Je déteste les administrations mais je les détesterai sans doute moins si je passais pas ma vie à perdre mes papiers tout l’temps. Ça fait trois fois en moins de deux ans et ça commence à être long. La dernière fois que j’étais venue, la nana derrière son bureau m’avait presque accusée de faire du trafic de papier. J’ai une tête à vendre mes documents pour accepter l’usurpation d’identité ? J’attends déjà de savoir à quelle sauce j’vais être mangée aujourd’hui.
Ca fait déjà une heure que j’attends dans cette salle remplie de personne et j’ai l’impression qu’il y a toujours plus de monde avant moi qu’après moi. J’me demande à quoi ça sert de prendre des rendez-vous en ligne si après, on doit quand même perdre son temps sur une chaise qui fait mal au cul pendant des heures.
Max avait été cool en me laissant ma matinée, mais si j’arrive en retard à la première session de l’après-midi, il va juste me défoncer, y a personne pour assurer la partie aussitôt. Ca fait déjà deux fois en deux mois que j’lui fais le coup d’être en retard, j’crois qu’il va juste finir par me foutre dehors à force.
« Madame Crawley ? » ah putain, enfin. Je choppe mon sac, glisse mon téléphone dedans et le temps que j’me lève, une nana me passe devant, s’avance jusqu’au guichet et prend ma place, oklm. J’suis à deux doigts de péter un plomb et à faire une remarque sur la facilité qu’on les gens à ne pas manquer de gêne. « Madame Crawley Maze, c’est ça ? » Je ravale ma fierté, je ravale ma rage et j’observe la scène. Ok, deux Crawley dans cette salle, la probabilité était faible, mais j’ai le bénéfice du doute, j’retourne m’assoir rapidement et je reste silencieuse. « J’ai besoin de quelques informations pour vérifier votre identité. Noms et prénoms de vos parents. » Bonjour la confidentialité… mais comme si c’était plus fort que moi, j’étais obligée d’écouter la conversation. « Dick Crawley » et là, j’suis à deux doigts de m’étouffer. J’écoute tout, j’en loupe pas une miette. Elle est née en Angleterre, elle a trente-deux ans depuis le dix-sept juillet, elle vient pour son VISA. J’ai l’impression d’être dans une caméra cachée, d’être au centre d’une mauvaise blague. « Madame Crawley ? » je relève la tête, vers un autre guichet. « Jina ? » la nana secoue la tête, comme si c’était évident. Pas évident pour tout le monde visiblement. J’y vais, c’est mon tour, j’espère que ce sera rapide, faut que j’la choppe, faut pas qu’elle file avant moi.

@Maze Crawley

Sans aller jusqu’à dire qu’elle possédait une légère phobie administrative, Maze se débrouillait toujours malgré tout pour repousser tout remplissage d’ennuyeuse paperasse à plus tard. Mais quand il s’agissait de faire renouveler son visa afin de ne pas être renvoyée en Angleterre, elle daignait tout de même faire quelques efforts pour ne pas trop retarder ladite tâche. Elle avait suffisamment donné pour parvenir à remettre les pieds à Brisbane et tenter de se réacclimater à son ancienne vie pour retrouver un semblant de normalité, elle ne pouvait décemment pas avoir fait tout cela pour rien. Alors c’était certes en traînant des pieds qu’elle avait avancé jusqu’au bâtiment administratif avant de s’installer sur une chaise en attendant son tour, mais elle avait fait acte de présence. « Madame Crawley ? » Au moins elle n’avait pas eu à patienter trois heures, c’était toujours ça de pris. Maze s’était levée de sa chaise pour se diriger vers la personne qui venait de l’interpeler, constatant du coin de l’œil qu’elle semblait avoir interrompu une autre personne dans son élan. Est-ce qu’elle avait rêvé ou bien cette jeune femme venait de lui lancer un regard volontairement dédaigneux, voire assassin ? Quelle mouche l’avait piquée ? La britannique s’était contentée de froncer les sourcils et de secouer la tête avant d’oublier cette mésaventure pour régler le plus vite possible cette histoire de visa. Quelques questions plus tard et Maze était enfin sur le point de pouvoir sortir de là pour reprendre le cours de sa vie. « Madame Crawley ? » Ses sourcils se froncèrent une nouvelle fois alors que son regard se fit attirer du côté d’un autre guichet non loin du sien. Avait-elle mal entendu ? Deux Crawley du côté de Brisbane…plausible mais malgré tout cocasse comme situation. Elle constata en revanche que la jeune femme de tout à l’heure était celle qui se dirigeait à présent vers le guichet. Etait-ce pour cela qu’elle l’avait mal regardée ? Elle n’avait pas non plus l’air de respirer l’amabilité donc il pouvait encore s’agir là tout simplement de son air naturel. Elle avait pourtant toujours l’impression de sentir son regard peser sur elle. Et Maze avait beau tenter de se faire la plus discrète possible depuis son retour à Brisbane, elle n’était aux dernières nouvelles toujours pas du genre à se laisser intimider pour rien. Aussi ne put-elle s’empêcher de se retourner un peu brusquement, une fois ses papiers remplis et alors qu’elle s’apprêtait à partir, pour vérifier si cette jeune femme était encore étrangement focalisée sur elle. Maze recula spontanément d’un pas après s’être retournée en découvrant que ladite inconnue était beaucoup plus proche d’elle qu’elle ne l’imaginait. Ses sourcils se froncèrent et ses traits se durcirent, sortant son air aimable des grands jours, avant qu’elle ne lance de but en blanc : « Y a un problème peut-être ? »

Je savais tout, tout sur les secrets de mes parents depuis des années, tout sur la double vie menée par mon père, l’argent qu’il donnait à ma mère contre son silence. D’ailleurs, maintenant que j’étais au courant de tout, je me demande s’il lui envoie toujours son argent de poche où s’il s’est décidé à lui couper les vivres ? encore une question à éclaircir tien. Bref, je m’occuperai de ces détails plus tard parce que là, tout devenait bien plus concret. Mais Dick avait sans doute oublié de me dire une chose : que sa fille se trouvait à Brisbane. Le savait-il ou était-il aussi désintéressé de sa vie que de la mienne ? J’imagine que s’il le savait, ça l’arrangeait bien que ni elle ni moi ne le sache. Mais j’avais encore bien d’autres questions qui me venaient : Maze savait-elle qui était vraiment son père et savait-elle qu’il avait une autre famille, fu un temps ? Ici, en Australie ? J’en revenais pas, les pièces avaient beau s’assembler parfaitement juste sous mes yeux, tout ça n’avait pourtant aucun foutu sens. En moins de deux mois, j’avais appris que mon père avait une autre famille et maintenant, sauf si la coïncidence était si énorme, une partie de cette famille se trouvait juste sous mes yeux. Ici, à Brisbane à des milliers de kilomètres d’Angleterre. C’était une terre d’accueil pour les anglais ou quoi ?
Si Dick savait que sa fille se trouvait ici, il fallait être sacrément con pour pas tenter de l’en dissuader. Mais après tout, quelles étaient les chances pour qu’on se rencontre vraiment et qu’on sache à qui on avait à faire ? Proche de zéro hein, c’est con.
Je signais rapidement mes documents et tout semblait être okay. « vous recevrez un sms pour vous dire quand tout sera prêt. Comptez plusieurs semaines. » je m’en foutais, tout était en ordre, que ça arrive dans deux semaines ou deux mois, peu importe, là, je voulais m’arranger pour choper cette fameuse Maze. Je remballe mes documents. « Merci. » que je lance, peu aimable et à la fois, sur le même ton qu’elle. Je tourne les talons pour suivre Maze qui venait de me passer devant pour s’en aller. Jusqu’à ce qu’elle se tourne vers moi, me faisant face, presque nez à nez. Oops. J’avais manqué de lui foncer dedans, ne m’attendant pas à ce qu’elle me confronte. « Y a un problème peut-être ? » Je me racle la gorge, faisant bien moins la maline d’un coup. Coup de chaud, transpiration soudaine. « rien. » je secoue la tête, intimidée par son regard foncé et dur. Un blanc s’installe, petit malaise et j’ai l’impression qu’on dérange, en plein passage. « Faut sortir… » je l’invite à dégager des lieux avant qu’un vieux nous foute un coup de béquille dans les jambes.
Je lui passe sur la gauche, me faufilant alors jusqu’à la sortie, sachant bien qu’elle allait finir par me suivre et que ces quelques secondes gagnées allaient me permettre de savoir à peu prêt quoi lui dire. « Mon père s’appelle aussi Dick Crawley. » que je lâche alors, peut être qu’elle n’y verra qu’une coïncidence, mais pour en avoir le cœur net, j’ai besoin d’avoir plus d’information à propos de lui.

Depuis son enlèvement Maze était en permanence sur la défensive et à l’affut du moindre comportement anormal en provenance des personnes autour d’elle. Aussi fut-elle assez facilement attentive à l’attitude étrange de cette inconnue qui semblait lui accorder plus d’attention qu’elle n’en méritait. Et son instinct ne l’avait pas trompée, preuve en était qu’elle venait de se retrouver face à elle au moment où elle avait fait brusquement volte-face. « Rien. » lui répondit la jeune femme. Elle avait pourtant l’air d’avoir quelque chose à se reprocher. « Faut sortir… » Cela tombait bien, c’était justement ce qu’elle tentait de faire initialement avant de se sentir épiée par son regard. Quelles raisons avait-elle de la suivre si ce n’était une sorte de curiosité malsaine ? Maze aurait très bien pu continuer son chemin et ignorer la brune sans plus de cérémonie. Pourtant, quelque chose lui disait qu’elle pouvait toujours lui accorder quelques secondes de son temps, ça n’était pas comme si elle avait mieux à faire présentement de toutes façons. En revanche elle gardait bien à l’esprit le fait qu’elle puisse potentiellement lui vouloir du mal pour une raison ou pour une autre. Psychoter et imaginer des scénarios catastrophes, ça n’était qu’une des nombreuses séquelles qu’elle conservait de son enlèvement après tout. La bonne nouvelle dans l’histoire c’était que la jeune femme ne faisait clairement pas 3 têtes de plus qu’elle et n’avait pas des muscles à en faire pâlir Dwayne Johnson. Elle pourrait toujours lui mettre un taquet et partir en courant si cela s’avérait nécessaire. Une fois à l’extérieur, Maze observa son interlocutrice d’un air toujours aussi suspicieux qu’auparavant, attendant la suite de son histoire. « Mon père s’appelle aussi Dick Crawley. » Maze fronça les sourcils et resta silencieuse de longues secondes avant de finir par éclater de rire. C’était ça qu’elle tenait tant à lui dire ? Elle s’attendait à une révélation d’envergure mais définitivement pas de ce genre-là. Oui et alors ? Pour une raison qui lui échappait encore, cette femme avait vraisemblablement écouté la conversation qu’elle avait eu au guichet quelques minutes auparavant et avait à présent décidé de s’en servir pour lui faire…une bonne blague ? Elle n’était même pas drôle cette blague. Qu’est-ce qu’elle lui apportait si ce n’était une profonde perte de temps ? « Ravie de l’apprendre. Vous le féliciterez de ma part de faire partie des nombreux Dick Crawley vivant dans ce bas monde. » Son ton était résolument moqueur. Pour qui se prenait-elle ? Maze ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer. Elle aurait pu en profiter pour faire demi-tour à ce moment-là mais elle attendait une suite, une quelconque explication à son étrange attitude et à cette déclaration sortie de nulle part. Sans même qu’elle ne s’en rende compte, ses yeux étaient à présent en train de scanner inconsciemment le visage de l’inconnue…peut-être en quête d’une ressemblance avec son père. « C’est tout ? » demanda-t-elle, prête à continuer son chemin après cet aparté dont elle se serait bien passée.

Je sais pas pourquoi, j’avais l’impression que juste en lui disant que mon père avait la même identité que le sien – ou pluôt était l’homonyme du sien – me suffisait à lui faire comprendre ce que je voulais dire. Mais j’avais sans doute une information capitale en plus qu’elle. Je savais que mon père avait une double vie, ou plutôt, avait une autre famille. Elle n’avait surement aucun doute sur le fait que son père pouvait être un bon père de famille, digne de ce nom qui n’avait sans doute rien à se reprocher. Et pourtant, lorsqu’elle me rit au nez, je me vexe, vraiment. « Ravie de l’apprendre. Vous le féliciterez de ma part de faire partie des nombreux Dick Crawley vivant dans ce bas monde. » quelle conne. C’est tout ce qui me vient en tête, elle est conne. « C’est tout ? » est-ce qu’elle m’avait soulé au point de vouloir la secouer et lui remettre les idées en place ? Est-ce qu’elle méritait vraiment d’avoir cette information capitale ? Franchement, je pourrais me dire que ca servirait à rien de lui dire ça et en même temps, je refusais d’être le seul dindon de la farce dans cette histoire. Je refusais d’être la seule à avoir ça sur la conscience et même si, au final, je n’avais pas du tout envie de la connaitre, je crois que je ne pouvais pas faire comme si je m’étais trompée de personne et partir en me confondant d’excuse. « Même prénom, même date de naissance. Dick est anglais, il vient de Londres, il a fait un petit séjour en Australie y a … 25 ans. » est-ce qu’elle va encore me rire au nez après ça ? Pauvre femme. « On a le même père. » pour pas dire que je suis sa sœur, parce qu’on a rien en commun elle et moi. « fais-en ce que tu veux. Je suis au courant de sa petite famille et j’en sais suffisamment pour dire que je ne me trompe pas. » est-ce que maintenant, c’est à mon tour de rire ? « t’as le droit de croire en toutes les coïncidences que tu veux. » mais au moins, elle aura sans doute le doute dans sa tête, jusqu’à ce qu’elle confronte son père pour lui dire la vérité.  « je l’ai su y a quelques mois, j’étais loin de m’imaginer qu’on allait se rencontrer un jour. Ici. » qu’est-ce qu’elle foutait ici, d’ailleurs ? « Bonne journée. » parce que j’ai dis ce que j’avais à lui dire et qu’elle ne me donnait aucune envie de lui proposer d’aller prendre un café pour en discuter plus longtemps et faire semblant de vouloir apprendre à se connaitre. Le taf est fait, ça s’arrête là.

Maze ne savait toujours pas ce qui l’avait poussée à écouter le discours de cette inconnue au lieu de passer son chemin comme toute personne sensée. Et voilà qu’elle regrettait sa décision à présent. La blague n’était pas drôle et elle venait tout bonnement de perdre son temps. Pourtant elle n’avait pas tourné les talons pour autant. Elle était restée plantée sur place, comme attendant une quelconque justification supplémentaire de la part de la jeune femme qui expliquerait ce qui lui était passé par la tête pour en venir à lui faire une telle déclaration. « Même prénom, même date de naissance. Dick est anglais, il vient de Londres, il a fait un petit séjour en Australie y a … 25 ans. » Les informations mirent du temps à monter jusqu’à son cerveau mais elles firent leur petit effet. Cela faisait beaucoup de données d’un seul coup et pourtant chacune d’elle tapait en plein dans le mille. Comment cette femme aurait-elle pu connaître toutes ces informations sur son père ? L’avait-elle écoutée lorsqu’elle était passée au guichet ? Et même si c’était le cas, Maze était presque sûre de n’avoir communiqué que le prénom de son père quelques minutes auparavant. Rien d’autre. Comment aurait-elle pu savoir qu’il était Anglais ? Et qu’il avait séjourné en Australie 25 ans auparavant ? pour cette information-là, elle-même était bien incapable de s’en rappeler. Mais cela pouvait malgré tout coïncider avec le métier que son père exerçait et qui l’avait toujours fait voyager plus ou moins longtemps aux quatre coins du monde. « On a le même père. » Elle refusait de percuter. C’était beaucoup trop d’un coup. Elle n’était pas venue résoudre des foutus problèmes administratifs pour finalement voir une bombe pareille lui exploser au visage. « Je…quoi ? » Elle tournait et retournait les mots de la jeune femme dans sa tête, essayant de comprendre quel était son secret, où était cachée la caméra. Mais elles n’étaient que deux, accompagnées d’une vérité soudain très étouffante. Maze fixait les lèvres de l’inconnue sans saisir le sens de toutes les paroles qui s’en échappaient. Elle allait beaucoup trop vite. « je l’ai su y a quelques mois, j’étais loin de m’imaginer qu’on allait se rencontrer un jour. Ici. » Son père aurait une double vie ? Une autre famille ? Sa mère le savait-elle ? Est-ce que la terre entière était au courant d’une histoire pareille alors qu’elle avait vécu dans l’ignorance durant 32 ans ? « Bonne journée. » Maze l’avait accueillie sèchement et  elle comprenait qu’elle souhaite ainsi s’éclipser, mais elle ne pouvait décemment pas la laisser lui délivrer autant d’informations et partir comme ça. « Attends ! » Elle l’avait interpellée sans le vouloir. Rien de ce qu’elle venait de lui dire n’avait été intégré par son cerveau mais elle savait pourtant qu’elle devait creuser toute cette histoire et qu’elle ne pouvait pas la laisser disparaître dans la nature. « Je comprends rien à ce qui se passe. RIEN. » Elle était à la fois agacée, énervée, et de plus en plus anxieuse et préoccupée. C’était surtout ce dernier sentiment qui se lisait sur les traits de son visage. Elle était paumée. Complètement paumée. Et si toute cette histoire s’avérait être vraie, ce qui était certain c’est qu’on aurait difficilement pu lui annoncer de manière plus brutale. « Est-ce que t’as une photo de lui ? » Elle avait beau lui avoir énoncé tout un tas d’affirmations, Maze avait besoin d’avoir une preuve. Une vraie preuve. Quelque chose qu’elle pouvait voir, toucher. « Mes parents sont ensemble depuis plus de 35 ans. Je…. » Elle ne savait elle-même pas où elle voulait en venir en lui racontant cela. Etait-ce une façon de s’excuser de lui avoir parlé si sèchement ? Ou un prétexte pour justifier le fait que son père n’aurait jamais pu être le personnage principal d’une telle histoire ? Maze avait la désagréable impression d’avoir été projetée hors de son corps. Elle ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer et elle avait bien du mal à réaliser qu’elle était directement impliquée dans l’histoire qu’on était en train de lui raconter.

Quand les choses deviennent plus concrète et plus claire, elle fait moins la maline, Maze. Elle se met à bégayer là, bah oui, j’comprends bien l’effet que ça fait. Elle au moins, elle l’a pas appris en tombant sur un vieux courrier bizarre. Enfin, je sais pas comment j’aurai réagis à sa place non plus, mais j’aurai surement moins été conne qu’elle. J’ai pas tendance à rire aux nez des gens qui me parlent dans la rue en ayant l’air d’avoir quelques chose d’important à me dire. Et maintenant que la bombe est lâchée, j’aurai pu lui proposer d’en discuter tranquillement, pour voir si on avait pas un plan à mettre en place pour déjà, s’assurer que tout ça c’était juste. Qu’on se fasse pas berner par des indices pourris. Même si, de mon côté, j’étais plus que sûre de moi. Ma mère avait confirmé et elle avait toutes les informations à propos de la nouvelle famille de mon père, enfin, sa famille tout court. Bref, la seule chose à vérifier pour de bon, c’est que Maze était la vraie bonne personne, mais j’avais peu de doute. Elle ressemblait trop à mon père pour que ce soit pas elle, et tous les éléments concordaient. Bref, j’ai plus qu’à m’barrer, j’veux pas rester une seconde de plus ici.
« Attends ! » nan, nan, j’attends pas. Sa chance est passée. Je fais un pas de côté pour lui passer devant, mais elle s’arrête pas là. « Je comprends rien à ce qui se passe. RIEN. » fallait pas réagir comme ça, si t’avais envie de mieux comprendre. Je m’arrête, penche la tête sur le côté et croise les bras sous ma poitrine. C’est qu’elle a l’air en colère la demoiselle. Pas contre moi j’espère. Nan, elle peut, j’m’en fou. « Est-ce que t’as une photo de lui ? » je reste stoïque, pas certaine de vouloir répondre à cette question. Je la fais patienter encore un peu, ça lui apprendra. « Mes parents sont ensemble depuis plus de 35 ans. Je…. » j’ai aucune pitié, franchement, j’admets que ce soit triste et que ce soit difficile. Moi, j’ai plus mon père depuis bien trop de temps près de moi pour avoir l’impression d’avoir le droit d’être triste, juste, on m’a rien dit, on m’a menti alors qu’il y avait pas lieux d’être. Mais elle, c’est quand même différent. « Peut être qu’on est plus nombreux qu’on ne le pense. » peut être que son père – le notre – avait fait le tour du monde et avait mis enceinte des dizaines de femmes partout. Peut être que c’est le plus grand fornicateur que ce monde aura jamais connu. Je soupire et sort mon téléphone, recherchant la photo la plus récente que j’avais de lui. « elle date d’y a trois ans. » pas du genre à garder en mémoire des photos qui m’intéressent pas, c’est plutôt une chance que j’ai encore celle-ci. « Verdict ? » c’est maintenant ou jamais.

Maze était complètement déboussolée mais aussi sérieusement agacée et énervée. Contre son père d’une part -si toute cette histoire s’avérait être vraie-, mais aussi contre cette parfaite inconnue à qui elle n’avait rien demandé et qui se permettait de la regarder de travers. A quoi s’attendait-elle ? A ce qu’elle saute de joie à l’idée d’avoir une demi-sœur surprise ? Ca n’était clairement pas le genre de nouvelle facile à annoncer mais on pouvait difficilement dire qu’elle avait fait preuve de tact pour le faire. La britannique se considérait dans son bon droit d’avoir réagi comme elle l’avait fait. Et en admettant que tout ça était vrai, pourquoi ne lui avait-elle pas laissé le choix de continuer à vivre sereinement dans l’ignorance ? Elle n’avait pas besoin d’un poids supplémentaire sur sa conscience en ce moment. Elle n’avait pas non plus besoin d’un nouveau membre dans sa famille. Et si au fond d’elle-même elle se rendait compte que sa rancune était mal placée et que son comportement était en partie déplacé, elle n’avait pas pour autant envie de se montrer plus agréable dans pareille circonstance. « Peut être qu’on est plus nombreux qu’on ne le pense. »  » Et son interlocutrice ne faisait vraiment rien pour lui donner envie de se montrer agréable de toutes manières. Elles étaient parties pour rester campées sur leurs positions et partant de là, leur discussion ne risquait pas d’aller très loin. Maze s’était tout de même permise de demander une photo entre deux bégaiements, pour essayer de rendre cette histoire un peu plus réelle alors même qu’elle aurait préféré qu’elle reste la plus mauvaise plaisanterie de l’histoire de l’humanité. « elle date d’y a trois ans. »  » Lentement, le regard de la brune vint se poser sur l’écran du téléphone. Elle fit d’instinct un pas en arrière en découvrant le visage de son père sur la photo. Souriant. Vraisemblablement heureux. Son regard sévère et désabusé vint à nouveau se poser sur le visage de la jeune femme. Pouvait-elle l’avoir espionnée d’une quelconque manière et avoir trouvé des informations sur sa famille ? Le cas échéant : dans quel but ? Elle n’en savait rien. Ca ne tenait pas debout mais elle avait besoin de trouver des excuses pour rejeter cette nouvelle réalité qu’elle venait de lui imposer. Pourtant, plus elle la dévisageait, plus elle retrouvait  certains traits de son père sur son visage. « Verdict ? »  » Elle se pinça les lèvres, gardant le silence encore quelques secondes avant de soupirer ostensiblement. « On peut faire un test ADN ? »» C’était franc, lâché de but en blanc sans plus de cérémonies. Mais elle ne voyait pas quoi lui proposer d’autre pour tirer tout ça au clair. Sans lui demander sa permission, Maze attrapa le téléphone de la jeune femme pour y rentrer son nom et son numéro. « Appelle-moi quand t’as le temps qu’on fixe un rendez-vous. » » Quand t’as le temps et l’envie. Envie qui risquait de lui faire défaut de son côté. Et si elle ne l’appelait jamais, Maze tenterait d’oublier toute cette journée pour vivre dans un amer mais profond déni. Pour l’instant, elle avait surtout besoin d’une bonne bouteille de vin.