Fill up the engine, we can drive real far. Go dancin' underneath the stars. – ft. @Zoya Lewis
Septembre 2018.
La Fashion Week de New York était traditionnellement la première à ouvrir le bal des défilés. Évènement cosmopolite placé devant Londres, Milan et Paris, elle déclenchait à cette période une effervescence cyclique au cœur de la grosse pomme. On y retrouvait quelques grands noms comme Tom Ford, Jeremy Scott ou Jason Wu, inspirés du génie d’autres fondateurs et dont l’imaginaire fertile serait une fois de plus salué par la critique. Le prêt-à-porter américain, très largement représenté, s’articulait autour d’un calendrier élitiste et parfaitement ficelé. Les dates et heures des shows y étaient chronologiquement renseignées, rythmant l’une des plus grandes semaines de la mode au monde. Cette saison, la fièvre montait autour du créateur Ralph Lauren qui s’apprêtait à fêter son demi-siècle dans les allées notoires de Central Park. Habilement orchestrée par l’intermédiaire de photos diffusées au compte-goutte depuis l’été dans la presse et sur les réseaux sociaux, la campagne de lancement de sa nouvelle collection était déjà plébiscitée par le public. En arrivant dans la Cinquième Avenue, Freya fit glisser son index sur l’écran de son téléphone. Les images de la maison Balmain, qui circulaient intensément depuis quelques heures sur la toile, témoignaient de l’ambiance, mais aussi de l’attente fébrile autour de son prochain défilé. « J’ai hâte de découvrir les pièces qui seront mises à l’honneur par la maison Balmain. Tu étais au courant qu’une enseigne française serait présente ? » La collection - glamour, exclusive et richement ornée -, telle que la décrivait l’enseigne dans un communiqué, était composée de plus d’une centaine de pièces allant des robes aux décorations métalliques en passant par les accessoires voyants avec bijoux extra-larges et gros ceinturons. « Le défilé devrait avoir lieu demain matin, au Lincoln Center. » Elle avait prononcé cette phrase stratégiquement, réprimant un sourire. Il n’était pas utile de suivre cette ligne de conduite avec la cadette des Lewis. Zoya et elle avaient souvent les mêmes envies. « J’imagine que tu le savais déjà. » Les couleurs rougeoyantes du soleil presque éteint se reflétaient dans les buildings de la ville. Les baies vitrées gigantesques offraient une vue imprenable et enchantée sur les reliefs du quartier d’Harlem. En ces derniers jours d’été, l’atmosphère semblait se pourvoir d’une tendre douceur, d’une langueur à la fois poétique et mélancolique. Les vestiges de la pleine saison s’évanouissaient, on oubliait les nuits chaudes et on laissait place à des heures moins clémentes marquées par la fraîcheur, le renouveau. « Harlem… » murmura-t-elle. Face aux ruelles de son enfance, ses pupilles divaguaient ; elle se sentait agressée par le bruit et les lumières. L'univers infini et incandescent semblait se moquer d'elle, lui rappelant par contraste que son monde était petit, impitoyable et inéluctable. « C’est ici que j’ai grandi. » Certains aspects de New-York n’avaient rien à envier à la chaleur clinquante et aux dorures illusoires des rivages australiens. Le défilé incessant des taxis jaunes, les allées verdoyantes de Central Park, l’East River en plein hiver, la stupéfiante Skyline de Manhattan, tout lui revenait. Elle ne s’était jamais complètement acclimatée à l’atmosphère tropicale de Brisbane, aux eaux turquoises du littoral, à ces rues escarpées dignes d’une montagne russe. « Quand tu m’as proposé de t’accompagner à New York, je ne pensais pas que ça me ferait si drôle. » Freya la considéra un instant, serrant légèrement le gobelet en carton qu’elle tenait dans sa main et termina son latte macchiato d’une seule traite. Toute discussion dans laquelle il était question de Rafael s’apparentait à une joute verbale interminable ; ses réponses n’en étant jamais vraiment. « Je nous revois enfants, dans cette même rue, courant main dans la main en direction de Central Park. Il était… inconscient ; mais je me sentais en sécurité avec lui. » Son ton était encore plus doux que d’habitude, presque intime. Ses souvenirs formaient un mur en béton qui coupaient sa vie en deux ; un obstacle qu’elle avait fait le choix d’ignorer pour résister à l’envie de le démolir. De l’autre côté, elle espérait toucher ses rêves de gosse du bout des doigts, saisir l’occasion pour remporter un pari fou : franchir les lignes ennemies à la recherche d’un allié tombé. « Je me demande ce qu’il est devenu et s’il vit encore ici, à New York. » Freya esquissa un rictus forcé, baissant le regard. Elle avait passé vingt-et-un ans à devenir la jeune fille parfaite que Charles voulait qu’elle soit ; à suivre la voie toute tracée des Vranken et faire disparaitre, définitivement, l’enfant candide et déplorable qu’elle était. Zoya connaissait parfaitement cette histoire ; elle y tenait d’ailleurs le second rôle. Celui qui, plus en retrait, avait une importance capitale. - C’était toujours le favori des téléspectateurs. - « Tiens, regarde, on arrive à Central Park » lançait-elle, prête à s’extasier devant le dernier défilé de la journée.
Dernière édition par Freya Vranken le Lun 3 Jan 2022 - 15:04, édité 1 fois
Septembre 2018. L’occasion était trop bonne pour passer à côté de cette opportunité d’amener avec elle celle qu’elle considérait comme sa petite sœur. Celle qu’elle n’a jamais eu et qu’elle échangerait volontiers contre un de ses frères, et, à choisir, autant échanger avec le plus pénible des trois qu’elle avait : Cameron. A défaut de pouvoir réellement le faire, cela n’empêche pas Zoya de côtoyer le plus qu’elle le peut la jeune Vranken qu’elle connait depuis son enfant. Lui proposer de faire partir du voyage lui a semblé tout à fait naturel et elle a donc embarqué Freya avec elle à New York. La photographe indépendante qu’elle est désormais depuis un an s’est vue offrir la possibilité d’assister, et surtout de prendre part, à la Fashion Week. Evènement légendaire qui a lieu tous les ans à la Grosse Pomme, et aussi l’un des meilleurs endroits pour étendre son cercle de connaissances dans le milieu, Zoya a tout de suite accepté sans l’once d’une hésitation. Et elle n’a aucun regret quand elle a déjà quelques contacts dans son téléphone qui n’attende qu’à ce qu’elle les recontacte pour une future séance photos ou pour un prochain défilé dont le lieu n’a pas été encore dévoilé. Bref, l’effervescence et le bouillonnement qui se fait ressentir autour d’elles contribuent à ne pas aider les deux jeunes femmes à être attentive à ce qui se passe devant elle, manquant presque de rentrer dans des passants, tellement elles sont émerveillés par la beauté des lieux. Zoya a son appareil autour du cou et ne manque pas de s’arrêter tous les deux mètres pour faire une nouvelle photo, ne manquant pas aussi de prendre Freya, par surprise. « J’ai hâte de découvrir les pièces mises à l’honneur par la maison Balmain. Tu étais au courant qu’une marque française serait présente ? ». Zoya laisse son appareil suspendre autour de son cou en le lâchant après sa dernière prise, tournant le regard sur Freya « Le défilé devrait avoir lieu demain matin, au Lincoln Center (…) J’imagine que tu le savais déjà ». Un sourire malicieux, qu’elle lui connait bien, se dessine alors au coin des lèvres de la Lewis « Il se peut, effectivement, que j’étais déjà au courant… ». Elle vient à passer son bras sous celui de Freya avant d’ajouter « Tout comme il se peut que nous ayons des places réservées au premier rang, puisqu’on m’a demandé d’y assister afin de prendre les photos du défilé ». Il y a une certaine fierté qui se dessine sur les traits de la jeune femme « Tu imagines bien que je n’ai pas refusé ». Même si Zoya est quelqu’un de naturel, qui s’apprêtera que pour de grandes occasions sans trop en faire pour autant, elle doit reconnaitre que ce genre d’événements l’a toujours attiré, tout comme le milieu de la mode, notamment pour alimenter sa curiosité des belles choses. A force de fréquenter ce milieu, elle aurait pu changer avec le temps. Après tout, elle passe le plus clair de son temps sur des plateaux de tournages, comme sur des défilés, des séances photos pour de grandes marques ou d’acteurs ou actrices de la télévision et du cinéma. Mais, à ce niveau-là, Zoya s’est toujours montré très terre à terre, elle surtout qui reste toujours fidèle à son premier amour dans la photographie : celle des paysages et de la beauté que le monde a à nous offrir. D’ailleurs, elle part souvent en excursion après de tels événements pour se ressourcer. « Harlem… ». Elle entend le murmure de Freya, son regard se portant à nouveau sur elle, alors qu’elle vient à lui attraper la main « C’est ici que j’ai grandi ». Et elle le sait Zoya. Parce qu’elle connait l’histoire de Freya, elle qui lui a toujours tout raconté sur son histoire et surtout qui lui a toujours partagé ses états d’âme, ses questions et ses doutes également. « Quand tu m’as proposé de t’accompagner à New York, je ne pensais pas que ça me ferait si drôle ». La proposition de Zoya quant au fait que Freya l’accompagne lors de ce voyage n’était pas anodine. Et elle le sait. Elles en ont longuement discuté et être ici est aussi l’occasion pour la jeune Vranken de renouer avec son passé et qui sait, retrouver les traces de son frère, Rafaël. Alors qu’elles continuent leurs marches sans porter attention à la direction qu’elles empruntent, Freya semble se perdre dans les souvenirs de son enfance « Je nous revois enfants, dans cette même rue, courant main dans la main en direction de Central Park. Il était… inconscient ; mais je me sentais en sécurité avec lui ». Zoya sourit, resserre un peu plus sa main dans la sienne quand elle entend parler Freya avec nostalgie de ce frère dont elle n’a plus de nouvelles depuis des années. Elle sait aussi qu’il y a une grande part d’elle qui souhaiterait le retrouver. « Je me demande ce qu’il est devenu et s’il vit encore ici, à New York ». Zoya ne l’interrompt pas, la laissant s’exprimer pour ne pas la couper dans ses souvenirs qui semblent emplis d’émotions « C’est en partie pour cette raison aussi que nous sommes ici. Si tu le souhaites, après le dernier défilé demain, on pourra s’y pencher plus sérieusement ». Les mots sont prononcés avec bienveillance, le sourire aux lèvres venant appuyer ses paroles. « Mais si à un moment donné, tu estimes qu’être ici est bien trop lourd pour toi, je veux que tu me le fasses savoir Freya, d’accord ? ». Elle l’interroge du regard alors qu’elles se sont stoppées quelques secondes dans leur marche, le temps qu’elle lui donne une réponse. Elle a lâché sa main et c’est son petit doigt qu’elle lui tend, comme pour lui promettre de ne rien lui cacher et sceller ce pacte par un pinky swear digne de ce nom. « Tiens, regarde, on arrive à Central Park ». Elles n’ont plus qu’à traverser la grande avenue pour rejoindre le fameux parc et, une fois de l’autre côté, elles pénètrent dans celui-ci, Zoya dégainant à nouveau son appareil photo « On doit être dans quinze minutes au Shakespeare Garden pour le prochain défilé. Et… » elle se retourne alors vers Freya, l’air angélique, ce qui ne présage rien de bon « Il se peut que… tu fasses partie du show ». Oops, elle sent que la réaction de Freya ne va pas tarder à se manifester, et c’est pour cette raison qu’elle ajoute « Tu pourras garder la robe après le défilé ! » Elle espère que cet argument sera suffisant à apaiser Freya « Il leur manquait un modèle et je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai sorti ton nom… Puis faut dire que tu as le petit minois et le physique qui s’y prête aussi. Ils ont vu ta photo, ils étaient ravi de ma proposition. Tu vas leur sauver la mise ». Elle dégaine tout l’argumentaire possible pour justifier cette proposition totalement consciente qu’elle a faite aux organisateurs du défilé. « On y va ? » Est-ce qu’elle lui laisse vraiment le choix ? Pas vraiment puisqu’elle l’embarque avec elle en passant son bras sous le sien.
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Septembre 2018.
Depuis toutes ces années, elle s’en était rendue compte, Zoya avait plus d’une corde à son arc et savait très bien, entre autres choses, faire preuve d’acharnement. Cela signifiait qu’elle savait pleinement manœuvrer pour toucher au but, de préférence dans une chronologie restreinte, quelque soit l’obstacle qui se dressait devant elle. Elle laissait volontiers entendre, à quiconque tendait l’oreille, qu’il ne s’agissait que d’un simple concours de circonstances mais le secret de sa réussite se glissait derrière sept petites lettres. Le mot Passion. Il n’y avait qu’à voir la manière dont elle excellait en photographie et la vitesse à laquelle son répertoire se remplissait. L’unique fille des Lewis était un réel prodige, à sa façon. Il n’était donc pas surprenant qu’elle ait été choisie pour immortaliser cette nouvelle saison. « Mais Zoya, c’est fantastique ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? » La jeune Vranken ressentit une pointe de fierté devant l’annonce de sa ‘sœur’ et fit dessiner à sa bouche un sourire rayonnant. « Tu seras la photographe la plus réclamée du défilé ! » Le flash de l’appareil photo s’enclencha tandis qu’elle plaçait sa main devant son visage. « Arrête ! » protestait-elle en étouffant un imperceptible petit rire. Elle avait accepté, à plusieurs reprises - souvent à contrecœur - de se glisser dans la peau d’une modèle. C’était un exercice difficile dans lequel elle n’était pas à l’aise, mais il était impensable qu’elle refuse ce service à Zoya. Elle avait d’ailleurs abandonné depuis longtemps l’idée de conserver son droit à l’image. Elle essayait alors, tant bien que mal, de faire vivre sa silhouette devant l’objectif et sous l’œil expert de sa meilleure amie. La jeune femme avait décelé, dans l’enveloppe charnelle de Freya, ce qui lui semblait être un diamant brut. Comme elle le lui avait dit un jour, elle avait un visage en forme de cœur, des traits réguliers et un joli teint safrané. De superbes atouts pour faire carrière dans le milieu du mannequinat selon elle. Tandis qu’elle lui donnait la seconde raison de leur présence ici, les prunelles de la jeune Vranken se posèrent, au loin, sur une immense grille en fer forgé. « J’ai une adresse. » déclara-t-elle en sentant sa gorge se nouer. « Une agente de la CIA me l’a donnée. » Un silence révérencieux s’installa, telle une vague déferlante. S’il y avait bien une chose que Freya s’était gardée de lui raconter, c’était cette fameuse visite incongrue d’Ashley Spencer, quelques mois plus tôt. La trentenaire l’avait questionnée au sujet d’activités suspectes de Teddy Marfield, un oncle par alliance, qui était impliqué dans de grandes affaires d’escroqueries. Charles avait insisté sur l’importance capitale de taire cet épisode - pour l’honneur de la fratrie -. C’était la première fois que l’idée que quelqu’un puisse faire cette chose abrutissante lui avait traversé l’esprit, et il en avait été tout retourné. Ou du moins, c’était ce qu’il voulait laisser penser. « Ça ira, je te le promets. » finit-elle par répondre, pressant son auriculaire contre celui de Zoya. Elles longèrent encore quelques gratte-ciels puis pénétrèrent dans l’antre de Central Park, là où l’élégante grille en fer forgé se prolongeait vers l’horizon, autour de toute cette verdure ; cette ombre si saine. Elle s’imaginait déjà aux premières loges, dans sa robe insipide, jurant ouvertement avec l’habillement des spectateurs adjacents. Freya n’était pas le genre de fille qui se mettait de la poudre et du rouge à tout bout de champ. Elle aimait laisser transparaître ses émotions sur son visage et n’aurait pas pu cacher maintenant, même à sa meilleure amie, la surprise et l’indignation qu’elle ressentit en tombant dans son guet-apens. « Il se peut que je… quoi ? » Un rire caustique s’échappa de sa gorge. Elle mourait d’envie d’enterrer Zoya sur place, six pieds sous terre, pour s’enfuir ensuite à l’autre bout du globe, là où personne ne la retrouverait jamais. Elle s’attirerait les foudres de toute la lignée des Lewis et serait probablement traquée par le plus teigneux d’entre eux, - l’unijambiste grognard -. « Tu n’as pas vraiment fait ça ? » l’implorait-elle avec un sourire forcé. Tout son corps se contractait, comme sur la défensive, paralysé par la pensée du catwalk et par le fait qu’elle devrait en arpenter chaque recoin. Elle était mal à l’aise à l’idée d’être déshabillée, caressée du regard et photographiée dans un contexte qui lui était complètement éloigné. « Je te déteste. » murmurait-elle en se laissant traîner jusque dans les coulisses du défilé. Une espèce d’estrade avait été montée pour l’occasion et déjà, la foule se pressait tout autour. S’efforçant de ne pas laisser paraître la panique qui grimpait en elle, Freya se voyait déjà faire la une des tabloïds, pauvre dommage collatéral d’une ambition démesurée. « Quand est-ce que tu as eu le temps de me préparer ce coup-là ? » demandait-elle enfin. Cette fois, ce fut elle qui escorta Zoya dans le pavillon éphémère où s’apprêtaient les top modèles aux jambes interminables. Un sourcil arqué, une moue faussement boudeuse, elle désignait l’étrange costume métallisé posé sur un cintre qui, d’après son regard interrogateur, différait totalement des pièces de collection qu’elle aurait pensé porter. « C’est ça la robe que je vais pouvoir garder après le défilé ? » déplorait-elle en troquant à regret ses vêtements. Freya Vranken, le corps drapé d’une robe de gala bleu-nuit aux reflets argentés, s’étudiait devant un miroir mobile. A l’instar des autres tenues, son habit de scène était outrageusement sexy, exposant sa cuisse dénudée, impudique et libertine, et révélant un décolleté jusqu’au nombril. Une coiffe en aluminium venait trôner au sommet de sa chevelure brune, lui donnant un air princier. « Zoya, j’ai l’air d’une actrice pornographique futuriste. »
Septembre 2018. « Mais Zoya, c’est fantastique ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? ». L’entrain avec lequel Freya réagit à cette nouvelle, comme quoi Zoya a été choisi pour être la photographe du défilé de la marque si discrète et pourtant connue Balmain, ne manque pas de la faire sourire. Elle hausse alors les épaules « Pour l’effet de surprise et cette réaction, exactement ». Elle est au courant depuis quelques temps déjà, mais l’événement devait être tenu secret au maximum. Et disons qu’elle a déjà travaillé une fois avec la marque et que son travail semble avoir eu l’effet escompté puisqu’ils n’ont pas hésité une seule seconde pour la solliciter, elle, pour l’occasion. « Tu seras la photographe la plus réclamée du défilé ! ». Zoya l’ignore, mais, en tout cas, elle est ravie, flattée et touchée que de grandes marques aient pu penser à elle pour un événement pareil. C’est surtout grâce à ça qu’elle se rend compte du chemin qu’elle a parcouru en tant que photographe et surtout qu’elle prend conscience que tout ce travail acharné qu’elle a fourni, durant toutes ces années et encore aujourd’hui, finit par payer. Parce qu’elle n’est pas prête de s’arrêter en si bon chemin, elle qui a choisi cette voie par passion et non par défaut. « Arrête ! ». Et la remarque la fait une nouvelle fois rire quand elle entend une énième plainte de la part de Freya qui ne manque jamais de râler dès l’instant où Zoya ose la prendre en photo sans lui demander son avis. Si seulement, elle savait ce qui l’attendait…
Les souvenirs regagnent la belle brune, les souvenirs de son enfance passés ici même, à Harlem. La nostalgie est présente, la nostalgie de jours heureux avec un frère qui lui manque cruellement et dont elle aimerait retrouver la trace. « J’ai une adresse (…) Une agente de la CIA me l’a donnée ». Zoya se stoppe dans sa marche, plantant son regard dans celui de Freya, la forçant à s’arrêter également. « Tu as contacté quelqu’un de la CIA ? Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? ». Elle estime la démarche plutôt forte à son goût, consciente que celle qu’elle considère comme sa propre sœur a vraiment envie de retrouver son grand frère. Mais au point de contacter une agence des renseignements aussi haut placé… Elle la scrute du regard pour en savoir plus, sentant bien que Freya ne lui dit pas tout. Et c’est là où la définition de leur relation trouve tout son sens, quand elle ajoute « Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? » pour ne pas dire qu’est-ce que tu ne m’as pas dit ?, parce qu’elle estime qu’elle aurait dû lui en parler bien avant. Le but de ce voyage à New York est avant tout professionnel pour Zoya mais c’est aussi un moyen de venir en aide à Freya dans ses recherches concernant son frère. Et ça, Zoya s’est promis, et a fait aussi la promesse à son amie, qu’elle ne la laisserait pas tomber dans sa démarche, qu’elle serait là coûte que coûte pour elle. D’où sa proposition d’ailleurs lorsqu’elle a appris sa participation à la fashion week. L’occasion devait être saisi pour permettre à Freya de renouer avec son passé, mais dans une certaine limite, Zoya ne souhaitant pas que cela devienne trop difficile pour elle à un certain point « Ca ira, je te le promets ». Les paroles sont scellées par ce pinky swear qu’elles exécutent, Zoya retrouvant ainsi un air un peu plus détendu.
S’il y a bien quelque chose que la photographe s’est abstenue de dire à sa petite sœur de cœur, c’est qu’elle allait devoir, dans quelques minutes, jouer les tops modèles et défiler sur un podium devant une centaine de personnes – si ce n’est plus, mais ça, elle s’abstiendrait de lui préciser, pour ne pas l’affoler davantage. « Il se peut que je … quoi ? ». Non, elle n’a pas mal entendu, elle n’a pas rêvé non plus et, pourtant, Zoya se fait un malin plaisir de lui répéter « Ce n’est même pas, il se peut en réalité. C’est plutôt, tu vas faire partie du show ». Oh, elle sait d’avancer que Freya va la détester, la maudire, mais elle sait aussi qu’elle acceptera, malgré toutes les railleries qu’elle pourra sortir. « Tu n’as pas vraiment fait ça ? ». « Tiens-tu vraiment que je réponde à cette question, Vranken ? ». Parce qu’elle la connait suffisamment pour savoir que Zoya est VRAIMENT capable de faire une chose pareille. C’est même du bas niveau de la Lewis là, auquel on assiste. On peut tellement s’attendre à pire avec elle. « Je te déteste » « Non, tu m’aimes ». Et elle n’en doute pas une seule seconde, sûre d’elle alors qu’elles débarquent dans les tentes qui ont été dressées pour l’occasion, afin de permettre à tout ce beau monde de se préparer et se changer à l’abri des regards indiscrets. « Quand est-ce que tu as eu le temps de me préparer ce coup-là ? ». Sincèrement ? Cela ne lui a pris que deux secondes de son temps, pas une de plus. Le temps de discuter avec l’organisateur du défilé, en panique qu’une des modèles soit portée pâle. Le temps que l’ampoule de génie présente dans sa tête s’éclaire et qu’elle l’amène à lui suggérer le doux nom de Freya. Easy peasy. « Ca n’a pas d’importance, aller actives-toi ». Elle la bouscule légèrement pour qu’elle avance et elles arrivent enfin devant la robe qu’elle doit porter pour l’occasion. Evidemment, la réaction de Freya face à l’originalité de celle-ci ne se fait pas attendre « C’est ça la robe que je vais pouvoir garder après le défilé ? ». Elle acquiesce alors vivement d’un signe de tête avant de laisser Freya se changer, remarquant sans mal les grimaces qu’elle pouvait faire au fur et à mesure que son nouveau profil se dessinait dans le reflet du miroir « Zoya, j’ai l’air d’une actrice pornographique futuriste ». Des regards se posent immédiatement sur Freya et Zoya lève alors les yeux au ciel, s’approchant d’elle pour la faire taire « T’exagères ! Ok, la coiffe est peut-être de trop mais la robe, en revanche, est canon. Pour la soirée de clôture de la fashion week ce soir, tu ne manqueras pas de faire sensation ». Et, avant que Freya ne puisse réagir, elle ajoute « dans le bon sens du terme. Cette robe te va à merveille. Et, certes, elle est sexy à souhait mais un sexy classe et respectable ». Et Zoya, qui considère Freya comme sa petite sœur, ne risque pas de lui mentir si elle pensait l’opposé. Au contraire, si elle jugeait que cette robe était bien trop vulgaire, elle n’aurait pas hésité une seule seconde à aller voir l’organisateur voire même le créateur pour que la tenue de Freya soit changée sur le champ. « On va y aller, les filles ». « Je dois me faufiler parmi la foule pour prendre les photos. Tu me feras ton plus beau sourire, n’est-ce pas ? ». Elle dépose un baiser sur sa joue, furtivement, avant de s’éclipser et de trouver sa place parmi la foule, déjà nombreuse, autour du podium. Son pass de photographe lui permet de passer devant tout le monde, ayant une place de choix avec d’autres photographes/journalistes dépêchés pour l’occasion. La musique se lance alors, la foule se mut au silence soudainement et les premières mannequins défilent alors sur la scène.
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Septembre 2018.
« Mon oncle par alliance, Ted Marfield, fait l’objet d’une enquête de la CIA. » précisait-elle d’un ton monocorde. La nouvelle était tombée, aussi pénible qu’inattendue, un après-midi du mois d’avril. Elle avait ébranlé l’ensemble de la fratrie Vranken, vile et menaçante, à l’instar de l’éruption volcanique qui, en quelques heures, avait ensevelit la ville de Pompéi dix-sept siècles plus tôt. Freya pinça ses lèvres avant de poursuivre. « Il aurait escroqué des centaines de personnes, extorqué des millions. » Aujourd’hui encore, ses paroles restaient pleines d’incompréhension. Il lui était difficile d’admettre qu’Edith, la cadette de Charles, ait pu permettre une telle chose. Cela allait à l’encontre de l’intégrité prônée par les Vranken et des préceptes qui lui avaient été inculqués depuis qu'elle portait leur nom. Acculée par les accusations formées contre son époux, Edith s'était désespérément tournée vers son frère, qui, en bon chef de famille, réfléchissait sans cesse à la meilleure manière d'éviter le scandale. Il réduisait au silence les plus volubiles - moyennant quelques billets verts - et savait s’entourer des meilleurs avocats. Il était le plus solide rempart qu’elle puisse trouver contre la presse locale. « Charles nous a demandé de ne pas en parler. » Ce n’était pas la première fois qu’Edith se trouvait dans pareille situation ; elle était réputée pour ne pas bien choisir ses fréquentations. A l’exemple des précédentes, Charles avait toujours désapprouvé son union avec Ted, qu’il qualifiait d’imbécile égocentrique, et l’avait souvent mise en garde, convaincu qu’il ne lui attirerait que des emmerdes. « Edith est dévastée… » Après l’avoir vue s’effondrer sur l’épaule du patriarche, Freya s’était demandée si elle pourrait encore la regarder de la même façon. La femme qu’elle avait vue n’était plus la grande dame impressionnante, voire terrifiante qu’elle avait toujours semblé. Elle paraissait petite, fragile et fatiguée. « J’ai été interrogée par une agente de la CIA. » Elle s'arrêtait à chaque phrase, espérant que Zoya l'interromprait et que ces explications suffiraient ; mais elle restait muette, comme pendue à ses lèvres. « Elle m’a remis la dernière adresse de Rafael en échange d’un interrogatoire avec Kurt. » Il n’y avait rien d’autre à dire. Elle n’était pas fière d’avoir vendu son frère mais cela lui avait semblé nécessaire. Elle avait lâchement troqué les liens du cœur pour renouer avec ceux du sang.
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Une étrange ambiance régnait sous le pavillon éphémère depuis qu’elle avait ouvert la bouche. Des dizaines d’yeux la scrutaient, jugeant outrageusement ses paroles, mais Freya n’y prêta guère attention. Immobile et droite, elle restait figée devant son reflet. Son visage, non dépourvu de beauté, semblait celui d’une femme audacieuse et intrépide ; et ses iris, dont la couleur hésitait entre l’azur et le bleu roi, brûlaient d’une intensité rare. Pas une seule fois elle ne leva les yeux pour rencontrer ceux de son amie d’enfance. « Faire sensation… » répétait-elle en effleurant sa - ridicule - mais majestueuse coiffe. Depuis moins d’une heure, Freya subissait la trahison de Zoya, laquelle avait une attitude autrement plus enjouée qu’à l’accoutumée. Elle l’imaginait défiler sur le catwalk sans la moindre difficulté, sa chevelure brune formant un indomptable halo qui se déployait jusque dans son dos. « On va y aller, les filles. » Elle se retourna, sortant de cette transe dans laquelle elle s’était volontairement réfugiée. Ses bras enserraient sa taille et érigeait un imperceptible rempart contre l’anxiété qui la gagnait. « Zoya ! » la retenait-elle. Elle pensait si fort que son sang bouillonnait intensément dans ses veines. Elle avait envie d’hurler, lui crier qu’elle n’était pas en mesure d’y arriver mais elle continua à sourire sans bouger. Charles l’avait entraînée à tout affronter. « Souhaite-moi bonne chance. » Elle lui tendit l’auriculaire, se résignant à relever le challenge par l’intermédiaire de leur éternel pinky swear et, quand son amie eut disparue, Freya se mêla aux top-modèles. Quelle architecture massive et chargée, pensa-t-elle, en observant les mannequins s’introduire sur le podium. « Freya, c’est à toi. »
win:
Elle se mordit la lèvre et se redressa de toute sa hauteur sur ses talons aiguilles stratosphériques. La musique retentissait triomphalement, semblant ne jouer que pour elle. Son cœur cognait contre sa cage thoracique quand elle se jeta sous le crépitement des flashs et ses poumons se comprimaient, lui donnant le sentiment de manquer d’air. Sa démarche, chaloupée, se calquait sur celles des modèles avec une justesse déconcertante tandis que ses lèvres se contractaient convulsivement en ce qu’on pouvait vaguement appeler un sourire. Tous les regards étaient tournés vers elle ; cette figure clandestine propulsée au cœur des célébrités.
so close:
Elle se mordit la lèvre et se redressa de toute sa hauteur sur ses talons aiguilles stratosphériques. La musique retentissait triomphalement, semblant ne jouer que pour elle. Son cœur cognait contre sa cage thoracique quand elle se jeta sous le crépitement des flashs et ses poumons se comprimaient, lui donnant le sentiment de manquer d’air. Elle évoluait maladroitement sur la piste, le palpitant toujours plus intense, quand, à ce moment précis, un mannequin du sexe opposé s’avança sur le podium pour défiler à ses côtés.
fail:
Elle se mordit la lèvre et se redressa de toute sa hauteur sur ses talons aiguilles stratosphériques. La musique retentissait triomphalement, semblant ne jouer que pour elle. Son cœur cognait contre sa cage thoracique quand elle se jeta sous le crépitement des flashs et ses poumons se comprimaient, lui donnant le sentiment de manquer d’air. Tandis que les déesses de Balmain continuaient de défiler, Freya se trouva, bloquée au centre du catwalk, interrompue dans sa magnifique prestation par une impressionnante et odieuse vague d’angoisse. Elle s’efforça de la contenir, les autres modèles feignant, par pure hypocrisie, de ne pas remarquer l’incident. Elle se demanda si Zoya la voyait ; le ciel lui tombait sur la tête.
LE DESTIN
l'omniscient
ÂGE : des milliers d'années, mais je suis bien conservé. STATUT : marié au hasard. MÉTIER : occupé à pimenter vos vies, et à vous rendre fous (a). LOGEMENT : je vis constamment avec vous, dans vos têtes, dans vos esprits, et j'interviens de partout, dans vos relations, dans vos joies, vos peines. POSTS : 31460 POINTS : 350
TW IN RP : nc PETIT PLUS : personne ne sera épargné, c'est promis les chéris.AVATAR : je suis tout le monde. CRÉDITS : harley (avatar), in-love-with-movies (gif) DC : nc PSEUDO : le destin. INSCRIT LE : 15/12/2014
Septembre 2018. « Mon oncle par alliance. Ted Marfield, fait l’objet d’une enquête de la CIA ». Zoya écarquille les yeux ralentissant le pas alors qu’elle écoute attentivement l’histoire que lui conte Freya, cherchant à comprendre comment elle a eu des informations sur son frère Rafael par une agente du CIA, un « détail » qui n’a pas manqué de la surprendre « Il aurait escroqué des centaines de personnes, extorqué des millions ». L’information ne manque pas de faire tiquer la jeune femme, qui s’abstient cependant de tout commentaire « Charles nous a demandé de ne pas en parler (…) Edith est dévastée… ». Evidement, le fait que son père ait demandé à ce que l’information reste secrète ne surprend pas Zoya, dont le sourcil s’arque lorsque Freya le souligne. La photographe connait parfaitement le patriarche de la famille Vraken. L’image, toujours, l’apparence, la réputation du nom importante plus que tout le reste, une chose qui agace au plus haut point Zoya qui est tout sauf dans le paraitre et le faux semblant. Elle a grandi dans une famille avec des valeurs qui sont à l’opposé de celle de la famille Vranken avec qui, pourtant, ses parents ont entretenu d’étroites relations, et en ont toujours. « J’ai été interrogée par une agente de la CIA (…) Elle m’a remis la dernière adresse de Rafael en échange d’un interrogatoire avec Kurt ». La réaction de Zoya ne se fait pas attendre « Wait ? Pourquoi elle voulait un interrogatoire avec ton frère ? Il est mêlé à tout ça lui aussi ? ». Elle s’est arrêtée à nouveau et incite Freya à en faire de même en la retenant une deuxième fois par le bras « Ne me dis pas que Kurt est aussi une pourriture ? ». Zoya et sa franchise ne changeront jamais.
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« Faire sensation… ». Zoya observe Freya et s’aperçoit qu’elle n’est clairement pas à l’aise dans cet exercice qu’elle lui inflige. Elle doute énormément, estime qu’elle ne sera pas à la hauteur et n’est pas du tout convaincue par la tenue qu’elle doit arborer pour ce défilé. Zoya a agi, une fois de plus, spontanément, et si, lorsque cela la concerne, cela ne pose pas de réels problèmes, en revanche, quand elle prend des décisions pour d’autres, ces autres auraient toutes les raisons de lui en vouloir. Freya ne se plaint pas pourtant, mais elle sent la crispation de cette dernière derrière son sourire. Est-ce que Zoya s’en veut, pour autant ? Pas vraiment parce qu’elle est persuadée qu’elle va assurer et qu’elle sera sensationnelle sur le catwalk. La photographe doit s’éclipser pour être aux premières loges, afin qu’elle puisse honorer sa part du contrat qui est de photographier les différentes mannequins qui déambuleront sur le podium. « Zoya ! (…) Souhaite-moi bonne chance ». Alors que Freya la retient, Zoya vient à attraper le petit doigt qu’elle lui tend et le serre, plantant son regard dans le sien en ayant ces quelques mots pour la rassurer « Ça va bien se passer, Freya. J’ai confiance en toi ». Elle lui adresse un dernier sourire avant de quitter la grande tente pour se rendre à l’avant du podium.
Et Zoya a eu raison de croire en sa petite sœur de cœur. Là voilà qui débarque sur le devant de la scène, plus resplendissante que jamais, cette crainte et cette anxiété qui l’habitaient quelques minutes plus tôt semblant avoir totalement disparu. A la place, c’est la confiance et une aura surprenante qui se dégage d’elle alors que son sourire parait plus franc et assuré désormais. Les quelques journalistes et photographes présents à ses côtés laissent glisser quelques commentaires au sujet de l’apprenti modèle qui ne manque pas de faire sourire Zoya alors qu’elle dégaine son appareil photo devant son œil aguerri et enclenche le flash de celui-ci pour prendre sa meilleure amie en photo. Les poses sont splendides, elle agit telle une professionnelle que pourtant elle n’est pas. Zoya délaisse son objectif quelques secondes pour acclamer son amie avant que cette dernière disparaisse en coulisse. Une fois le défilé terminé, Zoya se précipite sous la grande tente à nouveau pour aller à la rencontre de Freya « Je savais que tu y arriverais ! » fait-t-elle en marchant en sa direction d’un pas déterminé avant de la prendre dans ses bras une fois arrivée à sa hauteur « Tu as été resplendissante, on dirait que tu as fait ça toute ta vie ! ». Et elle n’exagère pas, prête à lui montrer, s’il le faut pour la convaincre, les différentes photographies qu’elle a réalisées. D’ailleurs, lorsqu’elle relâche son étreinte sur son amie, l’organisateur du défilé ne manque pas de venir à la rencontre de Freya pour la féliciter « Vous avez été superbe Miss Vranken. Voilà mes coordonnées si jamais une carrière dans le mannequinat vous intéresse, je serai ravie de pouvoir collaborer à nouveau avec vous ». Zoya reste de marbre alors qu’elle regarde l’homme qui les remercie encore avant de s’éloigner. Une fois celui-ci suffisamment loin, elle s’agite devant Freya « Tu vois ! ». Elle sait que cette dernière ne se lancera jamais dans une telle voie mais elle a cette certaine fierté d’avoir fait le bon choix en proposant – enfin, en imposant serait plus justement choisi – à sa sœur de cœur de défiler aujourd’hui sur ce podium. « Aller, changes-toi qu’on retourne à l’hôtel se préparer pour ce soir ». Quelques minutes plus tard, les deux jeunes femmes quittent les lieux pour se diriger vers le luxueux hôtel financé par une des marques pour qui Zoya travaille, dans lequel elles résident depuis quelques jours.
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La fête de clôture de la fashion Week s’est terminée tardivement dans la nuit et pourtant les deux jeunes femmes ont enchaîné quelques heures plus tard avec le dernier défilé, celui de la marque Balmain. Toutes deux apprêtées pour l’occasion, les voilà sortir du grand hôtel où a lieu l’événement. Désormais libérée de ces obligations professionnelles, Zoya compte bien honorer sa promesse, celle d’aider Freya a retrouvé les traces de son frère Rafael « Tu as l’adresse sur toi ? On peut peut-être s’y rendre maintenant ». Pourquoi attendre quand elle sait que Freya est impatiente de se rendre sur les lieux pour peut-être retrouver celui avec qui elle rêve, depuis des années, de renouer.
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Septembre 2018.
Zoya la retint par le bras et elle marqua un temps d’arrêt, les dents serrées ; des mèches brunes gravitaient devant sa figure tandis que ses iris céruléennes fixaient le regard inquiet de l’australienne. Les erreurs de Ted, ses pratiques discutables et, - en particulier - son ambition démesurée avaient projeté les Vranken en plein cœur de la tourmente. Maintenant plus que jamais, Charles s’évertuait à leur faire entendre à quel point il était regrettable de compter un maillon faible parmi les siens. Père exigeant, homme d'affaires aguerri et véritable maniaque du contrôle, Charles ne supportait pas que l'on ose le contrarier en mettant ses décisions ou ses agissements en doute. La force d’une fratrie résidait, selon lui, dans le fait de parvenir à mener chacun de ses membres vers le plus haut degré de l'échelle sociale, par la seule véhémence du glorieux patriarche. Nul ne devait singulièrement arpenter les couloirs labyrinthiques de la vie, à la recherche du succès et de la prospérité, but ultime d’une existence. Freya posa la main contre son estomac ; une douleur sourde lui tordait le ventre, comme une mâchoire qui lui dévorait les entrailles pour se frayer un chemin jusqu’à son dos. « Je n'en ai aucune idée. » Pour la première fois depuis des années, elle se sentait lésée, lâchement mise de côté au détriment d’une figure paternelle qu’elle désavouait, de ses lois et de son esprit un peu trop étroit. Kurt était une personne que Charles pouvait aisément influencer, voire manipuler ; il l’avait très vite compris et décidait dorénavant d’utiliser ce pouvoir pour remettre les choses à leur place. « Je le vois mal être impliqué dans quelque chose d’illégal. Mais j’imagine qu’il doit être au courant de certaines choses. » En grand frère modèle et pleinement conscient de l’ascendant qu’il avait sur elle, Kurt ne se privait pas pour l’écarter - aussi souvent qu’il le pouvait - des sordides affaires dans lesquelles était impliqué son père. Il ne semblait pas se rendre compte de l’engrenage dans lequel il s’était embourbé en acceptant de rejoindre Schrayer & Associates pour devenir le bras droit d’un chef de famille aux allures de dictateur. Il n’était plus, à l’effigie de son physique athlétique de viking, qu’un bon petit soldat en attente de la moindre injonction. Indirectement, Freya était curieuse de savoir ce qu’il s’obstinait à lui cacher dans un instant si propice aux confessions et la révélation de dures vérités. « La pourriture, ici, ce serait plutôt Loig. » répliqua-t-elle d’une voix sardonique. Le cadet des Vranken n’aimait pas avoir l’air obéissant devant son père, - d’ailleurs ils s’évitaient tous deux suffisamment pour qu’il n’en ait que rarement l’occasion - ; même si, Charles possédant cette élégance et cet air avisé des hommes infiniment puissants, une part de Loig sollicitait son attention, désirant qu’il remarque ses actions et les désapprouve. « Il est allé jusqu’à payer un journaliste pour publier un scandale inventé de toutes pièces et ‘détourner’ l’opinion publique de l’affaire. » Un sourire naquit aux coins de ses lèvres. Charles n’allait pas le supporter beaucoup plus longtemps s’il persistait à s’engager sur cette pente glissante avec lui, songea-t-elle. Premièrement il n’était pas d’humeur à se battre verbalement avec lui et deuxièmement, Loig n’était pas en position de force, même dans ses rêves les plus fous. « Il a dû oublier qu’il vivait au crochet des parents et que c’est avec leur argent qu’il a soudoyé ce type. » Freya ne put s’empêcher de rire en prononçant ces mots. Elle savait d’expérience que le jeune homme excellait dans l’art et la manière de se créer des problèmes et, en conséquence qu’il avait plus d’une ruse pour se tirer de ces situations risquées. « Charles était tellement hors de lui qu’il a menacé de le déshériter. » D’aussi loin qu’elle se souvienne, Freya ne l’avait jamais vu ainsi. Il s’était transformé en un être qui n’avait plus rien d’humain ; son expression évoquait celle d’un prédateur sauvage et sa voix, tonitruante, avait résonné comme un coup de tonnerre à des kilomètres à la ronde.
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Le dernier défilé, guindé et parfaitement étudié, s’était déroulé sans encombre. Zoya avait eu tout le loisir d’avancer sur son travail, même si la voix de Freya l’avait interrompue plus d’une fois. Comme une enfant, elle lui avait souri d’un air complice et lui avait montré à quel point elle appréciait le divertissement. Elle s’était sentie bien plus à l’aise parmi les spectateurs, qu’exhibée sur le catwalk, au milieu de la foule qui s’égayait avec tumulte et émerveillement. Ensemble, elles dévalaient désormais l’artère qui menait vers Park Avenue et admiraient les lumières de la ville qui scintillaient dans la nuit. Tout était exactement comme elle l’avait laissé, les taxis défilaient, les filles pimpantes se rendaient à des soirées merveilleuses sur les toits-terrasses, les amoureux profitaient d’une balade romantique et nocturne dans les allées de Central Park. « Elle doit être quelque part par-là. » supposa-t-elle en glissant la main dans l’une de ses poches. Elle inclina son corps en avant dans une position qui aurait pu s’appeler un salut, si elle n’avait pas été à la recherche d’un morceau de vie égaré. « Je l’ai. » Il pesait lourd dans ses mains et était encombrant, comme si le poids du passé abondait sur trois centimètres carré. On pouvait y lire une écriture en italique ; ultime point de repère d’une enfant perdue : ‘301 W 138th St.’. Freya essaya de ne montrer aucun signe de nostalgie quand elle déchiffra l’unique ligne, mais son sourire s’éteignit. « À l’ouest de la 138ème rue, au numéro 301. » traduisait-elle, pensive. Elle glissa son bras sous celui de Zoya et se remit en marche. « Au fait, comment ça se passe avec Elijah ? » demandait-elle pour changer de sujet. Bien sûr, elle ne se faisait aucune illusion quant au fait que sa ruse serait très certainement démasquée par l’australienne. Mais elle espérait que la jolie brune la suivrait sur cette voie pour lui éviter toute une salve de questions. « Tu m’expliquais l’autre jour que c’était compliqué entre vous. » Freya planta ses billes lapis-lazulis dans celles de sa meilleure amie, l’encourageant à lui livrer ses sentiments les plus profonds, à partager avec elle les détails d’une relation qui la faisait réfléchir. « Qu’est-ce que tu voulais dire ? » Zoya était habituée à écouter ce que son cœur lui commandait, chose que Freya approuvait, et qu’elle ne regrettait jamais. Ce qui ne l’empêchait pas d’être toujours aussi imprévisible et sûre d’elle. Enfin, elles arrivèrent au pied du building et d’un geste de la main, Freya désigna le dernier étage, d’ici on distinguait à peine les reliefs de la plus haute fenêtre, son endroit favori - elle n’en doutait point - d’où il pouvait contempler la ville en ayant la sensation de la dominer. Elle se rendait compte, à cet instant, de tout ce qui lui avait manqué ; son ancienne vie, sa famille, tout ce qui faisait partie de son environnement auparavant, lui ; Rafael. Ses prunelles brillaient d’une lumière intense, réservée à lui seul ; une lumière qui s’était éteinte, jadis, et qui n’était encore jamais revenue.
Septembre 2018. « Je n’en ai aucune idée ». Elle a l’impression que Freya lui raconte l’histoire du dernier film qu’elle a été voir au cinéma, dont le synopsis est celui d’une famille pourrie jusqu’à l’os, dont les scandales qu’ils tentent de dissimuler ne tarderont pas à leur exploser en pleine figure, salissant ainsi définitivement leur nom et leur réputation à tout jamais. En attendant, le patriarche, celui qui est à la tête de cette famille - si on pouvait l’appeler ainsi tant les rapports entre ses membres sont loin d’être idylliques, ils sont plutôt même catastrophiques – tente du mieux qu’il peut de sauver les meubles. Et pour ça, il est prêt à tout, usant de mensonges et manipulations pour se faire. Les enfants s’en mêlent, mettent de l’huile sur le feu et au milieu, il y a cette frêle Freya qui n’a rien demandé. Au point qu’elle a décidé de penser à elle, prête à vendre un de ses frères qu’elle suspecte d’aider le patriarche dans le mensonge. « Je le vois mal être impliqué dans quelque chose d’illégal. Mais j’imagine qu’il doit être au courant de certaines choses ». Zoya acquiesce doucement, tout en grimaçant alors que Freya poursuit « La pourriture, ici, ce serait plutôt Loig ». La constatation ne manque pas de faire rire légèrement la photographe tant tous les membres de la famille y passe et tous semblent autant pourri les uns que les autres « Il est allé jusqu’à payer un journaliste pour publier un scandale inventé de toutes pièces et ‘détourner’ l’opinion publique de l’affaire ». L’air ahuri ou plutôt désespéré de Zoya sur le visage contribue sûrement au sourire qui nait sur les lèvres de son amie d’enfance, en plus de cet acte stupide de son frère qu’elle lui raconte « Il a dû oublier qu’il vivait au crochet des parents et que c’est avec leur argent qu’il a soudoyé ce type ». Vraiment stupide « Charles était tellement hors de lui qu’il a menacé de le déshériter ». Zoya pousse un long soupir après que Freya ait terminé son histoire, comme si elle avait retenu son souffle tout le long « Je ne sais pas comment tu as pu atterrir au milieu d’une famille pareille, Frey’ ». Zoya vient à passer son bras sous le sien pour qu’elles reprennent leur marche « Je vais demander à mes parents s’ils ne peuvent pas trouver une solution pour t’adopter. Faut vraiment qu’on te sorte de chez cette famille de malade ». Et si les mots de l’australienne peuvent être pris pour de la plaisanterie, ses traits montrent le contraire, alors qu’elle est on ne peut plus sérieuse. « Ou alors, je peux peut-être t’adopter moi ». Et cette fois, son sourire se veut un peu plus malicieux, alors qu’elle entraîne Freya en direction de Central Park.
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Cela faisait des jours qu’elles étaient à New York. Et lorsque Zoya a proposé à Freya de l’accompagner ici, ce n’était pas uniquement pour qu’elle profite de la fashion Week, des défilés plus impressionnants les uns que les autres et de cette opportunité de défiler sur le catwalk – même si elle a, soi-disant, détesté l’expérience. Si la photographe a amené sa sœur de cœur avec elle c’est pour lui permettre de peut-être retrouver la trace de son frère biologique, celui duquel on l’a arraché étant petite, et qui lui manque un peu plus chaque jour. Elle en est consciente la brune, car Freya, derrière ses airs de fille à qui la vie sourit, cache derrière sa gueule d’ange des blessures qu’elle partage que très rarement. Elle était plus bavarde à ce sujet quand elles étaient plus jeunes, l’est un peu moins désormais mais Zoya la connaît à la perfection pour savoir lire entre les lignes. Alors, une fois le dernier défilé passé, il n’y a plus de temps à perdre et les deux jeunes femmes se dirigent d’un pas décidé à cette adresse que la Vranken est parvenu à obtenir de la part de cette agente du CIA. « Elle doit être quelque part par-là ». Zo’ continue d’avancer d’un pas lent, regardant les immeubles alentour à la découverte de ce quartier qu’elle ne connaît pas. « Je l’ai (…) À l'ouest de la 138ème rue, au numéro 301 ». Zoya s’est arrêté pour l’écouter, zieutant ce bout de papier rapidement griffonné d’une écriture à peine lisible. Elle acquiesce alors et les deux jeunes femmes repartent à la recherche de cette 138ème rue de laquelle elles ne sont sûrement pas très loin. Freya a passé son bras sous celui de sa meilleure amie et semble quelque peu tremblante, même si elle ne laisse rien transparaître. Instinctivement alors, Zoya pose sa main libre sur la sienne tout en continuant de marcher. Un geste qui est fait pour la rassurer, pour lui dire qu’elle est à ses côtés et ne la lâchera pas quoi qu’il arrive. Elle reste silencieuse, n’use pas de mots pour ne pas la rendre plus mal à l’aise ou anxieuse qu’elle ne peut l’être déjà « Au fait, comment ça se passe avec Elijah ? ». Zoya pivote immédiatement sa tête vers Freya, et regrette finalement de ne pas avoir rebondi sur l’adresse qu’elle lui a donné, sur ce quartier que la brune doit connaître et dont elle pourrait lui conter quelques souvenirs. Zoya laisse alors échapper un soupir, en haussant les épaules « Ça se passe… » débute-t-elle alors, même si elle sait que son ton de voix ne va pas la convaincre de passer à autre chose. Ces quelques jours passés avec Freya l’ont aidé à ne pas penser à cette relation qui, peu à peu, était en train de tristement s’émietter. « Tu m’expliquais l’autre jour que c’était compliqué ». Arf oui elle en avait déjà parlé. D’où la question. Mais leur conversation avait été interrompue alors qu’elles s’apprêtaient à embarquer. L’euphorie de leur séjour ne leur a pas permis de revenir sur les confessions que s'apprêtait à faire Zoya, attristée notamment de voir qu’Elijah n’avait pas envisagé de la rejoindre à New York, alors qu’il se trouvait à LA ces derniers temps… « Qu’est-ce que tu voulais dire ? ». Il y a un mince silence qui s’installe, alors que le bruit de leurs talons sur le bitume résonne dans la rue déserte qu’elles empruntent. Zoya se renferme aussitôt, non pas parce qu’elle compte rester muette et ne pas se confier à Freya, mais parce que ses inquiétudes jaillissent à nouveau et la rendent maussade « La distance commence à avoir raison de nous… On ne parvient pas à se voir comme on le voudrait et, de ce fait, ça crée des tensions. Son travail en particulier lui prend énormément de temps, l’amène à voyager bien plus que moi à travers le monde et c’est… compliqué pour cette raison… ». Elle marque une pause, visiblement nécessaire, comme pour reprendre son souffle « Il me manque… cruellement et j’ai envie de passer de plus en plus de temps avec lui parce que je l’aime et parce que je me sens bien avec lui… » et elle sait que c’est réciproque quand il a été le premier à s’ouvrir au sujet de ses sentiments voilà un an de ça « Mais je ne sais pas si nous arriverons un jour à faire en sorte que ce "couple" … » Elle mime les guillemets « … fonctionne ». Et c’est cette conclusion qui la fait craindre le pire, une séparation inévitable s’ils ne veulent pas souffrir de cette distance qu’ils ne parviennent pas à combler… Perdue, Zoya l’est, c’est indéniable, son regard porté au sol alors qu’elles poursuivent leur chemin, incapable de regarder sa sœur de cœur dans les yeux « Et je ne vois pas comment on pourrait faire en sorte que ça fonctionne… ». Parce qu’évidemment, c’est tout ce qu’elle souhaite mais les solutions commencent à lui manquer…
Les deux jeunes femmes arrivent à l’adresse indiquée. Le regard de Zoya suit la direction que lui indique Freya, la fenêtre du dernier étage, avant qu’il ne se reporte sur celui de son amie. Elle semble prise d’une nostalgie soudaine, d’une appréhension aussi quand elle ignore si, dans quelques instants, elle va se retrouver ou non face à face avec son frère Rafael. Alors, d’une voix douce et dans un murmure, sa main toujours posée sur la sienne qui repose elle-même sur son bras, Zoya l’interroge « Tu es prête ? ». Lorsqu’elle acquiesce, les deux amies s’avancent et peuvent entrer dans l’immeuble grâce à une personne qui en sort au même moment. Et lorsqu’elles arrivent au dernier étage, face à la porte derrière laquelle doit se trouver le frère aîné de la brune, Zoya attrape Freya par les épaules, la faisant pivoter légèrement vers elle pour lui faire face « Tu es sûre que c’est ce que tu veux ? ». Sa voix est toujours douce, et son ton bienveillant. Parce que même si elle sait que Freya attend ce moment depuis des lustres, elle sait aussi à quel point cela peut être difficile de faire face à son passé, et qu’elle peut soudainement estimer ne pas être prête. Pas encore… « Dans tous les cas, Frey’, je suis là pour toi ». Elle la rassure à nouveau, vient à lui déposer un baiser sur la joue et lui laisse le choix de frapper de trois petits coups à cette porte qui paraît si gigantesque, soudainement, tant le poids de son histoire et de ce qu’elle y cache derrière est important pour sa sœur de cœur.
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Septembre 2018.
Renversant la tête en arrière, elle éclata d’un beau rire clair et mélodieux. Les Vranken lui étaient indispensables, essentiels et primordiaux ; quelque chose s’était ancrée en elle, au fil du temps, sans qu’elle ne parvienne à savoir quoi. Et cela changeait toute l’équation, toute la donne, tous les enjeux. Ils n’étaient plus les figures étrangères qui avaient hanté ses songes et la terrifiaient dans l’obscurité, mais s’étaient mués en pairs ; étaient devenus sa famille. Jamais, elle ne se serait permise de rêver mieux. Jamais, elle ne les aurait volontairement blessés au profit de ses origines. Elle faisait partie d’eux, de leur dynastie, partageaient leurs gènes à défaut de partager leur sang. Et c’était peut-être ça le problème ; car les Vranken étaient passés maîtres dans l’art de s’attirer des ennuis. « Elle n’est pas si terrible Zo’. » La suédoise cherchait ses mots, en vain, sans parvenir à les trouver. Elle savait qu’elle était en train de se perdre mais, elle ne pouvait renier ceux qui l’avaient élevée comme leur propre fille. La vérité c’était qu’il n’y avait plus rien à sauver et qu’elle se savait intimement liée à Charles, Eleanor, Kurt et Loig ; pour toujours. Ce pouvait être une erreur monumentale, colossale, qu’elle regretterait éternellement mais elle se sentait prête à prendre ce risque, de manière tout à fait considérée. « Je m’y sens bien. Vraiment. Ils m’ont offert un avenir et une chance de devenir quelqu’un. Qui sait où j’en serai aujourd’hui si Eleanor ne m’avait pas choisie, à l’orphelinat. »
Un éclair fit scintiller son regard comme la lame d’un couteau ; ses paroles n’étaient plus qu’un simple fond sonore qu’elle n’écoutait plus. Elle repensait au feuilleton télévisé qu’elle avait assidûment suivi en compagnie de Mandy, s’identifiait aux héritiers de cette puissante lignée de Géorgie dont le patriarche, sournoisement brillant, dirigeait une fabuleuse entreprise. Il avait, à lui seul, bâti un empire qui le conduisait involontairement mais irrémédiablement à sa perte, bafouant avec ignominie les lois ancestrales du monde des affaires. Le seul domaine dans lequel il parvenait encore à se débattre et à consumer sa fierté restait celui de la sphère familiale. Et en cela, Blake lui rappelait Charles. Toute son existence reposait sur l’art et la manière d’être, de paraître et surtout de prétexter. Soigner les apparences pour s’octroyer une place au sommet était l’une des bases de son éducation douteuse. À maintes reprises, il avait promis de stopper ce jeu absurde qui ne conduisait qu’à la destruction de sa fratrie mais, à maintes reprises, il avait fini par retomber dans ses travers. Et en cela, Blake lui rappelait encore Charles. « Toi ? » s’enquit-elle, les yeux écarquillés de surprise. La maternité n’était qu’une vague notion qui virevoltait dans son esprit, qui lui était abstraite et totalement étrangère. Par deux fois, elle tenta d’imaginer Zoya dans ce rôle, ce statut qu’elle devrait assumer pleinement et qui lui conférerait – par défaut – une responsabilité presque infinie. Par deux fois, elle fut prise d’une irrépressible envie de rire ; elle ne la voyait guère génitrice. « Ne compte pas sur moi pour t’appeler maman ! » s’exclama-t-elle en franchissant les grilles de Central Park.
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Les paroles de Zoya résonnaient dans son esprit comme une scène mythique de blockbuster. Il n’y avait aucune surprise. Chacun des mots qu’elle prononçait semblaient déjà avoir été écrits, faisant partie d’un scénario évident et minutieusement rédigé. Elle était l’archétype d’une jeunesse à la dérive, noyée par la romance, inondée de sentiments et perdue dans les méandres de l’amour. « Pourquoi tu ne le suis pas, Zo’ ? » Elle considéra sa sœur de cœur, dont le visage se teintait d’ocre sous la lumière des réverbères. Ses cheveux étaient aussi bruns et luisants que ceux de ses frères, ses yeux aussi clairs et intenses que les prunelles de Deklan. Malgré elle, la suédoise éprouvait une sorte de fascination devant les sentiments qui lui étaient dépeints. Au-delà de n’en avoir jamais éprouvé aucun, elle admirait l’étincelle qui venait lustrer la pupille de Zoya lorsqu’elle faisait référence à Elijah. Elle se demandait si elle connaîtrait cette passion frénétique, un jour ; expérimenterait l’insouciance, l’allégresse, la tristesse car elle s’était armée contre la désillusion. Elle était à elle seule le vestige d’une relation avortée, jamais débutée, condamnée à la platitude éternelle d’une amitié. Freya refusait de souffrir, de maltraiter son organe vital pour une passion vouée à l’échec. C’était l’avantage avec les amants d’une nuit, ils n’avaient pas le temps de poignarder son cœur et de s’enfuir avec, parce qu’au matin, elle était déjà loin. « Je veux dire, en dehors des obligations qui te retiennent à Brisbane, pourquoi tu ne voyagerais pas avec lui ? » Elle baissa les yeux puis les releva avec lenteur pour rencontrer le regard de Zoya. Son visage, qui se découpait sous les éclairages artificiels d’Harlem était absolument parfait.
A l’instar de son prestige, New York semblait en perpétuelle effervescence ; le défilé incessant des yellow cabs animait les rues, l’écho des klaxons ricochait sur la façade des gratte-ciels, la foule se pressait sur les trottoirs larges de plusieurs mètres. La ville n’était que grandeur et démesure, flamboyante de couleurs et de sons, urbaine, déroutante, oppressante. Les phares des véhicules se reflétaient dans les prunelles de Freya qui, presque aussi émerveillée qu’une enfant, pointait du doigt les buildings comme les vitrines des boutiques. Elle s’entichait de la Grosse Pomme au même titre qu’elle appréciait le style vestimentaire des new-yorkaises. Devant elles, une jeune femme aux courbes délicieuses déambulait le long de la cinquième avenue, vêtue d’un manteau qui semblait être d’un rouge aussi ardent que celui de la braise ; véritable canon de beauté. « Si tu as envie d’être avec lui, fais en sorte que ça fonctionne. » déclara-t-elle. Pendant des mois, ils avaient dansé sur la même rengaine avec lassitude, insatisfaits mais trop fiers pour l’admettre ; leurs lèvres séparées par des obstacles invisibles. Dans un flou artistique complètement improvisé, où il n’y avait pas la moindre petite règle, ils oscillaient entre blâme réciproque et passion dévorante, entre confidences et invectives tranchantes. C’était tout ou rien. Surtout rien. Parce qu’à ce rythme, l’espoir ne tarderait pas à foutre le camp au milieu de la mer des Caraïbes. Les morceaux ne recolleraient plus pour former un tout, ni dans cette vie, ni dans la suivante, et Zoya devait en prendre conscience. « Je sais parfaitement ce que tu te dis. ‘Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais.’ » Exhibant un sourire angélique, elle tourna à l’angle de la cent trente-huitième rue ; une lueur sauvage scintillant dans son regard. C’était l’unique vérité. Elle s’était élevée au rang de conseillère matrimoniale, délibérément, sans la moindre qualification et sans aucune expérience. Mais le bonheur de sa meilleure amie comptait plus que tout ; et c’était une raison suffisante pour lui donner son avis — aussi candide soit-il —. « C’est vrai. Mais ce serait dommage de passer à côté d’une belle histoire. »
Lorsque son regard se posa sur les reliefs de la plus haute fenêtre, ses doigts exercèrent une pression sur le bras de Zoya. Elles y étaient ; la dernière étape, l’ultime obstacle. La jeune femme tentait de rassembler ses pensées qui allaient dans tous les sens ; cherchant un souvenir auquel se raccrocher, une phrase qu’elle pourrait lui lancer, en vain. Plus rien ne se dressait entre elle et Rafael ; ni la vie, ni le temps, ni les Vranken. Et pourtant, elle se sentait complètement désorientée. À quoi devait-elle s’attendre ? Qu’était-il devenu ? Serait-il heureux de la revoir ? L’avait-il cherchée, tout ce temps ? Se souvenait-il de leur vie, de leur enfance, des fragments de vie qu’elle avait choyé durant dix-huit longues années ? Elle hésita un instant avant d’acquiescer d’un bref signe de tête, terrifiée à l’idée de rencontrer un visage différent de celui qu’elle s’était imaginé. Mais, lorsqu’un homme quitta le bâtiment et que la brune retint la porte, la suédoise eut un mouvement de recul. « Attends. » Elle glissa ses mains dans celles de Zoya pour lui faire face. Quelque part, tout au fond d’elle-même, elle ressentait l’envie de lui hurler son enthousiasme, sa reconnaissance. De lui avouer, dix-huit ans après, combien elle tenait à elle. « Je ne te remercierai jamais assez Zo’. Pour tout. Depuis toujours. Tu es la première personne à m’avoir tendu la main, à m’avoir accueillie, à m’avoir ouvert les bras. Tu m’as donné la chance d’avoir une sœur, une vraie, qu’importe les liens du sang. Et quoiqu’on trouve ce soir, au dernier étage de ce bâtiment, sache que rien ne changera pour moi. Je t’aimerai éternellement. »
Devant la porte du logement, le temps semblait soudainement suspendu. « J’ai besoin de savoir. » De le voir. Le toucher. L’embrasser. Le souffle court et complètement effrayée par la situation, elle toqua trois fois puis fut saisie d’un désagréable frisson. Elle poussa la porte d’un geste souple et grâcieux, qui, étrangement, n’émis aucune résistance. A l’intérieur, du vide, du rien ; des seringues, de la poudre – blanche –, des guenilles, de la saleté et… un flingue. Un revolver flambant neuf gravé des initiales de Rafael dont la crosse rutilante rayonnait sous la lumière blafarde. Littéralement secouée par sa trouvaille, Freya décrocha un rire névrotique. « Tu avais promis de ne pas me laisser… » murmura-t-elle. Pour elle. Pour lui. C’était le passé. Envolé, disparu, condamné. Sauf que, sous le coup de l’émotion, elle fut saisie d’une brusque et terrible nausée. Ses poumons se contractèrent violemment et son souffle fut comme rejeté avec force. Sa vision se brouilla ; elle n’avait plus le courage. « Je ne comprends pas… Il aurait dû être là. » Elle refusait que son dernier souvenir de lui soit la visite de ce taudis, récusait l’idée qu’il ait pu mal tourner, niait en bloc les stigmates de son passage. « Elle avait dit qu’il serait là… » souffla-t-elle honteusement, alors qu’une larme glissait sur sa joue.
Septembre 2018. « Elle n’est pas si terrible Zo’. » Zoya avait toujours eu du mal avec les Vranken. Elle se demandait même comment ses propres parents avaient pu se lier d’une forte amitié avec eux, quand ils étaient diamétralement opposés. Ils n’avaient pas les mêmes façons de penser, les mêmes valeurs non plus et pourtant, ils se fréquentaient. Bon, Zoya n’allait pas s’en plaindre quand grâce à ça, elle a pu rencontrer celle qu’elle considère désormais comme la sœur qu’elle n’a jamais eu. Elle qui n’a eu que des frères, elle a vu en Freya cette petite poupée, cette petite elle dont elle devait s’occuper et réconforter, quand elle était craintive à l’égard de cette nouvelle famille qu’était les Vranken et cet environnement aussi, nouveau pour elle. « Je m’y sens bien. Vraiment. Ils m’ont offert un avenir et une chance de devenir quelqu’un. Qui sait où j’en serai aujourd’hui si Eleanor ne m’avait pas choisie, à l’orphelinat. » Zoya devait le reconnaitre et c’est pour cette raison qu’elle acquiesce d’un signe de tête, sourire bienveillant aux lèvres. « C’est tout ce qui m’importe ». Non parce qu’autrement, elle a de la suite dans les idées la Zoya, elle en viendrait même à se substituer au Vranken et adopter elle-même Freya. « Toi ? ». Zoya acquiesce vivement d’un signe de tête, persuadée déjà de son idée, capable, pour sûr, de passer à l’acte si Freya lui en donnait le feu vert. Mais au vu de l’éclat de rire de la Vranken, Zoya comprend vite que son idée n’est pas partagée « Ne compte pas sur moi pour t’appeler maman ! » Elle grimace Zoya même si la remarque de Freya est plutôt justifiée quand on connait bien la Lewis. « Tant pis pour toi, tu ne sais pas ce que tu manques…» fait-t-elle alors avec un brin de malice, « The coolest mummy ever ! » Elle montre comme une pancarte invisible dans le ciel tout en prononçant ces mots, les deux jeunes femmes partant d’un rire commun alors qu’elles poursuivent leur chemin à travers le fameux parc de la grosse pomme.
***
« Pourquoi tu ne le suis pas, Zo’ ? (…) Je veux dire, en dehors des obligations qui te retiennent à Brisbane, pourquoi tu ne voyagerais pas avec lui ? » C’est compliqué. C’est compliqué parce que ça impliquerait que l’un des deux fasse des sacrifices. Et ils ne sont clairement pas près à en faire. Ils sont peu habitués à la vie à deux, bien trop solitaires au final, à suivre leurs propres envies plutôt que d’avoir des contraintes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Elijah avait fui Brisbane et ses obligations familiales. Et il en était de même pour Zoya qui était incapable de tenir en place plus d’une minute. Pourtant pour Elijah, cette éventualité commençait à prendre place dans son esprit. Et le fait que Freya vienne à lui en parler, à prononcer cette éventualité à voix haute semblait lui redonner quelque peu l’espoir, celui auquel elle souhaitait se raccrocher pour sauver son couple… « Si tu as envie d’être avec lui, fais en sorte que ça fonctionne. ». Zoya tourne sa tête vers sa sœur de cœur et acquiesce tristement d’un signe de tête. Oui elle veut que ça fonctionne, que ça fonctionne avec lui parce qu’elle a l’impression de ne jamais avoir autant aimé quelqu’un que lui. Elle est terrifiée de le perdre, comme cette première fois où ils se sont rencontrés cinq ans plus tôt. Cette excursion dans les Alpes où elle s’était retrouvée avec lui comme guide et où elle avait eu la frousse de sa vie alors qu’elle n’avait pas été prudente, trop obnubilée à prendre ces photographies. Il l’avait rattrapé de justesse, alors qu’elle avait manqué de tomber dans le vide, et si elle n’a, en général, peur de rien la Zoya, cette fois-là, elle se souvient de son cœur tambourinant dans sa poitrine alors qu’elle aurait pu mourir aussi bêtement que cela. Terrifiée, elle l’avait été et cette même sensation vient à prendre place dans tout son être quand elle réalise qu’elle pourrait perdre Elijah si elle ne fait rien pour sauver leur couple. « Je sais parfaitement ce que tu te dis. ‘Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais.’ » Freya la sort de ses pensées par ses mots, ce qui laisse apparaitre un fin sourire sur les lèvres de la Lewis. C’est vrai que Freya en donneuse de leçons en matière de relation amoureuse est plutôt cocasse comme situation. « Je me dis surtout d’où tu sors de tels conseils, Miss Vranken » parce qu’elle trouve justement que ces derniers sont loin d’être mauvais… enfin, peut-être changera-t-elle d’avis dans quelques jours quand elle rejoindra Elijah pour lui dire qu’elle veut rester près de lui et qu’elle est prête à sacrifier un peu de sa liberté pour ne pas le perdre… « C’est vrai. Mais ce serait dommage de passer à côté d’une belle histoire. » « Je ne rentrerai pas avec toi dans quelques jours… Je vais aller à Los Angeles le rejoindre, il faut vraiment qu’on parle… Je ne veux pas le perdre, Freya. Tu as raison, je devrais le suivre… Après tout, il voyage, c’est tout ce que j’aime, je pourrais toujours m’adonner à ma passion, tout en le suivant… J’aurai les trois choses les plus importantes dans ma vie en plus : la photo, le voyage et bien sûr lui… ». Il y a une lueur d’espoir qui peut se lire dans son regard alors qu’elle prononce ces derniers mots et un sourire qui se dessine sur ses lèvres. « Merci Freya » conclue-t-elle en serrant un peu plus le bras de Freya pour appuyer ses dires.
« Attends. » Zoya est prise au dépourvu alors qu’elle tient la porte en prenant appui contre celle-ci de son dos. A cet instant, elle craint que Freya veuille faire marche arrière, ce qu’elle peut comprendre et respecter. « Je ne te remercierai jamais assez Zo’. Pour tout. Depuis toujours. Tu es la première personne à m’avoir tendu la main, à m’avoir accueillie, à m’avoir ouvert les bras. Tu m’as donné la chance d’avoir une sœur, une vraie, qu’importe les liens du sang. Et quoiqu’on trouve ce soir, au dernier étage de ce bâtiment, sache que rien ne changera pour moi. Je t’aimerai éternellement. » La photographe ne s’attendait pas à ça et cette déclaration spontanée faite par Freya la touche énormément. Elle a cette petite larmichette qui apparait au coin de l’œil alors qu’elle serre un peu plus les mains de la Vranken « Je t’aime et je t’aimerai éternellement aussi Freya. Et je sais que si Rafael se trouve là, rien ne changera entre nous… » un petit sourire malicieux apparait alors au coin de ses lèvres « De toute façon, je ne t’en laisserai pas le choix. Je compte pas te laisser avec cet inconnu » qui l’était clairement pour elle, même si Freya lui avait parlé de lui à maintes et maintes reprises et qu’elle pourrait s’autoriser finalement à dire qu’elle le connaissait « Aller, viens, on y va » dit-t-elle alors dans un murmure pour pénétrer cette fois dans le bâtiment.
« J’ai besoin de savoir. » Zoya acquiesce et laisse Freya porter ces trois coups sur la porte avant que cette dernière ne l’ouvre d’elle-même. En pénétrant à l’intérieur, c’est un endroit lugubre qu’elles découvrent, malaisant et semblant être à l’abandon… Ce que Zoya remarque surtout, c’est que les lieux sont dénués de toute présence humaine et son regard se reporte immédiatement sur Freya, sur laquelle elle pose un regard désolé et inquiet « Tu avais promis de ne pas me laisser… » Elle sent son amie flanchée, se précipite alors vers elle et retient ses cheveux comme elle le peut alors que le trop plein d’émotions a cet effet sur elle.« Je ne comprends pas… Il aurait dû être là. » . Zoya vient alors à l’encercler de ses bras, pour la retenir, ayant l’impression qu’elle pourrait s’écrouler tant la découverte est brutale et terrible « Elle avait dit qu’il serait là… ». Zoya serre un peu plus Freya contre elle, laissant échapper un « Je suis désolée, Freya… » la laissant évacuer cette frustration et cette douleur avant de l’inciter à quitter les lieux aussi vite qu’elles y étaient entrées, pour ne pas continuer à lui infliger cette vérité abjecte. « On finira par le retrouver… » je te le promets se retient-t-elle d’ajouter, parce qu’elle n’est pas certaine qu’elle parviendra à tenir cette promesse. Mais elle se fait cette promesse à elle-même, celle de tout faire pour aider Freya dans sa quête… en espérant toutefois que cela ne la détruira pas davantage…