Les rendez-vous de suivis pour les jumeaux provoquent toujours une certaine anxiété chez toi. Tu commences à t’y faire, les suivis étant multiples puisqu’ils sont nés prématurément, et d’autant plus qu’ils sont encore plus fréquents depuis le mois de mars après que Siobhan a démontré des signes de malaise qui demeurent sans réponse, en plus de ce qui semble être un léger retard de développement de sa part comparativement à ce que Aaron sait dire et faire aujourd’hui. On te dit toujours de ne pas trop t’en faire avec ça, de ne pas comparer les jumeaux, que chaque enfant fait les choses en son propre temps, mais c’est bien impossible de ne pas te stresser, surtout que les médecins ne semblent pas être en mesure de s’accorder sur ce qui se passe avec ta fille. La salle d’attente à l’hôpital était, comme toujours, pleine à craquer et le pédiatre est quant à lui, sans surprise, en retard dans ses rendez-vous de la journée. Fort heureusement, la salle d’attente est équipée de jouets en tout genre pour occuper les enfants et les jumeaux se sont faits tous les deux une place près des casse-têtes et des camions. Ils n’interagissent pas réellement ensemble, mais jouent côte à côte ce qui te fait sourire alors que ton regard vague sur les différents parents qui se trouvent eux aussi à attendre avec des enfants de tous les âges, certains bien plus petits que les tiens, d’autres beaucoup plus âgés. Ce sont majoritairement des couples, des personnes qui bravent les inconnus du quotidien à deux alors que ça ne fait que te rappeler une chose : que tu es tout seul. Seul à gérer avec les rendez-vous et les suivis, même si Charlie demande à savoir, même si Charlie veut une place que tu ne te sens pas prêt à lui donner. Il y a ta sœur évidemment, sans qui tu ne sais pas comment tu gérerais ton quotidien bien trop chaotique, mais à la fin de la journée, c’est la solitude qui te rattrape, qui te rappelle que bordel, t’es un père célibataire de jumeaux de presque deux ans et que jamais en cent ans tu ne te serais imaginé avoir cette vie. Et tu te demandes bien trop souvent ce qu’elle en penserait Kim, de tout ça. Tu ne te considères pas croyant, mais tu te questionnes parfois, à savoir si elle te regarde d’en haut ou de peu importe l’endroit où elle se trouve en se moquant de toi et de la situation complètement ridicule dans laquelle tu t’es retrouvée si peu de temps après son départ. Ta vie serait tellement différente, si elle était encore là.

Après plus d’une heure de retard, beaucoup de jeux et une panoplie de prises de sang et examens en tout genre à faire passer à ta fille, tu sors du bureau du pédiatre avec une paire de jumeaux qui se sont endormis dans la poussette au bout d’une énième conversation sur les retards de développement de ta fille. Tu soupires légèrement alors que tu pousses la porte du bureau, soulagé d’en avoir terminé pour aujourd’hui, bien que anxieux face à tous les nouveaux rendez-vous que tu dois prendre pour Siobhan et la conversation à venir à ce sujet avec la mère de tes enfants. Tu appréhendes la réaction de Charlie qui te dira sans doute que tu aurais dû lui dire pour le rendez-vous, qu’elle serait venue et toi de lui rappeler que c’est toi et toi seul qui est en charge, malgré ce qu’elle voudrait. Tu aimerais tant lui dire que tu as besoin d’aide, que tu voudrais qu’elle ait un plus gros rôle au fond, mais tu es terrifié que ça se retourne ultimement contre toi, ou d’être obligé de retourner en cour alors que tu t’es à peine remis, mentalement et financièrement, de la dernière fois. Tu es perdu dans tes pensées, ces dernières vaguant aléatoirement de Kim, aux jumeaux, à Charlie, même Molly que tu espérais secrètement croiser dans les corridors de l’aile pédiatrique, vêtue de sa robe de princesse, quand c’est un autre visage familier que tu reconnais près du stand à café. Ton cœur se serre, exactement comme la dernière (et unique) fois que tu as posé les yeux sur elle. Tessa, chez qui tu veux bien trop de ressemblance avec ta petite-amie décédée, est juste là, à croiser ton chemin à nouveau de la plus aléatoire des façons et si tu hésites un instant avant de t’approcher d’elle, tu profites du fait que les jumeaux soient profondément endormis pour parcourir les quelques mètres jusqu’à elle. « Je vois que tu as suivi mon conseil. » que tu souffles avec un sourire, pointant le verre de café plein qu’elle tient désormais entre les doigts. Tu la scrutes du regard bien malgré toi, ne peux t’empêcher de remarquer qu’elle semble plus pâle que la dernière fois, peut-être un peu plus petite aussi, tu ne saurais dire avec justesse tant tout de votre rencontre t’a chamboulé profondément dans les semaines qui ont suivi. « Comment tu vas? » que tu lui demandes d’une voix que tu espères neutre, bien qu’elle pourrait trahir une certaine appréhension de la voir ici encore aujourd’hui. « J’espère que tu n’as pas eu besoin d’utiliser ta carte fidélité trop souvent depuis la dernière fois que je t’ai vu. » Mais ça malheureusement, tu en doutais.

Tu ne peux pas dire que ce soit une totale surprise de tomber sur Tessa devant ce stand à café. C’est tout de même toi qui lui avais suggéré de se rendre ici pour un café qui n’est pas totalement imbuvable comme celui qui est servi à l’accueil de l’hôpital ou à la cafétéria. Tu ne pensais toutefois pas la recroiser si vite. La rencontrer il y a quelques semaines de ça à peine t’avait chamboulé plus que tu ne voulais te l’admettre. Tu n’en avais parlé à personne, sauf à Laura qui était présente quand tu l’avais croisé dans les corridors de ce même établissement. Tu ne savais pas comment expliquer cette tempête dans ta tête, tous ces vieux souvenirs qui prenaient à nouveau toute la place dans ton esprit chaque fois que tu pensais à cette fille qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle que tu avais perdu il y a trois ans de ça maintenant. Celle que tu avais aimé plus que quiconque, celle qui t’as été arraché trop vite, celle que t’as accompagné jusqu’à la toute dernière minute. C’est désagréable, d’être sans cesse ramené à elle quand tu pensais avoir tourné la page. La vérité, c’est que tu n’as jamais vraiment pris le temps de le faire. Tu t’es perdu dans les bras de Charlie quelques mois à peine après la mort de Kimberley et depuis, ta vie a été complètement chamboulé par la présence des jumeaux qui prennent normalement toute la place dans ton existence, te laissant bien peu de temps pour le reste. Alors Tessa, c’est comme un rappel que t’aurais préféré ignorer. Elle te force à vivre tout ce que tu as tassé dans un coin de ton esprit depuis des années, tout ce que tu ne te sentais pas prêt à gérer à l’époque. Tu ne sais pas si tu es réellement prêt à le faire aujourd’hui, mais tu n’as plus le choix. Elle semble te suivre, la jeune femme au cœur malade et tu ne cherches même pas à l’éviter, malgré ce que ton cœur et ta tête t’ordonnent. « En effet… j’ai pas pu me résoudre à avaler une goutte de plus du café de l’accueil… » Tu échappes un léger rire. « J’peux pas te blâmer, il est vraiment horrible. » Découvrir ce stand quand les jumeaux étaient en néonatalogie, ça été comme une bénédiction que tu ne savais pas que tu avais besoin. Entre toutes les heures passées à leur côté ici et ton horaire à la caserne, faut dire que ces quelques mois t’ont poussé à une fatigue extrême, au point où tu ne te souviens pas particulièrement bien de cette période dans son ensemble tant tu étais plus zombie qu’humain.

« Et bien… On peut dire que ça va! Et toi? » Tu lui offres tout de même un regard soucieux, pas particulièrement convaincu par sa réponse. Ce n’est pas que tu ne la crois pas, mais plutôt que les cernes sous ses yeux et son teint pâle donnent plutôt une impression différente. « On fait aller. » que tu lui avoues avec réserve, parce que tu serais bien mal placé pour dire que tout va bien quand le fantôme de celle qu’elle te rappelle n’a cessé de te hanter depuis le moment où tu as croisé son regard. Tu t’inquiètes de sa santé parce que c’est le genre de personne que tu es et de la croiser ici, ça implique forcément un suivi quelconque de sa part et tu espères que ce n’est rien de grave. Tu te surprends même à vouloir croire que ça puisse être de bonnes nouvelles, même si jamais tu n’oserais lui demander directement de la sorte. Tu dois te rappeler constamment que tu ne la connais, malgré toutes les émotions qu’elle te fait vivre, bien malgré elle. « Disons que… je l’ai utilisé de façon raisonnable au cours des dernières semaines. Ne te fie pas à la tête que j’ai en ce moment… Je sais que je dois faire peur. D’ordinaire j’ai pas des cernes aussi grandes sous les yeux! » « Tu restes jolie, malgré les cernes. » Le commentaire est sorti sans que tu ne puisses le retenir. Tes yeux s’agrandissent légèrement devant ta propre candeur, mais tu te contentes de lui sourire doucement, histoire de ne pas faire un malaise pour un simple compliment qui reste véridique à tes yeux. « J’espère que tu prends le temps de te reposer. » Tu ne sais pas si c’est son cœur qui fait défaut, ou si c’est autre chose qui la fatigue, mais tu ne peux que lui souhaiter qu’elle trouve le temps de se reposer et de prendre soin d’elle. Pour une raison que tu peines à t’expliquer, ça te rassurerait qu’elle fasse attention à elle, même si c’est loin d’être ton rôle de la protéger de quoique ce soit puisqu’elle reste une inconnue, malgré tout. « Je peux te payer un café? Je te dois bien ça pour m’avoir épargné le pétrole qu’on sert ailleurs! » « Je veux bien, merci. » Tu as du temps devant toi après tout, les jumeaux sont endormis et tu n’as rien de prévu pour le reste de la journée, ce qui est plutôt rare quand on connaît ton horaire qui se remplit toujours bien trop à ton goût. Tu la laisses donc commander un deuxième café qu’elle te tend ensuite. « Tu es venu voir un proche? » Tu secoues doucement la tête et baisse les yeux sur la poussette entre vous deux qu’elle ne semble pas avoir remarqué jusqu’à présent. « Non, mes jumeaux avaient rendez-vous avec leur pédiatre. » que tu lui annonces alors que tu soulèves légèrement le dessus de de la poussette pour lui montrer tes deux petites têtes blondes profondément endormis. « Comme tu vois, c’est épuisant les rendez-vous par ici. » Tu échappes un léger rire alors tu fais un mouvement de la main pour indiquer l’une des tables libres à quelques pas du stand. « Tu as le temps de t’asseoir un peu? »

« Merci… » Tu ne sais pas trop si tu l’as gênée avec ton compliment, tu espères que non. La vérité c’est que tu as beaucoup trop pensé à elle depuis que tu l’as rencontré. Son visage qui se mélange à celui de Kimberley constamment et vice-versa, dans un amas de souvenirs et de sentiments qui ne font plus de sens et qui ne lui sont pas adressés, bien que tu peines à faire le tri dans tout ça tant tu restes chamboulé par leur ressemblance. Tu penses à Kimberley, à sa maladie et à sa fin tragique sur cette table d’opération, dans cette chambre aseptisée où elle savait son temps compté, mais tu penses à Tessa aussi et à son cœur fragile et ce qu’elle n’a pas osé te dire pendant votre rencontre, ces détails de sa vie qui ne sont pas tiens à savoir même si les questions te hantent depuis. La ravoir ici aujourd’hui, si rapidement après votre première rencontre, ça te semble être une bonne nouvelle autant qu’une mauvaise idée. Peut-être bien que c’est un peu des deux finalement, mais tu n’as pu t’empêcher de t’approcher d’elle et d’engager la conversation, même si ce n’est que pour une minute ou deux. Tu essayes de ne pas t’attarder trop longuement à ces marques de fatigue sur son visage, de ne pas laisser ton imagination se créer les pires scénarios. « Hum, disons que je n’ai pas vraiment le choix. Si je ne fais pas de sieste en ce moment, je suis capable de m’endormir au cours d’une discussion. Je suis une véritable marmotte! » Elle l’expose avec humour, mais tu sais parfaitement qu’un excès de fatigue et le besoin de faire des siestes quotidiennement peuvent être des marques d’un traitement qui cogne fort sur un corps malade et épuisé. « C’est ton cœur qui te fatigue comme ça? » Tu aurais sans doute dû retenir la question, tu sais bien pourtant que ça ne te regarde pas, mais tu es trop curieux, et bien trop inquiet pour elle, même si tu sais que ce n’est pas ta place de l’être.

« Oh! Désolée j’ai la tête ailleurs, je n’avais pas vu. » « T’inquiète, ils sont beaucoup plus bruyants que ça d’habitude. » Surtout ton fils. Siobhan était souvent plus gênée en public, elle parlait beaucoup moins que son frère aussi et se faisait plus discrète là où Aaron était constamment une véritable petite tornade difficile à contrôler. De les avoir endormis ainsi, c’était un changement et une pause qui te faisait du bien après le rendez-vous avec le pédiatre qui t’avait donné légèrement mal à la tête vu toutes les informations qui t’avaient été donné et les prochains suivis et tests à faire pour ta fille. « Ils ont l’air si paisibles… et je ne peux que confirmer, les rendez-vous ici sont éreintants! » Et ça, c’est le genre de détails que tu aimerais ne pas connaître, le genre de détails que tu aimerais qu’elle ne connaisse pas, elle non plus. Malheureusement, tu n’as aucun pouvoir sur la santé de Tessa, de la même manière que tu n’en as pas sur celle de ta fille, ni même sur celle de Kimberley quand elle était là. Un contrôle qui t’échappe complètement et qui bien honnêtement, te rend complètement fou. « Les jumeaux sont nés prématurés, donc ils commencent à avoir l’habitude. » que tu lui avoues avec une légère grimace. Tu préférais évidemment avoir un suivi serré, mais tu trouvais parfois ça difficile de jongler avec toutes les conséquences qu’avaient encore aujourd’hui leurs prématurités sur leurs vies. « J’ai rien de prévu dans l’immédiat, je suis officiellement en repos plus ou moins forcé pendant quelques jours encore. » « Plus ou moins forcé? » que tu répètes tout en fronçant les sourcils. D’après toi, elle avait été mise en arrêt contre son gré et peinait à réellement se reposer comme elle le devait. Sans grande surprise, c’était un détail qui te rappelait Kim, bien que tu t’efforçais de garder le commentaire pour toi. « J’espère que tout va bien pour eux. Vous ne devez pas vous ennuyer à la maison. » « Ma fille a quelques problèmes de santé que les médecins n’arrivent pas à comprendre, ça fait quelques mois qu’on continue les suivis en espérant trouver une réponse. » Tu es transparent avec elle. Tu te dis que tu lui dois au moins ça, vu toutes les questions intrusives que tu as pu lui poser depuis que tu l’as rencontré. « Mais ils vont bien de manière générale. Ils sont heureux et bruyants, comme se doivent de l’être des enfants de presque deux ans. » Tu t’efforçais toujours de te concentrer sur le positif plutôt que de te laisser noyer par l’inquiétude, bien que cette dernière ne te quittait jamais vraiment. « Ils sont très beaux… Comment ils s’appellent? » « Aaron et Siobhan. » que tu énonces tout en pointant leurs petites têtes blondes bouclées à tour de rôle. « Tu as des enfants ou tu n’es venue ici que pour le café des parents inquiets? » que tu lui demandes avec un sourire taquin sur les lèvres.

« Hm, oui et non. Enfin non plus que oui d’ailleurs. J’ai eu deux grosses semaines en mer et j’ai été assez malade à bord. J’imagine que ça m’a un peu fatiguée. » Tu fronces les sourcils. Tu pensais te souvenir qu’elle t’avait dit être vétérinaire, que faisait-elle en mer pendant deux semaines? « En mer? Tu as fait une croisière? » C’est bien la première idée qui te vient en tête même si vraiment, tu ne la connais pas assez pour assumer de quoique ce soit. Tu sais seulement que tu te connais assez pour ne jamais avoir envie de faire une croisière, le mal de mer étant l’une de ses choses que tu ne contrôles pas et tu serais sans aucun doute misérable si tu devais passer deux semaines d’affilée sur un bateau. Tessa ne remarque pas tout de suite tes jumeaux endormis, ce qui te fait rire puisqu’ils sont normalement l’attraction principale partout où vous passer. Il y a quelque chose dans le fait d’avoir des jumeaux, mais d’être en plus un père célibataire, qui se promène donc souvent seul avec ses enfants, qui semblent attirer beaucoup de monde, les jeunes femmes en particulier. « J’imagine oui. Mes parents disaient toujours qu’on était leur petit miracle… mais qu’on était aussi des tornades. » Ton rire se joint au sien alors que tu comprends qu’elle ne disait pas je, mais bien on. « Tu es une jumelle? » que tu lui demandes, curieux. Combien de drôles de coïncidences encore est-ce que Tessa pourrait avoir qui te ramènerait à un élément de ta vie? D’abord sa ressemblance avec Kimberley, le fait qu’elle aussi soit malade, et puis le fait qu’elle soit une jumelle, tu trouvais tout de même drôle, quoiqu’un brin étrange, tous ces petits morceaux qui faisaient en sorte que tu te sentais proche d’elle d’une manière que tu peinais à expliquer logiquement. Elle t’annonce être en repos plus ou moins forcé et tu ne peux empêcher un éclair d’inquiétude de se loger sur ton visage, détail qui n’échappe pas à la jeune femme. « Mes frères partagent exactement la même expression que tu fais à l’instant même! » Pris sur le fait, tu échappes un léger rire nerveux alors que tu passes l’une de tes mains dans ton cou. « Excuse-moi, je sais que ça me regarde pas. » Tu le sais et pourtant, ça ne t’empêche pas de sincèrement t’inquiéter pour elle, de te poser mille et une questions, de t’en faire pour cette fille qui n’est pourtant qu’une inconnue. « J’ai tendance à avoir du mal à lever le pied en temps normal, mais je leur ai promis de me ménager et c’est ce que je fais. » « En tant que grand frère protecteur moi-même, je t’assure qu’ils n’ont que ton bien-être à cœur. » Tu agissais de la même manière avec tes frère et sœurs lorsqu’il s’agissait de s’assurer qu’ils s’occupaient bien d’eux et prenaient le temps de se reposer quand c’était nécessaire. « Je suis content d’apprendre que tu te ménages. C’est important. » Pour son cœur, pour sa santé et puis ça te rassure bien plus que ça ne devrait, bien que tu te gardes bien d’annoncer ce détail à voix haute.

« Oh… j’suis désolée d’apprendre ça. J’espère sincèrement qu’ils vont trouver le problème et que ce ne sera pas grave. » « Merci, c’est gentil. » C’était une cause constante d’inquiétude dans ton quotidien que de ne pas savoir ce qui se passait avec ta fille, bien que tu faisais ton possible pour rester optimiste et confiant que le personnel médical du St Vincent parviendrait tôt ou tard à trouver une explication quelconque pour les malaises de Siobhan. « Les médecins sont bons ici, ils vont bien finir par trouver ce qui cloche. » Tu acquiesces doucement de la tête. Tu voulais vraiment y croire. Tu voulais seulement être rassuré que tout irait bien et que ta fille grandirait et deviendrait une belle grande fille en pleine santé. Si tu étais confronté du fait de ton métier aux accidents en tout genre en plus de la maladie, tu avais besoin que cette dernière cesse de se faire une place si importante dans ta vie personnelle. Tu lui présentes tes deux petites têtes blondes toujours profondément endormis et alors que son regard ne quitte jamais les visages angéliques des jumeaux, toi tu ne peux t’empêcher de l’observer elle sous toutes ses coutures, te prenant une fois de plus à la gueule l’immense ressemblance avec Kimberley, bien incapable de ne pas la trouver terriblement belle. « Oh euh… non… non pas encore non. » Sa réponse te fait sourire, comme si elle n’était pas sûre d’y répondre correctement alors qu’elle répétait sans cesse le mot non. « Je l’avoue je suis juste venue le café des parents inquiets. J’espère que tu ne me dénonceras pas! » « Pour toi, je pense que je peux faire une exception. » que tu souffles dans un rire alors que tu viens prendre une gorgée du liquide chaud. « Mais bon sur ça aussi faudrait que je lève le pied! » « À cause de ton cœur? » Tu n’osais pas imaginer une vie où tu devrais te passer de caféine, tu n’es pas certain que tu parviendrais à survivre à ton rythme de vie effréné si ce n’était pas de tes multiples cafés quotidiens. « J’imagine que quand on devient parent… le package inquiétude vient avec! » « Oh, t’as même pas idée. » que tu lui avoues tout en secouant la tête. « C’est constant et c’est pour absolument tout. » Pas seulement les grosses affaires comme les malaises inexplicables de Siobhan, non. C’était aussi l’inquiétude qu’ils ne dorment pas assez, qu’ils ne mangent pas assez ou pas assez de bonnes choses, qu’ils passent trop de temps devant la télévision ou pas assez de temps avec leurs mères. C’était l’impression constante d’être à bout de souffle mais de ne jamais en faire assez. « Je m’occupe d’eux à temps plein et c’est sans aucun doute le truc le plus difficile que j’ai jamais fait de ma vie. » que tu lui avoues en toute transparence. « La plus belle, mais la plus difficile. » Et ça, ça semblait être une réalité sur laquelle tous les parents que tu connaissais s’accordaient sans le moindre débat.

« Pas vraiment, en fait je suis bénévole pour une association qui étudie les grands mammifères marins. Je suis une amoureuse de la mer… alors c’est un peu un rêve de gosse d’aller observer les baleines et autres cétacés à cette période de l’année. Elles sont en pleine migration, le spectacle est magnifique! » Le regard de Tessa semble se faire encore plus brillant alors qu’elle te relate les raisons derrière sa dernière aventure et tu ne peux qu’imaginer le sentiment qu’elle a dû ressentir face à ce spectacle en haute mer. « C’est un projet un peu fou, mais j’y tiens beaucoup, même si c’est très prenant! » « Ça fait longtemps que tu fais ça? » que tu lui demandes, curieux. Tu comprends un peu mieux l’état de fatigue dans lequel elle doit être après un tel périple, tu imagines que le sommeil devait être limité et précieux, bien qu’inconfortable d’être en mer pendant ce que tu considères une si longue durée.  Tu es surpris d’apprendre que Tessa est elle-même une jumelle, ce qui ne manque pas de te faire sourire. Tu ne connais ce lien précieux que par ce que tu vois se développer jour après jour entre Aaron et Siobhan. « Tout à fait, tu as devant toi une authentique spécimen de jumelle! » « C’est une drôle de coïncidence. » que tu ne peux t’empêcher de souligner. Elles sont nombreuses, les coïncidences lorsqu’il s’agit de Tessa. D’abord sa ressemblance avec Kimberley, le fait qu’elle soit malade, et puis maintenant le fait qu’elle soit une jumelle… Tu avais l’impression que peut-être la vie avait volontairement placé une fille comme elle sur ton chemin, bien que tu ne saches pas réellement pourquoi, du moins, pas encore. « Ne t’étonne pas s’ils font des trucs un peu bizarre parfois… c’est pas toujours explicable… J’imagine que partager le même ventre pendant des mois ça nous rend un peu… spécial dirons-nous! » « J’en doute pas. » que tu réponds dans un rire. « Ça été un choc pour leur mère et moi quand on a su que c’était des jumeaux. Ils avaient vu qu’Aaron pendant les échos… » Tu étais encore complètement choqué par le fait que la présence de ta fille soit non-détectée pendant toute la grossesse de Charlie, bien que tu ne pusses pas imaginer ta vie sans elle.

« Pas de souci. » Tessa est encore une fois bien trop compréhensive envers toi et ta curiosité intrusive, et tu lui es reconnaissant de la patience qu’elle fait preuve face à tes faux pas. Tu es particulièrement conscient du fait que tu dois lui sembler étrange au vu de vos échanges, mais malgré tout, elle ne semble pas avoir peur de toi – ce qui est étonnant quand même vu ton comportement – ni même repoussé par ta présence (ça c’est flatteur, vraiment). Elle te parle de ses frères et tu peux trop facilement te mettre à leur place. Tu sais que tu serais très envahissant avec tes sœurs si tu devais apprendre que l’une d’elles est malade. Elles sont extrêmement précieuses à tes yeux et tu ferais n’importe quoi pour leur éviter toute sorte de désagréments. « Je serai pareille si les rôles étaient inversés tu sais… Si on venait à m’apprendre qu’un de mes frères étaient malades je crois que je ne le lâcherai pas d’une semelle. » « Alors tu comprends comment ils doivent se sentir vis-à-vis de toi. Ça a dû être difficile, de te savoir en mer pendant tout ce temps. » Loin d’eux, mais loin d’un hôpital aussi, en cas d’urgence. Comme ses frères, tu étais tout simplement heureux de savoir que son périple s’était passé sans accroche. « Ils doivent être soulagés de te savoir de retour en terre ferme. » que tu ne peux t’empêcher d’ajouter. Tu sais que toi, tu aurais bien eu du mal à laisser partir Delilah ou Daisy dans une telle situation.

Tessa s’émerveille devant Aaron et Siobhan et ça te fait sourire. Tu aurais bien aimé qu’elle puisse les voir éveillés, mais après la longue matinée qu’ils ont eue, tu préfères les laisser dormir, tu sais qu’ils en ont bien besoin. Le café devient en quelque sorte ton nouveau prétexte pour en apprendre un peu plus sur la condition de son cœur, et elle se porte bien au jeu, la brune alors que tu te fais toujours aussi curieux. « Mon cardiologue dit que c’est pas terrible pour l’arythmie… Et puis si j’en abuse, je ne me sens pas spécialement bien. » Tu acquiesces d’un hochement de la tête. « Est-ce que ça veut dire que je devrais te retirer ta tasse? » que tu lances sur un ton taquin, n’ayant pas du tout l’intention de la privée du peu de caféine qu’elle peut encore s’offrir. « Moi c’est le contraire, je ne me sens pas très bien sans ma dose. C’est nécessaire pour survivre à ces deux tornades-là. » Ils n’en ont pas l’air comme ça, paisiblement endormis, mais ils peuvent être particulièrement épuisants quand ils s’y mettent, les jumeaux. « Je vois… j’imagine que tu fais de ton mieux, ils n’ont pas l’air malheureux en tout cas! Et… tu n’as pas l’air au bord de la crise de nerf… C’est plutôt rassurant. » Tu échappes un rire franc face au commentaire de la brune. « Je fais mon possible. Les crises de nerf, je garde ça pour les rares fois où j’ai pas accès à du café. » que tu plaisantes, préférant toujours jouer sur l’humour plutôt que d’admettre que plus souvent que tu ne voudrais l’admettre, tu n’as pas l’impression de gérer les différents aspects de ton quotidien aussi bien que tu le souhaiterais. « Je ne te connais pas vraiment, mais d’un point de vue extérieur, tu sembles te débrouiller pour gérer boulot, vie de famille… Je sais pas si je serais capable d’en faire autant! » « Oh tu sais, c’est pas comme si j’avais vraiment le choix. » que tu admets avec un léger sourire. « Je suis sûr que si tu te retrouvais dans une situation similaire à la mienne, tu trouverais ton équilibre. » tu lui assures. « Tu m’as l’air bien entouré, avec ta famille du moins. » Tu ne pourrais dire pour son cercle social, mais du peu que tu savais, sa famille semblait présente pour elle tout comme le contraire était vrai, et ça, tu savais à quel point ça pouvait faire toute la différence. « Si ce n’était pas de mes sœurs et de mon frère, je ne pense pas que je gèrerais aussi bien que j’en ai l’air. » que tu lui admets avec un sourire au coin des lèvres.

« Hum, je dirais un peu plus de deux ans maintenant. J’essaie d’y aller au moins une fois dans l’année, mais quand c’est possible j’embarque une deuxième fois… À chaque fois c’est un peu magique, la nuit on peut les entendre chanter. Je trouve ça tellement apaisant! » Elle a l’air complètement dans son univers a te raconté ses périples pour lesquels elle semble habituer. Tu imagines que ça prend une grande préparation et surtout une grande passion pour se perdre en mer si longtemps, bien que l’expérience semble en valoir la peine. « À croire que les jumeaux s’attirent, c’était peut-être le destin! » Tu ris doucement, son rire se mélangeant au tien et pendant quelques instants, tu parviens à oublier les raisons qui t’ont poussé à l’aborder en premier lieu. Plus tu apprends à la connaître, plus tu découvres des petits détails sur sa personne, plus tu arrives enfin à la distancer concrètement de Kimberley malgré leur ressemblance hallucinante. Tessa n’est pas qu’un simple fantôme, elle devient sa propre personne à part entière et ça te fait du bien de le réaliser. Comme si peu à peu, poser ton regard sur elle faisait de moins en moins mal. « Hm, attend, t’es en train de me dire que vous avez appris l’existence de sa jumelle à la naissance? » Le choc est réel sur ses traits, comme il l’est toujours chez les gens à qui tu racontes cette histoire des plus incroyables. Tu hoches la tête pour confirmer que oui, c’est bel et bien comme ça que ça s’est passé. Dire que vous n’étiez pas prêts est définitivement un understatement dans ce cas-là. « Mon dieu je n’ose même pas imaginer la surprise que ça a dû être! » « Pour vrai, je me souviens pas de grand-chose de ce moment-là tellement ça m’a sonné quand la sage-femme nous a annoncé que Charlie devait continuer de pousser pour l’arrivée du deuxième. » Tout ce qui entoure la naissance des jumeaux et leurs premières semaines de vie demeure un flou dans ton esprit tant le choc de savoir qu’ils étaient deux, en plus de leur prématurité et du temps passé à l’hôpital avait fait leur effet sur toi. « C’est dur de les imaginer un sans l’autre mais sur le coup, je t’avoue que je pensais pas que j’allais y arriver. » Surtout pas que tu allais y arriver seul, vu la tournure que ta relation avec leur mère avait rapidement prise.

« Je ne compte pas m’arrêter de vivre… » Tu acquiesces parce que tu comprends aussi son point de vue, bien évidemment, mais ça ne veut pas dire pour autant que tu ne compatis pas avec l’inquiétude que doive ressentir ses frères. Elle est sans doute très difficile à trouver, la balance entre rassurer ses proches et s’autoriser à vivre quand même, malgré les soucis de santé qui guettent et qui menacent de reprendre du service à tout moment. Tu n’envies pas la position dans laquelle se trouve Tessa et tu sais que ce n’est pas vraiment ta place que de commenter, encore moins de conseiller de la sorte. C’est tout simplement plus fort que toi, comme si tu prenais bien plus à cœur que tu ne le devrais la santé de cette jeune femme qui ne s’apparente pas à bien plus qu’une simple inconnue pour toi. « Je ne suis pas mourante, j’ai juste un cœur qui a choisi de dérailler de temps à autre. Ça ne me condamne pas à une vie morne et sans saveur… » « Ce n’est pas ce que je voulais dire. » que tu t’empresses de reprendre, affichant une mine désolée. « Je me mêle de ce qui ne me regarde pas, excuse-moi. » Peut-être qu’il valait mieux à l’avenir que tu ne t’avances pas trop sur ce terrain puisque tu avais du mal à t’exprimer clairement. Tu ne voulais pas la faire culpabiliser, loin de là, c’était encore une fois ton besoin de sauver tout le monde, même ceux qui n’ont rien demander, qui agissait. Ça partait d’une bonne intention, mais ce n’était pas toujours reçue comme telle.

« La raison voudrait que oui… Mais je compte sur ta discrétion pour ne pas clamer haut et fort que je fais une entorse à mon régime! » « Tu peux compter sur moi. » que tu souffles dans un rire, sur un ton de confidence. Ce n’est certainement pas toi qui allais la blâmer d’avoir besoin de caféine puisque ton régime se constituait à cinquante pourcents de cette dernière. Tu ne pourrais pas fonctionner sans café et tu le sais parfaitement alors la simple pensée de devoir t’en priver te donne des frissons d’horreur. « Je vois! Pas de café… risque de voir Hulk débarqué, c’est noté! » « Peut-être que c’est comme ça que je devrais me déguiser pour l’Halloween l’an prochain. » que tu suggères toujours aussi amusé par la tournure moins sérieuse de cette conversation. Tu sais déjà qu’Aaron serait très impressionné de te voir vêtu tout de vert comme le célèbre héros, même si sa préférence semblait être portée sur Superman et sa cape en ce moment. « Oui peut-être. J’imagine que tu as raison oui. » Elle semble toujours aussi certaine Tessa, comme si elle en portait gros sur ses épaules sans que tu ne saches de quoi il en retourne. Tu fais de ton mieux tout de même pour la rassurer. Tu as l’air de gérer vite comme ça, avec des jumeaux paisiblement endormis et les histoires d’un boulot qui en demande beaucoup, mais la vérité est que ton quotidien est bien plus chaotique qu’il ne le paraît d’un simple coup d’œil. « Je t’avoue qu’en ce moment, c’est un peu… le chaos dans ma vie. Tout se chamboule et je suis un peu perdue sur ce que je dois faire ou non. Entre écouter la voix de la raison et mon envie profonde… » « Qu’est-ce qu’elles disent, la voix de la raison et ton envie profonde qui soient si différent? » Tu demandes, voyant cette confidence comme une preuve qu’elle ne voyait pas toutes tes questions comme de la curiosité mal-placée, mais bien plutôt qu’elle te faisait assez confiance pour te parler de tout ça, pour une raison qui ne serait s’expliquer logiquement. « T’as le droit de me dire de me mêler de mes affaires, si tu ne veux pas en parler plus longuement. » que tu spécifies toutefois avec un léger rire avant de prendre une gorgée de ton café, la dernière chose que tu souhaites faire étant de créer un malaise entre vous. « Je sais seulement que parfois, on peut avoir l’impression que la raison et l’envie sont à des kilomètres l’un de l’autre, mais quand on voit le tout dans son ensemble, on réalise qu’ils sont plus proches qu’on ne le pensait… »

« C’est… à la fois fou et effrayant. Je n’ose pas imaginer ce que vous avez dû ressentir. » Fou et effrayant, ça décrit plutôt bien une parcelle des émotions qui vous ont bombarder quand vous avez finalement compris ce qui se passait. De toute ta vie, tu n’avais jamais vécu un tel choc et tu étais persuadé que tu ne vivrais jamais rien de tel à nouveau. Toutes les surprises sont un peu moins surprenantes, depuis celle-là. Mais le fait de devenir parents n’aurait sans doute pas été moins compliqué ou moins dur avec un seul enfant. Vous aviez tout à apprendre, Charlie et toi. Vous étiez jeunes, trop jeunes sans doute, rien ne s’était déroulé comme prévu mais malgré les embûches, vous aviez été en mesure de palier à tout ça. Ce n’était pas encore parfait, la balance idéale entre elle et toi n’était pas au point et tu ne savais pas si elle le serait un jour, mais tant que vous étiez prêts à faire des efforts pour les jumeaux, tu restais confiant qu’un jour, le temps saurait gommer le reste de tes blessures, et des siennes aussi. « C’est déjà ce qu’on dit avec un… alors deux! » « Une fois le choc passé, c’était surtout une question de s’habituer au fait que deux petits monstres sont en contrôle de tout désormais. » Mais ça, un ou deux, ça aurait sûrement été la même impression. Tu ne savais toujours pas aujourd’hui si tu aurais d’autres enfants un jour, si tu connaîtrais un jour la transition de deux à trois gamins, alors pour l’instant, tu chérissais au maximum le fait que tu puisses passer autant de temps que possible auprès des jumeaux. Ce ne serait pas toujours aussi ainsi, bientôt ils grandiront, et puis ils voudront sans doute passer plus de temps avec leur mère et il te faudra tout remettre en question, mais tu préférais remettre à plus tard toutes ces réflexions qui t’empêchaient pourtant bien trop souvent de dormir la nuit.

« Désolée, c’est juste que depuis que je sais que je suis malade, j’ai l’impression qu’on veut me mettre dans une bulle pour qu’il ne m’arrive rien et ça m’étouffe… » Tu hoches doucement la tête. Tu comprends que ça ne doit pas être facile pour elle de devoir non seulement composer avec sa maladie, mais aussi avec les réactions de ses proches, et même celles d’inconnus comme toi qui sont incapables de ne pas dire tout haut exactement tout ce qu’ils pensent. « C’est pas contre toi, juste que je n’ai pas envie de porter une étiquette « condamnée » sur le front. » « T’as pas à être désolée. C’est moi qui s’excuse. » que tu concèdes une fois de plus. « Ça partait sincèrement d’une bonne intention, mais je comprends que tu n’as pas envie de vivre comme si tu étais une petite chose fragile. Tu me rappelles beaucoup mon amie à qui tu ressembles sur ce point, d’ailleurs. » Parce que Kimberley, ça ferait bien longtemps qu’elle t’aurait envoyé promener si tu lui avais fait des commentaires comme tu te permets d’en faire à Tessa et d’enfin le réaliser, ça te permet enfin de voir les choses sous un nouvel angle et de lâcher prise. « Elle savait que son temps était compté, mais elle voulait pas se morfondre. Elle voulait vivre à fond le peu de temps qu’il lui restait. Et je pense qu’on devrait tous aspirer à faire pareil, maladie ou non. » Oui, il fallait que Tessa soit prudente. Oui, il fallait qu’elle se ménage, mais ça ne voulait pas dire qu’elle ne pouvait pas profiter de chaque minute que la vie avait à lui offrir. « Ce serait quoi le truc le plus fou que tu voudrais faire, si tu pouvais te permettre tout et n’importe quoi? » que tu lui demandes sincèrement curieux, repensant à cette wish list que Kim et toi aviez créer avant sa mort, de laquelle vous aviez pu cocher plusieurs éléments sans jamais pouvoir la compléter toutefois.

La discussion se veut plus joviale quand vous quittez temporairement les sujets trop lourds pour quelque chose de plus simple, sous la suggestion d’un potentiel costume de super-héros vert et musclé pour la prochaine fête d’Halloween. Tu sens cependant que quelque chose semble toujours tracasser Tessa et fidèle à tes habitudes, tu tentes de lui offrir tes meilleurs conseils sans réellement savoir de quoi il en retourne. « Merci. Disons que… J’ai appris une nouvelle plutôt inattendue et qu’elle ne tombe pas vraiment au moment opportun. » Tu hoches la tête doucement, l’invitant à poursuivre ses confidences si elle en a envie. Tu as pas mal d’expérience dans le domaine des nouvelles inattendues après tout, comme l’en témoigne votre toute récente discussion sur l’arrivée de tes jumeaux. « D’un point de vue médical, ça serait prendre un risque pour moi, mais d’un autre, c’est une chose que j’ai toujours désirée. À croire que le destin se joue de moi avec un plaisir sans nom! » Tu fronces légèrement les sourcils, curieux de savoir de quoi il s’agit. « Alors la raison voudrait sûrement que je mette un terme à tout ça, mais je ne suis pas certaine de vouloir renoncer à être mère… » Elle place une main sur son ventre et la surprise habite tes traits alors que ta bouche vient former un léger ‘o’ sans que le moindre son ne s’échappe de tes lèvres. Elle est enceinte et évidemment, vu sa condition, ça peut être compliqué. Du moins, c’est ce que tu en comprends. « Je vois que ce n’est pas seulement pour le café que tu te tiens par ici tout compte fait. » que tu lâches d’abord, sous le coup de la surprise, dans une tentative maladroite de détendre l’atmosphère alors que tu cherches pour quelque chose de plus pertinent à dire. « Je peux m’imaginer que tu ne t’attendais pas à te retrouver dans une telle situation, mais félicitations? » La grossesse était-elle accidentelle ou bien est-ce que la maladie lui était tombée dessus pendant le pire des moments? Tu n’osais pas poser la question. « Est-ce que tu as pu voir ton spécialiste? Il dit quoi de tout ça? » Tu baisses les yeux sur les jumeaux toujours aussi paisiblement endormis. La simple idée que Charlie aurait pu décider de ne pas les garder te chavire, même si tu sais qu’elle y a songé, la blonde. Tessa se retrouvait avec un véritable dilemme entre les mains et elle l’avait bien décrit : un choix à faire entre la raison et le cœur. Un choix crève-cœur et risqué, d’un côté comme de l’autre.

« J’imagine que ça doit changer une routine! »
« C’est le moins qu’on puisse dire. »

Les jumeaux étaient venus chambouler absolument tout dans ton monde et elle avait été particulièrement longue, la période d’adaptation. Sans doute que ça avait été encore plus long dans votre situation puisque rien n’était clair ni facile entre Charlie et toi. Tu n’as su réellement retrouver ton équilibre que lorsque la situation de la garde a été tranché en cour, et même si ce n’était pas facile de tout devoir faire seul, tu savais au moins mieux à quoi t’en tenir, malgré la guerre qui avait trop longtemps régné avec ton ex. Tessa se fait drôlement patiente avec toi, malgré tes conseils et tes commentaires qui peuvent paraître un peu trop intrusif. Tu finis par t’excuser, réalisant que tu te permets là où tu n’as pas le droit de le faire. C’est l’expérience qui parle, et sans doute le fait qu’elle te rappelle éternellement Kimberley. « Je suis sincèrement désolée pour ton amie… » Tu hoches doucement la tête, appréciant les mots de la jeune femme même si vraiment, elle n’a pas à s’excuser. Le décès de Kim date de plusieurs années maintenant, ton deuil est bien entamé, mais elle reste toujours là, un peu partout dans ton esprit quoiqu’il arrive. « Cela dit… j’aime assez sa vision des choses. Quand j’ai appris pour mon cœur, je n’avais plus goût à rien. Comme si… la vie avait d’un coup perdu sa saveur tu sais? » Tu fais signe que oui de la tête parce que oui, tu sais. Tu comprends, tu as été là, toi aussi. Quand Kimberley est morte justement. Mais tu savais aussi que c’est la dernière chose qu’elle aurait voulu pour toi alors tu t’es secoué. Tu t’es repris en mains. Et depuis ce jour, tu t’efforces de profiter de chaque jour qui passe, si ce n’est pour toi, alors tu le fais pour elle. Et pour tes enfants, bien évidemment.

Profiter de chaque jour qui passe, ça t’inspire évidemment des rêves qui semblent parfois hors de portée, mais qui ne quittent jamais les esprits, qui se bâtissent peu à peu en arrière-plan et tu es curieux de savoir de quoi les rêves de Tessa sont composés. « Parcourir chaque mer, chaque océan à bord de mon voilier! Partir demain, tout lâcher et juste partir pendant un an, deux ans peut-être… Voir le monde, plonger dans les plus beaux endroits sans avoir à me soucier de rien. » La passion avec laquelle elle en parle se fait facilement ressentir et n’accentue qu’un peu plus cet amour qu’elle t’avait confié pour le monde marin. Tu trouves ça époustouflant comme projet et si tu conçois que ce n’est pas quelque chose qui est facile à mettre en place, surtout considérant sa maladie, tu espères qu’elle aura la chance de vivre une aventure folle dans ce genre-là à un moment ou un autre. « Oui je crois que si je pouvais tout lâcher c’est ce que je ferais sans aucun doute! Et toi?! » Tu y réfléchis pendant quelques secondes. Tu réalises que c’est facile de poser la question, un peu plus compliqué de devoir y répondre à ton tour. « Je voudrais pouvoir voyager constamment avec les jumeaux, les faire voir le monde et juste pouvoir partir à l’aventure dès que le cœur m’en dit. » Parce qu’évidemment, tu ne peux pas t’imaginer voyager sans les jumeaux et tout plan de folies se doivent de les intégrer d’une manière ou d’une autre, ce qui rend les probabilités de pouvoir le faire encore plus infimes puisque tu ne pourrais pas partir longtemps avec eux, mais dans un monde où tout est possible et permis, c’est quelque chose que tu aimerais. Vivre une vie de nomade, être toujours parti ici et là à découvrir le monde.

« Je suis démasquée! » Tu souris à ton tour, encore un peu ébranlé d’apprendre pour la grossesse de la jeune femme, surtout parce que tu sens que ce n’était pas quelque chose de prévu pour elle, vu sa condition cardiaque. « Oui… Merci! » Elle en semble tout de même heureuse et tu te dis qu’au fond, c’est le plus important, même si évidemment, il est essentiel de prendre en considération les risques. « Et bien… il me dit que c’est possible, mais que le risque est présent. Pour moi et pour le bébé. » Tu hoches la tête. Le contraire aurait été bien surprenant. « Prématurité, retard de croissance, aggravation de mon problème… Voilà pour la partie noire du tableau… mais il m’a aussi dit qu’avec un suivi adapté et en me ménageant, je pourrais avoir un bébé en bonne santé. » Ce ne sont pas des risques négligeables et tu comprends l’hésitation qui l’habite, même si tu sais aussi que la médecine moderne peut faire des petits miracles. Tu ne veux toutefois pas influencer son choix d’une quelconque façon, alors tu te contentes d’écouter. « Hm tu sais quoi? Après réflexion… le truc le plus fou serait de poursuivre cette aventure jusqu’au bout. » « Wow. » que tu réponds, un large sourire sur les lèvres. Tu ne pensais certainement pas que ta question lui apporterait une telle épiphanie, mais tu étais heureux à la simple idée d’avoir pu aider sans le vouloir. « Tu feras une très bonne mère, Tessa. » Tu ne la connaissais pas beaucoup et pourtant de ça, tu demeurais persuadé. Ne serait-ce que par la gentillesse et l’empathie qu’elle avait su avoir à ton égard dès vos premiers échanges. « Je suis sûr que tout ira bien pour vous deux. » Et ça, tu avais vraiment envie d’y croire.