La maison est drôlement silencieuse ce soir et Cameron en déduit que ses parents doivent être sortis avec Hannah, ce qui fait bien son affaire puisqu’il pourra passer la soirée comme il le désire sans craindre de se faire déranger ou encore moins juger. Depuis quelques semaines, le brun s’est inscrit anonymement sur un forum de discussions pour amputés mais il ne se sent pas à l’aise d’en parler avec ses parents qui risquent de mal le prendre en découvrant que leur fils préfère se confier à des inconnus qu’à eux alors qu’ils en font déjà énormément pour lui. Sauf que le jeune homme est persuadé que ses parents ne peuvent pas comprendre ce qu’il vit puisqu’ils n’ont pas traversé la même épreuve que lui, alors il se referme comme une huître et il les repousse comme il le peut dès qu’il se sent un tant soit peu agressé par leurs commentaires même si derrière leur maladresse se cachent de bonnes intentions. Tandis qu’il lisait les nouveaux messages de la journée, le bruit des pleurs de sa fille attire son attention. Il tend l’oreille et attend quelques secondes sans jamais entendre le bruit des pas de ses parents. « M’man? P’pa? » crie Cameron tout en déplaçant son fauteuil jusqu’à la porte de sa chambre qu’il ouvre pour en sortir. Lorsqu’il constate que toutes les lumières de la maison sont éteintes, il comprend qu’il est probablement seul avec sa fille et il est pris de panique. Depuis son accident, il n’a jamais été seul avec sa fille et il ne se sent pas apte à prendre soin d’elle, ni physiquement, ni mentalement. Il décide d’attendre quelques minutes pour voir si Hannah se rendormira sans qu’il n’ait à aller la voir mais les pleurs de la petite ne font que s’intensifier, il se rend donc à l’évidence qu’il n’a d’autre choix que de prendre lui-même la situation en main. « Hannah? » dit-il d’une voix douce en pénétrant dans la chambre de la petite. Il arrête son fauteuil devant la bassinette et il passe son bras par-dessus pour caresser les cheveux de sa fille en espérant que ce sera suffisant mais la gamine tend les bras vers son père pour qu’il la prenne. Il hésite mais les yeux humides de son enfant suffisent à le convaincre, il la soulève donc pour la serrer contre lui. Il ne lui faut que quelques secondes pour que l’odeur nauséabonde se rende à ses narines et qu’il confirme ses doutes en tirant sur le bord de la couche de sa fille à deux doigts. « Le cadeau n’était vraiment pas nécessaire. » dit-il en grimaçant tout en tenant la petite sur ses cuisses pour lui enlever le bas de son pyjama.

À une main, il réussit à déplacer lentement son fauteuil jusqu’à la table à langer sur laquelle il dépose sa fille. En s’aidant de ses bras, il se lève ensuite et se tient en équilibre sur une jambe tandis qu’il jette la couche souillée dans la poubelle à proximité et qu’il prend le temps de  nettoyer son enfant. « Tu ne bouges pas, okay? » demande-t-il à la blonde alors qu’il est obligé de la lâcher momentanément le temps de s’étirer pour prendre une couche neuve sur la tablette accrochée au mur. Mais Hannah ne reste pas immobile, elle se tortille et lorsque son père s’en rend compte, il est trop tard. « Hannah! » Il tente de la rattraper mais il perd l’équilibre et la petite tombe avec son père qui la suit dans sa chute juste à côté. Dès que son corps frappe le sol, la fillette se met à hurler, le corps secoué de sanglots. Cameron tente de la consoler en la berçant contre son torse mais ça ne semble pas suffisant. Il se sent impuissant. Responsable. Cette situation ne fait que confirmer qu’il n’a plus ce qu’il faut pour prendre soin d’elle, qu’il la met inutilement en danger, alors il appelle Felix. Le bouclé s’occupe de son petit frère depuis un long moment, Cameron est convaincu qu’il saura quoi faire avec l'enfant. « Tu peux venir m’aider s’il te plait? Je suis tout seul avec Hannah et… » Il pile sur son orgueil pour demander de l’aide mais il n’arrive pas à terminer sa phrase, honteux d’avoir blessé sa fille.

Cameron n’ose pas se déplacer en attendant l’arrivé de Felix, il se contente d’enrouler Hannah dans une couverture et de lui frotter le dos en espérant qu’elle se calmera. Épuisée, elle finit par arrêter de crier mais son petit corps continue d’être secoué de temps à autre par ses sanglots silencieux. « Ici! » crie Cameron lorsqu’il entend la porte s’ouvrir. Dès que Felix pénètre dans la chambre, Cam lui tend Hannah. « Prends-la s’il te plait. » Il le supplie du regard de bien vouloir s’occuper de la gamine alors qu’il n’a même pas été en mesure de terminer de changer sa couche. « Je l’ai échappée. Je ne peux pas m’occuper d’elle. » Aussitôt qu’il a les mains libres, Cam ôte les freins de son fauteuil et il part en direction de sa chambre. Hannah sera mieux sans lui, il en est persuadé.

Depuis la naissance d’Hannah, Cameron a toujours été présent pour elle. Même lorsqu’il restait au studio jusqu’aux petites heures du matin pour enregistrer son nouvel album, la première chose qu’il faisait en arrivant chez lui était d’aller voir la petite dans sa chambre pour voir si elle était réveillée. Si elle l’était, il prenait le temps de la cajoler et de la rendormir avant d’aller se coucher, même s’il était épuisé de sa longue journée de travail. S’il ne s’occupe plus autant de sa fille depuis son accident, ce n’est pas parce qu’elle n’est plus importante à ses yeux, mais bien parce qu’il ne se sent pas capable de s’occuper d’elle, que ce soit mentalement ou physiquement. Et ce soir, alors qu’il n’a eu d’autre au choix que de s’occuper d’elle parce que ses parents l’y avaient obligé en partant sans lui dire, il avait blessé la petite et il s’en voulait. Cet incident suffit à justifier ses craintes de ne plus être à la hauteur pour s’occuper de son enfant même s’il ne désire pas pour autant couper le contact avec elle. Pour ce soir, en tout cas, il ne veut plus prendre la petite dans ses bras et risquer de la blesser davantage, il la tend donc à Felix et il part en direction de sa chambre dès que le bouclé est occupé à prendre la relève. « Hey ! » Malgré l’exclamation de son ami, le musicien ne s’arrête pas et continue son chemin sans même oser se retourner. « Où est-ce que tu vas comme ça ? Tu ne vas quand même pas me laisser seul avec ta fille ? » Le laisser seul? Ce n’est pas comme Cam est en état de partir quelque part, il n’a pas encore repris le volant depuis son accident. « Je retournais juste dans ma chambre, où est-ce que tu veux que j’aille comme ça?! » lui demande-t-il en en désignant son fauteuil roulant d’un geste de la main. Il a bien sa prothèse qu’il pourrait mettre, mais il ressent rapidement un inconfort lorsqu’il la porte et il n’est pas encore capable de marcher longtemps avec.

Déterminé à retourner dans sa chambre, il tente de reprendre son chemin mais Felix lui bloque en se plaçant devant lui. Cameron soupire en relevant la tête pour observer le brun d’un air piteux. « Ecoute, c'est tout à fait normal d'être bouleversé par ce qui s'est passé mais c'est un accident. Ça peut arriver à n'importe qui et Hannah n'a rien, elle va bien. Ce sera vite oublié et toi aussi tu ne dois plus y penser. » Maintenant que Felix tient la petite dans ses bras, Cam l’observe attentivement pour constater son état. Elle ne semble pas trop blessée à première vue, mais rien n’indique qu’elle ne s’est pas blessée pour autant. Et si elle s’est cognée la tête? « Comment tu peux le savoir? Tu n’es pas médecin… il n’y pas un syndrome du bébé secoué ou je ne sais pas… elle ne pourrait pas s’être faite mal en tombant? » demande-t-il inquiet. Évidemment qu’il ne lui a pas fait mal par exprès, il n’en aurait jamais été capable, mais comment peut-il être certain que ça ne se reproduira plus? « Je ne suis même pas capable de changer sa couche… » se plaint-il en baissant honteusement la tête en posant une main dans son visage. Comment ça allait se passer lorsqu’il allait devoir la nourrir? Lui donner son bain? Il ne préfère pas y penser. « Et puis, tu sais, les enfants sont bien plus solides qu'on l'imagine. » Il prend une grande inspiration en relaissant sa main tomber le long de son corps. « T’es certain qu’elle va bien? Qu’on ne devrait pas appeler une ambulance ou je ne sais pas? » Il tend un bras pour caresser le pied de sa fille du bout des doigts. Même si elle va bien en bout de ligne, il espère que Felix ne sera pas pressé de repartir chez lui et qu’il acceptera de rester jusqu’à l’arrivé de ses parents, même si ça implique qu’il n’aura d’autre choix que de leur expliquer ce qu’il s’est passé ce soir. « Est-ce que… tu peux rester? Jusqu’à ce que mes parents reviennent… » Il déteste demander de l’aide et le faire ce soir lui demande de taire son orgueil, mais c’est bien pour la sécurité de sa fille qu’il le fait. « Je suis désolé, t’étais sans doute occupé quand je t’ai appelé… »

« Elle va bien. Si ça n'allait pas, crois-moi, elle le ferait comprendre mais là elle s'est calmée. Comme on dit, il y a sûrement eu plus de peur que de mal. Il n'y a pas à s'inquiéter. » Cameron se sentirait plus rassuré si la petite voyait un médecin, mais a peur de se faire accuser de négligence alors qu’il n’a jamais voulu mettre Hannah en danger, il essaie de se dire que Felix doit avoir raison, que si elle avait vraiment mal quelque part, qu’elle ne se serait pas calmée et qu’elle pleurerait encore. Même si elle est encore très jeune, les enfants sont casse-cou et ce n’est ni la première, ni la dernière fois qu’elle se fera mal en tombant. Malgré toutes les paroles qu’il se répète dans la tête, il ne peut faire autrement que de culpabiliser. Parce que si ses parents n’étaient pas partis sans lui dire et qu’ils avaient été là pour prendre soin d’elle comme ils le font depuis maintenant plusieurs mois, rien de tout ça ne se serait produit. « Tu as sûrement raison. » Sa réponse manque un peu de conviction, mais il se force tout de même à sourire comme si ça allait l’aider à s’en convaincre. S’il y a bien une chose dont il est certain, cependant, c’est qu’il n’est pas à l’aise d’être de nouveau seul avec la gamine et il demande donc à son ami s’il peut attendre avec lui que ses parents reviennent. Il préfèrerait qu’il dise oui que d’être obligé d’appeler Zoya et qu’elle le voit dans cet état. « Oui, bien sûr. Tu peux compter sur moi. » Un soupire de soulagement franchit ses lèvres tandis qu’il hoche doucement la tête. « Merci… » Demander de l’aide n’a jamais été facile pour lui, encore moins depuis son accident, Cameron se sent donc mal d’avoir dérangé Felix alors qu’il avait probablement des plans pour la soirée, mais il ne savait pas qui d’autre appeler. « Oh, non, t'inquiète pas pour ça. J'avais prévu de passer la soirée chez moi avec mes frangins mais ils ont bien compris et puis on peut remettre ça quand on veut. T'as bien fait de m'appeler. » La réponse du brun le soulage et lui confirme que Felix était la bonne personne à appeler. Cameron a toujours eu beaucoup d’amis, mais il n’y a qu’une poignée d’entre eux en qui il a confiance en ce qui concerne sa fille. Les autres sont davantage des amis de party qu’il n’a pas revu depuis son accident parce que c’est beaucoup moins intéressant d’être présents pour lui quand il ne va pas bien plutôt que quand il est là pour partager son voilier avec eux. « Et si on allait finir de changer cette demoiselle... avant qu'elle me fasse pipi dessus. Allez, demi-tour ! » L’esquisse d’un sourire apparait au coin des lèvres du musicien. « C’est vrai que quand elle se transforme en fontaine, elle fait des ravages… » Il rit légèrement même s’il se sent toujours mal par rapport à ce qu’il vient de se passer. Sans s’obstiner, il fait demi-tour et se dirige vers la chambre de la petite.

« Mais comment tu fais pour la changer ? La table à langer est trop haute pour que tu puisses le faire en restant assis. » Cameron lève les yeux vers la table à langer en haussant une épaule. « Je peux techniquement être debout avec ma prothèse, je ne suis juste pas encore habitué de la porter… » Il s’abstient de préciser qu’il éprouve des douleurs lorsqu’il la porte pour une période prolongée. Il sait qu’il aurait pu la mettre pour la changer, mais il avait été pris au dépourvu lorsque la petite s’était mise à pleurer et qu’il avait constaté seulement à ce moment-là qu’il était seul avec elle. Qui plus est, accepter sa prothèse n'était pas aussi facile que ça en avait l’air. Psychologiquement, il avait beaucoup de difficultés à l’accepter. « Je ne savais pas que mes parents étaient partis donc quand elle s’est mise à pleurer, j’ai voulu aller la voir rapidement. » Il voulait la rassurer, pas qu’elle pleure à s’époumonner pendant qu’il troquait sa chaise roulante pour sa prothèse. « Hm, j'ai une idée. Tu peux sortir de ton fauteuil et t'installer par terre ? » Le regard de Cameron passe du sol jusqu’au visage du bouclé sans qu’il ne prononce le moindre mot. « Fais moi confiance, je suis là et je vais t'apporter tout ce qu'il faut. » Il hésite un instant, puis finit par actionner les freins de sa chaise roulante pour pouvoir lentement s’asseoir au sol devant. Lorsque Felix pose la petite sur le tapis change, Cameron poursuit ce qu’il avait commencé un peu plus tôt en faisant attention de ne pas être trop brusque au cas où la petite aurait mal quelque part. « Elle va peut-être avoir des bleus qui vont apparaître à cause de sa chute. Ce n'est pas grave mais tu devrais quand même la déshabiller entièrement et regarder si elle a des marques ou des rougeurs. » Son cœur se serre rien qu’à penser à cette éventualité et il croise les doigts pour qu’elle s’en sorte sans marques, sans quoi un médecin pourrait croire qu’il en est le responsable et qu’il lui a fait mal intentionnellement. « Willow va me tuer si ça arrive. » Il n’a pas de mal à imaginer la réaction de la blonde si elle constate des marques sur le corps de leur enfant, alors que ça ne se passe déjà pas très bien entre eux depuis son accident. « J’espère qu’elle ne se servira pas de ça contre moi. » Il l’imagine difficilement faire une chose pareille, mais il a si souvent entendu des histoires compliquées de garde d’enfants qu’il se dit que ce n’est pas impossible qu’elle change d’avis à son sujet avec le temps. « Tu dois sûrement avoir quelque chose comme du gel à l'arnica pour bébé quelque part ? Ça lui ferait du bien. » Il fronce les sourcils tandis que son regard parcourt la pièce. « Je ne sais pas trop où ma mère met ça. Peut-être dans la pharmacie de la salle de bain? » Pendant que Felix part à la recherche de la crème, Cameron enroule de nouveau la petite dans sa couverture et il la prend ensuite dans ses bras pour lui frictionner le dos. « Comment tu faisais avec tes frères quand tu as commencé à prendre soin d’eux? Ça n’a pas dû être facile ça non plus… » demande-t-il curieusement.