some things, they stay
Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

La notion du temps a toujours été une chose plutôt abstraite, chez Spencer. Et souvent, elle le perd à ne rien faire. Comme aujourd’hui, devant ce café. Le dos contre un mur, elle a le regard dans le vide et sa cigarette se consume lentement sans qu’elle n’y prête attention. Ce n’est que lorsque les cendres se décident enfin à tomber et ne viennent lui brûler la main, qu’elle semble être ramenée brutalement à la réalité. Le monde autour d’elle reprend soudainement vie. Les sons que son esprit avait occulté lui assaillent les tympans et elle plisse le nez dans une grimace d’inconfort. Les marteaux piqueurs sur le chantier d’en face ont l’air bien trop agressifs, les klaxons des voitures également. Elle jette un œil à son portable et à l’heure, constatant que la personne qu’elle attendait si désespérément ne viendra pas. Elle voit d’ailleurs la notification lui indiquant un nouveau message du concerné, lui indiquant qu’il a un contretemps et qu’elle ne pourra par conséquent pas être livrée maintenant. Elle va devoir prendre son mal en patience et ronger son frein pour tenir jusqu’à ce soir. (Et ça risque d’être compliqué à gérer.) D’un geste irrité, elle balance sa cigarette à terre et s’essuie la main. Heureusement pour elle, aucune trace de brûlure n’est à constater, c’est toujours ça.

Elle serre la mâchoire et grince des dents. Attendre bien sagement que les choses se passent et s’arrangent d’elles-mêmes, ça n’a jamais été son truc à Spencer. Elle est plutôt adepte des problèmes, quand bien même elle ne l’assumera jamais. Après tout, ce n’est pas sa faute si les événements ont fait qu’elle a si mal tourné. Elle n’y est pour rien, dans cette vie dans laquelle elle navigue sans trop savoir où aller. Toujours quelqu’un d’autre à blâmer, toujours des circonstances atténuantes et elle qui subit. Maureen, les services sociaux, l’école, ses fréquentations… Le choix est large et Spencer n’en fait pas partie. C’est elle la victime dans tout ça. C’est ce qu’elle croit, ce qu’elle clamera toujours.

Les mains dans les poches, Blackwell hésite à griller sa dernière clope. Il va falloir qu’elle songe sérieusement à en racheter au plus vite. Si elle n’a plus de quoi fumer non plus, ou va le monde ? A croire que tout et tout le monde s’acharne sur elle, pauvre âme perdue dans les grandes rues trop bondées de Brisbane. Il faut aussi qu’elle trouve un plan pour ce soir, la météo annoncée ne semble pas être des plus clémentes et elle ne tient pas tellement à rester dehors si même les éléments se liguent contre sa pauvre personne.

Et c’est là qu’elle l’aperçoit. Elle n’a pas vu d’où il sortait, peut-être la laverie, peut-être un tabac. (Mais il ne fume pas, si ?) L’idée germe dans un coin de sa tête, et elle se dit que finalement, tout ne joue pas contre elle aujourd’hui.

Pourtant, un rien la fait hésiter. Est-ce que c’est une bonne idée ? Kieran, car c’est de lui qu’il s’agit, a toujours été sympa avec elle. Quand bien même ce n’était certainement pas mérité, il n’a jamais trop râlé. Et Spencer ne savait pas si c’était parce qu’il avait peur de sa réaction, ou si c’était juste parce qu’il était du genre à ne pas aimer les conflits. Elle a toujours assumé que c’était un peu des deux. Il est de bonne nature, Kieran. Pas une once de méchanceté, et elle en a déjà bien profité par le passé. Le temps qu’elle ressasse tout ça, il a déjà pris une bonne avance et elle semble se réveiller juste avant qu’il ne disparaisse de sa vue. Forçant un peu son système moteur, elle se met à le suivre à bonne allure, prenant parfois des pauses pour faire mine de regarder une vitrine ou une autre. Elle hésite toujours. Le plan continue de se dessiner, et la décision semble prise.

Au milieu d’une grande rue, elle le rattrape enfin (c’était plus compliqué que prévu, il a de grandes jambes en comparaison.), se place derrière lui, guette une opportunité. Alors qu’il marque une pause pour une raison ou une autre, elle glisse la main dans la veste d’Halstead, ne prenant pas tellement la peine de se montrer discrète. Elle espère que leur passé commun lui aura appris à devenir plus méfiant quant à ses possessions. Aussi prépare-t-elle son plus beau et innocent sourire, au cas où.

@SPENCER BLACKWELL & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ Don't ever say we're only human, You're making all the kids feel insecure, Another day, another dollar And all we ever wanted was a love so pure.

J’applaudis l’effort.

Bon, d’accord, Kieran n’a pas encore tout à fait compris que les légumes ne sont pas juste une allée colorée pour faire joli à l’entrée des supermarchés et qu’ils sont en réalité comestibles (si, si, je t’assure), mais on va se contenter des petites victoires est le fait qu’il n’ait pas opté pour un énième McDonalds ou Burger King relève de l’exploit en vue de son régime alimentaire (son corps est composé de 60% de gras et 40% d’eau). Quand je dis qu’elle est petite la victoire, c’est en partie parce qu’il a décidé de passer sa pause de midi dans un fast-food (évidemment) et qu’en ce sens, on est encore très loin du plat préparé (par ses soins, il serait temps qu’il apprenne à cuisiner autre chose que des surgelés), mais il a néanmoins fait l’effort d’aller dans un fast-food vegan, si bien nommé Lord of the Fries, ce qui implique que... IL A MANGE DES LÉGUMES. Ses parents seraient fiers de lui (non), alors à défaut, c’est bien moi qui le félicite. Et il n’est pas dupe, Kieran, il sait que mon ironie n’a rien à voir avec ses habitudes alimentaires, mais bien avec ses techniques de fuite pour ne jamais rester plus longtemps que nécessaire sur son lieu de travail. C’est ironique, je vous dis, puisqu’il serait capable de rester des jours entiers dans la salle qui lui sert d’atelier (il rêverait d’avoir la même pièce à la maison), mais alors quand il s’agit de côtoyer les autres professeurs (à l’exception peut-être d’Oliver), c’est plutôt l’inverse qui se produit : il serait capable de rester des jours entiers loin de leur salle de pause – ce qui implique aussi de battre des records concernant l’être humain qui va le moins souvent aux toilettes (oui, dans sa stratégie d’évitement, on en est rendu aussi loin).

Bref. On applaudit l’effort du fast-food, aussi, qui est bien forcé de le mettre dehors lorsque le service de midi est terminé et qu’il est bien obligé de retrouver la foule étouffante mais étrangement rassurante (parce qu’il passe totalement inaperçu au milieu de celle-ci) de la rue. Je te sens qui traîne le pied, Kieran, si je suis peut-être dans ton esprit, ça n’implique pas que je sois totalement détaché de ton corps ; et nous communiquons, tous les deux. Alors ne me fais pas croire que tu as soudainement mal à la cheville ou qu’il s’agit simplement de ton rythme habituel de marche – c’est une bonne grosse blague quand on sait que tu passes ton temps à courir pour rattraper ton retard et que tu ne sais pas aller lentement (sauf quand il s’agit de prendre des décisions, mais ça, c’est un autre débat pour lequel je n’ai pas l’énergie aujourd’hui). Kieran, donc, en train de flâner devant des boutiques dans lesquelles il ne rentrera jamais (c’est le problème quand on est à sec et qu’on commence déjà à se demander comment payer le loyer du mois prochain). Une idée serait de s’investir un peu plus dans son travail, qu’il s’agisse de celui de professeur pour finir par demander une augmentation ou dans celui d’artiste en tentant de se faire un peu plus de pub, mais ça, ce sont deux choses auxquelles Kieran ne se risque pas. Le premier parce qu’il ne se sent pas légitime et le second parce qu’il ne se sent pas assez talentueux. Un cercle vicieux, bien souvent souligné par mes soins et tout aussi vite ignoré par les siens.

Ce qu’il n’ignore pas, par contre, c’est cette sensation étrange dans la poche de sa veste ; et il a la chance de vivre dans un quartier suffisamment mal fréquenté passé certaines heures pour toujours garder un œil sur ses affaires malgré son étourderie (c’est ce qu’il essaie de se dire, la vérité c’est que si je n’envoyais pas l’impulsion nécessaire, il continuerait de réfléchir à ce pull à motifs dans la vitrine face à lui qui pourrait plaire à Raphael). Sa main vient rapidement se glisser dans sa poche pour se poser sur une autre, plus fine qu’il maintient fermement (que JE maintiens fermement, à qui tu mens Kieran, on sait tous les deux – et le monde entier avec – que tu te serais contenté de retirer la tienne en t’excusant d’avoir dérangé l’opportuniste). Qui a une identité bien spécifique, d’ailleurs, qu’il découvre lorsqu’il se retourne : cette même personne qui est à l’origine de sa méfiance, comme je le découvre quand le visage de l’inconnue devient familier à mesure que ses souvenirs défilent et me sont accessibles. « Salut Spencer. » A priori, on ne l’aime pas, cette Spencer. J’attends des arguments construits, à première vue ce n’était qu’une adolescente avec la main trop baladeuse, est-ce qu’il peut vraiment lui en vouloir ? « T’as laissé traîner ça dans ma poche. » Qu’il souligne en sortant leurs deux mains de sa poche et en lâchant la sienne une fois qu’elle n’est plus à portée de son argent. Justement, c’est ce dont elle a besoin et un soupir lui échappe – il faut croire que sa patience a des limites, ce que je ne soupçonnais pas. Enfin, c’est mal connaître Kieran, qui malgré son agacement, ne peut s’empêcher de demander : « T’as besoin de combien, cette fois ? » T’es sûr, Kieran ? T’es vraiment sûr que c’est la bonne chose à dire à la voleuse devant toi ? Il semblerait que non, alors qu’il reprend la parole : « J’ai que dix dollars, de toute façon. » Ok, je me couche. C’était presque mieux avant, c’est dire.

some things, they stay
Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

La blonde ne sait pas trop à quel moment son super plan a foiré. D’ordinaire, elle a la main plutôt leste et lorsqu’elle a l’esprit clair, ses cibles se rendent comptent du larcin un peu trop tard. Mais cette fois, sans doute a-t-elle un peu plus appuyé le mouvement. Sans doute a-t-elle délibérément fait en sorte qu’on la repère. Ou sans doute n'a-t-elle pas prêté assez attention. Et effectivement, elle a à peine glissé sa main dans la poche du jeune homme que la réaction ne tarde pas à arriver. Si elle ne sait pas tellement à quoi s’attendre, elle doit bien avouer être relativement surprise par le calme que l’autre réussit à garder. Elle l’a connu plus maladroit et bien moins confiant dans ses mouvements. S’il avait été aussi vigilant et adroit il y a quelques années, il se serait épargné bien des peines. Déjà parce que Spencer n’aurait pas fait de lui sa cible privilégiée chaque fois qu’il passait zoner chez les Cornwells. Tout est dans l’attitude et la sienne criait “ok c’est bon, tu peux continuer de toute façon je dirai rien.” Elle se souvient du regard réprobateur, des sourcils froncés et des soupirs exaspérés. Quand il avait enfin compris qui était responsable de ces vols à répétition, c’était trop tard. Aujourd’hui pourtant, il semble un poil plus attentif à ses affaires. Tant mieux pour lui. « Salut Spencer. » « Heyyy. » grand sourire placardé sur le visage, elle offre sa meilleure impression de “Tout était prévu, j’ai fait exprès de me faire prendre la main dans le sac (enfin dans la poche).” « T’as laissé traîner ça dans ma poche. » et il sort les deux mains, les mettant presque en évidence. Spencer l’observe avec attention, ne sachant pas comment il va réagir maintenant. Est-ce qu’il compte appeler les flics ? Ca serait sans doute une bonne façon de se venger de tous les coups en douce qu’elle a pu faire par le passé. Mais non, il ne semble pas (pour l’instant) décidé à contacter les autorités. Lorsqu'il la lâche, elle s’empresse de croiser les bras derrière son dos, histoire qu’il n’ait pas à trop la surveiller. « Ah, j’ai glissé. » le sourire insolent qu’elle offre indique clairement que c’était totalement volontaire. Mais Kieran la connaît assez pour savoir que ce genre d'événement n’a rien d’un accident. Avec n’importe quel inconnu dans la rue, elle peut juste battre des cils et prétendre qu’elle voulait faire une blague à un ami ou qu’importe quelle excuse vu et revue. Là, c’est différent. En face d’elle, c’est quelqu’un qui a déjà eu à subir ses fameuses glissades plus d’une fois. Quelqu’un qui n’a jamais trop rien dit, de surcroît. Mais également l’une des seules personnes à qui elle ait jamais rendu quoi que ce soit. Du coup, il devrait s’estimer heureux puisque techniquement, ça tenait plus de l’emprunt que du vol. « T’as besoin de combien, cette fois ? » ça sonne presque comme un reproche, et elle n’aime pas trop ça. Faut dire que Blackwell déteste se retrouver devant ses propres fautes, même lorsqu’elles sont aussi discrètes qu’un éléphant avec des guirlandes dans un salon. Elle prend son meilleur air offusqué, porte une main sur sa poitrine et feint d’être blessée. Peut-être que dans une autre vie, elle était actrice, Spencer. Le genre d’actrice arrogante qui pense que tout lui est dû et qui a fait des trucs discutables pour connaître le succès. Peut-être que c’est pour cette raison qu'aujourd'hui, l’argent lui brûle les doigts et qu’elle a tous ces soucis qu’elle ne sait ni appréhender, ni gérer. Un espèce de karma qui a pris son temps à arriver. Le genre qui se répercute sur ses vies suivantes. (Enfin ça, ça serait uniquement dans l’hypothèse où elle croirait à ce genre d’histoires.) « J’ai que dix dollars, de toute façon. » qu’il précise alors. « Si on peut même plus faire de blague maintenant… » elle bougonne en secouant doucement la tête. Bien sûr que si elle vient à la pêche, c’est pour ramasser de la thune. Bien sûr que Kieran le sait. « J’ai pas b’soin d’argent. » elle hausse les épaules, l’air désinvolte au possible. Si, elle en a besoin. Pour tant de choses inavouables, surtout pas à quelqu’un comme Kieran qui semble trop droit dans ses bottes pour même songer à faire un truc illégal. Quoi que peut-être qu’avec les années, il s’est un peu ouvert à cet univers. Spencer ne lui souhaite pas en tout cas. Il est très bien comme il est, Halstead. Un gars gentil qui mérite pas qu’on s’en prenne à lui. C’est bien pour ça qu’elle a mis un point d’honneur à rembourser sa dette. (Bon, la somme rendue était sans doute pas tout à fait exacte, mais il fallait souligner l’effort.) La blonde affiche un sourire et range ses mains dans les poches de sa veste en désignant un côté de la rue d’un geste de tête. « J’t’ai reconnu de là-bas, j’me suis dit que j’allais passer dire bonjour.  » qu’elle commence en affichant un petit sourire. « Ca fait un bail et c’était l’occasion ou jamais. » parce que qui sait quand ils seront amenés à se recroiser. Brisbane est une grande ville, trop grande pour que ce genre de rencontrer se produise plus d’une fois. Surtout quand, comme Spencer, on évite soigneusement certains lieux. Ce coin de rue vient d’ailleurs de passer sur sa liste noire, hors de question qu’elle prenne de nouveau le risque quand elle s’est évertuée à faire croire à tout le monde qu’elle avait quitté la ville et trouvé un job ailleurs. Tout ce qu’elle espère, c’est qu’il ne parlera pas de cette rencontre aux Cornwells ou à Sawyer. Parce qu’elle lui fait un peu peur, celle-là. Et que c’est typiquement le genre de personne qu’elle n’a pas spécialement envie de recroiser, n’ayant pas particulièrement envie de subir les discours moralisateurs et tout ce qui va avec. « Comment tu vas, sinon ? J’vois que tu fais un peu plus attention au contenu de tes poches, c’est bien. » elle le titille volontairement, sachant qu’elle y est sans doute pour beaucoup. Au moins quelque chose qu’elle a bien fait. Pour une fois.

« Heyyy. » Le problème, avec Spencer, c’est qu’il ne la côtoyait pas assez régulièrement pour savoir si elle est réellement sincère derrière son habitude à mentir et à provoquer son monde. Il se souvient d’elle comme d’une grande gueule, d’une gamine paumée (comme chaque personne ayant fini chez les Cornwells) dont le venin cachait les blessures. Lui faisait partie de ceux qui se sont refermés et qui ont toujours tout accepté, Spencer était de l’autre école, à se faire entendre et à être constamment dans l’opposition. Alors, s’il se fie à ses souvenirs, il ne pense pas que le grand sourire placardé sur son visage soit sincère, d’autant qu’elle ne lui a jamais vraiment donné l’impression de l’apprécier. Pour lui qui court encore maintenant après l’approbation des autres, Spencer relève de l’échec. Pire encore ; elle a rejoint la longue liste de ceux n’ayant jamais eu aucun remord à l’utiliser, voyant sa lâcheté comme une preuve de consentement. Après tout, leur presque dix ans d’écart laissait supposer qu’il était en mesure de prendre le dessus sur elle et de la remettre à sa place ; c’est d’autant plus humiliant qu’il n’y soit jamais parvenu. Oh, ne me mens pas, Kieran, tu n’as surtout jamais essayé parce qu’elle a toujours fait peur, la petite, et que sa prédisposition au mensonge laissait envisager qu’elle parviendrait à mettre tout le monde de son côté. En cas de conflit, qui croirait l’adulte dont le seul argument aurait été « mais elle ment ! » plutôt que la gamine à la larme facile ? Et parce qu’il ne voulait pas perdre le substitut de famille qu’il était parvenu à se créer, Kieran n’a jamais souhaité remettre en cause la dynamique qui s’était installée entre eux. Car même s’il y avait un prix à payer (supporter les mains baladeuses de Spencer), ce n’était pas grand-chose face au bénéfice d’avoir trouvé une place ou, du moins, d’y croire. Mais pour toutes ces raisons, Kieran ne sait pas sur quel pied danser avec celle qui est désormais une jeune femme et avec laquelle les contacts se sont faits encore plus espacés avec les années. Certains diront qu’il n’est de toute façon jamais à l’aise avec les autres, moi je me contenterai de dire que Spencer lui a laissé des souvenirs justifiant son malaise.

Leurs deux mains désormais sorties de sa poche, ce n’est que quand il libère celle de la jeune femme qu’il replonge la sienne dans sa poche par besoin de vérifier que son porte-monnaie y est toujours. Il n’aurait pas été surpris de ne pas le retrouver, parce qu’il imagine que Spencer a perfectionné sa technique et n’a plus grand-chose à voir de l’ado qu’elle était – et pourtant, le fait est qu’elle était presque plus douée ado s’il se base sur l’expérience qui vient de se produire, car elle avait l’air innocent sur le visage alors qu’aujourd’hui, elle ressemble seulement à une paumée qui cherche sa dose. C’est cette réflexion qui l’oblige presque à s’adoucir. Oh, non, Kieran, il ne faut pas craquer ; je ne suis pas sûre qu’elle mérite ta clémence. Mais il ne m’écoute jamais et s’il n’est pas pour autant doux avec elle, il met de côté la virulence que j’aurais voulu provoquer en lui. « Ah, j’ai glissé. » « Fais attention, alors. » Il n’a pas plus d’affirmation qu’auparavant, pas beaucoup plus de répondant non plus, mais à cet instant, il s’ose un peu plus parce qu’il n’a pas grand-chose à perdre. Elle ne vit plus chez les Cornwells. Lui, il y a toujours sa place. Il a l’avantage. Et tu vois, ça, Kieran, c’est exactement la façon de penser que tu devrais avoir au quotidien. Il fronce les sourcils face à son jeu d’acteur alors qu’il a posé une question parfaitement légitime, à laquelle il donne bien malgré lui un début de réponse. Elle a besoin de dix dollars, peut-être, c’est tout ce qu’elle obtiendra de toute façon. « Si on peut même plus faire de blague maintenant… » Et je suis surpris qu’il n’ait aucune peine à soutenir son regard alors qu’elle ajoute : « J’ai pas b’soin d’argent. » C’est évident, voyons et totalement cohérent avec sa glissade, oui. « Si tu le dis. » Il ne la croit pas. « J’t’ai reconnu de là-bas, j’me suis dit que j’allais passer dire bonjour.  » Un instant, il est tenté de suivre son geste de la tête pour observer le coin de la rue, avant de se raviser ; il ne soutient pas souvent le regard des autres, Kieran, mais il sait qu’il se doit de le faire avec Spencer, car jamais, jamais, elle ne doit être laissée sans surveillance, au risque d’y perdre quelques plumes. « Ca fait un bail et c’était l’occasion ou jamais. » Pire que de lui faire les poches, il n’apprécie guère qu’on se moque de lui et Kieran demeure fermé. Oh, je sais ce qui se trame là-dedans. La vérité, Kieran, c’est que tu aurais apprécié qu’elle vienne effectivement te demander des nouvelles par pure sincérité. Il est toujours désespérément à la recherche de son affection, quoi qu’il puisse en dire. « Comment tu vas, sinon ? J’vois que tu fais un peu plus attention au contenu de tes poches, c’est bien. » Ahah, très drôle. Elle pose la question à laquelle il ne sait jamais quelle réponse donner. Elle est pourtant évidente à mes yeux, mais bien sûr qu’il ne voit pas l’évidence, Kieran ou plutôt, qu’il se refuse, et bien sûr qu’il opte pour la réponse qui consiste à ne pas y prêter attention. « J’ai pas trop le temps, je suis sur ma pause déj... » C’est plus dur qu’il ne le pensait alors qu’il n’a pas l’habitude d’être celui qui se veut détaché et qu’il s’en veut aussitôt. Ça ne lui ressemble pas, ce n’est pas comme ça qu’il doit traiter les autres même si eux n’ont pas beaucoup d’égard pour lui. Oh et bien sûr que le plus ironique, tu ne me feras pas taire, c’est cette précipitation à retourner en classe alors que tu voulais t’échapper quelques instants plus tôt. « Je veux dire, je dois retourner en classe d’ici une heure, alors euh, enfin. Tu dois bien manger j’imagine, alors peut-être qu’on peut le faire ensemble ? » Très belle invitation, 3/10 sur la formulation, mais 10/10 pour l’effort. 12/10 pour la générosité, car évidemment qu’il va l’inviter et évidemment que c’est sa façon à lui de lui donner de l’argent, à défaut d’avoir suffisamment de cash. Y’a certains pigeons qui ne changeront jamais, je vous jure, ça me désespère.

@Spencer Blackwell

some things, they stay
Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

« Fais attention, alors. » est-ce que c’est un conseil ou une menace ? Venant d’Halstead, c’est sans doute plutôt une requête. Le pauvre garçon en a vu des vertes et des pas mûres avec la petite blonde. Et elle ne sait pas dire si c’est plus désolant ou navrant, vu la différence d’âge et de gabarits. « J’y penserai la prochaine fois. » qu’elle répond d’un air nonchalant, plus amusée que menacée par la situation. Il doit la détester, Kieran. D’une certaine façon, Spencer l’admire et le jalouse, lui et sa capacité à être gentil. C’est pas quelqu’un qu’on n’aime pas, le jeune homme. C’est même tout l’inverse. Elle n’a jamais su se contrôler, ses émotions ont toujours parlé à sa place et ça n’a fait que lui attirer des problèmes au cours de sa vie. Enfant colérique, elle n’a pas su trouver de quoi se canaliser ou s’exprimer autrement que par la violence, qu’elle soit verbale ou physique. Elle avait bien le temps de regretter ses actions et ses choix ensuite, c’était trop tard. C’est pas pour rien qu’elle a toujours tout foutu en l’air, à commencer par sa vie. Elle sait pas où elle va, elle sait pas comment, mais une chose est sûre; à ce rythme là, elle fera plus long feu. Si c’est pas la rue qui la tue, ça sera un type à qui elle doit de l’argent ou un connard de dealer. Qu’ils prennent un ticket, parce que la liste est longue. « Si tu le dis. » elle plisse le nez dans une légère moue. Bien sûr qu’il a vu clair dans son petit jeu, Kieran. En toute honnêteté, la blonde aurait été presque déçue qu’il la croit sur parole. Après tout, on ne passe pas des années à se faire pigeonner par la même personne sans apprendre un truc ou deux. Alors comme d’habitude, elle baratine et brode un peu, juste de quoi noyer le poisson. Techniquement, au moins la moitié de ce qu’elle raconte n’est pas un mensonge. Ca fait vraiment longtemps, c’était réellement l’occasion ou jamais… Comme d’habitude, tout n’est qu’une question de point de vue et d’interprétation. Pour une fois, elle engage la conversation de manière un peu casuelle, rien d’incroyable mais c’est un sacré effort quand on sait comment elle peut être. Et comment Kieran peut appréhender la rencontre. Mais promis, Spencer essaie de devenir meilleure. Ca prend du temps, elle se foire souvent, mais elle fait ce qu’elle peut. De toute façon, les choses peuvent difficilement être pires pour elle qu’en ce moment. « J’ai pas trop le temps, je suis sur ma pause déj... » oh. Il est vraiment en train de refuser un truc, Kieran ? Y a un truc qui cloche, il est pas comme ça d’habitude. Bon, ça fait une paire d’années qu’ils ne se sont plus vus les deux, mais c’est difficile de changer la nature profonde de quelqu’un. Dire qu’elle est surprise, c’est sans doute un euphémisme. Spencer a passé assez de temps à profiter de la gentillesse du jeune homme pour savoir que dans le pire des cas, il soupire sans pourtant rien dire. Pas étonnant qu’elle l’ait toujours ciblé lui plutôt que les autres gamins des Cornwells. Elle est presque attristée par l’envie de Kieran de se tirer. Mais elle ne peut pas prétendre être étonnée, ça serait malhonnête. « Je veux dire, je dois retourner en classe d’ici une heure, alors euh, enfin. Tu dois bien manger j’imagine, alors peut-être qu’on peut le faire ensemble ? » ah là il ressemble plus au Kieran qu’elle connaît. Celui trop gentil pour son propre bien. Le coeur sur la main. C’est exactement ce genre d’attitude qui lui fait regretter son comportement odieux pendant toutes ces années. Si aujourd’hui elle n’est plus une adolescente colérique comme à l’époque, elle reste tout de même loin de l’amie ou la fréquentation que les gens rêveraient d’avoir. Elle affiche un sourire et hoche la tête. « Ouais, carrément. » refuser une invitation pareille et manquer l’opportunité de lisser les angles avec Kieran ? Non. Pas aujourd’hui. « Bon, par contre j’ai pas de cash sur moi. » qu’il fasse au moins semblant d’être surpris. « Mais promis, la prochaine fois qu’on se croise je te rends ton argent et je t’invite à bouffer aussi. » qu’elle ajoute avec un sourire, pour une fois très sérieuse dans ses propos. Quelques dizaines de dollars, elle peut les récupérer facilement. « Ou même, dis moi à quelle heure tu termines et je t’apporte ça tout à l’heure. » c’est sa manière à elle de dire “hey regarde comme j’ai changé, j’suis responsable maintenant.” alors que c’est que des conneries de première classe. « Du coup, tu retournes en classe… T’es devenu prof ou un truc du genre ? » le tout maintenant, c’est de savoir ce que elle sera pour les besoins de cette conversation. Journaliste freelance, c’est pas mal.

« J’y penserai la prochaine fois. » Il y aura une prochaine fois ? Certainement pas avec toi, Kieran, si l’idée te traverse l’esprit. Vous voyez, il est tellement à la recherche de l’approbation des autres qu’il accepte toute l’attention qu’on veut bien lui donner – y compris celle qu’il ne mérite pas. Des souvenirs auxquels j’ai accès, elle n’a pas l’air d’être une méchante fille, cette Spencer. Elle est juste paumée, comme tous les gamins que les Cornwells ont pu voir passer dans leur maison. Certains se sont épanouis plus tard, comme Sawyer, d’autres n’ont pas vraiment réussi à avancer ; Spencer et Kieran en sont l’exemple. Mais l’acceptation dont il a fait preuve des nombreux vols dont il était la cible n’était pas uniquement due à son manque de caractère, mais aussi à son besoin d’exister aux yeux des autres, peu importe la manière. J’ai toujours trouvé ça paradoxal, d’ailleurs, que Kieran tolère ce qui ne l’est pas, juste par nécessité d’être vu – alors qu’il rêve pourtant d’être invisible aux yeux du monde. Je crois que c’est un signe que tu ne le veux pas vraiment, gamin, n’est-ce pas ? Spencer se moquait peut-être de lui en ayant la main baladeuse à la moindre occasion, mais elle n’était pas aussi insultante que d’autres qu’il a pu côtoyer, que ce soit chez les Cornwells ou à l’école, quand on se moquait de ses difficultés après des années passées à l’écart de la société. Il ne savait pas comment se comporter avec les autres et ça a souvent été source de brimades, qui l’ont marqué jusqu’à aujourd’hui. À la rigueur, Spencer, elle, lui a effectivement appris à surveiller ses poches et ses affaires, est-ce si terrible ? Non, Kieran. Tu n’as pas vraiment le droit de penser à ces souvenirs de manière aussi bienveillante, car bien que Spencer ne soit pas une méchante fille, tu ne peux pas lui faire confiance. C’est la seule certitude, celle qu’il me partage, celle à laquelle j’ai accès avec facilité. En même temps, Kieran, on ne peut pas dire que tu fasses confiance à beaucoup de monde – mais c’est une autre histoire.

Et parce qu’il sait qu’il prend le risque d’être déçu en faisant à nouveau entrer Spencer dans sa vie, il veut croire qu’elle n’y a pas de place. En réalité, elle n’en a pas vraiment : ce n’est pas parce qu’ils ont grandi un temps ensemble qu’ils sont forcés d’être proches et de se considérer. Ils n’ont jamais été vraiment ennemis, mais ils n’ont pas non plus été amis, de quoi le convaincre d’hésiter. S’il lui en voulait, ce serait plus facile (oui, bien sûr, Kieran, on y croit). Là, en l’occurrence, il y a une part de lui (je ne suis pas concernée) qui a néanmoins envie de prendre des nouvelles, de s’intéresser à elle, même si dans d’autres circonstances (à savoir : s’il ne l’avait pas prise la main dans le sac – ou dans la poche, plutôt) elle n’aurait certainement pas pris le temps d’échanger quelques mots avec lui. Mais il est comme il est, Kieran, soucieux des autres, même de ceux dont il ne devrait pas. Elle a toujours la main baladeuse, en plus d’avoir mauvaise mine ; les nouvelles pourraient se résumer à cela. Et justement, c’est suffisant pour faire émerger un sentiment d’inquiétude chez notre protagoniste et ne pas avoir le cœur à détourner les talons. « Ouais, carrément. » Elle accepte et il n’est pas vraiment soulagé. Va falloir garder un œil sur ton porte-monnaie, Kieran. « Bon, par contre j’ai pas de cash sur moi. » Évidemment. Rappelle-moi pourquoi tu as accepté, hein ? « Hm, hm. » Il se contente de marmonner, car s’il n’est pas surpris, ce n’est toujours pas son genre de le souligner. « Mais promis, la prochaine fois qu’on se croise je te rends ton argent et je t’invite à bouffer aussi. » Je me répète ; parce qu’il y aura une prochaine fois ? « Ou même, dis moi à quelle heure tu termines et je t’apporte ça tout à l’heure. » C’est qu’elle a l’air pleine de bonne volonté, en fait, Spencer. C’est presque étonnant. Mais c’est ma voix, seulement la mienne, car Kieran, lui, se veut peut-être étonné, mais le masque bien. Il n’est pas aussi suspicieux que je ne le suis – ce qui m’arrangerait beaucoup, en réalité. « T’inquiète pas pour ça. » Est-ce qu’elle serait vraiment capable de se pointer après les cours pour lui redonner son argent ? Il n’en sait rien et un instant, il a presque envie de revenir en arrière pour lui demander un remboursement afin de vérifier ses bonnes intentions. Et puis, il se rétracte – il n’est pas comme ça.  « Du coup, tu retournes en classe… T’es devenu prof ou un truc du genre ? » Se mettant en marche tout en s’assurant qu’elle aussi, il réfléchit un instant à la réponse à lui donner. Non, Kieran. Tu as eu bien assez de mauvaises expériences pour considérer qu’un mensonge est la réponse à lui donner. Bon... c’est sûr qu’il a de bons arguments, quand il me les présente. Il n’est pas certain de revoir la jeune femme avant longtemps, il doute sérieusement qu’elle soit restée en contact avec Sawyer ou les Cornwells et même si c’était le cas, il ne pense pas qu’il soit suffisamment intéressant pour être amené dans une conversation. S’ils en viennent effectivement à se revoir, il faudra qu’il se souvienne de l’identité qu’il veut lui vendre, mais dans le fond, ces rencontres seront suffisamment ponctuelles pour ne pas qu’il s’en inquiète avec anticipation. Oui, mais, Kieran, n’oublie pas que jusqu’ici tous tes mensonges n’ont pas vraiment été couronnés de succès et qu’au moment d’avoir à les assumer, tu fais beaucoup moins le malin. Oh, je vois. T’en as rien à foutre de ce que je dis, bien, j’espère que tu as bien conscience que si la vérité éclate, tu devras te débrouiller par toi-même – ça veut dire que je ne serai pas là pour t’aider à diminuer ton angoisse et que tu feras sûrement une superbe crise devant Spencer. « Non, pas vraiment. Je suis des cours d’économie et de management. » Excuse-moi ? « J’envisage de lancer ma maison d’édition spécialisée dans les comics. » Il annonce avec conviction. C’est le problème, avec Kieran. Il n’a pas l’air ainsi, mais c’est un excellent menteur – principalement parce qu’il passe son temps à s’inventer une vie idéale quand il dort ou qu’il s’ennuie dans les transports, ce qui ne le prend pas au dépourvu lorsqu’il faut partager celle-ci à autrui. « C’est du conditionnel, évidemment, mais... j’ai l’idée, alors j’essaie de mettre toutes les chances de mon côté si elle vient à se réaliser. » Il y croit tellement qu’il n’hésite presque plus dans le choix de ses mots et c’est triste, si vous voulez mon avis, qu’il soit aussi sûr de lui quand il parle d’une vie qui n’est pas la sienne. « Au pire, ça peut toujours me servir pour mes prochains contrats. » Il admet avec un sourire, convaincu de ce qu’il avance. Oui, dans un monde rêvé, Kieran est un artiste qui a réussi, au point d’ouvrir la voie à toute une nouvelle génération. Si seulement. « Et toi alors ? Dans la couture, vu ton intérêt pour la doublure de mes poches ? » Voyez-vous ça, dans cette version-là, il possède presque un sens de l’humour et une certaine assurance, Kieran. « Ça te va, ici ? » Il demande en s’arrêtant devant un petit restaurant qui ne paie pas de mine, mais qui a l’air d’être dans ses moyens. Ce n’est pas parce qu’il offre le repas à Spencer qu’il doit se ruiner – même s’il l’aurait fait, en réalité, si elle le souhaitait. Au-delà de ça, il a aussi appris toutes les leçons du bon menteur : ne pas trop en faire et, par conséquent, détourner la conversation de manière naturelle. Et tu crois que je vais te féliciter, Kieran ?

@Spencer Blackwell

some things, they stay
Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

Bien évidemment, il faut plus que quelques plaisanteries pour convaincre Kieran de ses bonnes intentions. Sont-elles vraiment bonnes, d’ailleurs ? Pas sûr. Elles ne sont pas mauvaises, déjà. Et c’est un bon point s’il en faut. La blonde n’a jamais eu l’intention de nuire à Halstead. Même lorsqu’elle était une ado revêche et qu’elle piochait bien volontiers dans les économies du jeune homme, ce n’était pas contre lui spécifiquement. C’était par pure opportunité parce qu’elle le savait trop gentil et trop doux pour oser se dresser contre elle. Elle s’en est voulue d’avoir eu un comportement pareil avec lui alors qu’il a probablement été l’un des seuls à ne pas se montrer foncièrement hostile à son égard.

Comme il la voit là, elle n’est pas dans une de ses phases où elle est trop défoncée pour fonctionner correctement. Assez lucide pour ne pas être détestable à la première occasion. Il ne semble pas surpris lorsqu’elle annonce ne pas avoir de monnaie et l’inverse aurait été étonnant. S’ils ne se côtoient plus depuis un moment, il sait tout de même qu’il est préférable de se méfier. Histoire de faire table rase des préjugés qu’il peut avoir à son égard, Spencer propose de le rembourser dès que possible. Preuve de bonne foi, pour une foi pas un mensonge. Elle voudrait vraiment le faire si l’opportunité se présente. « T’inquiète pas pour ça. » elle plisse pince légèrement les lèvres et hausse les épaules. Comme il veut. Au moins, si remboursement il y a un jour, ça sera une bonne surprise pour lui. De toute façon, il ne peut sans doute pas être plus déçu. Spencer s’intéresse et joue presque les enthousiastes. « Non, pas vraiment. Je suis des cours d’économie et de management. » elle écoute, hochant la tête en gardant les mains dans ses propres poches. Ca a l’air chiant comme cursus, mais c’est parce qu’elle ne tient pas en place et qu’elle envisage mal de devoir gérer des trucs. « J’envisage de lancer ma maison d’édition spécialisée dans les comics. » la jeune femme tourne la tête, une expression presque admirative placardée sur le visage. Elle n’y connaît rien en comics, rien du tout. Mais le label de maison d’édition l’interpelle un peu plus. Ca a l’air intéressant et surtout, elle verrait vraiment bien Kieran bosser là-dedans. Patron de sa propre boîte, peut-être pas, mais qui sait. Il a peut-être pris un peu d’assurance depuis la dernière fois qu’ils se sont vus. « Sérieux ? » elle affiche un sourire en regardant vers lui. « C’est du conditionnel, évidemment, mais... j’ai l’idée, alors j’essaie de mettre toutes les chances de mon côté si elle vient à se réaliser. » elle l’écoute continuer. Il a l’air presque sûr de lui et elle l’a rarement vu comme ça. Ca lui fait bizarre d’avoir un Kieran aussi affirmé à ses côtés, mais c’est sans doute pas un mal. « J’espère que ça portera ses fruits alors. » qu’elle dit, l’air sincère. « T’as déjà une idée de nom ? C’est important pour la com. » comme si elle y connaissait quoi que ce soit en foutue communication. Mais elle sait au moins une chose, un nom de boîte qui attire l’oeil et se retient, c’est un truc qui fonctionne. Personne en a rien à foutre de ces milliers d’entreprises avec des titres pompeux. Faut un truc qui percute et qui reste en tête. « Au pire, ça peut toujours me servir pour mes prochains contrats. » « Quel genre de contrat ? Tu fais des commissions ou ce genre de choses ? » elle se souvient qu’il faisait des dessins. Incapable de vraiment se rappeler quel style il employait, elle sait que certains gagnent de l’argent en faisant quelques crayonnés à la demande. Est-ce que c’est de ça qu’il vit ? Elle est bien incapable de dire combien peut gagner un dessinateur. Ou un gérant de maison d’édition. Sans doute plus qu’elle. Ah. « Et toi alors ? Dans la couture, vu ton intérêt pour la doublure de mes poches ? » elle ricane de bon coeur en secouant la tête. La couture, si c’est sans doute un métier respectable, ce n’est pas non plus fait pour elle. « Pas vraiment non. J’suis consultante marketing pour une agence de pub. » qu’elle ment sans même ciller ou hésiter. Elle est rodée à l’exercice, c’est sans doute le métier qu’elle ressort le plus souvent. Plus facile que s’inventer journaliste finalement. « Pense à moi quand t’auras ouvert ta maison d’édition. Les gars seront ravis d’avoir un nouveau client. » qu’elle ajoute avec un bref clin d’oeil alors qu’ils ralentissent le pas. « Ça te va, ici ? » elle lève le nez et regarde le petit resto en acquiesçant. « C’est parfait. Et puis c’est toi qui paies, tu devrais avoir le dernier mot. » c’est qu’elle a presque l’air de vraiment être sincère et honnête avec son petit sourire innocent. Dire qu’avec un caractère plus simple et de bonnes intentions, elle aurait pu être une vraie sainte. Seulement c’est bien le dernier mot utilisable pour la décrire. « Ca fait une éternité que j’ai pas mis les pieds dans un fast-food comme ça. » qu’elle dit en zieutant le menu affiché au mur avant d’entrer, suivie de Kieran. Devant eux, quelques clients en train d’attendre pour passer commande. Ils s’insèrent dans la file et Spencer se tourne vers le jeune homme. « T’as toujours des nouvelles des vieux ? » qu’elle demande d’un air nonchalant. Elle pourrait sans doute faire l’effort de prendre son téléphone et de les appeler un jour, mais ce genre de décision, c’est plutôt compliqué pour elle.

Oh, elle peut avoir toutes les bonnes intentions du monde, Spencer, Kieran n’y croit pas un seul instant. Même si je me range de son côté, avec réflexion, je reconnais que l’avis est peut-être trop tranché : elle lui a quand même remboursé quelques dollars, quand elle a quitté les Cornwells. Bien sûr, il n’y avait pas toute la somme, mais il ne s’attendait déjà pas à une telle attention, donc il serait déplacé de sa part de s’en plaindre alors que rien ne l’obligeait à (tenter de) mettre les comptes à zéro. Elle n’y est pas arrivée, mais il salue néanmoins l’effort, parce qu’il est ainsi, Kieran, trop bon et trop con (à croire que l’expression a été inventée pour lui). Pour autant, rien ne l’obligeait à le rembourser, mais rien ne l’obligeait non plus à lui faire les poches, que je lui rappelle, parce qu’il ne faudrait pas non plus que Kieran se prenne trop d’affection pour cette époque passée qui ne lui rappelle pas que de bons souvenirs. Les Cornwells sont plutôt aisés et même s’il fallait mériter son argent selon leurs préceptes d’éducation, si Spencer en avait tant besoin, ils n’auraient jamais hésité à lui donner quelques billets supplémentaires. Mais elle a choisi la bonne vieille méthode du vol, auprès de la victime qui jamais ne l’aurait dénoncée par peur des représailles. Il aimerait avoir des couilles, Kieran et simplement évoquer le fait qu’il n’aurait pas voulu qu’elle soit renvoyée dans un autre foyer où elle aurait assurément été moins bien traitée qu’avec les Cornwells, la vérité c’est que la gamine avait déjà l’œil menaçant et les plans tordus, suffisamment pour qu’il n’essaie pas de se mettre au travers de ses faibles ambitions. Oui, ce n’est pas pour rien que Kieran aime s’inventer des vies, parce que la réalité est bien moins glorieuse et s’être fait bolossé par une gosse de quatorze ans quand on était soi-même majeur, c’est un peu (beaucoup) (soyons honnêtes : carrément) humiliant.

C’est peut-être pour ça qu’il commence à lui vendre un parfait mensonge au moment d’évoquer sa situation actuelle ; parce qu’en réalité, il est toujours ce type qui se fait bolosser, à la différence qu’il ne fait plus de différence (pas qu’il en ait fait auparavant) : adultes, ados, personnes âgées, même les bébés ont le droit de se faire plaisir, allez, c’est sa tournée, ça lui fait plaisir. Je suis un peu moqueur, tu trouves, Kieran ? Bah peut-être que si tu y mettais du sien pour changer la situation, on en serait pas là. On en serait aussi pas un mensonge supplémentaire, et j’espère que tu tiens un petit carnet de ceux-ci pour t’y retrouver. Je dois quand même lui accorder que, des mensonges qu’il a déjà pu servir, celui-ci est relativement classique, ce qui justifie peut-être qu’il ait envie d’y croire avec autant d’assurance : ça semble presque faisable, s’il s’en donnait les moyens. « Sérieux ? » Et ça l’air de marcher, s’il en croit l’intérêt de la jeune femme autant que son regard et son sourire. C’est presque de l’admiration – il veut croire que c’est de l’admiration – et il aime ce sentiment, Kieran. Sûrement trop pour son propre bien, d’ailleurs. « Sérieux. » Il rétorque avec un sourire qui accentue cette évidence qui ne l’est que pour lui. Et pour Spencer, désormais. « J’espère que ça portera ses fruits alors. » Et elle a l’air sincère, Spencer. C’est donc ça, le secret pour apaiser les tensions et se faire une place ? Mentir ? Je ne félicite pas l’exemple. « C’est gentil. » Il reconnaît, un large sourire sur les lèvres qui traduit de sa joie d’avoir quelque chose à partager avec elle, le sentiment d’avoir été valorisé par ces quelques mots. « T’as déjà une idée de nom ? C’est important pour la com. » Il laisse échapper un léger rire avant de hausser les épaules. « C’est ça, le truc. » Il commence sur un ton léger, reprenant rapidement : « J’ai toutes les idées du monde en termes de storylines, de quoi remplir une bibliothèque entière, mais je suis pas capable de trouver un foutu nom de boîte. » Voyez-vous ça. Non content de mentir, c’est qu’il y prend goût, le petit enfoiré, au point de doucement se valoriser. Regarde, Spencer, comme le petit Halstead paumé est en train de devenir un auteur qui va exploser dans les prochaines années ; faisant oublier jusqu’à Stan Lee. Dis-moi, Kieran, à quel moment tu vas accepter de te rendre compte que ce n’est pas qu’un mensonge, mais un véritable désir ? « Quel genre de contrat ? Tu fais des commissions ou ce genre de choses ? » Il hoche la tête, un peu penaud. Ah tiens. On touche à la vérité et c’est moins plaisant, Kieran, n’est-ce pas ? Parce que les contrats ne s’accumulent pas et qu’on ne peut pas vraiment dire que tu te donnes les moyens que ce soit le cas. « C’est ça. Je suis illustrateur freelance depuis plusieurs années. » Depuis qu’il a reconnu que bosser pour une agence de pub de seconde zone ne l’épanouissait pas tant que ça, car faire des petits dessins d’hémorroïdes pour vendre une crème n’est pas vraiment ce qu’il s’imaginait faire à la sortie des Beaux-Arts. C’est peut-être la seule et dernière fois que Kieran a eu des ambitions ; et c’est dommage qu’il se soit arrêté en si bon chemin, si vous voulez mon avis.

Il sent que j’accentue un peu trop ses fautes, il essaie de dériver mon attention vers Spencer en retournant l’échange sur elle. C’est moins gênant, tu penses que je vais devenir muet ? Quelle drôle d’idée. « Pas vraiment non. J’suis consultante marketing pour une agence de pub. » Dites donc, c’est que vous pourriez presque faire équipe. Oh, wait. Le Kieran qui a une maison d’édition n’existe pas. Mais il est encore plus ravi de l’avoir inventé en réalisant que Spencer semble avoir réussi, même si rien ne la prédestinait à y parvenir. Pourtant, elle fait encore les poches. C’est un peu flou, là-haut, pour Kieran, qui ne sait pas s’il doit se fier à ce qu’elle dit ou à ce qu’elle fait (probablement à aucun des deux, connaissant la jeune femme). Mais il semblerait que l’option selon laquelle elle voulait simplement se rappeler à son bon souvenir soit la plus cohérente. « Pense à moi quand t’auras ouvert ta maison d’édition. Les gars seront ravis d’avoir un nouveau client. » « T’as une carte ? » Est-ce vraiment une bonne idée de faire affaire avec une arnaqueuse notoire ? Est-ce vraiment juste de rester sur une impression qui date d’il y a plusieurs années ? De toute façon, il est trop tard. La proposition est lancée et ils arrivent devant le restaurant pour que le sujet soit presque clos. « C’est parfait. Et puis c’est toi qui paies, tu devrais avoir le dernier mot. » Un sourire s’affiche sur ses lèvres. Il y prend plus goût qu’il ne l’aurait cru, à ces retrouvailles et s’il se méfie de moins en moins, je reste aux aguets, car il s’agit de mon rôle. Kieran, tu fais confiance trop rapidement. Oui, ce n’est pas juste de rester sur une impression de plusieurs années, mais ça l’est encore moins de te jeter dans la gueule du loup sans y réfléchir. « Ca fait une éternité que j’ai pas mis les pieds dans un fast-food comme ça. » « Tu es du genre à te la jouer healthy ? » Elle a vraiment changé, alors, Spencer. Parce que le délire vegan en faisant partie d’une agence de pub, c’est cohérent. Il manque plus que le loft et le vélo et elle coche toutes les cases. C’est pas ainsi qu’il aurait cru qu’elle terminerait, mais il faut croire que la vie est pleine de surprises. « Je juge pas, hein. Ça sonnait comme si, mais, c’est pas le cas. » Il précise rapidement, bafouillant légèrement. Ah, le voilà, le retour du vrai Kieran, de celui qu’elle a connu. Dans la file, elle lui pose une question qui le laisse interdit quelques instants. « T’as toujours des nouvelles des vieux ? » Oui, régulièrement, au moins une fois par semaine, parce qu’il a besoin de s’accrocher à eux, ils sont sa seule famille avec Sawyer et il a besoin d’eux dans sa vie. Non, jamais, parce qu’il ne faudrait pas qu’elle se mette en tête de l’imiter et de conserver le contact avec eux pour mieux découvrir qu’il n’est rien de ce qu’il prétend, Kieran. « Je suis passé à autre chose. » Il annonce, l’air convaincu. J’ai mal pour eux, pour les Cornwells, à cet instant, Kieran. Après tout ce qu’ils ont fait, c’est un peu extrême de les effacer ainsi par simple désir d’avoir l’air de ce que tu n’es pas, tu crois pas ? Ah, oui, je crois que tu réponds à ma question alors que je perçois cette pointe de honte. Mais il ne corrige pas, pourtant, notre protagoniste. Non, car il s’agit d’une version rêvée, d’une version améliorée de lui. D’une version qui arrive à se libérer du passé pour aller de l’avant ; ils étaient sympas, les Cornwells, oui, mais il n’a plus besoin d’eux. Tu vois, Spencer, il n’est vraiment plus ce gamin qui s’accrochait à l’idée d’avoir une famille et un entourage, pour une raison bien précise : « Puis j’ai ma propre famille, maintenant. »

... Ah non, c’était pas ça, la raison bien précise.
C’est bien, Kieran. Même quand tu dérapes dans le vide, t’arrives à glisser encore un peu plus, juste histoire d'être bien sûr que t'es mort, c’est presque un talent, à ce niveau-là.

@Spencer Blackwell

some things, they stay
Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

« Sérieux. » il confirme son projet de vouloir lancer une maison d’édition et Spencer ayant très envie d’y croire, lui souhaite tout le meilleur du monde. « C’est gentil. » elle se contente d’afficher un sourire en acquiesçant et d’enfoncer les mains dans ses poches. Elle est pas sûre qu’ils aient eu l’occasion de véritablement discuter comme ça avant. « C’est ça, le truc. » elle arque un sourcil, attendant bien sagement d’en savoir plus. « J’ai toutes les idées du monde en termes de storylines, de quoi remplir une bibliothèque entière, mais je suis pas capable de trouver un foutu nom de boîte. » oh, ouais. Ca doit être sacrément chiant. Un peu comme trouver le titre d’un film ou d’une chanson, elle imagine. Parfois ça coule de source, et des fois faut se creuser un peu plus les méninges et c’est sans doute plus chiant. « Ouais, c’est souvent le problème. Parce que y a tellement de noms qui sont déjà labellisés que c’est un enfer d’en trouver un original qui soit pas pris. » elle fait genre qu’elle y connaît un truc, sortant quelques jolis mots pour noyer le poisson. C’est juste pointer des évidences en formulant tout ça de manière assez vague pour rester crédible dans le rôle qu’elle s’est attribué. « C’est ça. Je suis illustrateur freelance depuis plusieurs années. » elle hoche la tête, n’ayant pourtant aucune idée de ce que ça implique en termes de boulot et de revenu. S’il a des clients et un semblant de renommée, ça doit être pas mal. Du coup elle préfère croire que c’est le cas. Et peut-être qu’elle va trop loin en se faisant passer pour une meuf du marketing chez une agence de pub. « T’as une carte ? » « Ah non. Mais j’pourrai t’envoyer ça à l’occasion si jamais t’as toujours le même numéro. » une technique simple mais efficace pour vérifier des informations sans faire genre d’être complètement paumée. « Tu es du genre à te la jouer healthy ? » « Bof. » qu’elle répond sans détourner son regard du menu, n’arrivant pas à se décider si elle prend un truc avec du bacon ou non. « Je juge pas, hein. Ça sonnait comme si, mais, c’est pas le cas. » elle souffle un rire en secouant la tête. « Crois le ou non, je me suis découvert une passion pour la cuisine, du coup je vais plus trop dans les endroits comme ça. » elle sait cuisiner, elle se débrouille même plutôt pas mal quand elle prend le temps de se faire à bouffer, mais c’est clairement pas la vraie raison pour laquelle elle ne met pas les pieds dans les fast-foods. « Tiens tu sais quoi, si tu veux la prochaine fois j’te fais à manger en guise de remerciement et heu… D’excuse un peu, aussi. Genre c’que tu veux. » un premier pas pour se faire pardonner de toutes ces années de mauvais comportement à son égard. Peut-être qu’à l’occasion elle devrait en faire un autre vers les Cornwells qui ont été plus que patients à son égard. « Je suis passé à autre chose. » là elle n’est pas certaine de le croire. Il passait bien trop de temps chez les Cornwells pour avoir simplement coupé les ponts avec eux. Néanmoins, si elle demande des infos, elle n’est pas du genre à questionner sa réponse. Si ça se trouve c’est tout à fait vrai, si ça se trouve c’est des conneries. Il doit avoir ses raisons et c’est pas à Spencer de redire quoi que ce soit dessus. « Oh, okay. Et heu, Sawyer non plus ? » l’autre qui venait régulièrement chez les vieux et qu’elle n’aimait pas tellement à l’époque. Sans doute son côté un peu trop autoritaire qui lui faisait un peu peur sur les bords. Ou alors le fait que contrairement à tous les autres, Harding n’hésitait pas à la remettre à sa place dès qu’elle dépassait les bornes. Alors dès qu’elle se ramenait, Spencer préférait s’éclipser et aller se réfugier chez Mac, ça évitait toute forme de conflit inutile. « Puis j’ai ma propre famille, maintenant. » hein ? « Tu déconnes ?! » surprise, elle a peut-être un peu haussé la voix, attirant le regard de quelqu’un dans la file d’attente. Elle adresse un sourire un peu crispé en marmonnant un “désolée” avant de reporter son attention sur Kieran, curieuse. « Genre t’es maqué et tout maintenant ? Vous avez des enfants ? » okay, peut-être qu’elle est un peu trop enthousiaste à l’idée qu’il ait pu réussir sa vie de famille. Sûrement parce que l’idée la rend réellement contente. En tant que gamins du système, c’est toujours un peu compliqué à appréhender tout ça et pour beaucoup, c’est un peu le but ultime. Faire mieux que ses propres parents, profiter de la chance qu’ils n’ont pas eu pour diverses raisons. Spencer a du mal à imaginer Kieran être un papa à vrai dire. Il manque d’autorité, mais à côté de ça il est d’une gentillesse sans faille et finalement l’idée qu’il ait des gosses est moins difficile à accepter. Elle est sûre qu’il doit faire un très bon père. « Merde, c’est peut-être indiscret. T’es pas obligé de répondre si tu veux pas. » elle se rattrape. Peut-être qu’elle s’est un peu emballée. Peut-être que par famille, il entend juste être dans un couple stable. « Mais c’est cool, j’suis contente pour toi. » elle ajoute avec un sourire sincère alors qu’ils gagnent une place dans la queue. La blonde se mord l’intérieur de la joue et regarde vers Kieran, peut-être que c’est le bon moment pour faire son mea culpa. Mieux vaut tard que jamais. « Tu sais… Je m’en veux encore pour t’avoir piqué tout ce pognon. Et pour la façon dont j’me comportais avec toi de manière plus générale. » son nez se plisse dans une légère grimace. « J’ai vraiment pas été cool avec toi. Du coup heu… J’tenais à m’excuser pour tout ça. » c’est sans doute con de le faire en attendant de grailler un burger, mais elle aura peut-être plus l’occasion de le faire, alors c’est le moment ou jamais. « Je sais que ça changera rien, hein, mais au moins tu sais. » nouveau sourire un peu crispé et elle se décide enfin pour le supplément bacon. Ouais, ça sera pas mal.

« Ouais, c’est souvent le problème. Parce que y a tellement de noms qui sont déjà labellisés que c’est un enfer d’en trouver un original qui soit pas pris. » Elle n’a même pas l’air de se forcer à s’intéresser, Spencer et ça le surprend. Il ne l’aurait pas imaginée dans le délire, et pourtant, elle n’a pas l’air de subir la conversation autant qu’il le craignait. Tout comme il ne la subit pas autant qu’il ne le craignait lui-même. « C’est ça, et trouver quelque chose qui soit original ET suffisamment percutant pour attirer l’attention, c’est la double peine. » Il répond en souriant, comme s’il était totalement sûr de ce qu’il avance, alors que ce n’est absolument pas le cas, ne l’oublions pas, car en réalité il n’a aucune foutue idée de ce qu’il raconte. S’il a l’air aussi sûr de lui, ce n’est pas parce qu’il a déjà songé au projet de manière bien réfléchie, mais parce qu’il a grillé les étapes, Kieran et qu’il aime à s’imaginer déjà à la tête d’une boîte d’édition ou, plus idéalement, auteur populaire dans son domaine sans passer par les années de travail et les échecs que ça implique avant d’accéder à la réussite. Il voudrait claquer des doigts et y parvenir comme par magie ; alors en ce sens, évidemment qu’il a l’air de maîtriser son sujet. Et c’est presque ironique qu’elle bosse dans la branche ; quelles étaient les chances pour qu’ils se retrouvent autour d’un intérêt commun lié à leurs professions ? Ahem. Tu crois pas que tu divagues un peu, Kieran ? Je te rappelle que cette profession n’est pas la tienne et tu y crois un peu trop, là, si tu veux mon avis. Oh, c’est plutôt bien que tu t’intéresses à ce qu’elle fait en songeant à ce que ça pourrait t’apporter – faut savoir être égoïste parfois – ça l’est tout de suite moins quand ça relève d’un mensonge. Ce n’est même pas cette histoire, le problème, c’est que même si tu voulais te donner les moyens de réussir, tu ne le ferais pas. Alors, bon, c’est bien beau de lui demander ses coordonnées, alors qu’on sait tous les deux que tu ne les utiliseras pas et c’est bien dommage. « Ah non. Mais j’pourrai t’envoyer ça à l’occasion si jamais t’as toujours le même numéro. » « Non, j’ai changé. » À cause d’une ex qu’il voulait voir disparaître de sa vie et qui a quand même réussi à le retrouver. Tu parles d’un succès. « Mais je pourrais te donner le nouveau si tu veux ? » Est-ce que tu veux bien qu’on garde contact, Spence, pour de vrai cette fois-ci ? Elle ne lui a pourtant pas laissé que des bons souvenirs, mais voyez-vous, Kieran continue de courir après l’affection des autres et la perspective qu’elle puisse vouloir son numéro est un pas vers celle-ci qu’il ne peut ignorer.

Leur choix s’est porté sur le fast-food et à la réflexion de Spencer, il se permet une réflexion qu’il ne mesure pas immédiatement. « Bof. » C’est là qu’il aurait dû se la fermer, pas vrai ? « Crois le ou non, je me suis découvert une passion pour la cuisine, du coup je vais plus trop dans les endroits comme ça. » Il l’observe un instant, étonné. Dans ses souvenirs, elle n’était pas particulièrement intéressée par ce qui touchait à la cuisine, mais il n’oublie pas que cela fait des années qu’il ne l’a pas côtoyée et qu’en ce sens, elle a pu changer ; suffisamment pour qu’il ne la reconnaisse pas sur tous les aspects. « Je suis impressionné. Je me suis pas encore découvert cette passion et ça m’arrangerait, pourtant. » Il souligne avec un léger rire. Ah ça, c’est sûr qu’on ne peut pas dire qu’il ait grand intérêt pour la cuisine, puisqu’il passe un temps considérable à jouer à Tetris avec son congélateur puisqu’il ne se nourrit que de surgelés. « Tiens tu sais quoi, si tu veux la prochaine fois j’te fais à manger en guise de remerciement et heu… D’excuse un peu, aussi. Genre c’que tu veux. » Un sourire étire ses lèvres ; tiens, t’as vite oublié qu’elle a essayé de te piquer du fric, Kieran ? Et je parle pas des souvenirs d’adolescence, non, non, mais d’il y a, allez, dix minutes ? Ouais, ouais, c’était juste une manière de se rappeler à toi en faisant référence au passé, mon œil. Elle a l’air sympa, la Blackwell, mais est-ce que tu peux vraiment lui faire confiance ? Oui, elle a changé, tout ça, mais tu sais, moi, les gens qui bossent dans le marketing, j’ai quand même des doutes sur eux. Ils sont pas toujours honnêtes, hm. « Je, euh, non, tu sais j’aime pas m’imposer, tu me dois rien, c’est pas... j’voulais pas te faire sentir redevable. » Il baisse légèrement la tête, toujours aussi réservé et en retrait quand vient le moment d’accepter un geste en sa direction. C’est quelque chose qui n’a pas changé, il crève d’envie d’avoir de l’attention et quand c’est le cas, il ne se sent pas légitime à la recevoir. Elle l’a connu, elle sait à quel point il n’aime pas s’imposer, bien au contraire ; la passivité a toujours fait partie de lui. Ça lui ferait plaisir, pourtant, oui. Mais encore une fois, il n’a pas dit ça pour qu’elle se sente redevable et il se sent coupable d’avoir pu lui immiscer une telle idée à l’esprit.

Parler des Cornwells est un peu plus facile pour lui, parce qu’ils ont toujours une grande place dans son cœur, contrairement à Spencer qui elle, doit réellement être passée à autre chose les concernant. « Oh, okay. Et heu, Sawyer non plus ? » Là, par contre, le mensonge est moins facile, parce que Sawyer a une encore plus grande place dans son cœur ; et même s’il n’y a aucune raison pour laquelle elle devrait être au courant de ce qu’il sera dit entre Kieran et Spencer, il aurait néanmoins l’impression de la trahir en lui prêter des paroles qui ne sont pas les siennes. « Je sais pas trop, je dois t’avouer. J’imagine qu’elle les appelle de temps à autre. » Voilà, dans l’hypothèse où il viendrait à révéler pour x ou y raison qu’il a des nouvelles d’eux, il pourra toujours dire que c’est par le biais de Sawyer. Il aurait pu s’en arrêter-là, s’il ne faisait pas de la surenchère, s’il n’était pas obligé de lui vendre de la poudre aux yeux alors qu’il ne lui doit rien. « Tu déconnes ?! » La surprise et l’élan de sa voix sont mal interprétés par le jeune homme ; comme si c’était incohérent qu’il puisse avoir sa propre famille, comme si n’avait pas de sens qu’il puisse être en couple et, pire encore, père de famille. Il pince les lèvres pour masquer sa déception derrière un sourire forcé alors que Spencer enquête. « Genre t’es maqué et tout maintenant ? Vous avez des enfants ? » Est-ce qu’il en a, dans cette version-là ? Est-ce qu’il est père célibataire, est-ce qu’il est marié, est-ce qu’il est juste en couple ? « Merde, c’est peut-être indiscret. T’es pas obligé de répondre si tu veux pas. » Il secoue légèrement la tête pour lui confirmer qu’il n’est pas offusqué par sa curiosité, tandis que ses traits se détendent par la suite : « Mais c’est cool, j’suis contente pour toi. » Son sourire est plus sincère, cette fois-ci. « C’est gentil. » Et puisqu’il a suffisamment eu le temps de réfléchir à sa version des faits, il reprend : « On n’est pas encore mariés, mais on a un enfant, oui. Une fille. » Une fille, parce qu’il doit avoir quelques photos de sa filleule qui traîne dans son téléphone, et même si Ilaria est maintenant une jeune adulte, c’est un détail, il aura qu’à inventer son amour des années 80/90 pour justifier d’avoir fait un photoshoot de naissance à l’allure vieillot, oui. Pour la copine, ce ne sera pas difficile ; il possède encore assez de photos d’Autumn. Il espère qu’elle ne posera pas plus de questions alors qu’il retient le soupir de soulagement qui s’échappe d’entre ses lèvres quand elle reprend la parole pour lui présenter ses excuses. « Tu sais… Je m’en veux encore pour t’avoir piqué tout ce pognon. Et pour la façon dont j’me comportais avec toi de manière plus générale. » Il en oublie ses mensonges et son malaise par rapport à ceux-ci pour tourner le regard vers elle et jauger de sa sincérité. Elle a l’air de l’être, en tout cas. Même moi j’y crois. « J’ai vraiment pas été cool avec toi. Du coup heu… J’tenais à m’excuser pour tout ça. » Elle a peut-être vraiment changé, Spencer, en fait. C’était il y a des années, c’est une adulte, maintenant, plus une gamine, il faut peut-être lui laisser le bénéfice du doute. « Je sais que ça changera rien, hein, mais au moins tu sais. » Il acquiesce silencieusement avec un sourire alors qu’il passe commande à son tour et lorsqu’ils changent de fil pour attendre leur plateau, il repose son regard sur Spencer. « Tu sais, c’était il y a longtemps. » Dans une autre vie, même. « T’en avais plus besoin que moi, de cet argent, de toute façon. » C’est ce qu’il se disait et c’est en partie la raison pour laquelle il n’a jamais réagi – ça et le fait que Spencer était bien plus jeune. Et qu’il n’avait pas de couilles, de toute évidence. « Et t’étais de loin pas la pire. » Que ce soit à l’école, chez les Cornwells ou même encore aujourd’hui, Kieran a vécu bien pire que la mauvaise humeur et les petits vols de Spencer. « Et j’aurais pu réagir, aussi. » Il aurait dû, même, si vous voulez mon avis. Son historique de se faire marcher dessus commence peut-être là, en réalité. « T’étais chiante, mais pas méchante. » Il conclut avec un léger rire pour dédramatiser le tout. Même s’il ne garde pas forcément un excellent souvenir de Spencer, il l’a dit, elle n’était pas la pire et dans le fond, il était attaché à cette petite, c’est peut-être une des raisons derrière sa passivité. Leurs commandes prêtes, c’est à la table un peu à l’écart du monde où ils se sont installés qu’il reprend la conversation. « Et toi, en dehors de ta nouvelle passion pour la cuisine et de ton talent marketing, qu’est-ce qui a changé ? » Beaucoup de choses à priori, qu’il réalise en croquant dans une frite.

some things, they stay
Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

« C’est ça, et trouver quelque chose qui soit original ET suffisamment percutant pour attirer l’attention, c’est la double peine. » Spencer ne peut pas s’empêcher de ricaner doucement en acquiesçant, prenant son faux rôle de marketeuse très au sérieux. Presque un peu trop, d’ailleurs. « Non, j’ai changé. Mais je pourrais te donner le nouveau si tu veux ? » ça fait un petit moment donc rien d’étonnant à ce que le numéro ait changé. Ca pourrait s’arrêter là d’ailleurs mais assez étonnamment, Kieran propose de lui-même de lui filer son actuel. Dire qu’elle s’attendait presque à devoir le supplier pour l’obtenir. D’une certaine façon, ça lui donne l’espoir qu’ils gardent contact pour de vrai, cette fois. Plus d’entourloupe ou de coup en douce, plus de mains baladeuses pour piquer de l’argent, tout ça. « Ouais carrément. » qu’elle répond dans un franc sourire. Sans trop lui laisser le temps de se rétracter, elle sort son téléphone, le déverrouille et le tend au jeune homme pour qu’il puisse rentrer lui-même le numéro. Il peut même en mettre un faux si ça lui chante, elle s’en rendra compte trop tard et elle prendra ça comme un signe que finalement non, elle se faisait des idées.

« Je suis impressionné. Je me suis pas encore découvert cette passion et ça m’arrangerait, pourtant. » « Bon je fais pas non plus des trucs super élaborés parce que souvent j’ai pas tellement le temps tu vois, mais un truc simple bien cuisiné ça suffit largement. » suivre une recette c’est pas tellement compliqué, en plus de ça. « Je, euh, non, tu sais j’aime pas m’imposer, tu me dois rien, c’est pas... j’voulais pas te faire sentir redevable. » oh, il est toujours aussi incertain dans sa façon d’interagir avec les autres alors ? Si à l’époque ça aurait sûrement fait rire Spencer, aujourd’hui ça la fait surtout sourire de façon un peu attendrie. La maladresse et la gentillesse dont il a toujours fait preuve ont quelque chose de touchant. « Non non, j’insiste, vraiment ça m’dérange pas. » elle affirme en ayant aucun besoin de devoir mentir ou forcer le trait pour être crédible. « Et puis j’te dois quand même un peu plus que juste des excuses. » elle sourit, prête à sortir son plus grand jeu d’actrice pour le convaincre d’accepter. « Ca m’ferait plaisir en plus. » et ça c’est pas des conneries.

Vient le moment où elle essaie d’en savoir un peu plus sur sa relation avec leur famille d’accueil respective, s’il est toujours en contact avec eux ou d’autres gamins ayant atterris là-bas au fil du temps. « Je sais pas trop, je dois t’avouer. J’imagine qu’elle les appelle de temps à autre. » donc ça veut dire que Sawyer et lui ne communiquent plus tellement ? Y avait quand même une sacrée différence d’âge entre eux, si elle se souvient bien, ils ont dû perdre contact avec le temps, surtout s’il s’est un peu détaché des Cornwells. « On n’est pas encore mariés, mais on a un enfant, oui. Une fille. » « C’est vrai ? Elle a quel âge ? T’as des photos ? » elle demande d’un air peut-être un peu trop enthousiaste. C’est toujours pas tellement ses affaires et il n’est obligé de rien, Kieran. Et pas encore mariés, ça veut sûrement dire que c’est prévu. Elle a du mal à imaginer Kieran faire sa demande vu la boule de nerf que c’est, mais hé, pourquoi pas. « Tu sais, c’était il y a longtemps. T’en avais plus besoin que moi, de cet argent, de toute façon. » besoin c’est un bien grand mot. La blonde plisse le nez dans une légère grimace et dodeline de la tête l’air de dire que pas vraiment. Il arrive encore à lui trouver des excuses alors que vraiment, y avait aucune raison pour elle d’agir de cette façon. A part faire sa crise d’ado et se retrouver dans des problèmes récurrents à force de chercher l’approbation des mauvaises personnes, elle n’a pas gagné grand chose à agir de la sorte. « Et t’étais de loin pas la pire. Et j’aurais pu réagir, aussi. T’étais chiante, mais pas méchante. » elle ne sait pas vraiment dire si ça la rassure ou pas, à vrai dire. Des gamins difficiles dans le milieu des foyers, y en a eu tellement. Tous avec des histoires et des vécus différents, tous avec des excuses toutes trouvées à mal se comporter. “C’est pas facile pour eux, vous comprenez.” que les adultes répétaient tout le temps. Et Spencer, ça la faisait rouler des yeux. Elle a un peu abusé de cette prise de pitié que les gens pouvaient avoir pour elle. C’était plus facile que de devoir assumer qu’elle était juste une petite conne qui cherchait à capter l’attention des autres. « Ouais mais ça reste pas une bonne excuse. Genre j’aurai pu être sympa et te demander, ou juste aller trouver un petit job pour mériter d’avoir un peu d’argent, tu vois ? » faire les choses bien quoi. Surtout quand on voit le résultat aujourd’hui, elle aurait mieux fait de ne pas tomber dans ces travers là si tôt. « Et puis bon, c’était pour pouvoir traîner avec des gens que j’aimais pas tellement. Avec le recul c’est con parce que la seule personne que je voulais voir, elle était déjà toujours avec moi. » elle ajoute en pinçant les lèvres. D’une certaine façon, Spencer essayait toujours de trouver sa place auprès des autres, quitte à faire des conneries ou à se forcer à être pote avec eux. Sauf que ces fameux autres, là, c’était pas des gens dignes d’intérêt. La seule qui valait le coup, c’était Mac et clairement, elle avait besoin de faire toutes ces conneries pour pouvoir rester avec elle. Et merde, ça fait tellement longtemps qu’elle l’a plus vue et elle a tellement déconné qu’il y a vraiment plus aucune chance qu’elles se parlent, maintenant. « Et toi, en dehors de ta nouvelle passion pour la cuisine et de ton talent marketing, qu’est-ce qui a changé ? » de nouveau, ils gagnent une place dans la file d’attente et Spencer considère un instant ce qu’elle peut raconter. La vérité, pour une fois ça peut être pas mal. « Hmmm, tu vas peut-être pas me croire, merde même moi j’ai encore du mal à me faire à l’idée- Mais j’ai fait quelques recherches sur mes vieux et visiblement j’ai une soeur. Enfin demi-sœur. » c’est sacrément invraisemblable comme histoire l’air de rien. Elle lui en voudrait pas de douter de sa parole. « J’ai beaucoup hésité avant de la contacter et j’avoue que c’est un peu bizarre, encore. » elle ricane en se massant la nuque. « ‘fin j’sais pas trop ce que ça va donner, on verra bien sur le long terme. » elle hausse les épaules en offrant un sourire au type derrière le comptoir qui attend leur commande. « J’vais prendre un burger simple, s’il vous plaît. » qu’elle demande, tournant ensuite le regard vers Kieran en souriant. Il est chiant à être grand comme ça un peu.

« Ouais carrément. » Son sourire se joint à celui d’une Spencer à qui je finis par accorder le bénéfice du doute. Kieran n’est pas aussi méfiant que moi, soit, mais peut-être qu’au lieu de constamment le blâmer, je peux aussi apprendre quelque chose : et le fait qu’il est parfois légitime d’accorder des secondes chances. C’est ironique de vouloir garder en tête alors que je suis dans celle de Kieran que la jeune femme n’était qu’une ado ; mais c’est bien à ce constat que je me raccroche. Parce qu’il est heureux, à cet instant, Halstead, à renouer avec cette petite teigne qui, malgré son mauvais caractère et ses coups bas, a toujours été considérée comme une petite sœur, peu importe si elle ne voulait pas cataloguée par cette appellation. Tous les enfants qu’il a côtoyés entre les foyers et les familles d’accueil sont devenus de la famille par extension et même si Sawyer a une place supérieure à tous les autres, ces mêmes autres peuvent prétendre à un certain intérêt de sa part. Même si c’est tard, même si le semblant de reconnaissance de Spencer intervient des années après qu’il ait essayé de faire d’elle quelqu’un d’essentiel à sa vie, il s’en saisit, Kieran – car ne dit-on pas qu’il vaut mieux tard que jamais ? Se saisissant du téléphone tendu par Spencer, il pianote son numéro avant d’enregistrer son contact et de lui tendre son bien, un large sourire sincère sur les lèvres.

« Bon je fais pas non plus des trucs super élaborés parce que souvent j’ai pas tellement le temps tu vois, mais un truc simple bien cuisiné ça suffit largement. » Il hoche doucement la tête, faisant mine de parfaitement savoir où elle veut en venir alors qu’il n’a aucune foutue idée de ce qu’elle considère comme « simple », sachant que de son côté, la seule préparation d’une salade verte lui apparaît déjà comme un challenge. Il n’a pas menti (pas cette fois) quant à son manque de talent derrière un fourneaux et nulle doute que s’il n’était pas le champion pour trouver des plats préparés pas trop dégueulasses, Autumn n’aurait jamais tenu cinq ans avec lui. Et si la perspective de goûter aux préparations de Spencer le ravit, son naturel revient bien vite alors qu’il a d’ores et déjà l’impression de s’imposer et qu’il s’agit-là de quelque chose qu’il préférerait éviter. Elle l’a connu jeune adulte, quand il était encore moins assuré qu’aujourd’hui, mais elle ne s’étonnera pas de constater que certaines choses ne changent pas. « Non non, j’insiste, vraiment ça m’dérange pas. » Et son insistance plaît à un Kieran autant qu’à moi qui ne cherche même plus à m’opposer. « Et puis j’te dois quand même un peu plus que juste des excuses. » Il échappe un rire amusé avant d’acquiescer silencieusement. « Ca m’ferait plaisir en plus. » « Ça me ferait plaisir aussi. » Il reconnait, son rire qui se transforme en sourire sincère.

Sa sincérité est vite balayée alors que voilà déjà qui use de mensonges, par crainte d’être ridicule à ses yeux alors qu’il est resté attaché à cette famille qui n’est même pas la sienne et qu’il n’a aucune envie de donner raison à la Spencer d’autrefois, celle qui se moquait de cette attache. Alors, il se détache d’eux et prétend qu’il n’a des nouvelles qu’occasionnellement, ce qui n’est qu’un petit mensonge par rapport à celui qui suit et qui le voit être à la tête d’une famille dont il rêve. « C’est vrai ? Elle a quel âge ? T’as des photos ? » Et c’était bien beau d’imaginer comment tu pourrais t’en sortir face à une telle question, Kieran, mais maintenant, il faut mettre tes bonnes idées en application. « Elle a trois ans. » Ne lui demandez pas pourquoi, c’est ainsi, il l’a décidé dans la panique. « Et j’en ai plein, oui, mais on aura jamais assez d’une heure pour que je te les montre toutes. » Il avoue, amusé, avant de reprendre : « C’est pas qu’un cliché qu’on devient complètement gaga en devenant parent et qu’on a plus que ses gosses à la bouche. » Il poursuit, comme si le sujet était le plus naturel du monde, comme s’il n’était pas basé sur des calomnies. Il est très à l’aise dans l’exercice, Kieran, trop, peut-être. « Mais je garde ça pour le jour où je viendrai manger, histoire de bien te barber avec une séance diapo du papa fier du premier rot de sa fille au point de le documenter, tout ça. » C’est un beau terme, ça, papa et il adore l’utiliser pour lui, quand bien même ça lui fait mal au cœur quand il prend conscience que ce n’est qu’un rêve qu’il n’arrivera probablement jamais à atteindre. Comment être père quand on n’en a pas eu soi-même ? C’est une question à laquelle il ne veut pas songer alors qu’il se concentre sur Spencer et la manière dont il justifie ses fautes passées. Elle avait besoin de cet argent, elle avait sûrement besoin d’extérioriser contre les autres, elle a sûrement vécu bien pire que lui – ils n’en ont jamais vraiment parlé. Les excuses sont multiples et le pardon de Kieran, déjà acquis depuis longtemps. « Ouais mais ça reste pas une bonne excuse. Genre j’aurai pu être sympa et te demander, ou juste aller trouver un petit job pour mériter d’avoir un peu d’argent, tu vois ? » Oui, il voit parfaitement. Elle a raison. Il faut croire qu’elle a vraiment changé, Spencer, s’il en doutait encore. « C’est pas grave, je te dis. Surtout maintenant que tu vas te rattraper en me nourrissant à l’œil. Ça a pris son temps, mais c’est un bon deal. » Il s’amuse, un sourire timide sur les lèvres et un très léger rire qui s’en échappe. « Et puis bon, c’était pour pouvoir traîner avec des gens que j’aimais pas tellement. Avec le recul c’est con parce que la seule personne que je voulais voir, elle était déjà toujours avec moi. » Il fronce les sourcils un instant, tentant de se plonger dans ses souvenirs pour identifier la personne en question et quand l’ampoule s’affiche au-dessus de sa tête, c’est avec un peu trop d’enthousiaste qu’il lance : « Mac ?! » S’il fait la liste de ses fréquentations – et Dieu sait qu’elle était très fermée et peu encline à parler d’elle – c’est bien la seule qui lui vient en tête ; celle qu’il a brièvement croisée et qu’il regardait avec un sourire malicieux à chaque fois qu’il les voyait, elle et Spencer, filer discrètement, comme le shippeur qu’il était. « Vous êtes toujours en contact ? » Il demande, curieux, le sourire amusé qui reprend place sur ses lèvres. Dis oui, Spencer, allez.

Sa bonne humeur est néanmoins de courte durée alors que les propos qu’elle tient par la suite le heurtent plus qu’il ne le voudrait. « Hmmm, tu vas peut-être pas me croire, merde même moi j’ai encore du mal à me faire à l’idée- Mais j’ai fait quelques recherches sur mes vieux et visiblement j’ai une soeur. Enfin demi-sœur. » Il détourne la tête vers elle, intéressé, tentant de conserver ce sourire sur ses lèvres alors qu’il ne demande qu’à les quitter. Je devrais pas être jaloux, c’est ridicule. « J’ai beaucoup hésité avant de la contacter et j’avoue que c’est un peu bizarre, encore. » Elle l’a donc fait. Elle a appris son existence et, en plus de cela, elle l’a contactée. « ‘fin j’sais pas trop ce que ça va donner, on verra bien sur le long terme. » Elle a une famille, là, quelque part, avec laquelle elle peut construire quelque chose. « J’vais prendre un burger simple, s’il vous plaît. » Toujours muet, il se retourne vers le type derrière le comptoir, balance un « ouais, la même chose » automatique alors qu’il n’a aucune idée de ce que Spencer vient de commander en réalité, son oreille étant bien peu attentive. Il ne manquerait plus que ce soit de la sauce satay et il aurait le combo d’une bonne grosse journée de merde qui avait pourtant si bien commencé. Il s’en veut aussitôt, Kieran, d’en vouloir autant à Spencer ; mais t’as le droit. Enfin, t’as le droit d’être jaloux plus que de lui en vouloir, parce qu’elle n’y peut rien. Et au fond, je sais qu’il est content pour elle, parce que c’est quelque chose de commun aux gosses comme eux, ce besoin de réponses, cette recherche d’identité et qu’il ne peut être qu’heureux qu’elle y arrive. Mais quand même, ça fait bizarre de se dire qu’elle a cette chance et de se réjouir sincèrement pour elle. Il est dans une ambivalence qu’il n’apprécie pas, d’autant plus alors qu’il a l’impression d’être terriblement ingrat. Finalement, il force un sourire sur ses lèvres, qui parait naturel à force d’être travaillé. Elle n’y verra que du feu alors qu’il reprend contenance pour ne pas être trahi par le ton de sa voix. « C’est génial ! Enfin, j’imagine. Ça a l’air d’être une bonne nouvelle, en tout cas. » Il souligne, son sourire toujours plaqué sur le visage alors qu’il poursuit : « Je te souhaite vraiment que ça marche. » Et même s’il y a ce pincement au cœur, il le pense vraiment. Spencer a souvent pris de mauvaises décisions, mais n’est pas une mauvaise fille. « Elle a réagi comment ? Et elle est comment, d’ailleurs ? » Elle a l’air gentille ? Elle accepte de te faire une place dans sa vie ? C’est ta famille, d’accord, mais t’oubliera pas les autres, hein Spencer ? C’est drôle, comme il se sent presque trahi, comme il se veut égoïste avec son habituelle crainte d’être abandonné, alors qu’il y a encore une heure, il ne pensait plus à Spencer et ne pensait pas recroiser son chemin. « Désolé, c’est sûrement trop indiscret. » Qu’il se reprend en saisissant sa commande, le regard qui s’échappe un instant alors qu’il pince les lèvres. Elle est gentille, Spencer, j’ai pas le droit de la détester. Mais elle a une famille et je lui en veux pour ça.

@Spencer Blackwell

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Spencer Blackwell & @Kieran Halstead

Bon, visiblement c’était pas si compliqué que ça de s’excuser proprement. Non pas qu’elle ait douté de la capacité de Kieran à bien vouloir la pardonner, il est trop gentil et conciliant pour rester fâché après quelqu’un; même si ce quelqu’un est une petite peste comme Spencer. Preuve en est, il lui file son numéro sans rechigner et a même l’air content de le faire. « Elle a trois ans. Et j’en ai plein, oui, mais on aura jamais assez d’une heure pour que je te les montre toutes. » « Oh elle est encore petite. » trois ans, c’est à peu près l’âge où elle est rentrée dans le système, Spencer. Et elle se rend compte qu’elle ne sait pas dire depuis quand il y est, Kieran. En tout cas, il a l’air de vachement mieux gérer sa situation. Tant mieux pour lui, c’est tout ce qu’elle peut lui souhaiter. « C’est pas qu’un cliché qu’on devient complètement gaga en devenant parent et qu’on a plus que ses gosses à la bouche. » Spencer rit doucement, un poil attendrie par le tableau qui se dessine. Dans la mesure où elle ne se voit pas avoir d’enfants un jour, elle ne saurait dire si ce cliché pourrait s’appliquer à elle ou non, mais elle veut bien croire Kieran sur parole. « Mais je garde ça pour le jour où je viendrai manger, histoire de bien te barber avec une séance diapo du papa fier du premier rot de sa fille au point de le documenter, tout ça. » l’idée la fait sourire. Maintenant il ne lui reste plus qu’à trouver une combine pour que ça se fasse chez lui, vu que c’est un poil compliqué d’accueillir qui que ce soit de son côté. Elle se voit mal offrir un pique-nique au fond d’un squat ou ce genre de chose, clairement. Ca ferait pas très bon genre quoi. « Okay, deal. » ça se confirme un peu et pour de vrai, ça lui fait plaisir de simplement pouvoir discuter avec lui comme ça. Elle se souvient pas tellement la dernière fois où c’est arrivé à vrai dire. Est-ce que c’est seulement déjà arrivé, en fait ? Rien de moins sûr. « C’est pas grave, je te dis. Surtout maintenant que tu vas te rattraper en me nourrissant à l’œil. Ça a pris son temps, mais c’est un bon deal. » « Ah oui je vois en fait tu veux juste profiter de mes talents culinaires. » qu’elle ironise avec un sourire malicieux sur le visage. Au moins elle s’est excusée pour de vrai cette fois, pas juste via une vieille lettre à peine rédigée et plutôt impersonnelle. Par contre, elle aurait mieux fait de pas tant en dire. « Mac ?! » elle plisse le nez dans une légère grimace et acquiesce en silence. « Vous êtes toujours en contact ? » Spencer pince les lèvres et secoue négativement la tête. Merde, elle aurait mieux fait de rien dire, forcément qu’il allait savoir de qui elle parlait. Il était discret et silencieux, Kieran, pas idiot et aveugle. « Heu- Pas vraiment, non. C’est un peu compliqué, je- » non non, c’est très simple au contraire. A mesure qu’elle s’enfonçait dans ses vices et ses mensonges, Spencer a petit à petit éjecté tout le monde de sa vie. Y compris la seule véritable amie qu’elle ait jamais eue. Pas de nouvelles depuis deux ans, rien du tout. « J’ai pas très envie d’en parler. » qu’elle ajoute en forçant un sourire. Parce que dans sa situation précaire, c’est pas le manque d’un toit sur la tête qui la dérange le plus. C’est pas non plus les milliers de dollars de dettes qui l’accablent, non. C’est cette absence en particulier qui lui pèse trop. Et elle est la seule à blâmer pour tout ça, elle en a bien conscience. Il lui suffirait de débloquer le numéro et d’envoyer un simple message, ou même d’aller frapper à sa porte, mais non. La couarde a trop peur et trop honte pour ne serait-ce qu’imaginer faire une chose pareille.

Alors elle dévie le sujet, tout pour ne plus penser à Mac, elle évoque sa découverte sans trop savoir où ça va la mener. Probablement nulle part, elles ne se sont rencontrées qu’une fois et c’est assez flou encore, comme situation. « C’est génial ! Enfin, j’imagine. Ça a l’air d’être une bonne nouvelle, en tout cas. » il a l’air au moins aussi enthousiaste que lorsqu’il a parlé de sa petite famille et que Spencer a réagit. C’est le commun de tous les enfants du système, ça. La recherche constante d’une place dans ce monde et de ce qui se rapproche de près ou de loin de liens forts dont ils ont pu être privés dans l’enfance. « Je te souhaite vraiment que ça marche. » « Merci. » le sourire qu’elle lui offre est presque timide. « Elle a réagi comment ? Et elle est comment, d’ailleurs ? Désolé, c’est sûrement trop indiscret. » « Nan, c’est rien. » et à vrai dire, c’est une excellente question. C’est qu’elle est assez difficile à déchiffrer, sa frangine. C’était pas vraiment des effusions de bons sentiments ou une rencontre poignante, mais d’un autre côté, ça ne s’est pas non plus mal passé. C’est qu’elle s’est fait tout un tas de scénario dans un coin du crâne, Spencer. Vu le temps qu’elle a pris avant de sauter le pas, elle a bien eu le temps de ruminer pendant un long moment avant qu’elle ne soit contrainte à franchir le pas. « Ça s'est pas aussi mal passé que je l’aurai pensé. » elle commence en se grattant la joue. « Enfin pour l’instant on s’est vues genre… Une fois, quoi. » comme on dit, c’était bref et intense. Un peu difficile de savoir ce que ça va donner sur la durée, déjà elle imagine que la concernée va lancer sa petite enquête et vérifier tout ce qui a été dit. Après tout, qui croirait quelqu’un comme Spencer dès la première rencontre. « C’était un peu bizarre. Mais au moins je me suis pas mangé un mur. » autant voir le positif dans l’histoire quoi. « T’imagines si demain quelqu’un débarque pour te dire “ah tiens salut, on se connaît pas du tout mais on a le même géniteur”, ça soulève des questions, un peu. » elle lâche un petit rire amusé en grimaçant un peu. « Enfin on verra, hein. » ça s’accompagne d’un petit haussement d’épaules et on les appelle pour leur commande. Bon, finalement elle s’en sort pas trop mal pour cette fois.