« Quand ça marche pas, parfois c’est que y’a juste pas de solution. » Oh que tu as essayé d’y croire, à ça. Cinq ans à te fermer les yeux sur tes sentiments, à jouer la comédie dans les bras d’un autre pour continuer de te faire croire qu’avec Wyatt, c’était perdu d’avance. C’est à trop vouloir te complaire dans cette idée que tu l’auras finalement perdu, mais ça, c’est une histoire que tu n’as pas particulièrement envie de raconter dans ses détails les plus sordides. Ton affaire avec le Parker, c’est quelque chose qui ne regarde que vous, même si depuis ta séparation avec Lachlan, tout ton entourage semble ressentir un besoin particulièrement douteux de partager leur opinion, comme si cette dernière venait changer quoi que ce soit à la donne. « Faudra en inventer alors. Pour le bébé. » Si votre relation était sans solution, votre vie de famille elle, devrait trouver un équilibre quelque part, quel qu’il soit. « Elle portera son nom parce que le mien m’importe peu. Si c’est pas le cas pour toi, tu devrais pas avoir à faire de sacrifice s’il refuse d’en faire. » « J’te rappelle qu’on parle d’un Parker. » Les concessions et les sacrifices, c’est loin d’être dans leur habitude. Et puis même si c’est difficile de l’admettre, tu les comprends, les raisons derrière le non-désir à ce que votre fils porte aussi ton nom de famille. Il faut dire que les Craine n’avaient jamais été très accueillants envers ton ex et que même aujourd’hui, plus que la moitié du clan refusait de reconnaître ce petit garçon qui allait naître dans quelques mois à peine. Malgré tout, tu demeurais une Craine. C’était ton héritage et tu trouvais important de partager le même nom que ton fils. Autant dire que le problème n’était pas près d’être résolu.

« Crois-moi, se faire haïr par moi, c’est pire. T’as de la chance que je sois pas dans mon état normal. » Elle t’offre un clin d’œil et tu remarques qu’elle gigote beaucoup sur sa chaise, comme si elle cherchait une position confortable sans être en mesure d’en trouver une qui soit à moitié décente. Tu pouvais tout à fait comprendre, tu te sentais de la même façon après tout. Ton nerf sciatique faisait des siennes depuis quelques jours déjà, quelque chose que le médecin jugeait normal à ce stade-ci de la grossesse. Normal, mais foutument désagréable. « Tu crois que j’aurais fait partie de ta black list, si t’étais dans ton état normal? » que tu demandes avec malice. Tu ne le prendras pas personnel, si c’est le cas. Ses premières impressions de ta personne, celles que tu as longtemps voulu que le monde ait, portent à croire qu’elle n’aurait jamais pris aucun intérêt pour ta personne. Tu te demandes aussi si vos chemins se seraient croisés à nouveau, si ce n’était pas de vos grossesses simultanées. Quelque chose te disait qu’elle et toi ne fréquentiez pas du tout les mêmes endroits, ni les mêmes gens. Qu’Ariane n’était qu’une drôle d’exception, comme elle l’était bien souvent. « C’est pas une raison suffisante pour être ensemble. » « Je sais. » Qu’est-ce qu’une raison suffisante pour être ensemble toutefois? Ta vision des couples et de l’amour était brisée, malmenée par tout le déni et les mensonges des dernières années qu’au final, tu n’étais même pas certaine de savoir comment être avec quelqu’un, encore bien moins Wyatt, dans l’immédiat.

« Tu le sauras avant moi. Hésite pas à me tenir au courant. » « Si ça se trouve, nos enfants n’auront que quelques jours de différence. » Si tu dépasses ton terme, ou qu’elle accouche en avance. Après tout, les dates ne sont que des approximatifs, tu sais que les bébés ont tendance de faire à leur tête et de venir quand ils le veulent. « Tu as beaucoup de mamans, dans ton entourage? » Ou est-ce que comme toi, elle avançait un peu sans repère? Tu avais Talia certes (dieu merci), mais elle était ta seule vraie amie qui avait des enfants. Il y avait ton grand frère aussi, mais vos rapports étant ce qu’ils étaient en ce moment, tu ne pouvais pas compter sur la moindre aide de sa part. « Non. » Sa franchise te rassure. Au moins, tu sais que c’est normal, ou du moins que tu n’es pas la seule, à te sentir de la sorte. « Je pensais que j’aurais jamais d’enfant. J’en voulais pas, à vrai dire. Mais je veux de celui là. » Tu souris doucement. Parfois, la vie a une drôle de manière de placer des éléments sur vos chemins que ne pensiez pas vouloir un jour. « J’ai toujours voulu être mère. Je pensais juste pas que ça se passerait comme ça. » Mère célibataire, ce n’était clairement pas comme ça que tu t’imaginais le truc. Ce n’était pas de ça qu’était composé tes rêves. « Alors être prête, c’est secondaire. » « Tant que vous le voulez. » Tu souris doucement. C’est un peu la même chose pour Wyatt et toi, dans le fond. Tant que vous le voulez. « Ta grossesse se passe bien? Si on oublie le déni. »

Into the unknown
Raelyn Blackwell & @Rosalie Craine

« Faudra en inventer alors. Pour le bébé. » Je l’observe quelques secondes avant de hausser les épaules : leur bébé, leur solution. Je suppose qu’elle le sait de toute façon, je suppose qu’elle ne me confie pas ces choses dans l’attente d’un conseil ou d’une main secourable : j’ai le sentiment qu’elle a simplement besoin de vider son sac. Peut-être que c’est ça aussi qui me pousse à échanger ces choses presque intimes avec une inconnue quand ce n’est habituellement pas mon genre : le besoin de vider mon sac. Le besoin de parler de cette grossesse tout simplement quand, avec Amos, j’ai l’impression de marcher sur des oeufs depuis l’annonce du sexe. « J’te rappelle qu’on parle d’un Parker. » J’esquisse un sourire amusé. « C’est vrai. » Mais même Ariane avait finalement pris le nom de Saül, non ? Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Parcourt-elle le monde avec un passeport au nom d’Ariane Williams ? « C’est qu’un nom. Mais y’a que toi qui peux estimer si, à tes yeux, ça vaut la peine de se battre. » Si c’était le cas pour moi, je n’aurais pas cédé avant d’avoir eu gain de cause ou, au moins, un compromis qui ne lèse aucun des deux partis, puisque j’ai appris à en faire aux côtés d’Amos.

« Tu crois que j’aurais fait partie de ta black list, si t’étais dans ton état normal ? » Mon sourire amusé ne me quitte plus maintenant qu’il est question de ça, ça étant mon mauvais caractère et ma tendance à détester toute représentante de la gente féminine sans avoir besoin de plus de raisons que ça. « Honnêtement ? » N’est-ce pas ce qu’on fait depuis tout à l’heure, être honnête l’une envers l’autre ? « Je t’aurais certainement pas remarquée. » Parce que je suis nombriliste, parce que tout ce qui ne tourne pas autour de moi et de mon petit monde ne m’intéresse pas. « Et si je l’avais fait, tu m’aurais certainement agacée. » Parce qu’elle fait certainement partie de ces gens bien trop normaux pour être digne d’autre chose de ma part. « Mais t’as pas ce qu’il faut pour faire partie de ma blacklist, désolée. » Non, je ne le suis absolument pas. Et il vaut mieux pour elle de toute façon, elle aimerait pas les gens qu’elle y retrouverait. Je crois que ce que j’aimais chez Ariane, c’est qu’elle en avait rien à foutre, de me plaire ou non. On se ressemblait beaucoup et il n’y avait que deux issues possibles : qu’on en vienne à se détester, ou bien qu’on trouve un chemin étrange l’une vers l’autre. J’ai été la première surprise, lorsque notre relation s’est dirigée vers la seconde possibilité.

« Si ça se trouve, nos enfants n’auront que quelques jours de différence. » - « Je suis née en fin d’année. » Et elle s’en fiche certainement, mais ce serait une jolie et drôle de coïncidence si ma fille pointait le bout de son nez aux alentours du 20 décembre. « Mais compte pas sur moi pour qu’on leur achète des matching pyjamas, si c’est le cas. » Ou qu’on discute allaitement et grenouillères. L’étrange état de grâce dans lequel nous nous trouvons n’est rien d’autre que passager. « Tu as beaucoup de mamans, dans ton entourage ? » - « Aucune. » Et je dois admettre qu’elle marque un point, que c’est certainement pour ça que ma curiosité m’a poussée à aller au-delà de ma misogynie pour lui parler. « J’ai pas beaucoup de femmes dans mon entourage. » A part les escorts du Club, et on ne peut pas vraiment dire que je me sois jamais fait des amies parmi leur rangs, dieu soit loué. Même Sasha, que j’estime à ma façon, ne peut-être considérée comme une amie ou même une proche. « J’ai toujours voulu être mère. Je pensais juste pas que ça se passerait comme ça. » Nous voilà toutes les deux victimes d’un pied de nez du destin qui, une fois encore, exprime son sens de l’humour particulier. « Tant que vous le voulez. » Un voile de tristesse traverse mon regard, mon visage se ferme, mais je chasse mes angoisses et mes doutes. Je le veux et j’étais sûre que c’était le cas d’Amos, avant que la situation m’échappe. Aujourd’hui, je ne sais plus ce qu’il veut, ce qui le hante et s’il m’en veut d’une façon ou d’une autre. « Oui, exactement. » J’ai perdu un peu de ma superbe, mais elle ne le relève pas et une part de moi est prise de reconnaissance. « Ta grossesse se passe bien? Si on oublie le déni. » - « Je suis pas sûre de comment c’est supposé se passer, mais je pense que oui. » Pas d’alerte, rien d’anormal lors de mes derniers contrôles, physiquement, ça se passe bien. « Je bosse dans un milieu un peu particulier et presque entièrement masculin. Alors pour l’instant, ça m’arrange de pouvoir encore le cacher. » Et de ne pas avoir doublé de volume à ce stade de ma grossesse. « Mais je sais que je pourrais pas le faire éternellement. » Et je ne l’ai avoué à personne, pas même Amos, mais j’ai peur des conséquences. J’ai peur que mon statut de femme soit rappelé à l’ensemble de mes troupes machistes et que, par conséquent, je perde un peu de mon pouvoir et de mon ascendant.

« C’est qu’un nom. Mais y’a que toi qui peux estimer si, à tes yeux, ça vaut la peine de se battre. » Tu hausses légèrement les épaules. Tu y tenais, mais à quel point? Tu savais pertinemment que ce n’était qu’un point de désaccord sur des dizaines, voire des centaines à avoir dans les années à venir en ce qui concernait votre fils et tu savais qu’il te faudrait concéder des batailles, que ça te plaise ou non. Tu comprenais l’ambivalence que pouvait avoir Wyatt vis-à-vis du nom Craine, ce n’est pas ce que tu remettais en question, mais à quel point avais-tu besoin de partager ton nom avec ton fils? Ça, même toi, tu ne savais réellement y répondre. Comme Raelyn l’avait dit toutefois, tu avais encore le temps pour y penser et pour te disputer avec Wyatt à ce sujet. Il restait encore quelques mois avant la naissance de votre garçon après tout.

« Honnêtement? » Tu hoches la tête. N’est-ce pas ce que vous faites depuis le début de cette conversation légèrement atypique, être honnêtes l’une envers l’autre sans vraiment vous expliquer pourquoi vous l’êtes autant? « Je t’aurais certainement pas remarquée. » Sa réponse t’arrache un léger rire. Ce n’est certainement pas une insulte, pas vraiment un compliment non plus. Tu aimes qu’on te remarque, mais seulement dans certains contextes et tu n’es pas certaine que ton chemin aurait croisé celui de la blonde dans ces derniers. « Et si je l’avais fait, tu m’aurais certainement agacée. » « Parce que j’ai l’air d’être l’une d’elles? » Ton visage se tourne vers les autres femmes dans la salle d’attente, celles qui ne vous intéressent pas parce qu’elles ont l’air terriblement fades, accrochées à leurs hommes, pratiquement larmoyantes avec chaque coup donné par leur bébé. S’il y a une chose que tu saisis rapidement, c’est que Raelyn et toi, vous n’êtes pas de celles qui laissent les émotions dictées la danse, normalement. Les hormones, elles ont tendance a changé la donne, ne serait-ce qu’un petit peu. « Mais t’as pas ce qu’il faut pour faire partie de ma blacklist, désolée. » « Je suis pas certaine que j’ai envie de savoir ce que ça prend pour en faire partie. » que tu relates avec humour. Du peu que tu savais d’elle – et de ses anciennes fréquentations – quelque chose te laissait croire qu’il valait mieux l’avoir comme amie plutôt que comme ennemie.

« Je suis née en fin d’année. » Si ça se trouve, c’est elle qui va partager sa date d’anniversaire avec sa fille, ou même avec ton fils, non pas que ce soit le genre de détails qui allait changer quoique ce soit. « Mais compte pas sur moi pour qu’on leur achète des matching pyjamas, si c’est le cas. » « Tu me déçois Raelyn. » que tu exposes avec un rire et une aisance qui ne fait pas vraiment de sens considérant qu’il y a vingt minutes à peine, tu avais tout oublié de son existence et que vous ne partagiez que des regards échangés lors d’un évènement qui n’aurait peut-être jamais dû avoir lieu. « Aucune. J’ai pas beaucoup de femmes dans mon entourage. » « Moi non plus. » Tu n’es pas ce genre de filles qui devient facilement amie avec les autres. Trop compétitrice, trop bornée, trop égoïste aussi sans doute. « Les femmes sont généralement trop chiantes je trouve. » que tu ajoutes, et tu te comptes bien dans le lot. Tes intérêts ont toujours passé avant ceux des autres et apparemment que ce n’est pas quelque chose qui fait de toi une excellente candidate pour une amitié quelconque. Tu te considères chanceuse d’avoir Talia d’ailleurs, même si souvent, tu te demandes comment elle fait pour continuer de te supporter au fil des années. Faut croire qu’elle a accès a une partie de toi que tu n’as pas souvent offert dans les dernières années. « Je suis pas sûre de comment c’est supposé se passer, mais je pense que oui. » « Je crois que tu le saurais, si ça n’allait pas bien. » Tu ne sais pas pour elle, mais tu les as entendus à de multiples reprises, tous les risques de complications et tes propres facteurs de risques à ce que l’une d’entre elles prenne place au cours de ta grossesse. « Je bosse dans un milieu un peu particulier et presque entièrement masculin. Alors pour l’instant, ça m’arrange de pouvoir encore le cacher. » « Qu’est-ce que tu fais dans la vie? » Il y a plusieurs milieux qui sont majoritairement masculins après tout, les possibilités sont grandes, même si tu peines à l’imaginer dans un domaine excessivement physique, peut-être à cause qu’elle semble être si petite et menue assise sur cette chaise, même avec six mois de grossesse dans le corps. « Mais je sais que je pourrais pas le faire éternellement. » « Je doute pas que tu sais comment te défendre si un de tes collègues décide de t’emmerder à cause de ta grossesse. » Elle ne semblait pas avoir sa langue dans sa poche après tout.

Into the unknown
Raelyn Blackwell & @Rosalie Craine

« Parce que j’ai l’air d’être l’une d’elles ? » Pour pleins de raisons et le fait qu’elle soit une femme qui se complait dans une petite vie minable - je ne la connais pas mais j’ai le jugement facile - arrive certainement en tête de la course. Rosalie a l’allure de quelqu’un qui bosse dans un bureau de 9h00 à 18h00 et, s’il ne faut pas se fier aux apparences, je sais déjà que je n’échangerais nos vies pour rien au monde. « Parce que tu fais d’un nom de famille une affaire d’état. » Quand je me fous bien de ce qui importe aux yeux des quidams. « Et parce que t’as toujours rêvé d’avoir des enfants. » Donc oui, elle n'avait pas tort : parce qu’elle a l’air d’être l’une d’elles ou, en tout cas, parce qu’elle est bien différente de ce que moi j’ai toujours été : un électron libre, un être à la marge. « Je suis pas certaine que j’ai envie de savoir ce que ça prend pour en faire partie. » -  « Oh non, t’as pas envie. » Dans l’ensemble, ça prend d'être un ou une traître sans scrupule. D’être le genre de salopard prêt à vous planter un couteau dans le dos doublé d’un lâche. Rosalie est plus à son aise dans ma zone d’ignorance, avec une bonne frange de la population.

Alors pourquoi est-ce que je perds mon temps à lui parler ? Parce que je projette Ariane sur la brune et que c’est à elle que j’aurais voulu parler de ma grossesse et de toute ce qui me déstabilise parce que je sors de ma zone de confort ? Elle aussi est passée par là lorsqu’elle était enceinte d’Abel, je suis persuadée qu’elle n’avait jamais envisagé l’idée de fonder une famille et que toutes ses certitudes se sont retrouvées chamboulées. Parce que, Amos me fuyant, je n’ai personne à interroger ? Parce que, comme moi, elle a appris qu’elle était enceinte sur le tard et jongle avec bien trop de questions en trop peu de temps ? Dans les faits, c’est plus simple et plus compliqué à la fois : j’échange avec elle parce que, d’une certaine manière, la grossesse fait naître en moi tout un tas d’insécurités et qu'en temps normal, je ne suis pas habituée à douter et me remettre en question. En temps normal, je suis un bulldozer qui roule sur les convictions d’autrui.

Je la déçois pour les matching pyjamas et j'accueille sa répartie avec un sourire amusé. « Moi non plus. Les femmes sont généralement trop chiantes je trouve. » La bonne nouvelle c’est que, au moins, il n’y a aucun risque pour qu’elle s’accroche à moi parce qu’Ariane lui manque et qu’elle a besoin d’une super copine. Cette rencontre ne débouchera pas sur une formidable amitié et nos gosses ne se marieront pas parce qu’on les aura emmenés en vacances ensemble tous les ans. On est d’accord sur notre vision de la gente féminine, et c’est déjà ça. « Je crois que tu le saurais, si ça n’allait pas bien. » Je baisse les yeux sur mon abdomen que je caresse du pouce. Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que j’en serais consciente si le petit être que je porte avait un problème ?  « On peut pas dire que j’ai mis toutes les chances de mon côté. Pendant trois mois, quand je savais pas qu’elle était là, j’ai rien changé à mon mode de vie. » Et on ne parle pas de fruits non lavés ou de poisson cru.  « Et mon mode de vie… On va dire qu’il s’apparente à celui d’Ariane. » A quelques détails près : je ne consomme plus de drogues dures depuis une année entière mais je bois tous les jours, fume comme un pompier et pas que du tabac.  « Mais merci. » D’essayer de me rassurer alors que rien ne l’y oblige.

« Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » La voilà, la question à laquelle je n’ai jamais répondu honnêtement une seule fois dans ma vie. Je ne suis pas versée dans le mensonge mais pour celui-ci, je n’ai pas le choix. « Je doute pas que tu sais comment te défendre si un de tes collègues décide de t’emmerder à cause de ta grossesse. » Je laisse échapper un rire bref, avant de secouer la tête.  « C’est pas ça le problème. » Les remarques frontales ne me dérangent pas : je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds.  « Je suis la boss. » C’est vrai, après tout.  « Je sais pas si t’as entendu parler de l’Octopus. Le casino de Fortitude Valley, sur Wickham Street. On le possède et le gère, mon compagnon et moi. » Mes activités plus illégales sont bien entendues passées sous secret.  « Le problème, c’est qu’être enceinte, ça rappelle aux machos que je suis une femme. » Et les femmes dans mon univers sont souvent perçues comme plus faibles que leurs comparses masculins. Ironique, quand on sait que Mitchell a été mis en déroute par deux d’entre nous. « Raelyn Blackwell ? » La voix de la gynécologue me rappelle le contexte - nous sommes dans une salle d’attente - et je me redresse en glissant la lanière de mon sac à main sur mon épaule. « Le timing est impeccable. J’aurais pas à te retourner la question et à faire semblant que la réponse m’intéresse. » J’esquisse un sourire amusé et provocateur avant de lui jeter un dernier regard. « Bonne chance Rosalie. » Pour le reste de la grossesse, pour ses histoires de prénom et pour sa relation compliquée avec le père.

« Parce que tu fais d’un nom une affaire d’état. » Elle exagère un peu quand même. Pas beaucoup, mais un peu. « Et parce que t’as toujours rêvé d’avoir des enfants. » Ça, oui. Un rêve que tu ne pensais pas un jour se réaliser après avoir quitté Lachlan, sans même savoir à ce moment précis que tu étais déjà enceinte, de Wyatt. Tu n’argumentes pas toutefois. Peut-être que bien malgré toi, tu demeurais éternellement un peu comme les autres femmes de cette salle d’attente. Même sans le mari, même sans la grosse maison et la relation parfaite. Tu avais eu ces choses pendant si longtemps, des rêves de petite fille tout ce qu’il y a de plus d’ordinaire. Tu ne ressortais pas du lot autant que tu t’en donnais parfois le crédit. Pas comme Raelyn le faisait. Et si une partie de toi la jalousait bien malgré toi pour ce fait, tu te disais que ce n’était peut-être pas plus mal, finalement. « Oh non, t’as pas envie. » Tu ris doucement. Tu ne sais pas ce que ça prend, mais une chose est certaine : tu ne le possèdes pas et tu n’allais certainement pas chercher à le trouver non plus.

« On peut pas dire que j’ai mis toutes les chances de mon côté. Pendant trois mois, quand je savais pas qu’elle était là, j’ai rien changé à mon mode de vie. Et mon mode de vie… On va dire qu’il s’apparente à celui d’Ariane. » Tu ne peux t’empêcher d’échapper un léger rire à cette confidence. Dans toutes vos différences, vous sembliez tout de même avoir bien plus en commun que vous ne l’auriez cru possible. « Si ça peut te consoler, j’habitais chez Ariane pendant les mois où je savais pas que j’étais enceinte et je ne faisais pas que squatter son canapé. » Si tu n’avais jamais consommé quelconques drogues avec la rouquine, tu n’avais pas lésiné sur les nombreux verres de vin et d’alcool en tout genre, allant même jusqu’à croire que tes nausées matinales étaient dues à tes gueules de bois et non pas à une grossesse que tu n’avais pas encore réalisée. « Mais merci. » Tu hausses les épaules. Tu n’as pas fait grand-chose après tout. Tu veux vraiment croire que si quelque chose n’allait pas, elle en aurait conscience ou son gynécologue lui en aurait parler. C’est bien la moindre des choses après tout.

« C’est pas ça le problème. » Oh. Tu fronces les sourcils, curieuse d’en apprendre un peu plus. « Je suis la boss. » Alors qu’est-ce qui la stress tant que ça, si c’est elle qui est en charge? « Je sais pas si t’as entendu parler de l’Octopus. Le casino de Fortitude Valley, sur Wickham Street. On le possède et on le gère, mon compagnon et moi. » Le nom t’ait familier, mais sans plus, c’est donc un signe négatif de la tête que tu lui offres alors qu’elle te mentionne l’établissement qu’elle possède. Tu ne sais pas que tu l’aurais imaginé dans un tel business. Tu ne sais pas que tu l’aurais imaginé dans quelconque business pour être bien honnête. « Le problème, c’est qu’être enceinte, ça rappelle aux machos que je suis une femme. » « Je doute qu’ils l’oublient de manière générale. » Mais peut-être est-ce seulement parce que tu ne possèdes aucune connaissance du domaine dans lequel elle évolue. Elle sait sans doute ce qui est mieux pour elle et si elle a jugé que de camoufler sa grossesse aussi longtemps que possible était la chose à faire, alors autant pour elle. « Raelyn Blackwell? » La blonde à tes côtés relève la tête avant de se lever complètement. « Le timing est impeccable. J’aurais pas à te retourner la question et à faire semblant que la réponse m’intéresse. » Tu ne peux t’empêcher de rire. Plus direct qu’elle, impossible. « Bonne chance Rosalie. » « Toi aussi, Raelyn. » Tu ne savais pas si ton chemin serait emmené à recroiser celui de la blonde, mais dans le doute, tu savais où aller la trouver pour lui offrir un matching pyjama.