Octobre 2020. La fin de l'année 2020 n'est pas la meilleure période de la vie de Noah. Après sa tentative de suicide, Ambre, sa soeur, a fini par reprendre du poil de la bête. Et elle a décidé de déménager, ne supportant plus son frère trop envahissant et trop protecteur. Elle a besoin d'espace, besoin de se prouver qu'elle peut vivre toute seule, qu'elle est guérie. Noah la soutient, vraiment, du mieux qu'il peut. Mais la savoir seule après ce qu'il s'était passé l'angoisse. Il enchaîne les mauvaises nuits, s'inquiète la journée, passe son temps à trouver des excuses pour passer chez elle. C'est idiot, si elle veut faire une bêtise, elle y arrivera toujours, qu'il soit là ou non. Mais il a besoin de la savoir en sécurité pour se sentir serein, c'est plus fort que lui. Il l'aime sa petite sœur et il veut la protéger. Il s'en veut tellement d'avoir échoué une première fois, il ne pourrait jamais se pardonner de laisser cela arriver encore. Et s'il n'y avait que ça. En parallèle, le fait de se retrouver seul dans la grande demeure des Lehmann le déprime un peu. Cette maison lui remémore tous ces bons souvenirs d'enfance, tous ceux qui sont à présent loin derrière lui. Il se souvient comme il était content d'avoir un petit frère, ce même frère qui l'évite comme la peste aujourd'hui. Il revoit cette famille si heureuse d'accueillir Ambre, la princesse de la famille, celle qu'il n'a pas su aider. Bref, cette maison éveille en lui une nostalgie qui lui donne envie de sombrer et c'est dans le travail qu'il a trouvé refuge. Ainsi, depuis le déménagement de la benjamine quelques semaines plus tôt, Noah ne compte plus ses heures au domaine. Il est sur tous les fronts, consulte l'état des vignes, gère les stocks, recherche de nouveaux clients,... Mais aujourd'hui, il en est à la comptabilité. Sa bête noire. Et déjà qu'il peine à s'y retrouver, Janet, l'hôtesse d'accueil qui est aussi sa secrétaire, est déjà venue le déranger plusieurs fois.
"Monsieur ?" Demande sa voix incertaine dans l'interphone, sûrement parce qu'elle le dérange à nouveau alors qu'il lui a demandé de ne pas le faire. Noah lève les yeux au ciel en se demandant comment sa mère parvenait à faire toute cette comptabilité en étant sans cesse coupée. Lui, il va finir par devoir prendre un comptable, c'est certain. "Oui, Janet ?" Qu'il répond, dans un soupir. Il y a une pause de quelques secondes, comme si elle hésitait à lui évoquer la raison de son appel. Lehmann allait même réitérer sa réponse quand la voix de l'hotesse d'accueil se fait à nouveau entendre. "Il y a une dame ici, elle dit être la gérante du O'Reilly Vineyards..." Silence. "Vous savez, le nouveau domaine qui vient de s'im..." "Je connais mes concurrents, Janet !" Répond-il, un peu agacé d'être infantilisé devant l'un de ses adversaires. Et comme Janet ne semble pas décidée à continuer la conversation d'elle-même, il ajoute : "Pourquoi est-elle là ?" Il y a encore un silence de quelques secondes durant lequel Noah se demande s' il ne faudrait pas changer de secrétaire et enfin la réponse. "Elle vient se présenter en personne, je suppose." Il allait lui dire qu'il ne la paye pas pour faire des suppositions, mais il se ravise. Dans le fond, ce n'est pas à la pauvre Janet qu'il en veut, il est simplement dans une mauvaise passe et il se sent un peu seul, elle n'y peut vraiment rien. "Très bien, faites là entrer dans mon bureau."
Il peint un sourire sur son visage, prêt à donner le change dans toutes les banalités d'usage que ses parents lui ont apprises depuis son plus jeune âge. Cependant, lorsqu'il voit la jeune femme entrer, il se sent pâlir tant la surprise est grande. "Dani ? Qu'est-ce que tu fais là ?" Qu'il demande, sans comprendre que c'est elle, cette fameuse concurrente. Après tout, comment pourrait-il le croire ? Elle est sa bulle de bonheur hors du temps, celle qui lui change les idées, celle qui lui redonne le sourire, celle qui lui donne l'envie d'attendre jusqu'à leur prochaine rencontre. Comment cette personne si parfaite pourrait décider de tout gâcher, comme ça, sans raison ? Comment pourrait-elle, alors qu'il existe autant de pays, autant de terres, autant d'endroits, choisir d'installer son domaine juste à côté de celui de ses parents ? Non vraiment, son cerveau refuse de faire cette connexion. Pour le moment, du moins. "Tu ne m'avais pas dit que tu devais passer sur Brisbane." Ajoute-t-il avec un sourire, sincère cette fois, tout en se levant pour aller vers elle, toujours dans le déni. Ces derniers jours, entre la solitude et l'ennui, il avait beaucoup pensé à elle, mais il n'aurait jamais pensé la revoir si vite. Et encore moins dans ces conditions. Il allait la prendre dans ses bras, prêt à laisser son égo de côté pour réellement lui dire qu'elle lui avait manqué cette fois... Quand l'information se fait enfin un chemin dans sa tête. Fronçant les sourcils, il laisse ses bras tomber le long de son corps et regarde vers la porte en priant pour qu'une autre personne entre en se revendiquant gérante du nouveau domaine viticole de la ville. Mais personne n'entre. Alors, c'est un regard réellement outré qu'il lance à l'asiatique. "S'il te plait, dis-moi que ce n'est pas vrai." Parce qu'il ne veut pas y croire. Il sait d'avance ce que ça implique et à ce moment-là, c'est tout ce dont il n'a pas besoin.
Elle est heureuse l’œnologue, rayonnante, souriante, presque sautillante. Son premier mois au O’Reilly Vineyards s’est très bien déroulé. Elle a clairement passé plus de temps sur le domaine que dans son propre appartement. De toute façon, la livraison de ses meubles venant d’Italie n’est pas encore arrivée, alors Dani préfère se reposer dans le moelleux du canapé de son spacieux bureau au vignoble que sur le matelas gonflable de son appartement vide de meuble.
Parfois le soir avant de dormir, elle ose rêvasser de Noah. Elle sait qu’il est installé à Brisbane depuis quelques temps contrairement à elle. Elle sait qu’il travaille dur pour reprendre les rênes de l’entreprise de son paternel. Elle ne l’a pas encore prévenu de son aménagement dans la ville. Elle a eu beaucoup trop de choses à penser et gérer au cours des dernières semaines. Elle lui a rien dit car elle a peut-être envie de lui faire une surprise dans le fond. Pourtant pas la surprise qu’elle a scénarisé dans son imaginaire rêveur. Ce soir, en rentrant du boulot, elle l’appellera pour lui parler de vive voix et lui proposer un rendez-vous. Avant ça, Dani s’est donnée la mission aujourd’hui de rendre visite à ses voisins. Il y a de tout autour du O’Reilly Vineyards : des fermes agricoles, des ranchs, des domaines viticoles forcément. Dani a son cabas rempli de bouteilles sur l’épaule alors qu’elle prend la direction de l’une des propriétés voisines sans réellement faire attention au nom écrit sur la devanture à l’entrée principale. Son regard est davantage envouté par l’immensité des rangées de vignes. Eh bien, son voisin le plus proche a bien le triple en superficie de sa propre propriété. Il va falloir être stratège, souriante et peut-être même un brin séductrice pour se le mettre dans la poche celui-là. Dani a hâte de présenter et surtout offrir l’une de ses bouteilles de vin à son premier voisin.
La jolie œnologue est escortée par la secrétaire au doux nom de Janet. Cette dernière n’a pas l’air dans son assiette aujourd’hui. Elle se comporte un peu bizarrement en sa présence, mais ce léger détail ne retient pas l’attention de la coréenne, bien trop impatiente de se présenter à son interlocuteur.
La porte s’ouvre et la respiration de la coréenne s’arrête. Il devient blanc. Elle sent le rouge lui monter violemment aux joues. Rouge d’honte, de surprise, de peur. Elle ne sait pas. Elle a l’impression de se prendre une claque dans la figure et pas par n’importe qui. C’est donc lui son concurrent voisin. Pourquoi lui ? Dani reste de marbre, masquant la moindre émotion qui menace de surgir à n’importe quel moment. Elle doit rester professionnelle. Mais comment le peut-elle dans ces circonstances ? « Dani ? Qu'est-ce que tu fais là ? »Et toi ? qu’elle a envie de lui demander en retour. Cependant elle ne dit rien. Elle comprend parfaitement le scénario qui est en train de se dessiner devant elle, devant eux. Les amants d’hier deviennent les concurrents d’aujourd’hui. Elle ne sait pas comment appréhender avec cette information. « Tu ne m'avais pas dit que tu devais passer sur Brisbane. »Je voulais te le dire, je te le promet, je te le jure. Mais elle n’a rien dit. Aucun mot ne sort de sa bouche car Janet est toujours présente dans le bureau. Ils ne sont plus isolés au milieu des montagnes alpines, ils sont en plein cœur de Brisbane et tous les regards sont rivés sur eux. Il se lève et s’approche. Elle reste sans voix et cligne des yeux. Elle perd son assurance d’un coup violet et puissant. Janet finit par quitter le bureau. Elle a compris toute seule le malaise de la situation. Les bras de Noah tombent le long de son corps. Il se trouve à un mètre de la coréenne. « S'il te plait, dis-moi que ce n'est pas vrai. » « Je.. » suis désolée. Elle se passe un main sur le front comme pour se calmer. « Je suis ta nouvelle voisine. Je suis la propriétaire et gérante du O’Reilly Vineyards. » qu’elle affirme d’une voix calme et posée même si au fond d’elle, elle ne se sent pas bien face à cette vérité. « J’étais venue dans l’optique de me présenter à mes voisins… » Elle se sent bête avec sa stupide initiative. « Je ne savais pas que j’allais tomber sur toi ici. » Elle se râcle la gorge, nerveuse. Elle décide d’opter pour la carte de l’honnêteté. « J’avais prévu de t’appeler ce soir en plus pour t’annoncer la nouvelle. » Elle aurait voulu partager cette bonne nouvelle avec lui, son accomplissement professionnel, mais au final c’est une mauvaise idée. « On va donc.. être concurrents ? » qu’elle prononce dans un sourire navré, ses ambitions professionnelles vont être en confrontation avec ses désirs personnels.
Dernière édition par Dani Hwang le Mer 20 Oct 2021 - 9:11, édité 1 fois
Dani entre dans la pièce et il la voit rougir sans comprendre immédiatement ce qui peut la gêner comme ça. Il lui pose des questions auxquelles elle ne répond pas tout de suite. Un malaise s'installe rapidement faisant fuir Janet qui était restée dans le bureau, sans qu'il n'y fasse réellement attention. Alors qu'elle passe la porte, c'est sans quitter Dani du regard qu'il l'interpelle. "Janet ! Je ne veux plus être dérangé. Du tout." Sa voix est un peu trop sèche, probablement parce qu'il comprend peu à peu les enjeux de la situation. Et que ça l'agace. "Bien monsieur." La porte se referme doucement sur Janet pendant que l'australien prononce sa dernière phrase. La réalité le rattrape, même s'il ne veut toujours pas y croire. « Je.. » Il continue de la fixer, attendant un verdict qu'il connaît déjà. Elle passe une main dans ses cheveux, il croise les bras. C'est comme si tout s'écroulait lentement devant ses yeux, sans qu'il n'ait aucune possibilité d'arrêter le désastre.
« Je suis ta nouvelle voisine. Je suis la propriétaire et gérante du O'Reilly Vineyards. »
Voilà, c'est dit, plus de retour en arrière possible. Ce n'est pas dans ses habitudes et pourtant, il baisse les yeux. "C'est vraiment bien pour toi." Souffle-t-il à peine audible, en essayant de cacher sa déception. Il sait que c'est important pour elle, qu'elle a énormément travaillé pour arriver à ça. Avoir son propre domaine, c'était un rêve pour elle, alors que de son côté, c'était un héritage forcé. Il l'aurait tellement mieux félicitée, si seulement son rêve ne risquait pas de devenir un problème pour l'affaire de ses parents qu'il a promis de gérer correctement, coûte que coûte. « J'étais venue dans l'optique de me présenter à mes voisins... » Il soupire, déjà las de cette situation qui ne fait pourtant que commencer. Il n'a jamais été très patient, Noah. « Je ne savais pas que j'allais tomber sur toi ici. » Son regard froid se plante à nouveau dans celui de la coréenne alors qu'il lève un sourcil. "Et qu'est-ce que tu n'as pas compris dans "Brisbane" ?" Répond-il, en décroisant les bras pour faire les guillemets avec les doigts. Il ne veut pas se disputer, mais ce n'est pas comme s' il avait été vague sur sa localisation, il lui a clairement dit qu'il vivait là. « J'avais prévu de t'appeler ce soir en plus pour t'annoncer la nouvelle. » Il lève les yeux au ciel avant de retourner vers son bureau sur lequel il s'assied. Il se demande comment elle comptait lui annoncer ça. Même si elle l'avait appelé, la situation aurait-elle été différente ?
"On va dire que ça te fait ça de moins à faire, pas vrai ? Maintenant je suis au courant." Il hausse les épaules, tentant de prendre un air détaché. Mais comment l'être réellement lorsque la situation est si merdique ? Comment donner l'impression de ne pas être touché alors qu'il a envie de lui hurler dessus et de la prendre dans ses bras dans le même temps ? Comment avoir l'air serein quand tout se mélange dans sa tête ? « On va donc.. être concurrents ? » Concurrents. Il ferme les yeux et en expirant. Comment en sont-ils arrivés là ? Ses poings et ses mâchoires se serrent, machinalement. Il est tellement en colère qu'il voudrait tout envoyer valser. Cette histoire le rend dingue et en même temps, il se sent si impuissant. "Il semblerait" répond-il, d'une voix qu'il aurait voulu moins sèche. Il faut dire que la nouvelle a du mal à passer. Pendant quelques secondes, il cherche quoi dire, tout en réfléchissant à ce qui leur arrive. Est-ce que c'est si grave, finalement, d'être concurrent ? Peut-être peuvent-ils passer au-dessus de ça ? Et si jamais ils ne peuvent pas, peut-être qu'ils peuvent simplement oublier ce qu'il s'est passé entre eux pour rester professionnels. Plus facile à dire qu'à faire lorsqu'un simple regard de la jeune femme fait accélérer son rythme cardiaque. Quand regarder ses lèvres lui donne envie de l'embrasser. Quand leur dernière fois n'était pas censée être la dernière.
"Je t'avoue que j'ai un peu de mal à savoir comment je dois réagir là." C'est-à-dire qu'il ne s'attendait clairement pas à ça en se levant ce matin. Il se racle la gorge, sans savoir comment dissiper ce malaise. Pourquoi se sent-il mal à l'aise d'ailleurs, y'a-t-il vraiment une raison ? Des concurrents, il en a plusieurs et il a toujours très bien su les gérer. Après, il n'a jamais eu aucun sentiment pour eux. "Je suis désolé si je te parais froid, je suis un peu pris de court. Je sais que c'est l'accomplissement d'un rêve et j'essaye de me réjouir pour toi, je t'assure." Et il est sincère, s'il avait appris qu'elle s'était installée n'importe où ailleurs que juste à côté de chez lui, il aurait vraiment été très heureux qu'elle y soit parvenue. "Comment je suis censé réagir exactement ? Est-ce qu'on est censé faire comme si on ne se connaissait pas pour rester professionnel ?" Et pourquoi propose-t-il des choses dont il n'a absolument pas envie ? Probablement pour qu'elle le contredise, qu'elle lui dise que non, ce n'est pas nécessaire. Pour avoir l'impression, ne serait-ce qu'une minute de ne pas avoir été "rien" dans sa vie à elle lorsqu'elle a beaucoup compté pour lui.
En le retrouvant, l’œnologue aurait certainement préféré l’embrasser que d’imposer un mètre de distance entre eux. Cependant Dani ne peut plus ce comportement comme elle le veut. Ils ne sont plus dans une chambre d’hôtel mais bel et bien dans le bureau du Lehmann. Son regard se perd un instant dans le décors, elle découvre l’univers dans lequel il baigne. La porte se referme derrière eux après que Noah est spécifié à Janet de ne pas les interrompre. La situation est grave. Elle le sent encore plus en entendant les paroles suivantes.
« Et qu'est-ce que tu n'as pas compris dans "Brisbane" » Elle se mord les lèvres, elle est sincèrement désolée. Elle dépose son sac par terre. Elle se sent stupide avec ses offrandes. « On va dire que ça te fait ça de moins à faire, pas vrai ? Maintenant je suis au courant. » C’est vrai. « J’aurais préféré te l’annoncer autrement. » Elle pousse un soupir. Elle aurait préféré le contacter pour autre chose surtout. Mais ça, elle n’arrive pas à le dire, l’atmosphère est bien trop solennelle pour prononcer de telles pensées.
Le mot « concurrents » est désormais posé sur leur relation. Elle a l’impression d’avoir reçu un coup de massue sur la tête. Elle ouvrirait bien une bouteille. Boire pour oublier est une excellente technique face aux situations de déni. « Il semblerait. » Sa voix est sèche et l’allure de Dani se raidît. Elle se demande si lui aussi à ce noeud dans la gorge, mais ils ne peuvent pas se permettre de parler sentiments. « Je t'avoue que j'ai un peu de mal à savoir comment je dois réagir là. » Il n’est pas le seul à être perturbé par la situation. Dani n’ose plus bouger, elle est comme figée sur place. Elle a peur qu’un de ses mouvements soient observés par quelqu’un alors que Janet n’est pas supposée rentrer dans la pièce à nouveau. Mais on ne sait jamais. « Je suis désolé si je te parais froid, je suis un peu pris de court. Je sais que c'est l'accomplissement d'un rêve et j'essaye de me réjouir pour toi, je t'assure. » Noah est sans doute le plus sentimental des deux. Elle est touchée par ses paroles. C’est une qualité que la coréenne a toujours apprécié chez le Lehmann. Derrière son comportement quelque peu ronchon, se cache un homme protecteur et attentionné. Dani a toujours eu plus de mal à s’exprimer. Regardez là, elle et sa maladresse à mettre les deux pieds dans le plat. Pourtant, n’allez pas croire qu’elle est sans coeur, elle le montre juste plus difficilement. « Tu n’as pas à t’excuser Noah… mais merci c’est gentil. » Dani essaye de se reprendre. Elle tente d’assumer ses responsabilités et ses nouvelles décisions. « Comment je suis censé réagir exactement ? Est-ce qu'on est censé faire comme si on ne se connaissait pas pour rester professionnel ? » Pendant une seconde, la coréenne se laisse aller. Son corps parle à sa place et elle fait un pas en avant, un pas vers Noah. Elle aimerait stopper tout ce massacre mais la machine est déjà lancée. La raison de Dani la rappelle à l’ordre, et elle se stope dans son élan. Elle n’a pas envie de prononcer ses mots mais elle le doit. Ils connaissent tous les deux la réponse. « On doit rester professionnels. » Elle ne dit pas qu’ils doivent se comporter comme deux parfaits inconnus mais ils ne peuvent plus agir comme avant. Le monde est petit, Brisbane encore plus et ils en ont la preuve aujourd’hui. Amère et brutale, ils passent du statut d’amants à celui de concurrents. Dani a commis une erreur de débutante en ne vérifiant pas les alentours de sa nouvelle propriété. Elle a tellement été emballée par le potentiel du domaine viticole que tout le reste s’est évanoui. « Ces premières semaines sont déterminantes pour moi. » Elle s’est battue si dure pour réussir seule. Pendant des années elle a fait couler la sueur de son front pour gravir les échelons dans ce monde très fermé et trop masculin de l’œnologie. Elle ne veut pas qu’une de ses idylles l’associe à un homme et entache son travail. Ça lui fait mal au coeur d’avoir un tel cheminement dans son cerveau, mais elle doit faire un choix entre son travail et ses amours. « J’ai envie de réussir à montrer que je suis capable de diriger mon domaine par mes propres moyens. Il ne faudrait pas que nos noms soient associés. Tu sais comment les bruits de couloirs vont vite, encore plus lorsqu’on les raconte avec un verre de vin à la main. » Elle prononce ces mots d’une voix neutre. Elle peut paraître insensible ou indélicate sur le moment. Pourtant de l’autre côté du masque c’est tout l’inverse. Son coeur bat fort dans sa poitrine. Ses doits se serrent derrière son dos. Toutes ces choses qu’elle essaye de cacher à Noah. Elle espère qu’il ne lui en voudra pas trop. « J’ai commis une erreur de débutante en ne vérifiant pas mes concurrents aux alentours, c’est certain. Mon ambition a été aveuglée par l’offre de ce domaine en particulier. » Elle ne se cherche pas d’excuse, elle constate et explique les faits au Lehmann. Elle continue ses propos car il y a toujours un « mais » dans l’histoire. « Mais je crois qu’il est plus prudent qu’on arrête notre relation Noah. » Elle le regarde droit dans ses yeux bleutés, elle s’imprègne une dernière fois de leur beauté enivrante. C’est vrai, il lui manquera. Il aurait pu être le parfait allié pour sa conquête de l’Australie. Pourtant aujourd’hui, il devenait son principal concurrent. « On ne peut plus continuer comme avant. » C’est trop dangereux, même si l’interdit donne toujours envie de le braver. Noah et Dani arriveront-ils à rester professionnels ?
Plus la situation avance et plus Noah sent le fossé se creuser entre eux. Il a l'impression de voir un mur se bâtir devant lui en direct sans qu'il ne puisse rien faire pour l'empêcher. Il voudrait lui dire ce qu'il ressent, qu'il a envie de tout sauf de s'éloigner d'elle, qu'il a besoin de leur relation, mais il en est incapable. Il voit l'air désolé se peindre sur le visage de porcelaine de la jeune femme, il voit qu'elle est mal à l'aise, mais tout ça n'a déjà plus d'importance, c'est déjà trop tard. Au fond de lui, il sait déjà que ce qu'il s'est passé entre eux n'aura jamais autant d'importance que son rêve. Et c'est normal, ce serait injuste de le lui reprocher. Même si c'est douloureux. « J'aurais préféré te l'annoncer autrement. » Elle pousse un soupir, il hausse les épaules. "Et qu'est-ce que ça aurait changé ?" Souffle-t-il, en plongeant son regard dans le sien. Et la réponse, ils la connaissent tous les deux : rien. Ça n'aurait absolument rien changé.
Alors qu'il voulait la prendre dans ses bras quelques minutes plus tôt, plus le temps passe et plus il se referme. Cette carapace qu'elle avait su percer se referme et il prend cet air grave qu'il garde en permanence dans ses relations professionnelles. Parce qu'il va s'agir de ça à présent, pas vrai ? Lorsqu'elle lui dit qu'il n'a pas à s'excuser et qu'elle le remercie, il se contente de hocher la tête sans rien dire. Il ne sait pas quoi ajouter de toute façon. De la même façon qu'il attendait que le temps passe en gardant l'expression la plus sérieuse possible, lors des soirées mondaines de ses parents, lorsqu'il était enfant, il attend que cette discussion soit terminée. La seule différence, c'est qu'à l'époque, sa meilleure amie finissait toujours par arriver pour le faire rire et lui rappeler qu'il n'était qu'un enfant. Aujourd'hui, elle n'est plus là et il n'est plus un enfant, lorsque Dani sera partie, il se retrouvera seul avec ses regrets.
Lorsqu'elle fait un pas en avant, il se concentre de toutes ses forces pour ne pas bouger. Il se contente de la fixer, toujours. Elle s'arrête, il soupire. « On doit rester professionnels. » Il veut hocher la tête, mais machinalement, il la secoue de droite à gauche. "Tu as raison." Répond-il pourtant, d'une voix blanche. Il contourne son bureau pour s'adosser au mur derrière celui-ci, mettant un peu plus de distance entre eux. Il ne s'assied pas, dans les relations de travail, c'est impoli de se rassoir avant d'avoir proposé à l'autre de le faire. « Ces premières semaines sont déterminantes pour moi. » Il ne répond pas, il le sait, tout ça. Il le sait, mais il s'en moque. Toute cette histoire le blesse, bien plus qu'il ne le laisse paraître. Il sait qu'elle a beaucoup travaillé, qu'elle a toujours voulu ça, qu'il ne peut pas lui en vouloir. Il le sait. Mais ça ne change rien à la boule qu'il a dans la gorge, à son cœur qui bat trop fort, à la colère qu'il ressent. Il s'en moque de savoir tout ça, il lui en veut quand même. Il voudrait pouvoir la détester, parce que ce serait moins difficile à vivre, mais il n'y arrive même pas. Il est coincé dans un mélange d'amertume, de tristesse et de déception qu'il ne peut pas montrer. Qu'il ne veut pas montrer.
« J'ai envie de réussir à montrer que je suis capable de diriger mon domaine par mes propres moyens. Il ne faudrait pas que nos noms soient associés. Tu sais comment les bruits de couloirs vont vite, encore plus lorsqu'on les raconte avec un verre de vin à la main. » Sa mâchoire se serre de nouveau et il doit faire un effort considérable pour ne pas se mettre à crier. Elle les a prononcés d'un ton neutre et pourtant, ce sont les mots les plus difficiles qu'il ait eu à entendre depuis le début de cette conversation. "Mes parents seraient probablement ravis de savoir à quel point leur nom est quelque chose d'atroce. Ne t'inquiète pas pour ça, tout le monde sait bien qu'on ne vit pas dans le même monde." Fait-il, d'un ton à la fois hautain et ironique qu'il n'avait jamais employé avec elle jusque-là. Elle n'a pas l'air de vivre la situation aussi mal que lui, mais elle cache peut-être bien son jeu, alors il lui offre la possibilité de le détester. C'est pour cela que lorsqu'elle lui explique avoir fait une erreur en s'installant près du domaine Lehmann et que cela implique d'arrêter leur relation, il lui lance son regard le plus froid avant de prononcer une phrase dont il ne pense aucun mot. "Tout va bien Dani, notre seule erreur a été de ne pas être professionnels dès le début. C'est sûrement bien mieux comme ça, cette relation n'avait pas lieu d'être."
Il a l'impression de sentir son cœur se briser lorsqu'elle soutient son regard et pourtant, il reste complètement impassible. C'en est fini du Noah qui laissait un peu percer ses sentiments avec elle, à présent, elle n'aura plus que cette façade qu'il offre à tous ceux avec qui il est en affaires. Il soupire une dernière fois en tendant la main vers le siège de l'autre côté de son bureau. "Est-ce que tu veux t'asseoir pour présenter ton domaine ?" Dans sa tête, cette phrase sonne comme s'il avait demandé : est-ce que tu veux remuer encore un peu le couteau dans la plaie ? Il se sent comme quelqu'un à terre qui demanderait encore à se faire frapper, mais s'il veut la considérer comme tous ces autres concurrents, il est obligé de le faire.
Les choses n’auraient pas ou peu changé. Noah et Dani le réalisent de façon brutale. Ils tombent des nues face à leurs responsabilités de patrons, rompant soudainement la relation qu’il avait tisé avec complicité. Dani se doit de réaliser son rêve, elle l’a atteint aujourd’hui en devenant l’heureuse propriétaire et gérante du O’Reilly Vineyards. Pourtant son rêve a un coût, Noah fait partie des dommages collatéraux. Elle a conscience que ses mots sont froids presque dénués de toutes émotions. Ils sont difficiles à accepter pour lui comme pour elle. N’allez pas croire le contraire. Cependant la princesse de porcelaine prend soin de masquer ces faiblesses. Elle s’est construite cette carapace au fil de temps alors que derrière cette mascarade, son cœur se serre dans son armure.
Leur complicité s’envole lorsque Dani impose des limites. Ils doivent rester professionnels. Ils ne peuvent plus continuer comme avant même si elle aurait préféré le retrouver autrement. De partager une étreinte que de construire un mur entre eux. Elle puise dans son énergie pour rester vaillante malgré les paroles qui lui sont difficiles à prononcer. « Tu as raison. » Sa voix est tout aussi neutre que celle de la coréenne. Il approuve alors qu’elle aurait aimé qu’il la retienne. Cependant ce souhait s’évanouie face au choix que Dani a clairement imposé, sans réfléchir, sans discuter au préalable. Elle est peut-être trop radicale sur le moment, pourtant l’ambition qui l’anime s’entremêle dans ses indécisions. L’œnologue se doit d’être tout sous incertaine si elle veut réussir. En reprenant un peu d’assurance, elle lui explique ses raisons, ses motivations, calmement sans hausser le ton de sa voix. Elle a travaillé ardement pour réussir et elle souhaite continuer encore de belles années. Ce souhait implique des sacrifices et elle prononce une phrase qui la suivra sans doute pendant très longtemps. Leur idylle ne doit pas se savoir, leurs noms doivent rester loin l’un de l’autre. Dani l’explique peut-être de façon maladroite et blessante sans s’en rendre compte. Noah ne réagit pas ou peu, il la fixe avec intensité. Elle découvre un nouveau visage de lui, la lueur dans ses iris s’avanouie laissant place à une amertume sous tension. Elle remarque les muscles masculins se tendre avant de prononcer les mots suivants. « Mes parents seraient probablement ravis de savoir à quel point leur nom est quelque chose d'atroce. Ne t'inquiète pas pour ça. » Elle se pince les lèvres, sa gorge est encore plus nouée qu'auparavant. « Noah.. ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Tu sais que je respecte ta famille. » Qu’a-t-elle véritablement souhaité exprimer ? Dani a toujours énormément de mal à témoigner les choses qu’elle a dans son cœur. « Tout va bien Dani, notre seule erreur a été de ne pas être professionnels dès le début. C'est sûrement bien mieux comme ça, cette relation n'avait pas lieu d'être. » Elle baisse le regard, racle sa gorge. Ses mots font mal, plus que prévus. Elle aimerait lui répondre, mais elle n’y arrive pas. C’est tout sauf l'endroit de parler de leur relation. Son bureau n'est pas approprié pour avoir cette discussion, même si l’envie de lui poser des questions lui brule les lèvres. Va-t-il réellement bien ? Leur relation n’est-elle qu’une passade éphémère ? N’a-t-elle pas compté pour lui ? Dani est-elle juste une fille parmi tant d’autres qui a partagé les draps du Lehmann ? Pourtant, l’œnologue ne dit rien, elle doit assumer ses propres paroles, sinon cela n’aurait aucun sens. Au moins elle donne un sens à sa raison, abandonnant sa passion.
L’allure de Noah change radicalement. Il se recule et retourne derrière son bureau. La distance est imposée entre eux. Il tend une main désignant le siège réservé aux invités. Au moins, il ne la repousse pas complètement. « Est-ce que tu veux t'asseoir pour présenter ton domaine ? » Elle reprend son sac et ses bouteilles dans les mains, hésite un instant entre fuir ou rester. « J’ai besoin de m’asseoir oui. » Elle fait un pas avant de prendre place un peu trop vite sur la chaise. Son dos vacille légèrement en arrière avant de se cogner contre le dossier. Les bouteilles tombent dans son sac sans pour autant se casser. Elle a vraiment cru que ses jambes avaient lâché. Son corps a clairement voulu lui faire passer un message. Il n'est pas d'accord avec sa décision. « Hm.. pardon. » qu’elle s’excuse gênée. Elle passe une main sur son front avant de replacer quelques mèches brunes derrière ses oreilles. Elle inspire profondément pour se calmer et relève ses yeux vers Noah. « Est-ce que tu as réellement envie d’entendre la présentation de mon vignoble ? » Est-ce que tu as envie de remuer le couteau dans la plaie toi aussi ? Elle se sent déjà assez désolée pour tout le reste. « Je peux laisser les plaquettes de présentation à Janet. » C’est clairement suffisant selon elle. D’une main tremblante, Dani replace discrètement les bouteilles dans son sac. « J’ai rapporté quelques bouteilles du domaine, mais je ne sais pas si t’en as envie ? » Est-ce que tu as encore envie de me voir tout simplement ? Elle le regarde droit dans les yeux attendant une réaction de sa part.
La phrase concernant son nom de famille le blesse profondément, même s'il essaye de ne pas le montrer. Sa réplique suivante est volontairement cinglante, même en restant professionnel, il y a une partie de lui qui veut, inconsciemment, lui faire comprendre que cette phrase lui a fait mal. Il la regarde se pincer les lèvres avec l'air de celle qui regrette, pendant quelques secondes, il pense qu'elle va arranger les choses par sa prochaine réplique. Et pourtant, sans le vouloir elle les aggrave. « Noah.. ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Tu sais que je respecte ta famille. » C'est donc moi que tu ne respectes pas, pense-t-il, sans l'exprimer. Son expression se durcit encore alors qu'il peine à dissimuler sa colère et sa déception. Finalement, il aurait sûrement préféré qu'elle ne dise rien de plus. "Je vois." C'est la seule phrase qu'il est capable de prononcer sur le moment sans perdre la face. Surtout quand il voit qu'elle ne répond pas du tout à la seconde partie de sa réplique. Elle baisse le regard, se racle la gorge, il prend cela pour de la honte, comme si elle était effectivement coupable de ce qu'il vient de dire. Sa non réaction sonne comme une approbation pour lui, il s'imagine donc qu'elle voit effectivement leur histoire comme une erreur, quelque chose qui n'aurait pas dû arriver. Et bien qu'il se soit rendu compte depuis un bout de temps, sans jamais l'avouer, qu'il aimait bien plus la coréenne que ce qu'il pouvait prétendre, il n'aurait jamais pensé que la rupture serait si douloureuse. Le pire étant sûrement que la fin arrive si subitement, il n'y aura pas de dernier baisé, pas d'aurevoir, pas de transition. Il est obligé de passer d'une relation chaude et complice à une relation froide et professionnelle en une poignée de minutes.
Il passe derrière son bureau, pour mettre de la distance d'une part, mais surtout parce que lorsqu'il est face à elle, il n'a qu'une envie : l'approcher et la serrer dans ses bras. Et ça ce n'est plus possible. Plus maintenant. Il l'invite à venir s'asseoir pour présenter son domaine, c'est ce qu'il doit faire, même s'il n'a aucune envie d'entendre l'histoire de pourquoi ils ne peuvent plus être proches. Et puis quelque part, ça lui permet de gratter quelques minutes supplémentaires en sa présence, autant en profiter, c'est certainement la dernière fois avant un long moment. Elle ramasse son sac, son regard devient incertain. « J'ai besoin de m'asseoir oui. » Noah fronce les sourcils. Pourquoi "besoin" ? Elle répond à sa question sans le vouloir en tombant plus sur sa chaise qu'en s'y asseyant vraiment. Son sac touche le sol dans un bruit de verre. Le cœur de l'australien manque un battement lorsqu'il la voit dans cet état et pendant un instant, il oublie tout ce qu'ils viennent de se dire et fait un mouvement vers elle. Sa main n'est qu'à quelques centimètres de celle de Dani lorsqu'il se rend compte qu'il ne peut plus se permettre de faire ce genre de choses. Alors, il ferme le poing et se racle la gorge avant de s'asseoir de son côté. « Hm.. pardon.» Elle a l'air d'être gênée. Elle passe une main sur son front et replace quelques mèches de cheveux derrière ses oreilles. Ce simple geste qu'il avait le privilège de pouvoir accomplir avant et qui lui manque déjà.
"Qu'est ce qui se passe ? Tu vas bien ? Est-ce que tu veux un verre d'eau ?" Demande-t-il tout de même, avec une inquiétude qu'il ne cherche pas à dissimuler. Il est comme ça, il peut faire tous les efforts qu'elle veut, mais il est incapable de laisser les gens qu'il aime aller mal sans essayer de les aider. Et elle en fait partie, qu'elle le veuille ou non. Le regard de Dani s'accroche à nouveau au sien alors qu'elle lui pose une question à laquelle ils ont probablement tous les deux la réponse. « Est-ce que tu as réellement envie d'entendre la présentation de mon vignoble ? » Non. Il se moque de ce vignoble. Il essaye d'être heureux pour elle, il sait que c'était son rêve, mais en l'état actuel des choses, il a davantage envie de le cramer que d'en entendre parler, de son fichu rêve. « Je peux laisser les plaquettes de présentation à Janet. » Oui, elle pourrait. Mais admettre qu'il ne veut pas qu'elle fasse sa présentation, se serait aussi admettre que toute cette histoire lui fait mal. Et il est hors de question de montrer la moindre faiblesse à un de ces concurrents. Même si ce concurrent est Dani Hwang. "Ce ne sera pas nécessaire, j'ai hâte d'entendre cette histoire. Et de savoir pourquoi tu as choisi Brisbane." Fait-il, en rangeant les papiers devant lui, pour se donner un air plus détaché lorsqu'il n'arrive pas à l'être suffisamment.
« J'ai rapporté quelques bouteilles du domaine, mais je ne sais pas si t'en as envie ? » Il esquisse un sourire triste. Il sait déjà que cette idée va raviver des souvenirs, puisque chaque fois qu'ils se sont retrouvés, c'est autour d'un verre de vin. Mais en même temps, comment pourrait-il refuser quand cela lui assure de passer un peu plus de temps avec elle. "De quoi j'aurais l'air si je refusais, hein ?" Répond-il en se levant pour prendre des verres sur une étagère à côté du bureau. Il pose les verres face à Dani et se rassied en plantant de nouveau son regard dans le sien, près à l'écouter vanter les mérites de ce qui les aura brisés.
« Je vois. » Elle le discerne dans son regard, son expression est fermée. Il ne veut plus croire aux paroles de la coréenne. Il refuse de lui accorder les privilèges qui lui a anciennement donnés l’opportunité de gagner. Pourtant, l’œnologue comprend, elle doit assumer les conséquences de ses paroles. C’est pour cela qu’elle opte pour un comportement professionnel dès les premières minutes de sa décision. Elle aurait aimé le retenir, mais elle ne peut plus. Elle réalise que Noah prend ses mots trop personnellement. Son égo a été blessé par les propos féminins. Certes, ils ont été directs et maladroits, mais Dani n’a jamais voulu faire du mal à Noah. La coréenne est une redoutable femme d’affaires mais elle a toujours employé des façons de faire respectables. Peut-être que son honnêteté la mènera à sa perte, Dani reste une idéaliste optimiste. Alors que le monde de l’œnologie reste et restera encore un royaume gouverné par la secte patriarcale.
Pendant un instant, Dani se montre vulnérable mais elle garde la tête haute. Elle se reprend le plus vite possible. « Qu'est ce qui se passe ? Tu vas bien ? Est-ce que tu veux un verre d'eau ? » Observatrice, elle note le rapprochement de Noah. Pendant un moment, il a oublié le mur qui les sépare. Elle reconnait-là sa voix profondément et sincèrement inquiète. Cela lui rappelle même cette fois-ci où Dani s’était précipitée auprès de Noah après sa chute au ski dans les Alpes. Elle est triste et nostalgique à cette pensée. Ils se sont promis de se retrouver, mais sans doute pas dans la configuration actuelle qui les oppose. Elle regarde la main masculine à quelques centimètres de la sienne. Elle a envie de la saisir, le retenir mais à la place, elle replace les bouteilles dans son cabas. La parfaite diversion pour ne pas céder à la tentation. « Tout va bien Noah. » qu’elle lui répond d’une voix neutre, faisant écho à ses précédentes paroles. Elle ne doit pas se montrer faible, sinon elle ne va jamais réussir. Elle veut réaliser son plus grand rêve, mais celui-ci implique des sacrifices qui ternissent son cœur.
Pour rendre la sentence moins douloureuse pour eux deux, Dani propose à Noah une alternative qu’il refuse. La coréenne sert sa main en poing. Ils sont tous les deux fiers et déterminés, refusant de montrer une ombre de faiblesse. D’un geste, le Lehmann range ses papiers sur le bureau, prêtant toute son attention à sa nouvelle concurrente. « Ce ne sera pas nécessaire, j'ai hâte d'entendre cette histoire. Et de savoir pourquoi tu as choisi Brisbane. » Son regard soutient le sien et elle répond seulement trois mots. « Si tu insistes. » Elle est nerveuse à l’idée de cet exercice. Habituellement la Hwang excelle dans les discours de présentation, son charisme ainsi que sa passion dans son travail sont des précieux atouts. Pourtant aujourd’hui, elle se trouve devant un public particulier. Ni lui, ni elle n’ont envie d’y assister. Dani sait pertinemment que les prochaines minutes refroidiront les cœurs déjà abimés par les récents événements.
Elle tente une dernière échappatoire, elle se sent honteuse de lui présenter des bouteilles de son propre vignoble. Pourtant, Noah insiste. Sa colère remue le couteau dans la plaie. « De quoi j'aurais l'air si je refusais, hein ? » Il la défie en rapportant deux verres, qu’il dépose face à Dani. Elle redoute la présentation suivie d’une dégustation qui risque d’avoir un gout d’amertume. Dani attrape alors les deux bouteilles qu’elle a apporté en guise de présent. Une bouteille de rouge et une autre de blanc. « Je te propose de commencer par le Chambourcin, c’est le cépage incontournable du O’Reilly Vineyards. » Le vin est adapté à la situation actuelle. Les notes de cerises glacées font échos au froid qui s’est soudainement abattu sur leur idylle. Elle ouvre la bouteille d’un geste maitrisé, en Australie se ne sont pas des bouchons en liège mais plutôt des capsules à vis. Elle remplit un tiers des verres à pied en silence. « C’est un millésime de 2019, une excellente année pour le domaine. » Elle dépose la bouteille de vin rouge sur le bureau en bois sans quitter le regard du Lehmann. « La propriété existe depuis 163 ans, elle a d’abord été une ferme où un élevage d’alpagas a été développé. Cela fait la particularité du domaine, car ils sont nos plus anciens résidants. Dans les années 60, les propriétaires de l’époque passionnés par le vin, ont planté quelques hectares de vignes prenant le nom du O’Reilly Vineyads. Le domaine a peut-être une production modérée par rapport aux autres vignobles voisins, mais nous avons développons d’autres aspects qui sont tous aussi importants. Le O’Reilly Vineyards est le leader en termes d’oeno-tourisme dans la région du Queensland. De nos jours, les visiteurs et surtout les touristes sont à la recherche d’une expérience. » Elle marque une pause, calmant le rythme saccadé de son palpitant. « Le profil de ce domaine viticole correspond aux valeurs de modernité que je recherche, et qui sont encore trop peu développées dans les pays européens. C’est une des raisons qui m’a motivé à investir dans ce domaine. » qu’elle dit en montrant les bouteilles du menton. « Et d’un point de vue plus personnel, j’ai souhaité revenir aux sources, à l’endroit où le savoir de l’œnologie m’a été transmis. » Cette fois-ci, le regard de Dani quitte celui de Noah. Il se perd au travers de la fenêtre derrière le jeune homme. Il a toujours été compliqué de parler de son grand-père défunt. Dani n’a jamais réussi à faire son deuil. « Mon grand-père était viticulteur dans cette région. » qu’elle termine avant de saisir son verre et de boire une gorgée. Ce geste n’est pas poli, mais elle a besoin d’un remontant. Dani ne mentionne que rarement sa vie personnelle, pourtant là c’est différent. Elle n’aurait jamais laissé échapper cette information cruciale de son storytelling a un concurrent lambda. Cependant, elle veut faire comprendre à Noah les raisons profondes de son choix. Elle n’a pas choisi ses terres par hasard. Elle ne l’a pas choisi volontairement pour blesser Noah. Elle les a choisi pour accomplir son rêve de petite fille.
Elle observe la main qu'il a tendue vers elle et qui ne la touchera finalement pas, puis elle se penche pour ranger correctement les bouteilles dans son sac. Pendant ce temps, Noah serre le poing et récupère sa main. Ils ont tous les deux vu ce geste, réflexe d'un autre temps, mais ils font tous les deux comme s'il n'en était rien. « Tout va bien Noah. » Sa voix est neutre. Il hoche la tête pour la forme, tout en reprenant son expression fermée, celle qui ne montre rien de ce qu'il peut ressentir. "Parfait, alors." répond-il sur le même ton, sans en penser un mot. Et cet échange ne fait que donner le ton de leurs prochaines conversations : sauver les apparences en se tenant convenablement tout en ayant l'impression de s'éteindre à l'intérieur.
Il sent le poids de responsabilités familiales devenir un fardeau quand il s'oblige à accepter la présentation de Dani alors qu'il n'a plus qu'une seule envie : la voir partir de son bureau. Mais il est de son devoir d'entendre les histoires que ses concurrents sont venus lui raconter. Il y a ça et il y a aussi qu'il refuse tout simplement d'avouer qu'il pourrait avoir la faiblesse de ne pas avoir envie de l'entendre, cela voudrait dire que ça le blesse et même si c'est la vérité, il n'est plus question de lui laisser voir. Et pour dire vrai, il veut vraiment savoir pourquoi elle est venue à Brisbane. Il n'est pas idiot au point croire que c'est pour lui, mais alors pourquoi ? Serait-il possible qu'elle ait un attachement particulier à cette ville sans jamais lui en avoir parlé ? « Si tu insistes. » Répond-elle en soutenant son regard. Si toute cette histoire n'avait pas été si pesante, cette réaction de défiance aurait sûrement tiré un sourire au Lehmann. Mais pas ici.
Lorsqu'elle dit avoir apporté des bouteilles, il apporte même des verres. Tout cela s'est finalement transformé en un affrontement d'égo. Chacun attend que l'autre lâche l'affaire, avouant ainsi que c'est lui qui souffre le plus. Mais aucun des deux n'est prêt à un tel aveu. Elle dépose deux bouteilles sur bureau qu'il observe avec attention. « Je te propose de commencer par le Chambourcin, c'est le cépage incontournable du O'Reilly Vineyards. » Il hoche la tête en la regardant ouvrir la bouteille. "Je t'en prie." Souffle-t-il. Elle verse le vin à un tiers des verres comme il est de coutume de le faire tout en donnant des détails sur son année. Il soutient son regard alors qu'elle présente son domaine avec une aisance qui le déconcerte. Il se souvient du temps qu'il a mis à se sentir à l'aise pour présenter le sien alors qu'il le connaît depuis l'enfance. La différence entre le fait de reprendre les rênes parce qu'il le faut ou par passion, probablement. Elle semble connaître toute l'histoire de la propriété par cœur et c'est une autre surprise pour Noah, il se rend compte qu'il n'en connaît pas la moitié alors qu'il a toujours vécu là, juste à côté. C'est sans la couper une seule fois qu'il l'écoute parler des alpagas, d'oeno-tourisme et de la modernité de son acquisition. « Et d'un point de vue plus personnel, j'ai souhaité revenir aux sources, à l'endroit où le savoir de l'œnologie m'a été transmis. » Cette phrase fait tiquer le blond qui fronce les sourcils. C'est donc ça, la raison de son arrivée ici, finalement. Il cherche son regard, mais elle le fuit. « Mon grand-père était viticulteur dans cette région. » Et, avant même qu'il n'ait eu le temps, ne serait-ce que d'analyser cette phrase, elle avale son verre en une gorgée, ce qui fait lever un sourcil à Noah. Il comprend que cette histoire de famille doit encore être difficile à digérer pour qu'elle réagisse comme ça, mais le manque de professionnalisme que cela implique le dérange un peu, surtout quand c'est elle qui l'impose. Il se contente donc d'un "d'accord", avant de prendre son verre, d'en observer le liquide et d'en boire une gorgée. Il ne prend pas la peine de le sentir, il n'est pas oenologue, si il sait reconnaître un bon vin d'un mauvais, il n'est pour autant pas capable d'en faire une analyse trop approfondie. Et elle le sait très bien puisqu'elle lui a appris pas mal des choses qu'il sait à ce sujet.
"Ce vin est très bon, tu sembles avoir fait un très bon choix de domaine." admet-il, un peu amer. Ce n'est que la vérité, mais ce n'est pas vraiment plus facile à dire pour autant. "Par contre, il ne me parait pas assez fort pour faire des culs secs." Cette phrase, il aurait déjà pu la prononcer lors de leurs précédentes rencontres. Seul le ton est radicalement différent. Si, en France, il aurait pu faire cette remarque sur le ton de la plaisanterie, ici, sa réflexion ressemble plus à une critique. Critique qu'il aurait probablement fait à n'importe quel concurrent ayant eu le même comportement. Il reprend son verre, boit une nouvelle gorgée de vin avant de le reposer. "Et donc, tu as des alpagas ?" Il lui demanderait bien si elle a repris un domaine viticole ou un zoo, mais il ne veut pas la vexer. Et en réalité, si il y a des animaux sur sa propriété, il veut bien comprendre que cela attire des touristes. Il voudrait lui poser d'autres questions, il en a plusieurs, notamment sur l'oeno-tourisme, mais alors qu'il s'apprête à le faire, il se racle la gorge pour se retenir. Il se rend compte que toutes ses questions pourraient être prises pour une tentative de vol d'idées. Et quand bien même, elles ne le seraient pas, s'il veut être tout à fait honnête, ces questions, il n'y a que deux raisons pour lesquelles il veut les poser. La première est qu'il adore entendre Dani parler de ce qui la passionne avec cette petite flamme qu'elle a dans les yeux quand elle le fait. La seconde est que s'il les pose, elle sera obligée de rester un peu plus longtemps. Et aucune de ces deux raisons n'est professionnelle.
"Eh bien, tout cela semble vraiment prometteur. Je te souhaite de réussir, vraiment." Dit-il donc, à la place, la mort dans l'âme parce qu'il sait que cette phrase marque le début de la fin de leur entretien. Il avale difficilement sa salive et rassemble ses mains devant lui, cherchant de nouveau le regard de la coréenne. "J'imagine que tu as encore un tas de choses à faire ?" Vu que tu n'as pas pris le temps de m'appeler avant, pense-t-il, sans le dire. "Ou alors tu veux ouvrir ta seconde bouteille ?"
Raconter l’histoire du vignoble, c’est accepter raconter une partie de la vie de Dani. Revenir aux racines et observer ce qu’il se cache derrière le feuillage des vignes. On peut y retrouver, une petite fille à la longue chevelure ébène et son chapeau de paille sur la tête. Une fille qui transpire la simplicité et qui aspire à devenir comme son grand-père. Elle est toujours derrière lui soit dans les vignes ou dans le chai. Elle a son petit nez qui s’imprègne des odeurs de tanin ou ses doigts fins qui glissent sur les baies de raisins. Son souvenir favori est sans doute lorsqu’elle était dans les énormes pressoirs en train de faire une danse de la joie pour écraser les raisins, libérant le précieux élixir qui allait venir du vin quelques mois plus tard.
Aujourd’hui, ce n’est plus la petite fille qui raconte son histoire. L’enfant est devenue une femme d’affaires, qui reste éternellement passionnée par son travail. Des ambitions professionnelles qui écrasent à contre cœur ses intérêts personnels. Parce que oui, elle s’est attachée au fil des mois à Noah. Plus qu’elle ne veut bien l’admettre. Elle lui a transmis ce savoir qui passe d’esprit à esprit. D’abord son grand-père, puis elle et enfin Noah. Un lien qu’elle doit tordre si elle veut réussir à réaliser son rêve.
Elle est arrivée au bout de son récit et clôture son discours avec une gorgée de vin, en mémoire à son grand-père, sans doute. « Ce vin est très bon, tu sembles avoir fait un très bon choix de domaine. » Intérieurement, elle se délecte de ce rare compliment, parce que dorénavant ils sont devenus concurrents. D’une façon une peu précipitée, je vous l’accorde. Telle est la dure loi de la jungle, ou des vignes. « Par contre, il ne me parait pas assez fort pour faire des culs secs. » Sa nostalgie se transforme en un rictus amusé. Malgré la situation critique, Noah arrive encore à faire rire Dani. « Et donc, tu as des alpagas ? » Elle approuve d’un hochement de tête. Les alpagas sont une des particularités du vignoble qui lui tiennent tant à cœur.
« Eh bien, tout cela semble vraiment prometteur. Je te souhaite de réussir, vraiment. » « Merci Noah. » Ses mots sont difficiles à prononcer, mais ils restent sincères. Elle est touchée qu’il arrive encore à lui souhaiter du bien et de la réussite. Noah capte le regard de la coréenne. Elle ne le quitte pas des yeux, comme pour s’imprégner de son visage. Quand vont-ils et dans quelles circonstances ? « J'imagine que tu as encore un tas de choses à faire ? Ou alors tu veux ouvrir ta seconde bouteille ? » Les paroles sont difficiles à entendre, elle peut sentir son cœur se serrer. Doucement, elle pousse la deuxième bouteille en direction de Noah sur le bois du bureau. Elle la pousse jusqu’à ses mains pour qu’il l’attrape. Pendant un bref instant, elle frôle les doigts masculins. Un dernier contact, un dernier au revoir, et quelques paroles. « J’aimerais. » Son regard ne quitte pas le sien. « Sincèrement. » Boire cette seconde bouteille avec toi. « Mais je dois y aller. » A ses mots, elle se lève de sa chaise. « Merci pour ton accueil. » qu’elle prononce tout en essayant de rester professionnelle. Elle aurait souhaité lui dire au revoir autrement. Et surtout, elle aurait aimé le retrouver autour d’une bonne bouteille, comme ils se l’étaient imaginés lorsqu’ils étaient encore en France, perdus dans la montagne et loin de tous les problèmes.
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