Ma journée a mal commencé. Commencer par une panne de réveil est pas le meilleur moyen pour entamer une journée. Je me suis faite avoir bêtement. Le coup classique du « Encore cinq minutes. » en éteignant mon alarme. Trop naze, je n’ai pas pensé à la répéter. Résultat, j’ai rouvert les yeux une demi-heure plus tard. J’ai bondi de mon lit en découvrant l’heure. J’ai tenté de rattraper ma boulette de mon mieux. J’ai zappé mon petit déjeuner. Je me suis limitée à un café englouti sur le pouce quand même. Je me suis lavée seulement mon visage. La douche attendra ce soir. J’ai laissé mes cheveux en bataille remplis d’épis faire leur vie. Ça me va bien. Ça colle à mon style rebelle alors ça prouve juste que j’ai la tête dans le cul. Niveau fringues, je me suis pas prise le chou non plus. J’ai enfilé ma jupe de la veille ; j’ai attrapé le premier débardeur propre dans mon armoire, noir et un peu trop long pour ma taille avec un « Women rule the World » inscrit à hauteur de ma poitrine ; et j’ai sauté dans ma paire de baskets. J’ai quitté mon appartement avec vingt minutes de retard sur mon planning. J’ai grappillé dix minutes. Il m’est impossible de grappiller les vingt minutes restantes pendant le trajet aux studios d’enregistrement. Par contre, je pense être capable d’en récupérer la moitié avec ma conduite.
J’ai été méga optimiste. Je suis prisonnière de la circulation. Je me retrouve bloquée derrière un 4x4. Son chauffeur semble pas savoir où se situe la pédale de l’accélérateur tant il roule lentement. Avoir autant de puissance sous le capot pour pas avancer est un gâchis. Encore un kéké qui veut se la raconter à tous les coups. Comme si une bagnole reflétait la personnalité. Bref. Vue l’étroitesse des rues, il m’est impossible de le doubler sans mettre en danger les voitures qui arrivent en face. Je me contente de pester dans mon habitacle. Agacée, je suis tentée de le pousser. Il a de la chance que je tienne à ma voiture. Je veux pas l’abimer. Sans être matérialiste, je l’aime ma petite citadine. Sans compter que sa taille est idéale pour se garer en ville. Je joue des insultes et du klaxon. Ça fait pas avancer plus vite la voiture de devant mais ça me défoule. Le conducteur me rend mes noms d’oiseau. Je réplique d’un doigt d’honneur. Hors de question que je me laisse faire par un branleur de mec. Je suis une véritable furie au volant. Au bout d’une éternité à mes yeux, il finit par tourner à droite et me libérer la route. Évidemment sans mettre son clignotant. Je lui offre un ultime lever de majeur avant qu’il disparaisse de mon champ de vision. Bon débarras et à jamais !
Avec ce blaireau, mon retard a pas diminué. Je vais me faire chambrer à mon arrivée. Je suis tellement à cheval sur la ponctualité dans le boulot que mes musiciennes vont pas me rater. Je les entends d’ici me vanner. C’est de bonne guerre. Je m’active quand même. Moins je serai en retard, moins je donnerai d’eau à leur moulin. Complétement excédée par le gus précédent que j’en oublie la base de la conduite : regarder devant soi. J’aperçois que trop tard cette personne qui s’engage sur le passage piéton. Je me lève sur mon frein. Je stoppe ma course avant de l’écraser. Par contre, il y a eu un choc malgré tout. Et la silhouette n’est plus visible et est tombée par terre. Quelle poisse ! C’’est vraiment pas mon jour. Nullement fataliste, je suis proche de croire qu’il est écrit quelque part que cette journée devait être horrible. Et dire qu’on est encore que le matin. Ça promet. J’y réfléchirai plus tard. J'ouvre ma portière, je descends de ma voiture et accours aux côtés de ma victime. « Je suis sincèrement désolée. Ça va ? Rien de cassé ? », lance-je à la blonde au sol. A priori non. De visu, elle semble entière. Je remarque aucune fracture en tous cas. Je lui tends ma main pour l’aider à se relever. Le tout accompagné d’un large sourire pour me faire pardonner.
“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.” – @Regan Kelly
Il y a des journées comme celle-ci qui s’annoncent sans accro. La sonnerie du réveil n’est ni trop forte, ni trop faible. Pas envie de balancer le téléphone à travers sa chambre. Elle n’a pas perdu sa chaussette gauche ; oui, elle dort avec des chaussettes en pilou, elle a le droit, elle est célibataire. Baloo ne lui hurle pas dessus ou manque de la faire tomber pour lui réclamer son petit déjeuner. Il lui faut moins de dix secondes pour trouver la température idéale pour sa douche : elle bataille d’habitude de longues minutes. Hiiiii trop froid. Houuuuu trop chaud. Non, aujourd’hui, elle a rapidement trouvé la température idéale. Parfait. Niamh a même le temps de prendre un café avant de prendre la route : il y a vraiment des jours qui s’annoncent sans accro. Elle sourit à son reflet tout en gonflant la poitrine. Pas de doute, aujourd’hui va être une journée parfaite. Elle ferme la porte de son appartement et l’ascenseur est arrêté à son étage : encore un gain de temps ! Mais dis donc, cela ne va pas s’arrêter ou quoi ? L’enthousiasme se fait de plus en plus grand, car elle est persuadée que les bonnes nouvelles ne font que commencer. Il est même pas midi qu’elle a déjà le sentiment de flotter sur un petit nuage.
Elle ne loupe pas son bus qui la déposera en centre ville où elle continuera son chemin à pied. Aujourd’hui, elle ne bosse pas et compte bien profiter de cette journée pour prendre du temps pour elle. Depuis la rémission officielle de son cancer, elle se place dans le top 3 des priorités et cela lui fait un bien fou. Il aura fallu attendre la trentaine pour se placer dans le top trois ; pathétique mais il y en a qui n’y arrive jamais. Un coup d’oeil à son téléphone, elle en profite pour envoyer un message à Joy et lui dire qu’elle aime. Comme ça. Sans aucune raison. Ou si, la seule raison, c’est qu’elle l’aime. Pas besoin de plus. Plaçant son téléphone dans son sac à main, elle jette un coup d’oeil à droite et à gauche. La voiture est suffisamment loin - elle se trombe, évidemment - pour franchir la route sur le passage piéton. La conductrice, le conducteur a dû la voir. Non ? Non ? Elle commence à douter quand elle entend toujours la voiture rouler et qu’elle se fige avant de se faire percuter par cette dernière. Les paupières closes, son réflexe a été de fermer les yeux et de lever les mains. Comme lors d’un braquage. Bien joué, Niamh.
Étalée sur le sol dans la position la plus élégante du monde, elle marmonne un juron quand les regards se tournent vers elle. Qui a dit que la journée s’annonce sans accro ? Le voilà le putain d’accro qui vous casse l’ambiance. Elle se redresse doucement tout en rassemblant les quelques affaires qui se sont échappées de son sac à main. Apparemment, elle est en vie. Elle peut bouger les mains, les jambes. Elle peut respirer. Elle se fait percuter par une voiture et s’en sort indemne : peut-être que la journée reprend une bonne direction ? Prenant appui sur une main, elle saisit néanmoins celle qu’on lui tend pour se relever et se tapoter les fesses comme pour enlever l’imaginaire saleté. « Je suis sincèrement désolée. Ça va ? Rien de cassé ? » Elle lui tient toujours la main quand elle prononce ces mots. La bouche bée, les sourcils froncés, le choc. Elle ne lui lâche pas la main mais penche la tête sur le côté, silencieuse. Elle essaie de placer ce qui est en train de se produire dans le bon ordre. Mais tout ce qui parvient à s’échapper de ses lèvres est : « Bordel de merde ! » Un rire nerveux car elle la reconnaît. Elle lui lâche finalement la main avant de secouer négativement d’un signe de tête. « Non non non — je crois pas. Je crois que ça va. »
A avoir une conduite aussi nerveuse, un accident allait forcément m’arriver un jour. Je trouve d’ailleurs miraculeux qu’il me soit pas arrivé plus tôt tant je suis une folle du volant. En onze ans de permis, j’ai pas eu un seul accrochage sérieux. La carrosserie de ma Ford a tout de même quelques petites éraflures dues à des coups de portières et des frottements de pare-chocs reçus de-ci de-là. Des égratignures classiques pour une bagnole. En plus, je suis pas toujours la responsable. Je suis pas si terrible que ça en vrai. Niveau langage, j’admets être insupportable. Sinon, je prends pas de risques insensés non plus. Je fais aucune manœuvre dangereuse comme griller un feu ou doubler sur une ligne continue. Mon péché mignon concerne la vitesse. J’ai tendance à me croire partout sur un circuit de course, même en centre-ville. Si la limitation est basse en agglomération, c’’est pas pour m’emmerder. C’est qu’il y a des gens dans les environs. Mon incident me le rappelle brutalement. Cette femme a fait les frais de mon comportement. Je suis terriblement mal à l’aise. J’ai peur de l’avoir blessée derrière mon sourire rassurant. Elle peut bouger et parler, c’est déjà bon signe. Ses mots fleuris confirment que ça va. Quand on est capable de les pousser, c’est qu’on est en forme. Dicton Kellysien. Je pousse un soupir de soulagement autant pour la savoir en forme que pour son attitude générale. Elle fait pas tout un fromage de sa mésaventure. Là où certain.e.s m’auraient enguirlandée, à juste titre, ou en ferait des tonnes en jouant la meuf à moitié morte, elle saisit ma main et se relève. « Cool ! T’es pas un fragile de mec qui pleurniche au moindre bobo. Il t’en faut plus pour te blesser. T’es solide ! » Je glousse en tapant du poing dans son épaule. Mon humour est pas en retard lui. Il est toujours à l’heure. Et pas toujours le plus judicieux du monde.
Le début d’attroupement humain qui c’était formé autour de nous se disperse en découvrant la victime sur ses pattes. S’il y a pas de drame à la clé, les gens ne sont pas intéressés. Pensez bien que personne s’est approché pour prendre des nouvelles de la blondinette. En tous cas, si c’était le cas, personne ne l’a formulé. Si j’avais honteusement pris la fuite, je parie qu’elle serait encore les fesses sur le bitume actuellement. Là, elle est debout. Le moment de retourner à nos vies respectives se pointent doucement. Ça m’arrangerait de pas trop m’attarder. J’ignore ce qu’il en est pour elle mais moi, j’ai un métier. Ouais ok, mon excuse est bidon. Peu importe ce qu’elle compte faire après notre séparation, mon activité est pas prioritaire. Elle est même secondaire. Je risque pas de me faire virer de mon boulot. Les Blondies Angels ont besoin de leur leader. Puis mes musiciennes peuvent pas se passer de ma personne. Je suis indispensable. Ou pas. Je suis remplaçable comme chacun de nous. C’était juste histoire de flatter mon égo. « Tu veux aller aux urgences passer une radio au cas où ? Je peux appeler les pompiers si tu veux. Ou je t’emmène si tu préfères. Promis, je serai prudente. Je dépasserai pas les 70km/h. » Je lui lance un clin d’œil et affiche un rictus. Il est évident qu’après ce qu’il vient de nous arriver, sa confiance en ma conduite doit être limitée voire nulle. Je la comprends parfaitement. Je peux pas la blâmer. Même mes ami.e.s n’aiment pas montrer à bord de mon bolide. Je lui propose de l’accompagner à l’hôpital par prévention. Si elle m’a dit n’avoir rien de cassé, rien ne dit qu’il n’a pas une lésion interne ou un truc pas cool du genre. J’ai pas envie qu’elle s’aperçoive être plus gravement touché dans plusieurs heures. Le choix lui appartient désormais. J’ai proposé, à elle de disposer.
“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.” – @Regan Kelly
« Cool ! T’es pas un fragile de mec qui pleurniche au moindre bobo. Il t’en faut plus te blesser. T’es solide ! » dit-elle en gloussant, tout en lui décochant un petit coup de poing dans le bras … qui fait automatiquement apparaître une grimace sur son visage. Une grimace de douleur ? Oui, elle est peut-être solide ; y n’empêche qu’elle ressent toujours la douleur. « Je pleurniche peut-être pas … je ressens quand même la douleur, tu sais … » qu’elle dit d’une voix rieuse, tout en se massant l’épaule, les sourcils froncés. Évidemment, elle est fan de la blonde mais ce n’est pas une raison pour réagir comme une bêta, un peu dans les nuages. Quoique … trop tard ?
Le regard de Niamh est toujours rivé sur la blonde qui lui fait face et qui, pour l’heure, n’est pas vraiment comme dans son imagination. Comment s’imaginait-elle la jeune femme en privé ? Après tout, elle ne la connaissait qu’à travers les interviews, les concerts et ses chansons. Comment pouvait-elle savoir qui elle était réellement ? Alors qu’elle la regarde, ses pensées se bousculent dans son esprit comme une foule pogotant dans la fosse d’un concert métal. Brutal ! « Tu veux aller aux urgences passer une radio au cas où ? Je peux appeler les pompiers si tu veux. Ou je t’emmène si tu préfères. Promis, je serai prudente. Je dépasserai pas les 70 km/h. » L’énergie et l’enthousiasme de celle qui vient de la renverser la submerge. Elle perd doucement pied et pose une main sur son front avant de se masser doucement la tempe. Qu’est-ce-qu’elle doit faire ? Se rendre aux urgences ? Est-ce-qu’elle est blessée ? Appeler les pompiers reviendrait à une facture plutôt élevée donc elle se passerait volontiers : son road trip avec Max allait déjà lui coûter un bras. « Je crois que je f’rais peut-être mieux de voir un médecin ouais … » Elle fronce les sourcils tout en continuant son petit massage de la tempe. Est-ce-que la terre se met à tourner un peu plus vite que prévu ? Ou est-elle la seule à avoir cette sensation ? La nausée. Oh … pourvu qu’elle ne s’est rien fait de grave. Peu-être un minuscule traumatisme crânien qui lui vaudra quelques jours de repos. « Soit c’est moi qui marche pas droit, soit c’est le monde qui va de travers. », qu’elle dit tout en ricanant, bien que l’on puisse entendre un peu de panique au fond de sa voix.
« Ca te dérangerait vraiment pas de m’emmener aux urgences … en évitant d’augmenter le nombre de tes victimes et en roulant … moins vite. » dit-elle tout en esquissant un sourire timide, plantant ses prunelles dans celles de la jeune femme qui lui fait face. « J’accepte volontiers ta proposition. » qu'elle ajoute tout en hochant d'un signe de tête. Elle essaie de jouer la carte de la sécurité.
Plus le temps passe et moins elle semble être en forme. Bien que le choc ait été léger, les dégâts sont sans doute plus gros que prévu au début. Je suis au taquet. Si elle tourne de l’œil, je suis prête à la rattraper. Ce serait con qu’elle embrasse le bitume pour un malaise. Et qu’elle abime sa jolie bouille. Car elle est mignonne la blonde. Je sais que c’est pas le sujet mais je le dis quand même. J’ai pas pu m’empêcher de la reluquer en constatant qu’elle allait bien. J’ai pas d’arrière-pensée salace dans mon esprit non plus. Je pense pas qu’à ça. Je suis pas un branleur de mec. « Ça me parait être une bonne idée aussi. » Tant pis si on y va pour rien. Je serai rassurée et je vivrai pas dans l’angoisse de son état toute ma journée. Je me connais et ça va me travailler si je suis pas certaine qu’elle a rien. Et pensive, je vais être chiante, encore plus que d’habitude je veux dire. Et je vais faire de la merde au studio. C’est un coup à se prendre la tête avec les filles et à être de mauvaise humeur en se quittant ce soir. « Les deux mon capitaine ! » Mon rire est plus franc que le sien. Ce monde va de travers. Il suffit de lire la presse ou de regarder les informations pour s’en rendre compte. Je limite mes contacts avec les médias pour pas déprimer. Je m’intéresse juste à la scène métal et à l’actualité des Wallabies, mes deux passions. Quant à elle, elle titube. Je commence à flipper. Je crains qu’elle se vautre dans mes bras. Dans l’absolu, je suis pas contre accueillir une femme de sa trempe dans mes bras. Mais dans ces circonstances, j’en suis pas fan. « Si je te le propose, c’est que ça me dérange pas. » Je suis pas hypocrite. Si j’avais pas envie, je me serai tue. J’aurai appelé les pompiers et je me serai cassée dès leur arrivée. Je marche pas comme ça. Je me fous d’être plus en retard. Une vie humaine prime sur mon travail. « Oh ça va j’ai de la marge. Il va me rester deux places à l’arrière et une dans le coffre. J’ai le droit d’écraser trois autres personnes sur le trajet ! » J’éclate de rire. Clairement j’ai pas l’intention d’augmenter mon nombre de victimes. Une est déjà de trop. Son accord en poche, je m’empresse d’ouvrir ma portière côté passager. Mon bordel se trouve sur le siège. Je le débarrasse de mon sac à main et d’une bouteille d’eau. Je balance le tout à l’arrière pour faire de la place. « Si tu veux me faire l’honneur de monter dans mon carrosse. » Mon rire résonne encore une fois. Paye la gueule du carrosse. Ma petite citadine âgée est loin de refléter mon aisance financière. Je suis attachée à cette bagnole. Je la changerai seulement le jour où elle me lâchera. Ce qui n’a pas l’air d’être pour maintenant. A l’image de sa propriétaire, elle est tenace. Je m’écarte pour qu’elle puisse monter. Je fais le tour et rejoins mon volant. Je démarre mon bolide. Je prends la route en direction de l’hôpital. J’y vais molo sur l’accélérateur. Je suis plus pressée de toute. Il est acté que je serai en retard au boulot. « Comment tu t’appelles au fait ? Moi c’est Regan. » Autant profiter de la route pour faire les présentations. Surtout que le trafic est toujours dense. On est pas près d’arriver à destination.
“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.” – @Regan Kelly
« Ca me parait être une bonne idée aussi. » Niamh acquiesce lentement d’un signe de tête, comme si cela la rassure un peu de savoir que la responsable partage son avis. Après tout, mieux vaut pour elle s’assurer que les dégâts sont minimes. « Si je te le propose, c’est que ça me dérange pas. » Oé, bon ça reste à voix se dit Niamh. Possible qu’elle ne souhaite pas avoir de la mauvaise presse, se trouver avec des problèmes a posteriori ou alors qu’elle soit trop polie pour refuser après avoir demandé par obligation. La politesse vous contraint parfois à faire des choses dont vous vous seriez volontiers passés. Niamh connaît. Elle a été élevée de la sorte et maudit souvent ses parents de lui avoir donné des automatismes dont elle se passerait volontiers. Ces automatismes l’obligent à accepter de passer la pause déjeuner - seul moment libre de sa journée travail - avec une collègue plus âgée qui lui parle avec passion de broderie. Génial ! « Oh ça va j’ai de la marge. Il va me rester deux places à l’arrière et une dans le coffre. J’ai le droit d’écraser trois autres personnes sur le trajet ! » Le rire de l’artiste la contraint presque à rire … ou alors c’est l’humour noir qui la convainc. Niamh est également connue pour son sens de l’humour, disons particulier. Agression passive, toujours. « C’est ce qu’on appelle voir les choses du bon côté. Pragmatique et optimisme. Bonne combination », commente-t-elle en jetant un regard sur le sol pour être sure de ne rien avoir perdu au cours de sa chute.
Dernier regard derrière elle, et elle se glisse alors dans le carrosse de la jeune femme. A peine assise, elle attache immédiatement sa ceinture tout en disant qu’elle vient de monter dans la voiture de celle qu’elle connait en vinyle et en concert. Étrange réalité, des mondes s’entrechoquent. Le sac en bandoulière posé sur ses genoux, Niamh y sort son portefeuille pour s’assurer qu’elle ait les papiers nécessaires pour sa visite spontanée à l’hôpital. « Comment tu t’appelles au fait ? Moi c’est Regan. » « Niamh. », qu’elle répond aussitôt, refermant son sac pour reposer son attention sur la conductrice. « Ok, j’ai eu quelques doutes tout à l’heure … mais maintenant que tu me dis ton nom, j’arrête pas de me dire que ça fait un peu trop de coïncidence. » ajoute-t-elle tout en plissant les yeux. « Si je dis blondie Angels, tu me dis que je suis barge et que tu sais pas de quoi je parle … ou alors tu me dis : allons détruire le patriarcat ensemble. Il est temps. » Un rire amusé vient conclure sa phrase. Les coincidences se multiplient et elle est presque convaincue de se retrouver dans la voiture de la chanteuse. Presque convaincue. Ou alors le traumatisme crânien a produit une hémorragie cérébrale et ses jours sont comptés.
Nous voilà parties en direction de l’hôpital. Je profite d’un feu rouge pour sortir mon portable de mon sac à main et prévenir Lora via un sms. J’ai pas fini de le taper quand le feu passe vert. Je le termine tout en reprenant la route. Ouais, je sais que c’est mal le téléphone au volant. Ça va je roule pas vite. Puis si je le fais pas, elle va m’appeler. Je trouve déjà étrange qu’elle l’ait pas déjà fait vue ma ponctualité habituelle. A tous les coups, elle savoure mon retard pour boire un café avec les autres musiciennes. J’aurai dit bière s’il était pas si tôt. La guitariste apprécie la binouze mais pas de si bonne heure non plus. C’est pas une alcoolique ! J’admets tout de même qu’elle a une bonne descente. Le message parti je balance mon smartphone sur la plage arrière. Peu importe ce que ma bff va me répondre, ça attendra notre arrivée. Je fais la conversation. J’apprends qu’elle s’appelle Niamh. Je me retiens de faire une énième blague foireuse. J’ai fait assez de dégâts comme ça la concernant. Ma passagère se lance dans une confidence. Je suis démasquée. Un large sourire étire mes lèvres. C’est rare de croiser une personne me connaissant. Le metal reste méconnu. Je suis pas autant exposée dans les médias qu’un groupe comme Imagine Dragons. « Je te dis que t’as bon goût ! Mais ça veut pas dire que t’es pas barge hein ! » Je conclus cette phrase d’un clin amusé provocant. J’ai une réputation de peste à tenir. J’espère qu’elle prendra pas mal cette remarque. Je pense pas vu qu’elle m’a identifiée. Elle sait comment je suis. Après, les gens et la susceptibilité, c’est très subjectif.
Continuant notre route, j’allume la radio. Je bidouille les fréquences jusqu’à tomber sur une station intéressante. Non, elle diffusent pas du metal. Mais je me suis sentie obligée de m’arrêter dessus à l’entente de l’intro de The show must go on. Si les hommes sont des cons, lui est une légende. Un génie qui nous a malheureusement quitté trop tôt. « Empty spaces, what are we living for ? » Ma voix rauque couvre celle de Fredie Mercury. Le pauvre doit pas spécialement apprécier ma réinterprétation. Après, il y a pire et il ne doit pas se retourner dans sa tombe non plus. J’y mets tout mon cœur et mon énergie comme si j’étais sur scène. J’adore ce groupe. D’un côté, qui l’adore pas ? Hormis des gens sans goût ? Je prends soin de regarder où je roule en parallèle. Un branleur déboule sous mes yeux et fait virer mon chant en un flot d’insultes et coups de klaxon. Je me fous de pas être seule dans l’habitacle. Mon naturel est trop puissant pour me contenir. On finit par arriver à destination. Je me gare sur le parking du st vincent's hospital. Frein à main serré, je descends de mon bolide et en fais le tour pour ouvrir la portière de ma victime. Qu’elle aille pas croire que je la traite comme une princesse. Je me montre courtoise afin de m’assurer qu’elle tombe pas en rejoignant les locaux. La distance est courte mais je me souviens de comment elle a failli se ramasser tout à l’heure. « T’es apte à marcher ou faut que j’aille te chercher des brancardiers ? » Je me marre comme une baleine. J’aurai l’air conne si elle me répond par la positive.
“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.” – @Regan Kelly
« Je te dis que t’as bon goût ! Mais ça veut pas dire que t’es pas barge hein ! » Niamh laisse échapper un éclat de rire tout en levant son index pour le pointer finalement vers la conductrice ; elle marque un point. Niamh n’est pas un ange, plutôt une barge des temps modernes. Une espèce de Gaston Lagaffe moderne, oui. Elle détourne la tête pour finalement regarder droit devant elle, la route. Elle se demande si elle n’a pas un traumatisme crânien, si elle n’est pas en train d’halluciner tout bonnement cette scène. Peut-être qu’en réalité, elle est étendue comme une poupée de chiffon sur le bitume, la bouche ouverte, les yeux mi-clos. Peut-être qu’elle est en train de planer et hallucine tout ce qui est en train de se passer. Est-ce-qu’on doit se pincer pour vérifier que tout est vrai ? C’est ce qu’on dit non ? La blonde sort de sa transe en entendant le moustachu le plus talentueux de tous les temps. Les premières notes résonnent dans la voiture et la voix rauque de Regan vient couvrir celle du King. Niamh esquisse un sourire amusé avant de se joindre à la conductrice. C’est toujours la réaction normale et humaine quand on entend du Queen, on chante. On est obligés de chanter. Bien sûr, elle chante moins fort et beaucoup moins bien que la conductrice, mais dans ces moments là, on s’en fout royalement. Il s’agit de partager un moment, rien de plus.
La voiture s’arrête devant l’hôpital. Elle est encore en vie. Entière. Elle a juste appris de nouveaux jurons, apparemment improvisés par la blonde. Niamh tourne la tête vers la conductrice. « T’es apte à marcher ou faut que j’aille te chercher des brancardiers ? », le rire de Niamh vient se joindre au sien alors qu’elle secoue la tête de droite à gauche. « Nan merci, je crois que ça va aller — pas besoin de brancardier, je suis pas douée pour les entrées en fanfare en plus. » Bien trop gaffeuse, elle ne ferait qu’aggraver la situation. Posant la main sur la poignée de la portière, elle tourne la tête une nouvelle fois vers elle. « Merci au fait … enfin pas merci de m’avoir renversé, on va passer outre ce non-événement. » Elle ricane. « Merci de m’avoir conduite jusqu’ici et d’avoir certainement foutu le bordel dans ton agenda de super star. », qu’elle ajoute d’une voix rieuse.
« J’te dis à la prochaine ; soit avec mon avocat si on me prescrit un traumatisme crânien qui m’empêchera de bosser pendant les six prochains mois … soit à un des vos concerts. On sait jamais. », plaisante-t-elle tout en lui adressant un clin d’oeil qui se veut amical. Coup d’oeil dans le rétro, personne. Elle ouvre la portière pour en descendre. Dernier coup d’oeil vers la conductrice à qui elle fait un bref signe de la main avant de se diriger vers les urgences.
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