14 Février 2012. Les mardis soir sont en général plutôt calmes au restaurant mais ce soir le livre des réservations est plus que complet, le père de Cameron a même dû faire preuve d’un peu d’imagination pour asseoir plus de clients que le restaurant ne peut en accueillir en temps normal. Avec les lumières tamisées, les moins chanceux ne devraient pas remarquer que sous certaines napes rougeâtres sont dissimulées des tables pliantes et des tables de patio. Cameron n’a jamais été spécialement fan de la Saint-Valentin, peut-être parce qu’il n’a jamais eu d’histoires sérieuses jusqu’à maintenant, mais il essaie de voir le bon côté des choses en pensant aux généreux pourboires qu’il risque d’encaisser ce soir avec le restaurant rempli à pleine capacité. Il préfère se concentrer là-dessus plutôt que sur les centaines de confettis en forme de cœur qui parsèment les tables et que ses collègues et lui trouveront forcément dans les moindres recoins du restaurant encore à Noël.
La soirée bat son plein et Cameron n’a même pas deux secondes à lui pour seulement penser à son envie de pisser qu’il traine depuis au moins une heure. Chaque fois qu’il va livrer une commande, il débarrasse des tables sur le chemin du retour vers la cuisine et il profite de ces quelques secondes à l’abri des regards pour avaler un ou deux morceaux de pain pour calmer sa faim, en espérant qu’il resterait un peu de velouté de potiron à la fin de la soirée pour qu’il puisse y goûter.
Quelques heures plus tard, toutes les tables du restaurant se sont libérées, sauf une où les clients ne semblent pas pressés de partir malgré l’heure de fermeture qui est largement dépassée et Cameron commence à être agacé. Il est fatigué et ce soir il a invité quelques-uns de ses amis à venir le rejoindre au restaurant pour qu’ils puissent manger un morceau et boire un peu sur le bras de son père. Ce dernier est d’ailleurs déjà parti, laissant le soin à son fils de fermer l’établissement dès que les derniers clients seront partis. « Tu restes toujours manger ce soir? » demande Cameron à son collègue Raphael tout en nettoyant le comptoir. Avec la timidité de Raph, Cam était persuadé qu’il refuserait son invitation s’il savait qu’il avait invité plusieurs de ses amis à se joindre à eux, il avait donc plutôt fait croire au brun que l'un de leur collègue allait passer la soirée avec eux à la fin de la soirée. « Ça suffit, j’en ai marre. » L’air innocent, il ferme le radio comme si de rien était, ce qui attire inévitablement l’attention du couple toujours présent qui réalise qu’ils sont seuls. Ils se lèvent enfin et Cam leur adresse son plus beau sourire tandis qu’il les fait payer. Aussitôt qu’ils sortent de l’établissement, il verrouille la porte derrière eux. « BON! Enfin. » Il détache son tablier qu’il lance sur le comptoir près de la caisse enregistreuse qu’il se dépêche de compter pour enfin pouvoir s’ouvrir une bière. Il n’a pas l’âge et il s’en fou. Tandis qu’il porte sa bouteille à ses lèvres pour en prendre une gorgée, il en prend une deuxième qu’il tend à Raphael. « Tu veux une bière? » Sans même attendre sa réponse, il dépose les bouteilles sur le comptoir et il part un instant vers l’arrière du restaurant pour ouvrir la porte à ses amis. « Entrez! On va faire ça à l’avant. » Deux garçons et deux filles suivent Cameron en direction de la salle à manger. Il fait les présentations rapidement puis il prend place à une table après avoir repris sa bière. L’une des filles le suit et s’assoit sur ses cuisses. « C’est la Saint-Valentin, tu ne passais pas la soirée avec ta copine? » demande l’un des garçons avant que la jeune femme assise sur les cuisses de Cameron n’ajoute : « Ou ton copain. » Ils se mettent à rire en observant attentivement Raphael en attendant sa réponse.
Cela faisait maintenant quatre ans que Raphael s’était cassé la cheville et, pourtant, malgré les mois de convalescence et tous ces œufs qu’il avait avalés pour s’apporter un apport en vitamines D, le danseur sent toujours un tiraillement dans son os à chaque fois qu’il se tient sur une jambe. Ses auditions ne se passent jamais comme il le voudrait : il trébuche parfois, perd l’équilibre, loupe quelques figures qu’il arrivait pourtant à exécuter avec la grâce d’un cygne avant son accident et accumule les regards désintéressés des juges. Quatre ans qu’il passe devant l’école de danse de ses rêves en se mordant l’intérieur des joues à un tel point que ce dernier est aujourd’hui lacéré de minuscules cicatrices bosselées. Quatre ans qu’il voit son futur tomber en petites miettes plus les années passent et moins il est un adorable petit garçon qui pourrait au moins charmer les foules avec sa bouille. Il est trop vieux, aujourd’hui, et il a conscience qu’il devrait se bouger le cul avant que ce soit trop tard pour avoir une véritable carrière.
Traînant son sac de danse sur son épaule, Raphael se rend au restaurant où il travaille depuis seulement deux semaines. Sa moue est triste, comme à chaque fois qu’il se ridiculise lors d’une audition. Autour de quinze heures, il enfile son tablier de serveur et se cache dans la salle des employés le temps de se reposer un peu. Il n’a pas beaucoup dormi, comme à chaque fois qu’il passe une audition. Il ne sait pas gérer son stress et son médecin lui a même dit que l’acné qui le suit depuis sa puberté tache probablement ses joues et son cou parce qu’il est trop tendu. Il n’arrive pas à respirer correctement. Mais il fait des efforts. Malgré sa phobie sociale, il a accepté de passer la soirée avec Cameron, l’un de ses collègues. Il s’est dit qu’il arriverait peut-être à se détendre un peu s’il avait du plaisir. Il a l’air d’un type plutôt sympa, ce Cameron, alors il lui fait confiance. Il devrait pouvoir arriver à enfiler plusieurs mots à la suite de l’autre s’il connait tous les gens qui participeront à la petite soirée (trois ou quatre collègues, maximum, il pensait).
La soirée est mouvementée pour une raison particulière : c’est le jour de la Saint-Valentin. Raphael ne pourrait même pas l’oublier s’il le souhaitait parce que la décoration rouge et rose domine sur la salle à manger. Il trouve un cœur partout où il pose les yeux et, partout où il pose les yeux, il se rappelle qu’il est célibataire depuis toujours. Qui voudrait bien d’un garçon comme lui, de toute façon ? Certainement pas Diana qui est trop occupée à briller à des kilomètres de lui. Un soupir s’échappe de ses lèvres quand il passe à la salle de bains pour faire une pause autour de vingt-et-une heures. Il se sent collant, dégoûtant, alors il se nettoie le visage avec une serviette humide. Une heure plus tard, la fermeture du restaurant annonce qu’il peut enfin retirer son tablier et s’asseoir un moment pour masser sa jambe endolorie. À sa droite, Cameron lui adresse la parole. Il relève la tête en envoyant ses mèches bouclées valser vers l’arrière. Il étire ses lèvres en un sourire forcé en hochant de la tête. « Ouais, je reste. » Trop timide pour alimenter la conversation, il la condamne aussitôt en se relevant pour aller nettoyer les tables. Des clients tardent à quitter les lieux mais, évidemment, ce n’est pas Raphael qui dirait quoi que ce soit pour qu’ils décollent leurs fesses d’amoureux de la chaise. C’est Cameron qui s’occupe de les faire fuir en coupant la radio et en leur présentant la machine qui gobe les cartes de crédit. Raphael rit doucement, discrètement, sans bruit, dans le coin de la salle. « BON! Enfin. » Le garçon retire lui aussi son tablier, le plie avec attention et le pose respectueusement près de celui de Cameron. Ce n’est pas lui qui compte les caisses parce qu’il est le petit nouveau. On ne lui mettrait pas des billets verts entre les mains. « Tu veux une bière? » Il entrouvre les lèvres pour refuser mais il n’a pas le temps d’émettre la moindre objection qu’une bouteille glisse jusque devant ses yeux. Il l’observe longuement avec une pointe d’embarras dans le regard mais il finit par l’attraper. Il se trouve ridicule à tenir une bière fermée dans ses mains sans savoir quoi faire pour en retirer le bouchon. Il n’a pas trop le temps de réfléchir à l’énigme que Cameron disparait dans un voile de fumée pour aller ouvrir la porte à… quatre personne que Raphael ne connait pas. Il remarque les filles en premier lieux, perchées sur des talons impressionnants et dont les jambes touchent le ciel. Il voit leur maquillage, leurs yeux colorés, leur cils noircis, et il avale difficilement sa salive. Il détourne la tête et fait mine de contempler ce magnifique mur. Il tente de jouer les cool en posant son coude sur le comptoir et en se courbant légèrement le corps. Grand comme il est, il ressemble à un lampadaire qui menace de tomber dans une tempête de neige. « C’est la Saint-Valentin, tu ne passais pas la soirée avec ta copine? » Il relève les yeux, deux billes grandes ouvertes et bleues, et interroge le garçon du regard comme s’il n’avait pas entendu sa question. « Ou ton copain. » Il pivote la tête en direction de celle qui a déclenché une vague de rires. Elle est assise sur Cameron comme s’il n’y avait rien de plus naturel pour elle. Il ne savait pas qu’il avait une copine (il ne lui a jamais posé la question). « Euh n-non j’ai. » Sa voix casse, il se racle la gorge et reprend aussitôt : « J’ai personne. Fier céliba-bataire. » Il serait presque crédible dans son rôle s’il n’avait pas bégayé. « Je ne savais pas que toi… Cameron… Tu avais quelqu’un. » Il dit en s’efforçant de sourire à la jeune femme, bien qu’il soit rouge comme un arrêt stop. Il coince le bouchon de sa bière entre sa paume et tente de le décrocher de la bouteille mais il ne fait que se gratter la peau avec le contour ciselé. Il tente de capter le regard de Cameron caché derrière la silhouette de la jeune femme qui s’est installée sur ses cuisses. Il est le seul qu’il connait et il a besoin d’une bouée sur laquelle s’accrocher. Bientôt, toutes les mains sont tendues vers la caisse de bière et les goulots sont posés sur les lèvres. Timidement, Raphael tend la main vers l’ouvre-bouteille (c’est donc ça qu’il lui fallait) et arrive finalement à ouvrir la sienne. Un petit jet de vapeur amère s’en échappe et il retrousse les narines en sentant l’odeur d’urine. Il goûte l’alcool et grimace. Ce n’est pas bon, ce truc. Évidemment, les autres ne manquent pas l’occasion de le taquiner un peu. « C’est pas ta première bière, tout de même ? » Il secoue vivement la tête de droite à gauche. Noooon… Non ! NON ! Comment devrait-il répondre pour que son mensonge ne soit pas repéré ? « Nope ! » Mauvais choix. Tous les yeux sont hilares et de nouveaux rires s’élèvent dans la pièce. Raphael se joint timidement à eux en cachant sa bouche derrière sa paume puis il arrive enfin à capter le regard de Cameron. Il murmure : « Où sont Alice et Daniel ? » C’était bien eux qu’il allait voir, ce soir, non ? Leurs collègues qu’il avait déjà rencontrés.
En réalité, Cameron trouve Raphael assez sympathique même s’il trouve qu’il a l’air d’avoir un balai dans le cul en permanence. À part lorsqu’ils travaillent ensemble, les deux garçons n’ont jamais passé de temps ensemble et la façon dont Raph se comporte sur leur lieu de travail suffit à convaincre Cam que son collègue ne sait probablement pas lâcher son fou et s’amuser avec d’autres personnes. Il a l’air trop timide et peu sûr de lui, le parfait mélange pour que les autres invités ce soir se divertissent. Ils viennent d’ailleurs à peine d’arriver qu’ils se mettent à questionner le pauvre Raphael sur sa vie amoureuse. Un sujet qui, ils le devinent, devrait le rendre mal à l’aise. « Euh n-non j’ai. » Les sourires de la bande s’agrandissent et la jeune femme assise sur les cuisses de Cameron avance légèrement la tête en haussant les sourcils. « Tu as? » Elle mâche bruyamment son chewing-gum en l’observant attentivement, un sourire moqueur au coin des lèvres. « J’ai personne. Fier céliba-bataire. » D’après le Lewis, Raphael n’a pas l’air si fier que ça, il a surtout l’air du type de personne qui est trop gêné pour faire part de ses sentiments à l’élu de son cœur et qui attend dans l’espoir que la personne fera le premier pas à sa place. « Awhhhhhhh, c’est beau! C’est important d’être bien avec soi-même. » Il fait mine d’être attendri en posant l’une de ses mains sur son cœur en regardant furtivement ses amis pour qu’ils approuvent ses paroles. « Je ne savais pas que toi… Cameron… Tu avais quelqu’un. » Il rit en plongeant son regard dans celui noisette de la jeune femme à qui il caresse la cuisse d’une main. « Je n’ai personne. On aime juste ça… s’amuser. N’est-ce pas? » La jeune femme acquiesce puis agrippe son visage à deux mains pour l’embrasser. Lorsque leurs lèvres se séparent enfin, Cam pose les yeux sur son collègue. « Je peux te la prêter pour ce soir si tu veux passer un bon moment en charmante compagnie… » Il lui adresse un clin d’œil en riant tandis que le regard de la blonde se promène sur la silhouette de Raphael de haut en bas sans aucune discrétion.
C’est seulement au bout de quelques minutes que Raphael réussit à ouvrir sa bouteille de bière, non sans difficultés. Ayant remarqué ses vaines tentatives pour décapsuler sa bouteille, l’un des garçons le soupçonne de n’avoir jamais bu de bière auparavant et il le questionne à ce sujet. « Nope ! » Personne ne le croit évidemment et sa réponse ne fait que faire rire davantage les autres qui ne comptent plus les cuites qu’ils se sont pris dans la dernière année. « T’inquiète, personne ne va le dire à mon père. » le rassure Cameron en espérant le mette suffisamment à l’aise pour qu’il se permette de boire assez pour que sa langue se délie une fois qu’ils aborderont les sujets croustillants. Il assume à tort que son collègue est mineur comme lui, peut-être un peu influencé par le visage imberbe du brun. « Où sont Alice et Daniel ? » Leurs fameux collègues avec qui ils devaient supposément passer la soirée ce soir. « Oh ils ne pouvaient pas venir finalement, j’ai oublié de te le dire pardon. » À dire vrai, il ne les a jamais invités mais il ne veut pas que Raphael se doute de quoi que ce soit et comme il a l’air un peu naïf, Cam est persuadé que son mensonge ne sera pas découvert par son collègue. « J’espère que ça ne te dérange pas que j’aie invité quelques-uns de mes amis à la place? » demande-t-il en affichant un sourire innocent tout en se levant pour mettre un peu de musique. « Allez, on joue à un jeu! Vérité conséquence, tu connais? » demande-t-elle à Raphael sans vraiment attendre sa réponse. Tout le monde connait ce jeu même sans y avoir joué. « Vérité ou conséquence? » La jeune femme frotte ses mains ensemble tandis qu’elle réfléchit à la question qu’elle posera au brun qui a choisi vérité. « Tu avais quel âge lors de ton premier baiser? » Elle décide de ne pas commencer avec les questions les plus croustillantes tout de suite. Le meilleur était à venir.
Des gens. Beaucoup de gens. Trop de gens. Seulement cinq personnes, mais c’est déjà trop pour un Raphael qui ne sait pas comment se positionner dans une telle situation. Il bouge dans tous les sens, pose son coude sur le comptoir, se redresse une seconde plus tard, croise ses chevilles, se glisse la main dans la poche, la ressort pour replacer son col, jette un coup d’œil autour puis sur la jeune femme assise sur Cameron. Il ne trouve rien de plus à dire que de commenter leur relation à tous les deux. « Je n’ai personne. On aime juste ça… s’amuser. N’est-ce pas? » Il déglutit difficilement et tourne les yeux juste assez vite pour ne pas les voir s’embrasser, tous les deux. Ils font prolonger le baiser et, si les deux autres rigolent de bon cœur en les observant faire, Raphael préfère nommer toutes les races de chien dans sa tête. Labrador. Bouvier-Bernois. Malinois. Caniche. Colley. Chihuahua. « Je peux te la prêter pour ce soir si tu veux passer un bon moment en charmante compagnie… » Husky. Lévrier. Raphael ne comprend pas immédiatement que Cameron s’adresse à lui mais, quand un silence pesant suit, il réalise que tous les yeux sont rivés vers lui. « Hein, quoi ? Ah euh. » Il ne se permet même pas de regarder la jeune femme dont il est question. Il a terriblement envie de dire que les filles ne sont pas des jouets qu’on peut se partager mais il sait d’avance qu’il briserait l’ambiance en se lançant dans un discours féministe. Les femmes, il les admire, les adore, les jalouse. Il les observe de loin avec les yeux d’un fanatique. Et, de toute façon, son cœur est déjà pris par Diana même si cette dernière ne lui a jamais adressé la parole. Il attend seulement le bon moment pour l’approcher, c’est tout. « Non merci, c’est gentil de proposer ! J'attends la bonne ! » Il répond finalement en se raclant la gorge. Les yeux sont rieurs sauf les siens et, rapidement, l’amie de Cameron détourne le regard en soupirant.
Il aurait peut-être dû demander à ses pères comment s’ouvre une bière. Ces derniers lui ont expliqué avec détails la technique pour un rasage parfait (et il n’a toujours pas de poils sur le menton), lui ont appris les bonnes manières, les gestes à tenir, mais jamais ils ne lui ont dit le nombre de consommation qu’il faut boire avant de tomber dans les pommes. Raphael n’a jamais été un fêtard. Son intérêt est ailleurs. Alors, quand il trempe ses lèvres dans la boisson à l’urine, son visage crie l’inconfort à des kilomètres à la ronde. Ce n’est tout simplement pas bon. Mais il boit une seconde gorgée, puis une autre, son esprit étant trop occupé pour qu’il ne compte. Il pense à ses cheveux, ses fringues, s’assure qu’il n’a rien entre les dents en y passant la langue, il se rappelle l’acné sur ses joues qui lui donne une allure adolescente éternelle. « Oh ils ne pouvaient pas venir finalement, j’ai oublié de te le dire pardon. » C’est le genre d’information qu’il aurait aimé avoir, Raphael. S’il a accepté de passer la soirée ici, c’était seulement parce qu’il connaissait Alice et Daniel, qui étaient eux aussi ses collègues. Ils étaient moins extravertis que Cameron, aussi. Ces trois amis imprévus lui ressemblent un peu trop. Si les auras avaient une couleur, ils se partageraient certainement le rouge, ou le bleu. Non, sûrement le rouge, à les voir agir comme des adolescents en chaleur. « J’espère que ça ne te dérange pas que j’aie invité quelques-uns de mes amis à la place? » Il secoue la tête de droite à gauche en mimant une réponse négative avec ses lèvres et il reporte sa bière à ses lèvres en détournant les yeux. Peut-être qu’il arrivera à fuir en se trouvant une excuse. « Allez, on joue à un jeu! Vérité conséquence, tu connais? » Pourquoi lui adresse-t-elle la question à lui ? Oui il connait le jeu, non il n’a pas envie d’y jouer. Elle ne pourrait pas faire un effort et parler à ses amis, et l’ignorer lui ? Le laisser germer dans son coin. « Vérité ou conséquence? » Il réfléchit beaucoup trop longtemps. Ses neurones roulent à mille à l’heure. S’il choisit conséquente, ils vont peut-être lui demander de caler la bière, d’embrasser celle dont il ne connait toujours pas le nom, de voler un billet dans la caisse, de se jeter du toit – ON NE SAIT JAMAIS. « Vérité ! » Il lance alors, faussement sûr de lui, dos droit. La danse lui donne l’avantage d’avoir une posture parfaite : on pourrait presque croire qu’il est à l’aise (si on ne regarde pas son visage). « Tu avais quel âge lors de ton premier baiser? » « Embrasser un parent, ça compte ? » Il rigole nerveusement sous des yeux plein de jugement. Il se rattrape rapidement. « Eum, pas d’âge. Je n’ai jamais embrassé… De… De fille. Je croyais que ça paraissait ! » Il dit en se désignant. Un peu d’autodérision, il parait que ça aide à détendre l’atmosphère et à gagner des points auprès du public. Nouvelle occasion de boire deux gorgées de bière. « Ça parait un peu, oui. » S’esclaffe l’autre garçon dont il ne connait pas le nom, non plus. Il ne semblait pas rire avec lui, mais plutôt de lui. L’idée intimide Raphael qui baisse les yeux et oublie de renvoyer la question pour poursuivre le jeu.
« Cameron ! Mon beau Cameron… » Se languit la jeune femme sur ses genoux. « Vérité ou conséquence ? » Elle lui demande tout près de la bouche pour ensuite lui voler un autre baiser. C’est terriblement gênant. Le garçon choisit la seconde option et aussitôt elle rigole : « J’espérais que tu choisisses ça ! Va donc montrer à notre nouvel ami comment on embrasse ! Tu peux caler ta bière si ça t’aide. » Les yeux de Raphael deviennent gros comme des melons. Il secoue automatiquement la tête de droite à gauche, comme un mécanisme de défense. Et l’autre garçon soupire en levant les yeux vers le ciel. « Les filles, vous êtes vraiment des obsédées. Y’a rien de sexy à deux mecs qui s’embrassent. Par contre, deux filles ! » Il s’exclame en levant le doigt, pupille brillante. « C’est vous les obsédés. » Elle réplique en lui glissant un doigt d’honneur. Puis, comme si elle avait oublié que Cameron devait exécuter sa conséquence, elle se tourne vers lui, toujours assise sur ses cuisses, et lui dit : « J’espère que t’es pas un obsédé toi aussi. »
Raphael n’a pas l’air de ceux qui passent la nuit avec un parfait inconnu. Il est visiblement trop coincé pour ça, peut-être un peu trop sérieux aussi, et Cameron se doute de la réponse qu’il recevra de la part de son collègue avant même qu’il ne lui propose de lui laisser son amie qui est assise sur ses genoux. C’est d’ailleurs parce qu’il sait que son offre le fera réagir qu’il va de l’avant, sa réaction fera assurément rigoler l’auditoire et divertir ses amis est tout ce que Cameron cherche à faire ce soir, au détriment du pauvre Raphael qui accepté de passer la soirée avec lui sans se douter que son invitation n’était qu’un guet-apens. « Hein, quoi ? Ah euh. » Les adolescents échangent un regard moqueur tandis qu’ils attendent avec impatience de voir comment le jeune homme se débrouillera pour répondre à la proposition qu’il vient de recevoir. « Non merci, c’est gentil de proposer ! J'attends la bonne ! » Sa parfaite innocence fait rire les autres invités. « Tu veux attendre au mariage avant de faire quoi que ce soit, c’est ça? » demande-t-il d’un air innocent avant de se mordre l’intérieur de la joue pour s’empêcher de rire, ce que ses amis ne font visiblement pas. Du revers de la main, il frappe le bras de son ami assis à proximité. « Arrête de rire, il a bien le droit si c’est ce qu’il veut! » Cam lui fait les gros yeux avant de rapporter son attention sur Raphael à qui il sourit dans l’espoir de le rassurer et de le mettre en confiance, seulement pour l’écraser davantage un peu plus tard quand d’autres occasions se présenteront.
Lorsque Cameron demande à son collègue si ça le dérange qu’il ait invité certains de ses amis comme Alice et Daniel ne « pouvaient pas venir », il se doute que la réponse est oui, mais que Raphael n’osera pas le dire et ça l’amuse un peu plus. Il ne suffit que de porter moindrement attention à ses expressions faciales et à son teint pivoine pour comprendre qu’il est tout sauf à l’aise présentement. Malgré ça, le brun reste et tente de se fondre dans la masse pour ne pas décevoir ceux qui lui tiennent compagnie ce soir. Jusqu’où sera-t-il prêt à aller? « Vérité ! » répond-il lorsqu’une des jeunes femmes suggère de jouer à vérité ou conséquence et que le pauvre Raphael est la première victime de la soirée. Coincé comme il a l’air, c’est sans grande surprise qu’elle le questionne sur les rapprochements qu’il aurait pu avoir eus dans sa vie, débutant avec un simple baiser pour ne pas le faire fuir trop rapidement. « Embrasser un parent, ça compte ? » Les amis de Cameron s’échangent quelques regards et sans même qu’ils n’ouvrent la bouche, il comprend qu’ils se demandent sans doute quel genre d’énergumène il a invité ce soir. En attendant que Raphael réponde plus sérieusement à la question, l’hôte porte sa bière à ses lèvres en l’observant attentivement. « Eum, pas d’âge. Je n’ai jamais embrassé… De… De fille. Je croyais que ça paraissait ! » Personne n’est visiblement surpris de l’apprendre. « Ça parait un peu, oui. » confirme l’un des garçons en riant.
« Cameron ! Mon beau Cameron… » Le sourire étiré jusqu’aux oreilles, Cameron tourne la tête vers la jeune femme tout en caressant sa cuisse de sa main libre, sa bière dans l’autre main. « Vérité ou conséquence ? » Il fait mine de réfléchir un instant bien que son idée soit déjà faite. Il a bien l’intention de montrer à Raphael qu’il est prêt à tout, peu importe la conséquence sur laquelle il pourrait bien tomber. « Conséquence, duh. » répond-il finalement après avoir échangé un long baiser avec elle sous le regard des autres. « J’espérais que tu choisisses ça ! Va donc montrer à notre nouvel ami comment on embrasse ! Tu peux caler ta bière si ça t’aide. » Il fronce les sourcils en riant. « Je n’ai pas besoin de caler ma bière, mais merci. À moins que tu parlais à Raph. » Il désigne le brun d’un mouvement de tête tout en déposant sa bouteille de bière sur le comptoir à côté de lui. « Les filles, vous êtes vraiment des obsédées. Y’a rien de sexy à deux mecs qui s’embrassent. Par contre, deux filles ! » Cameron n’est pas d’accord et il le fait savoir en secouant vivement la tête et en levant l’un de ses index pour l’arrêter. « Deux gars ensemble ça peut être très sexy aussi, ça dépend juste des goûts. » Si son attirance pour la gent masculine lui a longtemps fait peur, il a depuis le temps appris à l’accepter et à être à l’aise avec cette facette de sa vie. « Vous êtes débiles. Faut que j’aille pisser. » Le jeune homme se lève et s’éloigne vers l’arrière du restaurant. « C’est vous les obsédés. J’espère que t’es pas un obsédé toi aussi. » Il hausse les épaules en riant, pas certain de quoi répondre à cette question qui le prend un peu par surprise. Il a toujours aimé s’amuser sans pour autant coucher avec quelqu’un de différent à chaque semaine. S’il attendait de rencontrer la bonne personne avant de faire quoi que ce soit, il serait encore dans la même position que Raphael considérant qu’il n’a encore jamais eu de relation sérieuse avec personne. « Je ne pense pas non, mais un peu de chaleur humaine de temps en temps ça fait du bien. Pas vrai Raph? » Doucement, il fait descendre la jeune femme de ses cuisses, replace ses cheveux du bout des doigts, puis se lève en humectant ses lèvres en passant sa langue sur celles-ci. Il s’approche de son collègue sans le quitter des yeux, son éternel sourire charmeur au coin des lèvres. « Je ne te ferai pas mal, promis. » Il s’arrête juste devant Raphael et il se penche légèrement vers lui en posant ses mains de part et d’autre de ses cuisses. Avant même qu’il n’ait le temps de franchir la distance qui sépare ses lèvres de celle du brun, son ami qui s’était éloigné revient avec un sac dans une main. « C’est quoi ça?! » Sauvé in extremis. Cameron se redresse et se retourne vers le jeune homme qui laisse le sac tomber au sol et qui en sort un costume qui n’a absolument rien de masculin. « C’est quoi, le soir tu te transforme en drag queen? » Il place le costume devant lui comme s’il le portait et il se met à danser de façon ridicule sous les rires de tout le monde – sauf Raphael. « Ah mais attennnnnnnnnds! T’as dit que tu n’avais jamais embrassé de filles… Je comprends ce que tu voulais diiiiiiiiiire! Ce qui te fait de l’effet, ce n’est pas un beau décolleté, en fait, c’est plutôt des biceps bien musclés, une mâchoire carrée… T’es une tapette en fait! » s’exclame-t-elle, fière d’avoir découvert son secret, elle en est persuadée.
L’étau se referme de plus en plus sur le corps du cochon qui se fait trainer jusqu’à l’abattoir. Si Raphael est un garçon plutôt naïf en temps normal, il n’a pas de mal à sentir la pression qui s’exerce sur lui depuis que les amis de Cameron se sont joints à eux sans qu’il ne puisse donner son avis. Tous ces gens ne lui ressemblent pas : ils sont extravertis, tactiles, leurs yeux s’accrochent à ceux des autres sans problème, et Raphael ne peut que baisser la tête pour ne pas se sentir bouffer de l’intérieur. Un nid de termites entier qui lui rongent les entrailles petit à petit pour mieux lui voler son assurance (s’il en a déjà eu). « Tu veux attendre au mariage avant de faire quoi que ce soit, c’est ça? » Il ne veut plus être le centre d’attention. Il a bien conscience qu’il est le petit nouveau, celui que la bande connait le moins, mais il serait prêt à sacrifier quelque chose d’immense pour se sortir de là en un seul morceau. Les rires s’emboitent, les regards amusés se partagent, quelques murmures moqueurs s’élèvent. Raphael n’arrive pas à répondre à la question tellement sa gorge est nouée. Va-t-il vomir ? Sûrement pas, il n’a pas mangé depuis ce midi. À moins que ce ne soit la bière qui remonte dans sa bouche, même s’il n’a avalé que quelques gorgées. « Arrête de rire, il a bien le droit si c’est ce qu’il veut! » Il relève enfin les yeux pour observer Cameron, capte son sourire rassurant et lui renvoie presque le même, seulement avec beaucoup plus de réserve et de gêne. Au moins, il a un allié (peut-être ???). Quelques instants plus tard, il se voit contraint à admettre qu’il n’a jamais embrassé personne et ses joues se teintent de rouge carmin tandis que les sarcasmes continuent pour le fusiller davantage. Un homme à terre. Mayday, mayday.
Heureusement, le jeu continu et les questions sont posées aux autres participants. Raphael peut se permettre de se retirer un peu pour reprendre son souffle. D’une oreille attentive, ses sens aiguisés parce qu’il cherche le moindre signal de tension, Raphael observe curieusement la suite des événements lorsque, soudainement, il devient à nouveau la victime d’un mauvais coup. Cameron n’aurait pas dû choisir « conséquence » ; évidemment que sa bande allait continuer à s’acharner sur le nouveau. « Je n’ai pas besoin de caler ma bière, mais merci. À moins que tu parlais à Raph. » Non, non, il veut rester très lucide afin de prendre ses jambes à son cou et fuir d’ici. Malheureusement, ses jambes restent pétrifiées pendant que le débat continue et, secrètement, il espère que Cameron oublie de réaliser sa conséquence. À vrai dire, il ne comprend absolument rien de cette discussion et il ne pourrait jamais avoir d’avis sur la question puisqu’il n’a jamais fantasmé à l’idée d’être dans les bras d’une fille, ni d’un garçon. Il n’a jamais compris, d’ailleurs, pourquoi le monde entier tournait autour de la notion de la sexualité. La danse sensuelle dans les clubs, les publicités de parfum qui affichent plus les courbes féminines que le produit à vendre, les paroles des chansons qui font l’éloge des parties de jambes en l’air. Rien de tout ça n’a jamais parlé à Raphael. « Je ne pense pas non, mais un peu de chaleur humaine de temps en temps ça fait du bien. Pas vrai Raph? » Eum. Non. Non, justement. Raphael s’en fiche complètement de la chaleur humaine. Ses boucles balaient son visage tandis qu’il secoue la tête de plus en plus vite alors que le garçon s’approche dangereusement de lui pour le coincer entre son corps et le comptoir du bar. Son cœur hurle dans sa poitrine, il veut en sortir pour rejoindre un autre corps, mais ses artères l’empêchent de se décrocher. « Je ne te ferai pas mal, promis. » Il aimerait vomir à son visage ; c’est la vérité. Mais son corps entier est pétrifié, il a même oublié de respirer, il sent sur ses cuisses les mains de Cameron plus lourdes que la gravité, il veut pousser un son mais même ses cordes vocales l’ont abandonné pour le laisser à lui-même. T’es seul Raph, tu as toujours été seul, alors assume les conséquences (littéralement).
Tant pis. Il mourra ce soir.
« C’est quoi ça?! » Le temps semble s’arrêter. Les yeux du jeune homme sont fermés tandis qu’il attend que le supplice se termine. Mais, seulement quand Cameron se décolle de lui, il rouvre les paupières. Les autres sont en train de se moquer de son costume de danse et, si en temps normal ce costume le rassure et le réconforte, maintenant il le déteste. « C’est quoi, le soir tu te transforme en drag queen? » « Non… Non c’est… » Qu’est-ce qu’il pourrait bien dire ? Évidemment qu’il est au courant qu’il pratique un sport qui attire davantage les filles. Il a longtemps été le seul garçon présent aux cours de danse. Maintenant, ils sont deux. Un autre garçon qui lui ressemble beaucoup, d’ailleurs, et qui est beaucoup plus gentil que tous ces idiots qui rient comme des hyènes autour de lui. « C’est de-de la danse classique, on di-dirait pas mais c’est di-difficile comme sport. » À quoi bon se justifier ? Il se fera lapider dans tous les cas. « Ah mais attennnnnnnnnds! T’as dit que tu n’avais jamais embrassé de filles… Je comprends ce que tu voulais diiiiiiiiiire! Ce qui te fait de l’effet, ce n’est pas un beau décolleté, en fait, c’est plutôt des biceps bien musclés, une mâchoire carrée… T’es une tapette en fait! » Le terme péjoratif qu’elle emploie lui dresse les poils sur les bras. Ses pères ont vécu les moqueries et la violence, même, se faisant traiter de tapette ou de fifi à tout va parce que l’homosexualité était incomprise et crainte à leur époque. Il a entendu les pires histoires, a vu les larmes dans leurs yeux quand ils racontaient qu’ils devaient faire semblant d’aimer les femmes en grandissant pour ne pas souffrir. Et, soudain, ce sont les yeux de Raphael qui se gorgent de larmes tandis qu’il serre les poings pour les empêcher de trembler. Oh, il aurait bien envie de frapper dans un mur parce que les vautours ont dépassé les limites. « Et t’es une connasse, en fait ! » QUOI ? Il vient vraiment de dire ça ?! Non, impossible. Il doit avoir rêvé. Hélas, en voyant les yeux tout ronds de la jeune femme, il comprend que les injures sont véritablement sorties de sa bouche. Il baisse à nouveau la tête sous le silence pesant dans la salle, parce que personne ne s’était imaginé que Raphael pourrait tenir de tels propos. Il ressemblait à la parfaite victime. Une parfaite victime impulsive, il faut le savoir. « Excuse-moi ? » L’autre demande enfin dans un pouffement de rire sarcastique. Elle croise ensuite le regard de Cameron, insistante : « Tu comptes faire quelque chose avec ton nouveau meilleur pote ? T’as bien entendu ce qu’il vient de me dire ? » Les trois autres témoins se contentent de cacher leur bouche avec leur main parce qu’ils s’empêchent d’exploser de rire. Heureusement, comme s’il avait compris qu’il ne valait mieux pas s’attaquer à Raphael, le garçon qui s’amusait à se dandiner avec son costume de danse l’avait reposé dans le sac, là où il l’avait trouvé. C’était déjà de l’histoire ancienne pour lui.
À moins que Raphael ne se transforme du tout au tout à la tombée de la nuit comme les créatures dans les romans fantastiques, Cameron a du mal à croire qu’il a les couilles pour se transformer en drag queen comme le suppose son amie. Il n’y connait pas grand-chose, mais les quelques fois où il est tombé sur des émissions de télévision sur le sujet, les hommes semblaient être plein d’assurance, ce que Raphael n’est visiblement pas. « Non… Non c’est… » La jeune femme rit en lançant un regard aux autres avant de rapporter son attention sur sa victime, les sourcils haussés. « C’est? » Elle secoue doucement la tête de droite à gauche sans le quitter des yeux pour lui mettre la pression. Le malaise du brun est palpable à des kilomètres à la ronde et plus il s’accroît, plus les intimidateurs sont motivés à se moquer de lui. Ils veulent le pousser à bout, voir combien de temps encore il réussira à encaisser leurs moqueries avant de craquer. « C’est de-de la danse classique, on di-dirait pas mais c’est di-difficile comme sport. » Cameron fronce les sourcils tandis qu’il reprend sa bière posée un peu plus tôt sur le comptoir. « De la danse classique, c’est du ballet ça? » Il prend une gorgée de sa bière, une lueur espiègle dans le regard. « Ça veut dire que tu arrives à te tenir sur la pointe des pieds et tout? » Il essaie, mais il perd rapidement l’équilibre et renverse une partie de sa bière en riant. Oups. C’est à ce moment que l’image de Raphael en collant moulant lui traverse l’esprit et qu’il se met à rire avant de pointer son ami qui a trouvé le sac de Raph. « Hey, tu devrais t’inscrire, toi qui aimes ça exhiber ton anaconda devant tout le monde. Un petit suit moulant, ça ne te tente pas? » demande-t-il en s’empoignant l’entre-jambe avant de frapper du revers de la main l’épaule de son ami pour le taquiner.
Finalement, blondie croit avoir percé le mystère qu’est Raphael et elle n’y va pas de mains mortes lorsqu’elle émet son hypothèse. En une fraction de seconde, l’attitude de leur victime change comme si les propos vexants de la jeune femme lui avaient insufflé une force insoupçonnée. « Et t’es une connasse, en fait ! » Surpris par la réaction de son collègue, Cameron recrache un peu de bière en s’étouffant. Oh qu’elle ne trouve pas ça drôle blondie qu’il montre les crocs. « Excuse-moi ? » À la recherche d’un allié pour la défendre, la jeune femme tourne la tête vers Cameron qui lève les deux bras de part et d’autre de sa tête d’un air innocent dès que leurs regards se croisent, le corps toujours un peu secoué par la toux. « Tu comptes faire quelque chose avec ton nouveau meilleur pote ? T’as bien entendu ce qu’il vient de me dire ? » Pour ne pas rire, Cam pince les lèvres en hochant la tête. Bien évidemment qu’il a entendu et il faut dire qu’elle l’a un petit peu cherché. « Tu veux que je fasse quoi? Que je le sorte d’ici à coups de pieds au cul? » Il plisse les yeux et lance un regard en direction de Raphael en secouant la tête négativement d’un air amusé. Pourquoi mettrait-il fin à ce spectacle qui l’amuse autant? Tant pis pour elle si elle réalise qu’elle n’a pas autant d’importance à ses yeux qu’elle le croyait. Cameron n’en a rien à faire de la blonde, il n’a pas de sentiments pour elle, elle n’est que sa distraction du moment. Ça ne lui fera pas de peine si elle décide de couper les ponts avec lui suite à cette soirée, il sait qu’il trouvera quelqu’un d’autre avec qui passer du bon temps sans trop de difficulté. « Ohhhhh arrête de bouder! » Il tente d’agripper son bras pour l’attirer vers lui, mais la blonde se dégage de son emprise, frustrée. « Vas chier Cameron. » Alors qu’elle s’éloigne pour quitter le restaurant, Cameron se penche vers Raphael en grimaçant. « Oups, madame est frustrée je pense. » Il reprend sa bière et la cale en souriant. L’instant d’après, il se tourne vers Raphael à qui il donne une grosse tape dans le dos. « Bon, on en était où mate? » Ah oui, le baiser! « Pourquoi on ne va pas dans un bar? Tu pourrais nous montrer tes move de danse! Tu dois être pas mal pour te déhancher! » Le sourire aux lèvres, Cameron replace une mèche de cheveux de Raphael du bout des doigts.
« De la danse classique, c’est du ballet ça? » Raphael a l’habitude de ce genre de moquerie. Ce n’est pas pour rien qu’il est le seul garçon à se présenter aux cours de danse classique tous les soirs. Son enseignante pense qu’il a énormément de talent et c’est la raison pour laquelle il s’accroche à ses rêves et sa passion. « Ça veut dire que tu arrives à te tenir sur la pointe des pieds et tout? » Le problème, ce n’est pas les propos, mais celui qui les articule. Il avait confiance en Cameron et il attendait cette soirée avec hâte. Il pensait avoir un ami. Et voilà que ce soi-disant ami l’exhibe comme une bête de cirque. Il se retient de justesse de ne pas tomber en larmes. Il détourne les yeux lorsque l’autre garçon tente d’exécuter une figure sans succès. Évidemment qu’il n’arrivera pas à se mettre sur la pointe des pieds. Le ballet, c’est un sport qui demande énormément de solidité et de discipline. Cameron n’a rien de tout ça. « Hey, tu devrais t’inscrire, toi qui aimes ça exhiber ton anaconda devant tout le monde. Un petit suit moulant, ça ne te tente pas? » Une grimace traverse son visage lorsqu’il aperçoit du coin de l’œil la gestuelle vulgaire de son collègue mais il profite de ces quelques secondes qui ne le concernent pas pour analyser du regard les alentours. Il repère la sortie, son sac de sport qui traîne aux pieds de la bande hilare et son costume de danse qui se fait passer de mains en mains. Le temps semble s’être arrêté alors qu’il élabore un plan pour s’enfuir le plus rapidement possible. S’il ne l’exécute pas assez rapidement, il tombera dans les pommes.
Mais le voilà confronté à une insulte qu’il ne laissera jamais passer. Il n’existe pas de tapettes ; seulement des garçons amoureux d’autres garçons, et des filles amoureuses d’autres filles. Même si Raphael n’a jamais pu se coller d’étiquettes dans le front, il se sent personnellement attaqué quand la fille devant lui emploie de telles injures. Elle parle de ses pères, là. Les deux hommes qui prendront soin de lui jusqu’à ce qu’il quitte le nid familial, et plus longtemps encore. « Excuse-moi ? » S’offusque celle qui vient d’être traitée de connasse. Elle ne s’attendait pas à un tel ouragan : Raphael non plus. Il arrive encore à se surprendre de temps en temps. Il met la faute sur le petit hamster dans sa tête qui roule et roule sans lui demander conseil avant d’appuyer sur le gros bouton rouge qui déclenche une explosion. La vexée tente de chercher de l’aide auprès de Cameron. « Tu veux que je fasse quoi? Que je le sorte d’ici à coups de pieds au cul? » Il croire le regard de celui-ci et reste complètement impassible comme si un mur avait été érigé entre eux. Il reste muet devant la comédie dramatique qui se déroule ensuite sous son nez. La blonde lève le ton et déguerpi en tapant des talons. Quoi ? Il a manqué un épisode, là. Vient-il de briser un couple ? Naaaah… Vraiment ? « Bon, on en était où mate? » C’est l’ébranlante tape qu’il reçoit dans son dos qui le sort de sa confusion. Il retombe sur terre, rougi, le souffle court, comme s’il venait d’exécuter une routine de danse classique qui aurait drainé toute son énergie. Sa proximité avec Cameron le dérange toujours et la boule qui se forme dans son ventre est de plus en plus étouffante. « Pourquoi on ne va pas dans un bar? Tu pourrais nous montrer tes move de danse! Tu dois être pas mal pour te déhancher! » Il plonge ses yeux noirs de rage dans les siens et attrape vivement son poignet quand il se permet de toucher ses bouclettes. Il serre assez fort pour lui broyer les os. Il est fort, le danseur à jupons. Plus que Cameron ne pourrait le penser. C’est pour cette raison que son corps tombe lourdement au sol lorsque Raphael le pousse de toute sa force brute. « Va te faire foutre ! » Il lance, laissant à nouveau son hamster cervical prendre les rênes. Puis, c’était comme s’il ne voyait plus les autres parce qu’il les bouscule un à un avec son épaule pour récupérer son précieux sac. Seulement à la sortie du restaurant, il crache à l’intention de Cameron : « Tu peux dire à ton père que j’ai donné ma démission. » Puis son majeur se lève et, seulement dehors, quand le vent frais vient caresser ses joues brûlantes, son dos se recourbe, sa tête se rentre entre ses épaules et ses yeux se mouillent. Il peine à ralentir son souffle. L’adrénaline s’est envolée aussi rapidement qu’elle est apparue pour le sortir de cette situation humiliante.
@Cameron Lewis J'ai même pas pris de retard Tu peux archiver quand tu auras lu.