“Passe une bonne journée chérie”
“Hmm”
“Wow, un grognement, ça veut dire “oui papa, merci, je t’aime” ? “

La portière de la voiture claque et la scène se termine par une grimace de Clara à travers la vitre. Le lycée avait commencé pour elle depuis trois jours et c’était déjà l’enfer. Sa mauvaise humeur rythmait les journées à la maison et son père commençait à déchiffrer ses sons pour communiquer avec elle. Cet endroit, c’était l’horreur : un règlement à suivre, une conduite à tenir et une foule d'individus avec lequel elle ne ressent pas la moindre connexion. “Votre capuche Mlle Davis!” entend-t-elle par delà le couloir avant d’obéir pour s’épargner un sermon qu’elle a déjà entendu la veille et l’avant-veille. être réprimandée et infantilisée sans arrêt ne fait qu'ajouter à son humeur qui ne s’améliore pas à chaque fois que le réveil sonne. Chimie est le premier cours du matin et chose n’est pas coutume, elle s’installe dans le fond de la classe, à une table où il n’y a encore personne, priant pour que cette classe soit impaire et qu’elle puisse rester seule jusqu’à la fin de la classe. Cette stratégie ne paye pas toujours. Le suspense tombe vite, elle ne l’est pas et un garçon vient prendre place à ses côtés, partageant certainement intérieurement la même déception qu’elle à l’idée d’avoir à communiquer avec autrui. Ils restent silencieux au milieu du chahut que font les autres. Les manuels font leur apparition sur les tables, le professeur entre et donne l’injonction de réduire le bruit avant de distribuer le matériel nécessaire à l’exercice de la journée. Elle feuillète en attendant qu’il prenne la parole pour donner les détails de l’expérience d’aujourd’hui. “Ouvrez les manuels page 10, vous avez une heure. Faite attention avec la soude” L’expression sur son visage traduit toute sa pensée. Ses yeux lisent le titre en haut de la page, une recette de savon. Donc c’est ça qu’on apprend arrivé au secondaire : à suivre des recettes  qu’une blogueuse à lâché sur le net avant qu’elle n'intéresse dans un livre d’éducation. Elle soupire, si même l’apprentissage est pauvre ici en plus des élèves. “ “J’ignorais que j’avais pris un cours de cuisine.” soupire t-elle avant de commencer l’état des lieux des ingrédients. Ce sont les premiers mots qu’elle aura prononcés depuis trois qui ne sont pas de l’argot. Elle n’a plus qu’à compter les jours jusqu’à sa remise de diplôme et là encore, partir élever des chameaux en plein désert lui semble attrayant. L’odeur est, après tout, pas plus différente de celle des adolescents boutonneux qui l’entourent et qui lui filent la nausée. Elle les observe jouer sous l'œil d’un professeur qui aurait dû s'épargner des études pour n’être qu’un surveillant vu son degré d’implication. Pour la première, elle lève les yeux sur son acolyte. " Je suis Clara, tu veux qu'on se partage l'écriture du compte rendu? ”

Les avions de papier volent à travers les rangs tandis qu’une sonnerie indique le professeur a passé un niveau de snake sur son téléphone portable. Clara, pendant ce temps, feuillète le manuel afin de se donner une idée de l’exercice et de ce qui l’attend pendant cette année scolaire. Espérons qu’à l’avenir, elle apprendra quelque chose. Pas qu’elle sache réellement comment faire un savon mais elle apprendre des secrets de ménagère ne l'intéresse en rien. Elle râle dans sa barbe avant de se concentrer sur la raison de sa venue : son éducation. Elle hait cet endroit mais il ne manquerait plus qu’elle sorte d’ici aussi abrutie que les autres, elle ne le vivrait pas bien. « Jordan. Ouais. Ok. » répond son voisin à sa proposition. Elle ne le connaît pas et sa réponse se passe de blabla. C’est un bon point. Ce n’est pas qu’elle manque de conversation d’habitude mais là, la colère de la matinée est encore bien présente et l’envie de faire ami-ami n’est pas sa première préoccupation. « Je pensais pas trouver une matière que je déteste plus que le sport. » A vrai dire, elle ne sait pas si elle lui accorderait ce point parce que courir autour d’un terrain, c’est une activité qu’on fait seule mais à y penser, il est vrai que lui doit se coltiner des vestiaires puant de cette odeur que l’odeur des produits chimiques ne camouflent pas est un point aussi. « Si t’es doué en cuisine je te laisse faire et je m’occupe de tout le compte rendu? » Son regard noirci au moment où il prononce les mots “doué en cuisine” parce que c’est un raccourci un peu rapide à dire à une fille mais elle est effectivement douée et n’a aucune envie de faire le compte rendu s' il peut s’en charger. Elle hausse les épaules en répondant simplement “J’espère que tu as une bonne écriture.” Ce qui dans son langage veut dire qu’elle accepte cet arrangement. Elle allume doucement la hotte. “Alors, le manuel dit qu’il faut faire fondre un corps gras dans lequel on ajoute la fameuse soude. Il faudrait que tu recopies le schéma des molécules. Avec de la chance, ça fera un peu de zèle sur la copie.” dit-elle en procédant à la préparation, bien qu’en levant les yeux devant elle, elle se demande si ils ont face à eux le genre de professeur sensible au zèle ou bien qui n’apprécie pas les fayots. Des bruits d’animaux surgissent d’un bord à l’autre de la classe, ce qui doit être une façon locale de jouer à “c’est à babord qu’on chante le plus fort” “Tu tiens toujours ta position sur le cours de chimie pire que le sport” raille t-elle, un brin moqueuse. Il manquerait plus que quelqu’un cherche à se suspendre à un des néons et ce serait gagné. “Note le pourcentage de corps gras et de soude s’il te plait?” Un brin directrice. Elle s’en rend compte et n’ajoute rien alors qu’il prend des notes. “Ne reste qu’à attendre la réaction et après on procèdera à l’analyse.” dit-elle en retirant ses gants tandis que la réaction démarre.

C’est vraiment pas plus bête que de suivre une recette de cuisine et ça lui donne un peu d’assurance. A défaut d’être une élève modèle, elle est sérieuse avec les études et réussir lui tient à cœur même si c’est mieux quand c’est facile tout de même. Et tout ça, sans même avoir à rédiger quoi que ce soit. C’est ça le genre de Clara : faire une démonstration et laisser les autres prendre des notes. « On verra si on a une bonne note. » lui répond Jordan alors qu’elle commence tout juste à mener un brin de conversation. C’est blanc et lisse au possible, comme un dialogue dans un ascenseur mais malgré son air patibulaire et fort peu aimable que ses hormones d’adolescente rebelle aime lui donner, Clara est une bavarde. “Tu doutes de mes capacités?” ose t-elle demander tout en se remettant au travail et en donnant ses dernières remarques avant de dégager les gants dans un geste plutôt fière d’elle comme la meilleure note était à portée. Devant eux, la soupe de produit chimique commence à prendre forme et n’y prétend pas attention plus que ça, Clara rive ses yeux sur la feuille de Jordan afin de suivre ce qu’il y inscrit comme pour s’assurer que tout est comme elle le souhaite. Ce qui lui montre la satisfait, il semblerait en effet que ce garçon a une belle écriture ce qui constitue à ses yeux un bon point pour les projets de groupe. Les probabilités d’une bonne note sont toujours plus grande quand la calligraphie n’arrache pas les yeux du professeur et loin d’éborgner ses professeurs, Clara ne flatte pas autant la cornée avec son coup de stylo. « Ton cerveau a l’air bien mieux branché que le mien. » lui fait remarquer Jordan alors que le mélange commence à s’épaissir. Elle tente de rester modeste et se retient de se vanter, ce qui est plus mal compte tenu de la suite.  « C’est sensé prendre combien de temps pour la réaction ? » Elle observe et se dit que le mélange ne prend pas la tournure indiquée par la recette. “J’ai du oublier un truc” dit-elle en jetant dedans la première chose qui lui vient, contrariée par le résultat obtenu, loin d’être celui annoncé. “Monsieur?” dit-elle en levant la main alors que de son côté, Jordan se pose d’autres interrogations. « C’est normal ça ? » Le mélange commence à réagir salement et à dégager une odeur forte. Le professeur n’a pas le temps de lever les yeux que Clara tourne les siens vers Jordan afin d'observer le “ça” et elle se fait la réflexion très vite que ce mélange très chimique et en train de réagir est vachement près du visage de Jordan quand même. “Ne le tient pas aussi près!” dit-elle en lui criant dessus avant de taper sur le bocal pour l’éloigner du visage de Jordan. “Tu ne portes pas de lunette.” Son geste, sans être d’une violence extrême l’est assez autant que soudain pour provoquer une perte de liquide qui vient à s’écraser sur les mains de Clara, la table de travail et d’autres endroits qu’elle ne remarque pas vu que son attention est happée par le professeur qui réagit enfin. “Mais enfin, vous faites quoi tous les deux?” L’impertinence de la jeune femme aurait pu l’amener à répondre de façon provocante face à une question aussi con alors que dix secondes plus tôt, elle voyait les yeux de ce cher Jordan se faire aspirer par du savon en réaction mais ses émotions changent au fur et à mesure que les actions se passent et que là, ce qu’elle observe, c’est sa blouse qui brûle, ou fond, sur elle, là où le liquide est tombé. Et oui, la soude, c’est basique, c’est aussi dangereux que l’acide. C’est pourquoi, au lieu de répondre au professeur, elle se décide plutôt à hurler en observant la réaction sur elle, sans même bouger d’un pouce. Tétanisée à l'idée d'être la nouvelle Jeanne D'Arc.

Elle n’aurait pas dû être aussi violente dans son geste mais elle avait entendu tellement d’histoire sordide d’accident domestique facile qu’elle ne put s’empêcher de paniquer à la vision de Jordan et de ce bec de chimie en réaction. Elle n’avait pas exécuté une étape correctement et si elle pouvait s’en sortir sans que son partenaire de labo finisse aveugle, cela lui ferait grand plaisir. Pas tant qu’elle pense à Jordan qu’elle rencontre tout juste mais a t-elle envie d’être perçue comme un danger ambulant pendant les trois années que vont constituer sa scolarité ici ? Non. Elle préfère rester invisible. Forcément, son geste génère de l’agitation et, chose étrange, l’attention du professeur qui se dirige sur eux. Rapidement, alors qu’elle commence à prendre peur de l’effet de la soude sur sa blouse qui crame sans flamme, elle s’en sépare dans un geste violent en contenant un cri et des pleurs parce que mieux vaut ne pas ajouter l’étiquette de pleurnicheuse à la liste/. A savoir que la soude peut brûler et causer de sérieux dégâts. Son geste est malheureusement trop tardif et, constatant les dégâts sur ses manches, le professeur les envoie très rapidement à l’infirmerie. Comment va t-il ranger tout ça, c’est un mystère. Blessée, autant dans sa fierté que physiquement, Clara ne dit rien sur le chemin. Elle se déteste d’avoir à partir de classe alors qu’ils étaient le seul binôme à travailler calmement. Une démonstration, une fois de plus, qu’il vaut mieux ne rien faire pour ne pas avoir de problème. « Je sais pas où est l’infirmerie en fait… » dit Jordan, ce qui la sort de ses pensées où elle était en train de se maudire. A vrai dire, elle ne sait pas non plus où c’est. Elle le suivait, se disant qu’ils allaient bien s’y trouver un jour. “Certainement près des vestiaires.” dit-elle, se disant que les plus grands blessés viennent du gymnase et qu’en toute logique, c’est là qu’on devrait poster l’infirmière. « Ca va ? » Elle hausse les épaules, ne sachant pas quoi répondre et s’il parle de son bras ou de son égo. Non, ça ne va pas du tout. Elle a mal. “Pas vraiment, je me sens stupide.” avoue t-elle, ce qui l’étonne parce que ce genre d’émotion et de règle générale enfouie bien profond au fond d’elle. “Tu n’as rien toi?” demande t-elle en tenant son bras et en essayant d’avancer pour le rattraper. Elle a tellement honte qu’elle serait capable de partir si son bras ne lui faisait pas aussi mal. Elle n’avait jamais fait l’expérience auparavant d’une brûlure induite par autre chose que du feu. C’est une dure leçon à ses dépends. “Je crois que c’est là.” dit-elle en pointant du doigt la panneau infirmerie. “Tu m’accompagnes?” demande t-elle, même si bon, qui aurait envie de revenir en classe après ça ? C’est clair que maintenant, la réputation est tout faite.

Stupide. Parce qu’elle avait ressenti le besoin d’être irréprochable et surtout, de se sentir plus intelligente que les autres. Aujourd’hui ce sera au final plus qu’une leçon de chimie qu’elle aura reçue. Elle avance timidement derrière Jordan en direction de l’infirmerie en repensant à tout ce qu’il s’est passé et à comment, à cause de sa vanité, elle aurait pu blesser son camarade. « Non tu m’as sauvé. » dit-il, ce qu’elle trouve gentil de sa part compte tenu des faits parce que si elle n’avait pas merdé l’exercice, il n’y aurait pas eu de réaction, ni d’accident.. “Je n’en aurais pas eu besoin si j’avais fait plus attention.” Elle a aussi une part de mauvaise foi qui ajouterait qu’avec un meilleur enseignement, elle ne se serait pas sentie pousser des ailes mais ce n’est pas le moment pour faire revenir sa fierté au galop. Le panneau de l’infirmerie apparaît devant eux et ils entrent. « Bonjour... On a eu un accident en chimie, elle s’est brûlée… » Sans rien ajouter de plus, Clara tend le bras à la jeune femme afin qu’elle observe la plaie rougeâtre qui y figure.  « Ah ces cours de chimie ça ne m'avait pas manqué. » dit-elle en attrapant des lunettes avant d’ajouter à l’adresse de Jordan. « Tu peux retourner en classe je m'occupe de ta camarade. » Oh non, pense t-elle, en observant Jordan. Elle sait que sa présence ne l’empêchera pas de se prendre un savon (lol) mais elle préfère ne pas rester seule et puis, si c’est pour lui derrière en prenne un du prof alors que c’est sa faute à elle, ce n’est pas la peine.  « Non je reste. » dit-il, ce qui la soulage quand il ajoute.  « Elle veut que je reste avec elle. » Il appuie du regard et c’est le moment où elle comprend que c’est aussi à elle d’ouvrir la bouche. “Oui ! je préfère qu’il reste. “ Elle plonge son regard dans celui de l’infirmière avant de chercher à légitimer sa demande. “Il a failli en prendre dans les yeux. Il faut regarder aussi” Parce que c’est pas probant, mais ça mérite aussi d’être observé. La jeune femme n’ajoute rien en observant de plus près le bras chaud de la jeune femme, sans attendre plus longtemps, elle ouvre un robinet près duquel elle amène clara afin de limiter que la brûlure se propage. “Il va falloir aller à l’hôpital une fois que la brûlure arrêtera de chauffer.” C’est à ce moment que le téléphone sonne, interrompant la conversation. Tout en recevant son appel, l’infirmière garde le bras sous l’eau ce qui fait autant mal à Clara que la soulage, elle raccroche et lâche “Les cours de sport ne m’avaient pas manqué non plus. Je dois aller sur le terrain, toi, aide la à refroidir la blessure en la passant sous l’eau. Je vais dire au proviseur d’appeler vos parents mademoiselle. Je vous laisse vous occuper d’elle jeune homme en attendant que je revienne.” Et elle file. Clara se retient de commenter cette sortie rapide. “La bonne nouvelle, c’est que la journée est finie au moins.” Elle n’ose pas regarder le bras mais une grimace lui échappe. “Merci de rester avec moi.”