Ils sont main dans la main et ils courent comme ils n'ont jamais couru. Derrière eux, il y a probablement le cadavre du type dont ils viennent de défoncer le crâne. Peut-être n'est-il pas mort, comme la première fois que Léo a essayé de s'en débarrasser - sans succès. Les jeunes gens ne veulent pas savoir. Léo est couvert de sang et son costume d'halloween de l'année prochaine est déjà prêt. Les éclaboussures sur son nez lui donnent presque un petit air charmant. Ils font comme une myriade de grains de beauté. C'en est presque poétique.

Dans les couloirs, Charlie et Léo bondissent au dessus d'un cadavre ou deux. Avant qu'ils n'arrêtent le tueur, ce dernier a visiblement eu le temps de faire son œuvre. C'est Charlie qui a porté le coup fatal, pourtant, mettant un point final à toute cette boucherie. Pourtant, leur aventure n'est pas tout à fait terminée. Il leur reste encore à s'échapper de cet endroit de malheur où Léo ne voudra par la suite plus jamais remettre les pieds. C'est au détour d'un couloir que Léo aperçoit les marches finales; celles qui, à défaut de mener au paradis, mènent au couloir qui leur permettra d'arriver sur le parking. Les portes sont fermées, Léo s'y attend. Dans sa course, le jeune homme trébuche et s'étale de tout son long dans les escaliers.

Le visage tourné vers le plafond, il cherche à retrouver ses esprits. « Je vais bien, je vais bien. C'est le sang sur mes chaussures. » Mais il ne va pas bien et il s'en rend compte bien vite. Alors qu'il tente de se relever, une douleur cuisante lui tord l'épaule. Elle est d'ailleurs elle aussi tortue, cette épaule. Elle fait un drôle d'angle et Léo pousse un cri de douleur. « Merde, merde, merde... » Et si le tueur était toujours debout ? Des yeux, Léo cherche Charlie. « Il faut que tu te tires de là. Je vais pas pouvoir me relever. » Fuis Charlie.

@charlie ivywreath

Tel Cendrillon, elle a égaré ses escarpins quelque part dans le bâtiment. Pourtant, elle, son prince charmant est à ses côtés et par conséquent personne ne les lui ramènera. Tant mieux, ils lui faisaient mal aux pieds de toute façon et n’étaient pas bien pratiques pour courir, ce qu’ils font sans discontinuer depuis de longues minutes déjà. Le bâtiment ne lui avait jamais paru aussi grand, elle a arrêté de compter les cadavres au nombre de dix, trouvant cette activité bien trop déprimante et fataliste. Au moins, Léo n’est pas l’un d’eux, et c’est sans doute la seule chose positive à laquelle elle peut décemment se raccrocher.

Sa main, elle, quitte soudainement celle du brun lorsqu’il trébuche et tombe sur le sol, sans crier gare. Elle manque d’être entraînée à sa suite mais se retient de justesse contre le mur, y perdant quelques lambeaux de peau au passage. Rien de grave ni même de comparable au tueur. Reprenant son souffle, elle s’accroupit auprès de Léo pour s’assurer qu’il se porte bien. « Je vais bien, je vais bien. C'est le sang sur mes chaussures. » Ses yeux dérivent vers lesdites chaussures, effectivement couvertes d’un sang ayant viré au noir à cause de l’oxydation. Elle aurait préféré ne jamais avoir à voir ça, tout comme elle aurait préféré ne jamais avoir à observer l’angle inédit que prend l’épaule du Ivywreath. « Merde, merde, merde... » En effet. Sous le choc, elle ne sait pas quoi dire non plus et ses premiers gestes se contentent de tenter de calmer et d’apaiser Léo. « Il faut que tu te tires de là. Je vais pas pouvoir me relever. » - “Je… d’accord, d’accord. Calme toi, s’il te plaît, recouche toi.” Pour qu’il se repose, pour qu’il ne bouge pas, pour qu’il n’aggrave rien. Toutes les raisons sont bonnes pour qu’il retourne au sol et ne tente pas de nouveau de se relever : cela ne ferait qu’empirer les choses et ils n’en ont certainement pas besoin. “Je vais essayer de te la remettre.” A-t-elle la moindre formation médicale ? Non, bien sûr que non. Pas la moindre. Et en plus, elle a peur des aiguilles (heureusement qu’il n’y en a pas ici). “A 3. 1, 2,...” Tout le monde sait aujourd’hui que les décomptes n’arrivent jamais jusqu’à 3, pas vrai ? En tout cas, c’est le cas de celui de Charlie alors qu’elle tire soudainement sur son bras dans l’espoir de le remettre dans l’axe, sa main sur la bouche de Léo pour étouffer son cri. Sait-on jamais. “On a le temps Léo. Tu peux te relever doucement et voir si ça te fait encore mal.” Charlie, elle, craint d’avoir remis le bras dans un axe qui soit certes meilleur, mais pas forcément celui initial.

Une douleur pareille, de mémoire d'homme, Léo n'en a jamais vécue. Sur le sol, il voudrait se tordre de douleur, mais chaque mouvement le tue un peu plus. Les coups qu'il a subit face au tueur n'aident en rien et son corps est déjà épuisé. Son épaule, elle, supplie pour que quelqu'un - n'importe qui - abrège les souffrance du reste du corps. Rien ne vient pourtant, pas d'infirmier et encore moins de médecin. Où est l'infirmière avec son pain de glace lorsqu'on a besoin d'elle ? Elle ne se présente jamais au bon moment celle-là. « Je… d’accord, d’accord. Calme toi, s’il te plaît, recouche toi. » Léo entend à peine la voix de Charlie. La douleur lui brouille les sens et de petites larmes lui brouillent la vue. Dents serrées, il lutte contre l'évanouissement. Les endorphines de son corps sont en panique. Bientôt, l'adrénaline lui empêchera de vivre un supplice trop conséquent. « Je vais essayer de te la remettre. » « Non, je t'en supplie non... » Mais elle pose déjà ses mains sur le bras de Léo. Ce dernier ferme les yeux. S'il doit avoir une ultime vision de Charlie, il gardera en mémoire celle de la jeune femme penchée sur lui, auréolée de gloire et de lumière dans le clair-obscur. Ses cheveux sont restés parfaitement coiffés malgré le cataclysme qu'ils viennent de vivre. « A 3. 1, 2,... » Une douleur pire que la précédente transperce Léo de part en part. Un cri meurt dans sa gorge alors qu'il perd conscience l'espace d'un instant.

Quand il revient à lui, Charlie est toujours là. La douleur est toujours affreuse, mais moins terrible que tout à l'heure. Allongé sur le dos, le jeune homme reprend sa respiration. Ses yeux s'ouvrent sur la plus douce des visions. « On a le temps Léo. Tu peux te relever doucement et voir si ça te fait encore mal. » « Du temps... » S'il y a d'autres tueurs, ils n'en ont pas, du temps. Après quelques respirations, le jeune homme reprend enfin la parole. « J'ai perdu ma veste. Tu peux... Tu peux me faire une écharpe avec un morceau de tissu ? N'importe quoi, ça fera l'affaire. Pour...Pour mon bras. » Il a froid et il sait ce que ça veut dire. Le froid l'endort, le froid menace de l'emporter. Il mourra d'hypothermie ou d'un truc pire s'ils ne sortent pas d'ici très vite. Un sourire fend pourtant le visage de Léo. « Je suis sûr que tu pensais que ça serait mieux, hein ? Ce premier rencard. » Des rencards, ils auront l'occasion d'en avoir des tas. Des vrais. Des mieux. Des moins tragiques. « On fera ce que tu voudras, quand on sortira de là. Ce dont t'as envie, j'en ai envie aussi. » Elle lui a sauvé la vie. Elle l'a suivi dans ses idées les plus farfelues. Elle n'a pas eu peur quand lui était mort de trouille. « Un bowling, t'en dis quoi ? T'as l'air forte au bowling. » L'humour, c'est pour lutter contre le froid qui l'anesthésie sans peine.

« Non, je t'en supplie non... » Elle n’entend pas les paroles de Léo, sachant par avance qu’elle agit pour son bien et que de son côté seule la douleur parle, ce qui est parfaitement compréhensible. Ce sont autant de ‘je suis désolée’ que ses yeux dégagent avec tristesse. Si seulement elle avait pu lui avouer ses sentiments sur la piste de danse, comme toute amoureuse le soir de son bal de promo.

Une fois son os remis (plus ou moins) dans l’axe, Charlie tente de l’apaiser autant que possible et le rassurer au mieux à en juger par les circonstances actuelles des choses. « Du temps... » Oui, du temps. Lucas est mort, le tueur est mort. La moitié de leurs amis aussi, sans doute, mais au moins ils ne craignent plus rien. Tous les autres ont déjà dû trouver le moyen de s’enfuir. Ne reste qu’eux. Ils ont tout le temps du monde. « J'ai perdu ma veste. Tu peux... Tu peux me faire une écharpe avec un morceau de tissu ? N'importe quoi, ça fera l'affaire. Pour...Pour mon bras. » Elle n’a rien pour lui faire une écharpe non plus mais le corps de Conrad quelques pas derrière eux se compose d’une veste immense, adaptée à sa carrure de footballeur. Il a tué même ses amis. D’un geste de la main, elle lui signifie de ne pas bouger alors qu’elle s’éloigne un peu et met quelques secondes à trouver le moyen de lui retirer son habit. De retour auprès de Léo, une main contre son dos lui demande muettement de se relever pour qu’elle puisse lui faire ladite écharpe. “Dis moi si ça serre trop ou pas assez.” Dans ce domaine-là non plus, elle n’est pas bien expérimentée.

« Je suis sûr que tu pensais que ça serait mieux, hein ? Ce premier rencard. » “C’était un rencard ?” Elle reprend rapidement pour le garder éveillé, ne feignant pourtant pas son air espiègle. Non, cela n’avait jamais supposé être un rencard. Ils auraient pu même ne jamais s’adresse la parole. « On fera ce que tu voudras, quand on sortira de là. Ce dont t'as envie, j'en ai envie aussi Un bowling, t'en dis quoi ? T'as l'air forte au bowling. » Elle laisse un rire éclater franchement, déposant finalement un baiser contre son front. Un bowling sera parfait, elle lui en fait la promesse. Tant qu’elle vise les quilles, tout devrait bien se passer. “Appuie toi contre moi, on va aller jusqu’aux portes. Je vais pouvoir l’ouvrir avec mon couteau.” Ce sera une sorte de crochetage de serrure, sans doute, et si elle n’y arrive pas alors elle a déjà prévu de briser les carreaux pour le bien de leur escapade. “Continue de me parler, dis moi comment tu vas raconter tes exploits à la police.” Parle, parle et ne sombre surtout pas Léo, s’il te plaît. Charlie a encore bien trop besoin de toi et déjà le laisser se reposer contre un coin du couloir est beaucoup trop lui demander à l’instant où elle commence à jouer de son couteau dans l’interstice des deux battants de portes.

Charlie aide Léo à se relever et ce dernier pousse un nouveau grognement de douleur. Sa tête tourne affreusement et sa vision est brouillée. De jolis petits points noires dansent devant ses yeux alors qu'il reprend doucement contenance. A l'heure qu'il est, il doit être plus blanc qu'il ne l'est déjà. « Dis moi si ça serre trop ou pas assez. » Léo se contente de hocher la tête, n'ayant pas bien compris la question. Son cerveau n'est plus en l'état de réfléchir à une telle question. Le tissu, il le sent à peine. C'est son épaule qui le fait le plus souffrir. « C’était un rencard ? » « T'as pas trouvé ça romantique ? » Oh non, personne ne trouve les tueurs romantiques. Amy adorait Ted Bundy. Il sévissait quand elle était gamine mais elle lui a toujours voué un culte, surtout depuis qu'il est dans le couloir de la mort. Ce sont les filles comme Amy que Léo doit éviter. Charlie, c'est un prénom plus joli de toute façon.

Avec toute l'énergie qu'il lui reste, Charlie soulève Léo de terre. Ce dernier l'aide un peu en poussant sur ses jambes mais déjà, ses forces l'abandonnent. Le tueur lui a peut-être cassé une côté ou deux en tapant comme un forcené. « Appuie toi contre moi, on va aller jusqu’aux portes. Je vais pouvoir l’ouvrir avec mon couteau. » « Encore ce couteau. » Ils en riront dans quelques années. Quand ils parleront de leur rencontre à leurs enfants, ils diront combien le couteau - qu'ils auront fait encadrer comme une œuvre d'art à part entière - de Charlie aura joué un rôle important dans toute cette histoire. « Continue de me parler, dis moi comment tu vas raconter tes exploits à la police. » A mesure qu'ils marchent dans le couloir silencieux, Léo sent que son esprit file vers d'autres contrées. Il ne mourra pas ce soir, non. Mais s'il pouvait éviter cette frayeur à Charlie... « Je leur dirai combien ma copine a été incroyable. Je leur dirait combien Charlie Villanelle est vraiment un nom qu'on devrait donner à une avenue dans Brisbane. » Charlie a été une héroïne, ce soir. Mais elle a les mains trempées du sang de son ex-petit-ami. Pourra-t-elle s'en remettre ?

Le couteau de Charlie remue dans le cadenas de la porte. Léo, lui, est très occupé à essayer de rester conscient. « On aura des tas d'enfants. Un chat et un chien. J'adore les chats. » Et leurs enfants iront dans de grandes écoles d'art ou d'autre chose, peu importe. « Pose moi par terre, Charlie. Pose moi. Je vois bien que tu galères avec le couteau. » Un grand soupire agite son thorax. « Je vais pas m'endormir. Je te le jure... »

« T'as pas trouvé ça romantique ? »
“Surtout le moment où t’as eu le sang de mon ex sur ta chemise.”
Elle en avait été terrifiée mais ce n’est pas la bonne réponse à lui apporter, alors Charlie improvise et comble les vides, elle lui donne des raisons de rester éveiller et de continuer de lui parler sans jamais s’arrêter. Ils sont venus à bout du tueur, ensemble, et c’est ce qui importe le plus. Léo s’en sortira aussi, il est très faible pour ce soir mais c’est normal après tout ce qu’il a vécu et subi : son corps tente de se préserver, voilà tout.

Appuyé contre l’épaule de la blonde, Léo arrive à marcher maladroitement. Elle le sent bien qui se retient de crier de douleur à chaque nouveau pas mais elle n’a malheureusement pas la capacité de lui éviter une telle peine, ne sachant même pas d’où elle provient réellement. Tout ce qu’elle peut faire c’est lui parler et lui expliquer qu’ils seront bientôt dehors, tous les deux, et loin de toute cette affaire. « Encore ce couteau. » Encore ce couteau, oui, et s’il peut arriver à leur sauver la vie alors elle fera fondre la lame pour en faire une alliance, si jamais c’est possible. Pour le moment encore, Léo reste sa seule priorité qu’elle se doit de garder occupé, sans qu’elle ne puisse cette fois-ci comparer ce besoin à celui d’un enfant. C’est vital. « Je leur dirai combien ma copine a été incroyable. Je leur dirait combien Charlie Villanelle est vraiment un nom qu'on devrait donner à une avenue dans Brisbane. » Et elle, elle fera tout pour oublier cette nuit. Pourtant, la jeune femme sourit poliment, touchée par les mots d’un Léo qui essaye de faire au mieux selon les circonstances. Ce soir, elle se lavera à l’eau de Javel, c’est certain.

Elle le pousse à continuer de lui parler alors qu’elle est désormais occupée à enfoncer son couteau dans le maigre espace entre les deux portes, espérant qu’en le faisant bouger dans tous les sens elle pourra en venir à une solution, elle pourra passer son bras, elle pourra débloquer les portes et, enfin, les laisser sentir l’air frais sur leurs visage. « On aura des tas d'enfants. Un chat et un chien. J'adore les chats. » Des tas d’enfants, des tas de chats et des tas de chiens. Ils auront tout ce qu’il désire et bien plus encore. « Pose moi par terre, Charlie. Pose moi. Je vois bien que tu galères avec le couteau. » “Non c’est pas vrai, je te le jure, regarde j’y arrive.” qu’elle ment, invente, redouble de vitesse avec ses gestes contre le métal. « Je vais pas m'endormir. Je te le jure... » “Reste avec moi. Léo, reste avec moi.” Sa voix faiblit, elle sent qu’il désserre peu à peu la main qu’il avait jusque là gardée contre sa hanche pour se retenir. Il se laisse aller, il s’endort et sans rien y connaître en médecine, elle sait que ce n’est pas une bonne nouvelle.

“Ça cède, ça cède ! Léo, on peut sortir, la porte est ouverte.” Léo s’il te plaît, reviens-moi. Tant pis pour l’alliance, elle laisse tomber l’arme au sol pour pouvoir aider le brun à rester debout grâce à ses deux mains, avançant un peu plus difficilement à chaque nouveau pas. “...Léo ?” Sa main pleine de sang essaye de nettoyer son visage, en vain. Tout ce qu’elle peut encore faire, c’est repousser une éternelle mèche rebelle. “On a réussi. Tu auras une rue à ton nom, tu le sais ça ?” Et des enfants, des chats, des chiens. Il ne peut pas mourir ce soir alors que leur avenir est déjà tout tracé et que la brise agite doucement ses cheveux. Elle dépose ses lèvres contre les siennes, plus doucement que jamais, plus amoureusement aussi.

« Non c’est pas vrai, je te le jure, regarde j’y arrive. » Elle ment affreusement mal et cela, Léo peut le sentir malgré son engourdissement. Son épaule lui fait un mal de chien mais il résiste à l'évanouissement. Il serait si facile de s'y laisser glisser, pourtant. « Reste avec moi. Léo, reste avec moi. » « Je suis là. » Il ne lui diras pas qu'il ne voit plus que des ombres. C'est sûr, ils en sortiront vivants. Mais à quel prix ? Celui d'un traumatisme horrible et ancré dans leur esprit jusqu'au jour de leur mort. C'est à ça que l'enfer ressemble, c'est sûr.

Et doucement, la voix de Charlie s'éloigne. Il est si bien, Léo, dans l'état second qui s'empare de lui. C'est doux et c'est agréable de se laisser flotter dans cette drôle de zone grise. Les sons s'étouffent et le jeune homme est prêt à rejoindre un monde à part, qu'il ne quittera qu'une fois arrivé à l'hôpital. C'est la voix de Charlie qui le ramène juste alors qu'il allait partir pour de bon. « Ça cède, ça cède ! Léo, on peut sortir, la porte est ouverte. » Il savait qu'elle y arriverait. La boule de cristal ne donnait pas de bonnes indications et s'ils se sont méfiés l'un de l'autre l'espace d'un tout petit instant, tout cela est bien loin derrière eux. Désormais, ils sont libres. Sur son visage barbouillé de sang, Léo peut sentir l'air frais venu de l'extérieur. Charlie ressemble à un ange au visage baigné de lumière. Les spots éblouissants qui accueillent les jeunes gens sur le parking ne rendent pas la tache facile à Léo qui peine à garder les yeux ouverts. Il le faut, pourtant. Ils sont sur la dernière ligne droite. « ...Léo ? » « Je suis là. J'ai promis. Je suis là. » Parler demande tant d'efforts que quelque chose doit être cassé, là haut. Un mal de crâne engourdit les sens du brun qui n'a aucune idée de l'étendu de ses blessures. Son crâne saigne, de même que la plaie béante sur sa jambe et ne parlons pas de son épaule démise. Ils en auront du travail, à l'hôpital.

« On a réussi. Tu auras une rue à ton nom, tu le sais ça ? » Le baiser qui suit est le plus doux des remèdes. Léo ne peut qu'y répondre dans un sourire alors que quelqu'un accoure pour venir aider Charlie. Les lumières bleues et rouges indiquent à Léo que les secours sont enfin là. Etaient-ils les derniers dans ce lycée ? Comment vont les autres ? En cet instant, tout cela importe peu. Quand un secouriste sépare Léo de Charlie, ce dernier proteste, mettant en jeu ses dernières forces. « Elle vient avec moi. Elle est blessée. Elle vient avec moi. » La main tendue vers Charlie, Léo s'escrime à essayer de la rejoindre. « On ne se lâche plus. » Et c'est une promesse qui aura la vie dure, même des années après la fin de ce cauchemar.

« Je suis là. J'ai promis. Je suis là. » Il est faible et fatigué mais il est là et aux yeux d’une jeune femme amoureuse qui vient d’échapper à la mort, c’est tout ce qui importe. Il est tout ce qui importe. Après avoir tout risqué ce soir, elle ne peut pas se permettra davantage de le mettre en danger. Les portes ouvertes, le monde face à eux, il redevient sa seule et unique priorité. Le tueur est mort, les autres élèves sont soit morts soit déjà loin d’ici. Ne reste plus qu’eux. Elle l’embrasse tendrement, amoureusement, espérant sans doute naïvement pouvoir guérir ses blessures si elle agit avec assez de douceur.

Et dans un sens, son vœu est écouté, on y répond même. Les sirènes des ambulances se font entendre : des étudiants ont dû se rendre à la police après la tuerie. Ils ont fui avant eux et, maintenant, Léo leur doit sûrement la vie. Alors qu’on les sépare, le brun maigrichon proteste malgré ses blessures sanguinolentes. « Elle vient avec moi. Elle est blessée. Elle vient avec moi. » Il est entre les mains d’un ambulancier, elle est donc celle qui gomme la distance entre eux pour le rejoindre et plonger sa main dans la sienne. « On ne se lâche plus. » A son tour, Charlie relève les yeux vers l’homme en train de faire son travail. “Je vais bien. Ce n’est pas mon sang. Laissez moi juste partir avec lui, s’il vous plaît.” Après tout ce qu’ils viennent de vivre, ils ne peuvent pas les séparer maintenant, pas alors que les choses semblent retrouver un rythme normal et qu’ils peuvent enfin vivre leur amour au grand jour. Ils vont avoir des enfants et des animaux, cela devrait être un argument suffisant pour pouvoir l’accompagner dans l’ambulance, non ? Et face aux yeux suppliants de la jeune femme, l’infirmier cède, précisant à Léo qu’il doit se coucher sur le brancard et que Charlie doit se faire petite. Rien d’impossible pour eux, elle enlace une dernière fois son petit ami avant de l’aider à monter dans le camion. Elle s’était imaginée quitter la fête dans une autre voiture mais personne ne pourra leur reprocher leur manque d’originalité. Nul doute qu’ils auront bien des histoires à raconter à leurs enfants, le jour venu.