soir. » Une étape après l’autre. « Et demain aller se balader, pour que je vide mon sac sur le chemin. » Tant de manières littérales que figurative. « Je veux tout laisser ici, le plus possible. » Dans ce lieu familier, qui aidera à décharger. « Mais je n’ai pas spécialement envie que l’on analyse tout à la recherche d’une solution. » Pour la plupart des choses, il n’y en aura pas. « Ne te culpabilise pas si tu ne trouves rien à dire, je ne t’en voudrais pas. » Jamais, qu’elle en soit certaine.

Je baisse le regard lorsque Shiloh me dit que Nathan lui manque. Elle n'est clairement pas la seule et même si nous avons toutes les deux des nouvelles continuelles de notre frère, ce n'est clairement pas la même chose que de l'avoir avec nous à nos côtés.  «Au moins il fait ce qu'il aime » et il le fait bien. D'après les dernières nouvelles il a l'air totalement épanoui et gère sa première affectation comme un chef. Mais je n'en attendais pas moins de lui en vrai !

Il a toujours été celui qui savait temporiser là où Shiloh et moi ne savions pas communiquer. Je suis persuadé que si Nathan avait été là, ma sœur n'aurait jamais mal compris ma proposition de lui faire rencontrer des femmes comme une tentative de la changer. Ni une ni deux je la reprends avec le plus de douceur possible et lui fait comprendre que non, jamais je ne voudrais la changer et que c'était juste une idée random. La jeune femme fini par se rendre compte de ses propos et m’entraîne, finalement, pour s'installer avec moi sur le porche de la maison. Là, elle m'explique ne pas avoir besoin de rencontrer qui que ce soit, ne souhaitant que le fait que je sois là pour elle. Elle emmet ensuite le souhait qu'on se fasse un bon repas devant une série puis que demain nous irons nous balader dans la nature et fini par me dire que je ne dois jamais culpabiliser pour elle.

Le problème, c'est bel et bien qu'elle ne m'aide pas à ne pas culpabiliser. Je pensais sincèrement que l'emmener ici pourrait arranger des choses entre nous, mais au final je me rends compte que seul le temps pourra la guérir. Ainsi, j'hoche la tête pour lui promettre de faire ce qu'elle me demande ce week-end mais aussi pour lui faire comprendre que jamais je ne la forcerais à faire quoique ce soit qu'elle ne souhaite pas. Nous restons encore quelques instants ici, silencieuses, avant de rentrer dans la maison, pour réellement commencer notre week-end entre filles.