| | | (#)Mer 24 Nov 2021 - 18:36 | |
| | | Memories 'Cause the drinks bring back all the memories, and the memories bring back you. There's a time that I remember, when I did not know no pain, when I believed in forever, and everything would stay the same. Now my heart feel like December when somebody say your name. @Saül Williams |
Federico laissait couler l’eau dans le lavabo. Les accessoires des toilettes pour hommes semblaient hors de prix, ici. Même lui, qui appréciait les bonnes choses, avait un peu de mal à cerner l’intérêt d’un porte-serviettes en argent ou du lustre en cristal dans cet endroit. Il en allait de même pour le contour du miroir, dans lequel il se regardait depuis plusieurs minutes. C’était le seul endroit où il avait réussi à trouver un semblant de répit. Une énième soirée avec sa compagne. Une énième soirée où il fallait puiser au fin fond de son âme pour trouver un tant soit peu d’énergie pour faire bonne figure. Faire croire qu’ils s’aiment et sont les plus heureux du monde, alors que leur relation n’est rien de plus qu’un bloc de glace. Au bout de la quarante-cinquième poignée de main et de la probablement cinquième coupe de champagne - il s’était arrêté de compter à deux - il avait choisi de s’éclipser, prétextant une envie pressante. Il détestait autant qu’il adorait être ici. Il adorait se montrer. Voir les autres. Mais ce genre de soirées mondaines était aussi le lieu de toutes les luxures. De tous les déboires et tous les vices. Alors il essayait de ne pas trop y penser. De faire taire les voix de son esprit qui avaient tendance à lui intimer de tourner son regard vers certains convives plutôt que d’autres. Il trouvait un certain apaisement à être ici, dans un lieu qui pourtant n’était pas forcément attirant. Étrangement, il était seul. Les autres convives ne tarderaient sûrement pas à tarder à arriver. Poussés par une conjointe ou une envie trop pressante, eux aussi.
Le bruit de la lourde porte ramena Federico à la réalité. Baissant les yeux, il coupa le lavabo, avant d’attraper une serviette sur le côté pour s’essuyer les mains. En relevant les yeux dans le miroir pour ajuster son veston, son coeur manqua sûrement trois battements d’affilée. La figure qui se dessinait derrière lui, et qui ne semblait pas l’avoir vu, lui coupa presque le souffle. L’espace d’un instant, le temps s’était presque arrêté. Il n’entendait plus le brouhaha ambiant de la grande salle d’à côté. Plus les bruits de verres qui tintaient entre eux, les rires et les exclamations. Il ne voyait que lui, et aurait presque pu entendre le bruissement du tissu à mesure qu’il avançait vers les toilettes. Ce visage inconnu et pourtant si familier. Le même visage, qu’il avait retrouvé sur internet suite à quelques confidences de sa patiente, Elise. Il n’y avait pas cru. Mais maintenant qu’il était, là, derrière lui…“Massimo ?” murmura t-il, presque pour lui-même, en fronçant les sourcils. Il se tourna, presque comme un robot, incapable de produire le moindre son pour le moment. Il avait longtemps imaginé ce moment. Mais maintenant qu’il se retrouvait face à lui, il était bien confus. Tous les discours qu’il avait pu imaginé s’éteignaient peu à peu. Il toussota légèrement, tentant à la fois de se ressaisir et d’attirer l’attention de celui qui n’avait jamais vraiment quitté ses pensées. Celui qui n'avait plus le même nom. “Saül ?”, précisa t-il, d’une voix plus claire. Que pouvait-il bien lui dire ? Après toutes ces années ? Des décennies qu’ils ne s’étaient pas vus. Federico ne l’aurait probablement jamais reconnu en le croisant simplement dans la rue. Maintenant qu’il observait de plus près son visage, il reconnaissait les traits qu’il avait autrefois caressés du bout des doigts et du bout des lèvres. “Oh mio Dio…”. Il pinça l’arrête de son nez pour tenter de chasser les souvenirs qui refaisaient soudainement surface. Il releva les yeux vers Saül, se donnant cette fois le courage de lui offrir un sourire qui se voulait avenant. “Je ne sais même pas par où commencer…”. Peut-être aurait-il dû s’excuser d’être parti sans un mot, il y a si longtemps. Peut-être aurait -il même dû commencer par se présenter. Mais les mots se mélangeaient sous sa langue. Il fallait qu’il trouve un sujet de conversation. Un exercice difficile pour celui qui n’avait plus l’habitude d’être un grand bavard, peut-être simplement avec ses patients. Il détourna le regard, fixant le lustre au-dessus jusqu’à l’éblouissement. “Ca ne vaut pas les magnifiques églises d’Italie, mais ça fait l’affaire, je suppose”, lâcha t-il, faisant référence à la décoration luxueuse de la pièce. “Toujours aussi élégant”, laissa-t-il finalement échapper. Il se mordit l’intérieur des joues. A quoi jouait-il ?
CODAGE PAR AMATIS
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| | | | (#)Jeu 25 Nov 2021 - 23:20 | |
| C'est une soirée ordinaire. Rien de très nouveau, toujours les mêmes mains à serrer. Les visages changent, mais les gens ne restent vraiment que des portemonnaies parfois plus remplis qu'il n'y paraît. Alors Saül accroche ses sourires de parade. Il enguirlande qui veut bien l'entendre avec de jolis mots sortis de son chapeau. Il essaie de toucher ce qui fera sortir les cartes de visite, bien qu'un poisson comme Saül n'a plus beaucoup d'efforts à faire avant de voir ses futurs amis se presser devant lui. Des amis, il y a longtemps qu'il n'en a plus, par ailleurs. Jack étant enfermé chez les nez-blancs incapables de se contrôler, Marcus ne tolérant aucun de ses agissements... L'homme d'affaires se retrouve bien seul au milieu d'un océan qui n'attend que l'opportunité de l'attirer vers le fond.
Heureusement, pour esquiver des conversations embarrassantes, il y a les toilettes. C'est au bout d'un énième "félicitations pour les fiançailles de votre fils" que Saül décide de s'éclipser, un léger sourire aux lèvres. Oui, petit Cosimo sera marié à la fin de la semaine. Saül devrait être sur le pont à hurler des ordres mais il est bon pour son image de se montrer dans des soirées mondaines. C'est pour pour son côté "je maîtrise la situation" et pour laisser entendre que tout est organisé par les mariés - ce qui n'est évidemment pas le cas. Saül a la main sur à peu près tout : de l'organisation de la salle aux listes des invités, rien n'est laissé au hasard. Il y aura de grands noms, à ce mariage. Rien ne doit dépasser d'un poil. Tout doit être parfait. En attendant, Saül se baigne dans les compliments et les félicitations distribués comme s'il était le futur marié. C'aurait pu être le cas si Ariane avait été là. Peut-être seraient-ils allés se marier en France après leur retour de Grèce. Peut-être, si Ariane n'avait pas pris la fuite seule. Qu'importe.
Un long soupir las fend un instant le masque du personnage parfait forgé au fil des années. Devant le miroir, Saül a le droit d'être un instant lui-même. « Massimo ? » Alors qu'il n'est pas tout à fait devant le lavabo, le regard de l'homme d'affaires croise celui d'un homme qu'il croyait mort et enterré. Federico. Saül est certain de l'avoir reconnu. Il y a toujours quelque chose dans sa voix, dans sa manière d'être surpris. C'est une expression qui tire Massimo des années en arrière. Quand l'homme se tourne, Saül affiche une expression tout à fait neutre. Il espère - prie - pour que Federico n'ait pas remarqué combien il est, en cet instant, parfaitement désarçonné. « Saül ? » Une envie pressante de vomir prend Saül a la gorge. Soudain, quelque chose pince fort dans sa poitrine. C'est une douleur inconnue qu'il identifie à sa crise cardiaque du début de l'année - mais c'est en fait autre chose. Un sentiment qui rend sa langue lourde mais qui ne l'empêche pas pour autant d'afficher un regard froid comme la glace. Qu'y a-t-il derrière ces yeux froids ? Peut-être de la colère. Des souvenirs, certainement, et d'autres émotions qu'il n'est pas nécessaire de décrire. Après une exclamation en italien, Saül ne peut penser à autre chose qu'à des mots horribles. Des mots qui demandent une réponse, des mots qui appartiennent encore à Massimo. N'était-il pas mort et enterré, celui-là ? Saül, lui, n'a rien à dire à Federico. Ce lâche. « Je ne sais même pas par où commencer… » « Alors ne commence pas. » A distance respectable, Saül fait tout pour contenir son envie d'attraper Federico par la nuque pour lui éclater le front contre la porcelaine d'un blanc si pur contre laquelle il est appuyé.
Il a toujours eu le chic pour être imprévisible, Federico. Le côtoyer était un art, un privilège qu'on ne savait jamais acquis - Massimo en a fait les frais. « Ca ne vaut pas les magnifiques églises d’Italie, mais ça fait l’affaire, je suppose. » Oh, les églises italiennes. Saül y a de bien mauvais souvenirs. Surtout des murs contre lesquels il retrouvait parfois Federico dans un délicieux élan de rébellion. « Toujours aussi élégant. » Le quarantenaire se retient de lever les yeux au ciel, agacé. Ce moment, il l'a imaginé des dizaines de fois durant les mois ayant suivi la disparition de Federico. Ces idées étaient enfouies au plus loin de son esprit. Elles semblent soudain poussiéreuses mais vivaces, tout comme la colère qui anime encore une part de l'italien. Elle grimpe comme du lierre dans ses veines, inondant ses sens et surprenant Saül dont le cœur s'est emballé - d'agacement, de stress ? Après un silence dramatique, le voilà qui reprend la parole, tout en anglais, bien sûr. Federico a perdu le droit de l'entendre en italien il y a des dizaines d'années. « La probabilité de te retrouver ici était terriblement mince, mais je ne te ferai pas la joie de te demander pourquoi tu t'y trouves. » Et en si bonne compagnie. Non, cela n'intéresse pas l'italien. Appuyé contre la porte, Saül ne lâche pas son interlocuteur du regard. Il n'a pas changé. « Je ne sais pas ce qui t'a fait croire que j'allais te retourner ton compliment. » Toujours aussi élégant. « Ou que nous allions pouvoir échanger. » Mais pourtant, n'est-ce pas ce qu'ils font en cet instant, sur ce terrain drôlement neutre ? |
| | | | (#)Mer 8 Déc 2021 - 19:10 | |
| | | Memories 'Cause the drinks bring back all the memories, and the memories bring back you. There's a time that I remember, when I did not know no pain, when I believed in forever, and everything would stay the same. Now my heart feel like December when somebody say your name. @Saül Williams |
Les souvenirs. C’était sûrement la plus grande hantise de Federico. Habituellement, il arrivait à les garder tapis quelque part dans son esprit. Ils gisaient au sol de ses pensées et il arrivait à les chasser d’un revers de main. Mais maintenant que celui qui faisait partie de la plupart de ses vieux souvenirs se tenait debout devant lui, en chair et en os, c’était différent. Federico semblait soudainement assailli d’images, d’odeurs et de senteurs venues tout droit d’Italie. Il en perdait les mots. Mais ce qui lui fit sûrement perdre le plus pied, dans cet endroit à l’abri des regards les plus indiscrets, ce fut sûrement la réaction de Massimo. « Alors ne commence pas. ». Ces quelques mots lui firent l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Il en aurait presque eu le souffle coupé. Federico l’observa quelques secondes, ne sachant pas vraiment s’il plaisantait ou non. Mais son regard, toujours aussi dur et froid, ne trompait personne. “Massi…Saül…je…”. Il était quoi, au juste ? Déstabilisé, c’était certain. Perdu, également. Mais peut-être était-il tout au fond de lui-même sincèrement désolé. Mais les mots ne parvenaient pas à franchir la barrière de ses lèvres. Il aurait voulu dire tout un tas de choses. Mais ce qu’il pensait réellement était enfoui bien trop loin. Bien trop inaccessible. “J’imagine que tu n’es pas ravi de me revoir ici”, parvint-il seulement à articuler.
Le docteur essayait tant bien que mal de se ressaisir. Appuyé au meuble qui soutenait le lourd lavabo, il aurait bien voulu se passer de l’eau sur le visage, mais il ne parvenait pas à détacher son regard de son interlocuteur. Il avait toujours cette même prestance. Ce même regard. Ces mêmes traits du visage. L’odeur du sable chaud et des embruns italiens lui reviennent alors en mémoire, comme un flash. La sensation de sa peau sous ses doigts, aussi. “No, no, non adesso…”, murmura t-il. Federico glisse ses doigts sur l’arrête de son nez, essayant de se concentrer sur ce que lui dit Saül. Même si ce qu’il entend n’a absolument rien d’agréable. « La probabilité de te retrouver ici était terriblement mince, mais je ne te ferai pas la joie de te demander pourquoi tu t'y trouves. [...] Je ne sais pas ce qui t'a fait croire que j'allais te retourner ton compliment. Ou que nous allions pouvoir échanger ». Federico réfléchit à ce qu’il va pouvoir répondre, essayant tant bien que mal de reprendre le contrôle de lui-même. “Ne sommes-nous déjà pas en train d’échanger ?” demanda t-il simplement. “Si j’avais cru un jour te revoir ici…”, lâcha-t-il presque pour lui-même. Il fallait qu’il parle, qu’il dise quelque chose. Qu’il l’empêche de quitter ce lieu pourtant anodin. “L’air italien ne te manque pas trop ?”. La conversation qu’il avait eue avec Elise résonnait dans ses pensées. Mais il tairait ce qu’il avait appris pour le moment, sa conscience professionnelle reprenant le dessus. Pour le moment. “Ma fille rêverait d’y aller…”. Sa fille. Quel joli prétexte pour maintenir la conversation, alors qu’il ne parlait que rarement d’elle. Il fallait qu’il trouve autre chose. Federico soupira, avant de se mordre les lèvres. La sincérité. Il fallait qu’il soit sincère. “J’ai souvent pensé à toi, Massimo”. Il s’arrêta quelques instants, ne prenant pas la peine de se corriger. Après tout, c’était sous ce patronyme qu’il l’avait connu. “Très souvent”, ajouta t-il. Et le mot était faible, même s’il peinait à l’avouer. La clé qu’il gardait dans la poche de son veston en était la preuve. “J’ai été curieux de savoir ce que tu étais devenu après…”. Sa voix flancha légèrement sur la fin. Après l’Italie. Après leur tout. L’odeur du sable chaud, des embruns, de sa peau. Un mouvement de tête pour chasser ses pensées assourdissantes. Federico fit un pas en avant, espérant se rapprocher cordialement de Saül. “Je comprendrais que tu ne veuilles pas échanger plus. Mais je serais ravi de pouvoir discuter avec toi plus longuement. Peut-être dans un endroit plus approprié”. Légère pause. “Le bar sert de très bons verres de vin”. Une ouverture. Un appel au secours, peut-être. Il n’était pas certain que Saül y réponde favorablement.
CODAGE PAR AMATIS
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| | | | (#)Jeu 23 Déc 2021 - 19:02 | |
| Massimo est mort. Massimo a quitté la planète Terre le joue où sa mère l'a déposé dans ce camp de vacances qui se voulait incroyable pour "les adolescents comme lui". Massimo est mort le troisième jour - très vite, donc - quand, à force de brimades, on lui a fait dire et faire des choses atroces. Saül est né en sortant d'une Messe plus difficile que les autres. Personne - et surtout pas Federico - n'a le droit de s'adresser à Saül avec ce nom qui est mort avec lui. « J’imagine que tu n’es pas ravi de me revoir ici. » Perspicace. L'italien ne bouge pas, n'ose presque plus respirer. Malheureusement, Federico se tient devant l'entrée, droit comme un i. Il ne bougera pas lui non plus, sauf s'il veut que Saül lui ôte quelques dents. L'homme d'affaires ne s'échappera pas si facilement de ce traquenard, son homologue se tenant devant la seule issue. L'entendre parler italien donne à Saül de quoi serrer les dents. Dehors, la cohue s'agite et profite probablement des cocktails sans se douter du drame qui se joue en coulisse. « Ne sommes-nous déjà pas en train d’échanger ? » Federico est toujours le même. Federico veut avoir le dernier mot. Federico fait son intéressant et il y a des années, ce trait faisait rire Saül plus que de raison. « Si j’avais cru un jour te revoir ici… » « Cesse de badiner. » Ce n'est pas le moment. Ils auraient dû avoir cette conversation il y a des décennies. Maintenant, c'est trop tard. Les cartes sont redistribuées et jouées. Peut-être même que les règles du jeu ont changé. « L’air italien ne te manque pas trop ? » Ne parle pas trop vite. Choisis ta réponse. Mesuré, Saül croise les bras. « Pas du tout. » En réalité, l'air italien lui manque tous les jours, surtout depuis qu'Ariane est partie. Ici, les choses ne sont pas si faciles. Le temps passé avec Federico ne lui manque pas. C'est plutôt l'écoulement du temps qui lui manque, la sensation d'être libre et protégé de tout. Une sensation qui l'a depuis quitté et ce pour toujours - Ariane s'est envolée avec les dernières bribes de liberté.
« Ma fille rêverait d’y aller… » « Ta fille. » Alors, il a une fille. Est-ce pour cela qu'il a quitté l'homme d'affaires il y a des années ? Saül s'interdit de se poser la question, éludant au passage toutes les pensées qui se pressent dans sa tête. Federico a fait sa vie, c'est ce que les hommes doivent faire s'ils veulent survivre. Tant mieux pour lui. Tant pis pour toi. « J’ai souvent pensé à toi, Massimo. Très souvent. » « Ne prononce pas ce nom. » Un grondement, comme une menace proférée pour Federico comme pour lui-même. Ce nom appartient au passé. Federico devrait l'avoir oublié comme Saül s'efforce de le cacher. La dernière a l'avoir connu est Ariane et Ariane n'est plus. Encore elle, toujours elle. « [color:5735=a68876]J’ai été curieux de savoir ce que tu étais devenu après… » Après la catastrophe. Saül termine en pensée la phrase laissée en suspens par Federico. Ils faisaient ça aussi en Italie, sourire aux lèvres et regard admiratif. « Tu mens bien. J'ai toujours admiré cela chez toi. » Comment peut-il prétendre s'être intéressé, lui qui n'a jamais donné de nouvelles ? Il ne s'est même pas inquiété du sort de son amant. Quand Federico s'approche, Saül ne flanche pas. Protégé par les bras croisés sur son torse, il jauge du regard la distance qui le sépare de son interlocuteur. La jugeant suffisante, Saül toussote. Un pas de plus, et il se sentira plus étouffé qu'il ne l'est déjà. « Je comprendrais que tu ne veuilles pas échanger plus. Mais je serais ravi de pouvoir discuter avec toi plus longuement. Peut-être dans un endroit plus approprié. Le bar sert de très bons verres de vin. » Tiraillé, Saül hésite. Dire non, c'est faciliter la tâche à tout le monde. Federico retournera dans l'oubli et Saül continuera de faire sa petite vie. Alors, pourquoi est-ce autre chose qui sort de sa bouche ? Et pourquoi ce hochement de tête ?
L'instant d'après, ils sont installés au bar. En public. Voilà qui devrait rappeler à Saül de drôles de souvenirs. Quand Federico et lui sortaient dans des bars, c'était en se faisant le plus discrets possible. Personne en ville ne devait savoir et surtout pas pour Saül qu'on connaissait déjà comme le fils prodigue d'Elon Williams. « Pourquoi maintenant ? Tu n'as jamais téléphoné. » Ils avaient pourtant leurs petites combines: raccrocher quand Elon ou la mère décrochait le téléphone, appeler deux fois de suite pour dire "je suis en bas du chemin, rejoins moi". Autour, le monde fourmille. Par deux fois, Saül rentre à nouveau dans son grand personnage pour serrer quelques mains et gratifier les invités de quelque salutations. « Est-ce que c'est à cause de la naissance de ta fille ? » A cause, oui. On ne blesse pas un homme pour une raison plus moindre que celle-là. |
| | | | (#)Dim 9 Jan 2022 - 17:33 | |
| | | Memories 'Cause the drinks bring back all the memories, and the memories bring back you. There's a time that I remember, when I did not know no pain, when I believed in forever, and everything would stay the same. Now my heart feel like December when somebody say your name. @Saül Williams |
Si Federico avait pris un peu de recul sur la situation, il aurait presque pu avoir l’impression que les deux hommes ressemblaient plus à deux coqs dans une basse-cour plutôt qu’à deux êtres vivants. Les deux fiers comme des paons, comme ils l'avaient toujours été, mais tous les deux surpris, et pour l’un, sur la défensive. A la réflexion, peut-être avaient-ils plus l’air de deux lapereaux pris dans les lumières aveuglantes d’une voiture. Sûrement quelque chose que Federico aurait pu analyser, s'il avait fait partie de ses patients. Mais ce n’était pas le cas. Celui qu’il avait en face de lui était loin d’être un de ses patients, et au vu de la tournure que prenait la conversion, il y avait peu de probabilités pour que ce soit un jour le cas. Les mots commençaient à peiner à arriver jusqu’aux lèvres de Federico, les mille voix qui lui susurraient des choses aux oreilles commençaient à lui vriller le cerveau. Pourtant, il tentait tant bien que mal de garder l’air le plus impassible possible. Comme il l’avait toujours fait. « Pas du tout. ». La voix de Saül résonne dans les lieux comme une ponctuation à la fin de sa phrase. Et pourtant, Federico ne put s’empêcher de répondre, une nouvelle fois. “Je n’y crois pas une seule seconde”. Les mots avaient franchi la barrière de ses lèvres plus vite qu’il ne l’aurait voulu. Mais il peinait à croire que Saül dise la vérité. C’était tout simplement impossible. Impossible parce que Federico ne connaissait que trop bien cette nostalgie qui circulait dans ses veines. Comment pouvait-il avoir oublié le soleil italien, l’odeur de la crème solaire sur les plages d’Amalfi, leurs cocktails acidulés ?
« Ta fille. ». La réflexion de Saül sonne presque comme un reproche. Et Federico ne pouvait pas nécessairement lui en vouloir. Après tout, c’était lui qui était parti. Et ils se retrouvaient maintenant, plus ou moins mariés et pères. Federico aurait voulu pouvoir dire “heureux mariés et pères”, mais il savait de source sûre que ce n’était plus le cas de Saül, s’il en croyait les dires d’Elise. Quant à lui…Federico secoua la tête, chassant les questionnements qui commençaient à effleurer sa boîte crânienne d’un peu trop près. « Tu mens bien. J'ai toujours admiré cela chez toi. ». Federico ne put s’empêcher d’esquisser l’ombre d’un sourire. Là encore, il ne put s’empêcher de répondre, singeant la remarque de Saül. “Toujours aussi franc, j’ai toujours admiré cela chez toi”.
L’instant d’après, sans vraiment que Federico n’ait le temps de comprendre de manière bien précise ce qu’il se passait, les deux italiens étaient installés au bar. Il avait l’impression désagréable de vivre une expérience hors de son corps. Comme s’il observait la scène de loin. Alors que plus tôt, il avait osé soutenir le regard de Saül, il préférait cette fois-ci garder les yeux rivés au fond de son verre. Trop de souvenirs commençaient à affluer, tournoyant dans sa tête comme les glaçons dans l’ambre de son whisky. « Pourquoi maintenant ? Tu n'as jamais téléphoné. ». Federico se tut quelques instants, en profitant pour noyer le nœud qui commençait à se former dans sa gorge par une lapée de boisson. Le “pourquoi” était sûrement la question qui était revenue le plus souvent ces dernières décennies. Celle qui le tenait éveillé. Il aurait pu parler d’Elise, il aurait pu lui dire que c’était elle qui l’avait mis sur la voie. Qu’il n’avait jamais prévu de le recontacter ou de le revoir. Mais Elise n’avait rien à voir avec tout ça. “Je ne sais pas”, lâcha t-il sans lâcher des yeux son verre. Est-ce qu’il ne savait réellement rien, ou est-ce qu’il continuait simplement à se voiler la face ? « Est-ce que c'est à cause de la naissance de ta fille ? ». Sa fille. Une longue histoire. Sa fille n’y était pour rien. Elle n’était que la conséquence de tout cela. Alors, Federico choisit de ne pas répondre directement. “T’es tu déjà senti prisonnier de tes propres choix ?”. Il posait la question sans réellement attendre de réponse. “Coincé dans ta propre existence, incapable de revenir en arrière, incapable d’avancer non plus. Comme si tu faisais du surplace”. Federico eut l’impression de revenir quelques années en arrière. Massimo et lui, attablés dans un coin du bar, le coin le plus sombre pour que personne ne détaille leurs visages. A échanger sur la vie, à poser des questions existentielles et à essayer de les résoudre. Qu’y a t-il après la mort, avait un jour demandé Massimo. Probablement beaucoup d’amour, avait répondu Federico. Federico ne put s’empêcher de jeter un léger regard à la main de Saül posée sur le bar. Le souvenir de leurs doigts entrelacés lui revint aussi en mémoire, bien trop vif et douloureux. Federico toussota, essayant de continuer ses faibles explications. Peut-être celles-ci conviendraient-elles mieux à Saül. “Je ne crois pas au destin. Mais un concours de circonstances a fait que j’ai retrouvé ta trace et ton existence ici. Je n’avais pas prévu de te chercher. Ni de te contacter”. Il marqua une légère pause. “Il faut croire que Quelqu’un veille sur nous”. L’italien termina son verre d’une traite. “N’est-ce pas amusant de se retrouver dans un endroit similaire à celui où tout a commencé ?”. Leurs regards qui s’étaient croisés, leurs verres qui s’étaient entrechoqués, leurs rires qui s’étaient entremêlés. Le reste semblait lointain, comme une vieille chimère.
CODAGE PAR AMATIS
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