Depuis le soir de mon retour à Brisbane de Los Angeles, j'enchaînais les nuits de travail au service des urgences, au sein duquel j'étais affecté, rigide contrepartie des jours de congé obtenus pour accompagner Penny au tapis rouge de la sortie de la série Netflix où elle se hissait en tête d'affiche. Je ne regrettais absolument pas ce déplacement, qui m'avait permis de passer des jours plus que mémorables en compagnie de la femme que j'aimais sincèrement. Par ailleurs, c'était aussi durant cette période que nous avions appris - sans certitude médicale - qu'un petit être semblait s'être installé sous son nombril. Je ne croyais pas aux faux positifs, j'étais intimement convaincu que les résultats sans équivoque qu'annonçaient les différents tests qu'avait pris Penny au fil des jours déclaraient la vérité, considérant que la jeune femme ne prenait pas de traitement particulier. Toutefois, il demeurait plus prudent qu'elle consulte un professionnel de santé à ce sujet, ce qui avait été établi alors que nous gérions cette nouvelle dans les coulisses de la célébrité de la Stringer.

Enchaîner les gardes possédait en quelques sortes un côté salvateur, car l'activité du service me permettait de me concentrer sur autre chose que l'avenir de mon couple avec Penny. L'annonce de cette potentielle grossesse me remplissait d'une joie incommensurable, bien que nuancée par une forte dose de stress. J'ignorais encore la décision de la jeune femme si le fait qu'elle portait un enfant était confirmé et je ne souhaitais pas l'influencer vers un choix comme vers l'autre, conscient que cette décision était ultimement sienne. Néanmoins, je redoutais que mes aspirations comme mon rêve d'être père que je lui avais confiés des mois plus tôt résonnent dans sa tête de manière néfaste, imposant une pression que je ne souhaitais absolument pas invoquer en elle. Et bien entendu, ma priorité demeurait que la vingtenaire se porte bien, physiquement comme mentalement, en dépit du chamboulement que créait cette nouveauté.

Je terminais d'un trait mon café alors que l'interne du service me demandait d'aller prendre les constantes d'une patiente tout juste installée dans un box. Je me retenais de pouffer en apprenant qu'il s'agissait d'une femme enceinte, comme si le destin se plaisait à me taquiner sur ce sujet. Je saisissais une feuille et m'orientais vers le box. « Bonsoir, je suis Isy l'infirmier. Je viens prendre vos constantes, » j'annonçais après avoir toqué à la porte du box et m'y être faufilé, un moment de flottement me saisissant en reconnaissant la sœur de Maddy alitée. Décidément, l'univers était en forme ce soir.

@Mabel Griffiths

« J'aurai aussi le droit à une prise de sang ? » me questionna de prime abord la future maman, dont la grossesse avait dû l'habituer aux examens de routine. Je lui offrais un sourire amical avant de hocher la tête en signe de dénégation, glissant le brassard autour du bras qu'elle me tendait machinalement afin que je puisse prendre sa tension artérielle. « Pas pour l'instant. Le médecin viendra sous peu pour vous faire une échographie, » j'informais alors que les chiffres dansaient sur le cadran lumineux. « Comment vous vous sentez ? » Je poursuivais, à l'affût des symptômes qui pourraient manquer au dossier médical de l'australienne, qui me paraissait me dévisager assez curieusement.

« Excusez-moi... Mais on s'est déjà vu quelque part, non ? » Je conservais un sourire figé sur mon portrait, élucidant ainsi que Mabel ne m'avait pas reconnu malgré notre rencontre inopinée au marché couvert de Toowong qui avait conduit à mon rôle de faux petit ami de son aînée, ce qui explicitait par ailleurs son regard insistant. A vive allure, je réfléchissais à la réponse que je formulerai à la patiente. Maddy avait-elle révélé à sa sœur qu'elle n'était en réalité pas en couple avec moi, comme elle me l'avait suggéré plus tôt ? La mascarade était-elle toujours de mise ? Devrais-je tirer profit du fait que la Griffiths ne m'avait pas reconnu et simplement indiquer que je détenais un visage familier ? Dans le doute, j'avais tendance, possiblement très naïvement, à penser que présenter la vérité était la solution - ou du moins, mentir était bien périlleux. Ainsi, j'osais finalement expliquer, optant par ailleurs pour la sobriété : « Nous nous sommes croisés, le mois dernier, au marché fermier de Toowong. J'étais avec Maddy. » Je libérais le bras de la trentenaire du dispositif médical puis fus intérieurement soulagé d'entendre l'interne en obstétrique s'inviter dans la chambre avec son échographe, prêt à s'assurer que le bébé de la blonde se portait bien malgré ses heures de passivité. Je lui listais les constantes fraîchement récupérées alors qu'il préparait l'appareil puis l'aidais à installer le matériel pour l'examen. « Vous êtes prête ? » l'interne questionna, prêt à badigeonner le ventre de Mabel du gel pour y apposer la sonde dès qu'elle le lui aura présenté.

Bien que croiser Mabel au service des urgences du St Vincent's soit plausible, cette rencontre répercutait en mon être un sentiment de profonde surprise. Derechef, je songeais au rôle de faux petit ami que j'entretenais auprès de Maddy, un poste improvisé que je m'évertuais à assurer le plus justement possible afin de soutenir mon amie. Même si nous n'avions jamais parlé à cœur ouvert des raisons qui avaient incité la Griffiths à formuler spontanément ce mensonge, tel un mécanisme de défense, je compatissais avec ses motifs, me ressassant comment à mon niveau, j'avais souffert de ne pas me sentir à la hauteur des attentes que mes proches pouvaient nourrir à mon égard.

J'indiquais à la future maman sur le fait qu'une prise de constantes suivie d'une échographie seraient conduites avant d'acter un prélèvement de son sang. La jeune femme me parut réconfortait, ce qui me fit sourire amicalement. Puis, je m'enquérais sur ses symptômes, professionnel. « Je suis juste fatiguée. Et inquiète de pas sentir bébé bouger. Mais pas d'autres symptômes » J'acquiesçais, à l'écoute, tout en enroulant le bras de l'australienne du tensiomètre. « Je comprends. Vous avez bien fait de venir, le médecin saura vous en dire plus rapidement. » J'affirmais sur un ton posé, conscient qu'ainsi, la blonde sera un minimum fixée sur ce qui se tramait sous son nombril, et je l'espérais, rassurée. Mabel n'était pas la première patiente qui se présentait aux urgences parce que l'enfant qu'elle portait était inanimé sur une certaine période de temps. Souvent, cela ne composait qu'une fausse alerte, bien que quelques fois, cette inertie relevait d'une détresse du fœtus qu'il fallait rapidement prendre en charge, s'il n'était pas déjà trop tard.

Je conservais un rictus figé tandis que mon interlocutrice s'intéressait à mon identité, une impression de déjà vu la saisissant. Je relatais notre rencontre au marché fermier de Toowong, ce qui la fit s'exclamer : « Oh, vous êtes le petit ami de Maddy ! » J'émets un léger rire amical avant de hocher la tête positivement. « Exactement. » Tel un samaritain intervenant au moment le plus adéquat à mon sens, l'interne en obstétrique entra dans la pièce après avoir toqué à la porte. Le dossier de Mabel fut discuté avant que le professionnel prépare l'échographie.

Tout en aidant mon collègue avec le dispositif médical, je ne pouvais m'empêcher de lorgner sur l'écran, songeant à ce petit être qui se logeait dans le ventre de Penny et qui ferait de nous des parents dans quelques mois. L'idée d'être père l'année prochain m'emplissait de bonheur tout comme me procurait la sensation de léviter. Une partie de mon être avait du mal à saisir tout le réel de cet événement imminent, quand bien même je demeurais conscient que nos vies changeraient drastiquement l'hiver prochain. « Il n'est pas très tonique ce soir, mais il a l'air juste bien endormi » L'interne m'extirpa de mes pensées et je souris légèrement, heureux que le bébé se porte bien. La mélodie du battement cardiaque du fœtus se fit entendre et je remarquais l'émotion gagner promptement la benjamine Griffiths. Discrètement, j'allais récupérer une boîte de mouchoirs tout en respectant ce moment privilégié que savourait la future maman.

Je profitais que l'interne poursuive l'examen tout en livrant des informations rassurantes sur le fœtus ainsi que quelques conseils avant de se proposer de répondre à toutes les questions qui pouvaient traverser l'esprit de sa patiente pour m'éclipser. Je rejoignais l'office infirmier, aidais une collègue dans la prise en charge d'un patient difficile, puis revenais sur mes pas vers le box qu'occupait Mabel, pour être informé par l'interne qu'il n'avait pu imprimer les clichés de l'échographies, faute de ruban dans la machine. Je haussais les sourcils et allais en récupérer dans la réserve, puis toquais doucement à la porte de la Griffiths. « Ca va ? » Je demandais, avant d'intégrer le ruban dans la machine afin de lui permettre d'éditer les images que l'australienne pourrait conserver à son départ du centre hospitalier. « Est-ce que vous savez si ce sera un garçon ou une fille ? Ou vous préférez la surprise ? » Je questionnais avec curiosité.

Après avoir toqué doucement à la porte du box où est installée Mabel, je m'immisce dans la petite pièce, adressant un sourire amical à la future mère dont l'angoisse a quitté bienheureusement les traits pour faire place à un indéniable soulagement, que je partage intérieurement, réjouit de cette issue. Je m'approche de l'échographe dénué de papier nécessaire à imprimer les derniers clichés du fœtus, tout en questionnant la Griffiths sur son état. « Ça va mieux. Je suis contente de savoir que tout va bien. » Mon sourire se veut plus franc et j'exprime sincèrement en acquiesçant, compréhensif : « Je suis content pour vous aussi. »  

J'entreprends d'ouvrir le dispositif médical et tout en changeant le rouleau, je me permets d'entamer une conversation avec la blonde. « On a choisi de ne pas savoir, » la trentenaire me répond lorsque je demande curieusement s'ils connaissent le sexe du bébé ou ont opté pour une surprise. « C'est... On a pas de préférence pour le sexe de toute façon. Et puis la grossesse, c'est déjà tellement médicalisé, et pour de bonnes raisons hein, mais on trouve ça cool de garder une part de mystère. » Je hoche la tête à l'affirmative, respectant et assimilant aisément ce point de vue. « Ca vous fera une autre belle surprise à la naissance, » je commente, ne pouvant m'empêcher de m'imaginer le jour où Penny et moi rencontrerons notre enfant. La jeune femme n'était qu'au début de sa grossesse, nous avions encore de multitude d'étape à franchir, dont seulement l'échographie du premier trimestre, et je trépignais intérieurement d'impatience d'accompagner la Stringer dans ce cheminement que je chérissais déjà. « Vous avez déjà choisi des prénoms ? » Je poursuis sur la même lancée curieuse, tout en enclenchant l'impression des différentes échographies.

« Vous voudrez des enfants, un jour ? » Mon regard passe rapidement de la jeune femme à l'échographe, qui développe ses clichés dans un cliquetis mécanique. Je les réceptionne avec soin, réfléchissant au retour à livrer à mon interlocutrice. J'étais conscient des problèmes de santé de Maddy, étant la source même de notre rencontre en ce même lieu, des années plus tôt. Je savais également que la jeune femme avait souhaité, dans le passé, être mère, quand bien même ses chances de tomber enceinte demeuraient tristement faibles. J'ignorais où cette aspiration se situait, désormais. « On n'en a pas encore parlé, » j'opte, cette réplique ne relevant pas du mensonge et ne nuisant selon moi pas à la mascarade que l'illustratrice et moi entretenions sur la nature de notre relation. Il ne me semblait pas curieux qu'un jeune couple ne se projette pas encore sur la fondation d'une famille. Nous n'en avions pas parlé sérieusement, Penny et moi, avant que ce bébé surprise n'apparaisse dans nos vies. « On est ensemble depuis peu, » j'argumente. « Vous saviez rapidement avec votre compagnon que vous vouliez un enfant ? » J'enchéris, manœuvrant pour détourner l'attention du faux couple que l'aînée Griffiths et moi formions. Je m'oriente vers une armoire afin d'y saisir une enveloppe puis la tends à Mabel, décrivant avec douceur : « Les nouvelles images de votre bébé au bois dormant. »

Je saisis soigneusement les clichés édités par l'échographe tout en entamant une nouvelle discussion avec Mabel, m'autorisant à assouvir ma naturelle curiosité, surtout que mes interrogations pouvaient éventuellement rendre ma présence dans la pièce moins malaisante. De plus, apprendre à connaître Mabel, sans la dynamique sororale, était enrichissant et plus révélateur. La Griffiths m'indique que son compagnon et elle ont opté pour être surpris quant au sexe de leur enfant et que l'indécision règne encore vis-à-vis du prénom que ce bébé portera. Je souris doucement, assimilant aisément la lourde tâche que représentait prénommer un être humain, sans connaître de prime abord sa position sur ce prénom ni les réactions qu'il engendrera de ses pairs lorsqu'il grandira. Certaines originalités pouvaient faire sourciller comme rendre admiratif ; des phénomènes de mode rendaient des prénoms plus communs ce qui pouvait plaire comme déplaire à leur porteur. C'était un peu un coup du destin, néanmoins, le fait que Mabel s'inquiète autant sur ce choix me laissait penser qu'elle ferait assurément une bonne mère, à l'écoute et soucieuse du bien-être de sa progéniture. « Vu vos réflexions, je suis sûr que vous ferez un bon parent, » je m'autorise à commenter. « De mon point de vue, un prénom est un très beau cadeau. C'est ce qu'on porte toujours de nos parents. Je n'ai jamais été très fan du mien en soi, c'est pour cette raison que je me fais surnommer, mais ultimement, je l'aime quand même parce qu'il vient d'eux et qu'ils l'ont choisi pour moi, » je confiais. Pour moi reposait là l'essentiel : mon prénom était une partie d'eux qui me définissait inexorablement. « Et dans le pire des cas, si vraiment ça ne lui convient pas, il pourra toujours en changer quand il aura l'âge. » Je soumettais dans une tentative - potentiellement maladroite - de dédramatiser. Bien que cette décision était radicale, j'espérais que ce rappel détenait la capacité de retirer un peu de pression chez la future mère, même si je convenais que cela pouvait aussi être blessant que son enfant décide de changer de prénom simplement parce qu'il n'adhère pas au choix de ses géniteurs. « On se dit que ce sera peut-être plus clair quand on aura le bébé dans nos bras. Peut-être qu'il y aura un prénom qui lui ira mieux qu'un autre ! » J'acquiesçais, en accord avec les paroles de la blonde. « Je connais beaucoup de parents qui se sont justement décidés une fois qu'ils avaient rencontré leur bébé, » je retalais avec un sourire amical.

Je me concentrais sur les impressions alors que Mabel enchaînait avec une question plus privée : si Maddy et moi souhaitions devenir parents. Cela invoquait que je me concentre sur le rôle de faux petit ami que j'entretenais et j'optais pour battre en retraite en signifiant simplement que nous n'avions pas spécialement abordé le sujet - ce qui théoriquement n'était pas un mensonge, pour une fois. D'autre part, nous étions censés être en couple depuis peu, ce qui me paraissait tout à fait plausible, même si le fait que la patiente fronce le nez insufflait sournoisement quelques soupçons en moi. Je réorientais le sujet sur Mabel en lui demandant si elle et son conjoint avaient rapidement su qu'ils voudraient fonder une famille. « C'est une grossesse surprise. » Je souris doucement, ne pouvant m'empêcher que celle que je vivais avec Penny possédait exactement le même qualificatif. Je glissais les clichés dans une enveloppe que je tendais à la jeune femme. « Merci d'avoir pris soin de nous » Je lui souris sincèrement en hochant la tête. « A votre service, » j'assurais avec bienveillance.