I never meant to be bad or unwell, I was just living on the edge right between Heaven and Hell. And I'm tired of it
« Caleb Jonathan Anderson ! Tu vas m’ouvrir immédiatement ! » C’est la voix de ma mère que j’entends de l’autre côté de la porte sur laquelle elle est en train de frapper sans retenue. Mais je ne bouge pas. Je reste allongé dans mon lit, elle finira bien par s’épuiser de toute façon. Je n’ai pas envie de voir ma mère aujourd’hui. Comme depuis un mois je n’ai envie de voir personne. Je passe mes journées seul chez moi et la seule personne à qui j’ouvre de temps en temps, c’est Prim. Ma mère en fait trop, ma mère m’étouffe sous ses questions et ses regards remplis de pitié et de compassion. Je sais qu’elle essaie de bien faire. Je sais qu’elle ne sait pas comment gérer la situation et qu’elle fait ce qu’elle peut. Donc je ne lui en veux pas. Même quand j’entends le double des clefs que je lui avais donné s’introduire dans la serrure pour ouvrir la porte d’entrée, je ne lui en veux pas non plus. Je l’entends rentrer, je ne bouge pas pour autant. Enfin si, je change de position, je m’allonge dos à la porte de la chambre. « Caleb? » J’entends comme une pointe d’inquiétude dans sa voix, et peut-être même une certaine angoisse et je m’en veux d’être la réponse pour laquelle ma mère n’est pas bien. Je ne mérite pas toute l’attention que ma famille me donne alors que ma mère ne mérite pas de se faire du souci pour moi. Elle mérite mieux, un meilleur fils. Raison pour laquelle, quand je l’entends entrer dans la chambre, je roule dans le lit pour m’allonger sur le dos. « Qu’est-ce que tu fais encore allongé dans le noir ? Il va être quinze heures, Caleb. » Je ne lui réponds pas, elle devra se contenter d’un soupir. « Tu as rendez-vous à l’hôpital dans une heure, je t’emmène. » Je secoue la tête, il est hors de question que ma mère m’emmène à mes rendez-vous médicaux comme si j’étais encore un enfant. « Je ne te demande pas ton avis. Tu as déjà loupé tes trois premières séances de kiné alors s’il faut que je t’y accompagne comme quand tu étais petit je vais le faire. » Je soupire encore une fois et je me frotte les yeux. « J’ai pas envie d’y aller. » Je lui réponds enfin mais je me demande si ma mère m’écoute puisqu’elle s’avance d’un pas décidé vers la fenêtre pour ouvrir les rideaux. Je ne vois que rarement la lumière du jour depuis quelque temps et les rayons de soleil me brûlent presque la rétine. « C’est important que tu y ailles Caleb. » J’hausse les épaules parce que rien n’est important pour moi en ce moment, mais cette fois je fais l’effort de me redresser dans le lit pour m’y asseoir. « J’ai pas envie d’y aller. » Je répète sur le même ton que tout à l’heure mais avec peut-être un peu plus de tristesse dans la voix. Ma mère s’assoit sur le bord du lit, elle me regarde, je le sens, mais moi je ne peux pas croiser son regard alors je fixe les draps sans un mot de plus. « S’il te plaît Caleb. Si tu ne le fais pas pour toi fais-le pour moi… » J’entends sa voix se briser à la fin de sa phrase mais je ne la regarde toujours pas pour autant. Je ne veux pas voir ma mère pleurer par ma faute mais elle a gagné parce qu’après quelques secondes je pars dans la salle de bain sans un mot. « Et on ira manger quelque part après, tu as maigri à vue d’œil. » Elle a raison, j’ai beaucoup maigri mais en même temps je ne mange quasiment plus alors ce n’est pas si étonnant que ça. Je cède, je passe sous la douche et je m’habille. C’est bien parce qu’elle m’a demandé de le faire pour elle. Quand je ressors de la salle de bain la première chose qui me frappe c’est que ma mère en a profité pour faire un peu de rangement et de ménage. Ce qui est fou, parce qu’habituellement j’aime quand tout est bien rangé mais maintenant ça n’a plus d’importance. Plus rien n’a de l’importance de toute façon. « Tu aurais pu te coiffer quand même. » Qu’elle me dit d’un air désespéré alors qu’elle passe elle-même ses mains dans mes cheveux pour y remettre de l’ordre. Mais je la laisse faire. Sans bouger. Sans rien dire.
L’hôpital. C’est la première fois que j’y retourne depuis ta mort. Et je m’en serais bien passé. Ces longs couloirs blancs qui n’ont aucune personnalité ne me rappelle que des mauvais souvenirs et c’est dans la salle d’attente que je suis installé. Je n’ai pas décroché un mot durant tout le trajet. Ma mère parle assez pour faire une conversation seule de toute façon. Je la sens angoissée, d’ailleurs, ma mère et je ne comprends pas pourquoi parce qu’elle a réussi à m’emmener là où elle voulait. Je vais la faire, cette première séance de kinésithérapie. Apparemment après l’opération que j’ai eue en urgence c’est conseillé et ça pourrait me permettre de mieux respirer. Sauf que moi je n’en ai pas besoin je n’ai aucune difficulté à respirer – c’est faux Caleb, et tu le sais très bien. – Ma mère parle et je l’écoute à moitié jusqu’à ce que j’entende quelqu’un m’appeler. Je relève la tête et je vois une jeune femme en blouse blanche qui me cherche du regard. Ça doit être elle, ma kiné je suppose. Je me lève et je vois ma mère me suivre, mais je l’arrête en me retournant vers elle. « C’est bon, je pense que je peux y aller tout seul. » Je culpabilise tout de suite, elle ne mérite pas ça, ma mère. « Attends-moi ici, c’est bon. On se voit tout à l’heure. » Mon ton est un peu plus doux et je regarde rapidement la kiné avant de rentrer dans son bureau. Je reste debout comme un imbécile en regardant avec attention la pièce. Il y a un bureau mais aussi tout un tas de machines ou d’objets dont je ne connais pas l’utilité et j’espère sincèrement que je ne vais pas avoir trop d’effort à faire. Parce que je n’en ai pas la force. Ni aujourd’hui, ni les prochains jours.
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Ma mère essaie de bien faire en venant me chercher jusqu’à chez moi pour que je me rende enfin à mon premier rendez-vous de kinésithérapie. Parce qu’elle sait que si personne ne m’y amène, je n’irais pas. Elle le sait par expérience, au début personne ne pensait que je louperais volontairement des rendez-vous médicaux mais en même temps, je ne suis même pas sûr d’avoir envie de me soigner. Non en fait, je ne veux pas me soigner. Je suis bien moi, dans mon coin, tout seul à passer mes journées enfermé dans notre appartement, fenêtres et volets fermés. Et je sais très bien que si elle n’était pas entrée chez moi tout à l’heure je serais encore allongé dans mon lit. Si elle ne m’avait pas forcé à en sortir je n’aurais encore une fois pas vu la lumière du jour aujourd’hui. Mais ça ne me dérange pas. Je ne demande pas à sortir, je ne demande pas à ce qu’on se préoccupe de moi, bien au contraire. J’ai envie de m’effacer, j’aimerais qu’on m’oublie, qu’on tire un trait sur moi une bonne fois pour toute, comme je le mérite de toute façon. Je ne mérite ni plus ni moins et je ne veux rien de plus non plus. Installé à côté de ma mère dans la voiture, je ne dis rien. Aucun mot ne sort de ma bouche durant tout le trajet. Je mets simplement ma capuche de mon sweat sur la tête, je ferme les yeux et j’aimerais plus que tout m’endormir jusqu’à ce que la douleur que je ressens constamment se soit atténuée. M’endormir pour ne plus jamais me réveiller, parce que c’est bien la seule alternative à la douleur et au poids que j’ai sur les épaules actuellement. Ma mère parle un peu. Moins que d’habitude mais toujours un peu. Elle me pose des questions mais je ne lui réponds pas pour autant. Mes yeux restent clos, je garde la capuche sur la tête et je ne réponds à aucune de ses questions et pour être totalement honnête c’est à peine si je l’écoute. Je la laisse parler en espérant que le son de sa voix m’endorme mais c’est un échec, malheureusement, parce que je sens la voiture s’arrêter, j’entends ma mère descendre de la voiture et c’est seulement en l’entendant que j’ouvre les yeux pour m’apercevoir que nous venons d’arriver. Je me redresse dans la voiture, et quand je regarde le grand bâtiment de l’hôpital je sens mon cœur se serrer et les larmes qui montent presque instantanément aux yeux. J’ai des flashs violents et tout un tas de souvenirs négatifs qui remontent d’un coup à la surface. C’est dans ce bâtiment, entre ces murs que Victoria s’est battue pour sa vie, en vain. Il me faut quelques minutes pour descendre de la voiture et accepter de rentrer à l’hôpital. Mais je ne dis toujours rien.
Dans la salle d’attente, ma mère a toujours quelques petits mots pour moi, elle me propose une bouteille d’eau ; je refuse. Elle me propose une canette de soda ; je refuse. Elle me propose un petit gâteau ou des bonbons au distributeur ; je refuse également. Toujours sans un mot me contentant de secouer la tête pour marquer mes refus. Les premiers mots que je lui adresse depuis que nous avons quitté mon appartement sont quand je lui demande de me laisser entrer seul dans le bureau de la kiné. Ce que je fais, sans en avoir envie pour être tout à fait honnête. Mais j’entre dans le bureau sans me retourner une seule fois et j’ôte ma capuche avant de m’installer sur la chaise désignée par la kiné. « Bonjour Monsieur Anderson, comment vous sentez-vous aujourd'hui ? » Question pourtant simple et basique mais qui m’agace. Tout va bien oui, parfaitement bien. J’ai juste envie de crever mais ça va. Bien entendu que je ne lui réponds pas ça et je ne relève même pas le regard vers elle. Le contact visuel est très compliqué pour moi ces derniers temps. Je fais trembler ma jambe et je me contente d’hausser les épaules. « Je vois que vous avez manqué vos trois premières séances, avez-vous vu quelqu'un ou au moins fais les exercices de respirations que l'on vous a conseillé à votre sortie ? » Son ton de voix est doux et bienveillant, mais pourtant j’ai tout de même l’impression de me faire engueuler ou du moins, que sa question cache derrière un reproche. Effectivement, je ne suis pas venu à mes trois premières séances et je suis presque sûr qu’elle doit se douter de la réponse que je vais lui apporter. Toujours pas de réponse verbale mais je secoue ma tête de gauche à droite, sans la regarder. Certainement de peur de voir du jugement dans son regard ou pire encore, de la pitié. « Avez-vous des problèmes pour respirer, des essoufflements fréquents ? Des douleurs quand vous toussez ? » Elle pose beaucoup de questions, cette kiné, moi qui pensais que je serai tranquille et sûrement pas obligé de parler. Moi qui voulais rester passif, sans avoir à être trop présent ou trop impliqué dans cette séance. Je ne sais pas combien de temps elle attend la réponse à sa question mais je réunis le peu de force qu’il me reste pour la première fois relever le regard vers elle. Pas trop longtemps parce que je sens que les larmes sont au bord de mes yeux et prêtent à couler à tout moment. « Quelque fois, oui. » J’attends encore un peu et de nouveau je relève les yeux vers elle quelques secondes, puis mon regard glisse sur sa blouse sur laquelle il est écrit son nom. Sofia Shaw. Je renifle et prends une grande inspiration difficilement – à cause de l’angoisse ou bien à cause des séquelles de l’accident, je n’en sais rien. – Je montre du doigt mes poumons avant de reprendre la parole. « Ça me fait mal quelque fois. » Je lui avoue, doucement alors que mes yeux se posent sur elle, jamais trop longtemps, juste quelques secondes.
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Je n’ai pas envie d’être ici, et il ne faut pas être un génie pour le comprendre. Si ma mère ne m’avait pas traîné dans cet hôpital je serais sans aucun doute encore allongé dans mon lit. C’est peut-être ça aussi le problème et c’est sûrement la raison pour laquelle ma mère a décidé de prendre les choses en mains. Je la remercierai, plus tard. Si plus tard, il y aura, parce que rien n’en est moins sûr. Il y a ces idées sombres dans ma tête, des idées qui me font peur. Le genre de pensée que je n’ai jamais eu auparavant mais maintenant sans Victoria la vie me semble beaucoup trop fade. Installé dans le bureau de cette kiné, la tête baissée comme un enfant les mains sous son bureau, je l’écoute me parler mais en même temps mon esprit est ailleurs. Mes doigts jouent entre eux et je regarde à nouveau sa blouse sur laquelle est noté son nom. « Quelques fois des douleurs ou des problèmes pour respirer ? » Elle pose beaucoup trop de questions, Sofia, ça me donne presque mal à la tête. Je ne suis pas en état psychique pour répondre à un petit interrogatoire. Je ne réponds pas tout de suite, alors que je pourrais parce que j’ai bien la réponse à sa question mais c’est comme si mon esprit avait besoin de se concentrer pour y répondre. Mais pour ça, mon corps a besoin d’énergie et ça, je n’en ai pas du tout. Je finis tout de même par déglutir pour lui répondre. « Les deux. » Deux mots prononcés, à peine audibles mais ils ont au moins le mérite d’exister. Des douleurs et difficultés pour respirer ne sont pas réellement étonnantes quand on se souvient qu’une de mes côtes s’est cassée pour venir transpercer mon poumon droit. « C'est assez courant dans ce genre de situation les douleurs et ça peut être géré, mais ça prouve que votre corps ne se remet pas totalement encore et que vous avez besoin de ces séances. » Est-ce que mon corps va pouvoir s’en remettre totalement un jour ? Est-ce que je vais m’en remettre totalement ? Elle me dit que j’ai besoin de ces séances et si dans l’absolu elle a raison, ce qu’elle oublie – ou plutôt ce qu’elle ne sait pas – c’est que moi, je ne veux pas de ces séances qui ont été mises en place pour m’éviter des séquelles plus graves dans le futur, tout simplement parce que je ne l’imagine plus, ce futur. Pas sans la femme de ma vie. Je reste mutique, je ne dis rien et si j’ai relevé les yeux tout à l’heure ils sont de nouveau baissés. J’ai mal. J’ai tellement mal. Je ne parle même pas de cette douleur physique mais de l’autre souffrance. Celle qui ne se voit pas, celle dont moi seul peut mesurer l’importance. Je sens mes yeux se remplir de larmes et je chasse d’un geste rapide une larme qui coule le long de ma joue. Je pleure tout le temps, en ce moment, aussi une des raisons qui me pousse à rester chez moi. À rester chez nous. « Caleb. » Je lève mes yeux rougis vers elle. « Je comprends que pour le moment votre santé ne soit pas votre priorité, vous n'êtes pas le premier qui refuse les soins et vous ne serez pas le dernier, mais vous devez comprendre que c'est pourtant maintenant qu'il faut que vous preniez soin de votre corps ou vous risquez de garder des séquelles à vie. Si vous ne prenez pas la mesure de l'importance des séances et de l'importance de la rééducation vous pourriez finir par perdre définitivement une partie de votre capacité pulmonaire » J’hausse les épaules parce qu’à ce moment précis, la possibilité de perdre une capacité pulmonaire m’est égale. « Mon travail c'est d'éviter que vous finissiez sous oxygène avant vos quarante ans et je vais tâcher de prendre soin de vous le temps de nos séances, mais pour ça je vais avoir besoin de votre participation, ou au moins votre présence aux prochaines séances. Est-ce que je peux compter sur vous pour ça ? » Elle est douce, Sofia. Elle me parle avec gentillesse et ave empathie. Elle essaie juste de faire son travail et je l’en empêche en agissant comme un enfant à qui on a refusé de céder à un caprice. Je la regarde toujours, j’essaie de prendre une grande inspiration mais comme depuis mon opération quelque chose me bloque et m’en empêche. « J’essaie. Je vous assure que j’essaie. » Que je lui avoue, comme un véritable aveu de faiblesse dont j’ai presque honte. « Mais c’est dur. » Aveu de faiblesse x2. Sauf qu’elle s’en fout de tout ça. Je lui parle alors qu’elle n’est pas ma psychologue, son travail c’est simplement de me remettre sur pieds physiquement et non psychiquement. Je me frotte le bout du nez alors que je commence à bouger un peu sur ma chaise. Je déglutis avec difficulté. « Je vais essayer. » Ce n’est pas une véritable promesse que je lui fais parce que je sais que je ne tout simplement incapable de tenir le moindre engagement en ce moment. Je ferme les yeux quelques secondes pour laisser mes doigts venir se frotter doucement contre mes paupières. « Vous faites des séances à domicile ? » Paradoxalement cette courte question est de loin la phrase la plus longue que j’ai prononcée depuis que je suis entré dans son bureau et que je me suis installé face à elle. « Parce que c’est trop dur de revenir ici. » Je lui ai dit que j’allais essayer de ne plus louper aucune séance et je vais réellement faire tout ce qui est en mon pouvoir pour m’y tenir, mais c’est ici que ma femme a perdu la vie et remettre les pieds dans cet hôpital est un véritable enfer Alors je me dis que peut-être que si elle pouvait se déplacer, ce serait plus simple pour moi.
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Elle ne juge pas, ou du moins, elle n’a pas l’air de me juger. Pourtant elle le pourrait, parce qu’elle connait mon histoire et elle sait que si ma fiancée est morte j’en suis le principal responsable. Moi je me juge. Moi je me déteste. Moi je ne peux plus me regarder dans un miroir. J’ai mal, j’ai du mal à respirer et ça dans tous les sens du terme. Raison pour laquelle ma mère m’a poussé à venir ici. J’ai subi une intervention chirurgicale importante je suis passé à côté de la mort et cette solution aurait été bien plus apaisante pour moi. Je m’en veux d’avoir ce genre de pensée alors que ma mère se trouve dans la pièce d’à côté et qu’elle est morte d’inquiétude pour moi. Ça aurait été difficile pour elle, pour mon père et pour mes sœurs mais égoïstement ça m’est égal. Parce qu’à l’heure d’aujourd’hui c’est moi qui suis en souffrance et je ferais tout ce qui est possible pour que tout cela cesse. Je ne parle pas de la douleur physique qui est pourtant bien présente, mais celle que personne ne voit, celle dont je suis le seul à me rendre compte ; la souffrance psychique. « Vous avez été sérieusement blessé pour le moment vous êtes affaibli et je comprends que tout doit vous semblez dur voir même impossible à surmonter. Mais, c'est déjà bien d'essayer, vous êtes ici aujourd'hui c'est un premier pas important que vous avez fait. » Si je suis ici aujourd’hui ce n’est pas pour moi mais pour ma mère. Si je suis ici aujourd’hui ce n’est pas parce que je l’ai voulu mais car ma mère ne m’a finalement pas laissé le choix. Je ne lui réponds pas me contentant simplement de baisser les yeux me torturant ainsi les doigts sous son bureau. « Ça peut arriver, c'est assez rare mais ça arrive pour les patients qui ne peuvent pas se déplacer. » C’est rare mais pas impossible, mais quand elle ajoute ensuite qu’elle ne se déplace que pour les personnes qui ne peuvent pas venir jusqu’ici je comprends bien vite que si je veux m’investir dans cette rééducation – non – je vais devoir m’obliger à mettre les pieds dans ce lieu qui représente tout simplement l’enfer pour moi. J’hoche positivement la tête, déjà résigné. Physiquement je suis en capacité de me déplacer mais psychologiquement c’est bien plus compliqué. Je trouve ça injuste, parce que je constate que même aux yeux du monde de la santé la détresse psychique ne semble pas être tout aussi importante que la douleur physique. Je ressens actuellement les deux et croyez-moi, bien que mes poumons et côtes cassées me fassent souffrir ce n’est rien comparé à ma souffrance mentale. « Je comprends, je vais voir pour mettre ça en place au moins pour les trois, quatre premières séances, et si je viens vous n'aurez pas d'autres choix que de me laisser prendre soin de votre santé. » Juste pour les premières séances et pour le reste je vais devoir me faire violence et venir à l’hôpital. Je ne peux pas lui en demander plus, c’est déjà pas mal ce qu’elle me propose. Je relève les yeux vers elle après quelques secondes de latence je prends une profonde inspiration et lui réponds. « Merci beaucoup. » Elle a raison, au moins si elle se déplace je n’aurais pas d’autre choix que de m’investir dans les séances. « Est-ce que vous voyez quelqu'un pour vous accompagner depuis l'accident ? » Ce n’est pas faute de m’avoir proposé à plusieurs reprises une aide psychologique lors de mon hospitalisation, sauf que ; « Non. » cette aide je l’ai toujours refusée. Ridicule, me direz-vous et c’est très certainement la vérité. Un mot qui me définit à la perfection d’ailleurs. Je suis ridicule, con, bête, et en ce moment surtout pathétique. « J’en ai pas besoin, je vais bien. » Ça c’est la version officielle que je ne cesse de répéter à tout le monde. Tout va bien, ne vous inquiétez pas pour moi. Je vais bientôt recommencer le travail et reprendre ma vie d’avant. Ne vous en faites pas je me sens parfaitement bien. Pas franchement crédible je le sais, je m’en rends parfaitement compte mais c’est ainsi que j’ai décidé de rassurer mon entourage. Le pire c’est qu’au fond de moi je sais que j’en aurais cruellement besoin, mais je pense que je ne me sens pas encore prêt de m’avouer ce genre de choses. « Puisque vous êtes là, vous acceptez que l'on commence la rééducation ? » Elle prend son temps mais fini tout doucement par entrer dans le vif du sujet, la raison pour laquelle je me retrouve installé en face d’elle dans son bureau aujourd’hui. Je me mordille la lèvre inférieure et commence à regarder partout autour de moi, un peu comme si je cherchais la réponse à sa question alors que celle-ci est toute trouvée. Je lui fais oui de la tête. Un petit oui hésitant et pas franchement très franc mais il est tout de même présent et oui, je suis prêt à enfin commencer ma rééducation. Je me lève et la suit jusqu’à la table d’examen sur laquelle je m’assois dans un premier temps. Je reste immobile ne sachant pas vraiment quoi faire. « Je dois enlever mon t-shirt ? » Je sais que Sofia m’avait rapidement expliqué comment les séances allaient se dérouler quand je l’ai rencontrée pour la première fois à l’hôpital mais je ne me souviens plus de rien. Je n’y prêtais sûrement pas assez attention, je venais d’apprendre que ma femme n’était plus parmi nous donc je pense avoir une excuse valable, non ? Moyennement emballé par l’idée de me montrer torse nu face à une autre femme et surtout lui montrer certaines ecchymoses encore présentes sur mon corps sans parler de la grande cicatrice que je garderai certainement à vie. Mais j’accepte de m’investir correctement aujourd’hui. « Vous êtes mariée ? » Que je lui demande alors que ça ne me regarde absolument pas, mais si elle est en couple, amoureuse voire même mariée elle pourrait essayer d’imaginer la douleur que je ressens alors que la femme de ma vie est morte.
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« Je connais quelques professionnels spécialisés pour accompagner les gens dans les périodes de rupture de vie. » Des professionnels spécialisés pour accompagner les gens dans les périodes de rupture de vie, ou bien une jolie manière de me dire qu’elle aimerait me donner les coordonnés de collègues psychologues. Sofia n’est pas la première personne à me proposer ou plutôt, à me suggérer de prendre soin de ma santé mentale en allant voir un professionnel de cette branche de la médecine. Mais je n’en ai pas besoin et surtout, je n’ai pas envie de m’asseoir dans le bureau d’un inconnu dans le simple et unique but de parler de moi et de ce qui me fait atrocement mal depuis quelques semaines. « Vous pourriez parler de la raison qui fait que vous n'êtes pas venu aux premières séances et de votre rapport à ce lieu. » Je secoue à la négative la tête. Je pense qu’il n’est pas difficile de comprendre les raisons qui m’ont poussées à ne pas honorer mes premières séances de kinésithérapie, et qu’il ne faut pas non plus être un génie pour saisir que mon rapport à ce lieu est catastrophique et principalement lié au deuil, à la perte de la personne la plus importante de ma vie. « Même si vous n'en avez pas besoin aujourd'hui, je peux vous donner les coordonnées de certains si vous changez d'avis. » Non je n’en ai pas besoin aujourd’hui et je doute en trouver la nécessité dans quelques jours voire semaines. Sauf que si plusieurs personnes me suggèrent cette possibilité peut-être qu’il s’agit même de la solution à tous mes problèmes ? Ou du moins un moyen de se décharger et d’essayer de comprendre comment avancer dans la vie après un tel traumatisme. Encore faut-il en avoir envie et ça, pour moi c’est une toute autre histoire. Moi je suis fatigué. Fatigué de me réveiller tous les jours dans un véritable cauchemar qu’est devenu ma vie. Fatigué de devoir faire semblant pour ne pas inquiéter mes proches mais il faut croire que même pour ça j’ai pitoyablement échoué quand on voit l’inquiétude dans le regard de ma mère. Je me redresse un peu sur ma chaise, sans aucun mot. Je comprends les mots de ma kiné, je les comprends vraiment mais ce n’est pas pour autant que j’accepte la main qu’elle tend vers moi. Je préfère me laisser couler. Encore et encore. Parce qu’après tout, c’est simplement ce que je mérité.
À défaut de refuser les soins psychiques qu’on me propose je finis enfin par céder concernant les soins physiques. Les soins d’un corps que j’appréciais déjà bien trop peu avant cet accident mais qui risque d’être encore plus difficile à regarder dans un miroir aujourd’hui. Je m’assieds sur la table de soin, le dos pas bien droit et les épaules complètement tassées. Un peu comme si mon corps reflétait aussi mon état d’esprit actuel. « Pour cette séance oui après rassurez vous pour les autres ça ne sera pas toujours le cas, j'ai besoin de faire un examen général pour adapter au mieux mes pratiques et éviter que ça soit trop douloureux pour vous. » Qu’on se le dise, je n’ai jamais aimé montrer mon corps à qui que ce soit, encore moins aux femmes face à qui je me suis toujours senti clairement inférieur. Mais aujourd’hui c’est différent. Aujourd’hui je dois ôter mon t-shirt devant une femme que je ne connais pas, et c’est sans aucun doute bête de ma part mais c’est une chose à laquelle je n’avais pas pensé avant de m’installer ici-même quelques secondes auparavant. Quand je finis par lever les bras pour enlever le tissus la douleur me fait fortement grimacer. Les ecchymoses sont encore assez nombreuses et les cicatrices aussi. Elles risquent de se voir pendant un long moment, voire même peut-être jusqu’à ma mort. Quand les mains de la kiné se posent sur mon torse j’ai un léger mouvement de sursaut. C’est étrange de me laisser toucher par une autre femme que Victoria bien que le contexte soit drastiquement différent. Je la laisse mener son examen dans le silence, quelque fois je tousse en grimaçant un peu toujours à cause de la douleur. « Je l'ai été pendant plus de cinq ans, mais je suis divorcée depuis un an. » Elle a l’air pourtant jeune pour s’être mariée et puis divorcée quelques années après. Réflexion stupide quand je me souviens que finalement, moi je suis veuf avant même d’avoir trente ans. Comme quoi l’âge ne veut absolument rien dire. Je lève les yeux vers elle quelques secondes. « Je suis désolé. » Je ne suis pas coupable de son divorce mais je suis désolé qu’un homme lui ait fait du mal. Je suis chacune de ses instructions ; quand elle me demande de lever les bras je le fais, et je grimace, quand elle me demande de me redresser, je le fais, quand elle me demande de respirer de telle ou telle façon je le fais. Ou du moins, j’essaie de le faire parce que certains mouvements de la cage thoracique sont extrêmement douloureux. « On était ensemble depuis huit ans. Ça faisait combien de temps que vous étiez ensemble ? » C’est bête, j’aurais dû me douter qu’elle veuille me retourner la question mais pourtant cette possibilité ne m’a pas effleuré l’esprit. « Cinq ans. » Ça paraît presque peu à côté de sa relation à elle. « On devait se marier en mai. » Elle s’en fiche. Pourquoi est-ce que je lui dis ça ? Peut-être parce que je me rends compte que finalement j’ai besoin d’en parler bien que ce soit atrocement douloureux. « Je vais poser ma main sur votre ventre et vous demander de respirer profondément, ça risque de faire un peu mal, ça va aller ? » J’hoche positivement la tête et quand sa main se pose son mon ventre je prends une profonde respiration. Ou du moins j’essaie, parce qu’elle avait raison ça fait mal et ma respiration se bloque même en mi-chemin et je me mets à tousser plusieurs fois. « Désolé. » Je m’excuse encore inutilement et je tousse encore une fois en grimaçant. « Ça va être douloureux combien de temps ? »
I never meant to be bad or unwell, I was just living on the edge right between Heaven and Hell. And I'm tired of it
« Ne le soyez pas, le divorce c'était ma faute. » Je ne la questionne pas davantage, après tout ça ne me regarde absolument pas. Elle était mariée mais aujourd’hui elle ne l’est pas, elle est divorcée mais au moins elle a pu connaître au bonheur du mariage. La vie en a décidé autrement pour moi. J’ai demandé en mariage à Victoria, elle a accepté et nous devions nous marier dans deux mois. Contrairement à la kiné je n’ai pas connu le jour J, l’excitation et le stress que cela doit engendrer. Je n’ai pas pu voir Victoria s’avancer vers moi dans sa belle robe blanche, je ne sais même pas à quoi ressemble la robe qu’elle avait choisi celle qu’elle devait porter. Est-ce que j’ai le droit de m’en plaindre ? Non. Parce que tout ça, c’est ma faute. Parce que c’est moi qui conduisais, parce que c’est moi qui suis à l’origine de l’accident. Je l’ai cherché et toute la douleur immense et insoutenable que je ressens aujourd’hui, je la mérite. Ce sont les paroles qui tournent en boucle dans ma tête depuis des jours. Je ne peux pas me plaindre, je ne peux pas montrer ma douleur aux autres et je dois prendre sur moi. Certainement en partie pour ça que je ne veux voir personne depuis l’annonce de la mort de Victoria. Je n’ai pas encore la force de faire semblant, de sourire afin de montrer à mes proches que je vais bien. Je ne vais pas bien, de toute façon, mais tu l’as mérité Caleb. Tout ça c’est de ta faute. Tu mérites tout ce qu’il t’arrive.
Contre toute attente, avec la kiné, je parle. Alors qu’elle n’est pas là pour ça et soyons honnête ça ne doit pas franchement beaucoup l’intéresser. Mais elle est polie, elle ne dit rien et même si je ne suis pas très loquace elle me laisse m’exprimer comme bon me semble et je sais que je lui en serai longtemps reconnaissant pour ça. « Vous vous êtes rencontrés comment ? » Mes yeux se lèvent sur Sofia et dans mon regard elle pourra sans aucun doute y apercevoir toute la douleur que je ressens. Est-ce que je suis prêt pour ça ? Est-ce que je peux lui parler de ma rencontre avec la femme de ma vie sans m’effondrer en larmes ? Je sens toujours cette boule dans la gorge prête à éclater à tout moment. J’attends. Je ne lui réponds pas tout de suite, non. Je réfléchis d’abord. Pourtant je me souviens de notre rencontre comme si c’était hier. C’était sûrement la première fois depuis l’abandon de mon ex qu’une femme semblait s’intéresser à moi. Enfin je veux dire vraiment s’intéresser à moi et à la personne que j’étais. J’étais fermé au début bien que très vite sensible à son charme, si j’étais partie en France ce n’était pas pour faire des rencontres mais simplement pour le travail. Sauf qu’il a fallu une seule soirée pour que je me rende compte qu’elle ne me laissait clairement pas indifférent. Il y avait une énorme différence culturelle qui créait des incompréhensions fréquentes entre nous et tout de même une certaine barrière de la langue. Je parlais français pas parfaitement, elle parlait anglais, pas parfaitement non plus mais elle m’a appris sa langue natale et j’ai fait de même. C’est après de longues secondes – minutes ? – que je finis enfin par lui répondre. « À Paris. En France. Dans un café, c’est elle qui est venue me parler. Elle est française – » j’aurais pu continuer à parler mais je me stoppe en réalisant une mauvaise utilisation du temps dans ma phrase. «…était.» que je souffle doucement en baissant les yeux. Parler d’elle au passé, je crois que je ne suis pas encore prêt pour ça et ce lapsus ne fait que le prouver. S’il y a autre chose dont je n’étais pas prêt c’est bien ces séances et les douleurs que cela engendre. Mon cœur est malade, mon corps est abîmé mais ce n’est rien comparé à la douleur que je ressens dans ma tête. « Ne vous excusez pas, c'est pas de votre faute. C'est plutôt à moi de m'excuser de vous avoir fait mal, je ne suis pas une tortionnaire rassurez-vous, je pends pas de plaisir à vous voir souffrir. » Je remarque sa tentative pour alléger l’atmosphère mais pourtant je n’y suis pas très réceptif. Je ne souris pas. Je ne ris pas depuis l’accident. Je n’ai pas souris depuis la dernière fois que Victoria m’a parlé et je ne suis pas sûr d’y arriver à nouveau. Pas sans elle à mes côtés. « Ça dépends un peu de vous Caleb. Je vous cache pas que les premières semaines risquent d'être douloureuses, vous avez des séquelles importantes, mais plus vous serez impliqué dans vos séances et dans les exercices de respirations que je vous donnerais à faire, moins la douleur sera forte, et si vraiment c'est trop douloureux, il faut pas hésiter à prendre les médicaments qu'on vous a prescrits. » Mes sourcils se froncent légèrement alors que je fixe un point fixe dans le vide n’osant pas la regarder dans les yeux. Je ne prends pas les médicaments qu’on m’a prescrit et pourtant croyez-moi quand je vous dis que la douleur physique est très présente mais je n’ai pas le droit de prendre un traitement pour soulager ces douleurs, qui, au quotidien me rappellent ô combien je ne mérite pas d’être en vie. « Je sais que c'est difficile pour vous, mais croyez moi quand je vous dis que vous avez besoin de ces séances. Si vous acceptez je voudrais que pour les deux prochaines semaines vous ayez trois séances par semaines, ou au moins deux. Je ferai en sorte d'organiser les séances à votre domicile, est-ce que vous seriez prêt à accepter ça ? » J’ai l’impression de sentir cette boule dans ma gorge grossir et des larmes me monter aux yeux. Je n’ose toujours pas la regarder. Je renifle et essuie d’un revers de la mien une larme qui s’est échappée. « Je vais essayer. » Je ne suis pas sûr d’y arriver, mais je peux au moins tenter d’être assidu dans mes séances.