this is no ordinary love
Autumn Galloway & @Kieran Halstead
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Si tu avais pu prévoir que cette soirée d’anniversaire tournerait de cette façon, jamais tu n’aurais pris la décision de venir. Comment est-ce que tu aurais pu savoir que de te pointer à la soirée organisée pour ton faux-copain d’un soir et sa sœur jumelle t’emmènerait à faire face à Kieran? Pire encore, comment est-ce que tu aurais pu t’imaginer que Kieran, caché sous un masque débile de truite, allait tout entendre de tes dernières folies, de cette fausse relation avec Garret à ce mariage débile avec Mason? Tu as l’impression que l’univers en entier s’acharne sur ton cas, ou alors est-ce seulement le karma qui s’occupe enfin de te faire payer pour le mal que tu as pu faire autour de toi, le mal que tu as pu faire à Kieran, et que tu continues de lui faire alors que tu t’accroches au Oxton comme si ta vie en dépendait, enchaînant les verres à ses côtés et prétendant rire comme une folle à toutes les blagues qui sortent de sa bouche, même les plus nulles, même celles qui ne font rire personne d’autre que toi. Malgré tout ça, c’est toujours vers ton ex-fiancé que ton regard se perd. Il a enlevé le masque ça fait un moment déjà, et tu le vois qui comme toi, enfile les consommations les unes après les autres, sans doute en train de se maudire d’être ici, tout comme tu le fais. Les semaines se sont transformés en mois depuis votre minuscule tête-à-tête dans un café, celui où certaines choses ont été dites, mais encore bien trop de choses sont restées sous silence. Des mois à te demander si ton chemin allait éventuellement retrouver le sien. À ne plus savoir si tu avais pris la bonne décision, en revenant t’installer à Brisbane, là où tu semblas enchaîner connerie après connerie, ne serait-ce que dans l’espoir éventuel d’oublier le mec qui s’efforçait de t’éviter de toutes ses forces. Des mois à te poser mille et une questions et pourtant, le moment n’aurait pas pu être plus mal choisi pour le voir placer à nouveau sur ton chemin. Décidément, il y a quelqu’un quelque part qui se moque de toi.

Le foulard de soie autour de ton cou semble t’étouffer un peu plus après chaque consommation que tu enfiles bien trop rapidement, et bien vite ce dernier se retrouve dans le sable quelque part, tout comme le bandeau qui te pressait un peu trop fort le crâne. Tu perds peu à peu des morceaux de ton costume de Daphné, mais tu t’en fiches, surtout que la plage commence peu à peu à se vider des différents invités de la soirée. Tu n’as pas la moindre idée de l’heure qu’il est, tu ne cherches pas non plus à savoir alors que tu portes une nouvelle bière à tes lèvres, ton regard passant d’un Garret qui discute avec un mec dont tu as déjà oublié le nom jusqu’à Kieran qui commence à suivre le mouvement de masse des gens qui partent. Non, non. Il ne peut pas partir sans que tu lui aies parlé. Il ne peut pas partir en pensant que tu es en couple avec Garret, ou alors que tu es mariée avec quelqu’un d’autre. Il ne peut tout simplement pas partir sans que tu te sois au moins expliquée, excusée, ou peu importe ce que tu devrais faire, ce n’est plus tout à fait clair dans ton esprit alcoolisé. Tu lâches le bras de Garret, et sans un mot, tu commences à marcher en direction de Kieran. Tu le vois, son regard qui se tourne dans ta direction et ses pas qui se font de plus en plus rapide en direction de la sortie, si rapide qu’on aurait presque l’impression qu’il se met à courir, s’il tenait encore droit sur ses longues jambes. C’est maladroit, cette fuite qu’il tente alors que tu accélères le pas toi aussi, toujours dans le but de le rattraper. « Kieran, attends! » que tu t’exclames, toujours à quelques mètres de lui. « T’as l’air complètement ridicule, fais pas l’idiot! » Tu ne dois pas avoir l’air bien plus maligne que lui toutefois, quand tu peines à le rattraper et que tu te sens nauséeuse après ce maigre effort, le mélange de bières et de shots se faisant déjà bien ressentir. Peut-être que tu aurais dû te prendre une bouteille d’eau avant de partir après lui, tout compte fait. Contre toute-attente, tu arrives à sa hauteur, et ce sont tes doigts qui s’enroulent autour de son poignet qui le retiennent enfin. « C’est pas du tout ce que tu crois. » Oui, mais encore? Tes mots sont maladroits, altérés par tout l’alcool qui coule dans tes veines, mais tu cherches à trouver son regard. Tu veux qu’il te regarde, tu veux qu’il te parle, tu veux qu’il te laisse t’expliquer.

Oh mais Autumn, n’as-tu pas encore compris qu’elle est loin l’époque, où Kieran se pliait à toutes tes volontés?

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@Autumn Galloway & Kieran Halstead
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(WEST END, STREETS BEACH). À chaque fois qu’il croise son regard, c’est la même douleur. Du sel rajouté sur les plaies, ses poumons privés d’oxygène, le peu qu’il lui reste de cœur piétiné. Il y a une solution simple à son mal-être ; elle consiste à détourner le regard. Il le sait, Kieran. Je le sais et probablement qu’Autumn le sait aussi ; mais nous savons aussi tous les trois qu’il n’y arrive pas. À chaque fois qu’il n’a plus ancré son regard dans le sien pendant dix minutes, il y revient, Kieran. Il prétexte qu’il s’agit d’une simple habitude : il était habitué à ne voir qu’elle dans une foule, à chercher la beauté de ses yeux et la sécurité de sa présence à chaque occasion. Il ne peut pas me mentir, pourtant, Kieran et ça n’a rien à voir avec les habitudes (ou pas uniquement). C’est difficile pour toi, autant que pour moi, Halstead, de l’admettre, mais c’est une histoire d’envie. Il n’y a pas d’autres justifications à chercher que des pulsions aussi instinctives que primitives. Et le pire dans tout ça ? Elles seront toujours destinées à la jeune femme et à personne d’autre. Tu peux te mentir à toi-même en prétextant vouloir passer à autre chose, Kieran, mais la vérité c’est que tu ne vois qu’elle, même quand tu essaies d’ignorer sa présence.

Il revient toujours à elle et arrive un moment où je n’essaie même plus de le dissuader. Parce que c’est agréable de poser ses yeux sur elle, oui. Mais pendant une fraction de secondes ; suite à quoi vient la souffrance, la terrible douleur d’avoir à vivre avec cette distance et ces souvenirs, avec cette animosité qui ne leur ressemble pas, avec ces regrets qu’il ne verbalise pas. La sensation de chaleur dans son estomac est très vite remplacée par une tension qui prend possession de tout son corps, de ce cœur alourdi et de ces tremblements qui traduisent de son évidente angoisse. Alors il fait ce qu’il fait de mieux, Kieran, malgré mes protestations qu’il réduit à néant (tiens, donc, serait-ce une soirée où tu es décidé à agir par toi-même ?), il oublie le problème en se refusant d’y penser ; et l’alcool aide à ce cheminement. Il n’a jamais été très porté sur la boisson, pourtant, mais je sais qu’en cas de malaise, celle-ci devient sa meilleure alliée. Il la tient plutôt bien, d’ailleurs, à force de toujours compter sur un verre pour être plus à l’aise en soirée, mais ce soir, ce n’est pas sur un qu’il compte. Ni sur deux, encore moins sur trois ; il les enchaîne à tel point qu’il a arrêté de les compter. Son esprit est aussi embrumé que son pas est mal assuré lorsqu’il profite d’une vague de départs pour se joindre à ceux-ci et disparaître dans, il l’espère, l’indifférence générale. Un dernier salut à Jess et aux autres, il s’éloigne avec un groupe qui se répartit rapidement sur le sable, le laissant à la merci de la prédatrice (bon, Kieran agit par lui-même, mais ne pense pas forcément par lui-même, excusez-moi de cette intervention) qu’il aperçoit du coin de l’œil se diriger vers lui.

Il presse le pas sans essayer d’être discret, le but n’est pas tant de l’être que de parvenir à la fuir. Alors, quand il se voit obligé d’être plus rapide au risque de se trébucher sur le sol, c’est un risque qu’il prend, d’autant plus que sa voix résonne déjà derrière lui. « Kieran, attends! » Je t’interdis d’attendre, Kieran, tu m’entends ? « T’as l’air complètement ridicule, fais pas l’idiot! » Oh, qu’elle est d’une grande aide, la Galloway, quand elle prononce à voix haute des phrases que tu reconnais, des phrases qui font mal et qui me facilitent le travail. Tu l’entends, Kieran ? Tu l’entends te dire que tu es ridicule et que tu es un idiot ? Tu le sens, comme ça fait mal ? Il continue de tanguer, le jeune homme, au point où il manque de perdre l’équilibre lorsqu’il est surpris par ses doigts qui s’enroulent autour de son poignet et qui l’obligent à s’arrêter, heurtant Autumn avec maladresse quand il perd l'équilibre en se retournant (trop) rapidement pour lui faire face. Il vient furtivement poser une main sur son épaule pour se remettre en position, avant de reprendre aussitôt ses distances une fois le contact interrompu ; mais ça a suffi pour te perturber, Kieran, pas vrai ? « C’est pas du tout ce que tu crois. » Il aurait des dizaines de choses à répondre à cette affirmation. Il y en a des dizaines que je lui suggère pour se sortir de cette délicate situation sans donner l’occasion à la rouquine de prend l’avantage comme elle le fait toujours. Il y a beaucoup de choses avec lesquelles je mitraille son esprit pour l’aider à rivaliser, sans même prendre en compte le fait qu’il le veuille ou non. Kieran ne le veut jamais car mes pensées font mal, car mes pensées sont destructrices ; pourtant elles sont les siennes, les plus profondes, les plus inavouables. Il les réfute bien trop souvent, parce qu’elles vont à l’encontre de ses stratégies de défense, sans même considérer que je suis la plus importante de toute. Alors oui, je m’attends à ce qu’il nie tout ce que je pourrai lui dicter. Et c’est finalement moi qui ne l’écoute pas, quand il me réduit au silence pour laisser ses pensées les plus profondes prendre le dessus, après une réaction qui est tout autant surprenante, mais sincère et, surtout, de lui : il rit. Il rit à s’en faire mal à la mâchoire, Kieran, face à l’ironie de la situation, autant qu’à cause de sa gêne ou de cette douleur qui ne s’arrête jamais ; alors il la contraste comme il le peut, et peut-être que son inhibition à beaucoup à voir avec l’authenticité de sa réaction, encore plus quand celle-ci prend la forme de mots. « C’est exactement ce que je crois. » Qu’il continue de lui rire au nez ; j’avais raison, alors. C’est une soirée où il a décidé d’être le maître du jeu. C’est une soirée où il s’autorise à dire ce qu’il pense. C’est une soirée où il sait que cette douleur sera plus insupportable que jamais, aussi.

Pourquoi est-ce que tu as décidé que tu devais absolument parler à Kieran ici, ce soir? Pourquoi est-ce que tu as pensé ne serait-ce qu’un seul instant que ce serait une bonne idée, alors que ça fait des heures que vous vous regardez sans que jamais l’un n’ose s’approcher de l’autre, en enchaînant l’alcool comme un échappatoire qui n’en est pas vraiment un? Pourquoi est-ce que tu te mets à courir après lui au moment même où il décide de partir, de te fuir, une fois de plus? Pourquoi est-ce que tu dois toujours faire le contraire de de ce que les gens attendent de toi, Autumn? Pourquoi est-ce que tu n’es pas capable de comprendre le message alors qu’il est pourtant loud and clear? Pourquoi est-ce que tu cherches toujours à te faire un peu plus mal, surtout lorsqu’il est question de Kieran Halstead? Si tu possèdes la moindre réponse à ces questions, tu les as complètement oubliées, effacées de ta mémoire, cachées dans un coin de ton esprit pour ne pas avoir à t’arrêter dans ta lancée. Celle qui te pousse à courir après lui, à le rattraper alors que tu devrais le laisser partir, une bonne fois pour toute. Mais tu en es bien incapable, quand tu ne cesses de penser à lui, à vous, à votre histoire et à sa conclusion horrifiante. Quand tu rêves de tout réparer un jour pour simplement mieux maudire le jeune homme le suivant. Tu ne devrais pas agripper son poignet de tes doigts, tu ne devrais pas le forcer à se retourner contre toi parce que tu sais qu’aucune conversation qui fait du sens ne peut prendre place alors que vous êtes tous les deux ivres. Tu ne devrais pas, mais tu le fais quand même et il se retourne brusquement Kieran, manquant de perdre l’équilibre, sa main le retenant contre ton épaule et c’est ton corps en entier qui se fige de cette proximité qui est tout ce qu’il y a de plus ordinaire, mais qui te chamboule complètement. Vos regards se trouvent encore quelques secondes avant qu’il ne se recule, sa main quittant ton épaule bien que la sensation de ses doigts demeure, comme un souvenir douloureux et agréable à la fois.

Tu oublies absolument tout quand ton regard s’accroche à celui de Kieran, tu en oublies même de défaire le contact de tes doigts autour de son poignet. Tu oublies la soirée passée auprès de Garret, les commentaires qui ont été fait sur Mason, tu oublies les gens qui se promènent encore sur le sable non loin de vous. Tu oublies ce que tu voulais dire, comment tu voulais le dire, ce que tu devrais dire. Tu oublies tout et tu ne vois que lui, toujours lui, mais jamais tu n’aurais pu prédire la suite. Jamais que tu n’aurais pu imaginer qu’il se mettrait à rire Kieran, surtout pas d’un rire aussi puissant et aussi alarmant, au point que tu sursautes légèrement et lâches finalement son poignet. C’est l’alcool, sans doute, ou bien c’est une énième preuve qui te force à la réalisation que tu ne le connais pas vraiment, l’homme qui te fait face aujourd’hui. Les choses changent, en deux ans. Est-ce que tu as changé, toi? Tu voudrais croire que oui, mais tout porte à croire que non. Parce que depuis ton retour à Brisbane, tu enchaînes les conneries. Tu enchaînes les impulsivités, tu enchaînes les mauvais choix et tu mets tout sur le dos de ton trouble. Oh, il a le dos large, ton trouble de la personnalité limite. Il justifie tout, mais n’excuse jamais rien. Un peu comme toi, qui tente toujours de te défiler sans jamais avoir à prononcer les mots je suis désolée. Tu les as dits pourtant, la dernière fois que tu t’es retrouvée face à lui, mais ça n’a rien changé, ça n’a rien réglé. « C’est exactement ce que je crois. » Il continue de rire et tu ne pourrais logiquement expliquer pourquoi son comportement t’agace comme il le fait. Pourtant, ton visage se ferme plus il rigole, tes poings se serrent contre toi et ton regard se fait de plus en plus froid sans jamais lâcher son visage qui se tord dans son hilarité que tu peines à saisir. La situation n’a rien de drôle, et ce qui est moins drôle encore, c’est de réaliser l’ampleur des dégâts qui subsistent entre vous malgré le silence. L’adage qui dit que le temps fait son œuvre et répare tout n’a rien de vrai, du moins entre vous, quand vous semblez être plus brisés que jamais, que ce soit ensemble ou séparés. « J’te jure que non, c’est un malentendu. » que tu commences, d’abord prête à lui donner des explications, avant de réaliser qu’au fond, tu ne lui dois rien. Ou du moins, c’est ce que ton cerveau alcoolisé te fait croire quand tes pensées virent de je dois absolument m’expliquer à qu’est-ce que ça change après tout, quand tu reprends ton rôle de victime, de celle qui s’est retrouvée seule du jour au lendemain, de celle qui a cherché des explications sans jamais y avoir droit. « Et puis qu’est-ce que ça pourrait bien te faire, si j’avais un nouveau copain, ou si je m’étais mariée avec un autre, hein? » Ce n’est pas ce que tu devrais dire, ce n’est pas ce que tu devrais faire. Arrête Autumn, tu vas le regretter. « C’est toi qui m’as laissé. C’est toi qui es parti, qui as annulé le mariage et qui as même pas eu le courage de me l’expliquer en pleine face. Pas une, mais deux fois! » Quand il est parti la première fois, et puis quand tu as essayé d’avoir une conversation avec lui dans ce café, il y a quelques mois de ça. Ton cœur cogne trop fort contre ta poitrine, si fort que ça te donne des nausées – à moins que ce ne soit tout l’alcool consommé ce soir, tu ne sais pas, tu ne sais plus. Tu t’efforces de prendre de longues inspirations, en partie pour te calmer, mais aussi pour t’empêcher d’être malade à ses pieds. Tu fermes les yeux quelques secondes, pour que le monde cesse enfin de tourner autour de toi, et puis quand tu les ouvres à nouveau, ton éclat de colère semble avoir laissé place à quelque chose de plus amer et bien plus douloureux. « J’ai pas tourné la page, peu importe ce que tu peux croire. » Copain ou pas, mariage ou non, elle est là, la stupide vérité et elle éclate comme une bombe qui risque de faire encore bien des dommages collatéraux, à commencer par Kieran et toi.

Ce n’est que son épaule, mais c’est une proximité qu’il n’aurait jamais imaginé retrouver avec la jeune femme. Oh, je le sais qu’il en a rêvé, plus d’une fois. De différentes manières, pas toujours assumées, toujours récurrentes malgré mes tentatives de l’en dissuader. Parce que tu ne dois plus penser à elle, Kieran. Je sais qu’en fin de compte, tu seras toujours le maître de tes décisions peu importe la manière dont j’essaie d’en forcer dans ton esprit ; mais si tu dois m’écouter une fois, juste une fois, je t’en supplie, fais-le concernant ce sujet. Tu ne dois plus penser à elle. Parce que ça fait trop mal, n’est-ce pas ? Tu le sais, je le sais, tout le monde le sait. Il n’y a qu’à voir l’état de sa vie à l’heure actuelle, autant de mois après leur séparation : il n’avance pas, Kieran. Il n’est pas passé à autre chose et certains qualifieraient cela de pathétique. Je sais qu’il y a autre chose, que ce n’est pas juste un cœur brisé qui aime se complaire dans cette situation pour attirer la pitié et l’attention – Kieran n’a jamais voulu ni de l’un, ni de l’autre. C’est une incapacité à se défaire des liens et pas uniquement pour une question de relation, mais au sens figuré, aussi, de tous ces fils invisibles qu’elle a tissé autour de lui pour mieux le maintenir accroché à elle. Ce n’est que son épaule, mais ça électrise l’ensemble de son corps et dans un sens, moi qui désirais qu’il s’abstienne de tout rapprochement, j’en suis presque satisfait. Parce que c’est agréable, oui, dans un premier temps. Et puis, la souffrance apparaît, celle de ne pas pouvoir mêler leurs doigts ensemble, de ne pas pouvoir glisser sa main dans sa nuque, de ne pas pouvoir toucher ses lèvres ; il ne peut pas. Il le veut, c’est certain, mais il ne peut pas. Il n’y arrive pas et je n’ai même pas besoin de construire de nouvelles barrières qu’il les érige déjà lui-même – comme quoi, on progresse.

Pas suffisamment pour qu’il parvienne à la fuir, néanmoins et c’est ironique dans un sens ; venant d’un type qui passe son temps à le faire. À fuir les gens, c’est sûr, mais à fuir tout le reste, aussi, ce qui lui confère le statut d’expert en la matière. Parce qu’il n’y a pas que la présence physique, n’est-ce pas, Kieran ? Il y a tout le reste que tu fuis ; à commencer par moi. Il y a aussi ses émotions qu’il ne s’autorise jamais à ressentir, ses souvenirs auxquels il s’interdit de penser, ses intuitions qui lui font croire qu’il pourrait mériter mieux alors qu’il s’est persuadé être voué à la médiocrité. Il y a néanmoins une chose qui ne fuit pas, quelque chose que je me dois de féliciter, quelque chose qui me rend fier. Tu vois, Kieran, c’est possible. Tu peux faire émerger ce sentiment chez quelqu’un, et même si l’on peut discuter de ma véritable existence, dans le fond, c’est lui qu’il rend fier aussi, s’il acceptait de voir les choses de mon point de vue. C’est toujours mieux que tout ce qu’il aurait pu essayer aux côtés d’Autumn sans jamais y parvenir parce qu’elle en demandait plus, parce qu’elle en demandait trop. Il me rend fier, parce que sa colère, elle, n’a pas fui. Pas totalement, lorsqu’il lui répond, glacial malgré le rire qui s’échappe d’entre ses lèvres. Il a une drôle de manière de l’exprimer, sa rage, notre protagoniste, mais du moment qu’elle est là, quelque part, à être partagée, je m’en contente. Le plus effrayant dans tout ça, Kieran ? Ça fait du bien. « J’te jure que non, c’est un malentendu. » « Un malentendu ? » Il répète, moqueur. Se tromper de jour quand on se donne rendez-vous, ça, c’est un malentendu. Épouser le premier inconnu qui passe, ça n’en est pas un, quoi qu’elle puisse vouloir lui faire croire. Et j’interviens, peut-être de la pire des façons, mais parce qu’il le faut. Elle te prend toujours pour un idiot, Kieran, ne le vois-tu donc pas ? Il ne m’écoute pas, lorsque j’essaie de le raisonner avec subtilité et délicatesse ; s’il faut employer la manière forte, qu’il en soit ainsi. « Et puis qu’est-ce que ça pourrait bien te faire, si j’avais un nouveau copain, ou si je m’étais mariée avec un autre, hein? » Non, Kieran. Ne le dis pas, ne l’exprime pas. « PARCE QUE ÇA DEVRAIT ÊTRE MOI TON MARI ! » La réponse est automatique, hurlée au point d’en faire se retourner quelques passants sur la plage. Je me félicitais de son manque de retenue, je m’en inquiète désormais. Il y a des choses que tu ne dois pas dire, Kieran, qui ne peuvent pas exprimer, qui ne peuvent pas laisser de porte ouverte ; cette vérité en fait partie. Oui, il devrait être son mari, c’est une vérité, mais pas une réalité. Vos chemins se sont séparés et doivent le rester ; écoute-moi, je t’en supplie. « C’est toi qui m’as laissé. C’est toi qui es parti, qui as annulé le mariage et qui as même pas eu le courage de me l’expliquer en pleine face. Pas une, mais deux fois! » « C’est toi qui m’a fait partir ! » Elle est là, la vérité que je veux que tu exprimes. Celle que je veux qu’elle entende. Celle qui fait mal, aussi, qui le choque, quand il prend conscience de ses paroles et que ses yeux écarquillés sous la colère n’arrivent pas à se détendre. Il aurait dû être son mari ; oui, c’est une idée dont ils ont connaissance tous les deux. Le fait qu’elle l’ait fait fui ; c’est la première fois qu’il le verbalise, y compris pour lui-même. Et la surprise mêlée à de la peur dans son regard n’a pas tant à voir avec le fait de l’avoir dit à voix haute, mais de réaliser cette vérité qui le frappe autant qu’elle. Il ne voulait pas en prendre conscience, jusqu’ici, Kieran. Il se berçait d’illusions, plongé dans un déni qui se voulait rassurant et sécurisant. Il vient d’en sortir de la plus brutale des manières ; et il est dépassé par sa propre réalité. « J’ai pas tourné la page, peu importe ce que tu peux croire. » Lui non plus. Lui non plus, Autumn, n’a pas tourné la page, peu importe ce que tu peux croire. Mais ça, il ne peut pas le dire. Écoute-moi bien, Kieran. Tu n’as pas le droit de le dire. Tu n’as pas le droit. Tu ne peux pas. Toi qui vis pour les mensonges, toi qui n’a jamais aucune difficulté à en balancer à qui le veux bien, aujourd’hui, tu dois user du plus beau de tous, du plus convaincant, de t’en persuader jusqu’à ce qu’aucune autre réalité ne soit possible. Et je sais que ça te semble impossible, que tu ne t’en crois pas capable ; tu n’es même pas tant obligé de lui mentir, en réalité, seulement de détourner son attention, suffisamment pour que tu ne cèdes pas, pour que tu résistes encore un peu et que tu te libères toujours plus.

« Tu devrais. »

Ce n’est pas un mensonge, pas plus que ce n’est une vérité. Elle devrait ; oui, elle devrait, pour elle, pour lui, aussi. Pour ne pas qu’il ait à devoir le faire, surtout. Parce qu’il n’y arrivera pas. C’est impossible ; et il en est incapable.

@Autumn Galloway  

Son rire résonne trop fort et il détruit tout sur son passage. C’est étrange, cette sensation que les rôles se sont inversés, ne serait-ce que l’espace d’un instant. C’est toi qui as l’habitude de tout détruire à proximité normalement. C’est toi qui fous le feu partout où tu passes et qui oses se demander ensuite pourquoi ta vie n’est fait que de poussières. Si ton rôle de victime te permet de croire que le malheur s’acharne injustement sur toi, ce sont tes décisions, toutes plus terribles les unes des autres, qui te poussent toujours un peu plus loin dans le gouffre qu’est devenu ton quotidien depuis plus de deux ans déjà. Tes problèmes d’impulsivité, ta santé mentale qui vacille, ça ne date pas seulement d’après ta rupture avec Kieran, bien au contraire. C’est ce qui l’a provoqué, cette foutue rupture, quand la douce et gentille Autumn qu’il avait d’abord connu et aimé s’est transformée en une femme que même toi, tu ne saurais reconnaître, encore moins aimer. Celle qui fait mal, celle qui abîme, celle qui détruit tout ce qu’elle touche, Kieran le premier. Tu peines à l’admettre et jamais tu n’arrives à l’assumer, malgré les centaines d’heures de thérapie et les nombreuses lectures à vouloir comprendre pourquoi tu es comment tu es. Rien de tout ça n’a d’importance quand Kieran rit trop fort et qu’il te regarde comme il ne l’a jamais fait par le passé. Avec dédain, avec dégoût même. Tu voudrais te faire croire que c’est de la faute de l’alcool, mais non. Non, ton déni ne couvre pas tout. C’est toi, qu’il regarde comme ça. Toi et tes décisions de merde. Toi et tes choix de vie douteux. Toi et ta personnalité défectueuse. Toi et tout le mal que tu as pu lui causé par le passé. Tu voudrais pouvoir fermer les yeux et être ailleurs. Mieux encore, tu voudrais pouvoir fermer les yeux et revenir trois ans, quatre ans même, en arrière. Quand vous étiez encore heureux ensemble. Quand vous étiez amoureux et que toutes vos insécurités, tous vos doutes, tous vos défauts de fabrication – les tiens surtout – n’avaient pas encore pris toute la place dans votre histoire. C’est ce que tu veux, plus que tout, mais tu as beau le souhaiter de toutes tes forces, c’est encore la plage qui vous entoure lorsque tu ouvres les yeux de nouveau. Le retour dans le temps est impossible et la réalité elle, te fait toujours aussi mal.

« Un malentendu? » Il se moque, il ne te croit pas et tu ne peux même pas le blâmer. Si les rôles étaient inversés, vous savez tous les deux que ta réaction serait pire, bien pire. « C’est compliqué. » Ou ce ne l’est pas, pas vraiment. C’est juste que tu as trop honte pour te lancer dans les détails d’une de tes plus grosses conneries en date. « Tu veux pas savoir. » Il ne veut pas savoir ou tu ne veux pas lui dire? Les deux, sûrement. Tu ne veux pas en parler avec lui surtout parce que ça rendrait ça encore plus réel que ce ne l’est déjà, toi qui t’efforces de faire comme si ce n’était jamais arrivé. Kieran n’aurait jamais dû entendre parler de cette histoire à la con. Personne n’aurait jamais dû savoir. Tu passes à l’attaque, convaincue quelque part que ça ne le regarde pas, que ça ne change rien pour lui compte tenu qu’il est parti, compte tenu qu’il t’a laissé, compte tenu qu’il ne voulait plus de toi et qu’ainsi, tes conneries et tes erreurs ne pouvaient plus lui faire du mal. Ce que tu peux être égoïste quand tu t’y mets, Autumn. « PARCE QUE ÇA DEVRAIT ÊTRE MOI TON MARI. » Les rires laissent place aux cris et plus les secondes filent, plus il te surprend Kieran. Mais à ce jeu-là, à celui qui saura donner le dernier mot, tu as toujours été bien meilleure que lui. « JUSTEMENT! » que tu t’exclames, aussi fort et avec autant de puissance que lui, ignorant complètement les regards qui se tournent dans votre direction vu la scène que vous êtes en train d’offrir. « Y’a rien que je voulais plus au monde que ça et tu le sais parfaitement! » Et s’il n’était jamais parti, tu ne jouerais pas la fausse-copine au bras de Garret, tu ne te serais pas mariée pendant un évènement de la Pride parce que tu étais trop sous l’influence de l’alcool pour te raisonner et t’empêcher de faire une bêtise aussi grosse que celle-là. Si Kieran était encore dans ta vie, tu es persuadée que tu irais mieux, beaucoup mieux. Qu’au lieu de t’enfoncer dans le gouffre, tu en serais éventuellement sortie. C’est naïf de penser ainsi quand plus rien n’allait dans ta vie, ni entre vous deux à la fin, mais c’est un discours que tu t’es fait si souvent que tu y crois dur comme fer, tu t’y accroches comme si ta vie en dépendait. Tant que tu peux mettre le blâme ailleurs, tant que tu peux te jouer une histoire plus belle, dans une vie parallèle, tu n’as pas besoin de réaliser l’ampleur des problèmes, l’ampleur de tes problèmes. « C’est toi qui m’a fait partir. » Mais Kieran semble déterminé à te le faire comprendre, quand pour la première fois, il s’ose à te donner une explication. Une que tu as tant espéré, que tu as tant demandé, mais qu’au fond, tu ne voulais pas entendre. Tu ne voulais pas l’entendre quand ton souffle se coupe sous l’émotion, quand ton visage se tord dans une grimace de douleur qui n’a absolument rien de physique mais qui se ressent de partout. « J’étais malade! » Oui, mais ça n’explique pas tout, et ça n’excuse pas tout non plus. C’est qu’elle est terriblement mince, la ligne entre ton trouble et ta personnalité et même après tout ce temps, tu peines à savoir réellement ce qui est quoi. « J’étais pas parfaite, mais j’avais besoin de toi. Et t’es parti. » C’est ça l’histoire, ça ne peut être que ça l’histoire. Alors pourquoi est-ce qu’il y a constamment cette petite voix dans ta tête qui te rappelle, encore et encore, que c’est bien plus que ça? « Tu devrais. » Tu fermes les yeux avec violence. Il n’a pas dit ça, il ne vient pas de dire ça. Il ne le pense pas vraiment. Oui, non? Ça fait si longtemps, pourquoi est-ce que tu pensais que lui non plus, n’avait pas tourné la page? Tout tourne trop vite, tu caches ton visage entre tes mains pendant quelques secondes, cherchant une contenance que tu ne parviens pas à trouver. Tu laisses finalement tes bras retombés le long de ton corps avant de relever les yeux vers Kieran. « Je suis pas capable. » Tu as essayé pourtant, tu le jures. À l’autre bout du monde, dans les bras d’inconnus, dans des aventures sans lendemain. Mais il n’y a jamais rien ni personne qui n’a su te faire oublier le fantôme du Halstead. « Et j’en ai pas envie. » Tu n’avais pas prévu de le dire, ça. Les mots sont sortis tout seul, sans que tu ne puisses les retenir. C’est vrai toutefois, quand les quelques efforts que tu as mis pour le sortir de ta tête se sont avérés vains, tu as préféré réécrire l’histoire, lui donner une meilleure fin et croire que ce serait possible d’en faire autant dans la réalité. Ce que tu peux être naïve, Autumn. « Tu as réussi, toi? » Tes yeux se sont remplis de larmes que tu ne cherches même plus à cacher, oubliant complètement que vous êtes en public, que ce n’est définitivement pas le bon moment, ni le bon endroit pour une telle discussion à cœur ouvert, mais maintenant que vous y êtes, la marche-arrière est tout simplement impossible.

Peut-être devrais-je m’inquiéter de la consommation d’alcool de Kieran alors que ses filtres tombent les uns après les autres. C’est une peur commune, de ne plus être soi-même sous l’influence d’une substance ; mais je ne réagis pas, au contraire, je le laisse faire et savourer cette nouvelle liberté que son taux d’alcoolémie lui offre. Il est dans un état second, Kieran, quiconque pose le regard sur lui le verra aussitôt ; peut-être qu’il devrait avoir honte, peut-être qu’il le regrette le lendemain, mais à cet instant, il ne s’est jamais senti aussi libre. Loin de moi l’idée de prôner l’abus d’alcool (à consommer avec modération, les enfants, n’oubliez pas), mais dans le cas de notre protagoniste, c’est comme l’effet inverse se produisait lorsqu’il est ivre ; c’est sa véritable personnalité qui prend le dessus et non pas celle qu’il vend à qui le veut au quotidien, derrière laquelle il se cache et qui n’a pas une once de sincérité. Il joue toujours à l’imbécile, Kieran, parce qu’il a compris que si on le prenait pour un idiot, on se contentait de se moquer de lui plutôt que d’être blessant en supposant qu’il n’est pas assez malin pour comprendre et en souffrir. Il joue aussi au roi du déni, quand il prétend que rien ne le touche et que ses émotions sont maîtrisées, effacées. Parfois, il joue au mythomane par seul plaisir de s’offrir une vie dont il rêve et qui n’est pas à sa portée. Rarement, il est Kieran, le trentenaire qui a trop vu et trop vécu, qui se déteste autant qu’il déteste les autres, dans le fond, qui n’a aucune estime et bienveillance à son propre égard, qui a beaucoup de choses à dire et tout autant de colère à déverser. Ce n’est pas un méchant type, Kieran, il ne sait seulement pas qui il est, entre une histoire qui n’a pas de sens, à moitié effacé, des souvenirs qui l’empêchent d’aller vers l’avant, trop de souffrance qui le retiennent dans le passé, beaucoup de choses qu’il n’assume pas et ne veut pas voir. Ce sont des couches et des couches de filtre qu’il applique au quotidien sur son vécu plutôt que ses paroles et l’alcool fait son boulot, en les faisant disparaître les unes après les autres. Et même sa propre voix n’arrive pas à le raisonner ; à croire qu’il en a besoin, à croire que cette peur de découvre cette version de lui est vite dissimulée par le plaisir qu’elle lui procure. Ce n’est pas contre Autumn (oh, pourtant, Kieran, tu devrais être contre Autumn), c’est contre le reste du monde, c’est contre lui-même aussi. Ce sont toutes ces opinions jamais dévoilées qui peuvent enfin se l’autoriser à l’être et le mieux dans tout ça ? Il a la plus belle des excuses, la plus facile aussi : il est juste bourré, c’est juste un ivrogne d’un soir, qui pourrait lui en tenir rigueur ?

Alors non, aussi blessants qui pourront être les mots qui sortent d’entre ses lèvres ; je ne l’arrêterai pas. Parce que je ressens tout ce qu’il ressent et même si la vision d’Autumn lui serre le cœur, il y a cette respiration qu’il reprend peu-à-peu après des années d’asphyxie, comme s’il apprenait à nouveau à respirer à mesure que sa vérité est dévoilée. C’est donc ça, de dire ce que l’on pense ? D’avoir tant de haine et de colère qu’on ne songe en aucun cas aux conséquences, et qu’on essaie seulement de reprendre notre air, encore et encore, entre deux réflexions blessantes pour l’autre, vivifiantes pour soi ? Il pourrait presque y prendre goût, Kieran, s’il n’avait pas aussi peur de lui-même. Et ce n’est que le début, Halstead. « C’est compliqué. » Un nouveau rire s’échappe d’entre ses lèvres ; non, ce n’est pas compliqué, Autumn, c'est aussi simple qu’un papier signé qui unit deux destins – mais il n’est pas l’un de ceux-ci. « Tu veux pas savoir. » « Ou tu veux pas me l’expliquer ? » Il demande, toujours plus moqueur, toujours plus transparent. Il n’y a plus grand-chose qui le retient, à cet instant et il se sent pousser des ailes autant qu’il craint l’envol qui suivra ; et il est fracassant. Des mots qui sont hurlés à s’en faire mal à la gorge, qui attirent l’attention alors qu’il ne vit que pour la discrétion, qui viennent du plus profond de son être, de sa conscience aussi, de cette vérité qu’il a souvent balancé à qui voulait l’entendre, de ce mariage parfait qui, au fond, était rêvé. Mais à cet instant, l’espace d’une seconde, il y croit plus qu’aucun mensonge en ce sens prétendu au cours des derniers mois. Un instant, il était son mari et il s’est senti trompé, Kieran. Tu ne devrais pas. C’est elle qui t’a trompé dans le fond, en devenant une version d’elle-même cruelle et perturbée. Écoute-moi, Kieran, même si le son de ta propre voix t’attire ; tu n’es pas son mari et il y a une bonne raison pour cela, tu t’en souviens ? « JUSTEMENT! Y’a rien que je voulais plus au monde que ça et tu le sais parfaitement! » C’est un nouveau rire qui perce l’air, Kieran n’arrivait plus à s’arrêter. Peut-être que je l’aide, aussi, tant la situation prête à rire. Oh, Autumn, Autumn. Pour quelqu’un qui ne voulait que cela, comment peux-tu te regarder dans la glace ? « C’est pour ça que t’épouses le premier connard venu ? » Il poursuit, hors de lui, avant d’ajouter, toujours plus en colère : « C’est pas moi que tu voulais, c’est celui que tu voulais que je devienne ! » Il lui crache les mots avec rancœur ; il s’est perdu quelque part, Kieran, entre ses propres désirs et ceux de la jeune femme. Il ne s’est toujours pas retrouvé, deux ans après et il perd chaque jour l’espoir d’y arriver. Et ça fait mal, ça, Halstead, n’est-ce pas ?

Mais ça ne fait pas aussi mal que ces quelques mots prononcés pour la première fois. Ce n’est pas une explication, ce n’est pas non plus une justification, c’est un cri du cœur, la raison pour laquelle il est parti sans se retourner, ni même sans hésiter, s’il s’avère honnête. Il savait seulement qu’il devait partir ; que sa propre vie en dépendait. « J’étais malade! » « Et j'ai dû te supplier de te faire soigner ! » Est-ce qu’elle s’en souvient ? Des supplications, des larmes, des cris, des murmures, de sa pitié imploré, afin qu’elle prenne en main sa situation ? Parce qu’il n’y arrivait plus, parce qu’il ne pouvait pas lui offrir un soutien dont elle ne voulait pas.  « J’étais pas parfaite, mais j’avais besoin de toi. Et t’es parti. » « ET J’AVAIS BESOIN DE ME SENTIR EN SÉCURITÉ ! » Et je sens, Kieran, toute la rage que tu mets dans ces quelques mots. Ta voix qui se brise à nouveau et tes yeux qui s’humidifient. C’était plus qu’un désir égoïste et je t’assure que viendra un jour où tu sauras te pardonner. Où tu comprendras que malgré tout ton amour pour la jeune femme, ça n’aurait jamais été suffisant ; que tu pouvais mettre de côté ton propre bonheur, mais que tu n’aurais rien pu faire pour ta sécurité. Que ce sentiment le plus basique, le plus humain, ne t’étais même pas acquis. Et le pire dans tout ça ? Oh, ça fait mal, hein, que je l’impose à ton esprit ? C’est celle qui t’a fait découvrir ce sentiment qui te l’a aussi enlevé.

C’est ce qu’il aimait plus que tout qui lui a appris la haine, aussi. C’est celle qu’il devrait oublier qui lui impose son souvenir ; c’est Autumn et tous les paradoxes qu’elle amène avec elle pour sa plus grand douleur. « Je suis pas capable. » Kieran secoue la tête, souhaite s’imposer à cette affirmation alors qu’elle cherche son regard. C’est faux, tout ce qu’elle dit est faux, je te rappelle. Tous ses mots sont pensés, analysés, pour mieux te frapper, Kieran. Ne tombe pas dans le piège. « Et j’en ai pas envie. » Ne tombe pas dans le piège, je t’en supplie. Car, tu vois, Autumn, lui n’a qu’une envie malgré son attitude qui semble hurler le contraire : il veut t’oublier, aussi. Il veut passer à autre chose, il veut goûter à nouveau au bonheur et ce n’est pas à tes côtés qu’il y parviendra. « Tu as réussi, toi? » Ne tombe pas dans le piège. Je m’acharne à le raisonner, je crie dans sa tête, j’accapare ses pensées du mieux que je peux et Kieran pose ses mains sur ses tempes, baisse le regard, dans l’espoir de me faire taire, de se faire taire, alors que sa voix résonne, que les souvenirs défilent. C’est trop, c’est beaucoup trop. Il doit lui dire ce qu’il pense réellement et non pas ce qu’il veut continuer de penser. Ses mains tremblent, son rythme cardiaque s’accélère alors qu’il essaie de sceller ses lèvres du mieux qu’il peut. Il ne veut pas la blesser (elle n’a pas hésité, Kieran). Il ne veut pas se blesser (depuis quand tu t’inquiètes de ça ?). « Non ! » Et il explose à nouveau, lorsque sa voix résonne, lorsque des regards se posent encore un instant sur lui avant d’avoir un instant de répit entre deux passages de promeneurs, qu’il n’y a plus qu’Autumn et lui, qu’il n’y a plus que sa rage et moi ; il n’est plus vraiment là, Kieran, quand les mots franchissent ses lèvres – il s’en persuade, car il ne se reconnaît pas. « Comment je peux y arriver, hein ? Dis-moi ! » Il lui demande en se rapprochant de quelques pas pour lui faire face ; prêt à l’affronter. « T’es là ! » Il l’accuse alors que ses mains la désignent de toute sa silhouette devant lui. « T’es là ! » Ses doigts glissent sur son torse, sur son cœur qu'il frappe à plusieurs reprises. « T’es tout le temps là ! » Qu’il finit par lui hurler dessus alors que quelques larmes roulent le long de ses joues et que ses paumes frappent ses tempes à plusieurs reprises. « T’es partout alors que je voudrais que tu disparaisses ! » Il conclut, le cœur battant et à court de souffle, son regard ancré dans le sien un instant, avant qu’il ne le perde à ses pieds ; il ne supporterait pas d’y voir son reflet de voir ce qu’il est devenu. À cause d’elle.

@Autumn Galloway  

Acte un, votre rencontre. Acte deux, vos premiers rendez-vous. Acte trois, la première fois qu’il t’a dit je t’aime, bien trop vite, bien trop maladroitement, mais un souvenir qui te fait toujours sourire quand tu y repenses. Peut-être que t’aurais dû lui dire en retour, ce jour-là. T’étais pas certaine de les ressentir encore, ces mots-là, mais tu te doutais déjà qu’il prendrait de la place dans ta vie, le Halstead. Acte quatre, sa première fois, votre première fois, dans toute sa maladresse, mais surtout toute sa douceur. Dans les fous rires alors que tu découvrais son corps, qu’il découvrait le tien, qu’ensemble vous découvriez enfin comment vous aimez autrement, physiquement. Acte cinq, ton premier je t’aime. Avec tous les papillons dans ton ventre et la certitude que tu n’avais jamais ressenti de tels sentiments pour qui que ce soit par le passé. Acte six, l’amour. Oh, tellement d’amour. T’aurais voulu que cet acte-là ne s’arrête jamais. Qu’il s’étire jusqu’à la fin des temps. Que vous puissiez rester dans cette bulle qui vous entourait et dans laquelle tu te sentais bien comme jamais. Mais la pièce devait continuer et la bulle devait éclater. Acte sept, les échecs. Les tiens, les siens, qui s’accumulent, qui se combinent, qui s’empilent et dont tu ne sais plus te dissocier. Tes échecs sont les siens, ses échecs sont les tiens. Non, ça ne devrait pas. Pourquoi est-ce que c’est si lourd, soudainement? S’accrocher ou se déchirer? S’accrocher si fort que ça déchire. Ça coupe le bout des doigts, ça brûle, ça saigne. Le sang. Comme celui qui coule de la paume de Kieran. Merde, t’as sauté des actes. C’est la fin qui approche. C’est là que tout s’est mis à mal aller, pas vrai? Quand le poids des échecs a fait craquer tes petites épaules trop frêles. Merde, merde. On recule et on recommence? Non. Oui. Essaie numéro un. Essaie numéro deux. Essaie numéro trois. Les changements d’études, les changements de travail, les changements de ville. Il n’y a rien qui ne règle rien. Tu t’enfonces, Kieran aussi. Parfois, trop souvent sûrement, c’est toi qui l’enfonces. Arrête Autumn, arrête. Tu vas lui faire mal. Tu vas le détruire à petit feu. Il va se perdre, tu vas le perdre et toi aussi en cours de route. Vos chemins divaguent, diffèrent. Merde, merde, merde. Non, non, on revient. On recommence. Tu l’aimes. Tu l’aimes si fort. Les coupures sont de plus en plus profondes, il n’y a plus grand-chose à quoi s’accrocher. Tout est déchiré. Tout est détruit. Sauf la lettre. Sa lettre. Il est parti. C’était combien d’actes, tout ça? T’as perdu le compte. Tu ne peux pas revenir. C’est là que tout s’est détruit. Tu le sais, c’est de ta faute. Elle est laide, la Autumn avec ses mains en sang et son esprit dans le noir. Elle est laide et tu la détestes. Kieran aussi la déteste. Kieran aussi. Comprends-le, une bonne fois pour tout. Cesse de t’acharner. Cesse. Cesse Autumn.

Jamais.

Autumn et Kieran. La plage. Acte final? Oui, non. Ça en a le goût en tout cas. Tu n’aimes pas ça. Tu veux plus d’actes. T’as besoin de plus d’actes. Mais il n’y a rien qui se passe comme tu le voudrais, comme tu te l’étais imaginée. Tout est pire, toujours pire. C’est Kieran qui a perdu le contrôle ce soir. Lui qui rit trop fort, lui qui cri, lui qui fait mal. C’est bien mérité, après tout. Le juste retour des choses? Il en aurait pour des années à te faire mal de la sorte pour que la balance soit remise à zéro. Oh tu le sais, évidemment que tu le sais. Mais tu n’en peux plus d’avoir mal. De faire mal. Tu n’en peux plus. Faut que ça arrête, faut que ça arrête. « Ou tu veux pas me l’expliquer? » Mais ça continue, évidemment que ça continue. Tu ne sais faire que ça. Enfoncer le couteau dans la plaie. « On en parle des choses que tu veux pas m’expliquer? » Deux ans que t’attends. Deux ans que tu veux les explications de la lettre, les raisons de son départ dites à voix haute. Non, tu ne veux pas lui expliquer ton mariage à la con. Ça ne le regarde pas, c’est de sa faute si ça ne le regarde pas. Non, non. Fuck, pourquoi ça tourne si vite dans ta tête? Pourquoi c’est blanc une seconde et noir la suivante? Et si je te dis que j’ai besoin que tu m’attrapes une dernière fois Kieran, est-ce que tu le ferais? Ou tu me laisserais là, en morceaux, sur le bord de cette plage? Que l’océan ramasse les morceaux. Ce n’est plus ton problème, pas vrai Kieran? « C’est pour ça que t’épouses le premier connard venu? » Va chier Kieran. Ils sont juste là les mots, mais tu ne les prononces pas, ton regard le fait pour toi de toute façon. « C’est pas moi que tu voulais, c’est celui que tu voulais que je devienne! » « TU MENS! » Tu t’exclames, tu cris à ton tour, comme un concours ridicule de qui peut être le plus bruyant, le plus dérangeant. Que l’on vous regarde comme des bêtes de cirque, t’en as rien à foutre. Il n’y a toujours eu que lui et toi dans ta tête de toute façon. « Je supportais plus nos échecs mais j’ai jamais cessé de t’aimer, exactement comme t’étais. » Défauts de fabrication et tout. Tu le montrais si bien, au début. Pas à la fin. Elle est si fine, la ligne entre vouloir aider à quelqu’un à se trouver et vouloir le modeler selon sa volonté. Tu l’as traversé sans le vouloir. Puis tu n’as jamais su faire marche-arrière, la sensation de contrôle trop agréable pour que tu n’aies eu envie de t’en départir. « J’étais saoule, quand je me suis mariée. Je me souviens de rien. T’es content, c’est ce que tu voulais entendre? » Tu t’emportes, tu gesticules dans tous les sens comme une demeurée. Tu détestes parler de ça, tu détestes encore plus devoir en parler avec lui. « T’es content de savoir que je vais pas si bien que ça, finalement? Que je continue mes conneries? Que malgré toute ma bonne volonté, j’ai rien réglé dans ma tête? Ça te rassure de savoir que t’as fait le bon choix en partant, en me laissant? » Ta colère se transforme peu à peu en amertume, en tristesse qui fait couler des larmes le long de tes joues, défaitiste. « Tu l’as échappé belle Kieran, félicitations. »

Tu voudrais fuir maintenant. Tu en as eu assez, de toutes ces vérités. Toi qui as si longtemps cru que tu voulais les entendre, tu réalises que tu n’es pas du tout assez forte pour les supporter, tout compte fait. Mais il n’y a aucune porte de sortie et tes pieds semblent s’enfoncer dans le sable au fur et à mesure que vos voix s’emportent à tort de rôle, se perdant quelque part dans l’océan à vos pieds. « Et j’ai dû te supplier de te faire soigner! » Tu t’es déjà excusée pour ça, non? Tu pourrais le faire encore, mais il n’y a que des sanglots dans le fond de ta gorge. Que les sanglots pour accompagnés les larmes, les regrets et la culpabilité que tu te prends à la gueule, toujours un peu plus fort alors que tu prends finalement conscience de toute la douleur que Kieran porte encore, par ta faute. Et c’est pire que tout quand il s’exclame d’une puissance que tu ne lui as jamais connu : « ET J’AVAIS BESOIN DE ME SENTIR EN SÉCURITÉ! » C’est un cri du cœur qui t’écrase une bonne fois pour toute et tu ne comprends pas comment ça se fait que tu tiennes encore sur tes jambes qui tremblent, peinant à supporter ton poids plume. « Cri pas… s’il-te-plaît… » Tu supplies entre deux sanglots. Tu n’as jamais été habituée aux accès de colère de sa part. « J’ai jamais voulu… » Tu n’as jamais voulu que ça aille jusque-là. Tu n’as jamais pensé que tu pourrais être si horrible, si monstrueuse, avec lui, avec les autres et puis avec toi-même aussi. Tu secoues la tête à répétition, les mains camouflant ton visage, honteuse, te sentant plus hideuse que jamais, incapable de supporter le regard de Kieran plus longuement. « Pardonne-moi… » En serait-il capable? Le mériterais-tu seulement? Non, sûrement pas. Mais tu demandes quand même, parce que tu ne sais pas quoi faire de plus. Demander pardon. Te fondre en excuses, encore et encore.

Et disparaître. Sortir de sa vie. Une bonne fois pour toute.

Tourner la page. Tu devrais. Il l’a dit. Tu ne veux pas. Ça aussi, tu l’as dit. Et quand tu lui demandes s’il a réussi, lui, a tourné la page, tu as l’impression que tu es en attente d’une sentence. Vas-tu purger la peine maximale? C’est ce que tu mérites Autumn. Peut-être bien que c’est ça, la fin de la pièce. Votre histoire qui arrive à son point final. Tu peines à y croire. Tu l’as tellement aimé, cette histoire. Bien plus que tu ne l’as détesté, peu importe ce que tu as pu en dire par le passé. La première moitié mérite d’être chérie, peu importe la tournure horrible et dramatique que cela a pris. Tu t’en fais la promesse. « Non! » Ce n’est pas la réponse que tu attendais, même si c’est celle que tu espérais. Non, il n’a pas tourné la page, mais c’est dit avec une telle rage, une telle détresse que tu n’en ressens pas le soulagement que tu t’imaginais. Tu suis ses mouvements des yeux et tu as un léger mouvement de recul lorsqu’il s’approche de toi, comme si tu avais soudainement peur de te retrouver trop près de lui. Peur de lui, ou peur de ne plus jamais vouloir t’éloigner de lui? Tu ne sais plus et tu n’as pas envie de savoir non plus. « Comment je peux y arriver, hein? Dis-moi! » Oh si tu savais, si seulement tu savais. Si tu connaissais la réponse, la formule magique, tu l’aurais utilisé il y a longtemps. Ton univers serait sûrement moins vide, si tu ne gardais pas toute cette place pour un fantôme. Ton cœur serait sûrement moins lourd, si tu pouvais te libérer de tous tes sentiments d’antan. Ce serait moins le bordel dans ta tête si Kieran n’y était pas constamment pour tout saccager. Oh Kieran, si tu savais comme je m’en veux pour tout ça. « T’es là! » Ses mains te désignent et tu résistes à la cruelle envie de t’en emparer, de serrer ses doigts contre les tiens. « T’es là! » Et puis une de ses mains glissent sur son torse, cogne là où se trouve son cœur et tes sanglots se font plus forts, se mélangent aux larmes qui coulent désormais sur les joues de Kieran. La scène que vous offrez n’en est pas une qui devrait se faire en public. C’est privé, c’est douloureux, ce sont vos blessures les plus profondes qui s’ouvrent les unes après les autres, celles qui n’ont jamais pu guérir correctement parce que vous ne cessez des les gratter, de les infecter. « T’es partout alors que je voudrais que tu disparaisses. » Son regard se perd quelques secondes dans le tien avant de tomber sur tes pieds et tu mets quelques secondes avant d’être en mesure de reprendre assez ton souffle pour ouvrir la bouche. « Je veux pas… je veux plus te faire du mal. » que tu concèdes finalement, comme la seule évidence qu’il reste. Tu as assez fait de dégâts. Il faut vraiment que ça cesse. « C’est vraiment ce que tu veux? » Que je disparaisse. Tu brises toute distance restante entre vous deux, et tu glisses l’une de tes mains sur sa joue pour le forcer à te relever le visage et te regarder droit dans les yeux. « Dis-le. Dis-le que tu ne m’aimes plus et que tu ne veux plus jamais me revoir. » Ta gorge se serre. Les mots font mal au fur et à mesure que tu les prononces. Ce n’est pas la fin que vous auriez dû avoir. Ce n’est pas la fin que tu voulais. Mais existe-t-il encore d’autres options? Tu l’aimes encore si fort, tu ne peux pas continuer de le détruire de la sorte. Il aura fallu que vous atteignez la douleur ultime pour que tu le comprennes enfin. Tu ne cesses de caresser sa joue, tu voudrais l’embrasser une dernière fois, mais tu ne te l’autorises pas. C’est trop cruel. Ça fait trop mal. « Regarde-moi dans les yeux, dis-le et je te promets que tu n’entendras plus jamais parler de moi. »

Même s’il ne restera plus rien de moi, sans toi.

Et il est hilare, Kieran. Il rit à s’en décrocher la mâchoire, à s’en faire mal aux joues, à en avoir les yeux mouillés. Il rit, Kieran, pourtant, ce n’est pas son rire qui caractérise son attitude ; ce n’est pas parce que la situation est drôle et ce n’est même pas à cause de la nervosité qui lui noue l’estomac en continue depuis qu’il a pris connaissance du retour d’Autumn en ville. Il rit, Kieran, parce qu’il ne sait que faire d’autres ; parce qu’il y a cette accumulation pendant des semaines, des mois, des années, d’émotions qu’il s’est toujours interdit de ressentir, de montrer sur son visage, de traduire dans ses gestes, d’exprimer, tout simplement, car l’éducation de ses parents, même raccourcie, a été intégrée et est devenue une seconde nature. Ils ont tous essayé de lui faire comprendre qu’il avait le droit de ressentir les choses, Kieran, qu’il pouvait pleurer quand il en avait besoin, qu’il pouvait rire quand il le souhaitait, qu’il pouvait s’exprimer sans craintes. Que les ordres de son père et la passivité de sa mère n’étaient pas représentatives de la manière dont il devait vivre ; au contraire – qu’il devait apprendre et surtout reprendre ce droit, le sien, et non pas les principes dictés par des individus qui sont devenus des inconnus au fil des années. Il en a vu, des psychologues, des psychiatres, des médecins, des assistants sociaux, des éducateurs, des intervenants ; il oublie toute une gamme de professionnels entre les mains desquels il n’a jamais cessé de passer, encore et encore, dans l’espoir d’arriver à ressentir. Quand il a rencontré Autumn, c’est comme s’il s’autorisait enfin à respirer après des années sous l’eau ; et il a déverrouillé son cœur pour qu’elle puisse y accéder avec son accord. Il a refermé aussitôt le passage pour ne pas que d’autres puissent en profiter ; pour que la confiance qu’il n’accordait qu’avec parcimonie soit dirigée à l’égard de gens qu’il avait minutieusement sélectionné pour s’assurer de ne pas souffrir. De ne plus souffrir. Elle y avait fait son nid, elle avait réparé toutes les fissures, consolidé toutes les fondations, embelli tous les espaces. Elle l’avait fait repartir ; elle lui avait donné un nouveau souffle et cela se ressentait dans son quotidien ; ce n’est pas tant qu’il respirait à nouveau, dans le fond, c’est qu’il apprenait enfin à le faire correctement. Et elle était partie. Elle était partie alors qu’il n’avait pas ouvert la porte ; alors elle avait forcé l’ouverture et les fondations n’avaient pas tenues, les fissures étaient devenues encore plus importantes et il n’y avait plus aucune lumière qui se glissait jusqu’à son palpitant, seulement l’obscurité qui s’est éparpillée partout, dans ses poumons, dans ses veines, dans son sang, dans son esprit ; parce que la porte avait été brisée et qu’il n’y avait plus la frontière qu’il avait mis des années à ériger. Tout le monde pouvait y entrer sans forcer, mais personne ne voulait y rester trop longtemps ; les lieux n’étaient pas accueillants depuis que les travaux réalisés par Autumn avaient été réduits à néant. Le cocon n’en était plus un ; il ne restait plus que des ruines sur lesquelles rien n’était construisible et de toute évidence, Kieran n’avait aucune envie de bâtir quelque chose sur les cendres de celle qu’il avait considéré autrefois comme son foyer, comme sa raison de vivre.

Il avait ouvert son cœur ; mais il n’avait jamais réussi à déverrouiller les abysses menant à son esprit. Autumn s’y était fait une place de choix, c’est certain, mais elle n’avait aucun pouvoir sur ses pensées ; elle pouvait les occuper, elle pouvait les tourmenter, mais elle ne pouvait pas agir concrètement dessus. Elle était privée de cet accès comme il s’était privé lui-même de celui-ci, parce qu’on lui avait toujours dicté une vérité qu’il considérait comme absolue avec les années : il était incapable de réflexion. Alors il avait verrouillé cette partie-là, il l’avait oubliée et il ne ressentait les choses qu’avec son cœur, Kieran. C’était plus fort, c’était plus pur, aussi ; c’était surtout bien plus douloureux le jour où l’organe a été arraché sans anesthésie. Il n’y avait plus de foyer pour accueillir ses tourments ; alors ils avaient migré jusqu’à là-haut, ils avaient forcé l’entrée et déloger les occupants ; ses pensées qui l’aident à tenir malgré la douleur, qui l’aidaient à ne pas voir et subir uniquement celle-ci. Mais c’était désormais trop tard, et Kieran avait cédé ; les portes de l’enfer s’étaient ouvertes malgré lui et il n’y avait rien qu’il puisse faire pour les empêcher de l’engloutir complètement. Et il ressentait. Enfin. Après des années à avoir l’impression de n’être qu’une coquille dénuée de tous sentiments, il ressentait les choses ; mais les années d’apprentissage avait mis à mal ce bouleversement dans son esprit. Il ressentait les émotions ; mais il ne les exprimait pas.

Il ne les exprimait pas, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à ce que son rire résonne sur cette plage. Ce n’est pas un rire ; c’est la porte qui s’est ouverte, et non pas celle qui contenait ses tourments dans son esprit, mais celle qui maintenait ceux-ci à l’intérieur, tout simplement. Il rit, il s’exprime à sa manière. Sa bouche entrouverte traduit du démon qui s’échappe – et pourtant, il est toujours possédé, Kieran. Il est possédé par lui-même, par moi, par elle, surtout. Elle est là, partout, dans chaque goutte de sang, dans chaque artère, dans chaque organe, dans chaque noyau cellulaire ; au point où il n’est plus vraiment lui-même ; mais seulement la représentation de ce qu’il est devenu à son contact, de celui qu’elle aurait voulu façonner et qu’il n’a jamais réussi à être. Il n’y a rien de pire que d’être sous le contrôle de quelqu’un qu’on aime, il n’y a rien de pire que d’avoir perdu le contrôle de soi-même. « TU MENS! » Et il rit, Kieran. Il ne s’arrête plus malgré la colère, malgré les blessures, malgré, quelque part aussi, l’amour qu’il continue de lui porter. Il rit et bien qu’aucun mot ne franchisse ses lèvres, il s’exprime comme il ne l’a jamais fait auparavant. « Je supportais plus nos échecs mais j’ai jamais cessé de t’aimer, exactement comme t’étais. » Sa tête se secoue de gauche à droite et son rire se calme pour faire place à un sourire carnassier qui démontre du peu de crédit qu’il accorde à de tels propos. Il n’y croit pas un seul instant Kieran et même si l’envie lui prenait de le faire, je serais là pour l’en empêcher. Est-ce que tu te souviens de tout ce que tu as fait pour être une meilleure version de toi-même, Kieran ? Et pourtant, ça n’était jamais suffisant. « J’étais saoule, quand je me suis mariée. Je me souviens de rien. T’es content, c’est ce que tu voulais entendre? » Et son sourire s’efface quand il obtient une bribe de réponse. Tu regrettes, hein, Kieran, maintenant, de lui avoir demandé des précisions ? Elle s’est mariée, elle t’a remplacé seulement parce qu’elle était saoule. La première cuite a eu raison de votre amour et de ce que vous étiez supposés devenir ; la plaie était déjà ouverte, mais, grâce à Autumn, elle ne va plus jamais se refermer. « T’étais bourrée ? » Il demande confirmation alors qu’il a intégré l’information. Elle était saoule et le mariage n’a aucune importance, alors pourquoi le leur en aurait eu ? Il pince les lèvres Kieran, baisse la tête et ravale le nœud qui se forme dans sa gorge. « T’es content de savoir que je vais pas si bien que ça, finalement? Que je continue mes conneries? Que malgré toute ma bonne volonté, j’ai rien réglé dans ma tête? Ça te rassure de savoir que t’as fait le bon choix en partant, en me laissant? » Oh, et voilà que tu l’as, Halstead, la réponse que tu attendais depuis des semaines, des mois, afin de savoir comment elle allait quand tu n’étais plus en mesure de t’inquiéter quant à son état. Et si lui ne pense pas comme moi, je suis content, moi, de savoir qu’elle n’a pas arrêté ses conneries. Qu’elle va toujours aussi mal, qu’elle fait toujours n’importe quoi ; parce que ça montre à quel point t’as eu raison de fuir, Kieran. « Je voulais pas te laisser. » Sa voix se brise à nouveau à cette affirmation, modulée par les sanglots dans sa gorge. Il ne voulait pas en arriver là, Autumn, est-ce que tu comprends ? Est-ce que tu comprends que si tu l’avais écouté, si tu avais accepté de te faire soigner, vous n’en seriez pas là aujourd’hui ? Qu’il aurait tout donné pour partager ta vie et qu’il se voit désormais contraint de t’exclure de la sienne ? « Tu l’as échappé belle Kieran, félicitations. » Et contrairement à ce que je voudrais qu’il pense, il n’a pas l’impression de mériter des félicitations ; il aurait voulu ne pas y échapper, dans sa version idéalisée de l’histoire, qui contredit celle de la réalité, qui contredit aussi et surtout la mienne.

Et ses larmes lui brisent le cœur. Il voudrait s’empresser de réduire la distance entre eux, de poser délicatement ses mains sur ses joues, de caresser doucement sa peau de ses pouces pour effacer son chagrin, comme il l’a fait des dizaines de fois. Il voudrait lui murmurer à l’oreille que tout ira bien et que, cette fois-ci, elle peut le croire. Il voudrait poser ses mains contre son dos pour l’obliger à venir tout contre lui, à glisser son visage dans le creux de son cou tandis qu’il refermerait ses bras autour d’elle pour la protéger du monde extérieur et surtout d’elle-même. Mais aujourd’hui, entre eux, il n’y a plus que la distance, la rancœur et les regrets. Il voudrait tout ça, Kieran et peut-être même qu’il fait un pas en avant par automatisme avant que je ne le gronde et lui interdise de céder à ses envies. Et je sais que cela peut te sembler paradoxal, gamin, quand je ne cesse de te pousser à les écouter et que face à Autumn, je décide de les réprimer. Tu comprendras, un jour et tu ne me considéreras plus comme ton bourreau, bien au contraire. Peut-être même que ce jour arrivera plus vite que prévu, alors que pour la première fois, de toute ta colère et ta douleur, tu lui hurles enfin ces quelques mots dessus ; ceux qui forment le début de l’explication qu’elle tient tant à obtenir. Tu avais besoin de te sentir en sécurité, Kieran et pour ça, personne ne peut t’en vouloir. « Cri pas… s’il-te-plaît… » Oh, pourquoi pas, Autumn ? Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui ça ne pourrait pas être lui qui te hurle dessus, qui se donne en spectacle devant des inconnus au regard curieux, qui se laisse contrôler par toute la colère qu’il a en lui ? Pourquoi est-ce que les rôles ne pourraient pas s’inverser, juste un jour, juste un soir, pour que tu comprennes ce sentiment d’être impuissant face à la détresse et, pire encore, la colère de l’autre ? « J’ai jamais voulu… » T’as jamais voulu, quoi, Autumn ? Regarde-le dans les yeux et dit-lui. T’as jamais voulu lui faire de mal ? T’as jamais voulu aller toi-même aussi mal ? T’as jamais voulu lui causer une telle douleur ? T’as jamais voulu être aussi focalisée sur ta propre noyade pour ne pas voir qu’il coulait avec toi ? T’as jamais voulu le briser à ce point ? Oh, mais regarde ton œuvre, Autumn. Regarde-la dans les yeux, et dis-moi ce que tu ne voulais pas. Tu ne voulais pas éteindre la lumière dans ses yeux ? Tu ne voulais pas lui enlever ce sourire ? Tu ne voulais pas l’obliger à se recroqueviller sur lui-même parce qu’il ne se sent légitime nulle part et encore moins à tes côtés ? Tu ne voulais pas, Autumn, mais surprise ; tes bonnes intentions ont brisé un humain et créé un monstre. Et je ne parle pas de moi. « Pardonne-moi… » Et tu ne crois pas, chère rouquine, que tes excuses arrivent un peu tard ? Tu ne penses quand même pas que Kieran va les accepter alors que tu n’as jamais eu le courage de les affirmer plus tôt ? Et je sais qu’il voudrait les accepter. Je sais qu’il le voudrait de tout son être, parce qu’il est ainsi, Kieran, parce qu’il ne peut pas me tromper quand je lis ses pensées et que je sais à quel point il tient encore à son happy end, à quel point il espère qu’un jour tout pourra rentrer dans l’ordre et que quelqu’un (que toi, Autumn) l’aimera pour ce qu’il est réellement. « T’es pas sincère. » Il voudrait les accepter, mais il n’y arrive pas et je l’en félicite. Elle est pas sincère, Kieran. Elle est pas sincère, car si elle l’était, elle aurait essayé de se faire pardonner il y a longtemps ; et vos chemins ne se seraient jamais quittés pour commencer.

Et ça aussi, il ne peut pas pardonner. Au-delà des mots, au-delà des gestes, au-delà des comportements, c’est la finalité au-dessus de laquelle il n’arrive pas à passer ; et l’issue tragique de ce qui aurait dû être une belle histoire, de ce qui a été une belle histoire, de ce qui a été sa belle histoire. Alors la réponse est évidente, automatique ; non, il n’y arrive pas. À quoi tu t’attendais au juste, Autumn ? À un coup d’éponge qui effacerait tout le reste simplement parce que vous avez encore besoin l’un de l’autre, parce que vous pensez que vous avez encore besoin l’un de l’autre ? Il s’avance ; elle recule. C’est ça, alors ? Il lui fait peur, maintenant ? Oh, Autumn, tu ne trouves pas ironique que les rôles s’inversent et que tu te comportes comme la première surprise ? Et puisque tu as des réponses à tout, la rouquine, réponds-lui. Comment est-ce qu’il peut y arriver ? C’est une bonne question, Kieran. Une de celle dont je n’ai pas la réponse et, pour une fois, je me calque sur la principale concernée pour tenter de l’obtenir. Il ne peut pas y parvenir, Autumn, si tu es partout. Si t’es devant lui, si t’es dans son cœur, si t’es constamment dans ses pensées. Il voudrait s’arracher le cœur pour se libérer de la souffrance d’aimer ; mais il n’en est pas capable, pas plus qu’il ne peut s’arracher le crâne pour s’ôter la douleur de penser. T’es fière de toi, Autumn ? T’es fière quand il a pris l’ordre au pied de la lettre, qu’il se met à ta place, que la crise vient de lui, que les sanglots sont les siens, que les gestes se retournent contre lui, qu’il veut se faire du mal encore et encore ; et s’il se contentait de seulement se frapper, j’en serais ravi, Autumn. Tu vois à quel point la situation est grave ? Tu vois à quel point tu l’as détraqué, pour qu’il imagine que la seule façon de t’oublier est de ne plus exister ? « Je veux pas… je veux plus te faire du mal. » Oh, en voilà une douce intention. Tu aurais dû y penser avant de t’imposer à nouveau dans sa vie au moment où il arrivait enfin à passer à autre chose. La vérité, Autumn, c’est que tu aimes lui faire du mal. Et la vérité, Kieran, c’est que tu aimes cette douleur, tu l’aimes si fort parce que tu penses la mériter. « C’est vraiment ce que tu veux? » Oui. Hurle-le lui, Kieran ! Oui ! OUI, c’est ce que tu veux. C’est ce qu’il faut, surtout. C’est ce que vous devez faire pour cesser de vous déchirer ; c’est le seul moyen pour toi autant que pour elle d’espérer guérir – si tant est que ce soit possible. Il sursaute légèrement quand sa main vient se glisser contre sa joue. Malgré l’humidité sur celle-ci, il sent la douceur de sa peau et le contact de ses doigts contre la sienne électrifie l’ensemble de son être, lui rappelle les douloureux souvenirs, mais surtout, les meilleurs. Il s’était toujours vu comme un garçon peu sensible à l’attraction physique – il avait des crushs, mais aucun désir passionnel à assouvir, jusqu’à ce qu’Autumn entre sa vie, jusqu’à ce qu’il parvienne à mettre de côté son habituelle réserve pour rechercher le contact avec elle, toujours. Ses doigts mêlés aux siens, ses lèvres sur son épaule, dans le creux de son cou, sur le bord de sa mâchoire, sur ses lèvres délicates. Ses bras qui l’encerclaient à la moindre occasion, ses mains qui cherchaient toujours à l’avoir près de lui, se posant au creux de ses reins, sur ses hanches, sur sa nuque. Ses doigts qui se glissaient sur sa peau, qui en caressaient chaque parcelle, ses lèvres qui cherchaient toujours à emprisonner les siennes. Son souffle qu’il avait besoin de sentir sur son épiderme, sa présence dont il aimait bénéficier, la proximité qu’il recherchait toujours ; et bien plus encore. Il n’avait jamais ressenti cette attraction pour qui que ce soit et probablement que ce ne sera jamais plus le cas ; parce qu’Autumn est l’aimant qui l’attirera toujours alors qu’il devrait s’en éloigner, parce que les lois de la physique ne sont pas respectées et qu’ils aiment pourtant à les braver. Il ressent toutes ces choses et bien plus encore, quand il s’autorise à franchir la limite en appuyant doucement son crâne contre le sien, quand il sent son souffle chaud contre sa peau et qu’il bascule légèrement la tête pour frôler ses lèvres des siennes sans, cette fois-ci, s’autoriser à outrepasser cette barrière qu’il ne peut faire tomber. « Dis-le. Dis-le que tu ne m’aimes plus et que tu ne veux plus jamais me revoir. » Je t’aime. C’est ce que hurle ses yeux lorsqu’ils croisent les siens. Il ne peut pas le dire, parce qu’il ne le pense pas. Ni le fait de ne plus l’aimer, ni l’envie de ne plus jamais la revoir. « Regarde-moi dans les yeux, dis-le et je te promets que tu n’entendras plus jamais parler de moi. » Elle t’offre tous les éléments en mains pour me faciliter le travail, Kieran, mais aussi pour faciliter le tien. Tu peux t’en saisir, tu peux lui répondre par un simple « oui » qui aura toutes les réponses du monde. Oui, tu ne l’aimes plus. Oui, tu ne veux plus jamais la revoir. Mais tu ne le penses pas et tu ne le penseras probablement jamais, peu importe à quel point je t’accompagnerai sur le chemin de la raison. Alors tu ne peux pas lui répondre. Le silence devient pesant et dénote avec vos cris d’il y a quelques instants. Je rectifie, Kieran. Tu ne peux pas répondre à ses mots, mais tu peux souligner une autre obligation, à défaut d’être une vérité : « J'ai besoin de t’oublier. » Je sais que ça te fait mal, Kieran. Je sais que ça te déchire de l’intérieur et je sais que tu ne me crois pas quand je te dis que cette douleur s’estompera avec le temps. Deux ans ont passé ; et elle est encore plus vive que jamais. Mais ça passera. Ça passera, tu verras. Et ce qui lui fait le plus mal n’est pas tant ce constat douloureux que le fait de cesser le contact entre leurs deux corps lorsqu’il relève la tête et que son regard se baisse sur Autumn sans avoir pu céder à son désir de l’embrasser une dernière fois ; alors à défaut, c’est un dernier regard qu’il porte sur elle avant d’essuyer du plat de la main quelques larmes qui continuent de couler sur ses joues, de ravaler bruyamment ses sanglots et de détourner les talons en titubant, sans savoir exactement où il va, puisqu’elle était tout pour lui ; son amour, sa sécurité, son bonheur, son foyer.

@Autumn Galloway  

« T’étais bourrée? » Évidemment que tu étais bourrée. Tu voudrais lui crier qu’il devrait te connaître mieux que ça, qu’il devrait savoir que ce n’est pas ton genre d’épouser le premier venu complètement sobre, mais le problème c’est que ce ne serait pas complètement atypique comme comportement pour toi. Un high, un sentiment d’euphorie, l’impression d’appartenir de nouveau à quelqu’un et ce ne serait pas complètement impossible que tu cèdes à une idée complètement déjantée comme celle-là. Mais non, ce n’est pas ça qui s’est passé, donc tu te contentes de hausser les épaules pour confirmer que oui, tu étais bourrée et que oui, c’était sans doute l’une de tes pires conneries en date. Tu ne dis rien de plus, parce qu’il n’y a pas besoin. Ce bordel fait déjà assez mal sans que tu n’en rajoutes une couche avec des détails qui ne ferait que vous brisez un peu plus tous les deux. Chaque nouveau rire semble distancer le Kieran que tu as connu de celui qui te fait face présentement, refusant de reconnaître les réactions démesurées du Halstead comme étant simplement un contre-coup de tes propres coups, de ses blessures que tu lui as si longtemps infligées. Ce n’est pas comme ça que cette discussion aurait dû se produire. Il y a tellement d’éléments qui n’auraient jamais dû se rendre à lui, ton stupide mariage étant l’un d’entre eux. Pourquoi est-ce qu’il a fallut que Birdie soit à cette stupide fête? Pourquoi est-ce qu’il a fallut qu’elle te reconnaisse et qu’elle mentionne Mason et surtout, surtout, pourquoi est-ce qu’il a fallut que Kieran soit caché sous ce masque de truite, rendant cela impossible pour toi de contrer quoique ce soit. Si tu avais su, tu n’aurais jamais alimenté la conversation à ce sujet non plus. Peut-être même que tu serais allée jusqu’à nier la véracité des propos de la blonde, simplement pour tenter de te sauver la face. Ce ne serait pas la première fois que tu mens pour tenter de faire bonne figure, ça n’aurait sûrement pas été la dernière non plus. C’est ce que tu fais de mieux Autumn, tu modules sans cesse ton univers et toutes les vérités qui l’entourent pour convenir à cette vision de ta vie que tu aimerais tant obtenir, mais dont tu t’éloignes toujours un peu plus avec chaque nouvelle décision impulsive, avec chaque nouvelle pulsion d’autodestruction qui te martèle toujours autant, même après tout ce temps, même après tous ces mois de thérapies et de médications, d’introspection à ne plus finir et de volonté qui ne sait jamais perdurer dans le temps. « Je voulais pas te laisser. » C’est à ton tour de hocher de la tête à la négative. « C’est quand même ce que t’as fait. » Qu’il l’ait voulu ou non, qu’est-ce que ça change vraiment au fond? Il est parti et toi tu t’es retrouvée toute seule. T’as perdu tous les progrès que tu avais fait pendant ces trois premiers mois passés à l’hôpital. Il fallait que tu réapprennes à vivre avec toi-même et par-dessus le marché, il a fallu que tu réapprennes à vivre sans lui. Et encore aujourd’hui, tu sais que ce n’est pas une connaissance que tu as acquise, loin de là.

Tu n'as plus le contrôle de la situation, sûrement que tu ne l’as jamais vraiment eu ce soir en réalité quand les cris de Kieran se font entendre, forcent une vérité que tu ne te sens pas capable de supporter quand bien même tu es celle qui la demande depuis des mois maintenant. Sa sécurité, tu lui as volé petit à petit pendant des mois, et puis tu lui as arraché avec ce couteau. Celui que tu voulais utiliser pour lui faire du mal, pour te faire du mal, tu n’es plus trop certaine des intentions qui existaient réellement à ce moment-là, la crise en elle-même un flou total dans ton esprit. Les larmes se font de plus en plus abondantes sur tes joues, les mots difficiles à dire entre deux sanglots et quand tu lui demandes de te pardonner, c’est un regard froid que Kieran pose sur toi. « T’es pas sincère. » Tu baisses les yeux à nouveau, incapable de retenir un énième sanglot. Tu ne peux même pas le blâmer de penser ainsi, même si oui, tu es sincère. Tu crois en tout cas. Tu veux tellement l’être. Est-ce que c’est assez? Est-ce que ça peut réellement suffire? Non, non ça ne peut pas. Tu le vois bien, Autumn. Ça ne répare absolument rien. Ça n’efface pas les blessures, les dégâts continuent de s’empiler autour de vous, les frasques du mal que vous vous faites, que tu lui fais, étendus à vos pieds, rappel éternel que rien de tout cela ne devrait continuer d’avoir lieu, quand bien même tout te ramène toujours à lui de la pire des façons. Et de l’entendre dire qu’il est dans la même situation que toi, dans le même bordel, qu’il est incapable de t’oublier, de te sortir complètement de sa vie et de sa tête malgré le temps, malgré la distance, ça n’a pas l’effet rassurant que tu espérais, même si c’est douloureusement puissant, ce que tu ressens dans tout ton être. Ce qui te chavire le cœur, ce qui te bouffe les entrailles, ce qui te fait tourner la tête. C’est l’alcool, juste l’alcool. Non, bien sûr que non. C’est lui et l’effet qu’il aura toujours sur toi. C’est aussi bon que c’est toxique. C’est dangereux. C’est le pire des jeux et tu sais que la meilleure chose que tu puisses faire pour lui, pour toi, c’est de vraiment t’y tenir, quand tu dis que tu vas sortir de sa vie, que tu vas partir, que tu n’apparaitras plus comme ça, au coin d’une rue ou sur la plage. Mais il faut qu’il te le dise. Il faut qu’il te le crie. Il faut que tu l’entendes sinon tu n’y arriveras pas. Sinon tu vas continuer de conserver ce putain d’espoir dans le fond de ta tête, dans le fond de ton cœur et tu sais que tu ne seras pas capable de lâcher prise. Ta main qui glisse sur sa joue, ça, c’est une très mauvaise idée. Son front qui vient se coller contre le tien, c’est pire encore. Recule Kieran. Fais pas ça. Ça fait trop mal. Pourtant vos regards se croisent et personne ne bouge. Ses lèvres frôlent les tiennes, tu retrouves son souffle contre ta peau et tu ne veux plus jamais que ça cesse. La douleur est terriblement bonne, c’est une torture sans nom que de résister à l’envie de l’embrasser alors qu’il est vraiment juste là, et pourtant, tu ne te l’autorises pas et lui non plus. Le moment se fige quelques secondes, quelques minutes peut-être, tu ne saurais dire. L’ultimatum est lancé, tu attends la sentence comme une putain de condamnée. C’est ce que tu es. Condamnée pour tous tes crimes contre lui et la peine à purger, c’est une vie sans sa présence. « J’ai besoin de t’oublier. » Non, ce n’est pas ça que tu devais dire Kieran. Tu devais dire que tu ne m’aimes plus. Tu devais dire que tu ne voulais plus jamais me voir. Pourquoi tu l’as pas fait? Il se recule aussi vite qu’il s’est approché et voilà qu’il se sauve, comme il sait si bien le faire, et toi tu restes derrière, incapable de bouger pour ce qui semble durer une éternité et demi, à voir la plage se vider, à écouter le son des vagues s’écraser contre la plage et te demander si l’océan allait finir par faire disparaître toutes les pièces de ton cœur brisé.