What I Wouldn't Do
Raelyn Blackwell & @Chad Taylor

De mémoire d’homme, il est rare de m’avoir aperçue demander de l’aide pour quoi que ce soit, en n’importe quelle circonstance. Je ne suis pas de celles qui admettent qu’elles en ont besoin, même au bord du précipice. Je suis trop fière, trop butée, trop vaniteuse et, par-dessus tout, je déteste avoir la sensation d’avoir une dette envers qui que ce soit puisque je n’aime pas avoir de compte à rendre et, qu’à mes yeux, c’est du pareil au même. Sauf qu' aujourd’hui, alors que je n’arrive plus à atteindre Amos, à le faire parler des ces choses qui le torturent au point de le tenir éveillé la nuit, de le pousser à fuir mes bras pour se réfugier de longues heures dans le bureau, d’avoir augmenté sa consommation d’alcool à un point où même moi je m’inquiète, je suis forcée d’admettre que je ne parviens pas à trouver les réponses toutes seules. J’enrage, puisque s’il y a bien un sujet à propos duquel je n’aime pas m’étendre et que je préfère garder pour moi, c’est bien mon couple et les problèmes qu’il rencontre. Nos dispute et éclats de voix ne sont pas rares, nous sommes tous deux bien trop fiers pour ça, mais sauf exception aucune n’est grave au point de nous éloigner l’un de l’autre plus de quelques jours et, jusque là, nous n’avions rencontré aucune situation qui exige pour être résolue de faire appel à un point de vue extérieur.

Sauf que je suis fatiguée. Fatiguée de lui demander de me parler et de l’entendre dire qu’il a besoin de temps. Il a élimé ma patience et, à à peine plus de trois mois de mon terme, du temps je n’en ai plus. J’ai besoin qu’il soit là maintenant pour arrêter de me demander si cet enfant, il en veut réellement. A l’heure d’aujourd’hui une part de moi est persuadée du contraire et il est de toute façon trop tard pour faire marche arrière, autant parce que je suis trop avancée dans ma grossesse que parce que je n’envisage plus les choses autrement. Je lui en veut puisque, à la base, je n’en voulais pas de ce bébé, ou en tout cas j’en étais persuadée. Je lui en veut puisque, s’il ne m’avait pas amenée à réfléchir, à envisager un futur à trois plutôt qu’à deux, nous n’en serions pas là. Et il ose faire marche arrière maintenant ? M’abandonner dans le pire des moments ?

Je ne peux contacter les parents de mon compagnon : sa mère me déteste et refuse de reconnaître que ma place auprès de son fils est légitime - elle ne reconnaît pas le divorce - et j’ai peur que son père ait trop de tendresse pour mon amant pour être objectif et répondre à mes questions. De ses frères, mon choix se serait normalement porté sur Liam sauf qu’il semble aux abonnés absents et, n’ayant pas un bon souvenir de ma brève rencontre avec Zach, je me suis tournée vers le cadet de la fratrie. Nous nous sommes rencontrés à l’occasion de l’ouverture de l’Octopus et, s’il est resté discret, il était là lors du repas d’anniversaire de son père. Il fut bref ou en tout cas pour Amos et moi. A peine arrivés, la matriarche Taylor a nargué son aîné en s’acoquinant avec son ex-femme et, devant l’annonce de ma grossesse, elle a explosé et s’est disputé avec son fils. Je n’ai pas entendu le contenu de ce violent accrochage, mais à son terme, Amos est venu me chercher pour quitter la ferme avant même d’avoir entamé le plat principal. Les frères d’Amos eux, semblaient heureux pour nous et j’espère qu’il ne s’agit pas du fruit de mon imagination : je pourrais supporter que Chad me claque la porte au nez en prenant ainsi le partie de Sarah et de sa mère, mais je ne pourrais pas supporter longtemps encore le silence d’Amos et je suis persuadée d’avoir besoin des siens pour m’éclairer.

Il n’est pas difficile à trouver, le cadet de mon compagnon. Les gens qui n’ont rien à se reprocher apparaissent le plus souvent dans l’annuaire et, si cela n’avait pas été le cas, il m’aurait suffit de payer quelqu’un pour pirater le fichier des employés des pompiers. Bien sûr, je ne l’aurais pas avouée puisqu’au yeux du blond je suis une ancienne agent immobilier reconvertie en gérante de casino aux côtés de son frère, pas une baronne de la drogue, mais j’ai de la ressource. De toute façon, je n’ai pas eu besoin d’en venir à de telles extrémités pour dénicher son adresse et, doucement, je frappe à présent à la porte du 32 latimer road en espérant qu’il soit chez lui. « Bonjour Chad. » Lorsqu’il ouvre la porte, je lui adresse un sourire poli de rigueur. « J’espérais te trouver chez toi. » Le tutoiement m’est venu sans difficulté le jour de l’inauguration. « Je me doute que tu ne t’attendais pas à me voir. Mais j’ai… » Demander de l’aide n’est pas sorcier Raelyn. Pour la plupart des gens, ce n’est guère surprenant. « J’ai besoin de parler d’Amos à quelqu’un et je me suis dit que tu serais peut-être la bonne personne. Je peux entrer ? » Je ne suis pas venue accompagnée de mon garde du corps et je préfèrerais ne pas rester sur le pas de la porte du jeune homme, visible de tous et surtout visiblement enceinte, plus longtemps que nécessaire.

Ces quelques jours avec Casey et leur mutuelle insouciance pour seules compagnies l'avaient totalement ragaillardi. Chad n'était pas plus étonné de la légèreté de leur vie commune, aperçu d'un futur idéal, que de la facilité avec laquelle il avait oublié tous les problèmes qui avaient contribué à repousser sans cesse cette escapade. Ils étaient rentrés la veille, et si Chad pouvait encore profiter de quelques jours de répit, Casey avait déjà dû désamorcer les conflits que son absence n'avait évidemment pas interrompus. Comme ils en avaient fait une coutume depuis plusieurs matins, Chad avait traîné au lit, et peut-être bien répondu à quelques messages de Brad, qui semblait s'intéresser autant à la vie privée de son futur associé qu'à leur nouveau projet. Depuis l'accident de sa mère, et certainement aussi galvanisé par les succès de Kelly, Chad avait pris la décision de ne plus reporter ses ambitions de vie à une date incertaine. Ouvrir cette salle de sport, il en rêvait depuis des années, et s'il préférait encore garder secret l'éventualité d'un échec, il n'en était pas moins excité à l'idée de peaufiner les derniers détails. C'était un sacré chantier. La concrétisation d'un travail acharné. Même s'il se doutait qu'il allait devoir encore rallonger ses journées, Chad ne comptait pas délaisser sa clientèle. La proximité avec la caserne, quoique le fruit d'un heureux hasard, lui permettrait de ne pas courir à travers la ville pour endosser ses multiples casquettes. Il allait y laisser des plumes, mais Chad était gonflé à bloc.

La perspective de cette vie bien remplie donnait un goût plus appréciable encore à cette douche langoureuse, ou à ce café fumant qu'il avait bu en profitant de la mélodie que la pluie jouait sur les vitres de la véranda. Cela faisait bien longtemps que Chad n'avait plus pratiqué le farniente. N'attendant pas de visiteur, il avait été surpris d'entendre quelqu'un frapper à la porte. Plus surpris encore de découvrir Raelyn, la compagne de son frère, et miraculeusement la mère de son enfant à naître. Du peu qu'il l'avait côtoyée, Raelyn s'était révélée être une femme audacieuse et entreprenante. Chad aurait pourtant juré que depuis la mort tragique et précoce de sa fille, Amos avait fait une croix sur l'éventualité de la remplacer un jour. L'annonce de leur future parentalité avait été aussi brève que retentissante à la table des Taylor. Le cadet n'était pas certain d'avoir eu le temps de se montrer heureux, comme il était opportun de l'être dans ces moments, avant la dispute à laquelle il avait délibérément décidé de ne pas prendre part. Raelyn le lui reprocherait peut-être. Amos très certainement. Mais il doutait que ce fût la raison de sa présence sous son porche. « C'est clair que c'est une sacrée surprise. Mais rentre bien sûr, je suis ravi de te revoir. » avait-il répondu en s'écartant de son chemin pour lui laisser le champ libre. Ce n'était pas un mensonge, ni même le genre de convenance dont il était incapable de se défaire, d'assurer qu'il était content de sa visite. Depuis leur rencontre, ils n'avaient pas échangé plus qu'une poignée de mots en privé. Curieux de nature, Chad se demandait encore si les préjugés qu'il avait à l'encontre de sa belle sœur se confirmaient dans l'intimité. Elle n'avait pas l'air à l'aise, ni même rassurée. Il avait beau être foncièrement enchanté de l'accueillir chez lui, Chad n'en était pas moins conscient qu'une mauvaise nouvelle avait dû la porter jusque là. « Je t'offre quelque chose à boire ? Eau ou jus de fruit ? » avait-il demandé après avoir refermé la porte sur son passage. Il laissa à Rae le loisir de prendre possession des lieux. La pièce de vie étant grande, et la cuisine attrayante. « Tu sais ça va sans dire, mais je suis évidemment là si tu as besoin de parler. Tu fais partie de la famille maintenant. » l'avait-il rassuré en se dirigeant d'un pas résolu vers l'îlot de la cuisine. « Mais je comprends ta réticence, c'est pas le plus bavard des Taylor que tu as choisi. Qu'est-ce qui se passe avec Amos ? »

What I Wouldn't Do
Raelyn Blackwell & @Chad Taylor

Si j’ai toujours été à l’aise en société, pour feindre un intérêt, charmer ou attirer dans mes filets un homme ou simplement pour amener mon interlocuteur exactement là où il a besoin d’être, aujourd’hui l’attitude d’Amos me pousse hors des sentiers battu pour deux raisons : parce que je ne possède aucune notion de famille, et parce que je me suis toujours refusée à demander de l’aide, même lorsque j’en avais besoin. Je suis bien trop fière, je préfère encaisser, et relever le menton, un air supérieur sur le visage, pour prouver au reste du monde que la souffrance ne m’atteint pas. Elle ne m’atteignait pas, avant Amos. Il a réveillé mon cœur trop longtemps endormi et, avec lui, moultes émotions que j’avais oublié. Ressentir avec une telle intensité, que ce soit l’attirance physique, l’amour, la colère, la trahison et la tristesse, ne m’était plus arrivé depuis des années. A plusieurs reprises j’ai bien cru que mon coeur, rendu rigide et sec par les années, allait rompre plutôt que de plier. Aujourd’hui, alors que je suis enceinte et par définition plus sensible et sujette à vivre et ressentir en plus grand, j’en ai encore l’impression. C’est la crainte, c’est la détresse et un horrible sentiment d’être impuissante qui me pousse à frapper à la porte du petit frère de mon amant.

Pourquoi lui ? J’ai plus côtoyé Liam et, par définition, il aurait été logique que je me tourne vers lui. Sauf qu’un fois, Amos m’a confié que Chad avait été le parrain de Sofia de son vivant, et j’en déduis deux choses : d’une qu’ils sont plus proches que les blessures causées par les épreuves et les années ne le laissent supposer, de deux qu’il est le plus à même d’échanger avec moi sur les conséquences de ma grossesse, de l’arrivée de cette deuxième petite fille dans sa vie. Je connais Amos, mais j’espère que son cadet comprendra d’une façon différente le mode de pensée de l’homme Taylor et, par conséquent, celui d’Amos. J’espère qu’il me rassure et m’éclaire : pas qu’il interfère dans ma relation avec l’homme de ma vie. « C'est clair que c'est une sacrée surprise. Mais rentre bien sûr, je suis ravi de te revoir. » Surpris mais pas impoli, il s’écarte pour me laisser entrer et je m’aventure prudemment à l’intérieur de l’appartement. Je balaye l’intérieur du jeune homme du regard et me fait la réflexion qu’il a beaucoup de goût, un plus raffiné que celui de mon compagnon que j’aime décrire comme un vieux whisky : boisé, brut et rond dans la bouche. « Je t'offre quelque chose à boire ? Eau ou jus de fruit ? » Il est rare que l’on m’invite à entrer sans me proposer à minima un verre de vin et en règle général un verre de scotch et je baisse un regard amusé sur mon ventre de femme enceinte en le caressant du bout des doigts. Vivement qu’elle laisse sa mère se détendre un peu, cette petite fille qui n’a pas encore de prénom. « Tu as du café ? » Quiconque me faisant les gros yeux parce que j’en bois encore malgré ma grossesse risque gros : j’ai renoncé temporairement à l’alcool, la marijuana et la cigarette pour le bien de mon enfant. Que l’on me laisse les rares plaisirs qui sont, si pas conseillés, encore tolérés. Un peu de café pour le courage ne sera pas de refus, surtout à présent que Chad me qualifie de membre de la famille. « Tu sais ça va sans dire, mais je suis évidemment là si tu as besoin de parler. Tu fais partie de la famille maintenant. » Je laisse échapper un rire sarcastique, un que j’aurais préféré garder pour moi. « Ne le prend pas mal Chad, mais vu la réaction de ta mère, j’ignore si ça me ravit. » J’aime Amos et il est ma famille, mon tout. Mais pour le reste des membres du clan Taylor, cela reste encore à voir et dépendra de la façon dont ils traiteront mon complice ainsi que ma fille. De la façon dont ils prendront la défense de l’ancien militaire face à sa harpie de mère, aussi. Moi, j’ai le cuir assez épais pour supporter ses surnoms et son profond rejet de tout ce que je représente.

« Mais je comprends ta réticence, c'est pas le plus bavard des Taylor que tu as choisi. Qu'est-ce qui se passe avec Amos ? » Le jeune homme se dirige vers l'îlot de la cuisine et moi, je m’installe sur un fauteuil au salon sans lui en demander la permission : il existe des privilèges que six mois de grossesse vous octroient d’emblée. « Il ne me parle plus. » Comment commencer et comment lui exposer toute notre situation sans trop en dire ? Sans parler du Club et de nos différentes épreuves puisqu’elles nous ont construit ? Je pousse un soupir, passe une main sur mon front puis dans mes cheveux blonds pour les ramener en arrière. « Une part de moi pense qu’il regrette. » Ma grossesse, cela va sans dire. « C’est lui qui m’a convaincue de l’envisager. Puis il a appris que c’était une petite fille et… » Et ai-je réellement besoin de détailler les impacts que cela a eu sur le père qu’il est déjà, et qui pleure encore la mort de son aînée ? « Il s’enferme pendant des heures dans son bureau. » Il boit beaucoup, mais j’ai décidé de le garder pour moi. « Il se glisse hors de la chambre la nuit pendant des heures, quand il pense que je dors. » J’aime mon amant autant que je le déteste, en cet instant, de me pousser à demander de l’aide. « Je ne sais plus comment faire pour qu’il me parle. » Pour qu’il me rassure, qu’il me dise ce qui le tourmente. Je ne suis pas certaine non plus d’avoir envie de le savoir, c’est facile de rester dans le déni, d’espérer qu’il s’agit d’autre chose quand au fond, j’en suis convaincue, il regrette : il a changé d’avis.

N’importe qui l’aurait accueillie avec un minimum de bienveillance. C’était un des privilèges de la grossesse, d’éprouver continuellement l’amabilité des gens tout en condamnant aux yeux des autres le manque de compassion des quelques irréductibles qui, soi-disant plongés dans une lecture dévorante, refusaient de céder leur place dans le bus. Chad espérait néanmoins qu’au fond, et en dépit des informations superficielles qu’elle avait pu glaner sur lui, Rae devinait sa courtoisie plus naturelle qu’elle était obligée. Noyées sous un flot de convenances et autres artifices de circonstances, les présentations avaient été sommaires. Aucun des deux n’avait semblé cependant mentir aux premiers abords, comme il était courant de le faire pour plaire à ceux qu’on était contraint de fréquenter. Non pas que Chad rechignait à revoir celle qu’il restait frileux à qualifier de belle-sœur, parce qu’elle l’intimidait autant que son frère peut-être, et qu’il la devinait aussi peu attachée que lui aux usages, mais il soupçonnait sa présence d’être un mauvais présage, et ce moins parce qu’il avait décelé chez elle un brin d’orgueil que parce qu’il connaissait les travers de son frère. Comme lui d’ailleurs, il imaginait chez elle une pointe de jugement lorsqu’un hôte leur offrait autre chose qu’un verre d’alcool, quelle que fût l’heure de la journée. Il se rappelait la déception d’Amos quand il lui avait demandé un verre d’eau, le contraignant à la même mesure pour ne pas passer pour un ivrogne. Chad ne se serait de toute manière pas aventuré à proposer à une femme enceinte autre chose que ce qu’il considérait raisonnable. « Oui bien-sûr. » avait-il répondu en s’emparant d’une tasse. Il y versa le café encore chaud qu’il avait préparé quelques minutes plus tôt.

Le rire qu’elle lui opposa était nerveux, et surtout justifié. Rae n’avait pas fait l’expérience d’un accueil aussi chaleureux à Kilcoy, ou du tout du moins pas la nouvelle de sa grossesse inespérée. Chad connaissait assez sa mère pour savoir qu’elle avait juste manqué de temps, et certainement de jugeote, avant de se décider à réagir. Le silence aurait peut-être été plus gênant encore. Elle était de toute manière trop attachée au passé pour accepter les divorces respectifs de ses enfants, et Rae ignorait sans doute qu’elle n’était pas la seule à en faire les frais. La jeune femme s’était installée au salon. Chad ignorait s’il avait failli dans la procédure pourtant huilée de son accueil, ou si elle était simplement du genre à s’approprier l’espace avec la même facilité que son charisme ensorcelait les gens. « Je te rassure, ça n’a pas grand-chose à voir avec toi. Elle a juste du mal à s’adapter aux changements. Dans 2 semaines elle aura déjà tout oublié et elle vous demandera des nouvelles du bébé. » avait-il répondu en la rejoignant au salon. Il lui tendit la tasse de café, puis déposa sur la table basse le sucrier dont il doutait de l’utilité. Oui sa mère aurait oublié, puis fait la paix avec l’idée d’être grand-mère à nouveau, même si se raccommoder avec elle et ses jugements arriérés serait une autre paire de manche. « Et Sarah ne lui rend pas la tâche plus facile en continuant à graviter dans sa vie. » avait-il ajouté, comme s’il réalisait soudain que la relation de son ancienne belle-sœur avec sa mère avait des allures de vengeance malsaine. Il appréciait Sarah, mais il comprenait aussi qu’au vu des rapports qu’elle entretenait avec Amos, il valait mieux se retirer un peu de leur famille. Rae approuverait sans doute.

La véritable raison de sa venue s’invita bien vite dans la conversation. On sentait dans sa voix tout le poids de sa détresse. Une sorte de résignation qu’elle n’avait plus envie de laisser couler. Si ce n’était pas la première fois qu’Amos se montrait taciturne, la raison quant à elle n’avait jamais été aussi évidente. A défaut d’être tout à fait surpris, Chad pouvait compatir. Il n’y avait de toute manière qu’une seule alternative à cette perspective d’être le père d’une nouvelle petite fille. « Je suis désolé Raelyn. » avait-il trouvé nécessaire de déclamer. Des excuses qu’il proférait au nom de son frère. Il n’avait pas pu se résoudre à l’appeler Rae. Par politesse autant que parce que la situation était grave. « Je suis sûr qu’il ne regrette rien. C’est devenu réel d’un coup, et il était peut-être pas encore préparé à affronter cette réalité. » avait-il voulu rassurer. Cette grossesse, c’était la roulette russe. Aurait-il réagi différemment à l’idée d’élever un garçon ? Chad en doutait. Le fantôme de Sofia aurait continué à le hanter dans tous les cas. « Tu sais ça a beau faire des années, je ne crois pas qu’aucun de nous ait totalement fait le deuil de Sofia. C’est pas un sujet qu’on aborde, comme tous les sujets un peu trop intimes finalement. Le problème ce n’est pas toi, et encore moins le bébé. C’est bien plus profond que ça. Il l’acceptera jamais, mais il y a des choses qu’il ne peut pas gérer tout seul. » Naturellement, le dos de Chad s’était courbé. Lui-même portait la responsabilité de ce deuil. Il mentirait en affirmant que la nouvelle ne l’avait pas ébranlé non plus. « C’est à une personne extérieure qu’il devrait parler. Mais tu connais Amos, faut le convaincre que l’idée vient de lui. » Le forcer à parler était la meilleure façon de le braquer. Et de toute évidence c’était ce qu’il cherchait à éviter quand il se terrait dans le silence.

What I Wouldn't Do
Raelyn Blackwell & @Chad Taylor

Mon café fumant entre mes doigts j’ai la réaction la plus naturelle qu’il soit dans ma position lorsqu’il me qualifie de membre de la famille : un rire sarcastique. Je n’ai rien contre le frère d’Amos, mais ce que j’ai vu du clan Taylor ne donne pas plus envie que ça d’y appartenir. Ma famille c’est Amos, et bientôt ma fille, et ça me suffit amplement. Je n’ai jamais fait partie de ceux qui ont besoin d’entretenir un large cercle de présences rassurantes. « Je te rassure, ça n’a pas grand-chose à voir avec toi. Elle a juste du mal à s’adapter aux changements. Dans 2 semaines elle aura déjà tout oublié et elle vous demandera des nouvelles du bébé. Et Sarah ne lui rend pas la tâche plus facile en continuant à graviter dans sa vie.  » Je grimace, avant de répondre avec amertume. « Elle aura peut-être oublié… » Puisque c’est facile lorsqu’on est en tort, d’oublier. « Mais pas lui. » Pas Amos qu’elle a blessée en lui donnant l’impression de rejeter tout ce qui lui fait du bien, en lui donnant à nouveau l’impression d’être un raté. « Et certainement pas moi. » Ai-je honte d’admettre que je suis plus rancunière que Némésis elle-même ? Pas le moins du monde : comme je l’ai dit, je me moque d’être acceptée par la famille d’Amos. Si cela n’a de l’importance à mes yeux, ce n’est que pour mon complice et parce qu’il souffre d’être ainsi désavoué. Si sa mère se raisonne et qu’elle présente des excuses, je ferai bonne figure pour lui, mais j’ai déjà tranché en ce qui concerne la septuagénaire : jamais elle ne sera dans mes bonnes grâces. Quant à Sarah, il est à mes yeux de la responsabilité de ma belle-mère de lui montrer poliment (ou pas) le chemin de la sortie. Sarah n’est qu’une femme pétrie par la fierté, la jalousie, le deuil et la colère : il est presque injuste d’attendre d’elle qu’elle soit capable de couper le cordon. Margaret Taylor, en revanche, ferait mieux de penser avant tout à son fils et, bientôt, à sa petite fille.

« Je suis désolé Raelyn. » Je ne lui ai pas dit tout ça pour qu’il le soit, mais je doute que ce soit le genre de réponse qui lui plaise. S’il y a quelque chose qui me révolte, c’est l’idée d’être prise en pitié et c’est en partie pour ça que je me refuse toujours à demander de l’aide. Ce dont j’ai besoin, ce n’est pas de sa sollicitude : c’est d’une solution ou d’une piste de quelque chose. Je veux comprendre le pourquoi, parce que je suis fatiguée d’avoir mal au coeur, et je veux surtout tout connaître du comment. « Je suis sûr qu’il ne regrette rien. C’est devenu réel d’un coup, et il était peut-être pas encore préparé à affronter cette réalité. » Pour moi aussi c’est devenu réel d’un coup, et c’est peut-être ça le problème. Je dois m’occuper de mes propres angoisses, celles qui naissent de l’idée de devenir mère, je suis fatiguée par la grossesse et le silence d’Amos n’aide pas. Je ne peux l’aider que s’il me parle : à rester silencieux, il vient nourrir des craintes nouvelles et, en tête de peloton, celle qu’il ait changé d’avis et qu’il regrette. J’étais pas prête non plus. Je ne peux le devenir que s’il m’y aide, que si on le fait à deux. « Tu sais ça a beau faire des années, je ne crois pas qu’aucun de nous ait totalement fait le deuil de Sofia. C’est pas un sujet qu’on aborde, comme tous les sujets un peu trop intimes finalement. Le problème ce n’est pas toi, et encore moins le bébé. C’est bien plus profond que ça. Il l’acceptera jamais, mais il y a des choses qu’il ne peut pas gérer tout seul. » - « Il est pas seul. Il l’a été très longtemps… » Je ne cherche pas à insulter le frère de mon compagnon et je ne l’accuse de rien non plus, je ne fais qu’énoncer les faits. Que ce soit parce qu’il a fermé la porte à ses proches plutôt que parce qu’il a été abandonné par ces derniers ne change rien au résultat. « Mais il l’est plus. Et il le sait. » Avec moi, il a su outrepasser ses travers : ils sont pudiques chez les Taylor, Chad lui-même l'affirme, ils ne parlent pas. Sauf que j’aime croire que je suis l’exception d’Amos, autant qu’il est la mienne à bien des égards, et c’est d’autant plus frustrant d’être dans le cas présent confrontée à une porte close. « Je sais que tu le connais. » Mais pas mieux que moi, c’est impossible, pas alors qu’il a tant évolué depuis deux ans. « Mais il sait faire avec moi. Et c’est bien parce qu’il le fait pas que je sais que… » Moi aussi, je suis supposée avoir évoluer. Et pour ça, je dois arrêter de penser que je sais et de refuser de démordre de l’idée que je me suis faite. « C’est parce qu’il le fait pas que je pense qu’il n’en veut plus. » Puisque je ne suis pas de celles qui baissent les yeux, pour dissimuler mon trouble, je porte ma tasse à mes lèvres et j’en avale une grosse gorgée. « C’est à une personne extérieure qu’il devrait parler. Mais tu connais Amos, faut le convaincre que l’idée vient de lui. » Je laisse échapper un rire jaune, avant de hocher la tête doucement, un sourire sur les lèvres. « Je peux faire beaucoup de choses, et je suis flattée que tu me surestimes, mais je suis pas magicienne : je peux pas convaincre Amos de parler de son deuil à un professionnel. » Peut-être ai-je mal compris, peut-être n'était-il pas question de psychologue dans l’esprit de Chad.

Les doigts autour de ma tasse, le regard dans le vide, je renoue finalement le contact visuel avec le blond. « On a travaillé dur pour plus qu’elle soit un obstacle à notre relation. » Ai-je besoin de préciser que c’est de Sofia qu’il est question ? « Et je veux pas que notre fille grandisse dans son ombre. » Je ne veux pas qu’à chaque étape clé de sa vie, elle ait le sentiment d’être comparée à son aînée.

Tout ce qu'il connaissait de Raelyn se limitait finalement à de simples préjugés. Il ne lui avait jamais posé de questions, non pas par manque d'intérêt, mais parce que l'occasion ne s'était jamais présentée. Ce que Chad savait, c'était qu'elle semblait avoir une influence positive dans la vie de son frère, et qu'elle tenait suffisamment à lui pour s'imposer dans une famille qui comptait à ses yeux, mais qui ne lui avait pas donné en retour l'impression d'être la bienvenue. Cela devait être particulièrement frustrant. Amos aurait beau l'aimer de tout son être, il ne pourrait jamais tirer un trait sur ses propres parents pour la raison pourtant suffisante qu'ils n'appréciaient pas à sa juste valeur la mère de sa fille à venir. Chad ignorait bien les rapports que Rae pouvait entretenir avec sa propre famille. Il ignorait même si elle en avait une, de famille. Si ce n'était pas la raison pour laquelle elle s'était sentie d'autant plus vexée, humiliée, de ne pas faire l'unanimité dans le clan Taylor, dont la ville de Kilcoy vantait la sympathie. C'était une sacrée entaille dans sa dignité. Chad ne pouvait pas compenser les manquements de sa mère, et ce n'était d'ailleurs pas plus son intention que celle de prouver à Raelyn que tout le monde pouvait changer d'avis, elle la première. La relation de l'aîné et du cadet de la famille Taylor n'avait pas la réputation d'être la plus apaisée de toutes. Amos en voulait à son plus jeune frère pour des tas de raisons, et les rares confidences qu'il pouvait accorder au sein de leur fratrie se tournaient plutôt vers Liam et Zack. Voir débarquer Raelyn chez lui pour lui réclamer timidement son aide sonnait comme un aveu. L'aveu que Amos lui avait peut-être fait quelques confidences à elle, sur sa volonté de construire une relation digne de ce nom avec son frère. Depuis qu'il lui avait fait son coming out, Chad avait remarqué un semblant de progrès. Amos avait fait preuve d'une incroyable bienveillance, et c'était son tour de lui rendre la pareille en prodiguant à Raelyn ses plus humbles conseils. Il avait voulu la rassurer, mais la blonde était tenace, sans doute opiniâtre. Il le fallait bien pour ne pas se faire totalement écraser par un Amos bouffi d'orgueil. Et elle l'ignorait certainement, mais c'était un défaut qui plairait à leur père. Bill était sa meilleure porte d'entrée vers le cœur de la matriarche Taylor. « Tu as des frères et sœurs, Rae ? » avait-il demandé. La question pouvait sembler hors de propos, mais Chad trouvait au contraire important d'avoir ne serait-ce qu'un aperçu de son attachement aux valeurs familiales. Elle avait tort de penser que l'aîné de la fratrie pouvait nourrir la même rancune qu'elle à l'encontre de Maggie Taylor. Contrairement à cette dernière et aux valeurs qu'elle prônait à l'église, ses enfants lui pardonnaient beaucoup de choses. Elle avait depuis toujours exercé ce pouvoir sur eux.

En plus d'être rancunière, Raelyn était fière. Certaines questions n'étaient pas nécessaires pour se faire une idée précise et honnête des gens. Cela se voyait sur son visage qu'elle s'était fait violence pour sonner à sa porte. Elle faisait partie de ces gens pour qui attraper une main tendue était un aveu de faiblesse. Elle ferait une très bonne mère, car elle était là au bout du compte. Elle était là, à réprimer quelques sursauts d'orgueil pour le bien de son enfant. C'était ça qui lui importait finalement, de préparer un terrain favorable à leur vie de famille en se débarrassant des dernières angoisses d'Amos. « Je sais qu'il n'est pas seul. Mais il est fier, et il est convaincu de n'avoir besoin de personne pour régler ses problèmes. » Rae avait beau être présente, elle ne pouvait pas l'aider s'il refusait d'admettre qu'il en avait besoin. Le déni coulait dans les veines des Taylor, et Chad était particulièrement bien placé pour le savoir. Si lui-même se livrait à Casey, il préférait garder certaines craintes pour lui. Le seul à qui il ne faisait pas confiance, c'était lui-même. Amos était pareil. « Il se met une pression énorme. Il a besoin d'être rassuré. D'entendre que ce sera différent cette fois. S'il a accepté d'avoir ce bébé avec toi, c'est parce qu'il a confiance en votre avenir. » avait-il tâché de la rassurer. Ses mots n'étaient pas vides de sens. Ce n'était pas le genre de discours de soutien creux qu'on dispensait pas obligation. Il était intimement persuadé que Rae et lui étaient destinés. Et il connaissait suffisamment son frère pour savoir qu'il ne prendrait jamais ce genre de décision à la légère. Amos avait beau être pudique, il n'était pas toujours conciliant. Il ne faisait pas les choses par complaisance. Il n'avait pas dit oui à cette enfant pour lui faire plaisir. Comme elle le disait si justement, Raelyn n'était pas magicienne. Elle se fourvoyait cependant en se persuadant qu'il était plus simple pour elle de le contraindre à lui parler à elle plutôt qu'à quelqu'un de compétent. Il fallait parfois mettre son ego de côté pour le bien de ses proches. Admettre qu'elle était incapable de l'aider n'était pas un abandon. Elle pouvait très bien l'accompagner sans devoir endosser tous les rôles. « Tu crois que je pourrais le convaincre, moi ? » demanda-t-il naïvement. Chad en doutait. D'ailleurs, aborder ce sujet avec lui reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Mais pour le bien de sa nièce, il était prêt à consentir à jouer les paratonnerres. « Elle n'est pas Sofia, et comme tu le dis ce serait regrettable pour elle de devoir grandir dans son ombre. C'est important que Amos se mette ça en tête. C'est normal et humain qu'il fasse ce transfert. Mais il aura beau faire du mieux qu'il pourra, il fera toujours des erreurs et il doit l'accepter. C'est ça être parent. » La peur de Raelyn était fondée. L'annonce du sexe du bébé avait forcément réveillé un traumatisme latent. « Et tu n'as pas à être la seule à le soutenir. Il m'en veut encore pour Sofia, j'en suis sûr, mais je serai toujours là. » avait-il répété, quitte à revenir en arrière et perdre le peu de sérénité qu'ils étaient parvenus à retrouver dans leur relation fraternelle.

What I Wouldn't Do
Raelyn Blackwell & @Chad Taylor

« Tu as des frères et soeurs, Rae ? » La question ne devrait pas me supprendre - Chad est certainement fait dans le même bois que son frère aîné et les notions de famille et d’unité sont importantes pour mon compagnon - mais je le suis tout de même. Elle est personnelle cette question, elle est du genre que l’on me pose rarement, dans mon univers. Personne n’ose, tout le monde reste à sa place et la vie privée des membres du Club le reste la plupart du temps, privée. Mais Chad ne me connaît pas comme chef de file du Club, organisation criminelle vieille de plusieurs dizaines d’années. Pour le blond, je suis la nouvelle compagne de son frère, ancienne agent immobilier indépendante reconvertie en gestionnaire de l’Octopus aux côtés d’Amos. Je n’ai pas la prétention d’affirmer que je lui ai paru sympathique ou accessible au premier abord, mais il est logique compte tenu des cartes qu’il possède en main qu’il m’aborde avec familiarité. « Non. » Pardon Spencer, pardon Liam que j’oublie presque. « Enfin si. Mais pas comme tu l’entends. » Gagnerais-je en sympathie et en considération auprès des Taylor parce que ma mère a eu plusieurs enfants ? J’en doute, étant donné que je les ai laissés derrière moi sans jamais regarder en arrière. « J’ai un frère, oui. Avec lequel je ne suis plus en contact depuis… » Quelques secondes me suffisent à faire le calcul. « Depuis dix-sept ans. » La moitié de ma vie, donc. « Si ce que tu cherches à savoir c’est si je suis famille, alors la réponse est non. » Je ne vais pas mentir pour plaire au clan de mon complice : lui m’aime et m’accepte, et c’est bien suffisant à mes yeux. Je n’ai jamais menti pour plaire, de toute façon.

« Je sais qu’il n’est pas seul. Mais il est fier, et il est convaincu de n’avoir besoin de personne pour régler ses problèmes. » Je n’ai rien à répondre à ça : malgré les blessures et l’éloignement causés par la mort de Sofia, Chad connaît son frère, c’est une évidence. La fierté, c’est l’une des choses que nous avons en commun, Amos et moi, et je le suis certainement plus encore qu’il ne l’est. Trop souvent à la genèse de notre histoire, il m'a reproché de me cacher derrière, de la laisser se mettre entre nous et si pour lui j’ai appris à m’en dévêtir, il n’en reste pas moins vrai que je suis la mieux placée pour comprendre ce que le blond avance. « On parle bien de la même personne… » J’esquisse un sourire en admettant qu’il marque un point. « Il se met une pression énorme. Il a besoin d’être rassuré. D’entendre que ce sera différent cette fois. S’il a accepté d’avoir ce bébé avec toi, c’est parce qu’il a confiance en votre avenir. » Sa formulation me donne l’impression d’avoir mis un couteau sous la gorge à mon amant ou, au mieux, un ultimatum. Or, cet enfant, c’est lui qui m’a convaincu de l’avoir. C’est lui qui m’a aidé à ouvrir mon coeur à ce que je refusais de voir : que je le voulais, cet enfant, parce qu’il est de lui. « Je peux pas le rassurer s’il s’ouvre pas à moi. » Je réplique, mais avec moins de conviction, puisque si Chad a bel et bien mis le doigt sur quelque chose de pertinent, ce qu’il ignore c’est ma crainte d’entendre la vérité. Je crois que si je ne pose pas la question de but en blanc à Amos - de savoir s’il a changé d’avis - c’est parce j’ai peur de connaître la réponse : je préfère nier l’évidence que l’entendre. « Il sait que ce sera différent. » Ou en tout cas, j’en suis persuadée. « Il sait que je suis pas Sarah. » Le prénom est prononcé avec tout le mépris que je ressens pour la rousse. Nous n’avons rien à voir, elle est moi, et je doute que la famille d’Amos ait conscience d’à quel point elle lui donnait l’impression de ne pas être à la hauteur.

« Tu crois que je pourrais le convaincre, moi ? » - « Ce que je crois, c’est que ça ne coûte rien d’essayer. » Je n’ai pas besoin qu’il plaide ma cause : je veux simplement qu’Amos puisse se livrer à quelqu’un et que, ce faisant, il réalise qu’il doit me parler à moi. « Elle n’est pas Sofia, et comme tu le dis ce serait regrettable pour elle de devoir grandir dans son ombre. C’est important que Amos se mette ça en tête. C’est normal et humain qu’il fasse ce transfert. Mais il aura beau faire du mieux qu’il pourra, il fera toujours des erreurs et il doit l’accepter. C’est ça, être parent. Et tu n’as pas à être seule à le soutenir. Il m’en veut encore pour Sofia, j’en suis sûr, mais je serai toujours là. » Un sourire amusé étire mes lèvres et, sans l’once d’une hésitation, je fais un parallèle évident avec le début de notre échange. « Tu es père, Chad ? » La question est rhétorique : je sais que non. Je sais que Sofia était l’unique petite fille de sa génération et je sais que notre fille aura elle aussi ce poids sur ses épaules et je déteste ça : elle est à nous, à Amos et à moi, et je n’ai pas l’intention de la partager avec qui que ce soit pour l’instant. « La personne à laquelle il en veut le plus pour Sofia, ce n’est pas toi. » C’est lui-même, de toute évidence. Comment les choses pourraient être différente alors qu’en plus d’avoir perdu sa fille dans des circonstances tragiques, il a dû écouter son ex-femme le dépeindre comme le pire et le plus incompétant des pères au tribunal dans le simple but de le détruire, de se venger d’avoir refait sa vie ? Je ne m’autorise pas à le dire à voix haute puisque cela concerne mon amant, mais je pense même que s’il en a tant voulu à son frère, c’était parce qu’il avait besoin d’un coupable, il avait besoin que quelqu’un d’autre que lui soit à blâmer pour faire face à son deuil. « Il a toujours été comme ça, Amos ? » C’est la curiosité plus que les circonstances qui me poussent à lui poser cette question. Mon compagnon a-t-il toujours été si intransigeant avec lui et peu enclin à s’ouvrir aux autres lorsqu’il en aurait pourtant besoin, ou bien est-ce un comportement que les différentes tragédies de son existence ont induit ?

Sans se braquer totalement, Raelyn était sur la défensive. Pas surprenant étant donné la familiarité avec laquelle Chad s'était adressé à elle. Du moins, c'était ce qu'elle avait pu déduire de l'exception dans son ton, de l'attitude sans filtre qu'il réservait à ses proches, lui qui était d'ordinaire si enclin à marcher sur des œufs. Après tout c'était l'avantage de la famille, de pouvoir dire les choses franchement, sans ménagement, avec la conviction que l'offense finirait par se transformer en compréhension. « C'était pas très subtil de ma part. » s'était-il défendu avec un sourire un peu penaud. Raelyn avait décrit une famille éclatée. Un frère avec qui elle n'avait pas eu d'échange depuis dix sept ans. Même pour lui qui avait déménagé à Brisbane et avait rapidement apprivoisé la vie citadine, ce chiffre paraissait fou. Mais il n'avait pas posé la question dans le but de la juger. « J'essaye juste de te comprendre. Qu'est-ce que ça veut dire être famille après tout ? La nôtre est aussi dysfonctionnelle à sa manière. » Il avait haussé les épaules, résigné, même s'il n'attendait pas la moindre compassion de la part de Raelyn. Sa révélation néanmoins ne lui semblait pas anodine. Bien-sûr il ignorait ses raisons, mais si la blonde était assez rancunière pour rayer son propre frère de sa vie, elle n'aurait aucun mal à condamner le moindre écart de conduite de sa belle-mère. Amos lui avait-il raconté sa réaction lorsqu'il avait annoncé la grossesse de Sarah ? A quelques points similaires, et cela ne l'empêchait pas aujourd'hui de lui vouer un culte. « Ce que je veux dire c'est que tu as le droit d'en vouloir à ma mère, et tu as le droit de prendre ton temps pour trouver tes marques dans la famille. On parle souvent de clan Taylor, mais c'est un terme imprécis. C'est pas tout ou rien, tu peux avoir tes préférences. Ma mère ne décide pas pour tout le monde, et son avis sur les choses ne regarde qu'elle. » avait-il expliqué. Ce qu'il craignait surtout, c'était de la voir se servir de son aversion pour Maggie Taylor pour éloigner Amos du reste de la famille. Tout comme eux elle n'aurait qu'à composer avec ses prêches une poignée de fois dans l'année. Aux yeux de Chad ce n'était pas insurmontable, mais il semblait oublier que Rae n'avait aucune obligation morale de l'apprécier, et même au contraire la tentation de la détester par définition.

Les silences de Raelyn étaient dignes d'un assentiment. Comme Amos, elle était plutôt avare en mots. Ou peut-être s'empêchait-elle seulement de réagir à ce qu'elle considérait évident. Ce n'était pas un concours, Chad était même plutôt humble quand il était question de son frère, et il pouvait facilement lui accorder qu'elle le connaissait mieux que lui. Elle lui concéda un sourire. C'était idiot, pourtant Chad était rassuré de constater qu'il n'était pas non plus totalement à côté de la plaque. Il avait besoin de ce genre de signaux pour légitimer ses conseils. Le genre de signaux dont, à l'évidence, Raelyn devait se passer pour rassurer son frère. Elle était incontestablement plus robuste que lui. « Tu pourrais, en tâtonnant un peu. S'il a du mal à s'ouvrir, il faut verbaliser à sa place. Au moins pour commencer. » Facile à dire, quand on était confronté à lui qu'une fois de temps en temps. Chad imaginait bien la difficulté que cela devait représenter au quotidien. La patience et l'endurance qu'elle devait déployer pour tirer de lui des choses que d'autres exprimaient naturellement. « T'as sans doute raison. » avait-il répondu quand elle affirma que ce serait différent. Raelyn n'était de fait pas Sarah, comme elle s'obstinait à le rappeler. Chad n'avait pas grand-chose contre cette dernière, si ce n'était qu'il trouvait sa présence à la ferme malvenue. Il n'était pas utile de guetter la présence d'Amos pour rendre visite à leurs parents, mais c'était la seule façon qu'elle avait trouvé de garder une emprise sur sa vie. Il opina lorsqu'elle lui octroya le privilège d'essayer de raisonner Amos. Elle n'avait pas l'air plus convaincu qu'elle était désespérée.

Le sourire qui étira ses lèvres n'augurait rien de bon. Ce n'était pas vraiment la réaction à laquelle Chad aurait pu s'attendre. « Ok, c'était mérité. » avait-il concédé, bon joueur. Il lui avait rendu son sourire. Raelyn n'avait pas tort, il spéculait beaucoup, mais n'était-ce pas ce qu'on attendait des autres quand on leur demandait conseil ? « Non je suis pas père, mais j'y ai beaucoup réfléchi. A l'époque où j'étais encore marié. Ça reste de la théorie, mais tant que le bébé n'est pas là c'est de toute façon de la théorie, non ? » Sa question n'était pas rhétorique. Pourtant Chad était convaincu qu'il n'avait pas besoin d'avoir les mêmes angoisses que son frère pour comprendre d'où pouvait en provenir la source. Et s'il avait eu l'audace de s'inclure dans l'équation, ce n'était pas pour entendre Raelyn l'innocenter à la place d'Amos. La culpabilité qu'il ressentait était sincère et légitime. « Je sais. Il faut toujours trouver un coupable, c'est bien le problème. » avait-il néanmoins admis. Au final, Chad aurait même préféré que son frère le tienne davantage responsable si cela avait pu le décharger un peu de ce fardeau. Après tout, leurs rapports avaient été anecdotiques depuis la mort de Sofia, et aucun ne pourrait nier qu'elle en était une des raisons. La question de Raelyn aurait pu paraître importune si elle ne dénotait pas un besoin de se rassurer. Elle devait bien se douter que le père de sa fille avait toujours été ainsi et qu'elle n'avait aucune responsabilité à endosser. Chad se cala au fond du canapé. « Pas vraiment. Enfin, il a toujours été pudique sur ses sentiments, mais il était moins sur le qui-vive avant son passage à l'armée. Je pense qu'il a laissé une partie de son innocence là-bas. » avait-il commencé, les regard distrait comme s'il cherchait dans l'air des bribes de souvenirs. « Avant ça c'était un homme plutôt terre-à-terre. Traditionnel. Mais tous les frères Taylor sont passés par cette phase avant de faire un rejet de l'éducation protestante. Entre nous il est sans doute plus lui-même maintenant qu'il ne l'était avec Sarah. » On en revenait encore et toujours à Sarah. Le nerf de la guerre. Chad avait bien compris que cracher sur elle était un moyen facile et efficace de se mettre Raelyn dans la poche. « Mais désolé de devoir te dire qu'il n'a jamais été quelqu'un de très poétique. Il est doué pour raconter des histoires, mais pas les siennes. Il a tendance à croire que ça n'intéresse personne. » Amos était un pragmatique. C'était d'ailleurs ce qui les avait éloignés à une période de leur vie. Au-delà de ne rien comprendre à l'art, il le dénigrait. Mais il était bien plus doué de ses dix doigts que Chad ne le serait jamais.

What I Wouldn't Do
Raelyn Blackwell & @Chad Taylor

« C'était pas très subtil de ma part. » - « Je ne suis pas triste ou touchée. » Ne t’en fais pas, donc. Je ne pense à ceux que j’ai laissé derrière moi que lorsque l’on m’interroge à leur sujet : je ne pleure ni ne chéris les souvenirs - le peu qu’il m’en reste - parce que je suis nostalgique. « Avoir les mêmes parents, ça veut pas forcément dire avoir quoi que ce soit en commun. » Et ça ne veut pas forcément dire non plus que l’on est obligé de tracer sa route de sorte à ce qu’elle croise celle de son frère ou sa sœur. Liam et moi, nos chemins se sont séparés sans que cela fasse de la peine à qui que ce soit, il me semble en tout cas. Il en va de même pour ma mère, mais je sais que les Taylor n’ont pas été élevés comme ça et si je m’efforce de faire comprendre à Amos ce que je ressens vis-à-vis des miens parce qu’il partage ma vie, je n’insiste pas auprès de son frère. Je sais que ma vision des choses est certainement à l’opposé de la sienne, trop différente pour qu’il puisse le concevoir. « J'essaye juste de te comprendre. Qu'est-ce que ça veut dire être famille après tout ? La nôtre est aussi dysfonctionnelle à sa manière. » Elle l’est tout court, si on me pose la question. Amos est un adulte, un adulte qui a la quarantaine passée et, à mes yeux, personne ne devrait être en droit de remettre en question ses choix avec la violence dont a fait preuve leur mère. Je ne suis pas intervenue par respect pour mon complice, mais l’envie d’asséner une violente gifle à sa mère ne manquait pas. « Ce que je veux dire c'est que tu as le droit d'en vouloir à ma mère, et tu as le droit de prendre ton temps pour trouver tes marques dans la famille. On parle souvent de clan Taylor, mais c'est un terme imprécis. C'est pas tout ou rien, tu peux avoir tes préférences. Ma mère ne décide pas pour tout le monde, et son avis sur les choses ne regarde qu'elle. » La notion de famille l’est tout autant, imprécise, à mes yeux. Avant, je pensais qu’elle ne comptait pas pour moi. Aujourd’hui, je réalise que je suis en train de la construire, et que cette famille, Amos, notre future fille et moi, c’est la seule qui compte. « Ce qui est triste, c’est qu’aucun de vous ne semble décidé à lui dire qu’elle a tort. Qu’en plus de se mettre son fils à dos, c’est de sa petite fille qu’elle va se priver si elle ne met pas un peu d’eau dans son vin. » Et si elle ne présente pas d’excuses sincères, ce n’est pas de moi que viendra cette mise à l’écart ou, en tout cas, je pressens que c’est ce qu’il se passera. Amos est rancunier, peut-être l’une des rares personnes à pouvoir rivaliser avec moi sur ce point là. « Mais j’entends. Et t’as pas à t’en faire… » D’une part parce que je ne tenterais jamais d’éloigner mon compagnon des siens. « Je sais faire la différence. » Entre qui est contre moi et qui ne l’est pas. Ce que je pense de chacun d’entre eux n’est pas encore arrêté.

« Tu pourrais, en tâtonnant un peu. S'il a du mal à s'ouvrir, il faut verbaliser à sa place. Au moins pour commencer. » Si mes lèvres esquissent une grimace, c’est parce que j’ai déjà essayé. J’ai essayé, ce soir où Olivia m’a appelée pour que je vienne le chercher au bâteau et qu’il est resté muet ou presque toute la soirée. J’ai rivalisé de douceur et de tendresse. Je continue à penser que si je n’ai pas réussi à le pousser à s’ouvrir, c’est parce que j’avance à l’aveugle : je ne sais pas de quoi il a besoin d’être rassuré, ce qu’il a besoin d’entendre. Mais j’essaierai à nouveau. Je continuerai jusqu’à ce que mes forces m'abandonnent puisque je ne suis pas une sûr-femme, pas autant que je le voudrai et mes propres angoisses pèsent déjà lourd dans la balance. « T'as sans doute raison. » Il essaiera. Je n’ai pas besoin qu’il le formule, je le vois dans son regard, celui qu’il a semblable à mon complice. Les yeux bleus de la famille Taylor ne mentent pas ou, en tout cas, pas à moi. Je n’ai pas besoin de passer des heures en la compagnie du plus jeune pour savoir que c’est un type bien, un type qui aime son frère même s’il ne le comprend pas toujours. « Ok, c'était mérité. » - « C’était pas une attaque, Chad. Je suis pas encore mère non plus. » Et par conséquent, nous sommes aussi démunis l’un que l’autre face à la peine d’Amos. « Non je suis pas père, mais j'y ai beaucoup réfléchi. A l'époque où j'étais encore marié. Ça reste de la théorie, mais tant que le bébé n'est pas là c'est de toute façon de la théorie, non ? » Je hoche la tête doucement. Bien sûr, c’est plus compliqué que ça, mais comment pourrais-je lui dire que, cette fille que je porte, je me sens déjà prête à sortir les armes pour la protéger ? Comment le faire sans me donner à moi-même la désagréable impression de trop m’ouvrir et de faire preuve de trop de sentimentalisme face à un inconnu ? Cette facette n’est réservée qu’à Amos. Il n’y a que lui, qui sait que je suis plus que ce que je veux bien montrer au reste du monde. « Je sais. Il faut toujours trouver un coupable, c'est bien le problème. » - « Il te tient pas coupable non plus. Peut-être qu’il l’a fait… » Je n’ai connu Amos que deux ans après la perte de sa fille, et il en a fallu un de plus pour que j’ai toutes les cartes en mains. « C’est lui le coupable, dans son esprit. C’est ça qui est dur à gérer. » Se sent-il coupable, d’aller de l’avant en fondant une famille avec moi ? Se dit-il parfois que ce n’est pas juste, pas alors que son premier enfant ne respire plus ? « Pas vraiment. Enfin, il a toujours été pudique sur ses sentiments, mais il était moins sur le qui-vive avant son passage à l'armée. Je pense qu'il a laissé une partie de son innocence là-bas. » Je le crois aussi, d’après les rares conversations que nous avons eu à ce sujet. Quel genre d’adolescent était-il ? De compagnon ? De jeune-homme, bien que brisé ? « Avant ça c'était un homme plutôt terre-à-terre. Traditionnel. Mais tous les frères Taylor sont passés par cette phase avant de faire un rejet de l'éducation protestante. Entre nous il est sans doute plus lui-même maintenant qu'il ne l'était avec Sarah. » Si j’esquisse un sourire, c’est parce que Chad vise très bien et marque des points. Je n’ai pas besoin d’être flattée, je sais que le brun s’épanouit plus à mes côtés mais sans vouloir le montrer, je suis touchée que ses proches l’aient remarqué. Je suis touchée de ne pas être que cette harpie intéressée à leurs yeux, touchée que certains aient su voir au-delà du portrait peint par leur mère. « Mais désolé de devoir te dire qu'il n'a jamais été quelqu'un de très poétique. Il est doué pour raconter des histoires, mais pas les siennes. Il a tendance à croire que ça n'intéresse personne. » Je laisse un rire m’échapper, avant de secouer la tête. « Je ne suis pas une romantique. Je me fiche bien des grandes déclarations tu sais. » Je préfère constater que, jour après jour, Amos me regarde toujours comme si j’étais la plus belle femme sur cette planête. Je préfère les actes, et nous avons ça en commun, mon complice et moi. Nous sommes de plus de bien mauvais communicants lorsqu’il s’agit de nos sentiments. « Il l’est toujours tu sais. Traditionnel. Et c’est la seconde raison pour laquelle je suis là. » Pas uniquement pour demander de l’aide pour moi donc, mais aussi pour lui. « Je ne le croirais pas même s’il prétendait le contraire : il a besoin des siens. » Les choses auraient été plus simple pour lui s’il avait été aussi détaché que moi. « J’ai pas besoin de voir les relations familiales de la même façon pour le constater et le comprendre. » Il n’était donc pas nécessaire, pour juger mes propos, de me demander si j’étais moi aussi issue d’une grande fratrie. « Et il a besoin de savoir que vous condamnez les propos et l’attitude de sa mère. Il a besoin de savoir que vous le comprenez. » Et pour le savoir, il a besoin que l’on le lui dise.

Pilier de leurs relations, souvent inégales mais bien réelles, c'était la complémentarité des Taylor qui les unissait les uns aux autres, comme les maillons d'une chaîne qui pour certains ne se croisaient jamais. A l'évidence Liam était le maillon fort, la sagesse qui modérait souvent leurs accès de fierté, et discréditait des arguments comme ceux qu'avançait Raelyn pour défendre la pertinence de ses liens rompus avec son frère. Nul doute que si la fratrie n'était composée que de Chad et Zach, ses rapports au modèle familial auraient été différents, bien plus en phase avec la vision anticonformiste qu'elle lui présentait sans le moindre remord. Il comprenait son point de vue, même s'il déplorait foncièrement la façon dont elle semblait se fermer à l'idée qu'il existait une autre voie. Rejeter sa famille n'était pas un prétexte pour s'abstenir d'intégrer celle des autres. Chacun pouvait trouvait son bonheur quelque part, et Chad était bien trop formaté pour admettre que la place de Raelyn n'était pas forcément au sein de leur famille. Peut-être se satisfaisait-elle de ses liens amicaux, ou même d'une réussite professionnelle à laquelle il avait pu assister. « T'as sans doute raison. Il me reste encore beaucoup de principes à déconstruire. Cela dit je reste convaincu que les relations familiales sont précieuses, à défaut d'être obligatoires. Mais je ferais mieux de balayer devant ma porte, ça fait un bail que je n'ai pas spontanément pris des nouvelles de Zach par exemple. » Raelyn n'était pas susceptible, et bien plus ouverte d'esprit qu'il ne pouvait se targuer de l'être. Il n'y avait pas de tristesse dans sa voix certainement parce qu'elle avait appris à avoir l'air forte en toutes circonstances, par défiance envers les autres, et par déception envers ceux qu'elle pensait dans son camp. Plus il la découvrait et plus Chad la trouvait fascinante. Il s'évertua malgré tout à faire valoir sa vision traditionnelle de la famille soudée, celle qui faisait jalouser par ses apparences trompeuses et dissimulait ses failles sous un vernis de perfection. Raelyn semblait à moitié convaincue, mais il avait l'impression de se faire un devoir de l'inclure pour ne pas perdre le lien qu'il venait de reconstruire avec Amos. Elle avait raison, Maggie Taylor était opiniâtre, et surtout habituée à composer avec des femmes dociles. Une petite confrontation était peut-être inévitable à leur entente. « C'est encore plus difficile depuis l'accident. J'ai l'impression qu'elle en joue, mais personne n'a envie de se sentir coupable ou de prendre le risque de la quitter en mauvais terme alors qu'on a eu la preuve que la vie ne tient qu'à un fil. A son âge on ne se refait plus malheureusement. » Voilà qu'il lui trouvait encore des excuses, même s'il était bien conscient de la fragilité, et surtout de la mauvaise foi de son raisonnement. Raelyn consentit à lui accorder ce point. Par volonté d'écourter le sujet sans doute. Chad s'en contenta.

Trouver des parades auxquelles elle n'avait pas déjà pensé pour faire parler son frère n'était pas une mince affaire. S'il énonçait des évidences, Chad estimait au moins que Raelyn pourrait se rassurer de constater qu'elle avait presque tout essayé. C'était la preuve qu'elle le connaissait et qu'elle s'en sortait très bien toute seule, chose qui semblait lui tenir particulièrement à cœur. Elle était forte par ailleurs pour insinuer les choses. Ou Chad était-il trop parano sur les bords ? « C'était de bonne guerre du moins. » avait-il concédé lorsqu'elle se préserva de l'avoir attaqué. A vrai dire il avait apprécié sa répartie aussi bien que tout le soin qu'elle mettait continuellement à ne pas dénigrer ses efforts. L'entendre dire que son frère était celui qui s'en voulait le plus de la mort de sa fille n'était pas un soulagement. Chad ne s'était pas culpabilisé dans cette histoire pour le plaisir de braquer l'attention sur autre chose que la douleur légitime d'un père qui devait enterrer son enfant. C'était sans doute la raison pour laquelle ils n'en avaient jamais vraiment parlé. Il avait peur de passer pour un égoïste plus que pour le responsable de ce deuil précoce. « Oui je sais. Mais ça ne fera pas revenir Sofia. On peut facilement mettre le doigt sur le problème, mais je n'ai pas non plus la méthode pour le résoudre. » Autrement dit, Amos avait besoin de se confier à une oreille objective. Ce n'était pas une lubie de vouloir l'orienter vers un professionnel. Prendre conscience de ses problèmes était une étape indispensable mais insuffisante dans le processus. Entre deux confessions sur son frère, Chad jetait un œil curieux sur Raelyn et les quelques expressions qu'elle laissait transparaître. Petite réminiscence de leur première partie de poker ensemble. La jeune femme était bien plus démonstrative quand il était question de ses sentiments envers Amos. « C'est évident que tu tiens à lui. J'ai envie de te faire cette promesse. Bien-sûr que je condamne les propos de ma mère, et pas qu'à ce sujet. Je dis pas que je lui tiendrai tête tout de suite, j'ai moi-même mes casseroles, mais Amos pourra toujours compter sur moi. » avait-il affirmé, un regard sincère vissé dans le sien. Ce qu'elle disait à demi-mot, et qu'il soupçonnait peut-être Amos d'avoir mentionné avec bien moins d'évidence, c'était qu'elle n'était pas celle à qui il devait faire cette promesse. « Et je le fais pas par devoir. Il a toujours été là pour moi à sa manière, bien plus que je l'en ai crédité. Liam aussi j'en doute pas, et Zach malgré tous les défauts que je lui prête, est bien plus exemplaire que nous sur ce point. » En réalité, et contre toute attente, Zach était bien le premier à dire ses quatre vérités à leur mère. Sans doute parce qu'il estimait n'avoir plus grand-chose à lui prouver. « J'ai bien compris que c'était à lui que je devais dire tout ça. J'irai le voir demain. »

What I Wouldn't Do
Raelyn Blackwell & @Chad Taylor

« C'est encore plus difficile depuis l'accident. J'ai l'impression qu'elle en joue, mais personne n'a envie de se sentir coupable ou de prendre le risque de la quitter en mauvais terme alors qu'on a eu la preuve que la vie ne tient qu'à un fil. A son âge on ne se refait plus malheureusement. » Je laisse échapper un rire jaune, amusée par l’ambivalance de Chad : il est conscient que sa mère profite de la situation pour attendrir ses fils, mais pas disposé pour autant à remettre les pendules à l’heure. Personne ne m’a jamais inculqué le respect des aînés ou, plutôt, je n’ai jamais correctement appris mes leçons. Je ne considère pas l’âge comme un facteur donnant à quelqu’un plus de latitude ou le droit d’estimer qu’il peut agir sans aucune notion de respect. Les miennes sont floues, hors norme, mais je m’y tiens en toute circonstance. Je vis selon des principes qui me sont propres mais que je respecte. Je n’ajoute rien cependant : c’est sa perte, à Margaret Taylor. C’est le lien avec son fils et sa petite fille qu’elle perdra, si elle s’entête dans cette direction. « C'était de bonne guerre du moins. » Peut-être parce que je sais mener une guerre, bien plus que Chad ne le soupçonne. J'accueille sa remarque d’un sourire amusé et mystérieux.

« Oui je sais. Mais ça ne fera pas revenir Sofia. On peut facilement mettre le doigt sur le problème, mais je n'ai pas non plus la méthode pour le résoudre. » Je hoche la tête, muette parce qu’il a raison et met en lumière une chose dont je n’avais pas conscience : je ne sais pas exactement où se situe mon compagnon sur l’échelle des sept étapes du deuil, mais une chose est certaine, il n’a pas atteint le stade de l’acceptation. Y sera-t-il un jour ? Peut-être que Chad a raison. Peut-être que c’est à une oreille extérieure, à celle d’un professionnel - je me doute que c’est ce qu’il sous-entend - pour arriver à boucler ce deuil et à avancer, sans oublier Sofia, mais sans plus souffrir de ce pan de son histoire. « Il refusera tu sais. D’aller voir quelqu’un. » Un psychologue. « Je pense pas qu’il soit prêt. » Et je dois l’admettre : je ne sais pas comment l’aider à le devenir.

« C'est évident que tu tiens à lui. J'ai envie de te faire cette promesse. Bien-sûr que je condamne les propos de ma mère, et pas qu'à ce sujet. Je dis pas que je lui tiendrai tête tout de suite, j'ai moi-même mes casseroles, mais Amos pourra toujours compter sur moi. » Je suis une femme dure, mais je suis capable de reconnaître un homme qui a des valeurs et qui prend un engagement au sérieux, et c’est ce qu’est Chad. Amos et lui semblent taillés dans des bois similaires, bien plus qu’ils ne le soupçonnent certainement. « Il a besoin de le savoir. » Je commente, un sourire sur les lèvres. Il a besoin d’entendre que, dans la querelle qui l’oppose à la matriarche, il a le soutien de ses frères. « Et je le fais pas par devoir. Il a toujours été là pour moi à sa manière, bien plus que je l'en ai crédité. Liam aussi j'en doute pas, et Zach malgré tous les défauts que je lui prête, est bien plus exemplaire que nous sur ce point. » Notre rencontre touche à sa fin, je le sens et je n’ai pas l’intention de m’éterniser. Je ne suis pas venue pour échanger des politesses et apprendre à nous connaître au travers d’une conversation légère et sans réelle importance. Je ne suis pas de ces femmes là. « J'ai bien compris que c'était à lui que je devais dire tout ça. J'irai le voir demain. » - « Tu m’ôte les mots de la bouche. » Je vide ma tasse de café avant de la poser sur la table basse, et de me relever. « Je vais pas t’accaparer plus longtemps. » Je récupère mon sac, abandonné sur un porte manteau, avant de me retourner vers le blond. « Je sais que ça comptera pour lui. » De recevoir la visite et l’appui de son frère. « Alors je te remercie. » Pour Amos. Et pour moi aussi, puisqu’il a su voir en moi autre chose que la sorcière décrite par Sarah et sa mère. C’est évident que tu tiens à lui. C’est ce qu’il a dit, et il est loin de se douter à quel point ses mots sont trop faibles pour exprimer ce que je ressens pour Amos. « Oui, il compte pour moi. Bien plus que tout au monde. » Je le confirme, avant de prendre congé.

RP terminé