Décembre, 2021. Tout le monde a ce désir de savoir d’où il vient, ce besoin de connaître ses racines. Comme si le passé définissait qui nous étions, ou encore qui nous pouvions devenir. De ton côté, tu ne t’es jamais vraiment posé la question. Ta famille se réduisait à ta mère, ton père n’ayant jamais été dans les parages, et cela te satisfaisait. Ou du moins, c’est ce que tu te dis machinalement pour te convaincre que cette situation te convient. Au fond de toi, tu as toujours eu cette petite pointe de désir de savoir d’où tu viens, de savoir qui il est, mais de peur d’être déçue ou de ne pas trouver réponse à tes questions peut-être, tu n’y as jamais vraiment pensé plus que ça. Tu n’as jamais osé creuser plus loin. Sauf que depuis que tu es à Brisbane, il y a près d’un an maintenant, le voilà qui se trouve de plus en plus présent dans tes pensées. Et cette envie de savoir, se fait de plus en plus oppressante. Blackbird, un musicien. C’est la seule information dont tu possèdes. C’est bien peu, ta mère n’ayant jamais vraiment mentionné son prénom, et toi n’ayant pas non plus pris la peine de demander. Pourquoi s'intéresser à quelqu'un qui n'a jamais été présent? Tu as bien tenté d’ouvrir l’œil mais avec aussi peu d’indices, ton envie de savoir s’est dissipée peu à peu au fil des mois, jusqu’à ne plus y penser du tout.

C’est finalement une brochure de journal qui vint réveiller le souvenir de ton père. At Nate’s Jazz Club. Une jam session organisée par le bar, invitant tous les chanteurs et musiciens, amateurs comme confirmés, à venir se partager une soirée bien arrosée autour de la musique. Tu soupires en lisant l’invitation, car ce n’est pas du tout ton genre d’événement. Les foules entassées en grappes de raisin, le bruit et les boissons te rebutent. Malgré ton intérêt depuis toujours pour le violon, tu préfères de loin le pratiquer à l’abris des regards. Mais cet espoir de peut-être trouver des réponses à tes questions est plus fort que le reste et c’est ainsi que tu te retrouves dans le quartier du Redcliffe, un samedi soir, dans l’entrée de ce grand bar jazz.

La musique est plus forte que ce à quoi tu t’attendais et elle remplit toute la pièce, semblable à un vrombissement de moteur ne voulant jamais s’arrêter. Elle tape contre les murs et confère à l’endroit une ambiance chaleureuse et feutrée qui doit être agréable pour les personnes venues ici ce soir. Ou du moins pour tout le monde, sauf pour toi. Les gens sont debout à danser, ou assis à taper du pied au rythme de la musique. Tous les regards sont vissé vers les musiciens au devant de la scène. Réalisant que tu te tiens juste devant la porte, droite comme une planche à dévisager la pièce depuis de longues minutes, tu te secoues un peu et t’avance vers un des bancs du comptoir. La tête légèrement recroquevillée entre tes épaules sans t’en rendre compte, comme dans une tentative inconsciente de te rendre invisible, tu croises les bras devant toi et observe à nouveau la scène qui se présente devant toi. Quelque peu dépassée par les événements, tu ne sais pas par où commencer. Sociabiliser n’a jamais été ta force et avec comme seule information un nom de famille, tu te doute que tu risques de ne pas avoir le choix d’aller vers les gens dans l’espoir d’en apprendre davantage. Pour le moment toutefois, tu te contente d’être assise à siroter une première boisson en regardant le groupe de jam jouer un morceau à l’avant. Ne sachant même pas quoi commander, tu copies la commande de ton voisin. « Une bière blonde, s’il-vous-plaît. »

@Nicholas Hurley  

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{all that time looking for you}
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"Okay, je crois que j'ai bien le temps pour un autre morceau…" La phrase est murmurée tandis que tu te tiens à quelques centimètres du micro sur scène. Tu sens le regard de Vance braqué sur toi et face au public du soir qui en redemande, tu as un sourire, avant de te pencher vers le batteur et le reste de tes musiciens avec une idée. Vance te fait signe qu'il a compris et il lance le début du morceau tandis que tu t'empares de ta basse et que tu joues les premières mesures, ta voix portant dans le club l'instant d'après grâce au micro placé au-devant de la scène.
La vérité c'est que cela t'avait manqué, d'être là, de chanter et jouer live. S'enregistrer dans l'intimité de ta chambre et le partager sur la toile ? Ce n'est pas pareil, c'est tout aussi effrayant dans un sens, mais tu ne peux pas voir l'effet direct de ta musique, ceux qui connaissent les paroles se joignent à vous, le chœur aussi, Vance te suit et tous les instruments se complimentent un par un... Non, il n'y a rien de mieux, que tu te dis avec un léger sourire aux lèvres. Ton sourire reste sur ton visage au moment où vous descendez de scène, les instruments abandonnés là-bas, ils ne sont pas vous et tu es tellement de bonne humeur que tu laisses Vance te trainer vers le bar sans vraiment broncher. Tu es à l'aise et tu te contentes juste de tirer légèrement sur les manches de ton pull tandis qu'il commande deux verres de whisky pour vous, une commande que tu aurais refusé en temps normal. Ton ami le remarque immédiatement, il y a du changement dans l'air et tandis que vous attendez vos verres, il se tourne vers toi et te donne un coup de coude. "Ah, tu vois, je t'avais dit que ça te ferait du bien de venir avec moi ce soir, tu ne peux pas passer tout ton temps dans ta chambre à composer Nicky..." Il marque un point, mais ta créativité semble avoir redoublé depuis que 15 possible girlfriends n'existe plus et il ne peut pas vraiment te reprocher de vouloir explorer toutes les possibilités, pas vrai. "Okay, okay, tu avais raison, tu es content ?" Que tu admets et tu as le droit à un sourire de la part de Vance, qui répond aussitôt un simple :  "Hmm... je commence à l'être, je le serais encore plus avec un verre entre les mains."
Le barman répond à ses prières car bientôt, vos verres sont devant vous, il faut dire que le bar est plutôt rempli, alors l'attente est normale. Tu regardes Vance vider son verre en te demandant comment il fait, toi, tu préfères faire tourner le liquide à l'odeur plus que forte dans ton verre, histoire de. "Faudra que tu me fasses écouter un de tes morceaux à l'occasion, histoire que ce ne soit pas juste ton paternel qui soit connu…" D'après Vance, tu es doué, assez doué pour être la prochaine sensation australienne mais tu n'es pas de cet avis, tu veux juste reproduire les mélodies que tu as en tête, ni plus, ni moins. Tu n'avais même pas pensé que oui, avec ta ligne de métier, tu pourrais recroiser ton père, il n'est qu'un souvenir vague dans ta mémoire, pas vraiment présent, et tu ne le blâmes pas vraiment maintenant que tu y songes. Tu as Esmée, tu n'as jamais manqué de rien. "J’ai écouté les morceaux que tu m'as envoyé d'ailleurs, pas top, mais au moins il a un nom de famille classe, pourquoi t'en as pas hérité, Nicholas Blackbird ça aurait classe."
Tu as un léger rire, un peu nerveux aux mots de Vance, le trouvant bien bavard ce soir, un peu plus et n'importe qui pourrait l'entendre. "C'est... compliqué..." La seule réponse que tu donnes avant de vider ton verre d'un trait. Et grimacer la seconde d'après, plus que jamais persuadé que non, l'alcool ce n'est pas fait pour toi.

« Une bière blonde, s’il-vous-plaît. » Un regard autour de toi te fait remarquer à quel point le bar est bondé. Ce n’est que maintenant, assise seule au bar tout au fond de la pièce, que tu le remarques. Un sentiment semblable à celui de la claustrophobie te submerge, ce à quoi tu réponds en croisant les bras devant toi tout en fermant les yeux. Si tu n’y pense pas, c’est comme si ça n’existait pas, que tu te dis. Tu n’as pas toujours été comme ça, et tu n’es pas toujours comme ça d’ailleurs. Mais ce soir, tu aurais bien envie de sortir de cet endroit pour t’aérer un peu l’esprit. Non. Tu es venue avec une idée en tête, et tu as bien l’intention d’aller jusqu’au bout. C’est finalement un bruit cristallin qui te fait rouvrir les yeux. Devant toi, un verre brun marron rempli d’un liquide. Sans doute la bière blonde que tu as commandée.

Tu es à jouer avec le liquide, faisant des cercles avec le verre pour voir la mousse se trémousser à l’intérieur, lorsqu’un rire fort tout près de toi te sors de ta concentration. Tu fronces les sourcils, regardant vers ta gauche pour découvrir de quoi il s’agit. Deux hommes, assis sur les bancs juste à côté de toi. L’un d’eux parle tellement fort qu’on pourrait croire qu’il s’adresse à toute l’audience. Toi qui est assise juste à côté de lui, tu peux entendre sans aucune difficulté chacune de ses paroles, spectatrice de la conversation contre ton bon vouloir. Bien sûr, tu voudrais bien changer de siège et trouver un endroit un peu plus tranquille, mais le bar déjà bondé te convainc te rester sur ta chaise. « Ah, tu vois, je t’avais dit que ça te ferait du bien de venir avec moi ce soir, tu ne peux pas passer tout ton temps dans ta chambre à composer Nicky… » Tu regardes le barman qui s’affaire à préparer de nouvelles boissons, tentative infructueuse de sortir ton attention de la conversation de ces deux inconnus. Lorsqu’il revient avec deux verres, l’odeur de leur contenu parvient jusqu’à toi et te pique le nez. Tu te pinces le nez, regardant dans leur direction avec un regard dédaigneux. Le manque d’habitude avec l’alcool, sans doute. Puis tu poses ta tête, au niveau des tympans, contre le creux de ta paume. Ressaisis-toi. Tu es venue ici avec un objectif. Trouver des renseignements sur ton père. Tu réfléchis à des phrases déjà préparées que tu pourras servir aux inconnus du bar, plutôt que de barbouiller des phrases incompréhensibles par le stress. Rassemblant tout ton courage, tu t’apprêtes à te relever de ta chaise d’un coup, comme si le fait de te lever brusquement te donnerait la motivation pour aller jusqu’au bout, lorsqu’une phrase prononcée par ton voisin te fait t’arrêter clair et net. « J’ai écouté les morceaux que tu m’as envoyé d’ailleurs, pas top, mais au moins il a un nom de famille classe, pourquoi t’en as pas hérité, Nicholas Blackbird ça aurait classe. » Dans un geste réflexe, tu te tournes vers les deux individus. Cette fois, ce n’est plus un regard dédaigneux que tu leur porte mais un regard surpris, ou plutôt deux boules rondes grandes ouvertes te servant de yeux fixés sur eux. « De.. je.. v.. Blackbird quoi? » Au diable tes phrases préparées à l’avance, c’est tout ce que tu parviens à bégayer maladroitement. Tu te tapes intérieurement. De toutes tes performances d’articuler des phrases correctes, celle-ci doit de loin être la pire. Tu ravales ta salive, consciente qu’ils n’ont sans doute rien compris de ce que tu viens de dire. « Vous avez dit Blackbird? » Te rendant compte que tu n’as pas cligné des yeux tout ce temps, tu parviens tout juste à cligner des yeux rapidement. « Vous connaissez quelqu’un qui porte ce nom? » Debout devant eux, tu réalises que ton apparition est peut-être un peu agressive. Tu te rassois mollement, pas très fière de ta prouesse.

@Nicholas Hurley

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Compliqué est le mot pour décrire ta vie de famille et certainement pas quelque chose qu'il faut évoquer dans un bar, avec un verre de whisky entre les mains. Ou alors c'est le bon moment, peut-être que les gens viennent précisément dans ce genre d'endroits pour noyer leurs problèmes, causés par des parents plus que négligents et repartir en se sentant un peu plus légers et de meilleure humeur. Est-ce cela que tu es venu chercher ce soir ? Dans un sens oui, tu es venu te rassurer, mais ce n'est pas l'alcool dans les veines qui te permet de te tenir un peu plus droit ou même de te sentir un peu plus toi dans un sens, c'est bien le fait de pouvoir monter sur scène. De pouvoir chanter, de pouvoir te produire ailleurs que dans ta chambre, devant un public, d'avoir des réactions en direct et pas autre chose...
Alors pour cela, tu es reconnaissant à ton ami d'avoir insisté, pour le reste, la case parents a toujours été problématique pour toi, quand tu penses à la famille, tu penses avant tout à Esmée, la femme forte qui t'a élevé, qui t'a enseigné sa compassion, son amour pour la musique et toutes les choses qui font que tu es toi, tes parents biologiques en revanche... Tu ne sais pas vraiment qui est mieux, entre ta mère qui a été un peu trop présente au début de ta vie et qui a laissé sa marque, dans tous les sens du terme, ou au père absent, que tu n'as véritablement rencontré qu'une seule fois et qui doit déjà avoir oublié ton existence... Le tableau n'est pas très glorieux, tu le sais. Tu as à peine le temps de remettre de l'ordre dans tes pensées que vous vous faites accoster par une troisième personne, une jeune femme, et l'ironie de la situation a le don de faire rire Vance, c'est toujours ça de pris, non ? "Hey Nicky, je crois que tu as une fan... je te laisse te débrouiller, je crois qu'ils ont besoin d'un batteur pour le prochain set. Et termine ton verre." Il dit cela en te donnant une tape sur l'épaule, il repose son verre vide sur le comptoir et déjà il s'éloigne, te laissant seul avec un parfait inconnu. "Merci ?" Que tu murmures, plus à l'adresse de Vance qu'autre chose. Tu ne sais même pas pourquoi tu le remercies dans un sens, de t'avoir poussé à venir ici ce soir, pour le verre ?
Bonne question, mais tu n'es pas seul et tu prends une gorgée de ton verre, grimaçant encore plus avant de répondre. Très mauvaise idée, le whisky, que tu penses intérieurement, très, très mauvaise idée. Tu ne sais même pas comment lui répondre en réalité et tu décides de tout simplement hausser les épaules, et de commencer par le plus évident. "Euh oui, plus ou moins, si vous êtes fan de musique classique, difficile de passer à côté. Il y a un compositeur plutôt connu avec ce nom..." Tu ne le dis pas toute la vérité, tu n'as aucune raison de le faire après tout et tu commences par un sujet neutre, on pourrait te faire remarquer que la musique est quelque chose que tu as en commun avec ce père que tu n'as jamais connu cependant, c'est une distinction que même toi tu veux faire, ce n'est pas le cas... cette passion pour les notes et les harmonies, elle te vient d'Esmée, du côté de sa famille à elle, des Hurley, après tout, il y avait bien un temps où ta propre mère était productrice de musique non ?
Oui, avant que les maux ne finissent par la rattraper. Mais cela te vient bien du côté Hurley de ta famille, même Esmée joue ou jouait plusieurs instruments à une époque et même ton grand-père. "Vous êtes vraiment une fan ?" Que tu demandes, car cela te parait être la seule explication logique, vous êtes dans un piano bar après tout, peut-être qu'elle est venue ici comme les autres fans de musique, pour passer une bonne soirée et oublier un peu ses problèmes. Peut-être.

Blackbird. C’est le nom que tu portes, même si tu n’as appris que récemment d’où il provenait. Ou plutôt, de qui il provenait. Depuis toute petite, c’est bien un questionnement qui taraude dans ta tête, comme une plainte sourde que tu as appris à taire avec le temps. D’où vient-il? Car s’il est bien celui qui a laissé sa trace sur ton certificat de naissance, tu es bien la seule de ta famille à le porter. À cause de ça, tu t’es toujours sentie un peu décalée. Pas à ta place, même chez toi. C’est finalement auprès de la musique que tu as trouvé un refuge, une zone de sécurité qui n’appartient qu’à toi. La peinture s’est plus tard ajoutée, donnant un sens à ta vie que seuls ceux passionnés par les notes et les coups de pinceaux pourraient comprendre. Mais malgré les années, c’est encore et toujours grâce aux mélodies échappées par ton violon que tu as pris l'habitude de t'évader, libre de toute pression. Quelle ironie de découvrir que ton géniteur et toi partagiez les mêmes passions. Tu parles ici au passé, car pour toi c’est comme s’il n’avait jamais existé. Comment donner vie à un personnage que tu n’as vu que sur de vieilles rubriques épluchées du web. Tu aurais bien aimé avoir gardé un souvenir, rien qu’un seul, mais il est parti si tôt qu’il n’a laissé derrière lui que des rumeurs.

Tu agaces ton verre avec tes lèvres après t’être rassise mollement sur ton banc. La honte ne manque pas de t’atteindre. Car oui, ta réaction était plus que gênante. De toutes les façons que tu aurais pu réagir, bégayer et batiller quelques mots incompréhensibles était sans doute la pire. Dieu merci, les deux étrangers en face de toi ne semblent pas en faire une grosse affaire autant que toi. L’un d’eux se relève de son siège, donnant une tape sur l’épaule de son acolyte avant de se diriger plus loin alors que tu le regardes avec curiosité, te demandant presque s’il parviendra à rester debout vu son allure et te félicitant intérieurement de n’avoir presque pas touché à ton verre. Tu souris à ses paroles lorsque tu es prise pour une fan. L’idée te fait bien rire, malgré le fait que tu gardes cela pour toi. « Je te laisse te débrouiller. Et termine ton verre. » Comme en reflet à ses paroles, tu aspires une gorgée du liquide jaunâtre qui ne te semble que peu appétant. Tu grimaces alors que ton visage se tourne vers le musicien assis juste à côté de toi, retenant un rire lorsque tu aperçois la même expression dégoûtée sur son visage. Puis tu déposes ton verre sur le comptoir, le regardant fixement alors que tu écoutes avec attention les propos de ton voisin. Même si ta réaction antérieure a été maladroite, sa réponse t’intéresse. En fait, tout ce que tu pourrais apprendre sur ce Blackbird t’intéresse. Pour clore ce dossier, c’est ce que tu tentes de te convaincre. Mais au fond de toi, tu pressens bien une lueur d’espoir, mais l’espoir de quoi, exactement? « Euh oui, plus ou moins. » Tes épaules retombent d’un coup, la lueur d’espoir également. Une autre piste vide, que tu te dis. Tes yeux retournent à ton verre, observant le liquide sans grande conviction. « Si vous êtes fan de musique classique, difficile de passer à côté. Il y a un compositeur plutôt connu avec ce nom… » Tu regardes toujours ton verre fixement. Si tu paraissais peut-être très loquace quelques instants plus tôt, voilà que le momentum est passé et avec lui, tes espoirs de peut-être trouver des réponses ici ce soir. Tu te dis que c’était une mauvaise idée de venir, bien sûr que personne ne viendra te voir avec des réponses toutes préparées. « Vous êtes vraiment une fan? » Tes pensées reviennent vers ton voisin, que tu avais presque oublié l’espace d’une seconde, perdue dans tes pensées à fixer ton verre. « Pas vraiment. » Tu hausses les épaules. « Enfin, j’apprécie la musique classique, alors j’imagine qu’en quelque sorte, ce doit être un peu le cas. » Tu te retiens presque de ne pas éclater de rire. Toi, fan de Blackbird? Impossible. Bizarrement, malgré toutes ces années à pratiquer le violon, tu n’avais jamais entendu parler de ce fameux musicien avant d’avoir de découvrir son existence sur le web. « Par contre, il semblerait qu’on soit de la même famille. » Tu ricanes, une sorte de sifflement plus qu’un véritable rire sincère. « Alors si vous connaissiez par magie où il se trouve, ça pourrait m’aider. Sinon… » Tu ne termines pas ta phrase, toi-même incertaine ce que tu souhaites faire à présent. Car bien sûr qu’un inconnu dans un bar n’aura pas les réponses à tes questions. Tu repousses le verre sur le comptoir du bout des doigts, prête à en terminer avec cette soirée et à rentrer chez toi.

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Tu n'aimes pas vraiment quand c'est ce pan de ta vie-là qui vient te rattraper. Du tout même. En dehors d'Esmée, tu n'aimes pas parler de ta famille en réalité, le sujet est même tabou et ceux qui connaissent la vérité ou des bribes, ne posent pas de questions pour les bonnes raisons. Pourquoi ? Ce n'est pas une jolie histoire à raconter et ce même si, au fil des années, tu as appris à arrondir les angles et à trouver des excuses à ta mère et même à ton père. Tu ne sais même pas pourquoi tu le fais, tu ne leur dois absolument rien, c'est certain, l'âge te permet de réaliser que rien n'est simple, il n'y a rien de noir, ni de blanc et tout le monde cherche à se frayer un chemin... Pas souvent de la meilleure façon qui soit et pas avec les meilleures intentions le plus souvent mais. Mais tu es là ce soir, tu te tiens sur tes deux pieds, uniquement grâce à Esmée et tu fronces les sourcils quand cette parfaite inconnue te dit que non, elle n'est pas vraiment fan, mais elle s'y connait en musique classique. Tu a vu ton père commander un orchestre seulement deux fois dans ta vie, tu as été impressionné lors de ces deux instances, cependant, tu ne lui as pas fait savoir que tu étais là, tu ne l'as pas prévenu, tu n'es pas allé dire bonjour... Il sait que tu existes, Esmée l'a déjà contacté pour donner de tes nouvelles et quand il est devenu plus que clair qu'il n'était pas intéressé et qu'il avait une autre vie, tu as tout simplement tourné la page. Pas quelque chose de particulièrement douloureux, impossible de regretter l'absence de quelqu'un qui n'a jamais été là... n'est-ce pas ? Et pourtant, ce n'est pas un exercice que tu recommanderais à qui que ce soit. Quand l'inconnue reprend la parole, tu te figes sur place, littéralement, le cœur soudainement un peu plus lourd, la bouche entrouverte et les yeux bleus rivés sur elle.
"... Pardon ?" Tu dois avoir mal entendu, n'est-ce pas ? Ou alors elle a trop bu, oui il doit s'agir d'une très mauvaise blague et il y a une caméra pas loin. Ou alors c'est Vance qui se croit malin. Tu devrais aller le retrouver d'ailleurs, lui donner une tape sur l'épaule et lui dire que son humour est plus que vaseux. "Pardon ?" Que tu répètes, alors qu'elle est encore plus cryptique. L'aider à retrouver qui ? Ton père ? Tu réussis à prendre une profonde inspiration, résistant à l'envie pressante de ranger tes mains dans tes poches, tu ne peux pas, en position assise, tu croises les bras sur ta poitrine cependant, tes doigts se perdant dans les mailles de ton pull, plus presque invisible désormais. "Je crois que vous vous adressez à la mauvaise personne ou alors que vous avez bu un peu trop de verres." Ta propre voix sonne fausse, trop fausse et tu prends une autre inspiration, cherchant la vérité dans les pupilles de l'autre jeune femme. Elle n'a pas l'air éméchée, elle-même ne semble pas très heureuse de son affirmation et elle a l'air aussi secoué que toi.  
"Et même si ce que vous avancez est vrai, je ne peux pas vraiment vous aider... Du tout même." Que tu retentes, toujours incertain, une partie de toi se demandant ce que tu fais là et pourquoi tu n'as pas déjà mis de la distance entre toi et la brune. Est-ce de la curiosité ? Ou l'infime possibilité qu'elle ne soit pas en train de mentir et que vous ne soyez pas là par hasard ? "Ce n'est pas mon nom de famille à moi alors..." Alors non, tu n'as pas vraiment de réponses à lui apporter, du tout... Et tu peux encore moins lui dire où il se trouve. "Vous avez un prénom au fait ? Je suis Nicholas." Tu ne sais même pas pourquoi tu en révèles plus sur toi, confus ? Cela tu l'es, et un brin perdu, si elle était venue chercher des réponses ici ce soir, elle n'a fait que semer encore plus le doutes dans ton esprit.

Ce soir, tu n’es pas toi-même. Pourtant, tu es bien toi, la même Wolfie que hier ou des jours précédents. Mais tu te comportes d’une façon étrangère et ressens des émotions tout aussi absurdes. Comme si ce soir, quelqu’un d’autre avait pris ta place. Car ça ne peut pas être toi, de te tenir dans un bar de façon presque décontractée, et encore moins de converser tranquillement avec un pur inconnu. À lui demander des directives comme s’il pouvait vraiment apporter des réponses à tes questions. Tu te tortilles sur ta chaise lorsqu’il fronce les sourcils face à ta révélation, te demandant si tu as dit quelque chose de travers ou si tu aurais enfilé un vêtement à l’envers. Un vif coup d’œil t’indique pourtant que tout est à l’endroit où il devrait l’être. « Et vous, êtes-vous un fan? » C’est à ton tour de froncer les sourcils. Tu as du mal à saisir comment ce personnage pourrait avoir quelque chose d’appréciable, mais bien entendu, cela relève davantage de raisons personnelles que d’un manque de talent de sa part. Tu te doutes que pour quelqu’un de l’extérieur qui n’a pas la même relation avec le musicien que celle que tu entretiens avec lui, ce qui doit certainement être le cas de l’étranger en face de toi, sa musique doit être des plus appréciables. Mais pour ta part, l’idée d’aller le voir seulement t’inspirait suffisamment de dégoût que tu n’y étais jamais allé. « En fait, je ne suis jamais allé le voir jouer. » Tu gardes les raisons pour toi, n’ayant pas l’intention de l’effrayer plus que tu ne l’aies déjà fait. Pour autant, cela ne t’empêche pas d’en venir à la raison de ta présence ici. Des renseignements, des instructions, n’importe quoi qui pourrait te diriger dans la bonne direction pour retrouver les traces de ton père. Tu repousses le verre sur le comptoir, et tu te doutes que si tes mots ne l’expriment pas directement, une pointe de mépris doit être perceptible dans ta voix. Car être la fille d’un lâche n’est pour toi en rien une fierté. Lorsque tu te retournes, c’est une paire de yeux ronds que tu retrouves fixé sur toi, grands ouverts, te regardant l’air ébahit. « … Pardon? » L’inconnu se tient là, la bouche entrouverte et pour la deuxième fois ce soir, tu te demandes ce que tu as pu dire pour provoquer une réaction pareille. La deuxième fois que tu reçois la même réaction toutefois, tu fronces à nouveau les sourcils, trouvant sa réaction plus que curieuse. Tu te cales dans le fond de ta chaise, croisant les bras à ton tour en miroir à sa réaction. Il est sur la défensive, et ça paraît. Ce que tu ne comprends pas toutefois, c’est pourquoi. Tu l’observes silencieusement prendre une grande inspiration. « Je crois que vous vous adressez à la mauvaise personne ou alors que vous avez bu un peu trop de verres. » Tu souris face à cette phrase, sachant très bien que tu ne bois pas d’alcool. Dire des bêtises sous la boisson, cela aurait pourtant été une perspective plus agréable qu’être réellement prise dans cette situation qui devait paraître loufoque de l’extérieur, tu dois l’avouer. Mais ton sourire s’évanouit aussitôt. « Et même si ce que vous avancez est vrai, je ne peux pas vraiment vous aider… Du tout même. Ce n’est pas mon nom de famille à moi alors… » Tu n’arrives pas à interpréter le ton de sa voix. Si ses mots peuvent être secs, sa voix est pourtant bien incertaine. Tout cet échange te laisse perplexe, secouée, avec cette impression que quelque chose n’est pas dit, ou en tout cas qu’il ne dit pas tout. Parler n’a jamais été ton fort, et parfois une image, une action vaut plus que des paroles. Tu soupires alors que tu fouilles dans la poche de ton jean, en sortant un bout de plastique blanc que tu déposes sur la table. Ton permis de conduire. Wolfie Blackbird. Tu n’es toi-même pas certaine du pourquoi tu viens de faire cela, sûrement pour t’éviter d’avoir à expliquer. Aussitôt dégainé, tu le remets rapidement dans ta poche. « J’aimerai en dire autant mais je n’ai pas cette chance. » Car si tu pouvais en changer, tu le ferais sans hésiter. « J’avais pourtant eu cette impression que vous en connaissiez pas mal sur lui, mais je me suis peut-être trompée. Vous n’êtes peut-être pas un fan, finalement… » Tu lui fais un clin d’œil, pour alléger un peu l’atmosphère. « Quant à la boisson, j’aimerai bien vous dire que c’est le cas mais je n’aime pas l’alcool. » Ton verre à peine touché devant toi est là pour en témoigner. « Ce qui semble être également votre cas. » Trop nerveuse pour rester là sans rien faire, tu ramènes ton verre près de toi, le secoue légèrement et aspire un peu de son liquide. « Vous avez un prénom, au fait? Je suis Nicholas. » Tu te retournes vers lui, effaçant une grimace dû à l’alcool. « Je m’appelle Wolfie. » Tu te demandes encore un peu ce que tu fais là, toujours assise sur ce comptoir, pourtant tu ne sembles pas vouloir t’en relever. « Venez-vous du coin, Nicholas? »

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"Okay..." Que tu murmures tandis que la brune à côté de toi bouge, la scène parait un peu surréelle, tu te demandes même si tu n'as pas basculé dans une autre dimension, mais enfin, elle finit par sortir quelque chose de sa poche, le glisser dans ta direction et tu reconnais automatiquement un permis de conduire. C'est elle sur la photo, c'est bien elle, avec quelques années en moins il te semble et ce nom de famille plus que familier. Pas commun du tout, tu as déjà posé la question à Esmée et il n'y a aucun moyen de se voiler la face maintenant que tu y songes bien. Tu prends une profonde inspiration, l'index de ta main droite passe sur la carte plastifiée et tu hoches la tête. Pour t'ancrer un peu plus dans la réalité et pour te persuader que ce n'est pas un très mauvais rêve. Ce serait bien cruel dans ce cas précis et même ton esprit à toi, il ne te joue pas des tours de la sorte, jamais d'ailleurs.
Tu t'éclaircis la gorge et tu la regardes remettre le permis dans sa poche, comme si de rien était, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. En savoir plus sur lui qu'elle dit... tu retiens un rire jaune, vraiment, dans la vie de ton géniteur, tu n'es sûrement qu'un étranger, juste une ligne de plus, une petite erreur et c'est tout, n'est-ce pas ? Respire Nicholas, respire, tu peux sentir ton cœur légèrement s'accélérer et un nœud qui se creuse et se creuse encore dans ton estomac. Elle te donne son prénom, tu le savais déjà, tu viens de le dire et tu hoches la tête, il faut que tu en ajoutes plus, que cette rencontre paraisse un peu moins bizarre. "Okay, si ce que vous dites est vrai, on est quoi ? Cousin et cousine ? Frère et sœur ?" Le dire à voix haute te donne le tournis vraiment, une de tes mains vient s'agripper au comptoir du bar, comme si tu allais t'effondrer sur le sol d'une seconde à l'autre. Tu sais bien que ce n'est pas le cas, tu sais bien que c'est ton esprit qui te joue des tours et que la panique est en train de se manifester de la pire façon qui soit. Tu fermes les yeux pendant deux secondes, tu te forces à compter jusqu'à cinq dans ta tête et quand ton regard bleuté rencontre de nouveau le monde, tu fais face au barman et tu lui fais un signe de la main.
"Excusez-moi, est-ce que je peux avoir un autre verre de whisky ?" Il te faut décidemment quelque chose de fort pour continuer, sûrement la pire idée du monde vu que tu conduis et que ta tolérance pour l'alcool est faible mais tant pis. Ce n'est pas tous les jours que tu rencontres quelqu'un de... de... de ta famille. Il faut bien célébrer l'occasion, non ?  "J'ai le nom de famille de ma mère, c'est pour cela que je passe plus inaperçu et mon père, la personne que vous cherchez..." Ta phrase traine, tu ne sais plus comment aligner les mots et quand le verre est posé devant toi, tu prends une longue gorgée. Cela te brûle la langue, et le gosier, mais tant pis, tu as au moins l'impression d'être en vie, d'être là et Wolfie a toute ton attention. Tu ne vas pas fuir, tu ne vas pas t'effondrer, tu te tournes vers la brune en hochant la tête, elle a l'air aussi perdue que toi et c'est pour cela que tu la crois dans un sens. Personne ne se lancerait dans une blague d'aussi mauvais goût, ou alors, elle est très bonne actrice, tu n'en sais rien du tout après tout, c'est la première fois que tu la croises. "Il n'a jamais été très présent dans ma vie, ce n'est pas lui qui m'a élevé et il n'a jamais cherché à me contacter." Tu ne cherches pas à lui peindre un portrait plus que négatif de ton père, non, c'est la vérité, elle en fera ce qu'elle veut, en bon ou en mauvais d'ailleurs, tout ce que tu peux lui dire, c'est ce que tu sais.
"Il est compositeur, vous le saviez déjà, je crois qu'il a refait sa vie, qu'il est de nouveau marié, mais je ne suis pas complètement sûr. Encore une fois, je n'ai jamais eu de vraie conversation avec lui, j'ai ma famille à moi." Esmée, ta grand-mère est une pensée plus que rassurante à cette seconde précise, elle aurait sûrement mille questions pour Wolfie, c'est certain. "Mais si vous le cherchez vraiment, je peux vous aider ... ou du moins essayer... depuis combien de temps vous le cherchez d'ailleurs ?" Tu résistes à l'envie de lui demander son âge, mais il est clair qu'elle est plus jeune que toi, est-ce vraiment une bonne idée de se lancer dans cette recherche ? Tu n'en sais rien, toi, tu n'as jamais eu la réponse à cette question-là.