J’ai passé la nuit à réfléchir, à me retourner dans mon lit sans pouvoir trouver le sommeil ni dessiner. Comme un con dans mon lit avec un constat : je n’ai pas vu Alma depuis presque 6 mois et ça me fait chier. Je ne l’ai pas revue depuis la (dé)fête d’anniversaire. Je repense à cette soirée désastreuse, un fiasco absolu qui aurait pu être très largement évité si Sara n’avait trahi tout le monde en amenant notre père. Je suis toujours en colère après Sara et ce qui n’arrange rien c’est que nous n’avons pas parlé de tout ça. C’est quelque chose de courant chez les Gutiérrez : on n’aime pas discuter de nos sentiments, de ce qui se passe dans nos têtes, on se contente de se faire la gueule et de se crier dessus. Ce soir là j’ai vu Rudy puis Sara claquer la porte et je l’ai suivie peu de temps après. Pas parce que je voulais voir comment elle allait mais parce que je ne supportais plus Sergio. Je m’en fichais pas mal que Sara pleure toute seule dans son coin, qu’est-ce qu’elle croyait, que tout le monde allait l’accueillir avec joie ? Que j’allais me dire « chouette je vais enfin avoir la chance de rencontrer mon père ! » ? Je suis donc rentré ce soir là et j’ai claqué la porte de ma chambre et je n’ai pas parlé à Sara pendant plusieurs jours et surtout on n’a jamais reparlé de ce qui s’est passé. A partir de cette soirée Alma n’est pas repassé à la maison ou du moins le moins possible et je ne sais pas si c’est volontaire mais elle passait toujours quand la maison était vide, quand il n’y avait que Mama et les petits. Je fixe le plafond en me disant qu’elle me manque, que j’ai l’impression d’avoir perdu ma grande sœur et ça me rend triste. Je n’ai jamais voulu dégrader nos relations ou gâcher son anniversaire, tout est de la faute de Sergio. Et même si elle nous avait demandé de rester pour manger c’était trop pour moi, à chaque fois que Sergio ouvrait la bouche mon poing se serrait un peu plus et j’ai préféré partir avant que ça dégénère. Je me souviens de la tristesse dans le regard d’Alma dont l’anniversaire a été gâché. Ce qui aurait dû être un moment de joie et un moment de partage en famille s’est transformé en une tragédie supplémentaire, une véritable catastrophe. Je me rends compte en réfléchissant que je ne me suis pas excusé, et que ce n’est pour ça qu’elle m’en veut. Je peux la comprendre mais j’ai dû mal à m’excuser, à prendre mes responsabilités et mon courage à deux mains pour avouer mes torts. Aujourd’hui pourtant je prends une décision : je vais aller voir Alma pour crever l’abcès, j’en ai marre de ces tensions entre nous, j’ai envie de retrouver ma grande sœur.

En revenant du chantier je me mets directement en route pour l’appartement d’Alma, et anciennement là où Rudy vivait aussi. Je me tends en pensant à Rudy, je n’ai toujours pas digéré sa trahison. J’arrive devant la porte et je sonne avant de changer d’avis. Je respire un coup avant que la porte ne s’ouvre : ravaler sa fierté c’est difficile. La porte s’ouvre et je lui dis « Salut Alma je peux entrer ? » Lorsqu’elle m’y autorise j’entre dans l’appartement, celui où on s’est vus la dernière fois pour son anniversaire. Je me lance, j’ai envie de me débarrasser tout de suite de mes excuses, histoire qu’on évacue les tensions rapidement, ça fait 6 mois que ça dure et ça a assez duré. « Je suis désolé pour la dernière fois, pour ton anniversaire. » je la regarde droit dans les yeux et j’ajoute « J’aurais pas dû me barrer comme ça. »

La famille était l'élément central de la vie d'Alma. Prête à tout pour ses proches, elle ne comptait plus le nombre de sacrifices faits à leur profit, le nombre d'heures passées à prendre soin de ses petits frères et sœurs, la joie qu'lis lui procuraient tous. Elle rêvait même de concevoir la sienne, un jour, de prolonger ce bonheur qu'elle pouvait ressentir auprès des personnes avec qui elle partageait le même sang avec des un ou des enfants. Ce bonheur, elle a toujours rêvé de le vivre auprès de toute sa fratrie, auprès de sa mère. Elle ne s'imaginait pas les perdre, ne pouvait concevoir une vie sans sa famille à ses côtés. C'était pourtant ce qu'il s'était passé au cours des dernières semaines. Un cauchemar pour elle, mais elle avait eu besoin de prendre du recul pour réfléchir au chaos qui les avait frappés. L'arrivée de Sergio comme un boulet de canon à l'anniversaire d'Alma en juin dernier avait perturbé tout l'équilibre que les Gutiérrez avaient mis tant de temps à trouver. Et si Alma était parfaitement au courant que Sergio avait été le pire des invités surprises possible, qu'il allait ramener des conflits et raviver des douleurs dans le cœur de chacun des enfants Gutiérrez, elle n'aurait jamais pensé que toute sa fratrie l'abandonne en ce jour ci crucial, elle, seule face à leur géniteur. Elle leur en avait voulu à tous, faisant même l'effort de soigneusement les éviter le plus possible durant tout l'hiver. Seule Maria et Alejandro n'avaient pas fait les frais de cette rancoeur, en deux âmes innocentes qu'ils étaient. Fuir Rudy s'était avéré simple au vu de sa réincarcération. Elle lui en voulait à nouveau, mais avait bien d'autre choses à s'occuper l'esprit. Eviter Diego, Sara et Cesar avait été une autre paire de manches. Elle n'était pas fière de son comportement, comprenant bien qu'ils n'avaient rien contre elle mais tout contre Sergio. Elle ne pouvait s'empêcher d'avoir été brisée dans son estime et de garder en elle un profond sentiment d'abandon. Coincée dans ce tourment, elle s'était demandé comment revenir un jour à une situation plus ou moins normale - si seulement ce terme était utilisable chez les Gutiérrez. Elle fut ravie, au fond, de voir que Cesar était venu faire le premier pas ce soir. Sa journée de travail ne s'était pas passée sous les meilleurs auspices, le stress d'Alma était à son comble, mais voir un visage familier suffisait à adoucir juste assez son cœur. Salut Alma je peux entrer ? La porte s'était ouverte entre eux les laissant tous deux un peu trop sur la défensive. Voilà ce que ça faisait d'être séparés pendant un temps. Cesar ! Qu'elle ne put s'empêcher de lancer, surprise de le voir ici. Entre je t'en prie. Elle se poussait pour lui ouvrir la voix, refermant la porte derrière lui. Elle se plaçait face à son jeune frère, les bras croisés sur sa poitrine. Qu'allait-elle bien pouvoir lui dire ? Je suis désolé pour la dernière fois, pour ton anniversaire. Il semblait sincère. Elle ne doutait pas un seul instant qu'il l'était. Et s'il était le premier à être venu s'excuser de la sorte, il était celui qu'elle aurait le moins de mal à pardonner pour son geste. J’aurais pas dû me barrer comme ça. Si ce jour signifiait beaucoup pour Alma et que l'abandon dont elle avait dû faire face lui avait fait du mal, elle ne pouvait s'imaginer ce qu'elle aurait fait à la place de Cesar. Il voyait Sergio en chair et en os pour la première fois. Comment aurait-il pu faire autrement ? Oh, hm.. je crois qu'on a tous été... perturbés. Qu'elle finit par lui répondre. Elle aurait préféré le prendre dans ses bras et lui dire de tout oublier, mais elle ne pouvait se résoudre à le faire. Elle avait mis bien trop de distances ces derniers temps pour faire comme si de rien n'était. C'est gentil d'être venu t'excuser. Elle tenait à le souligner. Pour tout te dire j'ai pas su comment réagir après tout ça.. je vous en ai voulu à tous, vraiment. Personne ne l'avait su, après tout. Aucune règle n'a jamais existé pour les cas de père absent pendant des années qui revient sans crier gare dans la vie de ses enfants. Elle s'avança d'un pas vers son frère. Mais j'ose même pas imaginer ce que tu dois traverser.. Sans vouloir rouvrir de quelconques blessures, elle voulait lui dire à travers ces mots qu'elle était là pour lui malgré tout.

« Cesar ! » Je sens bien au ton de sa voix qu’elle ne s’attendait pas à me voir. Elle me laisse entrer et se met face à moi les bras croisés. Je sens bien qu’il y a des tensions et je n’ai pas envie de tourner autour du pot en lui parlant de la pluie et du beau temps alors je m’excuse. Je m’excuse parce que je subis déjà une ambiance tendue à la maison alors je n’ai pas envie de subir ça à nouveau chez Alma. Et c’est aussi un moyen de ne pas me dégonfler, j’ai déjà du mal à mettre ma fierté de côté pour m’excuser alors mieux vaut aller droit au but. Je m’excuse et je le pense vraiment. Je ne m’attends pas à ce qu’elle me saute dans les bras en disant que ce n’est pas grave mais j’ai envie qu’elle comprenne que je m’en veux réellement. « Oh, hm.. je crois qu'on a tous été... perturbés. » Le mot perturbé m’arrache un petit sourire nerveux. Le mot est faible quand on voit quel désastre cette soirée d’anniversaire a été. Un vrai fiasco où chacun l’un après l’autre nous avons quitté de manière plus ou moins délicate le repas. « Je crois que le mot est faible oui. » Je sais que j’ai mal réagi mais c’était la première fois que je rencontrais Sergio, je n’étais pas prêt pour une telle rencontre. J’avais revu Sergio depuis cette soirée d’anniversaire chez Maddy et ça s’était mal passé. Je me souviens de son ton moqueur et hautain et à partir de ce jour là je l’ai détesté encore davantage. « C'est gentil d'être venu t'excuser. » Gentil c’est pas le mot non plus. Alma est ma grande sœur et la famille c’est plus important que tout alors c’est normal de s’excuser et d’essayer d’arranger la situation. « Non mais c’est normal j’ai déconné et j’en avais marre de plus te voir. » Avec Alma on est passés de se voir plusieurs fois par semaine au néant pendant deux mois et plus le temps passait et plus elle me manquait. « Pour tout te dire j'ai pas su comment réagir après tout ça.. je vous en ai voulu à tous, vraiment. » Je la comprends, je pense qu’à sa place j’aurais eu la même réaction. « C’est normal, y en a pas eu un pour rattraper l’autre. » D’abord Rudy qui contrairement à ce que j’aurais imaginé est parti calmement avant de péter un plomb en plein repas. Puis Sara qui est partie en comprenant que tout le monde lui en voulait d’avoir ramené Sergio sans nous prévenir. Et puis Diego qui était parti vérifier que Sara allait bien. De mon côté j’ai essayé de faire un effort et restant un petit peu mais chaque fois que Sergio ouvrait la bouche ça devenait trop compliqué pour moi de rester calme. « Mais j'ose même pas imaginer ce que tu dois traverser.. » J’ai ressenti pas mal d’émotions différentes ce soir-là : de la surprise mais surtout de la colère. De la colère envers Sergio mais surtout envers Sara, ce qu’elle avait fait c’était une trahison. « Ca va. » Je fais une pause avant d’ajouter. « J’ai été surpris mais en fait j’en veux surtout à Sara de nous avoir fait un coup comme ça. » Je sais qu’elle n’y croit pas quand je lui dis que je vais bien. C’est faux je ne vais pas bien, le retour de Sergio et son attitude distante c’est comme si je vivais une deuxième fois son abandon. Mais je n’ai pas envie de parler de moi, de ce que je ressens. Je m’en remettrai, en ce moment je fais tout pour penser à autre chose, je m’occupe et ça finira par passer. « Pourquoi elle a cru que ce serait une bonne idée de le ramener sans rien nous dire ? » Je m’emporte un peu mais Sara ne s’est pas excusée et la cohabitation à la maison devient de plus en plus difficile.

Alma ne cachait pas sa joie de voir son frère lui présenter des excuses. Elle lui en avait voulu, et n'avait pas non plus caché sa surprise de le voir à sa porte. Mais elle était plus que ravie de savoir que les choses allaient pouvoir rentrer dans l'ordre entre eux. Que lui ne lui en voulait pas, de son côté. Qu'ils pouvaient redevenir les Cesar et Alma d'avant le retour de Sergio, sans cette ombre qui plane au dessus d'eux. Je crois que le mot est faible oui. Ils avaient tous été perturbés du retour de Sergio, qui faisait remonter en chacun des Gutiérrez des traumas bien singuliers à chacun d'entre eux. Maritza y compris, puisqu'il l'avait abandonnée au même titre que ses enfants. En fait, le pire dans tout ça, c'est qu'elle était persuadée que sans enfants, ils seraient toujours ensemble et amoureux. Non mais c’est normal j’ai déconné et j’en avais marre de plus te voir. Elle aussi avait eu envie de revenir le voir, mais un certain ego mal placé l'en avait empêché. Tu m'as manqué aussi. Elle culpabilisait presque de ne pas l'avoir fait plus tôt, maintenant qu'elle l'avait en face de lui. C’est normal, y en a pas eu un pour rattraper l’autre. Elle ne pouvait le nier. Personne n'avait réagit correctement ce jour là, à commencer par Sergio qui n'avait pas à arriver comme ça sans prévenir. A quoi s'était-il attendu, comme genre de réaction ? Cesar était celui dont les actes étaient les plus compréhensibles : il n'avait jamais vu son père en face, et le rencontrer de cette façon avait dû être horrible pour lui. C'est de ça qu'elle s'inquiétait à présent. Ca va. Elle hochait la tête, attendait qu'il développe. Il ne pouvait pas se contenter d'un simple "ça va" alors que toute leur vie avait été chamboulée depuis quelques mois. J’ai été surpris mais en fait j’en veux surtout à Sara de nous avoir fait un coup comme ça. Encore une fois, elle hochait la tête pour acquiescer. Ouais, elle à vraiment fait n'importe quoi. Qu'elle reprenne contact avec leur père était une chose, son choix. Mais l'imposer aux autres de cette manière était loin d'avoir été délicat. Pourquoi elle a cru que ce serait une bonne idée de le ramener sans rien nous dire ? Alma avait longuement parlé avec Sara, qui avait sonné à sa porte très vite après ce jour là. Elle ne lui a toujours pas pardonné, attendant toujours des excuses. D'ailleurs il s'en était suivi une longue dispute entre les deux jeunes femmes. Mais Alma n'avait aucune envie de jeter de l'huile sur le feu, elle avait compris ses raisons, même si elle ne les cautionnait pas. Ça partait d'une bonne intention, mais.. elle est maladroite. Elle pensait bien agir... je crois. C'était ce qu'elle avait compris. Qu'elle avait envie d'avoir une famille unie à nouveau, que l'absence de Sergio était trop pesante pour elle. Je l'ai engueulée. Elle est consciente que c'était pas la bonne façon de faire, mais elle l'avouera jamais. Du moins, Alma le pensait. Mais tu sais comme elle est têtue.. C'était sans doute son pire défaut. Ça doit pas être simple chez vous. Elle évitait d'y aller trop souvent ces derniers temps, alors Alma ne se rendait pas bien compte de l'ambiance. On va s'en sortir, tu sais. Et si t'as besoin de passer du temps loin d'elle, tu peux toujours venir te réfugier ici. L'appartement est grand, maintenant que j'y suis seule. Il faut dire que l'absence de Rudy se faisait sentir malgré tout.

« Tu m'as manqué aussi. » Je souris et j’ai bon espoir je me dis que tout reviendra vite comme avant et qu’elle n’en voudra plus. Ca me rassure, j’aime beaucoup trop Alma pour qu’on ne se parle plus. Elle me demande comment je vais, alors je lui explique que ça va même si ce n’est pas vrai. Et je m’emporte un peu en parlant de Sara à qui j’en veux énormément. « Ouais, elle a vraiment fait n'importe quoi. » N’importe quoi c’est un excellent résumé de la situation, comme d’habitude elle nous a fait du grand Sara. Et j’en ai marre de devoir subir ses erreurs, à l’anniversaire d’Alma on a tous subi son initiative et j’en ai marre. « Ça partait d'une bonne intention, mais.. elle est maladroite. Elle pensait bien agir... je crois. » Je sais bien qu’elle pensait bien agir mais sa naïveté a eu de graves conséquences. Je ne comprends toujours pas comment elle a pu penser que ce serait une bonne idée de faire revenir Sergio pour rassembler la famille. Elle aussi a souffert de son absence et de son abandon alors le faire revenir c’était remuer le couteau dans la plaie, rien de plus. « Le problème de Sara c’est qu’elle agit avant de penser. » J’ai l’impression au quotidien d’être face à une gamine de 15 ans et c’est pesant, elle en a 23 et elle n’est même pas fichue de faire des choix réfléchis. « Je l'ai engueulée. Elle est consciente que c'était pas la bonne façon de faire, mais elle l'avouera jamais. » Elle a bien fait de l’engueuler mais d’après ce que je comprends elle ne s’est pas excusée auprès d’Alma. « Ah ça c’est clair. Non mais t’as bien fait de l’engueuler. On s’est pas vraiment reparlés depuis ton anniversaire, j’attends qu’elle vienne s’excuser. »  Je ne ferai pas d’efforts et la prochaine fois qu’elle m’appelle en plein milieu de la nuit pour venir la chercher ou pour me demander de m’occuper des petits pour qu’elle puisse sortir ce sera un non ferme de mon côté. Si elle ne veut pas faire d’efforts je ne vois pas pourquoi j’en ferais. J’ai une vie moi aussi je ne peux pas passer tout mon temps libre à veiller sur elle, sur les petits et sur Maman. « Mais tu sais comme elle est têtue.. » Un trait de caractère commun chez les Gutiérrez, il n’y a qu’à voir notre père ou Rudy. Une vraie famille de têtes de mules. « Non mais têtue le mot est faible elle se remet jamais en question. » Alma a l’air tout aussi désespérée que moi, et encore elle ne doit pas la supporter au quotidien. Je l’envie souvent d’habiter seule et j’ai hâte de pouvoir vivre seul. « Ça doit pas être simple chez vous » Je repense au sourire de Maria qui se bat au quotidien contre la maladie, au rire d’Alejandro, ce sont vraiment les deux rayons de soleil de la famille. Et je me dis que c’est injuste qu’ils doivent subir une vie comme ça. Même si on essaie de les préserver de tout ce qui se passe ils en souffrent quand même. « C’est compliqué oui, entre Sara qui nous fait du grand Sara, Maman qui pleure presque tous les jours et Maria... bon, on a connu mieux. »  « On va s'en sortir, tu sais. Et si t'as besoin de passer du temps loin d'elle, tu peux toujours venir te réfugier ici. L'appartement est grand, maintenant que j'y suis seule. » S’en sortir ? Comment ? Il n’y a pas d’argent magique et même si on se démène tous à notre échelle ça ne suffit pas à couvrir les frais médicaux. Et avec Rudy en prison ça n’arrange rien, au contraire le moral de Maman n’a jamais été aussi bas. « J’espère mais j’ai du mal à voir une issue à tout ça. » Je me mets dans un coin de la tête sa proposition pour venir me réfugier ici, j’en aurais besoin un jour ou l’autre. Je ne peux pas continuer à aller tout le temps chez Bailey au risque de déranger sa sœur. « Merci j’y penserai. » Mes yeux balaient la pièce et c’est vrai que l’appartement paraît bien grand et vide maintenant que Rudy n’y habite plus. « Y a de la place oui mais on est mieux sans lui. »

Le problème de Sara c’est qu’elle agit avant de penser. Comme une bonne partie des Gutiérrez, c'était leur pire défaut. Mais surtout comme Rudy, dont Sara s'inspirait beaucoup et qui était clairement le pire dans cette catégorie. Impulsifs, colériques, l'un comme l'autre agissaient toujours avant de penser, finissant régulièrement avec de nombreux problèmes sur le dos. Pour Sara, cette fois ci, la conséquence était simple : elle avait littéralement fait imploser leur famille. C'est ce qu'Alma a essayé de lui faire comprendre, la dernière fois qu'elles s'étaient vues. Ah ça c’est clair. Non mais t’as bien fait de l’engueuler. On s’est pas vraiment reparlés depuis ton anniversaire, j’attends qu’elle vienne s’excuser Malheureusement elle craignait fort que ça n'arrive jamais : le deuxième défaut sur sa liste étant d'être têtue comme une mule. C'est ce qu'elle répondait à Cesar, triste de voir qu'ils faisaient face à un mur sur ce coup ci. Non mais têtue le mot est faible elle se remet jamais en question. Alma hochait la tête. Elle savait très bien comment fonctionnait sa soeur, savait à quel point elle était difficile à gérer. On dit que les gens finissent tous par s'assagir et se rendre compte de leurs erreurs : c'est tout le mal qu'elle lui souhaitait. L'essentiel désormais c'était de faire en sorte que la situation s'améliore un minimum, alors elle s'intéressait à la vie de Cesar et Sara en colocation, eux qui vivaient toujours avec leur mère et les petits. Ça faisait toujours tout drôle à Alma d'imaginer qu'ils n'étaient plus que cinq, que Rudy, Diego et elle avaient tous pris leur envol. C’est compliqué oui, entre Sara qui nous fait du grand Sara, Maman qui pleure presque tous les jours et Maria... bon, on a connu mieux. Alma était triste pour sa mère, mais agacée aussi qu'elle se laisse toujours autant aller devant ses enfants. Son rôle était de les protéger, pas de leur faire subir sa peine. J'imagine.. je fais ce que je peux pour Maria, je l'emmène à ses rendez vous médicaux et tout ça, mais c'est dur d'en faire plus maintenant que j'ai ma vie à côté. Elle s'excusait à demi mot bien qu'elle avait arrêté de culpabiliser pour ça : elle y avait droit, à sa vie, elle aussi. Elle essayait de lui rassurer, de lui dire que tout irait bien, lui proposant même de venir lui rendre visite plus souvent pour avoir le temps de respirer un peu. J’espère mais j’ai du mal à voir une issue à tout ça. Elle avait le même problème, de son côté. Ils devaient l'avoir, tous. Merci j’y penserai. Elle lui sourit, sincère dans sa proposition. Y a de la place oui mais on est mieux sans lui. Un rictus s'emparait de ses lèvres : elle pouvait le comprendre. Elle avait eu de grosses appréhensions avant d'emménager avec lui et ne l'avait fait que par praticité. Aujourd'hui, elle devait bien admettre que malgré sa bêtise et son arrogance, elle avait appris à l'apprécier. Tu sais quoi, j'arrive à voir ses bons côtés parfois. Mais je dois admettre que c'est pas le plus facile à vivre. Qu'importe, il faudrait bien qu'un jour les Gutiérrez arrivent à s'entendre. Tu veux boire un truc, dis ? Alma partait à la cuisine pour servir à Cesar ce dont il avait envie. Elle revenait auprès de lui pour qu'ils s'installent sur le canapé. Et sinon, en dehors de ça, comment tu vas ? Ils avaient peu l'occasion de parler juste à deux, elle en profitait donc pour s'intéresser à lui.

Je lui fais un résumé de la situation à la maison et le moins que l’on puisse dire c’est que c’est pas très réjouissant. « J'imagine.. je fais ce que je peux pour Maria, je l'emmène à ses rendez vous médicaux et tout ça, mais c'est dur d'en faire plus maintenant que j'ai ma vie à côté. » Je hoche la tête. J’ai toujours cette rage en moi de me dire que ce n’est pas mon rôle de tenir la famille à bout de bras et d’essayer de régler tous nos problèmes. J’agis à mon échelle et je sais qu’Alma et Diego font du mieux qu’ils peuvent. Je ne leur en veut pas d’avoir leur vie maintenant et d’avoir moins de temps à nous consacrer, je le comprends. Je pense que si j’étais à la place d’Alma j’aurais fait les mêmes choix. Elle se décarcasse déjà suffisamment au quotidien pour nous, contrairement à d’autres qui ne font rien à part nous mettre des bâtons dans les roues. « T’en fais déjà beaucoup. Heureusement que t’es là pour elle…que t’es là pour nous. » Parce qu’en dehors de Maman et Maria, Alma a toujours été là pour moi. Elle m’a soutenue dans mes choix et contrairement à Rudy ou Maman elle est la seule qui a cru en moi pour le dessin. J’ai beaucoup de respect et d’amour pour elle et c’est bien pour ça que j’ai mis ma fierté de côté pour venir m’excuser. Elle me propose de passer chez elle si j’ai besoin d’un moment de calme et ça me fait plaisir qu’elle me propose ça. Assez amer je lui réponds que maintenant il y a de la place à l’appartement puisque Rudy est parti. « Tu sais quoi, j'arrive à voir ses bons côtés parfois. Mais je dois admettre que c'est pas le plus facile à vivre. » Je lève un sourcil et je retiens un soupir, je suis pas franchement convaincu. « Ils doivent être bien cachés alors. » Elle change de sujet et je la remercie, je n’ai pas vraiment envie de parler de Rudy et de son don pour s’attirer les pires galères. Je suis venu pour avoir une discussion calme avec Alma, chose difficile chez les Gutiérrez mais cette fois j’ai envie que ça soit différent. J’en ai assez des conflits et des tensions, je suis fatigué par toutes ces conneries. « Tu veux boire un truc, dis ? » Ma réponse est sans hésitation, le café est devenu un automatisme chez moi. J’ai tendance à en abuser un peu mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour compenser mon manque de sommeil. J’ai pas le temps de dormir, les journées passent trop vite, 24h c’est pas suffisant. Et quand je me décide à aller me coucher le sommeil ne vient pas. Un vrai cercle vicieux que l’on peut voir les effets sur mes cernes. « Je veux bien un café s’il te plaît, sans sucre. » Je suis incapable de boire un café sucré, je trouve ça franchement écœurant et ça gâche complètement le goût du café. Je la regarde s’éloigner dans la cuisine et revenir quelques instants plus tard avec une tasse qu’elle me tend. Je la suis pour m’installer sur le canapé et je pose la tasse sur la table basse en attendant que le café refroidisse un peu. « Et sinon, en dehors de ça, comment tu vas ? » Vaste question. D’habitude je n’aime pas parler de moi, de ce que je fais ou de ce que je ressens. Pas parce que j’aime me la jouer mec mystérieux mais parce que je considère qu’il y a des choses qui doivent rester privées et je n’ai pas envie d’avoir le jugement ou l’avis des autres sur mes affaires. C’est aussi par fierté, je n’aime pas parler de mes faiblesses et de ce qui me touche vraiment par peur que ça me retombe dessus, encore quelque chose que Rudy m’a appris. Aujourd’hui pourtant c’est différent, j’ai envie de m’ouvrir un peu, d’une part parce que c’est Alma et que je sais qu’elle m’écoutera sans me juger mais surtout parce que pour la première fois depuis longtemps je me sens bien. « Ca va plutôt bien. Tu devineras jamais ce que j’ai fait hier. » Je ne peux pas m’empêcher d’avoir un petit sourire : elle ne devinera jamais. Devant son expression interrogative je lui révèle une partie de mon petit secret « J’étais à un mariage. » Je repense à Bailey et à toute cette cérémonie qui a été un grand moment pour moi. J’ai fait semblant d’être son petit-ami pendant toute la cérémonie et sa famille ne s’est douté de rien, une journée plus qu’improbable. Surtout quand on sait que j’ai rencontré Bailey il y a moins de deux semaines. C’est d’ailleurs grâce à Bailey si je suis venu m’excuser. J’ai passé toute la soirée du mariage à dire à sa famille que la famille était ce qu’il y avait de plus important pour moi. Et c’est à ce moment-là que  je me suis dit que j’avais plus que déconné avec Alma et que je devais venir m’excuser parce qu’on est une famille. « Enfin j’ai accompagné quelqu’un à un mariage. » Je prolonge volontairement le suspense et je bois une gorgée de mon café en attendant qu’elle me pose tout un tas de questions.

La situation chez Maritza semblait plus compliquée que jamais. Entre la maladie de Maria à gérer et les disputes entre frère et soeur à cause de Sergio, ils devaient être bien loin du modèle de famille parfaite dont on pouvait rêver. Alma était bien contente de vivre seule, même si ça impliquait d'autres problèmes et complications au quotidien. T’en fais déjà beaucoup. Heureusement que t’es là pour elle…que t’es là pour nous. Cesar était l'un des seuls Gutiérrez à voir la véritable valeur ajoutée d'Alma à cette famille. Aux yeux de Rudy et de Sara elle n'était que la rabat joie de la fratrie, au yeux de sa mère elle ne serait jamais à la hauteur de son premier enfant. Elle a dû cesser de croire en l'espoir et aux ambitions qu'elle partageait avec Diego. En bref, elle avait parfois le sentiment d'être une inconnue au sein même de sa famille. Pourtant elle donnerait tout pour eux, avait déjà fait des tonnes de sacrifies et n'arrêterait jamais de faire ce qu'elle estimait être le mieux pour chacun des Gutiérrez. Même pour ceux avec qui elle ne s'entendait que peu, dès l'instant où c'était bon pour eux. Alma haïssait Sergio depuis bien trop longtemps, depuis que tout espoir d'avoir un père l'avait abandonnée. Pourtant, elle estimait que l'avoir auprès d'eux serait un bon point pour les deux plus jeunes de la famille. C'est pour cette raison qu'elle tolérait sa présence, qu'elle lui avait promis de ne pas lui mettre de bâtons dans les roues de sa croisade pour reconquérir ses enfants. Pour Rudy c'était la même chose : il a été si présent pour toute la famille qu'elle savait ne pas pouvoir lui en vouloir éternellement. Alors elle s'était faite à sa présence, avait appris à l'apprécier malgré leurs divergences d'opinion. Ils doivent être bien cachés alors. A ça elle ne pouvait que dire oui, ce qu'elle fit d'un geste de la tête. Mais les qualités de leur aîné, même si elles étaient parfois dures à déceler, existaient bel et bien. Il faudrait beaucoup de confiance et de temps pour qu'ils puissent avoir une relation tout à fait apaisée, si c'était possible en tout cas. Je veux bien un café s’il te plaît, sans sucre. Alma se dirigeait vers la cuisine pour le lui préparer et revenait vers lui au salon juste après quelques minutes. Tiens. Elle s'empressait de lui donner son café et de s'asseoir à côté de lui sur le canapé avant de lui demander comment il allait. Si leurs relations familiales étaient un peu trop catastrophiques, elle ne pouvait qu'espérer que le reste de sa vie se passait de manière un peu plus posée, qu'il avait de belles choses à raconter. Ca va plutôt bien. Tu devineras jamais ce que j’ai fait hier. Elle prit une mine surprise. Oh, dis moi ? Elle remontait ses jambes sur le canapé, les croisant devant elle pour se mettre à l'aise. J’étais à un mariage. Sa mine surprise l'était un peu plus tout à coup. Enfin j’ai accompagné quelqu’un à un mariage. Elle n'en avait pas entendu parler jusqu'ici, aussi la mexicaine voulait avoir plus d'informations. Le mariage de qui ? Quelqu'un que je connais ? Elle faisait sa curieuse mais avait une autre question en tête. Et t'as accompagné qui ? Cesar avait-il une petite copine dont il n'aurait pas parlé ? Il faut dire qu'en général, on invite pas n'importe qui à venir à un mariage, alors elle se demandait qui avait bien pu l'y emmener. Son visage était tout sourire mais elle n'avait aucune envie de le brusquer ou de le forcer à dire quoi que ce soit, aussi, elle tentait de dédramatiser la chose en posant une question idiote. Mais attends, t'étais habillé comment ? Je crois que je t'ai jamais vu en costume. T'en as loué un ?

“Tiens.” Une tasse à la main, elle revient vers moi. C’est aussi l’occasion d’arrêter de parler des sujets qui fâchent, de Sergio. J’en ai assez de parler de lui, de lui donner de l’importance qu’il ne mérite absolument pas. “Merci.” Elle s’assied à côté de moi sur le canapé et elle change de sujet en me demandant comment je vais. Et pour une fois depuis de longues semaines je me sens bien. Tout n’est pas parfait, tout n’est pas tout rose mais je me dis que la vie est un peu moins dure en ce moment. J’ai passé une super journée hier et j’ai envie d’en parler à Alma. Elle est l’une des rares Gutiérrez à connaître des choses comme ça, je me confie peu aux autres. Avec Alma je sais que je ne serais pas jugé ou qu’elle ne critiquera pas mes choix, ce n’est pas comme avec Rudy ou Sara où je sais qu’ils saisiront la moindre opportunité pour me chambrer ou me faire des reproches. Et puis j’ai envie de parler de choses positives pour une fois, la dernière fois qu’on s’est vus la tension était à son comble à son anniversaire, je suis fatigué que lorsqu’on discute ce soit toujours à propos de choses déprimantes ou d’histoires de familles, à force je les connais toutes par coeur. “Oh, dis moi ?” Elle a l’air curieuse mais son visage affiche une surprise encore plus grande quand je parle de mariage. “Le mariage de qui ? Quelqu'un que je connais ?” J’ai un petit rire parce qu’elle ne les connaît pas et en fait moi non plus. Je me souviens du prénom de son frère mais je ne me souviens même plus du nom de la mariée puisque je me suis tapée l’incruste au mariage du frère de Bailey.  “Je sais pas si tu les connais, c’était Caleb Anderson et elle je sais plus comment elle s’appelle.” Brisbane est une grande ville donc ça m’étonnerait qu’elle les connaisse. Je vois bien que les noms que je lui donne ne lui parlent pas et qu’en plus elle doit se demander comme je connais ces personnes là.  “Non mais c’est une longue histoire tu vas voir.” Une histoire plutôt improbable, je n’aurais jamais pensé en rentrant dans ce café de ressortir avec une invitation à un mariage avec une fille sublime qui me demande de faire semblant d’être son petit ami. “Et t'as accompagné qui ?” Alma est curieuse et sa curiosité me fait sourire, elle doit se douter que si je souris comme un imbécile depuis tout à l’heure c’est qu’il y a forcément une personne qui a rendu le mariage plus intéressant.  “La sœur du marié, elle s’appelle Bailey.” J’anticipe sa question sur le fait qu’on soit ensemble Bailey et moi en lui expliquant un peu plus en détails notre rencontre et surtout la manière donc je me suis retrouvé au moment de la pièce montée avec les mariés dont je ne connaissais même pas le nom. “En fait je l’ai rencontrée la semaine dernière chez Starbucks. Je la trouvais plutôt sympa, le courant passait bien et elle avait l’air un peu désespérée d’aller toute seule au mariage de son frère.” C’est un très gros résumé, je passe les détails comme le fait qu’elle m’a remarqué parce que la dessinais à la table d’à côté ou le fait qu’elle est renversé sa boîte de tampons à mes pieds en attrapant son sac. “Alors elle m’a demandé si j’avais un truc de prévu et elle m’a demandé d’être son +1.” Je ne parle pas de l’histoire de faux petit ami, ça Alma n’a pas besoin de le savoir, je suis pas sûre qu’elle trouve ça très moral. “Oui je sais c’est dingue comme histoire.” Je vois qu’Alma ne s’attendait pas à une histoire comme ça. Je continue en restant un petit peu vague, je n’ai pas envie de l’assommer tout de suite avec des détails. “J’ai dit oui parce que j’avais envie de la revoir et ça s’est super bien passé.” J’ai sorti mon plus grand jeu d’acteur et même si son frère avait l’air de se méfier du fait que quelqu’un tourne autour de sa petite sœur je pense avoir fait bonne impression. Bailey qui était très stressée au début avait l’air rassurée à la fin de la cérémonie, alors j’ai dû être convaincant. “Mais attends, t'étais habillé comment ? Je crois que je t'ai jamais vu en costume. T'en as loué un ?” Je lui fais non de la tête et je sors mon téléphone pour lui montrer une photo que j’ai prise face au miroir de la salle de bain. Si elle insiste je lui montrerais une photo que des invités ont prise de Bailey et moi, histoire qu’elle puisse mettre un visage sur son prénom. “C’était la première fois que je me voyais comme ça aussi. Regarde.” Sur la photo la première chose qui saute aux yeux c’est mon costume. Alma a raison de le souligner elle ne m’a jamais vu en costume et c’était une première pour moi aussi. D’habitude je suis habillé en jean, baskets et sweat à capuche ou en t-shirt très simple. Là c’est une tenue très sophistiquée et j’ai dû mal à me reconnaître sur la photo tant j’ai fière allure. Chiara a fait un travail extraordinaire en créant ce costume en quelques jours seulement. La veste du costume est parfaitement à ma taille, tout est sur mesure et Chiara a veillé à faire toutes les retouches nécessaires. Les manches tombent à la perfection et la veste met en valeur ma silhouette et mes épaules. La veste est ouverte sur la photo est dévoile une chemise blanche parfaitement repassée. La chemise n’est pas trop serrée ou trop ample, elle est ajustée juste comme il faut et les boutons de manchette que Chiara a ajouté font partie des détails qui rendent l’ensemble encore plus élégant. Le pantalon met lui aussi en avant mes atouts et les chaussures qui vont avec me vont beaucoup mieux que les vieilles baskets que je porte d’habitude. J’ai l’air d’un vrai homme d’affaires là dedans ou d’une star de cinéma et ça gonfle mon égo de me voir comme ça. La touche finale de toute cette tenue ça reste le nœud papillon. J’étais sceptique quand Chiara m’a demandé de le mettre mais Bailey a l’air d’avoir apprécié alors c’est le principal. C’est le genre de tenue que j’aimerais porter plus souvent. “Je pensais que j’allais devoir emprunter une veste à Diego mais j’ai pas eu besoin, j’ai une amie qui est en école de mode, elle m’en a créé un.” Je pense à Chiara qui a été extraordinaire et qui a accepté de m’aider en un temps record.  “Elle est vraiment super douée et maintenant je pourrais avoir la classe un peu plus souvent.”

Les Gutiérrez étaient une famille nombreuse, a la plus grande joie d'Alma qui a toujours adoré faire partie d'une grande fratrie. Mais le revers de la médaille était parfois douloureux à imaginer, car si leurs relations auraient pu être largement meilleurs qu'elles ne l'étaient, l'équilibre entre autant de personnes était bien plus fragile et difficile à trouver que dans un cercle plus restreint. La brune prenait beaucoup de son temps pour essayer de jouer à l'équilibriste, de maintenir un lien avec tous ceux qui partageaient son sang : c'était plus facile à dire qu'à réaliser, comme mission. Avec Cesar, c'était plutôt simple en général : parler avec lui et passer du temps avec lui s'avérait toujours plutôt très agréable. Encore aujourd'hui, après ces semaines en froid l'un avec l'autre, elle retrouvait cette sensation de chaleur auprès de lui alors qu'il se mit à lui raconter une de ses récentes expériences. Je sais pas si tu les connais, c’était Caleb Anderson et elle je sais plus comment elle s’appelle Elle réfléchit une seconde avant de secouer la tête. Hm non, ça me dis rien. Elle s'intéressait ensuite à savoir comment il s'était fait inviter à ce mariage. Non mais c’est une longue histoire tu vas voir Elle n'en doutait pas : chez les Gutiérrez, toutes les histoires étaient longues. La sœur du marié, elle s’appelle Bailey. La mexicaine se concentrait sur son frère en essayant de commenter le moins possible son récit. En fait je l’ai rencontrée la semaine dernière chez Starbucks. Je la trouvais plutôt sympa, le courant passait bien et elle avait l’air un peu désespérée d’aller toute seule au mariage de son frère. Alors elle m’a demandé si j’avais un truc de prévu et elle m’a demandé d’être son +1. Oui je sais c’est dingue comme histoire. J’ai dit oui parce que j’avais envie de la revoir et ça s’est super bien passé. Elle n'avait cessé de sourire à l'écouter lui raconter cette rencontre, mais son sourire se faisait plus large alors qu'il assumait avoir envie de revoir cette fille. Alma n'avait jamais vu son frère en couple et se demandait si ça ne cachait rien d'autre. Mais elle ne voulait pas se montrer trop indiscrète, alors la seule question qui lui venait en tête était celle du costume qu'il avait pu porter. C’était la première fois que je me voyais comme ça aussi. Regarde. Elle regardait la photo, surprise de voir son jeune frère si élégant. Ça t'allais super bien ! Elle imaginait encore Cesar comme un enfant, parfois, et le voir ainsi habillé lui faisait réaliser qu'il était clairement entré dans l'âge adulte. Je pensais que j’allais devoir emprunter une veste à Diego mais j’ai pas eu besoin, j’ai une amie qui est en école de mode, elle m’en a créé un Elle est vraiment super douée et maintenant je pourrais avoir la classe un peu plus souvent. Je me rend compte que t'en connais du monde dis donc. Qu'elle lançait en riant, juste pour le taquiner un peu. Chez les Gutiérrez, tout le monde avait l'habitude de voir Cesar comme celui qui ne sortait jamais de sa chambre, toujours la tête dans ses dessins : comme quoi, les choses avaient évoluées. Faudra qu'on trouve une occasion de te refaire sortir ce costume, ce serait dommage de le laisser traîner dans ton armoire pour rien. Quoi qu'il n'y avait pas de mariage prochainement prévu dans la famille. Et cette fille du coup, tu l'as revue depuis ? Qu'elle demandait après avoir bu un coup : elle avait bien le droit de jouer un peu à la curieuse.

Je me lance dans le récit de ma rencontre avec Bailey qui était plutôt surprenante. Ca m’amuse beaucoup de voir la surprise sur son visage quand je lui sors comme ça l’air de rien que j’étais à un mariage hier…avec une fille. Je lui parle de la famille de Bailey mais elle n’a pas l’air de les connaître. Elle me pose des questions sur ma tenue et je lui montre des photos du costume que Chiara avait fait pour moi en un rien de temps. “Ça t'allait super bien !” Je souris en entendant son compliment, c’est un style qui change radicalement de ce que je porte d’habitude. Alma me voit en jean et sweatshirt d’habitude alors un costume c’est un grand changement. “Merci ! C’est pas je genre de trucs que je porte d’habitude mais ça me plaît bien.” Je me sentais comme une célébrité, une star de cinéma ou un businessman et j’ai beaucoup aimé ce sentiment de puissance. Ca me donne envie de recommencer, de m’habiller comme ça plus souvent, il n’y a plus qu’à attendre que l’occasion se présente à nouveau. “Je me rends compte que t'en connais du monde dis donc.” Là aussi ça me fait sourire, un signe qu’elle ne me connaît pas vraiment. Mais je ne peux pas lui en vouloir, je parle très peu de moi et je passe énormément de temps tout seul dans ma chambre. Je pense qu’Alma n’est pas la seule à me prendre pour un genre de troglodyte ou un asocial. “Et c’est que le début.” J’ai envie que tout le monde connaisse mon nom et d’avoir un répertoire de téléphone rempli avec des noms de personnes influentes. Et ça viendra, j’en suis persuadé, un jour ça marchera. “Faudra qu'on trouve une occasion de te refaire sortir ce costume, ce serait dommage de le laisser traîner dans ton armoire pour rien.” Je hoche la tête et je réfléchis en même temps à quelle occasion je pourrais ressortir un costume comme ça. Aucun mariage n’est prévu bientôt -et heureusement- et je me dis qu’un costume comme ça pour juste aller au restaurant c’est sûrement un peu trop. Je remettrai la chemise que Chiara m’a donnée assez facilement pour le blazer et le pantalon j’en suis moins sûr. “Je suis bien d’accord.” Alma boit une gorgée de sa boisson mais je vois bien qu’elle est en train de se poser plein de questions sur cette histoire de mariage et de +1. “Et cette fille du coup, tu l'as revue depuis ?” Même si le mariage était hier je dois bien avouer que j’ai envie de la revoir. Et j’ai l’impression que c’est réciproque. J’ai fait bonne impression auprès de sa famille, j’ai joué le petit ami parfait -ce qui est assez drôle parce que je n’ai rien du gendre idéal- et je pense qu’elle aura besoin que je joue encore la comédie pour sa famille. “On a prévu de se voir la semaine prochaine. J’ai demandé à sa sœur si c’était une bonne idée de l’emmener faire un piquenique au kangaroo point. Parce que bon je veux pas qu’elle trouve ça nul.” J’ai envie que l’idée lui plaise et je ne la connais pas assez pour savoir si elle est plus du genre à aimer les rendez-vous au restaurant ou des moments plus simples. J’ai pas vraiment les moyens de l’amener dans un restaurant français hors de prix. “Tu crois que ce serait nul de l’amener là-bas pour un …” Elle peut voir l’hésitation sur mon visage, je ne sais pas trop comment appeler ce genre de trucs. “Date ?” Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, j’ai accepté de jouer le faux petit-ami mais c’est parce qu’il y a quelque chose chez Bailey qui m’attire. Elle est magnifique, drôle, déroutante et j’ai envie d’être plus qu’un mensonge pour sa famille et apprendre à mieux la connaître.

Merci ! C’est pas je genre de trucs que je porte d’habitude mais ça me plaît bien. Les enfants Gutiérrez avaient beau avoir mille raisons d'en vouloir à leur père, ils leur devaient tous une chose : de bons gênes. Si mentalement ils étaient tous pleins d'insécurités et de traumas liés à son abandon, au moins, ils pouvaient tous se targuer d'avoir un physique avantageux. C'était déjà ça de gagné. Alma acquiesçait les paroles de son frère, lui promettant de trouver des occasions pour qu'il puisse se rhabiller de la sorte : il fallait montrer au monde à quel point Cesar était beau en costume. Quoi que le monde semblait déjà plus au courant que ce que la brune imaginait, et elle s'en faisait la réflexion : son petit frère semblait avoir déjà pas mal de connaissances, il commençait à se faire un nom dans le domaine qui l'intéressait, et elle avait pour ça un immense sentiment de fierté. Et c’est que le début. Elle eut envie de lui rappeler que trop d'orgueil n'amenait jamais rien de bon, mais préférait ne pas le faire redescendre de son piédestal tout de suite : il semblait avoir d'autres choses à raconter, et Alma ne voulait pas en rater une miette. Elle posait d'ailleurs des questions sur cette fameuse rencontre, curieuse de savoir s'il y aurait à l'avenir d'autres évènements dont il voudrait bien lui faire le compte rendu. On a prévu de se voir la semaine prochaine. J’ai demandé à sa sœur si c’était une bonne idée de l’emmener faire un piquenique au kangaroo point. Parce que bon je veux pas qu’elle trouve ça nul. Et il semblait bien que ce soit le cas. Oh, je trouve que c'est une bonne idée de sortie. Qu'elle lançait naïvement, une petite idée naissant déjà dans son esprit. Tu crois que ce serait nul de l’amener là-bas pour un … Date ? Elle s'empêcha de sourire un peu trop, euphorique. Ils n'avaient que trop rarement ce genre de conversations, et Alma s'était toujours demandé si Cesar ne lui faisait pas assez confiance pour se livrer ou s'il avait simplement envie de garder son jardin secret pour lui. Au moins, là, elle avait le sentiment de pouvoir entièrement remplir son rôle de grande soeur. Je trouve pas ça nul du tout, au contraire ! C'est une chouette attention. Elle hochait la tête comme pour appuyer ses paroles. Si t'as besoin d'aide, je pourrais te cuisiner une ou deux choses que tu pourras emmener facilement, pour grignoter. Se rendre utile, voilà ce qu'elle aimait faire, après tout. Et j'espère que tu me raconteras tout ça en détail une fois que ce sera passé. Enfin, il fallait déjà qu'elle accepte la sortie, mais sur ce point là Alma avait peu de doutes en réalité. Rares étaient les filles, à son sens, qui demandaient à un garçon de les accompagner à un mariage sans avoir une idée derrière la tête. C'est ce qu'elle lui expliquait ensuite, alors qu'ils continuaient tous les deux de parler durant encore de longues minutes ; un temps pendant lequel elle se rappelait à quel point sa famille lui était précieuse, et à quel point elle n'avait aucune envie de la perdre de vue.

Je montre à Alma la photo où je suis en costume et où je trouve que je suis pas mal du tout. J’aime porter ce genre de vêtements. Bon pas tout le temps, l’enfer ce serait de porter une chemise et une cravate tous les jours pour un boulot dans un bureau. Y aurait pas plus déprimant de mon point de vue mais être bien habillé comme ça de temps en temps j’aime beaucoup. J’ai un peu l’impression d’être quelqu’un d’important, dans le genre homme d’affaires et ça casse avec mon look d’ado qui se base sur des t-shirts et des sweats à capuche oversize. Alma hoche la tête, elle a l’air de trouver aussi que ça me va bien et ça suffit à me faire sourire. Elle souligne que je commence à avoir un joli réseau et je lui assure que ce n’est qu’un début. Avec un peu trop d’assurance peut-être mais c’est comme ça que j’envisage la suite de mon parcours. Et vient les questions sur Bailey. Ce que j’aime avec Alma c’est qu’elle s’intéresse à ma vie sans poser trop de questions. Elle commence à me connaître et elle sait que si elle essaie de trop en savoir je vais me braquer et elle ne saura rien. Je lui explique que j’ai prévu de revoir Bailey la semaine prochaine. Histoire d’avoir un vrai premier date après le mariage de son frère. J’ai besoin de conseils, j’ai envie d’avoir l’avis d’Alma sur mon projet de pique nique au kangaroo point. J’y connais rien en romantisme, en rendez-vous amoureux et j’ai pas envie que Bailey prenne peur ou qu’elle trouve ça nul. “Oh, je trouve que c'est une bonne idée de sortie.” Je hoche légèrement la tête avant de lui demander si je dois l’amener là-bas ou non, le tout en ayant du mal à poser le mot date. J’ai du mal avec ce concept là puisque mon dernier date c’était avec Riley et c’était un énorme fiasco. Je vois Alma sourire et mon visage affiche un sourire -et un léger rougissement-. “Je trouve pas ça nul du tout, au contraire ! C'est une chouette attention” Mon regard s’illumine quand elle approuve mon idée. “Alors je vais lui proposer ça.” En espérant que Bailey soit aussi réceptive à cette idée qu’Alma. “Si t'as besoin d'aide, je pourrais te cuisiner une ou deux choses que tu pourras emmener facilement, pour grignoter.” Elle me connaît si bien. Je sais cuisiner. Enfin le strict minimum. J’ai jamais été doué pour la cuisine parce que je n’ai jamais essayé. Je n’aime pas cuisiner, pour moi c’est une perte de temps énorme de passer des heures en cuisine pour seulement engloutir un plat en quelques minutes. Et puis à la maison c’est toujours Rudy et Alma qui cuisinaient -très bien- alors je n’ai jamais trop cherché à les remplacer. Pour faire simple je connais les basiques et je cuisine si je n’ai pas le choix mais si quelqu’un se porte volontaire pour le faire je lui laisse ma place avec grand plaisir. “Je dis pas non à un peu d’aide si je veux l’impressionner.” Je n’imagine même pas le flop que pourrait faire un pique nique fade ou écœurant. “Et j'espère que tu me raconteras tout ça en détail une fois que ce sera passé.” Je vois que la situation l’amuse et même si je n’aime pas me confier en général là c’est différent. Je lui raconterai la soirée, peut-être pas dans tous les détails, elle n’a pas besoin de tout savoir mais je suis content d’avoir trouvé une oreille qui m’a conseillé sans me charrier ou se moquer de moi. J’imagine que si j’avais demandé à Rudy ou Sara ils se seraient bien foutu de ma gueule. Heureusement qu’Alma n’est pas comme eux et que je puisse compter sur elle. "Je te raconterai ça autour d'un café t'en fais pas."