@"SETH MORIARTY" & MAISIE MORIARTY ⊹⊹⊹ didn't have a dime but i always had a vision, always had high, high hopes, had to have high, high hopes for a living, didn't know how but i always had a feeling i was gonna be that one in a million.

(FORTITUDE VALLEY, LOGEMENTS). Je vais lui hurler dessus. Je vais m’assurer qu’il ne puisse jamais se reproduire. Peut-être que je vais le torturer, lentement et avec un sadisme que je ne me connais pas. Non, je vais le tuer. Je vais purement et simplement le tuer et si ça n’est pas suffisant, je le tuerai encore un peu parce qu’une seule fois est une perspective bien trop douce pour lui. En d’autres termes, mon frère s’apprête à passer un sale quart d’heure maintenant que j’ai déposé Lee chez moi et que je me suis assurée qu’il ait de quoi se réchauffer. Je l’ai calé devant la télévision (peu importe les règles qui veulent que « blabla pas de télé pour les jeunes enfants ») devant son film préféré. Je lui ai fait un chocolat chaud supplément chantilly et je lui ai même réchauffé un moelleux au chocolat surgelé, parce qu’il mérite bien ça pour avoir attendu Seth pendant presque une heure à la sortie de l’école, sous la pluie. Il était complètement congelé quand il s’est enfin décidé à m’appeler, parce qu’il a sûrement voulu croire jusqu’au dernier moment que Seth ne l’avait pas oublié, qu’il allait pouvoir passer du temps avec son grand frère adoré qui ne prend jamais assez de temps pour lui et qu’il continue d’admirer malgré toutes les déceptions dont il est à l’origine. Je me suis assurée qu’un de mes colocataires serait susceptible d’arriver rapidement pour ne pas le laisser seul trop longtemps, je lui ai assuré un million de fois que Seth n’a pas fait exprès et qu’il se rattrapera alors que je sais pertinemment qu’il ne le fera pas. Il n’est pas fiable, notre frère et j’aurais aimé que Llewyn cesse de croire le contraire pour s’éviter les mêmes déceptions par lesquelles je suis passée autrefois. Mais il continue d’avoir les yeux qui brillent, il continue de parler de lui avec une fascination détestable et il continue de tout lui pardonner, même quand il ne le devrait pas. Parce que Lee ne lui dira jamais qu’il l’a attendu à s’en rendre malade, c’est mon rôle d’aller avertir mon frère de la situation. D’autres se seraient peut-être assurés qu’il est bien vivant, mais connaissant mon aîné, je sais que ce n’est pas un problème : il est comme les cafards, c’est difficile de se débarrasser de lui. Je l’ai appelé une bonne dizaine de fois, Lee en avait déjà fait de même avant que je lance la chasse aux sorcières et son manque de réponse me fait croire qu’il nous ignore ou qu’il n’est simplement pas disponible (occupé à quoi, ça, j’en sais rien). Peu importe, il n’aura pas d’autres choix que de se rendre disponible pour moi alors que je suis en route vers son appartement.

« SEEEEEEETH. » Je hurle à la porte comme une furie, m’en fichant bien du voisin de droite qui ouvre légèrement la porte pour guetter la situation. Un seul regard de ma part, un « un problème ? » adressé à son encontre avec colère et le voilà qui me laisse déjà mon intimité (façon de parler quand on hurle pour tout le quartier) alors que mon poing s’abat à nouveau contre la porte de mon frère. L’avantage, c’est que s’il ne répond pas et qu’il est là, j’imagine qu’il est dans un état second ou encore en train de dormir et suffisamment con pour ne pas avoir pris la peine de verrouiller la porte. Bingo, et si j’ai voulu faire preuve d’une politesse (toute relative) en annonçant ma venue, je ne me prive désormais pas d’entrer dans l’appartement sans me gêner, balançant mon sac dans un coin de la pièce avant de claquer la porte avec colère. Je suis trempée, Lee l’était aussi et il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas non plus quand je fouille la cuisine à la recherche d’un large plat que je remplis d’eau glacée. Quand j’arrive dans sa chambre, je ne prends même pas la peine de m’assurer qu’il est habillé, ou réveillé, ni même là, en réalité, quand je balance le contenu du bol dans son lit. Le cri qui s’en échappe me confirme que cet imbécile est bien là et je ne me gêne pas pour allumer la lumière, tant pis s’il est accompagné (c’est même mieux et j’aurai l’impression d’avoir eu un semblant de vengeance). « Ça va ? Je te dérange pas ? T’as pas l’impression d’avoir oublié quelque chose ? » Une seule chose. Je lui ai demandé une seule chose, une seule promesse parce que je continue de croire qu’il peut les tenir et finalement je suis plus déçue que je ne suis véritablement en colère, quand mon regard prend enfin le temps de se poser sur lui.

Tu ne pourrais même pas dire quand ni comment tu es rentré hier soir. C'est comme si t'étais encore chez ce type dont t'as déjà oublié le nom - tu te rappelles bien de sa réserve d'alcool bien garnis par contre - et puis, un clignement d'yeux plus tard, c'est la douche froide, littéralement. Pour un réveil brutal, c'en est tout un. « PUTAIN, MAIS T'ES CINGLÉ ??? » que tu t'écris en te levant comme une barre dans ton lit. Tu ne sais même pas, encore, qui est-ce que t'envoie chier. C'est pas vraiment important de toute manière. La liste est longue des personnes qui pourraient potentiellement te réserver un réveil aussi violent. T'es quand même soulagé de réaliser après quelques clignements de yeux que t'es bien chez toi dans ton lit. Bah, au fond, t'as pas à te sauver en courant du lit d'une inconnue parce que son mec est rentré plus tôt que prévu. Jamais cool de se retrouver à sortir par la fenêtre à moitié à poil. Bon, c'est quand même un peu drôle quand tu t'fais pas choper, quand tu t'fais casser la gueule moins. Tu passes ta main dans ton visage pour tenter de te réveiller un peu, envoies tes cheveux à moitié détrempés par en arrière. Ton mal de crâne te confirme que tu n'as pas assez dormi. Quelle heure est-il au juste ? La lumière qui semble vouloir entrer dans ta chambre te confirme que la nuit est terminée - elle l'était sûrement quand t'es rentré hier...ou aujourd'hui, c'est pas clair. Tes yeux plissés remarquent finalement la présence de ta soeur devant toi. Elle aussi, elle est détrempée. Quelqu'un lui a fait le même coup ? Elle aurait pu se venger sur quelqu'un d'autre.

« Ça va ? Je te dérange pas ? » Bahhh, maintenant que t'en parle, oui, tu déranges. Ça s'voit pas ? Tu n'as toutefois pas le temps d'ajouter quoique ce soit qu'elle poursuit. Tu soupires déjà. Peu importe ce qu'elle a à te dire - ou à te reprocher - tu sais déjà que ce sera chiant. Il faut vraiment que tu renouvelles ta liste d'excuses. Tu commences à avoir fait le tour avec elle. « T’as pas l’impression d’avoir oublié quelque chose ? » Tu oublies des choses constamment, surtout les plus importantes. Ce n'est pas nouveau pour personne. Qu'elle prenne un ticket comme tout le monde si elle veut venir t'emmerder - c'est que ton horaire est plutôt chargé, pas de passe droit pour la famille. Tu fais mine de réfléchir. Non, vraiment, y'a rien qui te vient en tête. Plus con que ça, tu meurs ! « C'est ton anniversaire ? » que tu lui lances en sachant pertinemment que ce n'est pas le cas. Enfin, t'es sûr à 60% que c'est pas aujourd'hui. La note de passage, c'est quand même bien. De toute façon, anniv' ou pas, elle n'aura pas de cadeau. Rien de nouveau là non plus. Tu tires sur tes draps, trempent eux aussi. Ah oui, bien sûr que t'as dormi avec rien sur le dos. Ça t'fait déjà rire de lire l'expression horrifiée sur le visage de Maisie. Elle, bien trop prude, et toi, vraiment pas assez. Tu attrapes ton pantalon au sol que tu viens enfiler juste avant de détourner la tête vers elle.  « Tu peux pas appeler comme tout l'monde au lieu d'me faire chier jusqu'ici ? » Oh, ouais, tu te doutes bien qu'il doit y avoir plusieurs appels et messages textes manqués d'afficher sur l'écran de téléphone. Tu te feras du pop corn tout à l'heure pour lire les menaces de mort, tes préférés. Elle sait comment te prendre par les sentiments celle-là !

« PUTAIN, MAIS T'ES CINGLÉ ??? » Je me mords la lèvre pour ne pas laisser exploser le vocabulaire d’insultes que je lui destine, à cet instant, dans ma tête. Du classique « connard » au plus discutable « fils de pute », au plus rare « malotru », la liste est longue et je n’aurai jamais assez d’une journée pour toute la réciter. Peu importe les mots employés, finalement, quand l’essentiel réside dans la colère que je ressens envers mon aîné, toujours incapable de porter ce statut alors que je lui demandais une chose, une seule petite chose, que je m’étais assurée à plusieurs reprises qu’il ne l’oublie pas et qu’il l’a évidemment oubliée. Je ne suis même pas surprise, je suis seulement hors de moi et surtout triste à l’égard d’un Llewyn qui se réjouissait de voir un frère qui ne lui accorde que trop peu de temps. Mais comme trop souvent, Seth a transformé les moments réjouissants en douloureuses déceptions et je le savais, que je n’aurais pas dû le croire, que j’aurais dû me douter de la fiabilité de sa promesse et me rendre sur place en backup pour Lee. Mais ma mère autant que mon frère oublient que j’ai aussi une vie, un travail et que leur manque commun d’implication affecte celle-ci, ne faisant que remuer toujours plus les brasiers de ma colère qui ne s’éteint jamais. Elle est plus ou moins contenue, mais aujourd’hui, elle explose et mon frère a réussi à déclencher l’incendie que j’essayais péniblement de maîtriser pour garder contenance auprès d’un Lee qui n’a pas à savoir toutes les problématiques de ses frères et sœurs, en plus de celles qu’il subit de sa propre mère au quotidien.  

Je lui laisse une chance de se rattraper, en expliquant, à demi-mot, les raisons de ma visite et de ma colère, lui donner l’occasion de réfléchir et d’obtenir la réponse par lui-même avant que je ne sois obligée de lui la donner. Un test, en sommes, pour savoir où en est son esprit embrumé et un besoin viscéral de me raccrocher à quelque chose, une dernière bribe d’espoir concernant le cas pourtant désespéré et perdu depuis longtemps qu’est Seth. « C'est ton anniversaire ? » Cette fois je ne me retiens plus quand je comprends qu’il ignore tout de ce dont je parle et que mes mains viennent se saisir du premier objet à ma droite, même pas identifié avant d’être balancé en sa direction. Je n’ai même pas le temps de regarder si celui-ci a touché sa cible que mes mains couvrent mon regard et ma silhouette se détourne de celle, nue, de Seth, rajoutant dégoûtant à son statut d’emmerdeur. « PUTAIN MAIS SETH T’ES PAS SÉRIEUX ? » Je m’offusque alors que ma voix manque de se casser tant je mets toute mon énergie à lui hurler dessus. J’ai sûrement l’air d’une furie, mais je veux qu’il prenne conscience de l’ouragan qu’il a déclenché. Et ses provocations (puisqu’il ne s’agit pas seulement d’étourderies) me mettent réellement hors de moi. « Tu peux pas appeler comme tout l'monde au lieu d'me faire chier jusqu'ici ? » Cette fois, quand j’ai les yeux rouverts, c’est son téléphone sur sa table de nuit dont je m’empare pour le balancer contre lui. « Tu crois que j’ai pas essayé, peut-être ? » Calme, Maisie. Calme. C’est Seth, c’est habituel, c’est la routine, pourquoi est-ce que je m’énerve ainsi alors que c’était couru d’avance qu’il allait merdé ? C’est à moi que je devrais m’en prendre et ma naïveté dont il a profité malgré lui. « Et, oh, surprise, si tu regardes, t’auras aussi des appels de Lee. » Je débute, croisant mes bras et mon regard qui le juge comme jamais. « Tu sais, Llewyn, ton frère, que tu devais aller chercher ? Pour passer du temps avec lui ? » Je ne lui demandais pas de le garder une semaine, mais juste quelques heures pour qu’on prétende être une famille, pour que Lee arrête de se sentir en décalage avec les autres de sa classe, dont les mommy et daddy issues sont bien moindres. « Je te rassure, tu vas pouvoir passer du temps avec lui vu la pneumonie qu’il va se payer à t’avoir attendu sous la pluie, faudra bien que quelqu’un reste avec lui. » Et lui file sa soupe de poulet, l’aide à se moucher, j’en sais rien, mais je vais m’assurer que Seth écope de toutes les tâches ingrates. Et si c’est pas celles qui concernant la future maladie de Lee, c’en sera d’autres, j’en mets un point d’honneur et ma créativité n’a pas de limites quand je suis contrariée.

@Seth Moriarty    

Connasse, de charmant mot qui te traverse l'esprit lorsqu'elle te balance un objet sans prévenir qui t'arrive en pleine gueule. C'est que tu te réveilles à peine. Tes sens ne sont pas encore assez réveillés pour devenir un ninja de l'évitement. Tu finis par tirer tes draps pour sortir du lit et l'expression de dégoût de ta soeur te fait rire immédiatement. « PUTAIN MAIS SETH T’ES PAS SÉRIEUX ? » Elle se cache les yeux, en fera peut-être même des cauchemars plus tard qui sait. « À tes risques et périls quand tu entres ici sans demander la permission. » que tu lui lances, moqueur, en enfilant une paire de jeans qui traînait à même le sol. Franchement, qu'elle se considère chanceuse. Elle aurait pu tomber sur bien pire que ça. Tu aurais pu être accompagné. Tu aurais pu être… occupé. Ça lui apprendra pour la prochaine fois. Ton regard se tourne à peine vers elle sous tes prochaines paroles alors que tu fouilles plutôt dans la tas de vêtements à la recherche du tee-shirt qui pue le moins. « Tu crois que j’ai pas essayé, peut-être ? » Et c'est un lancé direct dans les côtes. Connasse, l'expression de douleur passe rapidement sur ton visage. Tu enfiles ton tee-shirt juste avant de te pencher pour ramasser ton téléphone au sol. Encore chanceux qu'elle sait visé et qu'il n'a pas été s'éclater contre le mur. Quoi que ça aurait été une bonne défaite pour éviter tous ses appels. Tu aurais même pu mettre ça sur sa faute à elle. « C'est quoi ton problème ? T'es dans ta semaine ? » Parce que les filles sont toujours insupportables et sur les nerfs une semaine par mois. C'est beaucoup, ça revient souvent cette connerie.

« Et, oh, surprise, si tu regardes, t’auras aussi des appels de Lee. » Okay, là, elle vient carrément de te perdre. Qu'est-ce que Lee vient faire là dedans ? Elle vient vraiment t'emmerder parce que t'as pas répondu à ses appels ? Tu l'aurais fait. Éventuellement. Entre tout à l'heure et la semaine prochaine. Mais tu l'aurais quand même fait. C'est pas ça l'important ? « Tu sais, Llewyn, ton frère, que tu devais aller chercher ? Pour passer du temps avec lui ? » Ah ouais, ça te dit vaguement quelque chose. Juste un peu. À peine. Tu appuies sur l'écran de ton cellulaire entre tes mains et, rien. Y'a rien qui se passe. « La pile est morte. » que tu lui réponds en secouant l'écran éteint sous ses yeux  Donc, aucun appel ne t'a réveillé. Et l'alarme que tu n'avais pas mis n'a pas pu sonner. C'est une bonne raison ça, non ? Ce n'est pas ta faute. Tu as envie de lui demander si elle est certaine que ce n'était pas demain, ou n'importe quelle autre journée, mais après deux projectiles, tu n'as pas particulièrement envie de la tenter pour un troisième.

« Je te rassure, tu vas pouvoir passer du temps avec lui vu la pneumonie qu’il va se payer à t’avoir attendu sous la pluie, faudra bien que quelqu’un reste avec lui. » Ce qu'elle se la joue mélodramatique celle-là. Elle devrait postuler pour devenir actrice. « T'exagère. » que tu lui dis en levant les yeux au ciel. Un peu de pluie n'a jamais tué personne. La preuve, Maisie est complètement détrempée et tu l'as rarement vu autant en forme. Pas de pneumonie à l'horizon. « Tu l'as ramené ? » Est-ce qu'il attend dans le salon ? Nahh, sûrement pas. Elle ne se ferait pas le plaisir de te gueuler dessus si ces oreilles chastes pouvaient l'entendre. Peut-être qu'il attend dehors. Mh, peut-être. « Ça va, je gère. Tu peux t'en aller. J'ai pas signé pour devoir endurer tes sautes d'humeur en plus du gamin. » T'as dit que tu passerais du temps avec Lee - plus pour qu'elle te foute la paix que par véritable intérêt. Tu n'as jamais dit qu'elle était invitée dans votre duo. Surtout si elle est pour être aussi désagréable.

L’objet que je lui balance à la figure trouve son chemin et je suis presque tentée d’en faire une habitude tant c’est jouissif de voir sa sale gueule déformée sous le choc et d’imaginer le bleu qu’il se paiera. Non, ce serait lui rendre service, en réalité, puisque je ne doute pas que Seth fera pleurer dans les chaumières pour trouver des infirmières de pacotille suffisamment naïves pour s’attendrir du récit qu’il leur servira à ce moment-là. Je dois revoir mes ambitions à la baisse, mais pour l’heure, je n’y pense pas, bien trop heureuse d’avoir su viser pour une fois dans ma vie : il l’a bien mérité et finalement j’espère en réalité qu’il aura un bleu comme jamais, histoire qu’il se souvienne de mon passage. « À tes risques et périls quand tu entres ici sans demander la permission. » J’aurais encore préféré tomber sur un de ses conquêtes à poil, au moins la situation aurait pu être retournée à mon avantage en jouant à la copine outrée ou à l’infirmière à domicile qui vient s’assurer qu’il a bien pris sa crème contre les hémorroïdes. Là, j’ai juste mes yeux pour pleurer et ma bouche pour vomir quand je détourne la tête pour ne plus faire face à l’horrible spectacle qui va me valoir des cauchemars et dix ans de psychanalyse (au moins). Je continue de m’énerver à mesure que cet imbécile ouvre la bouche et qu’il fait le malin, anticipant chacune de mes réflexions, sauf qu’il se trompe, Seth. Bien sûr que je connais le téléphone, bien sûr que je ne me serais pas déplacée ici si ce n’était pas important ; et hop, deuxième service pour le numéro un mondial de la lâcheté, dans les côtes cette fois-ci : je remporte le match. « C'est quoi ton problème ? T'es dans ta semaine ? » Mais j’ai déjà envie de jouer la revanche alors que mon regard passe à droite et à gauche de cette chambre à la recherche du prochain objet que je pourrais lui envoyer dans la gueule, avant de s’arrêter sur son visage. Je suis rouge d’avoir crié, j’ai le regard furieux à cause de sa bêtise, j’ai la petite veine du front qui menace d’éclater sous la colère. « Tu veux vraiment que je continue à m’entraîner au lancé sur ta gueule ? » Je m’agace bruyamment ; il prendra ça pour un oui ou pour un non, j’en sais rien, je lui laisse la libre interprétation tout comme je lui laisse le choix d’envisager la prochaine arme qui pourrait passer à ma portée s’il n’apprend pas très vite à se taire.

Et qu’il fasse gaffe à ses prochaines réponses, car en fonction de celles-ci, la question ne se pose plus et devient une affirmation : je continuerai de m’entraîner sur lui. Il y a plein de choses qui peuvent encore y passer dans cette piaule, et tout autant de choses qui ne sont pas dommages et que je n’aurai aucune pitié à briser en les lançant par terre, contre le mur, sur lui, peu importe du moment qu’il comprend l’ampleur de ma colère. Il ne fait rien pour calmer celle-ci, avec son énergie de paresseux et son regard de poisson mort. Il me rend dingue. « La pile est morte. » « Ouais et ton cerveau aussi. » Connard, que je retiens, parce que la famille, tout ça, on reste poli, blabla, mais je n’en pense pas moins. Il a pas de calendrier ? De téléviseur où s’affiche la date ? Oh, mieux, un ordinateur où il aurait la date ET l’heure, histoire de faire d’une pierre deux coups et d’être présent et ponctuel, deux choses qui ne doivent pas lui arriver souvent. Mais qu’il ne s’inquiète pas, s’il a manqué le rendez-vous du jour, il ne manquera pas ceux des prochains vu le rhume que va se payer Lee à l’avoir attendu. « T'exagère. » Je grince des dents et j’écarquille les yeux alors que je me saisis de la lampe à côté de moi, que je ne lui envoie pas à la figure dans une dernière tentative d’être plus adulte que lui. Mais la munition est chargée et il devrait faire très attention à ce qu’il dit. « Tu l'as ramené ? » « Non ! Pour prendre le risque qu’il tombe sur une de tes pétasses et qu’il apprenne l’anatomie avant l’heure ? » Je vais lui épargner ça, hein. C’est important qu’il connaisse l’anatomie, mais là-aussi, si on peut éviter les dix ans de psychanalyse, ce serait bien. « Ça va, je gère. Tu peux t'en aller. J'ai pas signé pour devoir endurer tes sautes d'humeur en plus du gamin. » « Et j’ai pas signé pour rattraper tes conneries, mais eh, nous y voilà. » Je lâche la lampe (par terre, mince), alors que je m’approche de lui. « T’as combien dans ton porte-monnaie ? Et sur ton compte ? » Je demande en m’évitant de le fouiller même si ce n’est pas l’envie qui manque, je sais qu’il serait capable de cacher son fric juste pour ne pas répondre à ma question, mais je compte bien avoir la preuve de sa richesse (ou sa pauvreté, plutôt) de mes propres yeux. « Tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas exploser le budget pour lui offrir une belle journée et j’en ai rien à foutre si ça doit t’endetter sur dix ans. » Il aura qu’à faire le gigolo, il le fait très bien sans être payé, il peut bien demander quelques billets, ça lui changera pas grand-chose. « T’as une bonne excuse, au moins, j’espère ? » Je demande en regardant autour de nous. Ça me paraît évident que ça n’est pas le cas, mais j’ai envie de lui laisser une dernière chance de se rattraper.

@Seth Moriarty  

« Tu veux vraiment que je continue à m’entraîner au lancé sur ta gueule ? » Ouais, c'est sûrement ça. Elle est dans sa semaine. Ça les rend irritables les hormones et c'est toujours à vous, les mecs, d'en payer le prix. La vie est vraiment injuste. Tu lèves tes paumes vers le haut en signe du traité de paix qu'elle va sûrement refuser. Elle est deux en deux. Elle a plus besoin de se pratiquer si elle veut ton avis. « Dommage que ce soit pas une discipline olympique, tu serais la championne. » Médaillé olympique du lancer d'objets sur la gueule de son frère, l'honneur revient à Maisie Moriarty. Même à ça tu trouverais le moyen d'en récolter le mérite. Elle serait pas si douée si tu ne l'emmerderais pas autant. Qu'elle prenne le demi-compliment pendant qu'il passe. Y'en a pas souvent hen. C'est bon pour l'estime, les compliments. « Ouais et ton cerveau aussi. » Ah. Toujours en colère et pas disposé psychologiquement à remonter ton estime à toi - heureusement que tu te suffis à toi tout seul.  « Tu me blesses. » Bof. Son opinion, elle te passe dix pieds par-dessus la tête.

« Non ! Pour prendre le risque qu’il tombe sur une de tes pétasses et qu’il apprenne l’anatomie avant l’heure ? » Elle ne peut pas prendre deux secondes pour respirer et arrêter de te crier dessus ? Il est sûrement déjà tombé sur Madelyne avec un de ses ratés de toute façon. C'est elle qui l'a traumatisée. C'est pas toi. C'est plus un gamin de toute façon. Il en connaît sûrement plus qu'elle ne le pense. Elle a pensé à vérifier ce qu'il cache sous son lit ? Elle en serait sûrement surprise. « Il a douze ans, pas trois. » Douze ? Treize ? Peut-être huit ? Peu importe. Personne ne va s'obstiner pour un an de plus ou de moins. Il n'a pas trois ans. C'est bien la seule partie de ta phrase dont tu es parfaitement certain. « Et j’ai pas signé pour rattraper tes conneries, mais eh, nous y voilà. » Justement, personne ne lui a demandé non plus. Elle se met des tâches sur le dos sans que personne ne souhaite qu'elle le fasse et elle vient se plaindre qu'elle est pas contente de le faire après. « T’as combien dans ton porte-monnaie ? Et sur ton compte ? » T'aimes pas la direction vers laquelle elle va. Qu'elle fouille par elle-même si elle te croit pas, t'as pas un rond. Les billets verts ne restent rarement plus qu'une journée dans ton portefeuille. Et un compte ? Vraiment, elle pense que y'a le temps de se rendre jusque là ? Tu te souviens même pas de la dernière fois que tu as pu payer quelque chose avec une carte de guichet. Ça remonte sûrement à Londres où l'argent sur ce dit-compte était en fait plus celui de papa que le tien. « Tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas exploser le budget pour lui offrir une belle journée et j’en ai rien à foutre si ça doit t’endetter sur dix ans. » T'es déjà endetté sur dix ans, qu'est-ce qu'elle pense ? Heureusement que Lee se contente de peu et que, avec de la chance, il mentira à Maisie si tu le lui demande. Le « Hm. » qui sort d'entre tes lèvres n'a rien de vraiment convaincant, mais lui dire que t'es fauché et que tu vas pas le faire n'est pas non plus une option. T'as presque envie d'ajouter un si tu veux encore moins convaincant, mais parfois tu sais quand te taire. Et ce moment, c'est maintenant.

« T’as une bonne excuse, au moins, j’espère ? » Elle pose une question à laquelle elle a déjà la réponse. Bien sûr que non. Tu n'as pas de bonne excuse. T'as picolé et ronflé toute la journée. Tu as dit que tu irais chercher Lee sans que l'information se rende vraiment jusqu'à ton cerveau - qui est mort selon elle rappelons le. « Ma pile est morte j't'ai dit. Mon alarme n'a pas sonné. » Oui, oui, bien sûr, ton "alarme". Donc, qu'est-ce qu'on disait ? Ah oui. Pas de bonnes excuses, non. Tu vas justement ramasser l'objet sur qui tu mets la faute par terre pour le brancher au fil à côté de la table de chevet. Faut bien l'alimenter un peu si tu veux avoir le bonheur de lire ses menaces de mort tout à l'heure. « Tu devrais te trouver un mec, tirer un coup. Ça te rendrait peut-être moins agressive. » Qu'elle garde sa mauvaise énergie pour le pieu. Ça satisferait sûrement quelqu'un d'autre et ta gueule s'en porterait mieux. « Ou une fille hen, je juge pas. C'est accepté en 2021. Pas besoin de garder ça pour toi. » que tu ajoutes. Ouais, c'est sûrement pour ça qu'elle n'a jamais de mec. Lesbienne refoulé, un truc du genre. C'est pour ça qu'elle est tout le temps en colère.

« Dommage que ce soit pas une discipline olympique, tu serais la championne. » C’est presque un compliment et je l’accepte plus parce que Seth a levé ses mains en l’air que parce qu’il me touche. J’ai appris depuis bien longtemps à ne plus être atteinte par les paroles acerbes de mon frère (lol, c’est beau de se mentir à soi-même) et il m’arrive parfois de ne pas surenchérir, même si le traité de paix ne dure qu’un instant avant que je m’attaque à ses neurones portés disparus. Seth n’a jamais fait aucun examen médical en ce sens, mais il est inutile de se mentir quand l’évidence est si visible. Il faudrait qu’on en parle avec ma mère, pour savoir ce qu’il s’est passé ; est-ce que Seth a manqué d’oxygène à la naissance ? Est-ce qu’il a été bercé trop près du mur ? Est-ce qu’il a un peu trop trempé les lèvres dans les produits ménagers ? Elle me dirait qu’il s’agit des trois options que je ne serais pas surprise ; ça expliquerait bien des choses. « Tu me blesses. » À son ironie, il ne récolte qu’un beau majeur tendu dont il a l’habitude, désormais. Le pire dans tout ça, c’est que même si ma réflexion était sérieuse, il ne l’aurait pas pris en compte car il y a toujours tout qui lui glisse dessus, Seth, même quand j’essaie de le faire réagir et je deviens folle de son impassibilité habituelle.

Heureusement pour Llewyn, il n’assiste pas à nos échanges, parce que je me connais suffisamment pour savoir que je n’aurais pas su résister à être dure à l’égard de mon grand frère malgré la présence du petit. Il est important de préserver son innocence, on peut même me féliciter, n’est-ce pas ? Et comme je le souligne justement, je n’avais aucune idée de ce sur quoi j’allais tomber en arrivant ici, alors autant éviter à Lee des années de psychanalyse que, de toute façon, on ne pourrait pas payer. « Il a douze ans, pas trois. » J’écarquille les yeux alors qu’il réactive ma colère. « IL A NEUF ANS. » Je lui hurle, car même s’il s’agit d’un détail et que je suis la première à ne pas me vexer si on donne un âge approximatif à mon petit frère, Seth n’est pas n’importe qui. Qu’il ignore sa date de naissance est une chose (déjà difficilement pardonnable), mais qu’il ne sache même pas son âge, ça souligne encore une fois à quel point il est détaché de tout ça, de notre famille que je m’évertue à maintenir ensemble. Il n’en comprend pas l’importance et je crois qu’il faut le fait que ce ne sera probablement jamais le cas. Ça, Lee n’a pas besoin de le savoir et puisqu’il se réjouissait de passer du temps avec son frère, il le fera, et il le fera bien même si ledit frère n’est pas encore au courant. « Hm. » Son manque de réaction me met toujours plus hors de moi alors que par réflexe, je cherche un nouvel objet autour de moi à lui lancer à la figure, avant de me raisonner. On ne règle pas les conflits comme ça, Maisie, blabla.

Il a utilisé l’excuse de la pile morte et je n’y crois pas, c’est pourquoi j’insiste pour me faire une idée de son seuil de désintérêt, que je sais déjà être très élevé. « Ma pile est morte j't'ai dit. Mon alarme n'a pas sonné. » Je lève les yeux au ciel en poussant un lourd soupir pour lui montrer mon agacement alors qu’il me détourne pour s’occuper de son téléphone. Je manque de renchérir, mais c’est lui qui, ça m’agace de l’admettre, me réduit au silence. « Tu devrais te trouver un mec, tirer un coup. Ça te rendrait peut-être moins agressive. » Je fronce les sourcils, un « Pardon ? » qui s’échappe naturellement d’entre mes lèvres alors que mon assurance s’émiette doucement. « Ou une fille hen, je juge pas. C'est accepté en 2021. Pas besoin de garder ça pour toi. » Je lève les yeux au ciel pour me donner une contenance, parce qu’il s’agit-là d’un sujet que je ne maîtrise pas du tout, qu’il s’agisse d’un mec ou d’une meuf. Ma mère me fait assez de réflexion sur mon célibat pour éviter que mon frère s’y mette aussi. Et lorsque je réalise que le silence devient de plus en plus pesant, qu’il doit probablement se délecter de la manière dont il m’a réduit au silence, du fait que je n’ai aucune envie de m’étendre sur un sujet bien sensible pour moi, je ne trouve rien de mieux à dire, sous la panique : « J’ai quelqu’un. » Je masque ma propre surprise à cette affirmation qui sort de nulle part alors que j’affiche un sourire niais – c’est l’avantage, j’ai bien trop appris à jouer la comédie par le passé pour que ça me serve. « Un gars super. » Un homme donc, bien, je note mentalement de ne pas trop donner de détail sur l’heureux élu pour ne pas que mon mensonge me revienne en plein visage. Et puis, en parfaite petite sœur détestable et en colère il y a encore deux minutes, je le fusille du regard avant de secouer la tête. « Et change pas de sujet, tu veux ! » Mon copain imaginaire n’est absolument pas le sujet, oui, c’est certain. « Ça te regarde pas de toute façon ! » J’ajoute, pour qu’on enterre le sujet, pour qu’il s’abstienne de poser des questions qui, il le sait, m’agaceront, que la situation soit réelle ou non. « Je suis sûre qu’il adorerait aller à Dreamworld. » J’ajoute, un peu moins virulente, alors qu’il a réussi à me mettre mal à l’aise, cet idiot, et plus particulièrement quant à ce que je viens de faire car à aucun moment ça me semble être une bonne idée, contrairement à celle qui consiste à l’envoyer dans un parc d’attractions avec notre frère, oui, concentrons-nous sur ça.  

@Seth Moriarty

« IL A NEUF ANS. » Bon, elle pète encore les plombs. Tu lèves les bras en l'air en secouant la tête, totalement découragé de la réaction de ta soeur. Franchement, on ne va pas en faire tout un plat pour trois ans ? La chance qu'il aura à quinze ans de pouvoir aller s'acheter dans la bière avant le temps - parce qu'il aura l'air majeur évidemment, c'est totalement logique dans ta petite tête de con. Tu gardes quand même tes petits commentaires pour toi. Avec de la chance, si tu l'ignores, peut-être qu'elle finira par disparaître comme par magie. Ouais, ça mérite au moins d'être testé. N'importe quoi pour qu'elle s'en aille et que tu retournes pieuté une heure ou deux encore. Bon, allez, c'est sûrement le timing parfaite pour les fausses promesses. Ouais j'vais aller chercher Lee, on va s'amuser comme des fous et on va manger tous nos légumes verts. Oui maman. Plutôt pas mal comme discours hein ? Ça mérite d'être testé ça aussi.

« Pardon ? » Tu te retournes vers Maisie juste après avoir branché ton téléphone. La pile est tellement morte qu'il ne s'allume toujours pas. Enfin, vaut mieux que ce soit ça et pas parce que Maisie l'a brisé en jouant les hystériques. Au moins, ton petit commentaire suffit à lui clouer le bec. « T'as très bien compris. » Qu'elle arrête de jouer les saintes nitouches. Elle cache sûrement bien son jeu, parce qu'elle veut pas que tu l'emmerdes avec ça. Si ça se trouve, elle est encore pire que toi. De toute façon, t'as beau jouer les don juans, avec ta mauvaise attitude, c'est jamais vraiment gagné d'avance. Ça prend une tarée pour s'intéresser à un idiot comme toi. Et heureusement qu'il y en a pleins des tarées dans ce monde - heureusement pour qui ? pour toi ? pour elles ? pour toutes les autres qui n'ont pas à te supporter ? Probablement toutes ses réponses, oui. « J’ai quelqu’un. » Ah tiens, elle réussit à briser le silence. Son délai de réponse laisse clairement sous-entendre qu'elle ment. Un menteur sait en reconnaître un autre. Maisie est la pire menteuse qui soit. Tu laisses échapper un rire moqueur à ses paroles. Tu n'y crois pas du tout. Elle n'a personne.  « Un gars super. » Toujours pas crédible. Elle aurait dû miser sur une fille. Tu l'aurais presque crû. En fait, non. Toujours pas. Elle va finir ses vieux jours toute seule Maisie. Voilà une jolie tradition familiale que vous allez partager. Encore mieux ça que de finir comme Madelyn. « T'es au courant qu'un petit-ami imaginaire ça compte pas right ? » Parce que c'est évident que c'est sa principale qualité à son mec, de pas exister. « Un sex toy non plus. » que tu te permets de préciser, dans l'unique but de la choquer bien sûr. Franchement qu'elle tire son coup avec qui elle veut, qu'elle le fasse toute seule comme une grande si c'est ce qu'elle préfère. Tant qu'elle relâche les tensions. Elle en a grandement besoin. Elle se néglige la frangine.

« Et change pas de sujet, tu veux ! » C'est plutôt elle qui change de sujet si on demande ton avis. C'était plus intéressant de parler de son mec invisible que de ta présence invisible ce soir à l'école de Lee. Franchement, avec tous les trucs qu'elle t'a balancé à la gueule, on peut dire que le sujet est clos, nah ? « Ça te regarde pas de toute façon ! » Non sûrement pas. Ça ne t'intéresse pas non plus parce qu'elle à rien d'intéressant à raconter. Bon, en vérité, t'en parles juste parce que tu sais bien que ça l'a choque et qu'elle ne va donner aucun détail (sauf peut-être des mensonges). C'est toi que ça choquerait de savoir la position préférée de ta sœur. Y'a des images mentales qu'on a pas envie de voir. Celle-là en fait partie. « Je suis sûre qu’il adorerait aller à Dreamworld. » « Qui ça ? Ton mec ? » De quoi vous parliez déjà ? Ah, de nouveau, elle semble avoir envie de te buter. Son regard de tueuse suffit à te rafraîchir la mémoire; Lee qui a neuf ans pas douze. « J'plaisante. » Ou pas. Bon, Dreamworld. Ça a l'air de coûter au moins trois mois de salaire aller là-bas. Tu doutes que Maisie te finance. Elle sait bien trop que tu boirais le budget avant la date prévue. Tu trouveras un moyen si ça peut lui fermer la gueule. À elle et au gosse. Tu achètes la paix pour quelques mois. « T'amènes ton mec à Noël et j'amène Lee à ton truc débile. Deal ? » que tu proposes alors que ton sourire s'étend jusqu'à tes oreilles. Tout le monde sait à quel point tu es doué pour tenir tes promesses. Tu tends la main vers elle pour conclure le marché. Ah oui faut se cracher dans la main pour que le pari soit vraiment conclu.

À quel moment on est passé du moment où je lui fais son procès à celui où il fait le mien ? Jusqu’à preuve du contraire, c’est lui qui a des choses à se reprocher, d’avoir ainsi laissé notre frère mourir de froid ; et encore, ce n’est pas le pire. Non, le pire, c’est l’espoir qu’il a créé chez Lee de passer du temps avec son grand frère adoré (qu’on m’explique pourquoi il le voit ainsi), mais aussi dans la confiance que j’ai pu avoir en lui et que je regrette déjà. Alors non, le sujet ne devrait pas être orienté vers les coups de reins qu’on peut me donner, mais bien sur l’irresponsabilité dont il continue de faire preuve alors qu’il approche des trente ans. À choisir, entre ma virginité (qu’il n’a pas à connaître ni à commenter si c’est le cas) à vingt piges et son attitude à trente, je crois que le coupable est tout désigné ; et ça ne devrait pas être moi. « T'as très bien compris. » Et il continue, Seth, à jouer au plus malin alors que je persiste à songer que la conversation ne devrait pas me concerner. On parle d’un truc grave, là et même si j’imagine que dans sa tête aux neurones grillés c’est très grave de ne pas tirer son coup, le reste du monde serait probablement de mon côté à considérer qu’oublier un gosse c’est beaucoup plus dérangeant. Et pourtant ; c’est bien moi qui suis mal à l’aise alors que ça devrait être lui. C’est moi qui me cherche presque des excuses alors que c’est Seth qui devrait être à genoux ; c’est à ne rien y comprendre. Depuis quand il est de mèche avec notre mère, pour juger de mon célibat et de ma réserve qui durent depuis trop longtemps ? J’ai eu quelques copains, j’ai jamais passé le stade de les présenter à Seth parce que je n’ai jamais voulu les faire fuir avant d’y parvenir par moi-même, ça ne fait pas de moi un cas désespéré que de vouloir garder ma vie privée pour moi, surtout quand on sait dans quel genre de famille j’évolue, oh ça, non, c’est même préserver mes amourettes que de leur éviter ce moment gênant.

Mais Seth reprend l’avantage et ça me met hors de moi ; parce qu’il ne doit pas gagner, pas aujourd’hui alors que c’est lui le problème et non pas moi, qu’il s’éloigne du sujet alors qu’il ne le devrait pas. Et c’est moi qui panique, lui offre une réponse qui pue le mensonge, alors qu’il me repère à des kilomètres. « T'es au courant qu'un petit-ami imaginaire ça compte pas right ? » « Il existe. » « Un sex toy non plus. » « C’est pas un sex-toy. » Je précise en grimaçant, écœurée d’en parler avec mon frère. Encore, avec une sœur, ça pourrait passer. Avec Seth, c’est mort, surtout qu’il est incapable de garder ses commentaires et ses informations pour lui ; c’est mort, j’ai aucune envie qu’il ait des éléments à utiliser contre moi, encore plus quand ils sont privés, très privés. Suffisamment privés (et imaginaires) pour qu’on cesse de glisser sur ce terrain et qu’il se souvienne de la véritable raison de ma présence et de la promesse qu’il n’a pas su tenir, tout comme il est incapable de me confirmer qu’il se rattrapera. Je ne partirai pas d’ici sans l’assurance qu’il essayera de faire amende honorable auprès de Llewyn, peu importe toutes les questions sentimentales que je peux endurer pour la peine. Ils iront à Dreamworld, que Seth le veuille ou pas, que Seth en ait les moyens ou pas. « Qui ça ? Ton mec ? » Je me mords la lèvre pour ne pas l’insulter plus que je ne l’ai déjà fait et mon regard parle pour moi. « J'plaisante. » « Hilarant. » Je réponds froidement en grinçant des lèvres. « T'amènes ton mec à Noël et j'amène Lee à ton truc débile. Deal ? » Non. Non, il faut qu’il se contente d’une photo, de détails, d’un nom, que sais-je, mais pas d’une présence physique. Il faut que je trouve une contre-proposition pour éviter l’humiliation de me ramener seule à Noël. « Deal. » PAS CE GENRE DE CONTRE-PROPOSITION, bordel. J’affiche néanmoins un sourire aussi forcé que le sien quand je claque ma main dans la sienne, tandis que mon regard, lui, hurle un « connard » amplement mérité.

@Seth Moriarty