Chaque réveil se conclut inévitablement par un sommeil qui reprend sur de nombreuses heures encore. Je suis peut-être sorti du coma, mais à mes yeux il n’y a aucune différence. J’échange quelques paroles à peine et c’est tout ce dont je sois capable. J’ai vu Saül, je le soupçonne d’avoir campé à mon chevet pendant bien trop de jours. Je suis heureux de sa présence, soulagé aussi peut-être de le savoir en vie à son tour. Il y a pourtant d’autres visages que j’aimerais voir: Damon, Sloan. Ginny. Mais Ginny ne viendra pas. Mes garçons le peuvent encore, sans mal. C’est stupide d’avoir à espérer leur présence alors qu’elle ne m’aidera pas à aller mieux, qu’elle ne me soignera pas non plus, qu’elle ne changera absolument rien à la donne non plus. C’est égoïste de vouloir les avoir à mes côtés et de leur imposer la vue de mon teint blafard et mon visage déjà amaigri. Je n’ai peut-être pas de miroir sous le coude mais on sait tous à quoi ressemble quelqu’un dans un lit d’hôpital ; et ce n’est jamais plaisant à voir.

Mon regard se repose sur la main dont je bouge les doigts avec curiosité pour en observer les muscles en exercice et la façon dont les mouvements sous ma chair s’adaptent à la présence du cathéter. Et si vous saviez à quel point avoir une main bandée et brûlée et une autre avec une aiguille plantée dedans sans que cela n’ait rien de bizarre. Ils sont fous, ces médecins, et ils me rendent tout aussi fou à m’imposer plusieurs semaines d'hospitalisation et bien plus encore de rééducation. Pour mon pied, c’est ça ? On s’en fout, du pied, on s’en fout de marcher. Au moins je pourrai peindre, je pourrai dessiner, je pourrai reprendre mon projet avec James. Reprendre mon travail, c’est à peu près tout ce que je demande. Pour une fois, je ne cherche même pas à rendre la vie dure à personne, je le jure, ils sont devenus le cadet de mes soucis. Je veux retrouver Sloan qui ne comprend sûrement rien à cette situation ; je veux pouvoir féliciter au moins une fois Damon, même si tout son mariage n’est que de la poudre aux yeux. Il avait l’air heureux, et à mes yeux de père c’est tout ce qui m’importe.

La silhouette de Saül a fait place à celle de Damon, sur l’horrible fauteuil jaune. Je risque de vouloir le ramener chez moi, cet affreux mobilier, il me manquera d’ici un mois. Ma tête roule sur l’oreiller froid, je respire assez doucement pour ne pas venir mettre à mal mes côtes - et tout le reste, flingué (littéralement) à l’intérieur de mon corps - mais ne peux pas résister au besoin d’y ajouter un fin sourire. Lui aussi a dû attendre longtemps, et cela ne m’étonne pas le moins du monde venant de sa part. Ma main n’a pas la force de quitter le lit pour venir se poser contre sa joue mais l’envie y est. Il est assoupi, son sommeil est sans aucun doute très léger et tout aussi éphémère. “Hey, Damon.” Je souffle pour ne pas le brusquer, pour le réveiller sans qu’il ne panique un temps à se demander où il se trouve et si finalement tout ceci n’était pas un affreux cauchemar. Non, malheureusement, non. “Il est passé où, le marié étincelant ?” J’ironise d’un ton toujours aussi bas, me demandant sérieusement qui de lui ou de moi gagne le concours du Williams dans le plus piteux état. Il s’inquiète trop, le garçon. Tout ira bien, j’irai bien aussi. Je le jure.

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@auden williams

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Le tableau qu’il était possible d’apercevoir dans cette chambre d’hôpital ressemblait à la pire oeuvre du moins bon peintre d’Australie. Les couleurs étaient bien trop fades, et ne venait donner aucune saveur au mobilier se trouvant presque de façon hasardeuse disposé de part et d’autre des quatre murs. Le fauteuil choisi était des plus inconfortables, et ne permettait en rien de venir reposer le corps et les pensées des personnes venant accompagner les malades. Même l’orientation choisie pour installer la fenêtre n’était en rien optimale et ne permettait même pas s’obtenir un réel rayon de soleil direct. Le bruit des machines, venant donner en permanence les constantes du corps abimé d’Auden, se faisait passer pour la dernière symphonie de Beethoven - mais même ce dernier avait fini par passer l’arme à gauche à un moment donné, et devait se retourner dans sa tombe à supporter une telle cacophonie. L’odeur de l’aseptisant, utilisé aussi bien pour nettoyer la moindre surface à disposition que pour venir panser les plaies couvertes par les pansements d’un blanc cadavérique, venait prendre le nez et le cerveau dans un nuage abrasif. Tout, absolument tout, dans les moindres détails, donnait envie de venir faire demi-tour et ne plus jeter un seul regard en arrière pour ne plus croiser la moindre ligne dessinée à l’occasion de ce tableau. Et pourtant, Damon semblait ne faire désormais qu’un avec ce fauteuil d’un jaune affreux. Il avait profité d’un moment où Saül avait enfin daigné rentrer chez lui pour prendre sa place aux côtés d’Auden. Jamais, ô grand jamais, il n’avait pensé se retrouver là un jour. La dernière fois que son ainé et lui s’étaient retrouvés dans ce même hôpital, c’était pour fêter l’arriver de Sloan - et ces souvenirs là étaient tachetés de plus belles couleurs que ceux en train de s’imprimer dans l’esprit de l’italien en cet instant.

« Hey, Damon. » Il avait du s’assoupir - combien de temps avait-il fermé les yeux ? Combien de minutes s’étaient écoulées depuis le moment où son père s’était réveillé ? Qu’avait-il manqué ? Ses yeux vinrent s’ouvrir en grand d’instinct, alors que ses pupilles tentaient de venir s’ajuster à la luminosité indescriptible particulière des hôpitaux. « Il est passé où, le marié étincelant ? » Les mots qu’Auden s’appliquait, malgré son piteux état, à venir prononcer, Damon les entendait parfaitement - ce n’était pas pour autant que son cerveau semblait prêt à les intégrer. Pour le moment, il n’arrivait guère à autre chose qu’à se concentrer sur ce visage qu’il pensait ne jamais pouvoir revoir. C’était idiot, d’en être venu à avoir autant peur pour quelque-chose qui n’était finalement pas arrivé; mais l’idée de venir perdre ce père qu’il apprenait seulement à connaître était venu ronger le jeune homme jusqu’au plus profond de ses entrailles. C’était un sentiment inexplicable qui le parcourait, depuis des jours désormais. « Merci mon Dieu. » Il n’était pas de ceux qui croyaient réellement en Dieu, Damon - malgré l’éducation religieuse qu’il avait reçu et ça pendant des années -, mais il ne cacherait pas être venu prier plus d’une fois de voir Auden se sortir d’affaire, aussi rapidement que possible, et avec le moins de séquelles possibles. Son père l’avait prévenu qu’il s’était réveillé de son coma, mais le garçon n’avait pas encore pu être témoin d’une telle scène - et depuis, il venait plus que de raison trainer son corps trop fatigué dans les couloirs de ce qu’il décrirait désormais comme un lieu morbide.

Alors, quand son cerveau en vint à finalement comprendre que si Auden venait de lui adresser la parole, ce n’était en rien une illusion, Damon vint plonger son visage dans ses mains. Bien sur, comme à son habitude, il ne sut venir retenir quelques larmes qui roulèrent allègrement sur ses joues; la fatigue accumulées ces derniers jours n’aidait en rien à ce qu’il se comporte de façon un brin plus civilisée en cet instant. Et il resta ainsi quelques instants, peut-être une dizaine de secondes de trop, avant de venir enfin plonger ses yeux baignés de larmes dans ceux d’Auden. « Tu peux pas nous faire ça. » Il savait qu’il était encore fragile, il savait qu’il lui fallait encore du temps pour récupérer. Mais le soulagement était tel en son sein qu’il ne saurait venir faire autrement que de laisser ses pensées se transformer en paroles. « Tu peux pas passer à deux doigts de mourir comme ça. » Parce-que la peur avait été l’émotion prédominant pendant bien trop de temps, chez le Williams junior. « Et tu peux pas m’appeler le marié étincelant alors que t’as même pas prévenu que tu étais là. » Il s’était pourtant promis de ne pas venir lui reprocher ce comportement là de suite, Damon. Il fallait croire que toutes les promesses ne pouvaient pas être tenues et ces derniers temps, rien que ces derniers jours, il était fatigué de venir tenir des promesses pour tout le monde sauf pour lui même. Damon était un bon garçon, et tentait au maximum de venir rendre ses parents - avec un pluriel exagéré - fier de lui. Il tentait de venir répondre à des attentes qui étaient parfois impensables, irréalisables. Mais il  n’était qu’un homme et ne pouvait tirer sur la corde de toutes les côtés sans que cette dernière ne vienne se briser un jour ou l’autre. Là était le résultat du fonctionnement détraqué de la famille Williams - tant qu’il y aurait des hommes debout, les autres continueraient de leur tirer dessus.

« Merci mon Dieu. » J’entends ses mots mais n’y répond pas. J’ai eu la même pensée en ouvrant les yeux, de toute façon, et je ne l’avouerai jamais. Damon est émotif, il dit tout ce qu’il pense et j’imagine que dans ce contexte si particulier, même Saül ne pourrait pas lui en vouloir - il faisait tout aussi peu le fier, mon frère, dans ce même fauteuil. Entendre sa voix me fait du bien, elle dénote parfaitement du bit régulier des machines m’assurant que je suis toujours en vie, au cas où il y aurait le moindre doute à ce sujet. Je n’ai pas passé assez de temps éveillé pour que le personnel hospitalier souhaite me débrancher mais je sais que cela ne saurait tarder. D’ici là, j’espère que Damon aura repris des couleurs et que les poches sous ses yeux n’auront plus rien à voir avec tout le souci que mon état de santé lui inspire. Je voudrais avoir les mots pour le rassurer mais ils n’ont aucune crédibilité, alors je fais encore ce que je peux de mieux, c’est-à-dire raconter des conneries et user d’ironie comme si de rien n’était. Comme si nous n’étions pas en train de nous retrouver dans un hôpital pour la première fois de nos vies ; tout ça parce que j’ai raté sa naissance, il y a vingt ans déjà.

Son visage se retrouve rapidement caché par ses mains alors que je pose sur lui un regard paternel, au sens premier du terme. J’ai beau être celui à qui on a formellement ordonné de rester couché - comme si je pouvais faire autre chose -, il est celui pour lequel je m’inquiète. Il prend toujours tout bien trop à coeur et un jour ses sentiments et émotions auront raison de lui. Je ne tiendrai pas les mêmes reproches que mon frère, jamais, mais si lui comme moi avons fait le choix tôt dans notre vie de ne jamais laisser percer nos faiblesses, c’est parce que nous avons eu nos raisons. Entre ses doigts, j’observe son front se plisser, signe évident qu’il laisse l’émotion le submerger sans que, une fois de plus, je ne puisse rien pour lui. Son prénom murmuré meurt une fois de plus dans ma gorge ; ça n’y changerait rien. Il a besoin de relâcher la pression. La vue de ses yeux gorgés de larmes me serre le cœur. Je voudrais lui dire qu’il n’y a plus de raison d’être triste et que tout n’ira que mieux à partir de maintenant mais aucun son ne sort, pour la seconde fois en bien trop peu de temps. Même sécher ses larmes m’est impossible tant me relever semble être une option inenvisageable. « Tu peux pas nous faire ça. » Il dit tout ce qu’il lui passe par la tête, je ne peux pas lui en vouloir. Preuve en est, je ne lui en veux effectivement pas le moins du monde. Il a été confronté à la mort de trop près, pour la seconde fois cette année, et cette fois-ci personne n’avait pu le prévenir que cela arriverait irrémédiablement. Pas même moi. Rien de tout ceci ne se trouvait être dans mes plans. « Tu peux pas passer à deux doigts de mourir comme ça. » Je sais, je suis désolé. « Et tu peux pas m’appeler le marié étincelant alors que t’as même pas prévenu que tu étais là. » Le sourire que j’esquisse est triste, sans aucun doute largement touché par toute la détresse qu’il dégage. “Viens par là.” Je murmure encore, ma voix ne reprenant que doucement contenance. Mes doigts l’incitent à se rapprocher de moi, à défaut que je ne puisse venir le prendre dans mes bras par ma seule initiative. Je sais que c’est ce dont il a besoin et sans doute que le sentiment est partagé, pour une fois. Je souhaite lui montrer que mon cœur bat toujours et qu’il continuera de le faire, qu’il n’a pas à s’en faire pour moi alors qu’il devrait être occupé à vivre sa vie et à profiter de sa jeunesse. “T’as le droit de me prendre dans les bras à partir des épaules, sinon je risque de t’insulter.” Sinon je risque de garder entre mes dents un hurlement de douleur, voilà surtout ce dont il est question. Je lui dis t’as le droit alors qu’en réalité le savoir près de moi est tout ce que j’attends autant que de pouvoir le laisser sécher ses larmes contre le tissu. “On risque pas de se débarrasser de moi avec une ou deux balles, t’imagines à quel point ce serait nul pour la fin de ma biographie ?” Maintenant, au moins, je pourrai être comparé à Andy Warhol. Otto m’a retiré des lambeaux de chair, il m’a fait subir un mal de chien, mais il a aussi fait accroître ma popularité sans même le vouloir. Il aurait détesté que cela arrive. “Personne ne mérite que tu te mettes dans un tel état.” Je souffle tel un conseil, et pourtant Dieu sait que je me tiens en estime. Personne ne mérite de rendre mon fils triste, pas même moi. Surtout pas moi. Ce n’est pas le rôle que je veux tenir à ses côtés et encore moins la marque que je veux laisser.

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Si ses yeux n’avaient pas autant été imprégnés de larmes, peut être que Damon aurait pu voir le regard que Auden lui lançait en cet instant. De ces regards qu’il avait que trop peu reçu de la part de Saül, et qui pourtant faisaient partie de ses préférés; de ceux qui le rendaient fier de recevoir, car ils étaient portés par une bonne volonté. A dire vrai, son père ne l’avait jamais regardé autrement qu’avec une bonne intention - malgré la situation bien compliquée dans laquelle ils avaient tous les deux étaient plongés malgré eux. Peut être qu’un jour, il serait apte à venir pleinement s’apercevoir de tout ça, d’en tirer les conclusions adaptées. Aujourd’hui ne serait pas ce jour, et il préférait venir verbaliser ses inquiétudes plutôt que de les garder plus longtemps pour lui et lui seul, plutôt que de se concentrer sur n’importe quelle autre partie de l’équitation. Maintenant que Auden était sorti d’affaire, il aurait tout le temps du monde plus tard pour venir s’apercevoir de la bienveillance que contenant le regard de son père.

S’il ne percevait pas toute la nuance du regard du brun face à lui, il ne fut pas ignorent du sourire qui vint parcourir son visage l’espace d’un instant - et surtout les émotions qu’il pouvait venir refléter. Peut être que cela était injuste de la part de Damon devenir réagir de la sorte, face à une personne en si peu non état, mais ses émotions à lui étaient encore bien trop fortes et présentes pour qu’il ne puisse pas les démontrer. « Viens par là. » Venant accompagner ses paroles et son léger sourire, la main de Auden vint prudemment tapoter le lit à ses côtés. Un instant, en guise de première réaction, Damon vint froncer les sourcils. Il n’était guère habitué à des élans d’émotions et de démonstration de sentiments de la part des hommes de sa famille, si bien qu’il demanda s’il comprenait réellement ce que son père lui insinuait - sans aucun détour, qui plus était. « T'as le droit de me prendre dans les bras à partir des épaules, sinon je risque de t'insulter. » Venant essuyer une larme traîtresse du revers de sa main, Damon vint se lever du vieux fauteuil jaune d’un pas timide, avant de s’asseoir aux côtés de son père. A peine avait-il fait contact avec le lit que d’instinct, ses bras vinrent se glisser autour des épaules de cet homme qui aurait pu rester encore longtemps un inconnu à ses yeux, finalement, si ça n’avait pas été pour ce repas de famille, presque un an plus tôt. Il vint serrer de ses bras le corps encore meurtri du brun, avec toute la délicatesse qui était nécessaire en ce moment. Et, sans s’en apercevoir de suite, il vint lâcher un petit soupire de soulagement - en même temps que quelques larmes supplémentaires vinrent faire leur trajet le long de ses joues. « On risque pas de se débarrasser de moi avec une ou deux balles, t'imagines à quel point ce serait nul pour la fin de ma biographie ? » Dans toute autre circonstance, ces quelques paroles de la part de l’italien seraient venues tirer un sourire au blond. Aujourd’hui étant un jour particulier, il ne put s’empêcher de venir y aller de son petit commentaire sarcastique - tel père, tel fils, qu’importe la figure paternelle utilisée présentement. « C’est vrai que ce serait vraiment la pire des fins. » Comme si une partie de lui ne serait pas heureuse que ce soient les dernières lignes écrites à son sujet. Damon avait rapidement saisi, même si ce n’était pas la partie de son caractère que Auden démontrait le plus en ds présence, que son père était un artiste sous toutes ses formes.

« Personne ne mérite que tu te mettes dans un tel état. » Ce fut un semblant de petit rire qui vint franchir la barrière labiale du gamin. « Personne ne mérite de te perdre. » Il avait beau avoir un caractère qui n’était pas des plus faciles a venir supporter, il avait beau cumuler quelques défauts qui semblaient ne pas plaire à tout le monde, il restait quelqu’un d’important dans la vie des Williams - qu’importe ce que pourraient en dire les dits-membres de cette famille. Il n’y avait qu’à prendre la réaction de Saül en exemple, lorsqu’il avait découvert son petit frère entre la vie et la mort: ses émotions ne trompaient pas. « Et j’ai déjà un père qui me dit comment je dois réagir ou non, j’en ai pas besoin d’un second tu sais. » Les mots du garçon étaient prononcés avec toute la délicatesse et la douceur dont il était capables, malgré leur contenu qui lui était tranchant. S’il avait voulu entendre qu’il avait une réaction de mauviette et que ce n’était pas la peine de se mettre dans des états pareils pour une tiers personne, il serait allé voir son père plutôt qu’Auden - il aurait été sur du résultat. « Comment tu te sens ? » Damon vint de reculer alors qu’il posait cette question, se rendant compte que cela ne devait pas être des plus agréables pour le Williams senior, alors qu’il écrit été opéré de l’abdomen, de se faire compresser de la sorte par les bras d’un gamin d’une vingtaine d’années. « Les médecins ont dit que tu avais eu de la chance de t’en sortir… » La fin des paroles du jeune homme vint être étouffée dans un raclement de gorge - les émotions toujours trop présentes. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Ces réponses là, Damon aurait pu les récolter auprès de Saül - cependant, entre le mariage forcé et la tentative d’assassinat qui s’en était suivie, il n’avait eu ni l’envie ni le temps de venir discuter avec son paternel.

J’aurais aimé pouvoir raconter une histoire différente à propos de la première fois où j’ai pris mon fils dans mes bras. J’aurais aimé être capable de le prendre dans mes bras, tout simplement, et ne pas le laisser mener cette entreprise seul, sa joue rendue froide par la larme récente. J’aurais aimé réécrire l’histoire, pour être honnête, mais en cet instant je me contente de ce que j’ai et de cette interaction avec lui, celle-là même que je tente de rendre aussi rassurante que possible à en juger par les circonstances. Au moins, maintenant, il peut savoir et comprendre que je ne suis pas mort et que je ne compte pas passer de vie à trépas avant bien longtemps: je ne l’abandonnerai pas à nouveau, même s’il se moque sûrement de l’omniprésence d’un père qui n’en a pas même le nom et à peine le sang. Ainsi, difficilement, c’est mon avant bras que j’arrive à lever à sa hauteur, laissant ainsi ma main se reposer contre ses côtes, où je jurerais pouvoir sentir son cœur battre. Ce que je suis certain de sentir, ce sont les nouvelles larmes qu’il laisse s’échapper le long de ses joues, lesquelles je serais le dernier à pouvoir lui reprocher tant elles sont le symbole de nombreuses heures d'inquiétude enfin annihilées.

Toujours sur le ton de l’humour - n’en connaissant de toute façon aucun autre -, je tente de rassurer la chair de ma chair. Il existe une réalité: la mort de ses parents est inenvisageable, ils sont forcément immortels. C’est mon cas. Je ne compte pas m’éteindre aussi rapidement, ni même aussi facilement, et surtout pas aussi cruellement. « C’est vrai que ce serait vraiment la pire des fins. » qu’il répond sans aucune joie, me faisant ainsi comprendre que le traumatisme est bien plus réel que je n’aurais pu le penser. Damon a pensé me perdre, et c’est à mes yeux un échec supplémentaire en tant que père: ne pas avoir su le rassurer, pas même le protéger. Aussi invraisemblable cela puisse-t-il paraître, je ne crois pas en vouloir à Otto, mais s’il avait tenté de toucher ne serait-ce un cheveu d’un de mes fils, je serais déjà en train de traquer le moindre de ses mouvements pour le tuer de ma propre main, sans lui laisser aucune chance, seulement beaucoup de souffrances. Les rôles sont différents, Damon n’a pas à se sentir pareil alors qu’il s’agit de moi: je tuerai Otto quoi qu’il en soit, il n’a pas à s’en faire. Son souci ne pourrait que le rendre malade et j’ai déjà bien trop vu ses grands yeux devenir rouges pour que ce soit une vision que j’envisage de retrouver un jour. Il est un jeune marié et même si les circonstances de cette union sont particulières, il mérite pourtant de profiter sa jeunesse et d’être heureux. « Personne ne mérite de te perdre. » - “Damon…” Et désormais, ce sont désormais mes propres nerfs qui sont mis à rude épreuve, même si je ne laisserai la faute reposer que sur les foutus medocs qu’on me refile lorsqu’on me posera la question. Ma main le serre un peu plus contre moi, quand bien même la pression reste trop faible pour avoir le moindre effet. Mourir ne me fait pas peur, mais l’idée de ne plus le revoir me rend malade. « Et j’ai déjà un père qui me dit comment je dois réagir ou non, j’en ai pas besoin d’un second tu sais. » Je sais, bien sûr que je le sais. Ce n’est qu’une partie des nombreux reproches que je tiens continuellement à mon aîné. Ce que je retiens pourtant, ce ne sont pas les reproches à peine voilés qu’il me tient mais bien le fait qu’il me qualifie de son père, pour la première fois depuis que le secret a été révélé. Il ne s’adresse pas à moi directement par ce terme mais je ne veux pas le lui demander, pas alors que nous avançons pas à pas et que nous apprenons ensemble à évoluer dans ce contexte sans pareil. “Je ne suis pas ce genre de père, c’est promis.” Sauf quand il s’agit d’interdire à Sloan de manger ses verres en plastique mais j’imagine que le contexte rend les choses bien différentes. Quoi qu’il en soit, je ferai tout ce que je peux pour qu’il n’ait jamais à me comparer à Saül, pour des raisons plus qu’évidentes.

Petit à petit, la pression exercée contre mes épaules se relâche, sans pour autant que je sois capable de dire que cela a quoi que ce soit d’une bonne chose. « Comment tu te sens ? » A cela, il n’existe aucune bonne réponse et je sais que tenter de lui mentir pour le rassurer serait vain: il n’a pas envie que je le traite comme un enfant et je doute de toute façon être capable de le faire en le regardant les yeux dans les yeux. Nous sommes bien trop nombreux à avoir réfléchi à sa place et pour son bien et ce pendant trop longtemps. Mes yeux dans les siens, j’accuse plusieurs secondes de réflexion avant de trouver quelque chose à lui répondre. “Complètement shooté, honnêtement.” Je ne sens pas grand chose au final, ce qui m’empêche de répondre à sa question avec autant de certitude que je le voudrais. Quand les anti-douleurs ne feront plus leurs effets, ma réponse sera sans aucun doute bien différente, et j’espère qu’il sera retourné dans le confort de son appartement pour ne plus se faire autant de souci à mon sujet. “Ça ira mieux.” C’est un fait. Les chairs vont guérir, les os vont se souder à nouveau, et ensuite tout ira mieux: je pourrai à mon tour chasser Otto jusqu’à pouvoir le tuer de mes propres mains. Tout ira mieux. « Les médecins ont dit que tu avais eu de la chance de t’en sortir… » Ce dont je suis moi même au fait, mais j’aurais préféré être le seul à qui ils racontent ce genre de merdes. Damon n’avait pas à le savoir, il n’avait pas à avoir une raison supplémentaire de s’inquiéter pour moi alors qu’il en compte déjà énormément. Je ne soulève pas les preuves évidentes de son émotivité ; il n’y a que nous deux. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Mon visage se peint d’une teinte bien différente, désormais. “Fais attention à toi.” je souffle d’abord, doucement, priorisant mes pensées sans le moindre mal. Je ne lui ferai pas l’affront de lui mentir une fois de plus mais j’ai moi-même besoin d’un peu de temps pour trouver les mots adéquats. “J’ai apparemment rencontré le frère de Saül. Le frère biologique.” Je mets l’emphase sur ma propre ignorance du sujet jusqu’alors. Ce n’est pas un énième point sur lequel il a été tenu à l’écart. “Il pense que je lui ai volé sa place.” Je termine, faussement détaché, ne comprenant qu’en cet instant bien précis qu’il pourrait aussi nourrir le même genre de pensées à propos de Damon. “Il est fou, Damon, voilà tout. S’il avait voulu me tuer, il aurait pu.” Enfin, je ne le traite plus comme un enfant et j’ai avec lui les mêmes mots que j’aurais eu avec qui que ce soit d’autre. J’aurais pu mourir, et ce n’est pas de l’exagération, encore moins une façon pour moi de gagner son empathie.”Je voulais être là à ton mariage. C’est un jour important.” Même s’il a une signification bien différente pour lui, n’en reste pas moins qu’il partage officiellement sa vie avec une autre, désormais. “Peut-être que j’aurais dû me faire tirer dessus plus tôt, ça aurait été une bonne raison d’esquiver la chose pour quelques jours au moins.” J’annonce, rire faux au bout des lèvres.

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« Damon… » Oh, il ne venait pas prononcer ces paroles pour attendrir les cœurs, le jeune homme. C’étaient là les paroles qui venaient de son cœur, qui venaient illustrer ses émotions et ses pensées. Qu’importe ce qu’il pouvait se passer, qu’importe ce qui avait déjà pu arriver, personne ne venait mériter de perdre un proche; cela venait laisser des cicatrices sur le cœur qui ne seraient jamais possible de refermer - surtout quand vous veniez seulement de comprendre l’importance que pouvait avoir ce dit-proche dans votre vie. Auden et lui venaient à peine de se trouver, il fallait au moins leur laisser le temps de se comprendre afin que la moindre catastrophe ne vienne se mettre en travers de leur route. « Je ne suis pas ce genre de père, c’est promis. » Ils avaient tout un monde à venir créer entre eux, toute une relation à établir, et s’il y avait bien un point sur lequel Damon viendrait s’exprimer cette fois ci, c’était ce qu’il pouvait ressentir, ce qu’il pouvait désirer. En grandissant, ce droit ne lui avait pas réellement été accordé par Saül, mais avec le temps il était venu se faire une raison - sûrement plus mauvaise que bonne, mais la question n’était pas là aujourd’hui. Avec Auden, la balle était dans son camp et il pouvait dès aujourd’hui venir s’exprimer sur ce qu’il tolérerait ou non. C’était dit d’une façon douce, c’était dit quelque peu sur le ton de l’humour; mais cela restait tout de même des paroles prononcées et qui comptaient, aux yeux du jeune homme. Et en retour, il s’accrochait à la réponse que vint lui donner Auden: seul l’avenir leur dirait vers quel type de relation ils s’en allaient, mais le début semblait déjà satisfaisant à voir.

Seulement, pour pouvoir voir le futur qui leur était réservé, il fallait rester en vie - c’était peut être un détail évident, mais qui restait important et auquel le Williams senior avait du échapper. Il s’en était sorti, mais à quel prix ? Dans quel état ? « Complètement shooté, honnêtement. » Damon ne savait pas si le jeu de mot était volontaire ou non, mais il vint tout de même se permettre de jeter un regard noir à son père. Même si cela était tout à fait dans ses cordes de déjà venir rire de cet incident, le jeune homme n’en était pas encore apte de son côté - et il mettrait du temps avant que ce soit le cas. Il préféra se convaincre qu’il parlait la des médicaments que les médecins devaient lui administrer depuis le début de son hospitalisation - au moins, cette réponse là était presque plaisante à entendre; et s’il était shooté, cela voulait dire qu’il ne ressentait pas la douleur et c’était ainsi bien mieux. « Ça ira mieux. » - « Y’a intérêt. » Il était peut-être le seul à venir s’inquiéter de la sorte pour l’homme allongé dans ce lit d’hôpital, mais c’était déjà amplement suffisant. Et puis, malgré tout, il était persuadé que son père avait du en passer du temps au chevet de son frère. Les deux ne s’étaient pas croisés, mais il le connaissait assez bien pour savoir que, qu’importe ses paroles, il se faisait du soucis pour son cadet.

Cependant, comme Damon n’avait pas croisé Saül ces derniers jours et que les médecins ne viendraient pas lui livrer sur un plateau les détails de ce qu’il s’était passé - il avait eu le droit au schéma général, mais surtout à un drôle de regard par la suite alors qu’il ne pouvait justifier de son réel lien de parenté avec le patient dans leur unité de soins -, la meilleure personne pour répondre à ses questions restaient Auden lui-même. Il ne savait si ce dernier viendrait répondre à sa question, autant pour laisser ce mauvais épisode derrière lui que pour protéger le jeune homme, mais il se devait de tenter. Au regard que le brun vint lui lancer, à peine ses paroles prononcées, Damon sut que la suite de la discussion n’était pas des plus plaisantes. Une partie de lui s’en voulait désormais d’avoir été autant curieux. « Fais attention à toi. » Le jeune italien vint serrer quelque peu les mâchoires, d’une manière à peine perceptible. Ce n’était pas de cette façon qu’il pensait que la discussion allait commencer - mais plutôt par une histoire de rival à la galerie ou quelque-chose qui s’y rattacherait. Pas par l’idée qu’il devait désormais faire attention à lui-même. Où voulait-il en venir ? « J’ai apparemment rencontré le frère de Saül. Le frère biologique. » Fronçant les sourcils, Damon vint se reculer encore un brin de son père. Il n’avait jamais eu vent du fait que Saül pouvait avoir un frère biologique, mais la façon dont Auden venait parler laisser supposer qu’il n’était lui-même pas au fait de ce type de détail. « Le frère biologique ? » Saül était donc une fois de plus cacher quelque-chose, un pan de son histoire, aux yeux du reste de sa famille ? Ou était-il seulement lui-même au courant de cette partie la de son arbre généalogique ? «  Il pense que je lui ai volé sa place. » Le confusion pouvait désormais se lire aisément dans le regard du jeune homme. Il en vint même, l’espace d’une seconde, à se demander si les doses de médicaments administrées à Auden n’étaient pas trop élevées. « Ca ne fait aucun sens… » Il n’était responsable de rien du tout dans cette histoire, surtout pour une partie de la vie de Saül que ce dernier avait lui même découvert qu’au début de l’année, étant resté dans l’ignorance de son réel acte de naissance pendant tout ce temps. « Il est fou, Damon, voilà tout. S’il avait voulu me tuer, il aurait pu. » Les yeux du gamin vinrent se détourner de ceux de son aîné, se portant sur ses doigts jouant presque nerveusement avec une tubulure de perfusion lui tombant sous là main - avant de se rappeler que cette dernière pouvait contenir un produit vital et qu’il fallait mieux ne pas trop jouer avec. S’il avait voulu tuer Auden, il aurait pu. Ce dernier était donc en vie aujourd’hui que par le simple fait du hasard et de la chance.  Damon vint déglutir avec difficulté - avait-il toujours fait aussi chaud dans cette chambre ?

« Je voulais être là à ton mariage. C’est un jour important. » Et apparemment cela était considéré comme un jour important par plus de personnes que quiconque aurait pu anticiper. « C’est ce qu’on m’a dit, oui. » Réponse prononcé du bout des lèvres, à peine convaincu par ses propres paroles. C’était un jour important dans la vie d’un homme, même si cette journée était teintée de rouge et de mauvais souvenirs - c’étaient ces derniers qui revenaient à l’esprit de Damon lorsqu’il pensait à son mariage, à ce jour si important. « Peut-être que j’aurais dû me faire tirer dessus plus tôt, ça aurait été une bonne raison d’esquiver la chose pour quelques jours au moins. » - « Pourquoi tu nous as pas prévu que tu venais ? » Une fois supplémentaire, le regard du gamin relevé vers son père était bordé de larmes. La fatigue viendrait justifier tout ça. « Peut-être qu’en était resté avec nous, il serait pas venu te voir, et tu… » Un petit nerveux s’échappa d’entre les lèvres du jeune italien au même moment où une larme, traîtresse, fit son chemin sur sa joue. Effectivement, peut être que si Auden avait été davantage mis en avant auprès des mariés, le fou furieux ne serait pas venu lui tirer dessus - une slave de frissons vint faire son chemin le long de la colonne vertébrale de Damon. Ce dernier vint secouer la tête. « Je devrais pas t’embêter avec ça, c’est pas le moment. » I’m devait d’abord pensée à se remettre sur pieds, et ils pourraient discuter de ça plus tard.

L’explication de ma rencontre avec Otto est aussi difficile à expliquer pour moi qu’à entendre pour lui. Ce n’est qu’un secret de plus dans notre famille, pourtant, on aurait dû s’en être habitué depuis le temps. La vérité, c’est qu’on ne s’y habitue jamais, qu’on ne s’y fait jamais non plus. Ce n’est pas après avoir été trahi une première fois qu’on peut anticiper la seconde, encore moins les proportions qu’elle risque de prendre. Observer Damon faire un pas en arrière signifie déjà à mes yeux qu’il ne reviendra plus, et cela suffit pour que je sente mon cœur se serrer au fond de ma poitrine. Je ne veux pas le perdre à cause d’une erreur qui n’est, pour une fois, même pas la mienne. « Le frère biologique ? » A défaut de pouvoir hocher la tête sans ressentir une douleur démesurée, ce sont mes yeux que je laisse cligner avec application. Je ne me suis pas trompé sur mes mots, malheureusement, et je doute qu’Otto l’ait fait non plus. “Je sais pas s’il est lui-même au courant.” Et, égoïstement, je ne veux pas le savoir non plus. Je ne veux pas avoir cette discussion avec lui, je ne veux pas parler avec mon frère de la possible existence d’un autre humain partageant son sang en ce monde. « Ça ne fait aucun sens… » Comme tout ce qui finit par toucher de près ou de loin à notre famille, j’imagine. La seule raison pour laquelle je continue d’en côtoyer ses membres, c’est parce que je ne pourrai jamais totalement m’en débarrasser, doubles hélices d’adn communes et tout le tralala obligent. Aujourd’hui, je suis surtout désolé de me contenter d’ajouter de nouveaux problèmes dans la vie du gamin sans même être capable de lui offrir d’ouvertures, de solutions, ou quoi que ce soit de positif.

Toujours dans la même discussion, je me permets pourtant de lui donner la raison de ma présence sur ce terrain bien précis, le soir en question: un père se doit d’être présent au mariage de son fils, peu importe le contexte, peu importe les conditions. Je ne cautionne pas leur union et ne considérerai jamais l’étrangère comme un membre de la famille mais j’anticipe déjà que Damon le fait, lui, et qu’il lui donne sans doute bien plus d’importance qu’elle n’aurait jamais dû en recevoir de notre part. « C’est ce qu’on m’a dit, oui. » Bien sûr qu’il savait que j’étais là, puisque je n’ai pas réellement été capable de changer de place mon corps inanimé, perdant sang et chaleur corporelle à chaque seconde écoulée. Pour autant, chacun aura deviné que ce n’est pas une finalité que j’avais anticipé pour ce mariage. Si j’essaye d’ajouter une touche d’humour à cette histoire affreusement morbide, Damon ne semble pas vouloir me suivre dans cette idée. « Pourquoi tu nous as pas prévu que tu venais ? » - “Tu as bien assez de personnes sur qui compter.” Mon regard n’évite pas le sien, je me laisse simplement bien moins laisser aller par mes émotions. Je voudrais pouvoir chasser ses larmes d’un simple geste de la main et espérer ne plus l’observer aussi triste à nouveau mais, une fois de plus, tout est bien plus facile à dire qu’à faire. Je ne l’ai pas prévenu de ma venue parce qu’il a déjà vécu vingt années sans connaître notre lien de parenté, sans jamais avoir eu besoin de moi à un moment ou à un autre. Il avait Saül, il avait ses amis, il avait le reste de la famille ; je n’étais pas nécessaire au tableau. « Peut-être qu’en était resté avec nous, il serait pas venu te voir, et tu… » Déjà, le garçon tente de proposer une version de l’histoire bien moins tragique, et je ne peux que compatir face à toute l’émotion qu’il ressent. “Ou peut-être qu’il ne se serait pas contenté de tirer uniquement sur moi.” Mais je ne peux m’empêcher de répondre avec sérieux, tenant bien plus à sa vie qu’à la mienne. Les choses sont ce qu’elles sont, je m’en suis sorti et personne d’autre n’a été blessé: tout n’est pas si pire qu’il n’y paraît. « Je devrais pas t’embêter avec ça, c’est pas le moment. » Ce ne le sera jamais, si jamais vous voulez mon avis. Aujourd’hui, au moins, je n’ai pas la possibilité de littéralement quitter la pièce si la discussion ne me plaît pas. Alors, dans un sens, c’est le meilleur moment pour en parler, car j’en viens à douter qu’il puisse en exister d’autres à l’avenir. “Je vais m’en sortir, Damon, tu n’as plus à te faire de soucis.” Je précise une fois de plus, ne tenant pas à retrouver le gamin tous les jours dans cette chambre, à se faire un sang d’encre pour des blessures qui sont loin de guérir à vue d’oeil. “Profite au moins de ta lune de miel, c’est sûrement la meilleure chose à retenir de ce mariage.” La seule à mon sens, mais je me retiens de préciser une fois de plus le fond de ma pensée. Il sait déjà tout ce que je peux en penser.

how unbelievable of me to fall

@auden williams

(c) harley

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Les explications que venait lui donner morceau par morceau Auden ne semblaient faire aucun sens. Ce serait donc le frère biologique de son père qui serait à l’origine de cet incident ? À quel moment cela arrêtait-il se s’empirer, dans ces histoires de famille et apparentés ? « Je sais pas s’il est lui-même au courant. » L’explication exacte était donc la seconde sur la liste que Damon avait mentalement établie. Saül lui-même ne semblait donc pas être au courant de l’existence de cet homme. Et, si le jeune italien devait être tout à fait honnête, ils s’en portaient plutôt tous bien jusque maintenant sans cette information, ils auraient pu continuer leur bout de chemin de la sorte; il n’y avait qu’à voir l’état dans lequel avait fini Auden pour comprendre exactement à quel point l’arrivée de cet homme dans leur entourage n’était pas de bonne augure. Ils arrivaient tous très bien, chez les Williams, à se mettre des bâtons dans les roues  sans avoir besoin de demander un coup de main de quiconque.

Et s’ils arrivaient à venir se pourrir l’existence les uns des autres avec cette aisance qui faisait parfois peur à voir, ils étaient aussi incapables de venir d’aller de l’avant sans la présence de ces mêmes proches à leurs côtés. C’était paradoxal, mais c’était pourtant la vérité. Auden et Saül étaient d’ailleurs le meilleur exemple à ça: aucun des deux ne pouvait réellement supporter l’autre, mais pourtant il ne semblait pas se passer plus d’un mois sans que le premier vienne prendre des nouvelles de l’autre - où inversement. Ils faisaient tout pour rendre misérable la vie de l’un, pendant que l’autre accourait à son chevet à la moindre occasion. C’était ça, selon les Williams, l’esprit de famille. Était-ce également pour montrer son esprit de famille que Auden s’était pointé au mariage sans prévenir personne avant de venir ? « Tu as bien assez de personnes sur qui compter. » Même si les circonstances étaient plus qu’étranges et vraiment peu familières, la réponse d’Auden n’était même pas fausse. Même si c’était de façon maladroite ou complément sadiste, Damon avait des gens sur qui pouvoir compter, normalement. Après tout, son père et sa mère n’avaient pas fui lorsque le jour des festivités s’étaient avancé - le premier n’avait pas eu intérêt à penser ne serait-ce qu’un seul instant à se dérober à ses obligations, et la seconde n’aurait même pas eu l’idée de venir agir de la sorte. « Ça aurait pas été de refus de savoir quelqu’un mon côté à mes côtés, justement. » Parce-que Saül et Elise avaient beau avoir répondu présents au mariage, ces derniers étaient là afin et surtout dans le but de venir protéger l’italien sénior. Malgré tout ce qui avait pu se passer, Élise agissait toujours en proie à cette idée - et voir son fils unique venir se jeter dans la gueule du loup à son tour devait être complexé à gérer, à digérer. Le soutien d’Auden aurait apporté un tout autre pan à cette histoire, à cette journée - si seulement son fils avait été au courant de sa présence.

« Ou peut-être qu’il ne se serait pas contenté de tirer uniquement sur moi. » Les paroles de Auden, dites dans le plus grand des sérieux, vinrent arracher un frisson supplémentaire le long de l’échine de son fils. Damon vint fermer un instant les yeux, se refusant de venir penser à ce qu’aurait pu être cette version là de l’histoire - et à l’idée que celle qui s’était effectivement déroulée n’était pas la pire à imaginer. D’autres personnes auraient pu être blessées, il était vrai, mais cela n’aurait peut-être pas eu la même saveur amer qui venait râper sa langue depuis des heures et des jours désormais. C’était affreux, a ses yeux, de penser de la sorte mais toute une partie de son historia avait failli s’évaporer sous ses yeux et il n’y avait aucune phrase pouvant venir retirer l’angoisse de cette idée. « Peut-être. » Ils ne sauraient jamais, et c’était peut-être mieux ainsi de laisser ces choses là dans le monde des suppositions.

Mais ils étaient dans le monde réel, dans celui où les choses étaient bien plus sérieuses que n’importe qui aurait bien voulu. Et alors que Damon avait commencé à venir poser des questions à Auden, il vint finalement se raviser. L’italien avait besoin de repos, et ce n’était pas en écoutant son fils pleurnicher de la sorte que cela lui permettrait d’aller mieux. Damon ne viendrait pas renier les émotions qu’il ressentait - de toutes façons, à la façon dont les larmes traîtresses venaient à rouler sur ses joues, il ne pourrait pas prétendre ne rien ressentir -, mais il pouvait peut être tenter de venir épargner à Auden la suite de ce spectacle. « Je vais m’en sortir, Damon, tu n’as plus à te faire de soucis. » Le pourtant grand gamin vint essuyer du revers de sa main les quelques traces salées sur sa peau. « Je sais. » Il savait que son aîné avait raison, et que le pire était derrière eux. Il faudrait cependant quelques jours supplémentaires à son cadet pour intégrer cette conclusion à sa réalité. Ce n’était pas une réaction exclusivement réservée au sort d’Auden - c’était ainsi que Damon en venait à réagir lorsqu’un de ses proches se retrouvait dans une situation critique; il n’y avait qu’à voir dans quel état il s’était retrouvé au chevet de son père lorsque ce dernier avait fait un malaise cardiaque en début d’année. « Profite au moins de ta lune de miel, c’est sûrement la meilleure chose à retenir de ce mariage. » A ces quelques mots, le jeune homme vint hausser rapidement les sourcils, détournant son regard de celui d’Auden. Ce qu’il s’apprêtait à répondre allait à l’encontre de l’idée de continuer d’aller de l’avant - alors que c’était exactement ce qu’il venait de lui demander. « On a tout repoussé au mois prochain. » Le week-end du mariage a peine passé, que Damon était déjà en train de passer des coups de téléphone à droite et à gauche afin de reprogrammer leur échappée en amoureux: à ses yeux, il n’était pas question d’aller se la couler douce sous les cocotiers sans s’assurer que le brun allait s’en sortir vivant de cette histoire. « J’ai pas su me résoudre à partir tout de suite… » La précision de la raison n’était pas nécessaire, elle était aussi évidente que le nez au milieu de la figure. Il avait hâte de pouvoir prendre l’air loin des siens, de pouvoir respirer un peu de nouveau; mais s’il était parti à la suite du mariage comme c’était prévu initialement, il ne se serait pas supporté.

Trois coups furent portés sur le bois de la porte avant que cette dernière ne vienne s’ouvrir. « Ça va être l’heure de dire au revoir. » La voix et le sourire de l’infirmière étaient doux, bienveillant, alors qu’elle venait porter son regard sur Damon. S’il serait venu protester quelques jours plus tôt, désormais il comprenait parfaitement que Auden n’allait pas mourir - plus mourir serait davantage correct - de si tôt et qu’il pouvait rentrer chez lui le cœur plus léger. « J’en ai pas pour longtemps. » L’infirmière vint refermer la porte en ressortant de la chambre. Damon serait bien resté quelques heures de plus, mais il viendrait en aucun cas contredire les ordres de la part du personnel de l’hôpital. « Tu vas pouvoir te reposer un peu comme ça. » Il vint pincer ses lèvres, son regard quelque peu fuyant. Il était hésitant - ce qui n’était pas forcément un trait de caractère caché chez lui; ayant en permanence peur de déranger, il en venait souvent à hésiter quant aux comportements à adopter face à d’autres. Le jeune italien finit par se lever du lit avec délicatesse, ramassant ses affaires qui traînaient ici et là dans la chambre. « Je repasserai te voir demain ou dans la semaine, de toutes façons. » Même si ses jours n’étaient plus comptés, Damon ne comptait pas rester chez lui à ne rien faire sans rendre des visites régulières à Auden. Quelques pas plus tard, alors que sa main était déjà sur la poignée et qu’il était à deux doigts de disparaître du champ de vision d’Auden, Damon vint relever une dernière fois son regard vers son aîné, un léger sourire aux coins des lèvres. « Je suis content que tu t’en sois sorti, papa. » Presque murmurés du bout des lèvres, les paroles du gamin venaient du cœur et même si le ton employé était encore hésitants, malhabiles, il tenait à les formuler avant de sortir de cette pièce aux couleurs qu’il ne pouvait déjà plus voir en peinture.