Thanksgiving, le seul moment de l’année où l’être humain décide de se concentrer sur ce qu’il y a de bon pour laisser le mauvais de côté. Et du bon, y’en a toujours même dans les moments les plus difficiles, c’est ce qu’avait pour habitude de me rappeler le coach. Aujourd’hui, je décide de lui rendre hommage en posant à l'écrit toutes les raisons qui me poussent à me montrer reconnaissant. Sam est le premier prénom qui me vient à l’esprit, suivi de près par celui de Penny. J’y ajoute aussi ce boulot, que j’affectionne et qui me pousse à donner le meilleur de moi-même ; Llewyn, le meilleur ami de Samuel qui n’a pas peur de prendre sa défense quand je ne suis pas là pour pouvoir le protéger ; Le centre Asperger et les membres qui le composent ; Dinis, le voisin d’à côté qui a toujours su se montrer présent et dont la porte m’est toujours ouverte. J'y ajoute même Maisie en tout petit – vraiment tout petit, encore plus petit que les caractères qui suivent les astérisques- j’irais pas jusqu’à dire que je suis extrêmement chanceux de l’avoir dans ma vie, c’est même tout le contraire. Pour autant, je me suis jamais autant marré qu’en me foutant de sa gueule, et ça, ça n’a pas de prix.  « T’as terminé ta liste ? » Je jette un coup d’œil à Samuel qui est trop concentré à remplir le tableau que je lui ai imprimé. Je trouve ça beau, de le voir aussi appliqué dans un procédé qui se veut positif. « Presque, arrête de me presser Gus ! » Je ris, levant les mains en l’air. « ooook, excusez-moi ô grand rédacteur en chef de thanksgiving. Je me tais, c’est promis.» Neuf ans et il me mène déjà à la baguette. En réalité, il pourrait prendre l’éternité s’il le voulait, car plus il écrit et plus cela veut dire qu’il existe un nombre incalculable de bonnes choses qui gravitent autour de lui. C’est plutôt ceci qui n’a pas de prix, je retire ce que j’ai pu dire au sujet de Maisie, désolé Moriarty mais t’humilier est beaucoup moins satisfaisant que le bonheur de celui qui risque de perdre le bout de sa langue à force de trop la mordiller. Je finis par vaquer à mes occupations, c’est-à-dire ranger l’appartement et déposer nos affaires dans le hall d’entrée sans oublier la boite pleine des chocolats préférés de celle qui nous a gentiment invité à diner chez elle ce soir.

« Pourquoi Penny a dû changer de maison ? » J’observe rapidement Samuel à travers le rétro intérieur de la voiture, il n’a jamais aimé les changements qu’ils soient directement ou indirectement lié à sa personne. En l’occurrence, le déménagement de Penny n’a pas l’air de le laisser indifférent, sinon il n’aurait pas pris la peine de poser de la question. [color:c500=#navy]« C’est un choix qu’elle a fait, elle n’y a pas été forcée. »  Je profite du feu rouge pour me retourner afin de pouvoir le regarder. « C’est ce que font les adultes quand ils sont assez chanceux pour trouver la bonne personne avec qui partager le reste de leur vie. »  Le bruit du klaxon me fait sursauter et me pousse à redémarrer, quittant des yeux mon frangin pour me concentrer sur la route. Je connais un conducteur qui ne s’est pas laissé prendre au jeu de thanksgiving, ce même conducteur qui décide de me doubler en gueulant des jurons qu’il est le seul à pouvoir entendre. Heureusement que Sam est là, sinon je crois que j’aurais pris soin de m’arrêter pour lui refaire son portrait ainsi que la carrosserie de sa bagnole qui pue l’oseille à plein nez. « Ça veut dire que tu finiras par partir toi aussi ? » Je ne sais pas ce qu’il entend par le ‘aussi’, si c’est de notre amie qu’il parle ou bien de notre père, mais quoi qu'il en soit, je ne peux pas le laisser se torturer l'esprit une minute de plus.  « T’as de la chance d’avoir un poisseux pour grand-frère. » Mes lèvres s’étirent en un sourire triste avant de me tourner pour manœuvrer un créneau qui laisse à désirer. « Si tel est le cas, tu seras le premier à faire tes valises pour venir avec moi. On marche par deux, Sam. »  Une promotion figée dans le temps, deux pour le prix d’un et ce sera toujours à prendre ou à laisser. « Tu m’aimes trop. » Il sourit et ça me fait rire. C’est une réplique que j’aurais pu sortir, du Sutton tout craché même si cela n’enlève rien à la véracité de ses propos. Je crois que c’est la première fois que je l’entends le dire à haute-voix et ça me rassure de savoir qu’il en a conscience.  « Tu sais qui t’aimes trop aussi ? » Il sourit à nouveau et quitte la voiture pour courir sonner à la porte de la nouvelle maison de Penny. J’en profite pour prendre un moment à le regarder tirer sur sa petite cravate ainsi que les manches de sa chemise afin d’être présentable pour celle qui s'apprête à lui ouvrir la porte. C’est fou à quel point il grandit vite, bientôt il sera assez grand et peut-être même assez chanceux pour trouver une personne avec qui il voudra, lui aussi, partager sa vie.
 

Penny apparait devant la porte alors que je sors du véhicule pour rejoindre mes deux personnes préférées. Y’a pas que Samuel qui s’est mis sur son 31, la blonde aussi s’est habillée pour l'occasion. Elle est belle, Penny. Elle a beau être vêtue d’une tenue qui lui va à ravir, c’est du sourire qu’elle affiche dont je veux parler. Stringer rayonne et mon petit doigt me dit que cela a tout avoir avec son nouveau petit ami. Et ça fait du bien de la voir comme ça car s’il y a bien une personne qui mérite d’être heureuse, c'est bien celle qui se trouve devant moi. « Samy! C’est pour moi que tu t’es mis beau comme ça? » Je ris en le voyant hocher la tête, super fier du compliment qu’elle vient de lui sortir. Mon frangin ne la quitte pas des yeux, c’est limite si je deviens pas transparent quand elle est dans le coin. Ce qui n’est pas pour me déplaire, après tout plus il prendra exemple sur elle et plus il aura de chance de devenir une personne qui aura le mérite de bien se comporter avec ses pairs. C’est ce que je veux, pour lui. Je veux qu’il reste ce petit garçon débordant d’énergie, qui se soucie du monde qui l’entoure en passant par les escargots qu’il ne peut s’empêcher de ramasser sur le pavé d’un trottoir par peur de les voir se faire écraser jusqu’aux mamies du supermarché qu’il me demande toujours d’aider en leur attrapant les aliments posés tout en haut des rayonnages métalliques. « Wow, les deux plus beaux gars de Brisbane juste pour moi ce soir, je suis vraiment trop chanceuse. » « C'est parce qu'on a du sex-appeal dans notre ADN, pas vrai Gus ? » Les enfants, ça retient tout surtout les gosses comme Samuel. L'histoire du sex-appeal remonte à son dernier spectacle de Noël, celui où il a été forcé de se déguiser en petit âne gris. Un costume bon marché qui lui a fait perdre toute confiance en lui alors j'ai dû trouver un argument pour le rebooster, un fait scientifique qu'il ne pourrait pas contrer. C'est ce jour là qu'une nouvelle base nucléique a été créée, certains ont des chromosomes en plus, chez les Sutton c'est une base azotée. « Y’a que pour toi qu’il accepte de mettre une cravate » Je peux pas en dire autant de mon côté puisque ça fait partie intégrante de la tenue que je dois porter au boulot. Je viens la serrer contre moi alors que Sam se faufile entre nous pour débuter la visite de sa toute nouvelle demeure. « Isaac devait travailler ce soir, mais si ça se trouve, il va rentrer avant que vous ne partiez. » J'espère bien qu'il va rentrer, je serais même prêt à camper dans le salon pour attendre le retour de l'infirmier. « C'est pas grave si c'est pas ce soir ce sera une prochaine fois.  » car au fond, c'est surtout pour Penny que nous sommes ici ce soir et peut-être aussi pour m'assurer que son nouveau chez elle est à la hauteur du cocon qu'elle mérite. Je lui enjambe le pas lorsqu'elle m'invite à entrer, l'endroit n'a rien du loft qu'elle a quitté. Il est plus spacieux, plus lumineux et ressemble plus à la demeure d'un couple qu'à l'appartement d'un célibataire. Le genre de maison que je ne posséderai jamais, parce qu'il y a ma mère dont l'état de santé ne lui permet plus de travailler et donc de payer un loyer et qu'il y a Samuel que je ne pourrais jamais laissé derrière. « Tu veux boire quelque chose? » J'observe les photos accrochées d'un couple heureux accrochées sur le frigo en souriant. « Un verre de rouge fera l'affaire. C'est qu'on a ton déménagement à fêter en plus de thanksgiving. » L'odeur qui se dégage du four réveille mon estomac qui se met à gargouiller. « Et toi Sam? Qu’est-ce qui te ferait plaisir? » Je me retourne vers mon petit frère qui vient prendre place sur le canapé, c'est bon signe car ça veut dire que ce nouveau logement est accepté. Maintenant il ne reste plus que l'étape du nouveau copain et ça, ça risque d'être un peu plus difficile à lui faire avaler. « Un jus de pomme dans un verre pour grande personne. » Un verre à pied donc, en ce moment il veut tout faire comme les adultes. Je sais pas si c'est parce qu'il se rend compte que notre mère fait défaut à celui qu'elle devrait endosser où bien si c'est sa façon à lui de se montrer autonome, mais j'aime pas trop le voir grandir trop vite. « T'as pas oublié d'offrir un truc à Penny ? » Je le regarde alors qu'il tient toujours la boite du chocolatier dans ses mains. « C'est pour toi, tes chocolats préférés. Et ça, c'est une lettre avec toutes choses que j'adore chez toi. » Et la liste est longue parce qu'il se souvient de tout, Sam et qu'il a toujours fait attention aux détails. « T'as besoin d'aide pour faire quelque chose ? »Je suis un piètre cuisinier tout ce que je sais faire c'est réchauffer des plats, faire cuire des pâtes et verser des boites de conserves dans un casserole. Par contre, je suis plutôt doué pour mettre la table ; monter des meubles et choisir une bonne playlist à mettre en fond sonore. En bref, je propose par politesse, mais je suis pas certain de pouvoir me rendre utile. Ce qui a de bien avec Penny, c'est qu'elle connait mes talents pour la cuisine et qu'elle prendra sans doute pas le risque de me mettre aux fourneaux sauf si elle souhaite organiser une soirée pompier improvisée. « T'as réussi à vendre ton loft ? » Je regrette mes mots à la seconde même où Samuel se met à froncer les sourcils. « C'est le loft de Penny, elle peut pas laisser d'autres personnes y habiter. » Le lâcher prise, c'est une notion qui est encore compliqué pour lui surtout quand cela concerne quelque chose qui a une valeur sentimentale. À ses yeux, ça reste encore le premier endroit qui le lie à Penny et aux nombreux souvenirs qu'ils y ont créés.
 

« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter un tel traitement de faveur? » Je secoue la tête en passant mon bras autour de ses épaules. Ce qu'elle a fait ? Elle m'a redonné espoir, voilà ce qu'elle a fait. Elle m'a montré que le syndrome autistique n'était pas une fin en soi, que ce n'était pas une tare contrairement à ce que les autres pouvaient me laisser croire et que tout finirait par s'arranger. Et c'est qu'elle avait raison, Penny parce qu'on va bien. Alors oui, il arrive que les hauts soient parsemés de bas, mais c'est comme ça dans toutes les familles. On se prend la tête, on se dispute, on se dit des choses sous le coup de la colère et puis on passe l'éponge. Et si Samuel l'aime autant, c'est parce qu'elle l'a toujours vu comme le petit garçon qu'il est et non pas comme quelqu'un de différent. Il me pousse pour aller découvrir la nouvelle maison de celle qu'il a toujours considéré comme étant sa grande sœur alors que je peux déjà entendre sa voix énumérer toutes les choses qu'il trouve cool en comparant l'ancien loft de Penny à son nouveau habitat. Je finis par entrer à mon tour me montrant beaucoup plus silencieux que celui dont l'intonation de la voix trahie son excitation. C'est que ça fait bizarre de ne plus me sentir chez moi en étant chez elle. Les changements, j'ai jamais aimé ça parce qu'il y a une part d'inconnue qui me pousse à vouloir rester sur mes gardes. Pour autant, je vois bien que ce nouveau foyer est beaucoup plus chaleureux que l'ancien et que ça m'a tout l'air d'être un changement qui a du bon. Je détaille la pièce commune en souriant à chaque fois que je tombe sur un objet que je reconnais, c'est un peu comme jouer au jeu des sept différences sauf qu'il y en a plus. « Je vous fais visiter après un premier breuvage? » J'acquiesce tandis que Samuel prend place sur le tabouret américain. « Un jus de pomme dans un verre pour grande personne. » Et j'espère que c'est qu'il commandera au bar même quand il sera devenu assez grand pour boire un breuvage à base d'alcool. Penny rigole et je mêle mon rire au sien jusqu'à ce qu'elle ne verse le vin rouge que dans un seul verre à pied remplissant les deux autres de jus de pommes. Il faut savoir que je ne bois pas des masses et les seules fois où j'affectionne tout particulièrement un bon verre de vin c'est lorsqu'elle vient à la maison pour refaire le monde avec moi le temps d'une soirée. Alors forcément que je fronce les sourcils quand je la vois faire équipe avec Samuel plutôt qu'avec moi surtout pour thanksgiving. « Pourquoi? Tu bois comme Angus d’habitude. » Exactement, Sam. « J’ai envie de faire changement. » Ça fait beaucoup de changements en une soirée, je baisse les yeux tandis que Samuel lui donne ses chocolats préférés et sa lettre. C'est pas que je suis contre le fait qu'elle refuse de boire un verre, moins elle boit et mieux c'est. Ce qui m'inquiète, c'est la raison pour laquelle elle se refuse tout bonnement à le faire. Est-ce que c'est parce que son copain n'aime pas qu'elle le fasse ? Pourtant ça boit du vin, les chrétiens. C'est même synonyme de sang de Dieu, j'ai trouvé l'image horrible et dénuée de sens, mais soit. J'ai pas envie de la voir tomber sous l'emprise de quiconque ou de la voir changer pour les beaux yeux de je-ne-sais-qui. Parce que c'est comme ça que les choses peuvent vite déraper, au début c'est l'interdiction de boire un vin de rouge et puis après c'est une interdiction de sortir voir des potes. Y'en a des tordus sur tinder, y'a des tordus partout.

« C’est beaucoup trop adorable, merci Samyboy. » Je relève la tête vers son visage pour y voir des larmes rouler sur ses joues et même si je sais que ceux sont des larmes de joie, je peux pas m'empêcher de faire le tour de l'îlot pour venir la rejoindre et la prendre dans mes bras. « Tout est déjà prêt et je vous le dis tout de suite les garçons, c’est pas de la grosse gastronomie. » Ce qui est bien avec nous, c'est qu'elle aurait beau rater sa recette ce serait toujours mieux que les plats tout préparé qu'on a l'habitude de manger ou ceux fait à base de boites de conserves. Alors si, je suis sûr que Samuel trouvera ça nettement meilleur que ce qui peut bouffer à la maison. "Tu peux pas faire pire que moi". Il hoche sa petite tête bouclée. "Non, tu peux pas faire pire que Gus" La vérité sort toujours de la bouche des enfants et encore plus quand l'enfant est mon frangin. Mon visage se déforme en une grimace immonde qu'il me rend en souriant. Sale môme, en attendant il a la chance de pouvoir manger à sa faim. Je sais pas pourquoi je fais référence à son loft, peut-être que c'est la nostalgie parle d'elle même, mais ma question ne semble pas plaire à Samuel. « C’était mon loft, mais comme j’habite ici maintenant, je n’en ai plus besoin. » Sa voix est douce, je peux voir qu'elle met tout en oeuvre pour éviter de le contrarier. « Comme ça, je peux le vendre à quelqu’un qui en a plus besoin que moi. De toute façon, c’est pas assez grand chez moi, pour une famille. » Elle me lance un regard, mais c'est son sourire qui me met la puce à l'oreille. Mes yeux se pose sur le verre de jus de pommes et puis de nouveau sur elle. "Pause." Elle me fait une blague, c'est sûr qu'elle me fait une blague. "Attends, quoi ?!" Mon regard se pose sur son ventre et je perds mes mots pendant un instant alors que je la prends dans mes bras pour la serrer contre moi. Y'a peu de choses qui me touche et je suis pas du genre à être démonstratif, mais je peux sentir l'émotion m'envahir à l'idée de l'imaginer maman alors je fais ce que je sais faire de mieux c'est à dire utiliser l'humour. "Je croyais qu'on avait dit pas de S-E-X avant le mariage ?"   que je dis en mettant fin à notre étreinte pour la regarder. "Félicitations, c'est pour quand ?" Je pourrais ajouter des tas de choses comme à quel point ce bébé a de la chance, qu'il va être aimé comme jamais, qu'elle fera une excellente maman et que bordel, je suis si content pour elle. Et je pourrais, si je n'avais pas été formaté par une pudeur maladive qui me pousse le plus souvent à me contenter de non-dits. Je vais être tonton et mon petit-frère aussi, Samuel qui me regarde sans rien comprendre. "Penny va avoir un bébé !" Le dire à haute-voix rend les choses plus réelles, elle va devenir maman pour de vrai et Samuel va avoir un petit pote ou une petite pote à adorer autant que celle qui tient une place importante dans son coeur. Il fronce les sourcil avant de se lever pour venir regarder le ventre de Penny."T'es une fille ou un garçon ?" qu'il demande directement à son nombril. "J'espère que t'aimeras les dinosaures." Je rigole et il me dévisage en croisant les bras. "Bah quoi, il ou elle a des oreilles comme toi et moi." Oui, c'est sûr. Y'a bien des études qui démontrent qu'un foetus peut entendre les bruits extérieurs, mais je doute que celui d'Isaac et Penny soit assez grand pour avoir l'ouïe aussi développée. J'attrape mon verre de vin que je lève en l'air. "À ce bébé, cette maison et puis à toutes les couches que tu vas devoir changer." J'attends qu'ils prennent leurs verres pour venir trinquer à toutes les  belles choses qui l'attendent car ça m'a tout l'air d'être son année et il était temps que la tourne dans le bon sens.
 

Samuel n'a que faire de nos échanges, c'est sur le bouquet de fleurs qu'il préfère reporter son attention. « Regarde Penny, les pétales sont tous soudés! » Aussi soudés que le trio que nous formons. Sa voix démontre un étonnement qui me fait sourire, c'est qu'on en voit pas souvent, des fleurs, et encore moins lorsqu'elles sont à un stade aussi précoce.  « Tu sais comment on appelle ça, quand les pétales sont collés comme ça? Un gamopétale. » « Un gamo-quoi? » Je lance un regard amusé à Penny qui vient d'élargir son lexique déjà bien avancé. Gamopétale, un mot qui n'a pas l'air de l'effrayer puisqu'il vient séparer les fleurs à l'aide de ses doigts jusqu'à briser la fleur avant même qu'elle n'ait eu le temps d'éclore. La corolle dans sa main, une grimace déforme mon visage face à la scène de crime qu'il essaye tant bien que mal de dissimuler derrière son dos. Une chose est sûre, Samuel ne sera pas celui à qui je téléphonerais si un jour je venais à me retrouver avec un cadavre sur les bras. Je le regarde mettre rapidement les restes du bourgeon dans la poche de sa veste en faisant comme si de rien n'était alors que je mime un 'désolé' avec mes lèvres en direction de mon amie. Pour sa défense, il n'a jamais connu d'aussi beau bouquet, les seules compositions florales que nous avons eu à la maison sont celles qui étaient vendues à moitié prix chez le fleuriste du quartier et dont les fleurs étaient tellement ouvertes qu'on pouvait nous suivre à la trace en suivant les pétales. Celui-ci a dû coûter relativement cher, mais beaucoup moins onéreux que ce que peut représenter Penny aux yeux de ses proches. Son bonheur n'a pas de prix et oui, c'est un 'pauvre' qui le dit. L'odeur de la sauce tomate m'ouvre l'appétit, je fais le tour de l'îlot pour venir jeter un coup d'oeil dans la casserole. Des spaghettis bolognaise, le plat préféré de Samuel. « Non, tu peux pas faire pire que Gus. » Je lui tire la langue, alors que ma mimique laisse rapidement place à un sourire triste lorsque mes yeux se posent à nouveau sur le plat concocté par notre hôte. 'Putain, on est des spaghettis' c'est ce que j'avais répondu à Damon, un mois plus tôt, lorsqu'il s'était ramené devant ma porte pour tout me raconter. Une référence à la spaghettification, un délire d'astrophysiciens qui passionne mon frangin et me rappelle à quel point Saül est un trou noir en plus d'être un parfait connard. Aujourd'hui, ça fait huit jours que Damon s'est marié, non pas que je compte, ou peut-être que si. Un peu plus d'une semaine depuis que je me suis promis de tirer un trait et de faire une croix sur ce qu'on a un jour été. Pourtant, il arrive encore qu'un détail me fasse penser à lui, comme ce plat. Alors, pour mettre fin à l'infime pincement que je peux ressentir naitre au creux de ma poitrine, je décide de me renseigner sur l'avenir du loft de Penny. Une question maladroite qui ne fait qu'engendrer une incompréhension chez le petit mec qui se tient à mes côtés, mais Stringer le voit tout comme moi et prend les devants pour mettre fin au stress qui peut se lire sur le visage du bouclé.

C'est à ce moment que Penny annonce la nouvelle par le biais d'un sous-entendu qui réside en un mot, 'famille'. Mes yeux vacillent entre son ventre et son visage, sans un mot, je me répète sa phrase en boucle. Celle qui parle de son ancien loft trop petit pour accueillir une 'famille'. La sienne, la leur et aussi un peu la nôtre, finalement. Un nouveau membre est en train de grandir dans le ventre qui se cache sous sa robe fleurie. Un bébé qui fera partie intégrante du clan des Stringutton, un futur allié pour David et Samuel. Je la rejoins pour la prendre dans mes bras, une étreinte qui m'émeut et que je m'efforce de cacher à la seconde où j'y mets un terme. « Oups, j’ai glissé. » Je lâche un doux rire alors que je la regarde de la tête aux pieds. « Début juillet. » Un bébé de l'hiver, je l'imagine déjà emmitouflé dans les bras de sa mère et cette idée ne fait qu'étirer le sourire qui borde le coin de mes lèvres. Sam vient se mettre entre nous lorsqu'il apprend la nouvelle à son tour, accroupi à la hauteur de son bedon, il penche la tête, intrigué par l'être qui est en train d'y pousser. « On ne sait pas encore. On pourra savoir dans quelques mois. » Quelques mois, ça parait si loin et si proche à la fois. « Toi, tu penses que ce sera quoi? » Intéressé par sa réponse, je regarde celui qui fait ma fierté depuis plus de neuf ans. Je revois mes parents le ramener de l'hôpital, son petit visage rond et joufflu et tout l'amour que j'ai pu ressentir lorsque mes yeux se sont posés sur lui pour la toute première fois. « Hum… Je pense que ce sera une petite fille. » Je ris, évidemment qu'il penche pour une fille. Il ne faudrait pas qu'un petit garçon lui vole sa Penny. « Toi Angus, tu penses que ce sera quoi? » Peu importe le sexe, tant qu'il ou elle voit le jour avec une santé de fer. Je sais que pour Sam ce sera forcément plus compliqué si c'est un garçon parce qu'il se sentira sans doute mis sur la touche et qu'il ne pourra pas s'empêcher de le voir comme un adversaire avant de prendre conscience que le cœur de celle qu'il admire tant est bien assez grand pour les aimer tous les deux. Quant à moi, je n'ai pas de préférence puisque dans les deux cas, je serai toujours l'oncle beauf qui fait des blagues pas drôles aux repas de famille. "Je mise sur des quadruplés en bonne santé." J'annonce en souriant davantage lorsque mes yeux rencontrent ceux de la future maman. Une équipe de rugby, ce serait drôle enfin surtout pour moi et un peu moins pour Penny et copain. « J’espère que t’aimeras les dinosaures. Bah quoi, il ou elle a des oreilles comme toi et moi. » Je secoue la tête aux mots de mon petit-frère, pas de doute que cet enfant verra le jour entourés de diplodocus et de ceratopsia en tout genre. « Tu penses que tu serais prêt à partager? » Il fait oui de la tête alors que je l'observe sans broncher. Je me trompe probablement, mais je suis presque certain de le connaitre assez pour savoir qu'il n'aura pas de mal à partager si c'est une fille et que dans le cas contraire, il y réfléchira à deux fois avant de lui tendre l'une de ses figurines fétiches. M'enfin, l'avantage c'est que la naissance est prévue pour dans quelques mois, ce qui signifie que j'ai encore le temps de le préparer à l'arriver de son nouvel ami. « Beurk. » qu'il lâche lorsque je porte un toast à toutes les nouvelles choses qui s'apprêtent à voir le jour dont les nombreuses couches qu'elle va devoir changer.

« Ça fait beaucoup de changement en peu de temps. » C'est un fait, une naissance, ça change une vie. J'ai toujours eu une aversion pour les modifications de dernières minutes pour la simple et bonne raison que ça mène souvent à des incertitudes et qu'il n'y a rien de pire que de ne pas savoir de quoi demain sera fait, n'est-ce pas ? Pour autant, la vie m'a appris que certains imprévus pouvaient avoir du bon et cette grossesse en fait partie. Alors oui, c'est sûr que ça doit être sacrément flippant pour les jeune couple qu'elle forme avec l'infirmier, mais je suis tout aussi certain qu'ils feront d'excellents parents. "Je déteste les changements. que j'avoue presque dans un murmure alors que je m'éloigne pour ouvrir les armoires à la recherche de quatre assiettes. Pourtant, j'adore celui-ci." Je me retourne pour lui sourire. L'asperger de Samuel a tout chamboulé, c'est pourtant ce changement qui m'a mené à faire la rencontre de Penny et c'est aussi ce qui m'a rendu meilleur, plus tolérant, un peu moins con même si je prends plaisir à montrer le contraire. « C’est un peu étourdissant, dit comme ça. » Je finis par trouver de quoi dresser la table et attrape mon verre de vin pour le déposer devant mon assiette. " Non, ça c'est parce que tu te retrouves dans la même pièce que les frères Sutton. C'est souvent l'effet qu'on fait." Samuel ne comprend pas et tant mieux d'ailleurs, mais moi, ça me fait marrer comme un gosse. J'invite Samuel à se laver les mains alors que je dépose les plats sur la table. "Tu vas être merveilleuse dans ce nouveau rôle." Et Isaac aussi, probablement, faut-il encore que j'arrive à le rencontrer pour pouvoir en juger. J'essuie mes mains sur le torchon avant de rejoindre mon frangin qui a déjà pris place autour de la table, la serviette coincée dans le col de sa chemise.  "T'as déjà des idées de prénoms ?" Je l'interroge tout en servant de la salade au bouclé qui grimace en se pinçant le nez. "Tu sais que t'es en train d'offenser la totalité de tes potes herbivores ?" Il marmonne un moment dans sa barbe, mais finit tout de même par mettre une feuille dans la bouche d'un geste lasse. "Quand je pense que tout ceci a commencé sur tinder, ça me donnerait presque envie de finaliser mon profil." Un profil encore vierge de toutes informations. J'en rigole, mais ça pourrait sans doute m'aider à tourner la page une bonne fois pour toute. Le truc, c'est qu'il y a aussi de grandes chances pour que ça me fasse perdre toute foi en l'humanité.

« Ah bah oui, aucune pitié pour moi à ce que je vois. » Je lâche un oops, mes yeux ne pouvant quitter son ventre, n'arrivant toujours pas à me faire à l'idée qu'un petit être est en train d'y pousser. J’écoute Samuel affirmer avec une telle vivacité qu’il sera prêt à partager ses jouets lorsque le bébé de Penny pointera enfin le bout de son petit nez. Les neufs prochains mois risquent d’être sacrément long surtout pour le petit garçon qui se tient à mes côtés. La patience n’est pas son fort et même si on bosse dessus, c’est encore loin d’être l’une de ses grandes qualités. Y’a tout de même du progrès puisqu’à présent il commence à parler de Noël à partir du mois de septembre et non plus celui de juillet. « Vous allez faire de super tontons. » Et elle, une super maman. Ce bébé, fille ou garçon, qu’importe le sexe, sera entouré de gens tellement différents qu’il ne pourra que prôner la tolérance. Et c’est beau, de se dire que David et Samuel auront un nouvel allié avec qui pouvoir tout partager sans avoir peur d’être jugés. Une nouvelle personne qui les aimera pour ceux qu’ils sont réellement et pas pour ce que la société aimerait qu’ils soient. Je m’empresse de mettre la table pour ne pas me laisser gagner par l’émotion, j’ai jamais été à l’aise avec les démonstrations d’affections. Les étreintes ne me dérangent pas, j’ai pas trop mal à dire à mes proches que je tiens à eux, surtout quand il est question de Penny, mais pour le reste c’est une toute autre histoire. Samuel vient me rejoindre suivi de près par l’une de ses personnes préférées et je la remercie lorsqu’elle nous sert des pâtes dont l’odeur m’ouvre directement l’appétit. Mon frère n’attend pas plus longtemps avant d'y goûter, la bouche pleine de sauce tomate, je le regarde trier son assiette par paquet de six pâtes. La main de Penny vient cueillir la mienne alors que je relève les yeux vers elle. On en a fait du chemin depuis qu’on se connait, Penny plus que moi. Elle a dû affronter bon nombre d’obstacles et malgré tout, elle a toujours su se relever alors si son futur enfant a la chance d’hériter ne serait-ce que d’un peu de sa force, je suis certain que rien ne pourra l’arrêter et qu’il sera tout aussi courageux que sa maman.

« Pas du tout. Je peine encore à réaliser que je suis vraiment enceinte. » Je ris tendrement, c’est bon signe, ça veut dire qu’elle n’a pas encore atteint le stade des nausées à gogo et des petits inconvénients que peut avoir une grossesse. Je revois encore ma mère se pincer l’arête du nez à chaque fois que mon père revenait avec sa pizza aux anchois. « J’aimerai bien quelque chose de court, qui vieillit bien. » Le choix du prénom, ça peut briser des couples. C’est surtout une énorme responsabilité que je suis loin d’être prêt à endosser sans compter le fait de devenir parent. Je suis persuadé qu’on arrête de respirer à partir du moment où on a un enfant. Je n’imagine pas le stress constant que cela doit être : avoir peur qu’il se fasse mal; qu’il tombe malade; qu’il soit malheureux; les premières peines de cœur; le premier bobo; les premiers signes d’émancipation, quelle l’angoisse. En réalité, ça me le fait déjà avec Samuel et j’ai du mal à croire que je puisse un jour aimer quelqu’un plus fort que ce que je peux l’aimer lui. On dit que l’amour se multiplie, je pense pas que ce soit une science exacte sinon les orphelinats n’existeraient pas et les familles d’accueils non plus. « On va sûrement attendre de savoir si c’est un garçon ou une fille avant de se lancer dans les listes. »  « Tu comptes faire une baby-shower ? » Je demande, entre deux bouchées. C’est hyper tendance en ce moment, je vois que ça sur instagram comme si toutes les anciennes connaissances du lycée s’étaient données le mot pour faire un bébé en même temps. C’est là que je me dis que je suis plus tout jeune et que pendant que d’autres font des enfants et se marient, moi je cours après un mec qui est sur le point d’en épouser une autre. Sam grimace lorsque je dépose quelques feuilles de salade dans son assiette, y’a des moments comme celui-ci où il me fait un peu penser à moi lorsque j’avais son âge. « C’est pas déjà fait ça? » qu’elle me demande quand j’avoue ne pas avoir été plus loin que la simple création du compte Tinder. J’ai beau dire que c’est pas mon truc, les applications de rencontres, la vérité c’est que j’ai pas forcément la tête à ça. Mon histoire avec Damon est encore trop récente et elle a eu le mérite de me vacciner contre tout ce qui se rapproche de près ou de loin à toute forme de relation. « On arrange ça ce soir. »  Je souris à pleines dents, bien conscient d’avoir un morceau de laitue qui recouvre mes incisives. « Laisse-moi regarder mon Instagram, voir si je trouverais pas une belle photo de toi à mettre comme photo de profil. »  D’une main, je sors mon portable pour prendre un selfie et la montrer à Penny. « Qu’est-ce que tu penses de celle-ci pour la photo de profil ? »   Ça fait rire Sam qui fait pareil, c’est qu’il est doué pour manger de la salade quand il est question de faire le pitre. « Et en bio, je pourrais mettre un truc comme : je suis pas du genre à raconter des salades. » Y’a que les bobos qui swiperaient en ma faveur et encore, je suis pas sûr de faire l’unanimité même chez les écolos.  Penny me regarde à peine, le nez plongé dans son téléphone, je peux la voir faire défiler son feed. « Oh regarde, je pense que c’est mon amie qui a fait la robe de la mariée. » J’attrape mon verre de vin avant d’en boire une gorgée pour faire disparaitre le morceau de laitue dans mon organisme puis relève les yeux vers l’écran. Le sourire de Damon me retourne l’estomac, je détourne immédiatement le regard, trop rapidement pour que cela passe inaperçu. « Attends, tu connais la mariée ? » Mon sourire a laissé place à un ton amer que je tente de cacher à l'aide d'un raclement de gorge. « En fait, peu importe, j’ai pas envie de savoir. » J’ai surtout pas envie de parler de ce mariage et encore moins de l’heureuse élue parce que comme un con j’y étais et que j’ai pas l’intention de me remémorer cette soirée où Damon lui a juré amour et fidélité. « T’as terminé Sam ? Il se fait tard, on devrait rentrer. » Sans attendre sa réponse, je me lève pour débarrasser son assiette ainsi que la mienne. « Je veux pas partir, on a pas mangé le dessert ! Pas vrai Penny ? »  Les mains posées sur l’évier, j’essaye de garder mon sang froid, mais toute cette histoire me rend facilement irritable et de le voir sourire à ses côtés comme si de rien n’était, comme si ce mariage n’avait rien d’une union forcée, me donne envie de tout casser.

Dans quelques mois seulement, notre trio laissera place à un quatuor. Un membre de plus qui n'aura pas de mal à nous rendre tous gaga. Tous, à l'exception peut-être de Samuel qui se bouchera les oreilles à chaque fois que le bébé se mettra à pleurer et qui mettra tout en oeuvre pour garder sa place dans le cœur de celle que nous chérissons tant. « Je pense que ma mère me pardonnerait pas si je lui laissais pas la chance d’en organiser une. » Ah ça, c'est certain et je crois que ça me ferait quelque de chose de ne pas voir la totalité de ses proches se réunir autour d'un si bel événement. Pour une fois que c'est aux autres de penser à Penny et non l'inverse. J'esquisse un tendre sourire à l'idée de voir ses parents et David débarquer à Brisbane. Ça fait un bail qu'on s'est pas vu et je dois avouer que la dynamique familiale des Stringer me manque un peu. Y'a rien de mieux pour me rebooster que de passer une journée en leur compagnie, ses parents ont une telle joie de vivre, qu'il est difficile d'y rester de marbre. « Elle n’est pas encore au courant pour ma grossesse, par contre. » Je fais semblant de verrouiller mes lèvres d'un geste de la main et balance l'air qui me sert de clé par dessus mon épaule. Note à moi même : éviter d'appeler Kerrie jusqu'à ce que Penny ne lui révèle la grossesse. C'est qu'elle est pas facile à berner, sa mère et même si mes talents de menteur ne sont plus à prouver, il n'en reste pas moins qu'elle possède un sixième sens qui la pousse  toujours à me cramer lorsque j'essaye de garder un secret. « On va leur dire après Noël, on a prévu avec Isaac d’aller passer quelques jours à Torquay. » Ce qui sera sans aucun doute, le meilleur cadeau que ses parents auraient pu espérer. Je les imagine tellement bien dans le rôle de grand-parents parce qu'ils font déjà un excellent travail en tant que parents du moins c'est ce que je suis forcé de constater quand je vois à quel point leur fille est bien éduquée.« C’est le genre de nouvelle qui se partage en face-à-face. »  J'espère qu'elle filmera leurs réactions, je donnerais tout pour voir la tête de ses vieux quand elle leur annoncera la nouvelle et celle de son frère quand il comprendra qu'il est sur le point de devenir tonton. "C'est quand que je pourrai revoir David ?" Je vole une pâte dans l'assiette de mon frère pour le pousser à manger, il se précipite pour m'en prendre une afin de la remettre sur son paquet et ainsi retrouver une équité entre les différents paquets. "On appellera Penny quand elle sera chez ses parents pour que tu puisses le voir en FaceTime." Il acquiesce, la bouche pleine des quatre pâtes qu'il vient de s'empiffrer par peur de se faire piller un bout de son repas.

Je repense à ses débuts avec Isaac et le fait qu'ils se soient rencontrer par hasard sur Tinder. Une application que je n'ai pas réutilisé depuis que j'ai créé mon compte sur un coup de tête la dernière que Penny est venue à la maison. J'observe un moment mon profil complètement vierge puis quitte l'application de rencontres pour ouvrir celle de l'appareil photo. Un bout de salade entre les dents, j'use de mon plus beau sourire pour prendre un selfie que je télécharge en tant que photo de profil. Rien de mieux pour pousser les gens à swiper en sens inverse ce qui est tout à fait le but de mon intervention. Au moins ça a le mérite de faire rire Penny et ça vaut nettement plus qu'un match sans lendemain. « Ah oui, je suis certaine que ce serait très winner comme approche. » Tu parles, je risque de choper que des vegans et  des militant(e)s qui se dépêcheront de faire demi-tour en me voyant débarquer dans ma bagnole d'occasion super polluante. Les choses redeviennent sérieuses lorsqu'elle me montre une photo de son amie en compagnie du couple, plus amoureux que jamais. « Euh… vaguement. » Il ne manquait plus que ça sur toutes les filles qui habitent Brisbane, il fallait que Saül mette la main sur l'une des connaissances de Penny car  c'est bien lui qui a choisi la blonde et non pas son fils. « Je l’ai croisé une fois, elle s’appelle Megan. » Je dépose ma fourchette d'un geste brusque et qui ne me ressemble pas. Le tintement du couvert sur l'assiette fait sursauter Samuel qui se retourne pour me regarder l'air perplexe. "Pardon." Je souffle dans un murmure. J'ai pas besoin d'en entendre davantage qu'il se soit marié sous mes yeux est un fait, mais que Penny soit pote avec l'élue de son coeur m'est presque tout aussi difficile à digérer. Je sors de table pour venir trouver refuge près de l'évier, loin de mon amie de la photo qu'elle vient de me montrer. « Non mais attends, tu la connais? Ou lui? » Je ne réponds pas à la question pour ne pas avoir à lui mentir.  Les mensonges sont peut-être nombreux dans mon quotidien, mais pas quand je suis en sa compagnie. Elle fait partie de la famille, c'est la soeur que je n'ai jamais eu et celle à qui je ne peux rien cacher. C'est pour cette raison que je décide de mettre fin à la soirée, si je pars, Penny n'aura pas l'occasion de creuser plus profond et je n'aurais pas à en parler. « Ben voyons, attends… » Je souffle sans pour autant me retourner. Mes mains s'agitent à nettoyer le plat que nous venons de vider tandis que la voix de Samuel plaide en faveur de Penny en réclamant le dessert.  « C’est vrai, oui. » Ce qui m'arrangerait là tout de suite, c'est que son petit-ami déboule par la porte d'entrée et nous offre de quoi changer de sujet, mais Isaac n'est pas là et je doute qu'il ne rentre avant la fin de la soirée. « Si tu veux Sam, il y a une chambre à l’étage avec une console et je crois qu’il y a un de tes jeux préférés. Tu veux aller jouer un peu pendant que je fini de ramasser le dîner et que je prépare le dessert avec ton frère? » Je me retourne vers Penny et elle n'a pas besoin de croiser mon regard pour que je sache ce qu'elle est en train de mijoter. Elle m'offre une occasion de tout lui raconter sans avoir à me censurer, voilà ce qu'elle fait.  « Qu’est-ce que j’ai manqué? » Qu'est-ce que j'ai loupé pour en arriver à n'être qu'un invité parmi tant d'autres au mariage de celui que j'ai fréquenté. « Le ramassage et le dessert peuvent bien attendre encore un peu. » J'attrape le chiffon pour m'essuyer les mains avant de me retourner pour la regarder. Par où commencer ? Elle en a loupé des choses et pas qu'un peu mais à qui la faute ? Quand on sait que je suis pas doué pour parler de ma vie privée et que j'ai été trop habitué à en faire un secret d'état que j'ai fini par en oublier la seule personne sur qui je pouvais réellement compter. J'attrape la bouteille de vin pour me servir un second verre. "La semaine dernière quand je t'ai demandé de venir me chercher, c'est parce que j'étais coincé au mariage de mon ex." L'admettre à voix haute rend la situation encore plus pathétique. Je porte le verre à pied jusqu'à mes lèvres pour noyer l'amertume dans une gorgée d'un vin qui ne fait que me renvoyer au lieu dudit mariage. "Damon, c'est lui sur la photo." Qu'elle connait seulement sous le nom de "simple collègue de boulot" ou "fils du patron". "Et tu devrais te méfier de Megan car c'est le genre de fille qui serait prête à vendre son âme au diable pour pouvoir arriver à ses fins." J'aimerais pouvoir lui en dire plus, mais vaut mieux pour Penny qu'elle reste en dehors de ça. Saül est puissant et il ferait n'importe quoi pour protéger les dessous du petit couple parfait qu'il a réussi à créer. Et si Damon est une victime dans tout ce scénario, Megan est celle sans qui tout ceci ne serait jamais arrivé. Elle a voulu jouer avec plus fort qu'elle et c'est à son mari d'en payer le prix aujourd'hui. "Mais ça va, c'est de l'histoire ancienne." Que je lui dis pour la rassurer parce que je la connais et que j'ai pas envie qu'elle se fasse du soucis alors qu'elle a bien plus important à penser comme prendre soin du bébé qui est en train de pousser. "Tu crois qu'Isaac en a encore pour longtemps ?"
 

En posant mes yeux sur la photographie, je me revois en train de boire une bonne bouteille de vin –sans aucun doute la meilleure qu’il m’ait été donné de goûter- en compagnie de l’oncle du jeune marié. Je revois Damon, porter un toast en l’honneur de son mariage, le sourire aux lèvres et plus comblé que jamais. J’entends encore les murmures des invités, leurs acclamations et le ton enchanté de celui qui a tout manigancé. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi mal à l’aise qu’à cette soirée et si l’italien n’était pas venu me voir quelques jours plus tôt pour tout m’avouer, s’il ne m‘avait pas regardé dans les yeux en me jurant que tout ceci n’était rien d’autre qu’un leurre et que son mariage n’avait aucune valeur, je serais probablement tomber dans le panneau comme la majorité des invités. Aujourd'hui, je ne sais plus trop quoi penser parce que y’a les mots qu’il a prononcé, mais aussi tous les gestes qu’il a eu envers pour la mariée. J'ai les idées en vrac et je crois que c'est la définition même de douter, je doute de lui. Je ne voulais pas plomber l'ambiance, mais je ne pouvais plus supporter de voir Penny, toute heureuse à l'idée de partager avec moi, une photo que je connais déjà. Ce mec, je l'ai côtoyé pendant des mois. Je le connais sûrement mieux que celle qui se tient désormais à ses côtés. Je sais que Megan finira vite par en faire de même et que les rôles se verront inverser jusqu’à ce qu'il ne soit plus qu'un étranger, pour moi et qu'il n'ait plus aucun secret, pour elle.  « Je savais même pas que tu avais fréquenté quelqu’un récemment. » Je baisse la tête ne sachant quoi répondre. Penny est mon amie la plus proche et s’il y a bien une personne à qui je pourrais me confier en toute sérénité, c’est bien elle. Pourtant, j'ai du mal à en parler sans doute parce que notre relation a longtemps été un secret bien gardé. Et puis aussi parce que les relations n’ont jamais été l’un de mes sujets de prédilections encore moins lorsqu'elles ont le don de compter.  J’aime écouter les histoires des autres, donner mon avis quand on me le demande, apporter des solutions et liker les photos de couples sur instagram, mais pas parler de mes relations privées. Les seules fois où il m’est arrivé de le faire, c’est lorsque je m’inventais des coups d’un soir à l’université pour alimenter la réputation qu’on m’avait gentiment collé sur le dos. « Ça fait combien de temps que vous êtes plus ensemble? » Mes doigts viennent jouer avec le verre à pied tandis que je m'adosse à l'ilot central de la cuisine. « Il m’a ghosté en juin, du jour au lendemain. »Je lâche un rire amer. Y’a rien de plus humiliant que d’admettre qu’on s’est fait mettre sur la touche par une personne qu’on aimait bien. Dans les moments comme celui-ci, c’est difficile de se dire qu’on y est pour rien. On commence à se détester, à se trouver des défauts pour expliquer le fait de s’être fait larguer. Penny doit certainement se dire que ça fait un moment et c’est le cas, ça fait des mois qu’on est plus ensemble pourtant ça ne fait pas si longtemps qu’il est venu frapper à ma porte. Et c’est sûrement ce qu’il y a de plus difficile à admettre, se dire que si on en est là aujourd’hui, ce n’est pas parce que l’un de nous deux a merdé, mais parce qu’il a été forcé de l’épouser. Y’aura toujours un goût d’inachevé lorsque je repenserai à lui et à l'histoire qu'on a partagé.

« Pourquoi tu m’as rien dit? » Je soupire avant de prendre une gorgée de mon vin. « Parce que j’avais pas le droit d’en parler.» Et que je voulais nous préserver. On aurait jamais dû se mettre ensemble pourtant c'est arrivé et si c’était à refaire, je crois bien que je recommencerais sans hésiter car le Damon que j'ai appris à connaitre en vaudra toujours le coup.  « Tu la connais aussi? » qu’elle me demande lorsque je tente de la mettre en garde vis-à-vis de Megan. «J’en sais assez sur elle pour dire que c'est pas le genre de personne qu'il faut compter parmi ses amies. » Et aussi surprenant que cela puisse paraitre, ce n’est pas la jalousie qui ma fait parler. Je n’envie rien d’elle, pas même le fait qu’elle puisse passer des moments en compagnie de celui que je n’arrive pas à m’ôter de la tête. Je préfère ne plus avoir à le côtoyer plutôt que de le savoir forcé de rester à mes côtés. Si j'ai raison et que  Megan a bien fait chanter Saül alors, c’est qu’elle est capable du pire pour arriver à ses fins. Je ne veux pas que Penny se retrouve dans des histoires louches ou que la blonde finisse par la faire chanter à son tour, voilà tout. « Je l’ai vu juste une fois, elle était la colocataire de l’une de mes amies. Elle avait l’air sympa. On a bien discuté. » Je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas m’énerver, mais l’entendre faire des éloges sur celle qui est finalement aussi fautive que Saül dans toute cette histoire me répugne. « Quelle amie ? » Je m’empresse de lui demander pour savoir si je la connais. Ça doit faire un moment qu’elle ne lui a pas parlé parce que maintenant, Megan vit dans un magnifique appartement qu’elle partage avec Damon. «Ne lui raconte rien de personnel. » Elle me connait, si ce n’est au boulot, j'ai plus tendance à laisser le bénéfice du doutes aux personnes que je ne connais pas plutôt qu’à prendre plaisir à les enfoncer gratuitement. Si je lui dis ça, c’est pour la protéger, mais je peux pas la forcer à ne plus lui parler. Elle est assez grande pour faire ses propres choix. Cela dit, il ne faudra pas venir se plaindre, le jour où elle la prendra pour la dernière des connes parce que j’aurai tout mis en œuvre pour la prévenir. « Gus… » J’essaye de sauver les meubles en minimisant les dégâts, mais elle voit clair dans mon jeu et j’ai plus la force de lui mentir. « Pourquoi est-ce que tu es allé à son mariage? » « Parce qu'il m'y avait convié. »  Et sans doute aussi parce que je pensais naïvement que c’était la bonne chose à faire. Je voulais me montrer présent en lui prouvant que, même si j’étais loin de cautionner son choix, je n'étais pas prêt à tirer un trait sur ce qu’on avait été. Sauf qu’il ne m’a pas regardé de la soirée et qu’il n’a pas non plus fait semblant de me chercher parmi la foule. « Il est coincé à l’hôpital, il sera sûrement pas là avant le milieu de la nuit. » Dommage, j’aurais bien aimé qu’Isaac arrive pour qu’on puisse changer de sujet. « Vous pouvez rester encore un peu, si vous voulez. » Si je reste, je risque de boire trop de verres et de ne plus être en mesure de rentrer. Ce qui n’aurait pas posé problème dans l’ancien appartement de Penny. Samuel aurait été heureux de pouvoir dormir chez elle et on aurait passé la soirée à refaire le monde après l'avoir couché. Ici, ce n’est plus seulement chez Penny, mais aussi chez Isaac et je me vois mal m’incruster chez quelqu’un que je n’ai même pas eu la chance de rencontrer.  « Non, vaut mieux qu’on rentre avant que je sois tenté de me servir un autre verre. » Et que je finisse par tout lui raconter dans les moindres détails. J’ai promis à Damon de ne rien dire et je ne compte pas le trahir, mais c’est de plus en plus difficile de ne pas pouvoir me confier à quelqu'un lorsque je sais qu’il a des gens avec qui pouvoir en discuter. « Tu sais que tu peux toujours te confier à moi, pas vrai? Sans jugement. » J’esquisse un faible sourire avant de venir la prendre dans mes bras. « Je sais. Merci d’être là même quand je suis grognon.» Je dépose un baiser sur le haut de sa tête et appelle Samuel pour qu’il vienne nous rejoindre. « Tu passeras le bonjour à Isaac. Il faut absolument qu’on s’organise un truc à l’occasion ! » J’attrape la veste de mon petit-frère qui tire dessus pour me forcer à la reposer. « Il se fait tard Sam et Penny doit se reposer.» Je suis pas d’humeur à me battre, pas ce soir.