Tu regrettais déjà cette idée stupide de te mettre à la course. C’est ta thérapeute qui avait planté cette pensée dans ta tête et qui t’avait donné l’impression que si tu tentais de te remettre en forme, tu reprendrais un certain contrôle sur ta vie. Faut dire que tu l’avais perdu dans les derniers mois, le contrôle. Tu étais pleine de bonnes intentions pour ton retour à Brisbane et pourtant, tu ne cessais d’enchaîner les erreurs, les mauvaises décisions et d’éternelles remises en question que tu ne savais chasser désormais. Alors courir. C’est ce qu’elle avait suggéré comme premier pas, Hannah. Remettre ton corps en mouvement pour faire le ménage dans ton esprit. Un truc du genre, tu n’écoutais pas attentivement, comme c’était bien trop souvent le cas quand tu te retrouvais dans son bureau d’ailleurs. Tu n’étais plus aussi assidue que tu devrais l’être avec ta médication. Tu blâmais ton trouble pour un peu tout et n’importe quoi, l’excuse parfaite de celle qui au fond, ne faisait plus réellement d’effort pour aller mieux. Tu avais repris certains de ces comportements dit dérangeants, de ceux un peu obsessifs, de ceux qui te faisaient spiraler trop rapidement. Éternellement perdue quelque part entre tes deux extrêmes, tu cherchais tout de même à te remettre dans la bonne voie. Parce que tu voulais obtenir ton diplôme, une bonne fois pour toute. Te trouver un vrai emploi, ne plus dépendre de tes parents pour boucler tes fins de mois. Ne pas être obligée d’enchainer les petits boulots minables parce que tu ne sais pas rester en place plus que quelques semaines à la fois. Tu voulais cesser de penser à Kieran, sans être obligée de te projeter dans des relations qui ne font aucun sens. Comme ce mariage débile à la chapelle avec Mason, ou ce lien étrange que tu entretenais avec Cian, l’homme à qui tu avais porté secours quelques mois plus tôt.

Alors courir. Même si ça voulait dire avoir le visage tout rouge et trempé, le souffle court et Koda qui tire trop fort contre sa laisse parce que tu n’es pas en mesure de suivre le rythme d’une si petite chienne pourtant. Tu es allée te perdre du côté de Bayside, là où tu savais que tu trouverais des chemins piétonniers et des vues à couper le souffle, des endroits sur lesquels poser les yeux pour te faire oublier que tu étais en train de mourir avec chaque respiration plus difficile les unes après les autres. Puis tu savais aussi qu’ici, tu ne risquais pas de tomber sur Kieran, qui lui se tenait majoritairement à Fortitude Valley et qui, sans grande surprise, ne conduisait toujours pas aujourd’hui. Des détails qui semblent anodins, mais qui prouvent un peu trop de l’intérêt que tu portes pour ton ex-fiancé avec qui les choses sont particulières depuis ces retrouvailles que tu as légèrement orchestrées, prétendant que ce n’était le hasard qui avait bien fait les choses. Tu approches d’un petit pont en bois qui semble mené vers une forêt où les différentes couleurs vibrantes attirent automatiquement ton regard. Il y a beaucoup de gens qui se promènent dans le coin, des gens seuls, des couples, des familles aussi, mais tu n’as d’yeux que pour les arbres qui s’élèvent tout autour et les différentes sortes d’oiseaux qui se cachent dans ces derniers. Tu es tellement déconcentrée que tu n’as pas réalisé que Koda te tirait en direction d’un autre chien qu’elle avait remarqué et qu’elle avait de saluer comme elle savait si bien le faire, bruyamment et avec excitation. C’est l’autre chien que tu remarques en premier d’ailleurs alors que la tienne ne cesse d’aboyer et de sautiller autour. « Je suis désolée, elle aime beaucoup les autres chiens. » que tu souffles avant de finalement lever le regard sur le maître que tu reconnais aussitôt que tu poses les yeux sur lui. « Archie? » Évidemment que c’est Archie, la question ne se pose même pas, malgré l’intonation de ta voix. Ça fait plus d’un an que tu ne l’as pas vu, et il faut avouer que vos dernières rencontres n’avaient rien de la simplicité que représentait autrefois votre relation autant que votre amitié. Les choses avaient changé, depuis que tu avais été interné, et si tu avais gardé contact avec l’actionnaire même pendant ton voyage au Canada, les quelques messages échangés depuis ton retour à Brisbane n’avait jusqu’à maintenant pas occasionné de rencontre formelle entre vous deux. « Archie! » que tu répètes avec plus d’assurance cette fois alors qu’un sourire vient prendre forme sur tes lèvres, quelque part entre la sueur de ta course et le rouge sur tes joues. « Quelle surprise! » Est-ce vraiment une si grande surprise alors que tu sais qu’il habite dans ce quartier? Pour une fois, tu n’as rien prémédité, tu le jures.

Le regard de Bucky se fait insistant. Sa patte postérieure commence à taper contre le sol en signe d’alerte. Archie observe l’animal avec de grands yeux. « Encore ? » Il pose ses deux pattes sur le bureau de son maître et lui touche le visage avec son long museau. Il tente de lui glisser un coup de langue mais Archie se recule juste à temps pour éviter l’averse de salive. « On vient à peine d’y aller. T’as réellement encore envie de pisser ? » Il l’interroge du regard et n’obtient qu’une plainte suppliante en retour. Il soupire et enregistre son travail sur son ordinateur portable avant de fermer celui-ci pour le ranger avec le reste de la paperasse. Cette fois, il n’a pas besoin de s’habiller puisqu’il est déjà sorti à peine deux heures plus tôt pour promener Bucky. En passant par la cuisine, il attrape une poire prélavée et en croque une bouchée en accrochant la laisse au collier de son meilleur ami.

Il revoit le même voisinage dehors. Des dizaines et des dizaines de maisons comme la sienne, luxueuses, trop grandes, trop hautes, trop larges, ceinturées de clôtures en bois ou en métal. Il ne croise personne parce que les gens riches sont trop occupés pour sortir prendre l’air. Il ne sortirait lui-même pas s’il n’avait pas fait le choix de s’accompagner d’un chien pour combler son manque de compagnie.

Évidemment, Bucky ne choisit pas le premier arbre qu’il croise. Son museau flaire l’air et il semble déterminé à se rendre à son parc préféré, là où il rencontre de nombreux cousins à quatre pattes. Son pas se fait un peu plus rapide lorsqu’ils approchent l’étendue d’herbe mais Archie arrive à le garder à la même hauteur que lui en ne lâchant pas la pression à sa laisse. Pendant un moment, il sent la nausée se prendre à sa gorge quand il croise le regard d’un garçon bouclé sur le chemin de terre et il jurerait y voir James le temps de cligner des yeux. Il se reprend en se raclant la gorge et insulte secrètement cet inconnu qui lui aura rappelé ses maux. Il jette un regard machinal à son téléphone pour vérifier si Madison n’aurait pas enfin répondu à ses messages. Hélas, c’est le même silence qui l’attend dans leur discussion. Il s’en veut terriblement d’avoir agis comme un con mais il n’a pas le courage d’assumer les conséquences de ses choix. Il pourrait se rendre chez sa sœur pour s’excuser de vive voix mais il craint d’endommager encore plus son égo. Après tout, il s’est rendu plus loin qu’un baiser avec James et son statut de traître vient de gagner quelques points bonus. Avec un peu de chance, les choses se calmeront d’elles-mêmes et Madison redeviendra sa sœur sans que rien n’éclate d’avantage. Il est naïf, Archie, à penser qu’il s’en sortira indemne comme d’habitude. Ce n’est pas avec un peu d’argent qu’il arrivera à corriger ses erreurs. Sa fortune ne lui sert à rien.

Un border collie aboie, Bucky rentre sa queue entre ses deux jambes et baisse la tête. Archie tient fermement sa laisse pour lui dire qu’il ne lui arrivera rien. Plutôt marrant comme chien : il est aussi gros qu’un cheval mais il craint la moindre mouche. Il craint aussi ce boston terrier qui arrive en tirant vers l’avant et en laissant derrière lui une tracée de bave. Archie pose sa main sur son dos pour lui serrer doucement le poil. Il se pince les lèvres quand sa maîtresse s’excuse et il s’apprêtait à dire, comme d’habitude, que ce n’était pas grave et que Bucky était simplement le chien le moins courageux de l’histoire des chiens mais il se retient de justesse quand il croise le regard d’Autumn. Aussitôt, sa bouche s’ouvre grand comme un O. « Autumn ! » Il lance, un sourire à la fois ravi et surpris étirant ses lèvres. Elle est aussi rouge que ce que représente son prénom et ça lui arrache un rictus amusé. « Quelle surprise! » Il se fiche complètement de la sueur qui couvre sa peau : il la prend dans ses bras comme s’ils n’avaient jamais été séparés par trop d’événements et des milliers de kilomètres. Bucky se retrouve seul à se battre contre ses démons (le chien d’Autumn qui est beaucoup trop excité). « T’as l’air bien ! » C’est la première phrase complète qui s’échappe de ses lèvres alors que ses yeux observent ses traits qui n’ont pas changé. Elle est peut-être un peu plus mince qu’avant mais il ne pourrait pas en juger plus que ça. « Comment tu vas ? Ta santé, ton retour ici, tout. Je veux tout savoir. » Et si parfois il use de jolis mots pour bien paraître, cette fois il est honnête quand il interroge son amie qu’il n’a pas revue depuis l’éternité. « Le Canada c’était trop nul et t’as compris qu’il y avait pas de mec aussi intéressant que moi là-bas ? » Il demande ensuite en compagnie de son fameux sourire arrogant mais blagueur. Il pointe par la suite son chien qui s’est transformé en pantin désarticulé sur le sol : « C’est Bucky. Aussi mauviette que… » Kieran. « Qu’une mauviette. » Il aurait trop voulu nommer le garçon qu’il avait en tête alors il n’a pas trouvé mieux lorsqu’il s’est dit qu’il était préférable de ne pas ramener ce sujet. Il pointe ensuite le chien d’Autumn : « Toi aussi, alors, tu avais besoin d’un peu de compagnie ! »          

Tu ne t’attendais pas à tomber sur Archie aujourd’hui, même si tu aurais dû te douter que le moment viendrait tôt ou tard. Presque six mois que tu étais revenue à Brisbane et en autant de temps, tu n’avais pas pris la peine de lui proposer un quelconque rendez-vous pour rattraper le temps perdu après ton voyage au Canada. Six mois avaient filé sans même que tu ne le réalises et lui non plus, n’avait pas réellement fait d’efforts pour te voir. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas eu des messages envoyés ici et là, des tentatives qui n’avaient pas abouti à quoique ce soit, au contraire. Il t’arrivait plus souvent que tu ne voulais l’admettre d’ouvrir ton téléphone sur cette conversation décousue avec Archie avec l’envie de lui demander de te rejoindre quelque part, n’importe où, ne serait-ce que pour te retrouver en sa compagnie, mais quelque chose t’avait toujours arrêté. La peur sans doute, de ne plus être celle qu’il avait connu autrefois. La crainte qu’il voit chez toi toutes ses failles que tu avais toujours su si bien camoufler à ses côtés. Il avait toujours su te rendre si forte Archie, dotée d’une assurance que tu n’avais jamais su traduire sans lui dans ton quotidien. Après tout ce qui s’était passé à la fin 2019, les quelques visites qu’il t’avait faites quand tu étais encore en psychiatrie, tu savais que rien ne serait plus jamais comme avant. Tu étais brisée, défectueuse, et maintenant Arche pouvait le voir clairement. Du moins, c’est ce que tu croyais, ce dont tu t’étais convaincue au fil du temps. Malgré tout ça, elle est sincère la joie qui t’habite quand tu poses ton regard sur lui, quand tu remarques un sourire étirer ses lèvres alors qu’il te serre contre lui, faisant fit de ton état déployable du moment. « Autumn! » Il y avait bien trop longtemps que tu n’avais pas entendu ton prénom sortir de sa bouche. Que tu n’avais pas vu ce sourire espiègle s’étirer de la sorte. Tu en oublierais presque le chien à ses pieds qui semblent complètement terrorisé par Koda, quand bien même il doit faire trois fois sa taille.

« T’as l’air bien! » Tu voudrais pouvoir lui répondre sans aucune hésitation que tu vas bien, oui. Que tu n’as jamais mieux été. Mais ce n’est pas vrai, et tu le sais. Et Archie, il n’est pas le genre de personne à qui tu sais mentir, à qui tu aimes mentir même. Alors pour l’instant, tu te contentes de sourire et de hocher la tête, sans jamais te défaire complètement de son étreinte. « Et toi! Tu t’épuises pas trop au travail j’espère! » Tu connais la réponse toutefois : c’est le genre de détails qui ne risque pas de changer de sitôt avec Archie. Non seulement il est excellent dans son travail (pas que tu y comprennes quoique ce soit, mais quelqu’un avec la richesse d’Archie ne peut qu’être doué dans ce qu’il fait), mais en plus, tu ne l’as jamais entendu se plaindre de trop travailler. « Comment tu vas? Ta santé, ton retour ici, tout. Je veux tout savoir. » Tu ouvres grand les yeux. Archie devrait savoir pourtant que si tu te mets à parler, tu n’arrêteras jamais. Surtout qu’ils sont nombreux, les mois à reprendre entre vous. « T’es certain de vouloir m’entendre parler pendant des heures? » Tu lui offres un sourire complice. « Si la réponse est toujours oui, je t’invite à prendre un café. Mais j’te laisse choisir l’endroit, j’suis pas trop familière avec cette partie de la ville. » que tu lui admets avec un léger rire. Les grosses maisons, les appartements de luxe, c’était bien loin du style de vie que tu pouvais t’offrir depuis ton retour du Canada. Bien du loin du style de vie que tu pouvais t’offrir de manière générale même. Tu n’avais jamais été très douée avec l’argent, flambant bien trop rapidement tes quelques économies. Ta meilleure année financière, c’est auprès d’Archie que tu l’avais vécu, sans grande surprise, quand jamais tu n’avais eu besoin de sortir ton portefeuille pour quoique ce soit. « Le Canada c’était trop nul et t’as compris qu’il y avait pas de mec aussi intéressant que moi là-bas? » « Y’a pas de mec aussi intéressant que toi nulle part Archie, me dis pas que tu en doutes. » C’est fou, l’aisance que tu reprends rapidement, à n’être qu’en sa compagnie. Ton sourire qui se fait de plus en plus naturel, les commentaires qui coulent de source, comme si ça ne faisait pas une éternité que vous ne vous étiez pas retrouvés de la sorte.

Il attire ton attention sur son chien que semble encore traumatisé par ta chienne qui s’est légèrement calmée, bien qu’elle continue de faire sa curieuse, tirant légèrement sur sa laisse pour s’approcher autant que possible du compagnon d’Archie. « C’est Bucky. Il est aussi mauviette que… » Il n’a pas besoin de dire le prénom que tu sais parfaitement à qui il pense. Ton sourire s’efface légèrement, pendant les quelques secondes qui semblent s’étirer éternellement. Même pas besoin de prononcer son prénom que le fantôme de Kieran semble te suivre partout. « Qu’une mauviette. » « Pas moins charmant pour autant. » que tu reprends, tout sourire alors que tu viens caresser la tête du canin qui semble déjà largement te préférer à ta chienne. Parles-tu vraiment de Bucky ou de Kieran en disant ça? La vérité, c’est que c’est bien applicable pour les deux. Mauviette, mais charmant. Non pas qu’Archie viendrait approuver de ce deuxième qualificatif lorsqu’il du s’agit du Halstead, mais il vaut certainement mieux ne pas parler de lui trop vite de toute façon. Son nom finira bien par se faire une place dans la conversation, tu ne te fais pas d’illusion à ce sujet. « Toi aussi, alors, tu avais besoin d’un peu de compagnie! » Tu fais signe que oui de la tête alors que tu prends Koda dans tes bras pour l’approcher de Archie, ce qui énerve la chienne à nouveau, excitée à l’idée de recevoir des caresses. « Je te présente Koda. Elle me fait office de colocataire, puisque celle qui devait emménager avec moi à changer ses plans à la dernière minute. » Tu ne peux t’empêcher d’afficher un sourire triste alors que tes pensées flottent temporairement vers Ginny, avec qui tu restes en contact malgré sa décision de rester de manière permanente à Sydney. « Il faut que tu viennes faire un tour. Mon appartement n’est certainement pas aussi impressionnant que le tien, mais j’y suis bien. » Et puis la vérité, c’est qu’il est grandement au-dessus de tes moyens, mais ça, c’est bien inutile de le mentionner. « Et toi alors? Y’a que Bucky ou bien tu as finalement trouvé la femme de ta vie? » Aux dernières nouvelles, tu n’avais jamais vu Archie être sérieusement avec qui que ce soit après toi, mais ça faisait un moment depuis vos derniers messages échangés, peut-être avait-il enfin quelqu’un dans sa vie.

Les chiens, c’est toujours une bonne excuse pour s’arrêter et parler avec une autre amie des animaux. Il faut dire qu’Archie ne s’est jamais empêché d’utiliser Bucky pour charmer ces demoiselles qu’il croise dans la rue même si son pote à quatre pattes semblait toujours vouloir fuir ses semblables. Il disait qu’il était très peureux, que ça faisait partie de sa personnalité, et il s’est même une fois permis de mentir en disant qu’il l’avait sauvé d’un refuge qui le maltraitait et que, depuis, il ne faisait pas confiance aux gens. La tactique avait fonctionné parce qu’il avait réussi à obtenir le numéro de téléphone de l’impressionnée et il avait partagé son lit la soirée-même. Un numéro qu’il a évidemment jeté par la suite parce qu’Archie ne s’est jamais contenté d’une seule partenaire.

C’est sa façon de prouver qu’il est viril, m’voyez ?

Mais, cette fois, puisqu’il s’agit d’Autumn, il n’a même pas besoin d’excuse pour lui parler plus longtemps parce que ça lui fait réellement plaisir de la revoir en chair et en os. Pas besoin de jouer les cons avec elle : la jeune femme le connait comme le fond de sa poche et comprend son humour comme elle comprend la langue anglaise. « Et toi! Tu t’épuises pas trop au travail j’espère! » Il perçoit la phrase comme un sarcasme parce qu’elle sait très bien qu’il n’y a que le travail qui compte pour lui et qu’il ne sent même pas la fatigue depuis une éternité. Le café fait des miracles, l’alcool aussi. « Évidemment, qu’est-ce que tu crois ? Si je m’arrête, je perdrai la course du plus jeune multimillionnaire de Brisbane. » Toujours très humble dans sa façon de se présenter : on ne change pas une recette gagnante. La montre à son poignet, le cuir de ses chaussures, le tissu de ses vêtements, le gel qui maintient quelque uns de ses cheveux en place : tout sur lui transpire la richesse et la finesse. « T’es certain de vouloir m’entendre parler pendant des heures? » Il dévisage Autumn comme s’il attendait qu’elle admette qu’elle plaisantait. Ça fait des lustres qu’il veut avoir des nouvelles d’elle. Pourquoi ne l’a-t-il pas contactée plus tôt ? Il a peut-être honte de ne pas avoir su l’aider dans le passé, lui qui lui avait promis de vaincre le monde dans son équipe. Il est habituellement un homme de parole (sauf lorsqu’il promet de rappeler une fille après avoir passé la nuit avec elle mais, virilité, m’voyez). « Si la réponse est toujours oui, je t’invite à prendre un café. Mais j’te laisse choisir l’endroit, j’suis pas trop familière avec cette partie de la ville. » Il soulève immédiatement son doigt devant lui pour la corriger, vieux réflexe qu’il ne perdra jamais. « C’est moi qui t’invite, tu veux dire. » Ce serait de commettre un meurtre de payer pour Archie. Il sera toujours le premier à sortir son portefeuille, surtout si c’est pour gâter sa meilleure amie (l’est-elle encore après tout ce temps ?). « J’espère que t’as pas oublié que tu arriveras jamais à me faire changer d’avis. »

« Y’a pas de mec aussi intéressant que toi nulle part Archie, me dis pas que tu en doutes. » Le sourire presque enfantin qui étire ses lèvres est authentique et il hausse les épaules. « Je me disais bien que la compétition n’était pas féroce. » Et il lui fait un signe de la tête pour la désigner : « Mais j’admets que tu es une très bonne adversaire à ce niveau-là. Plusieurs fois j’ai cru que tu m’avais détrôné. » Il ne manquera jamais l’occasion de la couvrir de compliments parce que c’est ce qu’il a toujours fait avec sa protégée : il lui offre tout ce qu’il a. Que ce soit du matériel ou des mots. Le temps a peut-être passé, sa façon de la regarder n’a pas changé pour autant. Elle est encore Autumn, sa complice, sa plus grande fan mais aussi son idole.

Même s’il n’aurait pas eu besoin de l’aide de Bucky cette fois pour discuter avec elle, il ne peut pas camoufler l’animal aussi grand qu’une girafe derrière ses jambes. Ce dernier est présent et il excite beaucoup trop la chienne d’Autumn qui veut faire de lui son nouveau meilleur ami, rien de moins. Mais le barzoï n’est pas du même avis. « Pas moins charmant pour autant. » Il sourit doucement quand son amie s’accroupie (très légèrement, parce qu’il est terriblement grand Bucky, on l’avait déjà précisé) pour caresser la tête de l’animal. Son gros museau fouineur tente de s’approcher de son visage. « Ne le laisse pas te lécher sinon tu auras besoin de prendre un bain. » Il plaisante en tirant très doucement sur la laisse de son ami pour qu’il s’asseye à nouveau. « Je te présente Koda. Elle me fait office de colocataire, puisque celle qui devait emménager avec moi à changer ses plans à la dernière minute. » Archie soulève naturellement la main, lui aussi, pour venir caresser la tête de la bombe à retardement. « Salut Koda. » Il gratte en-dessous de son menton et rend complètement jaloux Bucky qui se met à sautiller sur place en gémissant. Un énorme bébé. « Tu habites seule, alors ? C’est étrange. Je m’étais imaginé que tu étais toujours bien entourée. » Elle n’avait jamais eu de mal à se faire des amis, c’était même sa facilité à socialiser qui l’avait unie à Archie dans ce premier taxi qu’ils avaient partagé. « Il faut que tu viennes faire un tour. Mon appartement n’est certainement pas aussi impressionnant que le tien, mais j’y suis bien. » « Avec plaisir. » Il répond, toutefois terriblement tenté de préciser : « J’ai acheté une maison, depuis. » Parce qu’il est plus riche qu’avant et qu’il a pu se permettre de devenir propriétaire d’une villa près de la mer, évidemment, ÉVIDEMMENT, C’EST CE QUE FONT LES PERSONNES RICHES ET ARCHIE EST RICHE. « Et toi alors? Y’a que Bucky ou bien tu as finalement trouvé la femme de ta vie? » La question le prend par surprise. Un léger malaise se lit sur son visage tandis que ses yeux balaient le sol. Il passe sa main dans ses cheveux. « Oh, tu sais, je n’ai jamais cherché la femme de ma vie. Je ne suis pas intéressé par la vie de couple. » Il hausse les épaules, pensant avoir offert une bonne réponse qui a bien camouflé ses véritables intérêts qui prennent la forme d’un styliste d’une grande maison de mode. « Tu as été ma seule copine et je n’ai pas cherché à te remplacer depuis. » Cette fois, c’est la vérité. S’il n’a jamais été amoureux d’Autumn, il n’a pas trouvé de femme après elle pour le faire changer d’avis. D’un signe de la main, il l’invite à le suivre. « Ne restons pas planté là comme des idiots. Viens, je vais te présenter mon café préféré. J’y passe souvent des journées entières quand je n’ai pas envie de rester chez moi. » Il passe surtout des journées entières dans les locaux de Weatherton. Détail.

Les deux chiens arrivent presque à marcher sans s’écraser les pattes. Archie reprend : « Tu sais, si tu as un copain, tu dois absolument me le présenter. C’est mon devoir de faire passer un test à  tous tes prétendants, c’est ma religion qui me l’oblige. » Il a bien analysé Kieran pour mieux faire de sa vie un enfer. C’était marrant jusqu’à ce que les drames tombent. « Et, si un mec te fait la vie dure, tu peux toujours compter sur moi pour tester mes nouveaux gants de boxe sur son visage. »      

« Évidemment, qu’est-ce que tu crois? Si je m’arrête, je perdrai la course du plus jeune millionnaire de Brisbane. »
« Quelle tragédie ce serait! »

Tu te moques – gentiment – mais tu le connais assez pour savoir qu’en effet, ça aurait quelque chose de quelque peu tragique pour le Kwanteen qui a toujours tout mis en place pour s’assurer un succès plus grand que nature. Et pendant qu’il est là, à se vanter plus ou moins subtilement (comprendre ici : pas du tout subtilement) de ses millions, tu te demandes encore comment tu vas faire pour payer ton loyer à la fin de la semaine. Tu sais pourtant que tu n’aurais qu’un mot à dire, que jamais il ne te laisserait dans la misère (même celle que tu te causes à toi-même) Archie, mais tu préfères de loin faire comme si tout allait bien, laisser la Autumn de demain et des jours suivants gérer avec tous les problèmes qui s’accumulent en arrière-scène. La Autumn d’aujourd’hui, elle est tout simplement contente de pouvoir renouer enfin avec son meilleur ami, même si ce n’est pas comme ça que tu te l’étais imaginée. « C’est moi qui t’invite, tu veux dire. » Oh, tu n’as pas pensé une seule seconde que tu serais celle à sortir ton portefeuille en compagnie d’Archie, que ce soit dans un café ou n’importe où ailleurs, mais tu fais une face surprise qui se transforme rapidement en sourire, ne serait-ce que pour les apparences. « J’espère que t’as pas oublié que tu arriveras jamais à me faire changer d’avis. » « Tu sais bien que j’oublierais jamais rien te concernant. » Difficile sans doute de le croire, après tous ces mois de silence, ces dernières années sans se voir, mais c’est la stricte vérité. Tu n’oublies jamais rien. Tu es cruellement nostalgique d’une époque bien plus simple entre vous, de cette année ensemble même si vous n’étiez pas amoureux. C’était facile, c’était complice et tu as l’impression que jamais tu ne retrouveras une relation de la même trempe avec qui que ce soit. Ce qui rend son prochain commentaire assez drôle d’ailleurs, ou ironique, tu ne saurais dire vraiment. « Je me disais bien que la compétition n’était pas féroce. » C’est qu’il a l’air d’un ange Archie, quand il sourit aussi comme un gamin qui se complait de chaque compliment qu’il reçoit. Un méchant ange cornu, évidemment. « Mais j’admets que tu es une très bonne adversaire à ce niveau-là. Plusieurs fois j’ai cru que tu m’avais détrôné. » « Plusieurs, vraiment? » que tu lui demandes, espiègle, quand vous savez parfaitement tous les deux que le seul homme qui a réussi à prendre plus de place dans ta vie que le Kwanteen est celui dont il vaut mieux taire le prénom, encore un peu.

« Ne le laisse pas te lécher sinon tu auras besoin de prendre un bain. » Tu évites d’ailleurs l’embrassade à la dernière minute, et tu saisis parfaitement ce que Archie voulait dire par le besoin de prendre un bain. Bucky ne semble toujours pas se faire au tempérament hyper excité de Koda, qui elle continue de sautiller et de japper contre le chien de ton ami comme si sa vie en dépendait. C’est pire encore quand Archie lui accorde de l’attention et que le gros chien blanc se met à gémir, en demande d’attention qui ne semble pas satisfaisante lorsqu’elle vient de toi, ce qui t’arrache un rire. « Tu habites seule, alors? C’est étrange. Je m’étais imaginée que tu étais toujours bien entourée. » Tu l’étais davantage, avant. Quand il t’a rencontré, ta vie sociale était à son maximum, tu enchaînais un rythme que tu n’as jamais réellement su retrouver depuis la chute de ta santé mentale. Mais ça, tu évites de le spécifier, refuse de prendre un rôle de petite victime fragile devant Archie, il a déjà bien trop vu ce côté de toi à ton goût lorsque tu étais encore en psychiatrie. « Personne peut se plaindre de mon bordel de cette façon, c’est mieux ainsi. » Tu couronnes le tout d’un sourire, évites tous les sous-entendus autour de ta supposée vie sociale qui n’est plus du tout ce qu’elle était, préférant changer le sujet en lui offrant de lui faire visiter ton appartement, celui qui est grandement au-dessus de tes moyens et duquel tu vas sûrement te faire expulser d’une semaine à l’autre. En espérant que vous ne mettiez pas six mois pour cette visite-là, donc. « Avec plaisir. J’ai acheté une maison depuis. » « J’aurais dû le savoir. » que tu répliques, amusée, curieuse de découvrir cette maison – ou plutôt ce que tu imagines déjà être aussi grand qu’un palais – dans laquelle le Kwanteen demeure désormais. « Combien de chambres? Attends, dis-moi le pas. 6? 7? » que tu suggères, pensant être proche de la bonne réponse.

Tu fais ta curieuse et tu es surprise de voir un flash de malaise s’installer sur son visage. Tu fronces légèrement les sourcils, mais ne le mentionne pas alors qu’il reprend son éternel sang-froid, répondant avec son calme habituel. « Oh tu ne sais, je n’ai jamais cherché la femme de ma vie. Je ne suis pas intéressé par la vie de couple. » Peut-être qu’elle est là, la grande solution, la meilleure façon de vivre. « Tu ne manques pas grand-chose. » Tu te fais croire que tu n’y es plus intéressée toi non plus, depuis ta rupture avec Kieran, mais la vérité c’est que la vie à deux te manque terriblement. Ce sont les petites choses, les sorties au restaurant, une main à prendre lors d’une longue marche en ville, les baisers échangées à la va-vite quand l’un arrive ou que l’autre part. Et puis ce sont les grands évènements aussi, savoir que quelqu’un sera là, beau temps, mauvais temps. Le problème, c’est que personne ne semble en mesure d’y survivre, à ton mauvais temps. « Tu as été ma seule copine et je n’ai pas cherché à te remplacer depuis. » « C’est sûr que moi aussi, je suis difficile à égaler. » que tu souffles dans un rire, avec toute la fausse confiance que tu possèdes encore. « Ne restons pas planté là comme des idiots. Viens, je vais te présenter mon café préféré. J’y passe souvent des journées entières quand je n’ai pas envie de rester chez moi. » Tu acquiesces d’un hochement de la tête alors que tu le suis, Bucky et Koda ouvrant la marche de manière maladroite, mais sans trembler en présence l’un de l’autre donc c’est sans doute un bon signe. « Ta maison est loin d’ici? » que tu demandes, curieuse de savoir s’il habite l’une des immenses demeures que vous croisez sur le chemin qui mène au café. « Tu sais, si tu as un copain, tu dois absolument me le présenter. C’est mon devoir de faire passer un test à tous tes prétendants, c’est ma religion qui me l’oblige. » Tu échappes un rire, tu n’as pas besoin de lui présenter les derniers hommes que tu as fréquenté, de manière complètement éphémère, pour savoir qu’il n’approuverait aucun d’eux. « Et, si un mec te fait la vie dure, tu peux toujours compter sur moi pour tester mes nouveaux gants de boxe sur son visage. » « Tu n’auras pas besoin de sortir tes gants de boxe, pas plus que tu n’auras besoin de penser à toutes les pires questions à poser à un homme. » que tu assures. « C’est plutôt calme de ce côté-là, depuis Kieran. » Oh tiens voilà, tu l’as finalement prononcé, le nom maudit. Au beau milieu d’un mensonge en plus, de mieux en mieux. « Enfin, il s’est peut-être passé une chose récemment, mais je pense pas que ça compte. » Tu ris déjà, bien plus nerveusement que tu ne veux l’admettre alors que tu repenses à ton ‘mariage’ avec Mason, celui que tu attends toujours avec impatience de faire officiellement annuler. « T’as déjà été aux évènements organisés par la Pride? » Voilà un début de conversation que tu n’aurais cru jamais avoir avec Archie.

Le temps avait passé, mais pas vraiment. Ils avaient cessé de se voir, mais pas vraiment. Ils avaient continué leur vie de leur côté, mais pas vraiment. La Terre avait tourné mais ni Autumn ni Archie n’avaient bougé. Pour cette raison, ils se retrouvaient aujourd’hui comme si rien n’avait changé. Ils ne connaissent pas la gêne de revoir une vieille connaissance et ils n’ont pas besoin de faire semblant de s’intéresser à l’autre car l’intérêt est réel ; il l’a toujours été.

Archie se voit plongé quelques années auparavant et, même s’il ne regrette pas d’avoir mis un terme à leur relation qui n’évoluait en rien de plus qu’une forte amitié, il regrette toutefois de l’avoir laissé partir loin sans prendre de nouvelles. Il pensait peut-être qu’elle était mieux sans lui parce qu’il n’avait pas pu la soigner et la consoler comme il aurait dû. Il regrettait de ne pas avoir été à la hauteur, aussi, mais la jeune femme ne semblait pas lui en vouloir. L’eau avait coulé sous les ponts.

« Tu sais bien que j’oublierais jamais rien te concernant. » Il sourit, hausse les épaules, fait une tête angélique puis claque sa langue contre son palet. Un véritable gamin dans le corps d’un adulte millionnaire – c’est important de préciser ce détail le plus souvent possible car il ne faut pas oublier qu’Archie est plus cool que le reste du monde. Autumn aussi, d’ailleurs, et c’est pour cette raison qu’ils s’entendent si bien. Il ne leur avait fallu que quelques minutes dans un taxi pour savoir que l’un serait important pour l’autre. Le taxi magique, qu’Archie l’appelait. « Plusieurs, vraiment? » « Oui, mais je me rappelais qu’en fait tu ne faisais pas le poids. » Il répond d’une voix malicieuse, la couvrant d’un regard joueur. Il n’a pas besoin de dire qu’il plaisante parce qu’elle le sait. Il lit dans ses pensées, elle lit dans les siennes, c’est ainsi. Encore un coup du taxi magique.

Il aurait peut-être pensé qu’Autumn avait à nouveau trouvé quelqu’un parce qu’elle n’avait pas attendu bien longtemps avant de tomber les bras de Kieran après leur rupture. Il ne lui en avait jamais voulu parce qu’il avait lui-même recommencé à draguer tous ce qui passait devant ses yeux quand ils se sont mis d’accords pour se séparer. Ils ont tous les deux une passion pour la chair, il faut croire. Naturellement, le riche jeune homme (très riche) est surpris d’apprendre qu’elle habite seule malgré tout ce temps qui a passé. « Personne peut se plaindre de mon bordel de cette façon, c’est mieux ainsi. » C’est un avantage, en effet. Elle n’a pas besoin de ranger derrière elle. Archie mon plus, d’ailleurs, parce qu’il a choisi la meilleure femme de ménage (il est riche alors il peut se le permettre, t’sais). « Alors tu n’invites jamais personne chez toi ? » Il demande, véritablement curieux. Ils ne se sont jamais gênés pour parler de leur vie sociale et sexuelle après tout. C’était même un jeu à l’époque.

Évidemment, Archie ne manque pas l’occasion d’expliquer qu’il s’est acheté une maison depuis, et qu’il possède maintenant beaucoup plus de pieds carrés (qu’il n’utilise pas vraiment). « J’aurais dû le savoir. Combien de chambres? Attends, dis-moi le pas. 6? 7? » Il fait mine de compter sur ses doigts, sans lâcher la laisse de Bucky. Il s’arrête sur son petit doigt. « J’ai arrêté de compter après dix. L'une d'elles est pour toi. » Il plaisante, yeux brillants, fier paon de vanter ainsi sa demeure. Après tout, il pouvait compter davantage sur son compte en banque que sur sa personnalité pour attirer l’attention. Il n’avait pas la meilleure réputation chez ces demoiselles qu’il abandonnait en plein milieu de la nuit sans jamais donner de nouvelles.

N’empêche, il s’est calmé depuis quelques mois. Malheureusement pour lui et sa couverture d’homme hétéro viril.  

Justement, c’est au tour d’Autumn de l’interroger sur son statut social et, sans surprise, il ment. Il se bat encore avec lui-même, et il se battra jusqu’à sa mort ; impossible pour lui d’admettre qu’il n’est pas le Archie que la jeune femme a connu dans le taxi. Il préfère jouer une personne plutôt que de se révéler à la Terre. Il ne veut pas risquer de perdre. « Tu ne manques pas grand-chose. » Il hoche de la tête, passant sa main dans sa barbe en se raclant la gorge. « Nous sommes indépendants. Si c'est pas une qualité, je sais pas ce que c'est ! » Il vaut mieux trouver des avantages pour mieux se vanter par la suite (parce qu’il ne fait que ça, dans la vie. Ça et beaucoup d’argent, ka-ching !) « C’est sûr que moi aussi, je suis difficile à égaler. » Il lui fait un clin d’œil. « Exactement. » Parce qu’il n’y avait aucune autre raison pour laquelle il ne s’était pas remis avec une femme, of course. Préférant changer de sujet, ou, du moins, river les projecteurs ailleurs que sur lui, il propose de marcher en direction du café. « Ta maison est loin d’ici? » Il secoue la tête de droite à gauche en ouvrant la marche et il pointe derrière eux, vers la mer, à un demi-kilomètre d’ici. « Quinze minutes de marche par là-bas. Je fais toujours un aller-retour avec Bucky jusqu’ici. Une maison près de la mer, évidemment, pour se faire réveiller le matin par les goélands. » Probablement le seul désavantage d’un tel positionnement. Un sourire amusé sépare son visage en deux lorsque les chiens tirent les laissent devant eux. Ils ne se mêlent pas les pattes. C’est une bonne nouvelle. « Tu n’auras pas besoin de sortir tes gants de boxe, pas plus que tu n’auras besoin de penser à toutes les pires questions à poser à un homme. » Il fait la moue, véritablement déçu. « Mais c’est tellement amusant de rendre mal à l’aise tes prétendants. » Il couine comme un enfant vexé. « C’est plutôt calme de ce côté-là, depuis Kieran. » Il serre les dents, se pince les lèvres, garde les yeux vers l’avant. « En voilà un sur lequel j’aurais dû tester mes gants de boxe, pas vrai ? » Il demande en l’observant du coin de l’œil pour voir sa réaction. Elle sera d’accord avec lui, c’est certain. Autumn et Archie, Archie et Autumn. Ce n’est pas pour rien que leur prénom commence par la même lettre. « Enfin, il s’est peut-être passé une chose récemment, mais je pense pas que ça compte. » Il hausse un sourcil, curieux. Il lui donne quelques coups de coudes pour qu’elle lui explique un peu mieux. Il prépare déjà ses blagues de mauvais gout mais, quand son amie mentionne la Pride, son visage se refroidit. Il lâche un ricanement perdu, se gratte l’arrière du crâne et prononce, d’une voix innocente : « La Pride ? Le truc avec les tutus et les arcs-en-ciel ? » Évidemment qu’il sait ce que c’est. Il préfère toutefois jouer la carte de l’innocence parce qu’il ne devrait pas en connaître trop à ce sujet. « Non, j’y suis jamais allé. Ce n’est pas vraiment mon environnement. » On peut presque entendre du dégout dans sa voix. Autumn devrait le comprendre : ils font partie du même monde depuis le début. A et A. « Pourquoi tu demandes ? » Il est soudainement sur la défensive comme s'il avait oublié qu'elle parlait d'elle et non de lui. Tout ne tourne pas autour de toi et ton égo surdimensionné, Archie.         

Ta vie sociale n’était plus ce qu’elle était depuis ton retour du Canada, c’était une évidence. Si à l’autre bout du monde, tu avais été en mesure de te réinventer complètement, de te moduler au gré de tes envies selon les villes dans lesquelles tu te trouvais, jouant au social butterfly pour mieux profiter de ce que tu appelais le temps perdu (c’est-à-dire le temps que tu as passé en couple avec Kieran, à être fidèle à un seul et même homme pendant cinq ans), c’était plus difficile d’en faire de même depuis que tu étais revenue en sol australien et que tout semblait te ramener constamment au Halstead. « Alors tu n’invites jamais personne chez toi? » Tu secoues doucement la tête, amusée par la curiosité du Kwanteen. « À l’occasion. » que tu le rassures avec un sourire qui en dit long sur ce que tu sous-entends. Il y avait eu quelques coups d’un soir, des hommes rencontrés ici et là avec qui le courant était bien passé, mais avec qui ça ne durait jamais plus longtemps que le temps d’une nuit. C’est Archie qui serait fier que tu élabores à ce sujet d’ailleurs, mais tu te gardes une petite gêne, pour le moment du moins, te faisant plutôt curieuse sur les nouveautés dans la vie de celui que tu as longtemps considéré comme ton meilleur ami. Qu’est-ce qui s’est passé déjà pour que vous vous éloigniez ainsi? Ah oui. Kieran et ta dépression. Un duo gagnant – ou pas. « J’ai arrêté de compter après dix. L’une d’elle est pour toi. » « Fais attention, j’pourrais te prendre au mot. » que tu rétorques sur le même ton plein d’humour qu’il vient d’utiliser. Il fut un temps, tu l’aurais sûrement envisagé pour de vrai, surtout vu la situation actuelle de tes dettes. En ce moment, après tout ce qui s’est passé, tu n’es pas certaine que votre amitié en soit encore à ce point-là, à ton plus grand désarroi.

« Nous sommes indépendants. Si c’est pas une qualité, je sais pas ce que c’est! » Et quand il le dit comme ça Archie, quand il le clame haut et fort et qu’il t’inclut dans l’équation comme une évidence qui ne devrait jamais être remise en doute, tu pourrais jurer que vous êtes revenus sept ans en arrière et que c’est encore lui et toi contre le reste du monde, couple ou pas. Oh tu t’es toujours sentie invincible, à côté d’Archie et il n’y pas de doute possible, il te manquait cruellement, ce sentiment-là. « Quinze minutes de marche par là-bas. Je fais toujours un aller-retour avec Bucky jusqu’ici. Une maison près de la mer, évidemment, pour se faire réveiller le matin par les goélands. » « Quel enfer que tu vis. » que tu ironises avec un rire, ne pouvant que t’imaginer la grande baraque dans laquelle Archie vit aujourd’hui, avec vu sur l’eau. Le paradis sur terre bien plus que l’enfer si on te demande ton avis, mais tu le connais le Kwanteen, même quand il a tout, il veut toujours plus et tu ne peux pas te blâmer, parce que t’es pareille, même quand toi en comparaison, tu n’as pas grand-chose. Pas grand matériel, et pas grande présence masculine dans ton entourage. Si ce n’est de Mason évidemment, même si tu n’es pas encore certaine de vouloir aborder ce sujet avec Archie. « Mais c’est tellement amusant de rendre mal à l’aise tes prétendants. » « Faut dire que tu n’as pas eu à travailler très fort pour ça par le passé. » Et ça ne devrait pas t’arracher un rire, mais ça le fait immanquablement, parce qu’avec Archie, te moquer de tout et de tout le monde – même de Kieran, surtout de Kieran – c’est une deuxième nature que tu ne peux pas réfuter. « En voilà un sur lequel j’aurais dû tester mes gants de boxe, pas vrai? » Il est incertain, le sourire qui se place sur tes lèvres alors qu’une partie de toi voudrait dire oh que oui et que l’autre s’entête à te répéter que tu l’as bien assez fait par toi-même, sans jamais avoir besoin de gants de boxe. Mais c’est ton rôle de victime qui prend le devant, comme toujours, quand tu finis par échapper un rire avant de souffler : « Ça aurait pu m’éviter un cœur brisé en effet. » Ce n’est pas totalement faux après tout. Ton cœur, quoi qu’on en dise, peu importe ce que l’on croit, il est toujours brisé. Par ta faute et par celle de Kieran aussi, mais on évitera de préciser à qui revient le plus grand pourcentage.

Tu sais que tu as piqué la curiosité d’Archie en mentionnant qu’il y a peut-être eu quelqu’un – peut-on vraiment dire que Mason est quelqu’un, sérieusement? – dans ta vie et sa curiosité est transformé par quelque chose que tu ne saurais décrire sur son visage alors que tu mentionnes vaguement la Pride. « La Pride? Le truc avec les tutus et les arcs-en-ciel? » Tu pouffes de rire. C’est une manière comme une autre de décrire l’évènement en effet. « En partie, oui. » que tu acquiesces d’un mouvement de la tête. « Non, j’y suis jamais allé. Ce n’est pas vraiment mon environnement. » Tu aurais sans doute pu le deviner, mais c’était une manière comme une autre pour toi d’introduire le sujet. « Pourquoi tu demandes? » « J’y suis allée avec une de mes amies. Il y avait une parade, c’était une raison comme une autre de sortir un peu, de faire la fête quoi. » Oh et pour faire la fête, tu n’avais pas hésité à y aller fort. Un peu trop même. « Au cours de la soirée, j’ai fini par perdre mon amie dans la foule. J’ai continué à boire et puis je me suis retrouvée dans une chapelle. » Oh boy. Chaque fois que tu racontes cette histoire, tu peines à y croire toi-même. Quelle connerie quand même. « J’suis tombée sur un mec weird et on a fait une partie de cap/pas cap qui a mal tourné. » C’est vraiment peu dire ça, Autumn. « J’pensais que c’était qu’une connerie, que c’était pas valide, mais apparemment que j’me suis mariée, ce soir-là. » Pas que tu t’en souviennes avec précision, évidemment. Tu n’oses pas tourner ton regard vers Archie, les yeux rivés sur Koda qui continue de se déhancher un peu trop près d’un Bucky qui est incertain. C’est bien plus simple de regarder vos canins que de risquer faire face à tous les jugements tu risques de lire dans les yeux du Kwanteen.

« À l’occasion. » Il aimerait en savoir plus pour s’amuser un peu. Pas pour rire d’elle, plutôt pour rire avec elle. Ils ne sont plus ensemble depuis assez longtemps pour ne plus ressentir de jalousie (en a-t-il déjà ressenti, d’ailleurs ?) alors il se plairait à entendre toutes ces histoires qu’elle a vécues ici, au Canada, chez elle, chez un étranger, dans un bar. Le genre d’anecdote que seulement les amis se partagent, mais ils sont amis tous les deux, alors il insiste un peu en lui donnant des coups de coudes délicats. « T’as vraiment rien d’intéressant à dire ? Tu sais bien que j’adore les détails. » Puis, malicieux, il ajoute d’une voix innocente : « Sinon c’est moi qui te fait une liste de toutes les filles qui sont venues chez moi, et, crois-moi, tu vas t’ennuyer. » Il ne tient évidemment pas de listes et il ne pourrait pas en nommer plus de trois. Il ne fait jamais l’effort de se souvenir des prénoms des femmes qu’il charme avec sa jolie montre et sa voiture. Elles acceptent ses avances pour obtenir quelque chose en retour et il le sait très bien. Il n’a jamais été naïf. Dans tous les cas, les portes de son énorme baraque près de la mer resteront toujours ouvertes pour Autumn et Archie ne se retient pas de le mentionner. « Fais attention, j’pourrais te prendre au mot. » Il lui adresse un sourire tendre qui ne lui ressemble presque pas. « Prends-moi au mot, c’est une vraie invitation. » Elle est Autumn. Elle a marqué sa vie et il espère que c’est réciproque. Elle peut venir frapper à sa porte à quatre heures du matin si ça lui fait plaisir, et ils regarderont les derniers Harry-Potter ensemble même si elle s’endort et même s’il déteste ce genre de film. Elle peut pleurer dans ses bras si elle tombe ; il ne posera pas de questions si elle ne veut pas en parler et il les posera toute si elle a besoin de vomir ses émotions.

Même si en présence de son amie il se permet de baisser ses barrières, ça n’empêche pas au fier Archie qu’il est de vanter la localisation parfaite de sa maison même si les rebords de ses fenêtres accueillent souvent des oiseaux jacasseurs. « Quel enfer que tu vis. » « T’as pas idée. » Il répond sur un ton aussi ironique que le sien, se joignant à son rire. « Faut dire que tu n’as pas eu à travailler très fort pour ça par le passé. » Elle a raison. C’est dans sa religion de rabaisser les autres hommes si ces derniers ne sont pas dans son camp. Kieran avait fait partie de ses victimes – bien que ce dernier n’avait pas eu besoin de son aide pour tomber bien bas. Il avait lui-même brisé tout ce qu’il avait construit avec Autumn (enfin, il ne connait toujours pas l’histoire et ses détails, mais il assume que c’est seulement la faute du garçon). « Ça aurait pu m’éviter un cœur brisé en effet. » Il la lorgne silencieusement pour lire ses émotions derrière ses yeux rivés vers l’avant, vers les deux chiens qui font la course, vers les joggeurs qui viennent de les dépasser par la gauche. Il hésite, il hésite, il hésite encore, un peu trop longtemps parce qu’un léger trouble s’installe entre eux, mais il décide de combler sa curiosité. « Tu l’as revu depuis que tu es revenue ? » Après tout, il n’est pas un ex parmi tant d’autres. Il avait envoyé Autumn à l’hôpital et il se doutait que sa disparition au Canada n’avait pas pour seul intérêt le tourisme, la tire d’érable et la poutine.

Soudainement, quand le sujet de la Pride est amené (pourquoi ce sujet est-il amené ??), Archie sent tous ses muscles se cambrer et il se ferme par automatisme. Sait-elle ? A-t-elle deviné qu’il était tombé amoureux d’un garçon ? C’est donc vrai que les filles arrivent à lire dans les pensées. Mais il ne pensait pas à James. Non ? Si ? Il ne sait plus trop, le jeune homme s’entremêle à toutes ses pensées d’une manière ou d’une autre. Il s’immisce à l’improviste dans sa tête à tout moment de la journée. « J’y suis allée avec une de mes amies. Il y avait une parade, c’était une raison comme une autre de sortir un peu, de faire la fête quoi. » Oh, d’accord. Il est sain et sauf. Apaisé, il l’invite à poursuivre en opinant de la tête. Ses sourcils se froncent au fur à mesure que l’histoire emprunte d’étranges chemins et il doit se stopper quand elle prononce les mots fatidiques : elle s’est mariée. Bucky s’arrête à son tour, surpris par la nouvelle pression autour de son cou. Il va s’asseoir aux pieds de son maître en observant lui aussi Autumn comme s’il se révélait soudainement franc connaisseur de la langue anglaise et qu’il était tout aussi choqué par ses propos. « Quoi ? » Il finit par lâcher lorsqu’il comprend qu’elle est complètement sérieuse. Il porte naturellement ses yeux à ses mains pour chercher une alliance qu’il ne voit pas. « De quoi tu parles ? » Il pouffe de rire en passant sa main dans sa barbe. « C’est qui ce type ? Il est où ? Vous avez signé des papiers ? » Déstabilisé, il l’est, et ça se voit dans ce sourire exagéré qu’il arbore. Il attend qu’elle lui annonce qu’elle ne fait que plaisanter. Un genre de blague de mauvais goût. Ça ne peut être que ça.

« T’as vraiment rien d’intéressant à dire? Tu sais bien que j’adore les détails. » Tu secoues la tête, malgré le large sourire sur tes lèvres. Tu imagines qu’il n’y a pas beaucoup d’exs qui se vantent ainsi de leurs conquêtes sexuelles, mais vous n’avez jamais rien fait comme les autres, Archie et toi. « Sinon c’est moi qui te fait une liste de toutes les filles qui sont venues chez moi, et, crois-moi, tu vas t’ennuyer. » Tu pouffes de rire. Il a toujours été du genre tombeur Archie, ça te fait drôle de penser d’ailleurs que tu as été la seule fille avec qui il a été en couple. « Comment tu tiens ton classement? Par couleurs de cheveux? Les brunes, les blondes, les rousses? J’fais partie de quelle catégorie du coup? » Les blondes parce que c’est la couleur de cheveux que tu avais quand vous étiez ensemble, ou les rousses maintenant que c’est la couleur que tu as adopté depuis plus d’un an déjà? « J’ai été avec un homme dans la quarantaine. » Tu ne sais pas trop s’il va te féliciter ou faire une grimace, mais ça t’amuse de le lui partager et puis c’est lui qui a demandé des détails, après tout. « Prends-moi au mot, c’est une vraie invitation. » Ça te touche, même si tu es incapable – dans l’immédiat du moins – de réellement le considérer comme une option viable, même si ça règlerait beaucoup de tes problèmes financiers parce que tu sais qu’Archie refuserait que tu lui payes une part du loyer. Ce serait fou, d’habiter avec lui à nouveau, comme avant, mais de manière complètement différente. C’est tentant, malgré tout, et même si tu secoues la tête à la négative, tu gardes la suggestion dans un coin de ton esprit, au cas où.

Quand la discussion diverge sur les hommes que tu fréquentes, ou plutôt ceux que tu fréquentais, ce n’est évidemment qu’une question de temps avant que le prénom de Kieran ne se fasse une place. Le silence qui suit sa mention n’a rien de surprenant non plus. Archie n’a jamais apprécié le Halstead, que ce soit avant votre séparation et son ressentiment n’a fait que grandir pour le après, surtout vu la violence de votre rupture, par cette lettre maudite que tu lui as d’ailleurs fait lire par le passé. Tu évites le regard du Kwanteen, mais tu le sens sur toi, qui observe la moindre de tes réactions et tu es bien incapable de prétendre que de parler de Kieran ne t’ébranle pas toujours autant qu’avant, malgré le temps passé. Parfois, tu le détestes, parfois tu le regrettes, mais peu importe le dialogue que tu partages, l’amertume est toujours présente. « Tu l’as revu depuis que tu es revenue? » Tu fais doucement signe que oui de la tête et puis tu oses enfin relever la tête pour croiser le regard de ton ami. « Une fois, il y a quelques mois. » Et on ne peut pas dire que ça s’était particulièrement bien passé. « Il se trouve qu’on habite pas très loin, l’un de l’autre. » Et tu n’as pas du tout choisi ton appartement en fonction de ce hasard, bien sûr que non, voyons. « Je voulais qu’il m’explique la lettre de vive-voix. Il a pas été capable. » Il a fait ce que Kieran fait le mieux : il s’est sauvé que la discussion est devenue moindrement émotive, difficile. Et tu es restée avec toutes tes questions, toutes tes incompréhensions, les vraies comme les fausses, à te demander si tu n’aurais pas pu faire quelque chose de différent cette fois-là pour changer la fin et éviter le reste de tes conneries.

Et des conneries, tu en fais des belles et des grosses récemment, surtout celle de ce mariage à la con pendant la Pride. Tu ne sais pas trop à quoi tu t’attendais en parlant de ça à Archie, mais à voir le choc sur son visage, tu devines qu’il est réellement surpris, limite qu’il ne te croit pas même. Toi aussi, tu aimerais ça, ne pas y croire. « Quoi? » Tu te contentes de hocher la tête vaguement, une grimace sur le visage. Tu n’es pas fière de toi, pas du tout même et pourtant, c’est la stricte vérité. Tu as vraiment merdé, sur ce coup-là. « De quoi tu parles? » De la pire connerie de ta vie, qu’est-ce qu’il n’a pas compris dans ce que tu viens de dire? Tu n’as vraiment pas envie de répéter, c’est déjà bien assez humiliant comme ça. « C’est qui ce type? Il est où? Vous avez signé des papiers? » Tu baisses les yeux tout en hochant positivement de la tête. « Oui, on a signé des papiers. Qui aurait cru que ça aurait une vraie valeur légale dans un tel contexte? » Pas toi en tout cas. Ça ne devait être qu’un jeu. Un jeu débile certes, mais un jeu sans conséquence. Better luck next time. « C’est un joueur de basket assez populaire. Il est à Brisbane et il a décidé de faire son difficile. » Tu roules des yeux, c’est vraiment le moins qu’on puisse dire sur le cas de Mason Bradford. « Je lui ai dit que je voulais faire annuler le mariage, mais il semble décidé à ce qu’on divorce. J’ai pas compris pourquoi. » Il n’y a rien à gagner dans un cas comme dans l’autre, mais toi, tu as tout à perdre si tes parents apprennent ça. « T’imagines la réaction de mes parents s’ils apprennent ça? Ou de mon frère? Prêtre Galloway va bien faire une crise de cœur s’il apprend que sa sœur s’est mariée avec un inconnu sous l’influence de l’alcool. » Autant le dire tout de suite : t’es pas mieux que morte.

« Comment tu tiens ton classement? Par couleurs de cheveux? Les brunes, les blondes, les rousses? J’fais partie de quelle catégorie du coup? » C’était évidemment une plaisanterie ; Archie ne classe pas ses partenaires pour une simple et bonne raison : il oublie le visage de toutes celles qu’il a ramené chez lui. Il préfère ne pas se rappeler des prénoms, aussi, parce que ça lui évite de l’associer au visage des prochaines femmes qu’il rencontrera, notamment celles avec lesquelles il entretiendra une relation professionnelle dans le futur. Il vaut mieux éviter d’imaginer Julia, la directrice de sa compagnie d’assurance, en train d’haleter, bouche grande ouverte, visage couvert de sueur, cheveux qui rebondissent sur son crâne à chaque coup de reins. « En fonction de leur nombre de neurones. » Il se décide à répondre. « La moyenne n’est pas très haute. Tu l'as largement débalancée. » Il ajoute d’une voix vantarde. Il est vrai qu’il a toujours fait exprès de choisir des filles qui semblent plus… naïves, pour la simple et bonne raison qu’elles ont moins de chance de capter qu’Archie ne recherche aucun attachement, seulement du plaisir charnel. Et il ne s’est jamais empêché de présenter son compte en banque pour obtenir tous les délices désirés. Cependant, ce devait faire au moins huit mois qu’il n’avait pas usé de ses charmes artificiels. Un détail qu’il ne mentionnera pas à Autumn pour éviter qu’elle ne lui pose des questions. Il vaut mieux lui faire croire qu’il n’a pas changé, qu’il est resté le même Archie qu’elle aimait. Elle serait déçu de réaliser que son ami n’est plus celui qu’il prétend être. « J’ai été avec un homme dans la quarantaine. » Une grimace de dégout traverse son visage et il pouffe de rire. « C’était un pari ou tu avais une bonne raison de le faire ? » Parce qu’elle est parfaite, la jeune femme, et elle ne mérite pas d’un vieillard qui ne désire que son corps encore jeune. Un peu antipathique, Archie ? Oui, absolument. Mais pas que. Il est aussi encore trop protecteur envers celle qu’il considère beaucoup trop intelligente pour se laisser appâter par des gens qui ne la verraient pas comme elle est.

Justement, son ex, Kieran, le nom banni de la surface de la Terre. C’est sans surprise que le sujet revient sur le tapis, parce que ce dernier n’a jamais réellement quitté les lèvres des deux complices. Il est tombé comme un météore dans la vie d’Autumn et a rasé tous sur son passage ; son sourire, son bonheur, la joie de vivre qui la faisait jadis pétiller. Il lui en a cruellement voulu, à Kieran, de dénaturer celle qu’Archie avait façonné à son image pour la rendre plus forte. Il ne comprenait d’ailleurs toujours pas comment il avait eu autant d’influence sur la jeune femme, lui qui est aussi minuscule et inoffensif qu’un bébé fourmi écrasé sous la semelle d’un passant (c’est très petit, ça). « Une fois, il y a quelques mois. » Il voudrait savoir si c’était volontaire, et la question se plante au fond de sa gorge. Il ne peut pas l’apprivoiser avant qu’elle ne s’échappe de ses lèvres : « Par hasard ? » Faites que ce soit par hasard. Faites qu’Autumn a tourné la page sur ce chapitre. Qu’elle l’a brûlé, même, cet amas de pages et de mots empoisonnés. « Il se trouve qu’on habite pas très loin, l’un de l’autre. » Oh, super, les bonnes nouvelles s’enchaînent aujourd’hui. « Je voulais qu’il m’explique la lettre de vive-voix. Il a pas été capable. » Archie se met machinalement à rire, un ricanement sarcastique, malhonnête, cru et acide comme un tartare de viande trempé sous une couche de jus de citron. « C’est pas surprenant. Il n’a jamais réussi à porter ses couilles. » Il lâche un soupir puis reprend d’un ton sérieux : « Tu devrais te tenir loin de lui, Autumn. Il a brisé tout ce que tu avais ici. » Par sa faute, elle a quitté Brisbane, la vie qu’elle avait ici. Ses amis. Archie. Archie, surtout, lui il était important. « Il t’a envoyé à l’hôpital, merde ! » Et sa soudaine exclamation fait sursauter les deux chiens qui relèvent vivement la tête vers leurs maîtres sans ralentir la cadence.

Visiblement, cette balade à pieds s’apparente davantage à une montagne russe. Archie ne s’attendait pas à entendre toutes ces histoires, à vrai dire. Le retour de Kierabruti dans sa vie ? Un mariage avec un homme au hasard pendant une sorte de festival à pompons ? Alors, face à tous ces récits et ces détails plus ridicules les uns que les autres, Archie reste complètement pantois et, seulement après avoir laissé un long silence flotter, il se secoue les puces : « Je vais tenter d’ignorer le fait que tu as accepté de te marier avec un étranger… » Il commence, bredouillant, agacé, faux sourire découpant sa face en deux. « Il veut obtenir quelque chose de ta part, peut-être. Tu possèdes un truc dont il pourrait rêver ? » Il ne sait pas vraiment ce qu’il dit, Archie, plutôt coincé entre deux mauvais sentiments et, le plus important : il ne sait pas exactement comment ça fonctionne, un mariage et un divorce. Ses parents sont encore ensemble depuis toutes ses années. Alors ses conseils ressemblent à une barque trouée qui se fait secouer et engloutir au milieu de l’océan intrépide. « T’imagines la réaction de mes parents s’ils apprennent ça? Ou de mon frère? Prêtre Galloway va bien faire une crise de cœur s’il apprend que sa sœur s’est mariée avec un inconnu sous l’influence de l’alcool. » « Ah, parce que je suis le seul au courant ? » Il se masse les tempes, replace ses cheveux vers l’arrière, puis tente : « Il n’est pas trop costaud, le type ? Tu crois que je pourrais lui parler pour qu’il te laisse tranquille ? » Ça vaut la peine de demander. Archie peut se montrer très convaincant, parfois.    

« En fonction de leur nombre de neurones. » La réponse t’arrache un nouveau rire. « La moyenne n’est pas très haute. Tu l’as largement débalancée. » « C’est vrai que là aussi, je suis une catégorie à part. » Oh, tu le connais, le genre de filles qu’Archie ramène chez lui le temps d’une nuit et c’est loin d’être des petits génies alors même pas besoin d’être particulièrement brillante pour savoir que tu n’as rien à envier à celle qu’il prend et qu’il jette à son envie. Parfois, tu te dis que tu aimerais avoir son détachement complet. Tu y parviens un peu mieux, tu accumules quelques one night stand, surtout depuis ton voyage au Canada, mais ce n’est clairement pas un talent pour toi comme ça semble l’être pour Archie, surtout qu’il y a Kieran, toujours quelque part au fond de ta tête là où tu es persuadée que Archie est libre comme l’air, n’ayant réellement besoin de rien ni de personne, si ce n’est lui-même. Quand il insiste pour des détails, tu lui partages vaguement le fait que tu as été avec un homme plus vieux, ce qui fait apparaître une grimace sur le visage du Kwanteen et te fait rire de nouveau. « Hey, c’est toi qui voulais des détails! » que tu lui rappelles, amusée. « C’était un pari ou tu avais une bonne raison de le faire? » « Il avait une belle gueule. Et l’expérience qui vient avec l’âge. » que tu relates avec un regard qui se veut éloquent. Oh tu n’avais absolument rien à redire sur cette soirée et cette nuit que tu avais passé avec Wyatt. Ça avait été une distraction, rien de plus pendant un moment où vous sembliez tous les deux en avoir cruellement besoin.

Une distraction du garçon à qui tu penses toujours, celui qui se fait une place dans toutes les conversations du monde, que tu le veuilles ou non. Qu’est-ce que ce sera, aujourd’hui? Positif, négatif? La vérité ou des mensonges? Avec Archie, tu as toujours su trouver la parfaite balance entre les deux. De quoi jouer la parfaite victime à ses yeux et alimenter sa hargne avec le Halstead, faisant ressortir son côté protecteur qui t’a toujours donné l’impression d’être réellement vue, réellement appréciée, tout en conservant un fond de vérité, celui qui explique pourquoi même après tout ce temps, le nom de Kieran ne semble pas en mesure de se dissocier complètement de tes lèvres. « Par hasard? » Tu hésites quelques secondes encore. Alors Autumn, qu’est-ce que ce sera cette fois? « Pas vraiment. » Oh, un brin de vérité, tiens donc. « Enfin, je savais pas qu’on habitait sur la même rue quand j’ai choisi cet appartement. » Menteuse, menteuse, menteuse. « Mais j’ai un peu provoqué la rencontre, j’avoue. » Une demi-vérité, c’est quand même mieux que rien, non? Tu savais que si tu ne forçais pas un peu les choses, les chances pour que vos chemins se croisent réellement naturellement étaient des plus minimes et tu n’arrivais pas à très bien gérer le fait de savoir qu’il était si proche et pourtant si inaccessible. Et c’est toujours le cas aujourd’hui, même plusieurs semaines après cette discussion qui n’a pourtant mené à rien du tout. « C’est pas surprenant. Il n’a jamais réussi à porter ses couilles. » Tu baisses les yeux au sol, silencieuse. Jamais que tu ne viens à la rescousse du Halstead devant Archie. Peut-être que tu devrais. Ce serait plus juste ainsi. Mais entre ce qui est juste et l’attention que tu reçois, ton choix est toujours si facilement fait. « Tu devrais te tenir loin de lui, Autumn. Il a brisé tout ce que tu avais ici. » « Je sais… » Tu te mordilles la lèvre, parfaite petite victime que tu fais. « Il t’a envoyé à l’hôpital, merde! » « J’ai vraiment pas envie de penser à ça. » Balayer le sujet loin, très loin, pour ne pas avoir à te mêler dans tes mensonges et ne pas avoir à tenter de justifier un comportement qui ne fait toujours pas de sens. Oui, c’est ça Autumn, défile-toi, c’est bien plus facile comme ça. « Je vais sûrement pas le revoir de toute façon. » Parce que c’est la chose à faire, évidemment. Parce que c’est un lâche qui ne peut même pas te dire les choses en face. Parce qu’il ne mérite pas que tu sois encore autant attachée à lui. C’est ça, hein? C’est ce que Archie croit en tout cas, et ce que tu préfères croire toi aussi, pour aujourd’hui du moins. Demain ce sera peut-être autre chose, mais ça aussi, tu préfères ne pas y penser tout de suite. Ça viendra bien assez vite de toute façon.

« Je vais tenter d’ignorer le fait que tu as accepté de te marier avec un étranger… » C’est ce que tu essayes de faire toi aussi à tous les jours qui passent, sans grand succès malheureusement. « Il veut obtenir quelque chose de ta part, peut-être. Tu possèdes un truc dont il pourrait rêver? » Tu hausses les épaules. Tu ne possèdes pas grand-chose, tu ne vois vraiment pas ce qu’un mec relativement célèbre à la fortune bien plus importante que la tienne (qui est inexistante, évidemment) peut bien vouloir de toi. « Aucune idée. Je pense qu’il a juste décidé d’être chiant parce qu’il sait à quel point moi je pourrais être dans la merde, si ça se savait. » Et tu n’y comptais pas, oh ça non, peu importe ce que tu devrais faire pour convaincre Mason de finalement t’accorder cette stupide annulation et faire comme si cette soirée n’avait jamais eu lieu. « Ah, parce que je suis le seul au courant? » « On s’entend pour dire que c’est pas mon meilleur moment à vie et que j’ai pas trop intérêt à m’en vanter. » Non, dans la liste de tes pires conneries à vie (et Dieu sait qu’elle est bien plus longue que tu n’as envie de l’admettre, cette stupide liste) ce mariage est définitivement dans le top 3, et ça, c’est seulement parce que rien ne pourra jamais détrôner cette stupide crise qui t’a mené à l’hôpital, justement. « Il n’est pas trop costaud, le type? Tu crois que je pourrais lui parler pour qu’il te laisse tranquille? » « Il est pas mal plus grand que toi, mais ça t’a jamais arrêter par le passé. » Et tu ne parlais pas seulement de Kieran, même si évidemment, il est le premier qui te venait en tête à l’instant. « Tu ferais vraiment ça pour moi? » Et peut-être bien que votre relation n’avait pas été si endommagé par le temps et la distance, tout compte fait.

« Hey, c’est toi qui voulais des détails! » Il a demandé les détails, en effet, mais c’était peut-être dans l’espoir qu’elle lui dise qu’elle avait rarement trouvé mieux que lui depuis qu’ils se sont séparés. Hélas, ce n’est pas ce qu’Autumn lui a offert, et maintenant il doit essayer de se retirer l’image qu’il a dans la tête. Évidemment, il imagine un vieux crouton de soixante-dix, parce qu’il faut toujours faire dans l’exagération. « Oui, bon, tout le monde fait des erreurs ! » Il s’exclame en grimaçant, se demandant juste après s’il s’agissait d’un pari qu’elle avait perdu ou si elle avait vraiment été intéressée par un homme beaucoup plus vieux. « Il avait une belle gueule. Et l’expérience qui vient avec l’âge. » Okay il va vomir en fait. « Stop, stop stop. » Il couine en joignant ses mains devant lui pour lui supplier de lui épargner la suite. « Je vais faire des cauchemars, maintenant. » Il ajoute de bon jeu, les lèvres toujours soulevées pour former ce sourire permanent qui ne le lâche pas quand il est en compagnie de sa complice.

Hélas, la discussion ne pouvait pas prendre une direction plus agréable. C’est sans surprise que le prénom de son ex est ramené sur la table. Après tout, il est la raison pour laquelle Autumn a disparu des radars. À cause de lui, il a perdu son amie dans le nord mais il est heureux de constater aujourd’hui que, même s’ils ont été séparés par des milliers de kilomètres pendant tout ce temps, leur relation n’a pas été fragilisée. Si seulement ça pouvait rester ainsi. « Pas vraiment. » Sa mâchoire se serre mais Archie tente de dissimuler la moindre réaction derrière son masque impassible. « Enfin, je savais pas qu’on habitait sur la même rue quand j’ai choisi cet appartement. » Pour cacher son agacement, il passe dans main dans ses cheveux, deux fois, trois fois, le visage étiré par un rictus embarrassé. « Mais j’ai un peu provoqué la rencontre, j’avoue. » Il soupire, hésite un moment en gardant ses yeux rivés vers les deux chiens qui trottinent devant eux sans tirer les laisses. « Tu avoues, uh ? » Elle n’est pas aussi solide qu’il l’aurait espéré. Il pensait lui avoir appris à marcher sur les autres, pas à se faire piétiner. « Tu sais très bien ce qu’il va se passer. Tu sautes à pieds joints dans un piège. Où iras-tu quand il te blessera une deuxième fois ? En Europe ? En Amérique du sud ? » À ce rythme, elle pourra faire le tour du monde. « C’est ici chez toi. Partout là où il ne met pas les pieds. Il a certainement tourné la page, lui, depuis tout ce temps ? » Il demande, réellement curieux d’entendre la réponse. L’amour, il ne sait pas réellement ce que sait, alors il se dit naturellement que la distance aurait dû les séparer pour de bon, ces deux-là. C’est bien pour cette raison qu’elle a déménagé. Pour vivre une nouvelle aventure. « Je sais… » « Alors pourquoi tu insistes ? » Il lui fait remarquer sans aucune animosité dans la voix. Il veut seulement qu’elle ouvre les yeux, mais il doute que la tâche ne sera pas aussi facile qu’il l’aurait espéré. Elle n’a pas tourné la page. Elle aime jouer avec le feu. Lui aussi, mais pas de la même façon. Il ne risquerait jamais de se briser de cette façon (c’est ce qu’il croit, parce qu’il n’a jamais connu la routine d’un couple, le véritable amour qui déploie les papillons, les mots doux, la confiance, tout le reste). « Je vais sûrement pas le revoir de toute façon. » Cette fois, il ne peut s’empêcher de sourire de façon ironique. Elle est sérieuse ? « Tu crois vraiment que je vais gober ce mensonge ? » Elle vient de le dire : ils habitent sur la même rue. À moins que cette dernière s’étende sur trois-cent kilomètres, ils risquent de se revoir très souvent. « Tu peux jouer avec lui autant que tu veux, naïf qu’il est, mais tu ne peux pas jouer à ce petit jeu avec moi. » Il marque une pause et la lorgne pour voir sa réaction : « Trouve un nouvel appartement et je te croirai. Je te croirai quand tu me dis que tu fais des efforts pour aller mieux. » C’est un défi ? Une requête ? Un conseil ? Il ne sait pas vraiment. Il sait seulement qu’il en a marre de s’inquiéter pour elle parce qu’elle est une des seules qui pourrait le blesser, réellement. Réellement.

Et, comme si sa vie n’était pas assez compliquée comme ça, Autumn a décidé d’en ajouter une couche en mariant le premier venu. Archie va commencer à croire qu’elle fait exprès de se jeter aux crocodiles. C’est peut-être sa façon de se sentir vivre. Lui, c’est l’argent ; elle, c’est le danger. Heureusement, elle a conscience que ce n’était pas la meilleure idée qu’elle puisse avoir et qu’elle peut seulement vivre avec les conséquences aujourd’hui. Naturellement, parce qu’Archie a un bon pouvoir de persuasion (et parce qu’il sait boxer aussi, hein…), il se propose pour lui dire un mot ou deux, à ce mari qui ne la mérite clairement pas (personne ne mérite Autumn, de toute façon). « Il est pas mal plus grand que toi, mais ça t’a jamais arrêter par le passé. » Un joli compliment qu’il prend en roucoulant. « Tu ferais vraiment ça pour moi? » Il ne prend même pas le temps de réfléchir que sa tête se bascule de bas en haut. « Ouais. Si ça peut me ramener ma meilleure amie. » Qu’il précise en haussant les épaules juste avant de s’abaisser pour attacher Bucky à un poteau près de la porte d’entrée du café. « Koda est capable de t’attendre ? » Il vaut mieux s’en assurer, après tout, Bucky était incapable de laisser son maître partir quand il était encore un chiot. Il hurlait à en percer les tympans de tous les passants puis Arcie se résignait seulement quelques minutes plus tard pour retrouver son ami dramatique.

Tout semble facile, quand tu lui parles de ta nuit avec Wyatt – sans lui donner trop de détails quand même – et qu’il grimace et t’accuse de ses prochains cauchemars. Pendant quelques secondes à peine, tu pourrais jurer que les dernières années n’ont jamais eu lieu, que c’est seulement Autumn et Archie, Archie et Autumn, comme ça se devait de l’être. Une complicité qui ne s’explique pas, un lien qui a survécu a beaucoup. Des personnalités qui ne devraient pas se joindre si aisément et pourtant, c’est une évidence. De celle qu’on ne cherche même pas à questionner, même si peut-être, on le devrait. Parce qu’au contact d’Archie, tu changes. Et ce n’est pas nécessairement pour le mieux, malgré ce que tu aimerais croire. Tu te calques de sa personne, tu gagnes d’une confiance et d’une arrogance qui ne sont pas véritablement tiennes, mais qui définissent si bien Archie. Et l’effet a su perdurer sur le long, avant que ça ne s’effrite, avant que ça ne laisse place à quelque chose d’encore plus toxique, de tordu. Oh c’est compliqué, ça ne fait pas toujours du sens dans ta tête. Tu ne sais pas qui tu es, tu ne sais pas ce qui t’appartient et ce qui appartient à ton trouble. Tu ne sais pas quel aspect de ta personnalité t’appartient réellement et ce que tu as emprunté à tous ceux qui se sont fait une place dans ta vie au fil du temps. Tu préfères ne pas y penser, mais c’est impossible de ne pas te sentir comme une pauvre petite chose fragile alors que le regard d’Archie se fait plus dur et que sa voix se veut plus sévère dès que le sujet de Kieran est approché de près ou de loin. Perdue quelque part entre ton besoin constant d’être la parfaite victime et ton envie de lui prouver que tu es plus forte que tu n'en as l’air, tu ne sais plus comment agir, tu ne sais plus quoi dire pour ne pas envenimer la situation.

« Tu avoues, uh? » Tu déglutis difficilement, te contentes d’un léger hochement de la tête. « Tu sais très bien ce qu’il va se passer. Tu sautes à pieds joint dans un piège. Où iras-tu quand il te blessera une deuxième fois? En Europe? En Amérique du Sud? » Tu pinces les lèvres, ton regard durcit à ton tour sans que tu ne quittes le Kwanteen des yeux. « C’est ici chez toi. Partout là où il ne met pas les pieds. Il a certainement tourné la page, lui, depuis tout ce temps? » Non. Peut-être. Tu ne sais pas, ou plutôt, tu ne veux pas savoir. Tu ne veux pas en être certaine. Tu secoues la tête, silencieuse. Si tu ne réponds rien, tu ne peux pas t’incriminer, dire des choses que Archie ne voudrait pas entendre de toute façon. Et c’est ce qu’il ne semble pas comprendre Archie, c’est que Brisbane, c’est Kieran tout partout. Même là où tu n’es jamais allée avec lui. Mais même partir à l’autre bout du monde ne l’a pas effacé de ton esprit alors peut-être que c’est tout simplement une cause perdue? Peut-être que c’est toi la cause perdue. En tout cas, c’est ce que Archie semble penser. Ou bien est-ce que c’est seulement l’interprétation que tu en fais? Oh tu te détestes tellement, parfois. « Alors, pourquoi tu insistes? » Tu voudrais lui demander pourquoi lui il insiste, mais tu sais très bien pourquoi. Il s’inquiète pour toi. Et avec raison. Pas que tu allais lui avouer quoique ce soit, toutefois. Ou presque rien. « Tu crois vraiment que je vais gober ce mensonge? » Non, bien sûr que non, mais ça valait la peine d’essayer. « Tu peux jouer avec lui autant que tu veux, naïf qu’il est, mais tu ne peux pas jouer à ce petit jeu avec moi. » Parce que c’est lui qui t’as tout appris, tu te souviens, Autumn? « Trouve un nouvel appartement et je te croirai. Je te croirai quand tu me dis que tu fais des efforts pour aller mieux. » « Tu t’emballes pour rien, Archie. » Ta voix est étonnamment neutre, dénudée de la tornade d’émotions qui crée pourtant un vacarme sans fin dans ton esprit et dans ton cœur. « Kieran n’est pas un problème. Ce café, c’était la fin. La page qui se tourne. Je te le jure. » Et on fera comme si tu n’avais pas les doigts croisés dans ton dos, bien incapable de promettre une telle connerie quand ton obsession pour Kieran semble atteindre des proportions alarmantes. « Je vais bien, tu trouves pas? » Avec ton chien, et ton sourire, et ton appartement, et tes études, et tes one night stands. C’est la grande forme, bien sûr, tout le monde a envie d’y croire. Toi la première. Quelle connerie.

On aurait pu croire que Mason serait un plus gros problème que Kieran, mais pas vraiment. C’est un mariage de pacotille qui ne veut absolument rien dire et dont la résolution se fera sans vague, tu l’espères vraiment. Un secret gardé jusqu’au bout, des papiers éventuellement signer pour annuler ce qui n’aurait jamais dû avoir lieu, c’est ce à quoi tu te raccroches, même si ce n’est pas chose gagnée d’avance. Si Archie te donne un coup de main toutefois, peut-être qu’il y a moyen d’accélérer les choses. « Ouais. Si ça peut me ramener ma meilleure amie. » Un sourire s’installe sur tes lèvres. « Elle était pas partie bien loin. » Non? T’es certaine de ça, Autumn? « Koda est capable de t’attendre? » Tu fais signe que oui de la tête et puis tu attaches la laisse de Koda sur un poteau non loin de Bucky. Tu suis Archie à l’intérieur du café, là où la conversation coulera avec toute l’aisance du monde, comme si vous n’aviez jamais arrêter de refaire le monde tous les deux.