| | | (#)Ven 15 Oct 2021 - 0:45 | |
| charlie & anwar distant lightYour heart is full of broken dreams, just a fading memory and everything's gone but the pain carries on, lost in the rain again when will it ever end ? The arms of relief seem so out of reach but I, I am here, I am with you, I will carry you through it all, I won't leave you, I will catch you when you feel like letting go 'Cause you're not alone. ☆☆☆ Deux jours. C’était le temps qu’il lui restait avant la fin de son arrêt maladie, et le rendez-vous fixé à la première heure avec le chef de service du commissariat. Ceux qui venaient de s’écouler Anwar les avait passés à errer dans son appartement, les trois premiers depuis le fond de son lit à couver quelque chose de très probablement psychosomatique, tout en étant suffisamment convaincant pour que Maze s’en inquiète et prenne elle-même l’initiative de faire déplacer un médecin. Un gros coup de fatigue, c’était ce qu’avait dit le bonhomme en lui prescrivant du repos et des vitamines qui auraient probablement plus d’effet si le policier ne les gobait pas exclusivement avec du café – mais Anwar savait que ce n’était pas que cela. Il n’était pas simplement fatigué, et le problème ne serait pas miraculeusement réglé dans deux jours. C’était plus compliqué, plus profond aussi, et ces quarante-huit heures qu’il lui restait à disposition il savait qu’il devait les mettre à profit pour poser des mots sur la situation afin d’éviter qu’elle ne lui échappe pour de bon. Au milieu de tout cela il y avait eu Charlie, dont le message s’était manifesté en milieu de semaine et dont on sentait qu’elle oscillait entre l’envie d’user de sa verve habituelle et celle de lui faire comprendre qu’elle se souciait réellement de son absence. L’inspecteur n’avait pas commis l’affront de s’assurer qu’elle avait bien fait ce qu’elle lui avait demandé en récupérant le dossier qui dormait dans un tiroir de son bureau – il savait qu’elle l’avait fait – mais il lui avait en revanche proposé de passer chez lui après le travail, et désormais c’était elle qu’il attendait. Pour la première fois de la semaine il avait l’effort d’un jean et d’un t-shirt propre, en lieu et place du jogging qu’il traînait depuis des jours, et donné un coup de peigne dans ses cheveux ainsi qu’un coup de rasoir ici et là pour redonner à sa barbe une allure décente. Et contre toute attente la chose lui avait fait du bien, plus qu’il ne l’aurait imaginé, assez pour qu’en croisant son reflet dans le miroir du couloir il se trouve une meilleure mine que les jours précédents. Sur son perchoir dans un coin du salon Ibis passait son bec entre ses plumes vertes avec application, songeant probablement déjà à la façon dont il ferait tourner Maze en bourrique lorsqu’elle rentrerait à l’appartement, mais réclamant de l’attention et quelques cacahuètes à la seconde où Anwar était revenu dans la pièce. En avalant lui aussi une ou deux au passage, le brun avait par habitude passé un coup d’eau sur le reste de vaisselle qui attendait encore d’être faite dans l’évier, et répondu au SMS de Lene lui demandant confirmation qu’il passerait bien récupérer Alma le lendemain matin. Elle n’avait pas posé de questions lorsqu’il lui avait demandé de la garder avec elle toute la semaine, et il soupçonnait Talia d’avoir glissé un mot à ce sujet – il lui en était reconnaissant, dans tous les cas. Il n’en aurait pas profité, et avait probablement vraiment besoin de ces jours de repos que le médecin lui avait prescrit. Charlie et lui n’avaient pas convenu d’une heure précise à son arrivée, tous les deux bien placés pour savoir que dans un commissariat personne n’était jamais à l’abri d’un imprévu. Pour cette raison, il ne se serait pas non plus offusqué si elle avait dû annuler à la dernière minute, mais lorsque la sonnette de l’entrée avait retenti il n’avait eu aucun doute quant au fait qu’il s’agissait de la jeune femme. Passant une main sur son visage comme pour tenter d’en chasser les derniers signes de fatigue, il avait jeté un oeil du côté d’Ibis pour s’assurer qu’il ne guettait pas la porte dans l’espoir de s’y engouffrer, puis ouvert à sa collègue en forçant un sourire « Ça y’est, on a fini de lutter contre le crime pour aujourd’hui ? » Une cape et un masque bandeau, voilà ce qu’ils auraient dû réclamer à la dernière campagne de renouvellement des tenues et des équipements du poste. « C’est gentil d’avoir accepté de passer. Viens, entre. » Se décalant pour la laisser entrer, il avait refermé la porte derrière eux et adressé un sifflement réprobateur à son perroquet lorsque ce dernier avait gratifié la nouvelle arrivante d’un croassement curieux. « Tu t’en sors bien, certains reçoivent une insulte en guise de premier contact. » Et en matière d’insulte le volatile avait un vocabulaire étonnamment riche … De là à dire qu’il le devait à son propriétaire, il n’y avait qu’un pas. « Tu veux boire quelque chose ? » Lui désignant les tabourets entourant l’îlot de cuisine, il n’avait finalement pas attendu après sa réponse pour sortir deux verres d’un placard.
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| | | | (#)Mer 20 Oct 2021 - 4:17 | |
| Dans d’autres circonstances, Charlie aurait pris un malin plaisir à ouvrir le dossier demandé par Anwar et à l’explorer sous toutes ses coutures, ne se contentant pas seulement d’en lire chaque mot mais bien en cherchant à trouver les sous entendus, les secrets, les énigmes. Elle aurait revêtu sa casquette de Sherlock, quand bien même cette dernière n’existe pas dans les livres de Sir Conan Doyle. Qu’importe. Cette tâche lui aurait fait passer le temps, l’aurait occupée entre l’absence de ses enfants et l’omniprésence étouffante d’un mari qu’elle ne veut pas voir. A défaut de s’être autorisée un tel geste, circonstances obligent, elle s’est contentée de garder le dossier bien rangé dans son bureau, à l'abri de tout regard indiscret et autres curiosités de ses collègues. De toute façon, personne ne sait quel est le service que lui a demandé Anwar. Elle préfère se faire des histoires pour rien plutôt que de craindre de briser la confiance qu’il lui accorde et avec elle un sujet peut-être important. Sans savoir ce que contient le fameux dossier, toutes ses hypothèses sont vouées à rencontrer un mur, plus ou moins tôt dans leur élaboration. La (trop longue, mais ne le lui répétez pas) absence d’Anwar n’aide pas Charlie à rationaliser ses pensées. Elle est seulement rassurée par son invitation énoncée pour le soir-même, laquelle la jeune femme n’a pas hésité un seul instant avant de l’approuver. Bien plus que d’avoir besoin de réponses, elle souhaite surtout s’assurer qu’il va bien, les bruits de couloir ne pouvant pas lui apporter la moindre réponse digne de ce nom à ce sujet.
Le papier soigneusement rangé dans son sac à main, discrétion oblige, elle vient appuyer un instant sur la sonnette de son collègue. Elle ancre ses pieds au sol pour tenter de cacher son appréhension, laquelle n’a strictement rien à voir avec le fait de le rencontrer en dehors des heures de travail et ainsi de ne plus savoir de quoi lui parler s’ils ne peuvent plus le faire des affaires en cours. Primo, elle pourra toujours lui demander des nouvelles d’Alma. Secundo, cette idée se veut tellement éloignée de la réalité qu’elle n’en est que plus stupide encore : que des collègues deviennent des amis lui semble normal ; et bon Dieu qu’elle trouvera toujours de quoi lui parler en toutes circonstances. Non, elle craint simplement de savoir ce qu’il peut lui dire pour lui expliquer les derniers jours écoulés et le service qu’il lui a demandé. Et par-dessus tout, la raison pour laquelle elle ne devait pas faire s’ébruiter la chose. « Ça y’est, on a fini de lutter contre le crime pour aujourd’hui ? » Si son sourire est évidemment forcé, elle se rassure au moins en voyant qu’il est toujours capable d’en esquisser un. Il est en un seul morceau, aussi, et c’est une bonne chose. “Les criminels n’ont qu’à bien se tenir, je suis sûr que Batman et Superman sont cachés dans nos troupes.” Nos parce qu’elle a vraiment l’impression de faire partie du groupe, maintenant, même si elle ne l’est toujours pas officiellement. Après tous ces mois passés à leurs côtés, elle veut croire le contraire, quitte à leur inventer des super-héros à la place de collègues. Elle pourrait dire que leur Robin préféré leur manque mais ce serait un peu trop filer la métaphore, sans doute, et aussi bien trop lui demander à propos des connaissances cinématographiques (ce sont des bandes dessinées de base, oui, on sait) au ras des pâquerettes. « C’est gentil d’avoir accepté de passer. Viens, entre. » Elle n’aurait refusé l’invitation pour rien au monde, surtout rassurée qu’il l’invite. Il y aurait fort à parier qu’elle se serait créée sa propre invitations si tel n’avait pas été le cas.
Le sifflement du perroquet la fait sursauter, elle n’était pas préparée à être accueillie de la sorte. La seconde suivante, c’est déjà un sourire qui se forme sur ses lèvres alors qu’elle s’approche de l’animal, curieuse. « Tu t’en sors bien, certains reçoivent une insulte en guise de premier contact. » - “T’aurais jamais dû me le présenter, on va devenir meilleurs amis.” Ce qui veut surtout dire qu’elle va lui apprendre toutes les pires phrases de l’univers capables de mettre à mal la patience de son collègue. Pour le moment, elle se garde bien de laisser passer ses doigts au travers de la cage, anticipant déjà le fait qu’il la prenne pour une cacahuète géante. “Je suis certaine que tu l’as dressé à insulter les invités que tu veux pas vraiment voir chez toi.” Toutes ces personnes qu’on invite pour un café parce que convention oblige, mais qu’on aimerait déjà renvoyer chez eux et leur souhaiter un bon retour. Sans lui demander son avis, elle s’assure ainsi avoir été invitée de bon gré, chose qu’elle remet pourtant en doute à en juger par la semaine particulière qui s’est écoulée au poste. « Tu veux boire quelque chose ? » Son attention se défait de l’animal pour revenir vers Anwar et ainsi s’asseoir sur l’îlot de la cuisine. “Café. Le plus fort et le plus long possible.” Il comprendra.
Son sac laissé au sol, la jeune femme n’arrive à laisser qu’une seconde de silence entre eux avant de déjà ne plus savoir comment résister au besoin de lui parler de ce qui importe réellement. “J’ai même pas trouvé ta réserve de biscuits, tu sais.” Ou presque. Il se pourrait qu’elle tourne encore autour du pot de peur de ne pas avoir le droit de l’aborder de façon aussi frontale. “Alors du coup je t’en ai ramené. Parce qu’un papa au poste de police se doit de se nourrir de donuts et de biscuits salés, c’est la règle.” Un cadeau de pacotille, certes, mais qui laisse sous entendre qu’elle a bon espoir qu’il revienne rapidement au bureau et cache ces biscuits dans son tiroir. Sans doute les a-t-elle choisis justement parce qu’ils y rentrent parfaitement, d’ailleurs. |
| | | | (#)Jeu 4 Nov 2021 - 6:29 | |
| Une partie de lui regrettait un peu d’avoir impliqué Charlie dans une manœuvre qui, si elle ne lui aurait pas directement attiré d’ennuis, aurait pu la mettre dans une situation délicate pour peu qu’on la surprenne sans raison (à priori) valable en train de fureter dans le bureau d’un plus gradé qu’elle. Il l’aurait couverte, bien sûr, et ne l’aurait pas laissé prendre le blâme pour avoir voulu rendre service, mais déontologiquement la manœuvre restait tout de même discutable et le brun en avait conscience. L’autre partie de lui, néanmoins, savait qu’il n’aurait pas suffi de beaucoup pour que sa soirée en compagnie de Mills se termine bien plus mal que prévu, et la dernière chose dont il aurait eu besoin était que les grands malades avec qui travaillait Jackson mettent la main sur le contenu de son bureau. Dans les deux cas Charlie lui avait rendu service sans poser la moindre question, et si Anwar n’avait encore aucune idée de comment, il comptait bien renvoyer l’ascenseur à la jeune femme dès que l’occasion se présenterait. D’ici là elle méritait au moins un verre en guise de remerciement, et s’il soupçonnait qu’elle ait accepté sans trop se faire prier dans l’espoir d’obtenir un semblant (légitime) d’explication aux demandes farfelues et à l’absence imprévue dont il se rendait actuellement coupable, il n’en était pas moins sincèrement content de la trouver sur le pas de sa porte, pile à l’heure et prête à saisir les perches qu’il lui tendait. « Les criminels n’ont qu’à bien se tenir, je suis sûr que Batman et Superman sont cachés dans nos troupes. » D’un geste de la main, il fait mine d’indiquer que la chose mérite au moins d’être débattue, mais ne peut empêcher le brin de sarcasme qui lui fait signaler « J’crois qu’on a perdu Batman le jour où ils ont dégagé Sanders. » Une voiture de kéké, une autre activité bien moins légale à la nuit tombée et lui ayant finalement coûté sa place dans leurs rangs … Elias avait presque tout l’attirail du chevalier noir après sa chute à la fin du second volet – hormis la classe. Mais au moins maintenant, plus personne n’avait le mauvais goût de squatter la place de parking d’Anwar à la première occasion. À peine Charlie était-elle rentrée qu’Ibis-le-perroquet n’avait pas su s’empêcher de se faire remarquer, l’animal démontrant chaque jour un peu plus de son besoin d’obtenir l’attention de tout et de tout le monde. Mais au moins avait-il choisi cette fois-ci de le faire sans grossièreté, chose suffisamment rare pour être soulignée. « T’aurais jamais dû me le présenter, on va devenir meilleurs amis. » avait aussitôt rétorqué la jeune femme en s’approchant prudemment de l’animal. « Là, je vais être forcé de te demander de rester suffisamment longtemps pour que tu répètes ça à ma coloc’ quand elle rentrera. Elle rêve plutôt de servir du perroquet à l’orange en guise de repas de Noël. » Quel dommage qu’elle ait accepté de partager la vie d’un végétarien. Attrapant une autre cacahuète, il avait sifflé pour attirer l’attention du volatile et la lui tendre, ce dernier acceptant en échange gracieusement de laisser Charlie lui caresser le sommet du crâne. « Je suis certaine que tu l’as dressé à insulter les invités que tu veux pas vraiment voir chez toi. » La moue offerte en guise de réponse sous-entendait qu’il ne faisait pas trop d’effort pour l’en empêcher, en tout cas, mais il ne pouvait pas être entièrement honnête en s’attribuant tout le mérite de la chose « Il avait déjà une bonne base avant que je le récupère, cela dit. Il est probablement plus vieux que toi. » Probablement parce qu’il n’en avait pas la certitude, et se basait simplement sur les estimations incertaines du vétérinaire. Ce que le policier préférait ne pas préciser en revanche, c’était que l’autre partie de son vocabulaire fleuri l’oiseau la tenait des innombrables disputes auxquelles il avait assisté entre son propriétaire et son épouse ; Une discipline que vingt-deux années de mariage leur permettaient aujourd’hui de maîtriser sur le bout des doigts. En se tournant vers la cuisine et en proposant à boire à son invitée, il ne s’attendait pas à obtenir un « Café. Le plus fort et le plus long possible. » en réponse, l’heure n’étant plus vraiment à la caféine si l’on espérait un sommeil réparateur. Pour autant il n’avait pas fait de remarque, attrapant une tasse dans un placard et un paquet de café dans un autre, et dosant dans la cafetière comme il l’aurait fait pour lui-même « Et un Zehri special, un. » Elle serait la seule à en bénéficier néanmoins, lui-même tentant avec plus ou moins de succès de maintenir sa consommation de caféine à un niveau décent tant qu’il n’était pas au bureau. Ou bien était-ce seulement une excuse qu’il se donnait pour ne pas culpabiliser en sortant une bière du frigo. « J’ai même pas trouvé ta réserve de biscuits, tu sais. » Laissant au café le temps de passer, il avait décapsulé sa bière et était allé se poser de l’autre côté de l'îlot, face à Charlie. « Alors du coup je t’en ai ramené. Parce qu’un papa au poste de police se doit de se nourrir de donuts et de biscuits salés, c’est la règle. » L’attention lui avait décroché un sourire, et la première chose qu’il avait fait en ouvrant la boîte avait été de la tendre vers la jeune femme pour qu’elle s’y serve. « Fallait bien la planquer, si je voulais pas que Patton engloutisse tout dès que j’avais le dos tourné. » Son ancienne équipière n’aurait pas vraiment été de ce genre-là en réalité, et Anwar n’était pas sérieux. Piochant un biscuit, il avait fait mine d’ignorer le tic nerveux qui animait la jeune policière et fini par questionner « Tu l’as lu ? Le dossier. » Il n’allait pas prétendre qu’il ne lui avait pas en partie proposé de passer pour cette raison. Ce n’était pas la seule, mais c’en était une. « T’as le droit de dire oui, c’est moi qui t’ai demandé d’aller fouiner dans mes affaires, je serais mal placé pour te le reprocher. » Et si la mauvaise foi de l’inspecteur Zehri n’était pas une légende, elle possédait malgré tout ses limites.
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| | | | (#)Sam 6 Nov 2021 - 19:40 | |
| Ne pouvant être on ne peut plus d’accord avec Anwar au sujet de Superman, Batman et Elias (les trois noms à la suite ressemblant au début d’une mauvaise blague), elle se contente de venir hocher la tête et approuver ses paroles sans pour autant relancer la discussion. La jeune femme préserve sa patience pour des sujets qui la passionneront davantage, elle ne veut pas déjà utiliser tous ses jokers à peine le pas de la port franchi. Elle est sûrement bien trop occupée à vérifier qu’il se porte à peu près bien et ne soit pas soudainement doté d’une jambe de métal, par exemple, pour laisser son attention se porter ailleurs. En réalité, seul le perroquet semble la détourner du droit chemin, mais c’est un coup bas qu’elle n’avait pas été capable de prévoir. Bientôt, il lui mordra le doigt et elle ne pourra s’en prendre qu’à elle-même, mais pour le moment encore Charlie leur invente une amitié sans pareil. « Là, je vais être forcé de te demander de rester suffisamment longtemps pour que tu répètes ça à ma coloc’ quand elle rentrera. Elle rêve plutôt de servir du perroquet à l’orange en guise de repas de Noël. » Son attention passe de tout à rien, se posant désormais sur ses paroles plus que sur l’animal. “T’as vraiment une coloc’ ? Je retire ce que j’ai dit, c’est elle que je veux en meilleure amie.” Les informations sont nombreuses mais toutes aussi intéressantes les unes que les autres : Anwar a une colocataire (à son âge ? pourquoi ? depuis quand ? pour quelle raison exactement ? elle sort d’où ? les questions sont nombreuses), il s’agit plus précisément d’une colocataire, et peut-être que finalement le perroquet à l’orange n’est pas une si mauvaise idée. C’est toujours mieux qu’un mari servi avec un chianti, vous comprenez, et elle peut y penser en caressant doucement la tête de l’animal - non, bien sûr qu’elle ne pense pas sérieusement à le cuisiner, même pour faire amie-amie avec sa colocataire. « Il avait déjà une bonne base avant que je le récupère, cela dit. Il est probablement plus vieux que toi. » Elle roule des yeux, faussement insolente. Cette répartie-là, la jeune mère l’a entendue des centaines de fois dans autant de contexte différents. Venant de lui, pourtant, elle ne risque pas de s’en offusquer, passant déjà à autre chose à peine sa phrase terminée. Charlie n’oublie pas la raison de sa visite, derrière son sourire chaleureux et sa curiosité effectivement enfantine.
Une proposition de caféine ne pouvant être déclinée, elle précise sa commande au moment d’abandonner le perroquet à sa cacahuète pour se concentrer uniquement sur son propriétaire. D’une façon ô combien lâche, elle profite que son collègue et ami soit occupé à autre chose pour déjà aborder un sujet qu’elle estime épineux sans même en comprendre la teneur. Ses premiers mots sont pour la réserve de biscuits de son bureau mais il n’a pas de mal à en comprendre le sous-entendu - elle ne brillait de toute façon pas de sa délicatesse et n’a fait aucun effort en ce sens non plus. Et merde, pourquoi est-ce qu’il n’a pas une cafetière à piston, comme les vieilles personnes ? Offrant son humble boîte de biscuits comme prévu, Charlie la lui tend pourtant de son côté de l’îlot, refusant poliment la proposition d’en piquer un ou deux. Après tout, elle lui offre pour qu’il en profite, pas pour se servir elle-même. Cela fera peut-être même plaisir à sa colocataire aussi, qui sait. La prochaine fois, ce sont deux boîtes qu’elle amènera (et des cacahuètes) ; elle sera mieux préparée. « Fallait bien la planquer, si je voulais pas que Patton engloutisse tout dès que j’avais le dos tourné. » Le sourire de Charlie est sincère, il l’est toujours quand il s’agit de se moquer gentiment d’un collègue ou d’un autre dès qu’ils ne sont plus dans la même pièce qu’eux. « Tu l’as lu ? Le dossier. » Elle se donne quelques secondes pour répondre, non pas pour trouver quels mots lui partager mais bien parce qu’elle souhaite examiner davantage son attitude. Elle n’ira pas bien loin mais puisque la situation a tout d’une première (et d’une dernière, elle l’espère), Charlie ne veut pas craindre d’en perdre le moindre souvenir. Tout semble déjà bien trop important pour qu’elle n’échoue. « T’as le droit de dire oui, c’est moi qui t’ai demandé d’aller fouiner dans mes affaires, je serais mal placé pour te le reprocher. » Finalement, sa tête se mouvoie légèrement de droite à gauche, lui donnant déjà une idée de sa réponse. “Tu m’as dit de ne pas le lire et je te fais confiance. Je l’ai pas ouvert.” Pas même pour lire le titre, pas même pour voir un mot ou deux au hasard en le feuilletant rapidement. La pochette est restée fermée, le dossier n’a pas vu la lumière du jour même lorsqu’elle est enfin sortie du poste avec ce dernier sous le bras (dans son sac, en réalité, discrétion oblige). “C’est sûrement pour cette raison que tu m’as demandé ce service, et pas à quelqu’un d’autre.” Elle ne lui fait pas l’affront de transformer cette réflexion en question, ces mots étant bien plus un reflet de ses pensées qu’autre chose. Preuve en est, elle ne les prononce pas bien forts. “Mais je vais pas te mentir, j’aimerais savoir à quoi ça rime, tout ça.” Son absence, ce secret, ce dossier. Pourquoi tout ceci devait être passé sous silence, qu’est-ce que ce dossier contient pour qu’il prenne autant de précautions ? La pochette en question est sortie avec délicatesse de son sac et Charlie la lui remet bien rapidement, comme si elle avait peur que quelque chose lui explose au visage. Maintenant, elle a pleinement rempli sa part du contrat. |
| | | | (#)Dim 9 Jan 2022 - 15:12 | |
| Anwar avait toujours ce petit moment de flottement lorsqu’il s’agissait de qualifier Maze auprès de personnes qui ne la connaissaient pas. Parce que bien sûr elle n’était pas juste une colocataire, mais que la présenter d’abord comme une amie faisait instantanément planer le doute quant à la véritable nature de leur relation – deux amis qui vivaient sous le même toit sans ambiguïté ? Allons. Même lui n’était pas toujours cent pour cent certain d’y croire, et lorsque Charlie avait questionné « T’as vraiment une coloc’ ? » avec tous les sous-entendus qui allaient avec (il était trop vieux, il était trop grincheux, il grimpait encore d’un cran dans le mariage qui n’avait aucun sens), il n’avait pas relevé, et rebondi aussitôt sur la suite : « Je retire ce que j’ai dit, c’est elle que je veux en meilleure amie. » – « Pour que vous puissiez comploter à mon sujet ? Vieux singe n’est pas né de la dernière pluie. » Le croassement de satisfaction du perroquet en obtenant sa cacahuète avait sonné tel un ricanement, comme si lui-même pratiquait désormais Maze depuis suffisamment longtemps pour l’imaginer sans mal comploter avec n’importe qui de nature à titiller la susceptibilité chatouilleuse d’Anwar. Une susceptibilité que l’intéressé nierait bien entendu farouchement, et avec toute la mauvaise foi dont il était pourvu. Au moment de retrouver un peu de sérieux cependant, les traits du brun au lieu de se durcir semblaient s’être adoucis encore un peu plus, et sans que le haut quota de sommeil qu’il s’était octroyé durant les derniers jours écoulés n’en soit l’unique responsable. Le spectre du dossier qu’il avait demandé à Charlie de subtiliser dans son bureau planait maladroitement sur la conversation et il avait préféré en venir au fait tout de suite. Il ne testait pas sa loyauté, Anwar n’était pas à ce point retord et qu’elle se soit pliée sans broncher à ses indications lui apparaissait déjà amplement suffisant, mais pourtant lorsqu’elle avait affirmé « Tu m’as dit de ne pas le lire et je te fais confiance. Je l’ai pas ouvert. » sans sourciller, il s’était senti empli de la fierté du connaisseur qui avait misé sur le meilleur cheval de la course. Elle était tout sauf stupide, Charlie, malgré son physique de poupée, ses cheveux blonds et sa longue paire de jambes qui pourraient pousser à croire le contraire. « C’est sûrement pour cette raison que tu m’as demandé ce service, et pas à quelqu’un d’autre. » L’odeur de café en train de passer était venue chatouiller ses narines, mais tâchant de ne pas se laisser déconcentrer, l'inspecteur avait hoché la tête pour confirmer. « C’est vrai. Je savais que je pouvais te faire confiance. » Il avait presque failli ajouter qu’il ne pouvait pas en dire autant de toutes les âmes qui peuplaient le commissariat, mais quand bien même il le pensait Anwar n’aimait pas médire à voix haute sur ses collègues, aussi avait-il gardé pour lui cette réflexion. « Mais je vais pas te mentir, j’aimerais savoir à quoi ça rime, tout ça. » n’avait par ailleurs pas manqué de faire remarquer la blonde, la curiosité l’emportant finalement sur le reste sans que l’inspecteur ne songe à s’en froisser – elle avait été plus patiente que lui ne l’aurait été. Grignotant un biscuit, il avait appuyé ses coudes sur l’îlot avec un brin de nonchalance, se fendant d’un « C’est juste un dossier sur lequel j’enquête sur mon temps libre. » faussement détaché, attendant de croiser à nouveau le regard de Charlie pour ajouter d’un air entendu « J’ai pas vraiment la bénédiction de la hiérarchie. J’connais les bruits de couloirs, je doute pas que t’as déjà entendu parler du fait que j’ai été suspendu un peu avant que tu débarques au commissariat … » Oh, quinze jours, à peine. Juste de quoi lui donner une leçon, mais loin d’avoir porté ses fruits puisque l’épaisse pochette cartonnée était à nouveau là, devant eux. « Bah c’était pour ça. » La chose était un peu plus compliquée en réalité, mais les détails seraient sans doute pour une prochaine fois. Sa cafetière retrouvant un silence relatif, signe que le breuvage n’attendait plus que d’être dégusté, Anwar avait ouvert la chemise cartonnée comme pour inviter sa collègue à le feuilleter si le coeur lui en disait, et lui avait tourné le dos un instant pour verser le café dans un mug tout en expliquant « Un meurtre par arme à feu. Une seule balle, un cambriolage qui a mal tourné. L’auteur n’a jamais été identifié, et l’unique témoin n’a pas été foutu de donner la moindre information utile. » La fin de la phrase sonnait avec sarcasme, mais pour le reste il s’était efforcé d’énoncer les faits de manière laconique, seul moyen pour lui de conserver un semblant de neutralité à propos de ce meurtre qui, bien entendu, n’était pour lui pas qu’un parmi les autres. « Le souci c’est que le témoin, c’est moi. » Déposant le mug de café devant Charlie, il avait désigné du menton le sucrier au cas où elle voudrait se servir, et s’était à nouveau servi dans la boîte de biscuits pour mieux se contenter de triturer celui qu’il avait choisi avec un brin de nervosité. Ça n’était un secret pour personne au commissariat, on savait bien d’où venait Anwar avant et on savait pourquoi il avait demandé sa réaffectation – mais rares étaient ceux qui se risquaient à le mentionner, sous peine de se voir sèchement conseiller de se mêler de leurs affaires. Les lèvres se pinçant avec hésitation, l’inspecteur avait semblé peser le pour et le contre encore un instant avant de reprendre « Je pense pas revenir au boulot. Pas dans l’immédiat en tout cas. » Picorant un minuscule bout de biscuit mais une rasade de bière un peu plus conséquente, il avait fait tourner la bouteille entre ses doigts aux ongles rongés en ajoutant « J’ai rendez-vous avec le chef mardi matin, je sais pas comment je vais amener ça mais … Je crois que j’ai besoin de lever le pied. De faire une vraie pause. » Il avait beau faire en sorte de peser ses mots, sa décision était en réalité déjà prise ; Il tenait seulement à ce que la jeune femme l’apprenne de sa bouche, question de principe.
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| | | | (#)Mer 12 Jan 2022 - 12:27 | |
| « Pour que vous puissiez comploter à mon sujet ? Vieux singe n’est pas né de la dernière pluie. » - “Bien sûr que ce serait pour compléter à ton sujet, quoi d’autre ?” qu’elle avait donc aussitôt rétorqué, n’essayant même pas de prêcher pour sa paroisse un seul instant. Si elle doit mentir à Anwar sur quelque chose, autant mieux choisir son sujet, et celui-ci ne fait même pas partie des présélectionnés. Au fond, elle serait surtout curieuse de connaître l’entourage de son collègue et savoir comment il est dans la vie de tous les jours, quand il ne s’agit plus de causer travail ou obligations. Pourtant, de savoir qu’il ne vit pas seul lui suffit déjà pour qu’elle puisse tracer un tout autre tableau de la vie qu’elle lui imaginait en dehors des locaux, et tant mieux. La seule chose qu’elle regrette encore, c’est qu’ils n’aient pas abordé le sujet à un moment plus propice. Désormais, c’est la curiosité qui l’emporte sur le reste alors que le sujet du dossier récupéré dans le bureau d’Anwar revient sur le tapis. S’il pouvait effectivement compter sur Charlie pour ne pas l’ouvrir, elle tient aussi à savoir ce dans quoi il l’entraîne, bien qu’elle ne doute pas de son intégrité une seule seconde. « C’est juste un dossier sur lequel j’enquête sur mon temps libre. » Finalement, elle ne sait pas si cette explication l’amuse ou l’inquiète davantage. Les deux, sans doute, quand bien même cela semble paradoxal au possible. Il est acharné dans son travail au point de ne pas réellement prendre la moindre pause, même sur son temps libre. D’un autre côté, quel genre d’enquête pourrait l’intéresser au point qu’il y pense à chaque instant, sans le moindre répit ? Est-ce que c’est grave ? Le sachant occupé à trouver les mots justes, elle ne le gêne pas de ses questions sans doute inutiles et lui laisse encore tout le loisir de lui donner les informations une à une. « J’ai pas vraiment la bénédiction de la hiérarchie. J’connais les bruits de couloirs, je doute pas que t’as déjà entendu parler du fait que j’ai été suspendu un peu avant que tu débarques au commissariat … » Toute envie de rire semble s’évanouir en même temps qu’Anwar avance dans son explication donnant par la même occasion le point de vue des autres parties concernés. Charlie, ses yeux plongés dans les siens, se contente encore d’hocher la tête avec sérieux. Au moins, elle comprend désormais pourquoi il lui a demandé de se faire discrète. « Bah c’était pour ça. » La jeune femme a entendu parler de sa suspension mais n’a jamais cherché à obtenir de plus amples informations à ce sujet, pas même en demandant à des collègues - parce que non, bien sûr qu’elle n’aurait pas demandé à Anwar directement, elle n’est pas folle. “T’as déjà travaillé dessus, alors ?” Si ce dossier est bel et bien la cause de sa suspension, cela signifie donc qu’il a dû y être lié, et sans doute bien plus de près que loin. Pour autant, cela n’explique en rien pourquoi il a été remercié, ni pourquoi le dossier semble toujours ouvert aujourd’hui encore. A vrai dire, ses explications soulèvent bien plus de questions qu’ils n’en répondent.
Le silence nouveau de la cafetière leur laisse un peu de répit, la jeune femme se laissant servir son café alors qu’elle promène des yeux curieux sur la pochette ouverte par Anwar. Il y a sûrement bien trop à lire pour qu’elle puisse se tenir au courant rapidement, raison pour laquelle elle se repose encore largement sur ses explications pour obtenir de plus amples informations à propos de ce qui semble autant le torturer. « Un meurtre par arme à feu. Une seule balle, un cambriolage qui a mal tourné. L’auteur n’a jamais été identifié, et l’unique témoin n’a pas été foutu de donner la moindre information utile. » Et soudainement, les informations affluent, nombreuses et variées, données sous le ton accusateur et amer de son collègue. Naturellement, c’est sur lui qu’elle repose déjà les yeux, assurée qu’elle aura tout le temps du monde de feuilleter le dossier plus tard. Pour le moment encore, c’est sa version qu’elle veut entendre, surtout alors qu’il semble touché par les événements, comme s’il les avait lui même vécus. « Le souci c’est que le témoin, c’est moi. » Charlie aurait préféré que sa maigre expérience dans le milieu de la police ne lui soit d’aucune utilité et qu’elle n’ait pas su anticiper cette information. Ou tout du moins, une partie de l’information. En réalité, elle n’aurait pas imaginé qu’il puisse être ledit témoin pas foutu de donner la moindre information. La jeune femme serre les dents et déglutit lentement, n’ayant soudainement plus envie d’avaler quoi que ce soit. Pour autant, elle s’occupe en allant chercher du café, là où il semble en faire de même en se servant un biscuit supplémentaire. « Je pense pas revenir au boulot. Pas dans l’immédiat en tout cas. » Conciliante et désormais au fait des récents événements, elle hoche la tête, signifiant ainsi qu’elle comprend parfaitement son raisonnement et son choix. « J’ai rendez-vous avec le chef mardi matin, je sais pas comment je vais amener ça mais … Je crois que j’ai besoin de lever le pied. De faire une vraie pause. » Ce qui, à ses yeux, semble plus que compréhensible. Pour autant, ce n’est pas le regard d’une collègue qu’elle pose sur lui, encore moins celui d’un supérieur qu’il devra affronter sous peu. Éternellement égale à elle-même, c’est ailleurs qu’elle juge nécessaire de pointer son intérêt. “Tu vas bien, toi ? S’il n’est plus uniquement question de travail, je veux dire.” Il ne s’en veut pas uniquement parce qu’il est un être humain dont les sens et la mémoire semblent l’avoir trahis, il s’en veut aussi et surtout parce qu’il est un policier qui n’aide pas autant qu’il le voudrait à résoudre une affaire importante. “Tu sais que tu peux compter sur moi si tu as besoin de quoi que ce soit, mais maintenant que j’ai ton adresse je vais sûrement être encore plus horripilante qu’au poste.” Parce qu’au travail, au moins, elle pouvait le voir tous les jours ou presque et prendre de ses nouvelles sans qu’il ne soit réellement enclin à parler. Cela n’avait aucune importance, parce qu’elle pouvait tenir des conclusions par elle-même avec bien peu d’indices. S’il annonce ne pas revenir au poste et ne précise même pas sa date de retour, pourtant, cela laisse à Charlie tout le loisir de s’inquiéter pour lui - surtout alors qu’elle connaît désormais la raison de ce besoin d’air. Paradoxalement, il se détache du travail pour se concentrer sur le travail. “Je savais que t’avais été mis à pied mais j’ai jamais su les raisons exactes. Honnêtement, je pensais que c’était parce que t’avais insulté un collègue ou quelque chose dans le genre.” Un collègue qui l’aurait sans aucune doute mérité, oui. “Tu as des pistes sur cette affaire ? Je pourrais… je sais pas, apporter un regard neuf.” Parce qu’il va se tuer à la tâche, sinon. Parce qu’il ne reviendra pas tant qu’il n’aura pas obtenu la réponse à ses questions, sinon. Parce que maintenant plus que jamais, elle s’inquiète pour lui, les raisons même l’ayant conduit à rejoindre les rangs de la police pouvant désormais se retourner contre lui au point où il risque d’être obnubilé par une affaire. “Que t’aies pas su identifier le tueur ne fait pas de toi le coupable de cette histoire.” qu’elle annonce enfin, oubliant son visage empathique pour reprendre contenance et se montrer bien plus sûre d’elle que jamais. Il a sans doute besoin de l’entendre. |
| | | | (#)Dim 30 Jan 2022 - 16:36 | |
| C’était peut-être l’impression qu’il renvoyait aux autres, à ceux qui ne le connaissaient pas suffisamment bien ou depuis suffisamment longtemps : celui d’un homme qui n’avait que faire des règles et s’en affranchissait pour le simple plaisir de jouer en dehors des clous. Mais les choses n’étaient pas aussi simples, et si certains salissaient l’uniforme par cupidité ou par soif de pouvoir, lui croyait en la justice et en la Loi avec une majuscule, et jurait que ceux qui n’en faisaient pas de même n’avaient rien à faire dans les rangs de la police. Mais il n’était pas naïf, Anwar, il connaissait les limites de la bureaucratie et les non-sens de l’administration, et parfois la justice méritait que l’on fasse ce qui était efficace plutôt que ce qui était autorisé … L’important, au fond, était que personne ne pâtisse ni des méthodes ni de leur résultat. Alors c’est vrai, pour l’administration et pour sa hiérarchie, enquêter sur un dossier en étant à la fois juge et parti était une entorse à la déontologie qui méritait mise en garde et sanction – et ils avaient probablement raison. Mais si lui ne le faisait pas, qui le ferait ? Qui avait encore du temps à consacrer à ce dossier qui prenait la poussière depuis cinq ans, qui n’avait pas avancé d’un pouce, et qu’on avait décidé de mettre en sommeil tant qu’aucun “nouvel élément” ne justifierait qu’on s’y penche à nouveau ? L’inspecteur Zehri ne faisait de mal à personne, il n’empiétait sur les plates bandes de personne, et se contentait de donner de son temps à une enquête pour laquelle plus personne d’autre ne semblait en avoir … De ça, il était certain. « T’as déjà travaillé dessus, alors ? » La naïveté de la question terminant de confirmer ce dont Anwar n’avait jamais douté, que Charlie n’avait pas ouvert ni feuilleté la moindre page de ce dossier, il avait haussé les épaules comme on répondait d’un problème où tout était une question de point de vue. Au lieu de cela, et en terminant de préparer à sa collègue un café plus que bienvenue, le policier avait résumé de quoi il était question en forçant volontairement sur le côté purement factuel, sans laisser aux événements le temps de lui revenir en mémoire, car Dieu savait combien de temps il lui faudrait pour s’en débarrasser à nouveau ensuite. La blonde n’avait pas bronché lorsqu’enfin il s’était décidé à pointer du doigt le nœud du problème, et s’était contenté de se saisir en silence de la tasse que lui tendait Anwar. Les risques du métier, aurait-il pu ajouter avec un brin de fatalisme, mais Charlie n’était pas stupide et les connaissait probablement tout autant. Le silence s’étirant quelques instants et le brun se permettant un biscuit supplémentaire comme on tentait de se donner une contenance, il n’avait pas voulu tourner plus longtemps autour du pot et dévoilé à la jeune femme l’autre raison pour laquelle il lui avait demandé de passer : il ne comptait pas revenir travailler. Pas dans l’immédiat en tout cas, pas sans avoir pris le recul dont il sentait qu’il commençait à manquer et qui le faisait douter d’être encore fait pour ça. Pour ce métier, pour cette vie. Et hochant la tête pour montrer qu’elle enregistrait l’information, Charlie avait fini par questionner « Tu vas bien, toi ? S’il n’est plus uniquement question de travail, je veux dire. » Il n’en savait rien, en réalité. Sans doute que non, on n’allait pas bien lorsqu’on se retrouvait un matin totalement incapable de quitter son lit, mais ce n’était pas aussi simple à définir qu’une grippe ou un mal de dos. « Tu sais que tu peux compter sur moi si tu as besoin de quoi que ce soit, mais maintenant que j’ai ton adresse je vais sûrement être encore plus horripilante qu’au poste. » Laissant échapper un rire, qui avait au moins eu le mérite de faire éclater la bulle de sérieux dans laquelle il les avait enfermés. « J’ai un perroquet de garde, je te rappelle. » Facilement amadouable si l’on venait avec des cacahuètes ou des fruits secs, certes, mais encore fallait-il le savoir. « Mais je sais, oui … Et toi pareil, c’est pas parce que je ne hante plus les couloirs du commissariat que tu ne peux pas m’appeler en cas de besoin. Pour le boulot ou pour n’importe quoi d’autre, d’ailleurs. » Peut-être même cela l’aiderait-il lui aussi, de prendre ses distances avec le métier mais de malgré tout garder un orteil dedans par le biais de Charlie. « Et si jamais le patron donne son accord de principe mardi … Peut-être qu’on pourra s’arranger pour que tu prennes la place laissée vacante par Hogan, à mon retour. Si tu es partante, bien sûr. » Peut-être était-ce que le vide laissé par Frank était trop difficile à combler, mais qu’il s’agisse de Patton ou plus récemment de Hogan Anwar n’avait plus dépassé le stade de l’entente purement cordiale et professionnelle avec ses équipiers. Avec Charlie, il avait la sensation que les choses pourraient être différentes … Et pour avoir lui-même subi un premier équipier peu recommandable à ses débuts, il savait la différence que pouvait faire le fait d’apprendre le métier avec quelqu’un de confiance. Pour l’heure, il lui restait encore à décider si oui ou non il allait profiter de ces quelques semaines (mois) loin du bureau et des obligations qui lui incombaient pour se plonger à corps perdu dans le dossier que la blonde tenait ouvert devant elle. C’était peut-être l’occasion, mais ce n’était pas forcément la solution … Il ne parvenait pas à se décider, et savait qu’au mieux il lui faudrait de toute façon changer ses méthodes pour revenir à l’essentiel, et ne plus se laisser influencer par les sirènes de méthodes auxquelles il ne souhaitait définitivement pas être associé. Sa mésaventure avec Jackson, au fond, aurait au moins eu le mérite de lui remettre les idées en place à ce sujet. « Je savais que t’avais été mis à pied mais j’ai jamais su les raisons exactes. Honnêtement, je pensais que c’était parce que t’avais insulté un collègue ou quelque chose dans le genre. » Faisant mine d’être choqué par ses insinuations, il avait englouti son reste de biscuit en roulant des yeux pour le principe « Tu dis ça comme si c’était ma seule manière de communiquer. » On se demandait bien pourquoi. « Le rôle du méchant flic est beaucoup plus drôle à expérimenter, ça me rappelle mes cours de théâtre de lycée. » Oui, Anwar avait fait du théâtre au lycée. Non, il n’en dirait pas plus à ce sujet. L’odeur de café ayant en tout cas fini de lui chatouiller les narines jusqu’à le faire céder, il s’était tourné un instant pour abandonner sa bière à moitié vide près de l’évier, et s’était sorti une tasse pour y verser ce qui restait dans la cafetière. « Tu as des pistes sur cette affaire ? Je pourrais … je sais pas, apporter un regard neuf. » À cela, l’inspecteur avait laissé quelques secondes de silence avant d’apporter une réponse, soucieux de ne rien dire qui ne soit pas mesuré « Y jeter un œil oui, si tu veux. Mais si tu me promets de ne pas prendre d’initiatives derrière, si quelqu’un doit s’attirer des ennuis et en payer les conséquences c’est moi, je veux pas t’entraîner là-dedans. » Prendre le risque de torpiller sa propre carrière était une chose, mais il refusait que qui que ce soit d’autre ne se retrouve tiré vers le bas par la même occasion, et surtout pas elle qui débutait à peine. « Que t’aies pas su identifier le tueur ne fait pas de toi le coupable de cette histoire. » T’es une maligne, Charlie. « Je sais. » Ou du moins, la partie rationnelle de son esprit le savait. Pour le reste, c’était un peu plus compliqué. « Mais c’était mon rôle de surveiller ses arrières, c’est comme ça que c’est supposé fonctionner. Et ça aurait tout aussi bien pu être moi, ce soir-là, alors le moins que je puisse faire, c’est au moins d’essayer de lui obtenir justice. » Est-ce que cela changerait quoi que ce soit ? Sans doute que non. Mais on en revenait toujours à cela : Anwar croyait en la justice, et en le fait qu’elle devait être rendue pour que l’ordre des choses retrouve un semblant d’équilibre.
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| | | | (#)Ven 4 Fév 2022 - 10:40 | |
| Les paroles de la jeune femme ne laissent guère place au doute: elle s’en fait pour lui. Elle rejoint sans doute les rangs de tous ceux qui veulent le tenir éloigné de ce dossier, pour des raisons juridiques ou personnelles. Ses propres raisons sont différentes, la finalité semble pourtant être la même. Il réside pourtant une différence notable: elle serait prête à prendre en charge cette affaire, de façon purement officieuse, si jamais cela pouvait lui donner l’impression de faire avancer les choses ou simplement soulager le poids sur les épaules d’Anwar. L’ordre des choses voudrait que ce soit lui qui s’inquiète pour elle, différence d’âge et ancienneté dans la police obligent, mais Charlie n’a de toute façon jamais été douée pour ce jeu minable consistant à suivre les règles. « J’ai un perroquet de garde, je te rappelle. » Elle sourit bien volontiers, ne doutant pas un seul instant qu’elle serait capable de devenir la meilleure amie de l’animal en un rien de temps si jamais elle en ressentait le besoin - ou ne serait-ce l’envie. « Mais je sais, oui … Et toi pareil, c’est pas parce que je ne hante plus les couloirs du commissariat que tu ne peux pas m’appeler en cas de besoin. Pour le boulot ou pour n’importe quoi d’autre, d’ailleurs. » C’est un sourire bien plus pudique qu’elle affiche désormais, n’ayant jusque là jamais ressenti le besoin de l’impliquer dans un quotidien compliqué. Ce n’est pas un manque de confiance envers Anwar, certainement pas, mais bien un besoin amical de le tenir éloigné de tous les problèmes qui gravitent autour de la vie de la blonde et qui ne devraient pas lui créer du souci, pour une raison ou pour une autre. La seule chose qu’elle regrette de ne pas avoir encore fait, c’est lui présenter ses enfants en chair et en os. Pas ce genre de présentation qui s’étale sur plusieurs heures et se veut incommodante au possible mais sans doute au détour de Dieu sait quoi, quelques minutes à peine, assez de temps pour qu’il puisse se souvenir de leurs visages et avoir un aperçu du caractère bien trempé d’Aaron, pas assez pour que les petits en viennent à faire une crise de nerfs pour une raison ou une autre et Anwar d’avoir à chercher une excuse pour filer à l’anglaise. Oh, elle ne lui en voudrait même pas. “Je sais. Je le ferai, au besoin.” Qu’elle avance enfin, se voulant rassurante sans pour autant avoir à lui mentir: selon la situation, s’il venait à être la meilleure personne à appeler, elle n’hésiterait pas. Tout ce qu’elle peut espérer, c’est ne jamais avoir à en venir à une telle extrémité, sans doute bien trop apeurée de ce à quoi une telle situation pourrait ressembler. Sa vie n’est pas à son Zénith mais au moins elle se veut calme, et c’est tout ce qu’elle demande pour ses enfants.
« Et si jamais le patron donne son accord de principe mardi … Peut-être qu’on pourra s’arranger pour que tu prennes la place laissée vacante par Hogan, à mon retour. Si tu es partante, bien sûr. » Au contraire des mots rassurants d’Anwar qu’elle avait généralement su anticiper (oui, oui), ceux-ci ne l’ont pas été le moins du monde, en témoigne les grands yeux qu’elle dégage de son café pour les faire se reposer sur lui presque aussitôt. Il est habitué aux blagues, Anwar, alors elle accuse une ou deux secondes de silence, le temps pour elle de l’interroger silencieusement pour savoir s’il est en train de se moquer d’elle ou s’il se veut sérieux. La jeune femme sait très bien qui était Hogan pour lui, tout comme elle sait ce qui se veut être le synonyme de place vacante dans le contexte actuel. “Tu t’es aussi cogné la tête pendant tes congés ?” Le fin sourire qu’elle esquisse déjà tend à prouver que sa réponse est toute réfléchie et qu’il faudrait bien plus qu’un reproche amusé de sa part pour faire croire autre chose. “J’attendrai de savoir ce qu’en pense le grand chef pour m’en réjouir.” Autant de mots pour dire que oui, bien sûr qu’elle serait heureuse de combler cette place vacante et faire d’eux une véritable équipe. Oh, elle voit déjà arriver les disputes à propos de tout et de rien, mais elle sait aussi qu’ils sauront s’allier aux moments nécessaires, pour mieux se compléter le reste du temps.
Du bout des lèvres, et sans doute encore largement inquiète à l’idée d’aborder un sujet qui ne la regarde pas, Charlie en vient pourtant à parler de la mise à pied de son collègue et de les raisons qui auraient pu le mener à une telle extrémité: à ses yeux, ce n’aurait pu qu’être pour cause d’insubordination ou de vive querelle avec un autre collègue. Disons qu’elle n’a jamais voulu croire que les choses pourraient aller plus loin que ça non plus, il est vrai. « Tu dis ça comme si c’était ma seule manière de communiquer. » Son sourire répond au sien, elle dérobe un biscuit pour s’occuper les mains bien plus qu’autre chose. Il sait très bien ce qu’elle pense de lui, tout comme Charlie avait anticipé qu’il ne s’offusquerait pas réellement de ses aveux. “C’est pas le cas ?” - « Le rôle du méchant flic est beaucoup plus drôle à expérimenter, ça me rappelle mes cours de théâtre de lycée. » Et, sa tasse de café au bord des lèvres, la jeune femme l’en écarte rapidement, prête à cracher à tout instant sous le coup de la surprise de cet aveu inattendu. “Ca sera le sujet d’un prochain interrogatoire, ça, monsieur Zehri.” Il est en trop bonne forme en cet instant pour céder à la requête, elle sait qu’elle devra choisir un moment plus adapté pour de telles confessions. Et Dieu sait qu’elle saura se montrer patiente.
Pour le moment encore, et si elle est soulagée qu’ils soient toujours capables d’aborder des sujets avec plus de légèreté, la jeune femme n’en oublie pour autant pas la véritable raison de sa visite. Elle est loin d’avoir eu assez de réponses ; sans doute parce qu’elle n’a pas posé assez de questions non plus. « Y jeter un œil oui, si tu veux. Mais si tu me promets de ne pas prendre d’initiatives derrière, si quelqu’un doit s’attirer des ennuis et en payer les conséquences c’est moi, je veux pas t’entraîner là-dedans. » Y jeter un œil n’est qu’un euphémisme, tous deux le savent déjà pertinemment. Charlie ne saura pas s’en tenir à un simple regard, pas alors que l’affaire est sérieuse et qu’elle est qui plus est liée à Anwar. “Tu m’as entraînée là-dedans à la seconde où tu m’as demandé de te ramener ce dossier.” La voix de la blonde reste calme, signe qu’elle ne porte aucun reproche, mais elle est pourtant sans équivoque. Son implication dans cette affaire est loin d’être comparable à celle d’Anwar, c’est un fait, mais elle y a déjà mis un pied. “Si je dois faire quelque chose de stupide, je te préviendrai avant.” Elle le fera sûrement. La jeune femme parle sans ironie, mais avec bien trop de certitude dans la voix pour que cela démontre qu’elle se connaisse assez elle-même. Bien sûr qu’elle finira tôt ou tard par faire quelque chose de stupide, elle ne se nommerait pas Charlie Villanelle (Ivywreath, peu importe) si tel n’était pas le cas. « Je sais. Mais c’était mon rôle de surveiller ses arrières, c’est comme ça que c’est supposé fonctionner. Et ça aurait tout aussi bien pu être moi, ce soir-là, alors le moins que je puisse faire, c’est au moins d’essayer de lui obtenir justice. » Justice, ou vengeance ? La ligne est fine, au point où Charlie sait qu’elle aurait aussitôt opté pour la seconde option si elle avait été mise face à un tel incident à son tour. Ce qu’elle espère, c’est que l’ancienneté d’Anwar lui permet de porter un regard plus mature sur la situation, parce qu’elle serait loin d’être celle capable de la raisonner le cas échéant. "Je comprends, n'importe qui voudrait la même chose à ta place." Ce n'est pas une excuse pour autant, mais cela explique largement le point de vue qu'il a sur la question. "Ne mets pas ta vie entre parenthèses pour autant. Obtenir justice est important, mais cela ne le fera pas revenir. C'est plus facile à dire qu'à assimiler, je sais." Elle hausse les épaules et craque son biscuit en deux pour mimer de passer à autre chose. |
| | | | (#)Dim 20 Mar 2022 - 14:12 | |
| Derrière les airs désinvoltes qu’il se donnait parfois en fendant les couloirs du commissariat, technique particulièrement rodée dès lors qu’il s’agissait de faire la sourde oreille quant à la paperasse en attente sur son bureau, Anwar considérait son métier avec infiniment de sérieux. Il n’était pas doté de cette vision binaire qu'avaient certains policiers persuadés qu'on ne pouvait le devenir que par vocation ou en ayant quelque chose à expier – lui-même avait rejoint les rangs par un heureux hasard de circonstances – mais il n'en demeurait pas moins attaché à l'idée que ce métier n'était pas fait pour tout le monde, et qu'il fallait savoir s'en montrer digne. Qu'il ne s'apprivoisait pas du jour au lendemain, aussi, et que la direction d'une carrière pouvait parfois se jouer à la manière dont on la faisait débuter … Sans Frank et ses quelques années de plus pour le remettre dans le droit chemin, celle d'Anwar aurait pu être toute autre ou ne pas survivre aux désillusions provoquées par son tout premier équipier. Et sans doute était-ce ce qu'il espérait éviter à Charlie, dont il voyait le potentiel derrière les réflexes parfois encore un peu gauche de nouvelle recrue. « Tu t’es aussi cogné la tête pendant tes congés ? » avait-elle d’abord avancé, comme pour désamorcer l’éventualité d’une plaisanterie de la part d’Anwar – mais non, il était pour une fois parfaitement sérieux, et jaugeait de la réaction de la jeune femme pour une bonne raison. « J’attendrai de savoir ce qu’en pense le grand chef pour m’en réjouir. » Le sourire à demi camouflé derrière sa bouteille de bière, il en avait conclu « Alors je prends ça pour un oui. » et déjà sans en avoir conscience, de se donner un objectif de retour lui permettait d’envisager d’un ton (un peu) moins grave sa décision de faire un pas en arrière pour prendre un brin de recul. Pour l’heure, et parce que la blonde avait accepté sans broncher de lui rendre service tout en tenant sa langue, il lui devait au moins de mettre cartes sur table avec elle et de lever le voile sur ce pour quoi il avait eu besoin qu’elle joue les contrebandières. En admettant que tout cela était lié à la raison pour laquelle il avait été suspendu deux ans auparavant, l’inspecteur confirmait implicitement n’avoir pas retenu la leçon qu’on avait tenté de lui inculquer – et s’il tenait à ce que Charlie en ait conscience, c’était pour qu’elle possède en mains toutes les cartes avant de décider si oui ou non elle voulait en savoir plus à ce sujet. Malgré le sérieux de la conversation, le brin de légèreté soulevé par la remarque d’Anwar avait trouvé son public, et face au « Ça sera le sujet d’un prochain interrogatoire, ça, monsieur Zehri. » rétorqué par sa collègue d’un amusé, le brun s’était fendu d’un « Une chose à la fois, Miss Marple. » sur le même ton, puis s’était enfin résolu à se servir lui aussi une tasse de café. Il avait beau l’avoir déjà racontée des dizaines de fois, à ses collègues, aux affaires internes, à Norah, et même au psy que son ancien chef de brigade l’avait forcé à rencontrer avant de valider sa réintégration, les souvenirs de cette soirée-là revenaient toujours à Anwar enrobés d’un épais brouillard. Parfois il en venait à douter de ses propres souvenirs, de la façon dont s’étaient déroulées les choses, et s’il devait à nouveau expliquer le déroulement des faits il se contentait désormais de réciter les éléments dont la certitude était indiscutable – ceux qu’on retrouvait mot pour mot dans le dossier, en somme. Il était passé par bien des mains au fil des années, mais aujourd’hui le brun avait l’impression d’être le seul à continuer de le feuilleter dans l’espoir d’une illumination qu’il n’aurait jusqu’à présent pas eu … Alors si Charlie voulait s’y frotter, au fond, il ne comptait pas l’en dissuader. Les chances qu’elle y trouve quoi que ce soit qui n’ait pas déjà été creusé étaient infimes, mais Anwar était pour ainsi dire désespéré, et seul lui tenait à cœur le fait que sa collègue ne fasse rien d’inconsidéré sans lui en parler. « Tu m’as entraînée là-dedans à la seconde où tu m’as demandé de te ramener ce dossier. » Touché. « Si je dois faire quelque chose de stupide, je te préviendrai avant. » Elle plaisantait – ou au moins il l’espérait – mais l’air néanmoins sérieux l’inspecteur avait appuyé d’un froncement de sourcil « Je suis sérieux, Charlie. Je peux dormir avec le fait de risquer ma propre carrière, au pire elle aura fait son temps, mais pas la tienne qui débute à peine. » Elle devait encore faire ses preuves, la blonde, plus tard peut-être lui laisserait-on volontiers le bénéfice du doute si elle décidait de prendre des chemins détournés pour parvenir à ses fins, mais pour l’heure elle ne gagnerait rien à être autre chose que respectueuse du cadre dans lequel elle venait d’obtenir le droit d’évoluer. Quant aux velléités de justicier d’Anwar, elles lui venaient assurément de sa culpabilité, et qu’il ne parvienne pas à s’en détacher ne signifiait pas pour autant qu’il n’avait pas conscience de ce dans quoi il s’embourbait. « Je comprends, n'importe qui voudrait la même chose à ta place. » Peut-être. Sans doute … Il n'en savait trop rien. Parfois Norah lui donnait l'impression de ne pas vraiment vouloir la même chose – à moins qu'elle se contente de le prétendre en espérant soulager sa conscience, à lui. « Ne mets pas ta vie entre parenthèses pour autant. Obtenir justice est important, mais cela ne le fera pas revenir. C'est plus facile à dire qu'à assimiler, je sais. » Allons bon. « Vous êtes un peu trop maligne pour mon propre bien, officier Villanelle. » Lui adressant un sourire entendu, il s’était laissé le temps d’une gorgée de café pour reprendre la parole de poser sa voix d’un ton qui, s’il n’était pas moins sérieux, avait tenté de se donner l’air moins grave. « Et je sais, c'est pas une question de le faire revenir. Mais je veux que ses enfants sachent en grandissant que ce qui est arrivé à leur père n'est pas resté impuni … Que les actes ont des conséquences. Je veux qu'ils aient de la confiance envers la justice, pas de la rancœur. » Pas comme lui, en somme. Et parce que le moment n’était peut-être pas propice au fait de creuser ce sujet, Anwar s’était fendu d’un soupir supposé clore la conversation et avait terminé d’une traite ce qu’il lui restait de café. « Merci d’être passée. Promis, je suis plus fun quand je sors pas d’une semaine à dormir. » Dormir, se repasser le fil de sa soirée avec Jackson, de ses derniers mois seul face à ce dossier auquel il n’avait même pas le droit de toucher … J’ai besoin d’un reboot, voilà quelle était finalement sa conclusion, et ce qu’il avancerait probablement au grand chef le surlendemain avant d’évoquer le nom de Charlie comme un gage du fait qu’il comptait bien revenir. Quand il serait prêt. Quand il aurait de nouveau l’impression de le faire pour de bonnes raisons.
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